LA RENCONTRE Lesbiennes radicales tant qu’il faudra PROPOS Rencontre avec les
locs
Salut Amina, Sabreen, Vanessa, merci d’avoir accepté cet entretien avec AssiégéEs. Est-ce que vous pouvez brièvement nous raconter comment respectivement vous vous êtes retrouvées à militer au sein du collectif des lesbiennes of color ? Vanessa : J’ai pris connaissance du groupe Lesbiennes of Color en 2012, l’année du Rassemblement d’Actions Lesbiennes (RAL), par le bouche à oreille. Je recherchais un groupe où je ne serais pas exotisée, invisibilisée, et où je ne subirais pas de racisme. Sabreen : En avril 2009, j’ai co-fondé le groupe locs avec Moruni militante lesbienne politique indienne née à Kolkata et exilée en France. Dès le début du lancement, plusieurs autres sistas lesbiennes racisées nous ont rejointes pour rédiger le premier texte. Dès le début, certaines proches camarades blanches lesbiennes politiques conscientisées sur le racisme et l’invisibilisation des lesbiennes racisées nous ont soutenues. Nous avions mené avec elles des luttes respectant notre autonomie organisationnelle et politique; celles-ci évoluant dans un espace autogéré, autofinancé, non-mixte (interdit aux hommes) et indépendant dans ses projets, créations, productions et actions. Au fil des années le groupe locs s’est renforcé avec celles qui allaient, à tour de rôle et durant 10 ans, l’animer avec créativité, force, résilience et analyses dont Moruni la cofondatrice. Deux choses m’ont amenée à militer : d’abord, au sein même de «notre» communauté lgbt, nous subissions un racisme sournois, une invisibilisation de notre vécu en tant que racisées, un exotisme mais aussi une dépolitisation de nos revendications et analyses jusqu’à nous accuser de « faire du racisme à l’envers » ou de « créer encore des séparations ». La communauté lgbt n’était pas exempte de reproduire des rapports de pouvoir fort de son bouclier androcentré, blanc, patriarcal, paternaliste ou maternaliste selon l’organisation des événements. Femmes, lesbiennes et of color donc sexisme, racisme, lesbophobie sans oublier notre situation de précarité financière. Ensuite, l’envie de disposer d’un espace non-mixte pour nous soutenir,
40
AssiégéEs • septembre 2021
RECUEILLIS PAR MALEK C HEIKH
nous renforcer, créer, militer, écrire, analyser, produire, rendre visibles les lesbiennes invisibles pour mener une lutte en cohérence avec notre réel vécu, pas le fantasmé. Un espace où la sororité au sens de solidarité politique que bell hooks a pensé possible dans la « solidarité politique entre les femmes » comme un « engagement partagé dans la lutte », « La sororité donne du pouvoir aux femmes, en nous respectant, en nous protégeant, en nous encourageant et en nous aimant. » Amina: J’ai rencontré Sabreen pour la première fois en 2017 et elle m’a présenté le groupe locs, et j’ai été impressionnée par l’énergie des membres du groupe. Je me suis dit « Enfin, j’ai trouvé un groupe où je peux me sentir bien, visible mais sans racisme, et où je me sens en sécurité pour parler de ma pensée politique. » J’avais l’honneur de découvrir cette richesse incarnée par les locs grâce à nos différents parcours et cultures… il nous a permis d’avancer… et le savoir-faire aussi. Dans nos échanges pour préparer cet entretien, vous avez insisté sur le fait que les locs ne constituent pas un collectif ex-nihilo, à un niveau collectif et individuel, pourquoi c’était important de découvrir que d’autres ont lutté avant, et sur ce terrain là ? A : Pour avancer, il faut connaître le passé donc effectivement l’important c’est connaître ce qui a été fait par les féministes et lesbiennes, leurs efforts, sacrifices, résistances, et la continuité malgré la violence et le racisme vécus par ces femmes libres... que nous vivons encore aujourd’hui. Je trouve que c’est une fierté d’avoir cet héritage. S : Les oppressions sexistes, racistes, lesbophobes, néolibarales, patriarcales ont existé avant nous; des camarades guerrières ont mené ces combats; des dizaines de générations ont participé à l’amélioration des droits des femmes et des lesbiennes partout dans le monde; d’autres dizaines de générations ont profité ou profitent de cette révolution féministe contestant l’ordre patriarcal ; il serait alors impensable de ne pas