Ardennes Alpes
#210 / 4ème trimestre 2021
Vous marchez depuis plus de vingt heures et vous êtes exténué. Vos jambes ne veulent plus répondre. Il y a un point à chaque mollet que vous pouvez masser vigoureusement. Il est tellement douloureux qu'il est même préférable de le faire masser par un partenaire si vous n'êtes pas seul. Il n'est pas difficile à trouver : cherchez-le au bas de chaque mollet, là où les deux masses musculaires se séparent. En cas de grande fatigue des jambes, le point est très douloureux au toucher. Une fois que vous l'avez repéré, massez-le par des mouvements
circulaires du pouce, puis vers le haut par des glissades fortement appuyées. Vous activez ainsi l'évacuation des toxines qui s'y sont accumulées. Lors de la guerre du Vietnam, les Asiatiques avaient appris aux soldats américains à outrepasser leur épuisement par ce massage. Certains s'étaient même résolus à brûler superficiellement ce point anti fatigue avec le bout d'une cigarette allumée, mais ce n'est pas nécessaire d'en arriver là. TEXTE DE JEAN BOURGEOIS MIS EN IMAGE PAR AUDREY CAUCHIE
Karel D owns
brough
© 202 1
édito Un de nos anciens nous a quittés : Florent Van Laeken, ancien président de la « section de Liège » du Club Alpin Belge, comme on disait à l’époque, est en effet décédé en septembre dernier. Notre ami Freddy lui rend un bel hommage dans ce numéro. Mais la vie continue ! Pour preuve, la troisième édition du CABaret qui s’est déroulée le 25 septembre dernier à Freyr. Grand succès avec une météo particulièrement agréable ! On y revient dans ce numéro en mots et en images. Toujours à Freyr, vous avez certainement entendu parler du record de Belgique de Highline. Il y avait déjà eu de beaux parcours lors du CABaret, mais ici il s’agit d’un exploit : 770 m à 70 m de haut ! Plat pays, la Belgique prend de la hauteur. Beau coup de projecteur pour un des sports de notre Fédération ! Une démarche intéressante nous est proposée par Pierre Guyaux, qui a décidé de faire une pause et de partir trois mois à… Freyr ! Et pour tout savoir sur quel type de rocher vous grimpez à Freyr, un article d’Alain Herbosch consacré à la géologie de ce massif.
suivent : un triathlon original (vélo – grimpe – escalade), la présentation d’un nouveau cercle (Cap Expé), des nouvelles du Noyau « Alpi », un peu de randonnée dans les Lofoten, un article sur l’escalade urbaine, … Un numéro varié, partant du socle géologique de Freyr pour aller dans les airs avec nos highliners ! Il y a 100 ans, George Mallory participe à une expédition explorant des voies menant au col Nord de l’Everest. A un journaliste lui demandant pourquoi il souhaitait tant gravir l’Everest, il répond : « Parce qu’il est là » ! Une belle réponse à méditer lorsque nous pratiquons les sports de notre Fédération… « Parce qu’elle est là », la pandémie de Covid 19 a bouleversé notre quotidien et nous oblige à prendre encore des précautions. Continuez à bien prendre soin de vous et des autres !
DIDIER MARCHAL Président du CAB
Bref, un numéro « spécial Freyr » ! Parmi les autres sujets abordés ce trimestre, vous trouverez en vrac dans les pages qui
Pierre Guyaux, Pablo Recourt et Florian Castagne – Reflet d’amitié sur fleuve troublé – Tête du Lion (Freyr), septembre 2021 page 3
CABARET #3
Au petit matin, alors que les nuages enveloppaient les dormeurs accrochés à ses flancs, Freyr se réveillait, au son de cloche de Seb et de sa détermination à enchaîner tous les « 8a » en 24 heures.
DOSSIER
Ça se passe à Freyr ! L’épicentre de l’univers en ébullition … PAGE 5 30
EN QUÊTE DU SAINT 8A PAGE 11
Je me demande souvent quelles sont les valeurs que l’on recherche dans le voyage. […] Peut-être que c’est simplement le désir de sortir de sa zone de confort et de fuir son chez-soi.
PARTIR… À FREYR PAGE 14
Sommaire DOSSIER : Ça se passe à Freyr ! 5 CABaret #3 : quand la fédération des vagabonds est en fête
Karel
021 ugh © 2 Downsbro
Chaque fois, j’éprouve ce même sentiment quand je passe du temps à Freyr. L’impression d’être parti. Pour une journée ou deux, c’est pareil. Je m’envole vers un autre monde.
Jef Cox © 202 1
Gilles Charlie r © 2021
Didier March al © 2021
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11 En quête du Saint 8a 14 Partir… à Freyr : l’ailleurs est ici 17 770 m ! Ils l’ont fait ! 21 Rocathlon 26 À Freyr, la grande variété des styles d’escalade est liée à la constitution géologique de ses différents massifs rocheux
770 M ! PAGE 17
Après avoir battu le record de Belgique de highline déjà deux fois en moins d’un an, les highlineurs et highlineuses belges se sont lancés sur un énorme projet : la tentative d’installation d’une highline de 770 m sur le site mythique de Freÿr.
30 In memoriam 31
Noyau Alpi du Club Alpin Belge
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« Trek sportif » dans les…
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Champagne, guitares et confettis : L’ASBL Cap Expé rejoint le Club Alpin Belge
39 Lire "Bel’Wall"
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40 Quelques notes à propos de l’escalade urbaine en Wallonie
Geoffroy
er De Schutt
© 2021
D O S S I E R Ç A S E P A S S E À F R E Y R !
CABaret #3 Quand la fédération des vagabonds est en fête MARIE PIERRET Oui, ce jour-là, Freyr s’est levé embrumé pour se coucher en feu.
Au petit matin, alors que les nuages enveloppaient les dormeurs accrochés à ses flancs, Freyr se réveillait, au son de cloche de Seb et de sa détermination à enchaîner tous les « 8a » en 24 heures. Il arrachait ainsi de leur sommeil et de leur portaledge Flo Delcoigne, Merlin Didier, Simon Lorenzi et Thibaut Bourgeois. Défi qu’il a presque réussi avec treize voies sur quinze.
Rapidement, des highlineurs et highlineuses venus de tous horizons et rassemblés par BeSlack se sont accrochés aux nuages, évoluant sur plusieurs highlines et jumpline (jusqu’à 300 m de long). Au loin, en amont de la Meuse, on pouvait déjà entendre résonner « Drunken sailor » ; les marins d’eau douce d’Évolution Verticale chargeaient en chœur leurs barriques de « Frontale » (la fameuse bière des 6 000 m). Leur radeau allait se transformer en « radaledge » dans la suite de l’aventure (comprendre : radeau transformé en portaledge), une idée folle qui a donné naissance
Benoît Vivien Compagnie "Voilà l’Enchantement"
page 5
P.S. : le plus important : merci Marie !
Celle qui signe les lignes et remerciements ci-dessus est la responsable « Comm. » du CAB. C’est bien Marie qui a su faire exister cette fête, à travers les doutes, les critiques et les risques, elle en est l’âme et le cœur. Marie, c’est l’étincelle de cette mise à feu de l’épicentre de l’univers ! Merci beaucoup, beaucoup à Marie !
Pablo Recourt © 2021
Post-scriptum par Geoffroy, coordinateur du Club Alpin Belge
au « barbaledge ». Oui, vous avez bien lu : un barbecue de paroi, désormais une tradition bien belge au CABaret !
Petit à petit, le bivouac s’est empli jusqu’à la nuit tombée, aux notes de la cornemuse, puis la poésie a pris le dessus, avec un conte jonglant sur l’itinérance et le vagabondage, avant d’être pris d’assaut par la crème de la crème des aventuriers ! Sept projets audacieux et inspirants nous étaient présentés : Cap sur El Cap, Nanok Expedition, The Manneken Trip, En quête du Saint 8a, Jeff et son tour du monde en voilier, le Highline Festival, « Soudain Seul » (le film), une projection du dernier projet de Seb « Tu peux pas comprendre », et puis Seb nous a lu un petit mot de Sean, Nico et J.-Lou,
Grande image : Highline de 300 m installée par BeSlack En bas à gauche : La déco et le matériel est "home made" pour réduire les coûts financiers et environnementaux En bas à droite : Une session de yoga dynamique pour le plus grand plaisir des participants page 6
Oui, il s’en est passé des choses ce samedi !
qu’ils m’avaient envoyé pour l’occasion : « je peux pas, j’ai tempête de mer ». La suite, il fallait être là pour la vivre : la musique (The PoBo’ys), les feux de bois, les danses sauvages, le raid pour approvisionner le bar, les complicités, jusqu’aux petites lueurs de l’aube. Lundi matin – le dimanche ayant été plutôt… « (b)off » pour beaucoup, on pouvait encore croiser Laurent Minet rêvassant sur le bivouac, une brouette à la main, déterminé à faire disparaître le moindre déchet de la pelouse. Sur la
Didier Marchal © 2021
Après cela, tout était possible ! Les falaises se sont peuplées de joyeux grimpeurs et randonneurs. Nombreux sont ceux qui ont répondu à l’appel « sans voiture » pour converger vers l’épicentre de l’univers à pieds, à vélo, en train ou en stop. Certains se sont lancés à la poursuite d’un butin caché dans des voies « mythiques » par les amis du camp de base… et un ours a débarqué sur le parking. Du haut de ses dix-sept ans, Thimothé Verlaine l’a immortalisé pour notre plus grand plaisir à l’entrée du site. Ainsi, Freyr compte désormais deux gardiens…
Geoffroy De Schutter © 2021
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P.S. 2 (toujours par Geoffroy, coordinateur du Club Alpin Belge) Quand l’obscurité gagnait la plaine, j’y ai compté plus de 500 personnes…
Record battu. Et, pourtant, il n’y avait pas de raison objective d’être là. Il n’y avait pas d’événement particulier, pas de projection du dernier film de Sean et Nico, pas de matos bradé, pas de grande marque ayant fait tapage, pas d’annonce dans les médias, pas de compétition, pas de vedettes étrangères, rien à gagner… Non, ces 500 personnes étaient là, juste avec l’envie d’en être, avec l’envie de se rencontrer, de partager, de se connaître, de se découvrir. En fait, avec l’envie intense de « faire communauté ». Et c’est bien le sens même d’une fédération ; c’est aussi le sens – et la motivation profonde –, d’être un « membre ».
Pablo Recourt © 2021
chaussée des alpinistes, notre cow-boy des falaises, Pablo Recourt entamait son voyage avec Gaspar, sa monture. Sans se retourner, le cœur mû par sa « quête du plus beau 8a » de France, il a disparu derrière l’horizon… Il nous racontera l’année prochaine, ce vagabond.
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C’est pour tous ces moments, que j’aime imaginer et faire vivre le CABaret, pour que puisse s'exprimer le brin de folie de chacun de ses membres ! Car le Club Alpin Belge, c’est décidément une fédé sportive pas comme les autres… MARIE PIERRET
Merci à tous les bénévoles, aux cercles impliqués (Esprit d’Altitude, Évolution Verticale, Escal’pades, Be Slack), à chacun des membres et à l’équipe du Club Alpin Belge qui s’est mobilisée comme chaque année ! Marie Pierret © 2021
Pour consulter photos, vidéo, reportage TV et les films projetés disponibles en ligne : www.clubalpin.be/cabaret
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P.S. 3 (et oui… encore Geoffroy, coordinateur du Club Alpin Belge) Le CABaret, n’en est qu’à sa 3 ème édition.
Le saviez-vous ? S’il a grandi si vite et si bien, c’est qu’il fait sens. Pour moi, il symbolise parfaitement le renouveau du CAB, le changement d’image et de dynamique qui s’y est installé – ou reconstruit –, depuis quelques années. Tous les indicateurs chiffrés le montrent, mais, c’est aussi très vivant à travers les retours vibrants qui, dès le lendemain, submergent la boîte de Marie et qui sont indubitablement le fait d’une nouvelle génération de « membres ». À ceux-là, et à tous ceux qui ont vécu ce moment collectif comme faisant sens pour eux, je veux passer un message : il faudrait que vous assumiez aussi et faire exister « votre » CAB après la fête… Aujourd’hui, à quelques exceptions près (certes notables), vous êtes absents de l’A.G. et très peu au C.A. C’est là, pourtant, que les orientations se prennent, que les chiffres se comptent et c’est là, aussi, que les énergies se perdent et que les crispations du passé renaissent. Si vous ne voulez pas perdre ce collectif joyeux, investissez-le !
1. Les grimpeurs de Cap sur el cap présentent leur film avant le grand départ 2. Les marins d'eau douce ont pris de la hauteur pour dormir les pieds au sec et déguster quelques rasades de Frontale 3. Sébastien Berthe réveille Freÿr par sa détermination à caresser le rocher 4. Le Barbaledge pris d'assaut 5. Sébastien Berthe tente d'enchaîner tous les 8a 6. L'ours protecteur de Freyr sculpté par Thimothé Verlaine et placé à l'occasion du CABaret 7. Les highlineurs et highlineuses s'emparent de la vallée embrumée sur la highline de 300 m 8. Merci Laurent et merci aux jeunes d'Escal'pades pour la chasse aux déchets (soulignons-le beaucoup, beaucoup trop nombreux, soyons vigilants l'année prochaine)
arlier Gilles Ch
© 2021
D O S S I E R Ç A S E P A S S E À F R E Y R !
En quête du Saint 8a PABLO RECOURT
Je me demande souvent quelles sont les valeurs que l’on recherche dans le voyage. Serait-ce l’envie de voir d’autres merveilles, de humer de nouvelles odeurs, de ressentir d’autres climats ? Ou bien est-ce l’envie de se confronter à des cultures méconnues et de rencontrer l’autre ? Peut-être que c’est simplement le désir de sortir de sa zone de confort et de fuir son chez-soi. Curiosité ou ras-le-bol, partir ou fuir, aventure ou confort, explorer ou se reposer, loin ou proche ; le voyage fait rêver l’être humain, et cela, depuis toujours.
Comme tout bon grimpeur, voyager évoque pour moi le Yosemite, Rockland, Tonsaï, Hampi ou encore la Patagonie. Ça te fait aussi rêver, non ? Mais tous ces spots mythiques sont loin. Cela implique souvent de prendre une capsule volante et complètement étanche, dans laquelle tu rentres et attends quelques heures avant
Le vélo, cette formidable invention, est bien évidemment le moyen de transport le plus approprié pour cette quête. page 11
Cet impact que nous avons sur l’environnement, moi, Pablo, à 23 ans, ça me préoccupe beaucoup.
Karel Cusse-Downsbrough © 2021
Et pourtant, moi qui grimpe depuis ma tendre enfance, j’ai des rêves d’aventure par milliers. Je veux partir voir le monde. Explorer des falaises mythiques et grimper l’inconnu. Mais où aller ? Après réflexion, j’ai cessé de m’intéresser au lointain. Si tu cherches à découvrir l’inconnu, l’inconnu lointain est-il vraiment différent de l’inconnu proche ? Il reste très probablement inconnu. Tout dépend du regard que tu y portes. Et puis, si tu demandes à un Américain quelle est sa destination d’escalade de rêve, il te répondra certainement la France. Céüse, Fontainebleau, le Verdon, Chamonix : que des destinations prisées. C’est vrai qu’ils ont de la chance, nos voisins français. Ils ont tous ces beaux spots à portée de main. Mais… Attends !
Slip à clou, 8a pépite de Freyr
d’en ressortir dans un autre monde. Cette capsule, plus communément appelée « avion », brûle une quantité phénoménale d’énergie fossile, rejette des déchets pas très sympas pour la planète et t’introduit gentiment au voyage de consommation. Et cet impact que nous avons sur l’environnement, moi, Pablo, à 23 ans, ça me préoccupe beaucoup. Je pense que cette manière de voyager n’a plus vraiment sa place face à notre devoir écologique.
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Et c’est ainsi que l’évidence est devenue évidente. Je ne connais pas les trois quarts des secteurs d’escalade français : ça compte comme l’inconnu, non ? C’est décidé, je pars (re-)découvrir la France. Il y a un tas de voies d’escalade que je me suis toujours promis d’essayer un jour, c’est l’occasion. « Tiens, ça serait marrant d’essayer de trouver la plus belle voie de France. Ou mieux. Le plus beau 8a de France ! Un peu de challenge, ça rend le truc plus excitant ». C’est à peu près ce qu’il s’est passé dans ma tête quand, tout à coup, le voyage s’est transformé en quête. Plus ou moins au même moment, j’ai rencontré Gaspar, qui s’est avéré être la pièce maîtresse du projet, celle qui lie le tout. Gaspar a une manière de fonctionner très respectueuse de l’environnement, qui m’a directement séduite. Il a l’habitude de voyager localement à un rythme moins effréné. Étant endurant et rapide, il est aussi le parfait compagnon pour me suivre dans mes projets d’escalade. Et puis, avec son design noir/turquoise, ses onze vitesses et ses freins à disques, comment ne pas résister à l’enfourcher ? Le vélo, cette formidable invention, est bien évidemment le moyen de transport le plus approprié pour cette quête. Voyager à coup de pédale, c’est
être proche de son environnement et des gens que l’on rencontre. C’est avoir un capital sympathie décuplé, rendant les contacts encore plus faciles. C’est aussi avoir le temps de prendre le temps, de voyager à l’écoute du ciel et de son corps. C’est donc avec mon fidèle destrier à deux roues, Gaspar, que je pars faire le tour des secteurs d’escalade français. Après un petit arrêt obligatoire à Freyr, j’ai parcouru le Grand Est. Actuellement, je me dirige vers les Alpes à travers les Vosges et le Jura. Dès que j’en aurai marre du froid alpin, je me rendrai dans le sud de la France qui regorge de falaises plus belles les unes que les autres. Je remonterai finalement vers la Bretagne avant de rejoindre notre plat pays, après un total de six mois de balade à vélo.
Emile Pino © 2021
Pablo dans De la terre à la une, 8a, Kronthal (Alsace)
Gilles Charlier © 2021
Page 11 et ci-contre : Pablo et Gaspar profitent du coucher de soleil dans l’Al Lègne, Freyr
On me demande souvent si je suis parti seul (avoue que tu te posais la question !). Gaspar ne serait pas content si je répondais directement par l’affirmative, mais je voyage effectivement en solo. C’est une bonne excuse pour être obligé de rencontrer des compagnons de cordée. C’est aussi la liberté de pouvoir adapter plus ou moins mon itinéraire au gré des rencontres. Je cherche à découvrir des secteurs que je ne connais pas et à grimper avec de nouveaux copains. Je vous invite donc à parler du projet autour de vous : à vos amis, cousines, grands-oncles, coiffeurs et autres afin que l’on m’invite ou m’oriente à travers la France entière ! Promis, je suis très gentil, souriant, et j’ai des tas de belles histoires à raconter.
PABLO RECOURT
Pour suivre le projet : Facebook : « En quête du saint 8a » Instagram : @pablorecourt
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See you on the road !
DOSSIER ÇA SE PASSE À FREYR !
Partir… à Freyr L’ailleurs est ici PIERRE GUYAUX
Chaque fois, j’éprouve ce même sentiment quand je passe du temps à Freyr. L’impression d’être parti. Pour une journée ou deux, c’est pareil. Je m’envole vers un autre monde, je sens une rupture avec mes différentes vies – le travail, les amis, la musique, la ville et ses lumières. Ces vies que j’aime, mais dont le rythme est souvent trop effréné. Alors, quand j’atterris à Freyr, s’ouvre un horizon, une fenêtre où le temps, l’espace et la perception que j’en ai, changent. Pierre Guyaux, Pablo Recourt et Florian Castagne – Reflet d’amitié sur fleuve troublé – Tête du Lion (Freyr), septembre 2021 page 14
Depuis cet été, j’ai décidé de prendre de la distance avec mon travail. J’ai besoin de prendre du temps pour moi après en avoir beaucoup donné aux autres. Être travailleur social dans les quartiers populaires de Bruxelles, y accompagner des jeunes en marge du système, fut particulièrement éprouvant en ces derniers temps confinés. C’est une prise de recul pour me retrouver, et je le crois, à terme, remettre de l’énergie pour et dans le collectif. Dans ce temps qui s’ouvre, j’ai décidé de passer l’automne à Freyr 1. Pas un jour, pas deux jours, mais trois mois. Me poser là, dans ma maison roulante, et prendre le temps d’y vivre, d’y grimper, d’y chanter. Accompagné par la saison changeante, les feuilles orangées et la Meuse qui
1 - En vrai, j’y serai quatre à cinq jours par semaine. Car c’est éprouvant physiquement, mentalement de grimper à Freyr, mais aussi parce que je veux prendre du temps avec mes proches, mon amoureuse…
Ardennes & Alpes — n°210
Karel Downsbrough © 2021
coule imperturbable, je veux saisir l’essence de ce lieu magique. C’est un projet qui, étrangement, crée la surprise : « Quoi ? ! Tu vas passer trois mois à Freyr alors que tu pourrais partir vers les falaises du sud : Siurana, Buoux, Kalymnos… quelle idée ! ». C’est comme si, à notre époque, l’originalité d’un voyage devenait inversement proportionnelle à son éloignement. J’aime observer et participer à l’étonnement en découvrant l’ailleurs… ici ! La question du voyage m’est particulièrement présente depuis quelques mois, depuis que j’ai décidé de m’accorder une pause, et peut-être plus encore depuis les récents confinements. Tout Occidental privilégié que je suis, j’ai été pris de vertige devant le champ immense des possibles : partir loin, avoir de l’ambition, « réaliser quelque chose »…, pris de considérations existentielles telles que « c’est maintenant ou jamais… ». Bref, j’ai voulu creuser et questionner cet élan « qui va de soi ». Et petit à petit, naturellement, est né le désir de partir « ici », juste à côté. Dans cet élan réflexif, la lecture de La vrai vie est ici de R. Christin m’a grandement nourri. « L’ailleurs est ici » ne cesse de résonner dans ma tête, comme un mantra, une évidence simple. (Re-) découvrir Freyr est devenu cette évidence simple.
Je ressens le besoin de poser un sens politique, de défendre une façon de voir le monde… Au risque de digresser, et parce que je ne peux me résoudre à une simple expérience poético-esthétique, bien qu’importante, je ressens le besoin de poser un sens politique, de défendre une façon de voir le monde et de nourrir une direction qui me semble juste pour la Terre et les êtres humains qui l’habitent. Il est, je le crois, grand temps de
Dans ce temps qui s’ouvre, j’ai décidé de passer l’automne à Freyr. Pas un jour, pas deux jours, mais trois mois.
re-nourrir le voyage, l’expédition, l’aventure comme manière d’être monde. Ici comme ailleurs, en prenant le temps d’avoir le temps, d’ouvrir les yeux, de regarder au-dehors et au-dedans de nous-même. Grand temps, par-dessus tout, de déconstruire « l’aventure » formatée par la société capitaliste dont l’imaginaire borné occulte la beauté des choses simples. Car le monde de l’escalade n’y échappe pas. Voyez ces grosses productions primées lors du « Reel Rock Tour » et autres « Banff Mountain Festival » qui, sauf exception, rendent surtout hommage à la prise de risque, aux images extrêmes dans les derniers lieux reculés de notre planète. C’est comme si tout avait déjà été fait, mais qu’il fallait trouver encore plus original pour garantir le spectacle dans une société qui s’ennuie. Cela, au détriment des aventures humaines, des réflexions sur l’existence, des rencontres (de soi et des autres) qui font selon moi la plus belle part de nos passions verticales (et horizontales). Ces images, consciemment ou pas, nous poussent à rêver d’ailleurs lointains et entretiennent l’idée qu’il faut dépasser les limites. Les nôtres et celles de la Terre. Ajouter à cela le renforcement des normes dominantes liées aux genres, aux races, aux classes sociales… Mais là sont d’autres vastes sujets qui méritent de plus amples réflexions. Cela étant dit, il serait malhonnête, des suites de ce regard critique, de ne pas rendre hommage aux camarades qui résistent, créent et vivent leurs aventures et m’inspirent par ailleurs. Ils participent à la création d’imaginaires, ouvrent d’autres possibles d’où peut émerger l’espoir de ne pas voir les aventures dériver vers des spectacles vides. Je pense ici à Pablo et son tour de
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France des sites d’escalade à vélo ; à Seb, Baptiste et leur équipage qui prennent le temps du vent pour gagner les falaises du Yosemite. Peut-être sont-ils/elles inspiré(e)s par les expéditions de Sean et Nico en Arctique ? Mais il y a aussi à Jeff et la construction d’un voilier sur les rives de la Meuse pour partir avec les jeunes du coin. Enfin, une petite pensée aussi pour l’ami Flo dont le mode de vie, à moitié nomade, m’inspire ce que le voyage à d’une manière d’être au monde. Dans le temps, la présence, ici et ailleurs.
Finalement, quant à moi, partir à Freyr, c’est prendre le temps et le parti d’une aventure ici. C’est le désir d’explorer l’ampleur de ce que Freyr a à offrir en termes d’escalade. Tout(e) grimpeur·ou grimpeuse qui y a passé du temps sait que c’est en y allant régulièrement que l’on dépasse les appréhensions qui font la réputa-
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tion de ce site. Que c’est en y allant souvent que l’on se libère et que l’on peut exprimer sa plus belle escalade. C’est vrai en général pour la pratique de l’escalade en falaise, mais je pense que ça l’est particulièrement à Freyr où le style impose audace, équilibre et sangfroid. Trois mois, c’est le temps de commencer doux, de visiter les classiques, de se remettre en forme et pourquoi pas d’enchaîner un joli projet. Si j’ai cela en tête, je garde surtout le désir d’habiter ce lieu, de le vivre, mais avant tout, de partager ces cordées d’amitiés tissées au fil des années. PIERRE GUYAUX
Pierre Guyaux – Remise en forme dans « Tartine de Clou » (7B) Al Lègne (Freyr), septembre 2021
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D O S S I E R Ç A S E P A S S E À F R E Y R !
770 m ! Ils l’ont fait ! LAURENT BLONDIAU – CAB
Après avoir battu le record de Belgique de highline déjà deux fois en moins d’un an, les highlineurs et highlineuses belges se sont lancés sur un énorme projet : la tentative d’installation d’une highline de 770 m sur le site mythique de Freÿr.
Ce projet constituait un double défi, technique et sportif, qui a été relevé haut la main par une équipe de choc ! C’était du 16 au 24 octobre, à Freÿr.
Les origines du projet de record de Belgique Tout a évidemment débuté autour d’une blague ! C’était il y a plus d’un an et l’on ne pensait pas vraiment qu’une sangle de 770 m aurait pu se
tendre entre la Jeunesse et le Mérinos, au départ de celle qui a été baptisée à l’époque la « King line », une ligne de près de 60 m. « On », c’est BeSlack, qui réunit la communauté des slacklineurs et slacklineuses de Flandre et de Wallonie, avec l’aide de Lyapunov (représentations acrobatiques) et le soutien du Club Alpin Belge.
L’installation C’est grâce à la synergie du collectif que la highline a pu être installée et désinstallée deux fois en une semaine ! Pourtant, c’est un site difficile : même avec des drones, la configuration du terrain rend parfois les liaisons au fil de pêche très compliquées selon le sens et la force du vent combinés aux arbres et rochers très proches. Et puis, il y avait une difficulté supplémentaire amenée par la Meuse et les passages de bateaux. Aucune erreur n’était permise et c’est grâce à l’expérience et aux techniques d’installation acquises au fil des années, mais aussi grâce à un plan bien préparé et de très
Johan s'élance pour la première traversée du lundi matin dans la brume... – 18 octobre 2021 page 17
Quelques chiffres • 1600 m de sangles utilisées (1400 m de Y2K et 200 m de Moonwalk) • 2400 m de cordelettes (tagline) ont été enkitées, déroulées, ré-enkitées… le tout plusieurs fois sur la semaine… Mention aux « professional tagliners » comme on les surnomme maintenant. • 400 m de fil de pêche tressé en Dyneema • + de 15 h d’installation (2 installations combinées) • La hauteur du plus haut point ancrage était de 90 m et jusqu’à 40 m de flèche ont été observés. • 3 langues : l’installation s’est faite en néerlandais de Belgique, français de Belgique, anglais baragouiné et même allemand lors de la seconde installation.
Stijn Vandenbussche © 2021
On retiendra le message principal : ce record est avant tout collectif ! bonnes conditions météo que tout s’est déroulé sans encombre. Ainsi, le samedi soir, après une journée de travail, la ligne était installée, laissant place à une semaine de traversées !
Histoire de la highline Tout a commencé en 1983 au célèbre Lost Arrow Spire, un pilier détaché de la falaise proche des chutes de Yosemite. Identifiée comme la première highline au monde, cette ligne emblématique de 17 m fut installée et traversée par Scott Balcom (USA).
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Résultats des traversées de la ligne : • 4 personnes l’ont traversée sans tomber • 1 aller-retour a été réalisé en 1 h 02 • 1 personne l’a traversée de nuit en aveugle (avec un bandeau) avec seulement une chute • 2 personnes l’ont traversée en s’asseyant et se relevant tous les 50 m pour enlever les mousquetons servant à l’installation • une vingtaine de personnes l’ont traversée avec chutes • sans compter les traversées dans la brume, les traversées de nuit ou encore les deux combinées !
Ce n’est que quelques années plus tard que la highline est apparue en Europe. Heinz Zack, un grimpeur et photographe autrichien célèbre, pratiquait la slackline entre ses sessions de grimpe au Yosemite et c’est dans le massif des Karwendel (Autriche) en 2001 qu’il aurait installé pour la première fois des highlines en Europe. La même année, Sean Villanueva traversait une highline de 12 m sur le Louis-Philippe à Freÿr. En 2003, il aurait installé pour la première fois la ligne de 28 m, connue pour avoir été placée à la balle de tennis, entre le Louis-Philippe et la Jeunesse. La même année, Zack était le premier européen à traverser sans tomber la mythique Lost Arrow Spire et, la même semaine, Dean Potter (USA) la traversait en free solo. Cinq années plus tard, nos compatriotes Benoît Poisson et Florian Castagne réussissaient, coachés par Sean, la traversée de la 12 m à Freÿr. Rejoints par d’autres adeptes, ils fondent BeSlack quelques années plus tard.
Dimanche matin, seulement une nuit que la ligne est installée et c'est déjà une traversée réussie sans chute pour Jef ! – 17 octobre 2021
Be Slack Fondé en 2013, Be Slack a rejoint la fédération en 2016. Sa communauté a été très active autour des années 2015 avec des projets et événements tels que l’Atomium, le ZOT Day, … mais aussi beaucoup d’initiations et de démonstrations. Si, avec les années, le mouvement s’est un peu essoufflé, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt et la communauté de highline n’a jamais été aussi soudée et motivée. Ces derniers mois, des projets d’envergure ont vu le jour comme le premier festival de highline belge1 (soutenu par le Club Alpin Belge), de nouveaux sites ont été aménagés et évidemment, ce triple record de Belgique (370, 440 et maintenant 770 m). 1 - Visionner l'after movie : https://miniurl.be/r-3wls
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Jef Cox © 2021
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L’événement a été largement médiatisé Plus d’infos : beslack.be lyapunov.be
Visionnez les reportages TV :
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Théodora Staes © 2021
Stijn Vandenbussche © 2021
Ma Télé – émission « Challenge » avec Marie Pierret : https ://miniurl.be/r-3wc7
Marie Pierret © 2021
RTL – JT de 19 h : https ://miniurl.be/r-3wc8
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Natalia Vicente © 2021
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1. Ça monte ! Courage Stijn, bientôt au bout ! – 17 octobre 2021 2. Ça casse la croûte et ça s'enjaille sur le Mérinos !
5. Kobe posé pendant l'install, petite clope pour se réchauffer... – 16 octobre 2021 6. Senne profite de la superbe vue automnale. – 23 octobre 2021 7. C'est donc un « shoulder send » pour Oscar à la fin de sa traversée sans tomber ! – 18 octobre 2021 page 20
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Jef Cox © 2021
4. Allez, plus que 400m à tirer ! Johan au winch et Marina à l'eau pour reffroidir les frottements – 16 octobre 2021
Tom Boegler © 2021
3. Allez on se coordonne ! Avec Marina sur la 770 pendant que ça bounce pour Kobe et Laurent. – 20 octobre 2021
D O S S I E R Ç A S E P A S S E À F R E Y R !
Rocathlon JONATHAN VARD
18 septembre, 4 h 30. Le réveil rompt le silence pesant de la forêt de Freyr. Ça fait déjà plus d’une heure que l’on se retourne sans arrêt, que nous ne dormons plus. Dans l’air froid et humide, ça sonne comme lors d’un départ en montagne. On les connaît, ces réveils nocturnes permettant de rallonger les jours, de profiter des bonnes conditions de neige et de glace, d’éviter l’orage.
Nous nous réveillons pour entamer la troisième partie du Rocathlon, pour courir les 101 kilomètres qui nous séparent de l’arrivée, qui permettront de relier Freyr à Bruxelles. Mais d’où vient cette idée d’un triathlon tourné autour de Freyr ? Remarquez, tout tourne toujours autour de Freyr, épicentre de l’univers. Le Rocathlon est un défi fou né de discussions sur les plus belles falaises de Belgique, alors que le confinement nous pèse à tous. Milou et moi imaginions courir jusque Freyr, grimper et rentrer
de la même manière. On se le projette plusieurs fois, on le partage. Puis, un jour, nous décidons de fixer une date, d’organiser ce défi et d’embarquer nos proches. Il en sort un challenge sur deux jours, départ à vélo de Bruxelles et escalade de la Transfreyrienne (450 m TD+) le premier jour, retour en courant le lendemain. Nous l’imaginons comme une course de haute montagne, à domicile. Le bonheur d’un défi à côté de chez soi est de pouvoir y embarquer nos amis, nos parents, nos proches qui ont pu vivre ces deux jours avec nous. Milou et moi, nous avons l’habitude des ascensions scabreuses, des journées éreintantes. Nous formons une cordée joyeuse, quoi qu’il arrive. Mais cette fois, nous allions avoir besoin d’aide. D’une part, logistique. Transporter nos vélos, notre matériel d’escalade et nous ravitailler. D’autre part, il nous faudra un support mental. On a beau se sentir fort, nous savions que les nombreux kilomètres de course à pied allaient peser sur notre cordée. C’est pourquoi, la réalisation de cette aventure-là n’aurait même pas été envisagée sans l’aide de celles et ceux qui nous ont soutenus, ravitaillé, accompagné, filmé, ont embarqué nos affaires, transmis les infos, ont applaudis, crié, chanté, conduit ou, simplement, pensé à nous. Le Rocathlon, c’est avant tout deux amis qui se sont lancés, les 17 et 18 septembre
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Milou et moi imaginions courir jusque Freyr, grimper et rentrer de la même manière. 2021, dans 36 heures d’efforts. 102 km de vélo, de Bruxelles à Freyr ; 450 m d’escalade dans la Transfreyrienne ; 101 km de course à pied de Freyr à New Rock (Bruxelles). Retour sur le départ, vendredi 17 à 8 h, kiosque du Bois de la Cambre (Bruxelles). Louise m’y dépose et récupère Félix, notre reporter, et Hélène. Sur place, Xavier, qui aura minutieusement créé les parcours vélo et course à pied, Martin, Max et Romain sont sur leur vélo, prêt pour nous
accompagner pour la première étape. Le décompte commence : nous nous donnons 36 heures pour boucler cet aller-retour Bruxelles-Freyr, nuit comprise. Félix nous filme sur le départ, Xavier passe devant, il est notre guide cycliste. Et tout de suite, l’aventure prend l’allure d’un moment de partage. Les kilomètres défilent, jusqu’au moment où Romain ne nous suit plus. Il n’a pas l’habitude de rouler, mais tenait à être présent. Tenance, il fera la suite seul avec son GPS. Devant, Xavier, Martin et Max s’alternent pour nous tirer, nous roulons dans leur roue en peloton. Kilomètre 80, j’essuie une première crevaison. Et, n’étant pas cycliste, ayant emprunté un vélo deux jours avant le départ, je n’ai rien d’autre qu’une pompe. Heureusement, Milou sort une chambre à air neuve et très vite nous redémarrons. Jusqu’à ce que l’autre pneu crève à son tour au kilomètre 90. Ce n’est pas possible, l’étape « simple » du Rocathlon met déjà nos nerfs à rude épreuve. Notre dernière chambre à air est déjà trouée. Nous tentons une rustine, qui prend et tiendra les 10 derniers kilomètres. Finalement nous arriverons au sommet de Freyr à 12 h 45. Soit 45 minutes plus tard que prévu. Il est temps de manger et de troquer nos habits de cyclistes contre nos plus beaux leggings. Nous feuilletons frénétiquement le topo de Freyr, tout en avalant quelques morceaux de pain, jusqu’à dire « Il faut y aller ». À 14 h, nous descendons vers le haut de l’Al Lègne, avec une heure de retard sur notre planning idéal. Et déjà, nous démarrons dans la mauvaise longueur. Un classique qui ne nous amuse guère pour une fois. Nous perdons un temps considérable dans une longueur censée être des plus simple. Ça ne fait rien, on y va et on attaque les traversées. C’est
superbe. Pour un instant, nous sommes seuls, à deux pas du sommet, tout là-haut à tirer des longueurs vers la gauche. Nous rejoignons vite ce surprenant passage en artif’. En tête, j’y trouve vite un déroulement logique et répétitif. La longueur est composée d’une série de têtes de boulons qui dépassent d’un rocher lisse espacées d’un mètre. J’y cravate un cablé, passe ma corde dans une dégaine et m’y vache avec une autre. À l’aide d’une sangle de 120, je me fais un étrier qui me permet de passer de l’un à l’autre avec aisance, sans me fatiguer. Au bout de la longueur, un dernier gros nuts rentre parfaitement dans le trou à côté du relais, j’opère de la même manière. Puis Milou me mouline pour la première descente avant de s’engager lui-même dans cette belle longueur ludique, avec la même aisance. Les longueurs qui viennent s’enchaînent facilement dans un itinéraire pas toujours simple à décrypter. Nous croisons toutes les longueurs mythiques de cette magnifique paroi qu’est la face sud de l’Al Lègne, jusqu’à arriver en terrain inconnu. Une longueur entière en désescalade, surprenante, mais évidente. Et une superbe traversée, plein gaz, menant au « Jurassic ». Ah, nous voilà enfin au frais, à l’ombre et dans les arbres. C’est à cette longueur que Milou me rejoint, un peu à bout. Il nous en reste trois, et cela fait plus de quatre heures que nous sommes dans cette voie ; déshydratés, fatigués et, au loin, nous entendons déjà le bruit des amis qui débarquent. Nous avons hâte de les rejoindre, de partager un moment. Mais d’abord, nous devons en finir avec ce bout de caillou. Milou part en tête, traverse la vire du « Jurassic » et s’envole dans « Le Pape », de retour au soleil. Lorsque je le rejoins, nous entendons des encouragements. Ils sont là, depuis le haut de l’Al Lègne, ils nous scrutent, nous encouragent. Je distingue même un enfant. David, Laura et Fauve nous regardent progresser dans leur terrain de jeu. Alors que le jour offre ses dernières lueurs, Félix nous filme au drone bourdonnant. Nous sortons après 5 heures et demie d’escalade et 4 heures trois quarts de vélo. Éblouis et émus par la beauté de l’instant, nous nous félicitons de cette première journée. Nous courrons rejoindre nos amis. Tout le monde est là, devant le local du Club Alpin. Le barbecue est déjà chaud, on nous accueille, nous questionne, nous félicite. Beaucoup n’en reviennent pas de la journée qui nous attend encore. Mais d’abord, avant d’envisager la suite, nous partageons ce moment. Après une bière et beaucoup de pâtes, nous faisons le point avec Louise et Nathalie pour les
ravitaillements du lendemain. S’assurer que tout est en ordre, que nous aurons bien de quoi boire et manger régulièrement. Mais rien ne nous laisse imaginer le soutien auquel nous aurons droit. Rien ne laisse présager l’engouement à venir. Peut-être les quelques regards éblouis lorsque nous disons bonne nuit, peut-être les quelques messages d’encouragements qui tomberont le soir et la nuit. Quelques heures plus tard, alors que nous sortons de nos sacs de couchage, quelque part dans la forêt de Freyr, notre franc tombe. Nous sommes samedi 18 septembre, sur le départ de 101 kilomètres de course à pied. La fatigue de la veille est encore bien présente. Nous préparons nos sacs, avalons quelques pâtes, encore, puis démarrons ce dernier morceau de l’aventure Rocathlon. À la lueur des frontales, nous descendons sur la Meuse et la longeons jusqu’à Dinant. Très vite, nous nous rendons compte que la poche à eau de Milou est trouée. Heureusement, il ne s’agit que d’un petit trop tout en haut. L’eau en sort doucement, mouillant tout son dos en continu. Ça ne fait rien, nous avons déjà chaud. Les kilomètres déroulent, le soleil se lève, nous attaquons nos provisions, rangeons nos frontales et nos pulls, jusqu’au 32e kilomètre où Nathalie et Félix nous attendent pour le premier ravitaillement. Nous ne les voyons pas, nous sommes sur un Ravel et leur route croise la nôtre juste au-dessus de nous, ils sont sur le pont, à quelques mètres. Ils nous lancent de quoi boire et manger, nous envoient un peu d’énergie. Nous les verrons physiquement dans 12 kilomètres. Déjà, nos corps commencent
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à marquer la fatigue, les douleurs se pointent brutalement dans nos jambes, le ventre de Milou s’exprime de façon désagréable lorsqu’il avale une gaufre. Nous continuons, ravitaillement au kilomètre 44, puis au 58e. Enfin une vraie pose, cette fois ce sont mes parents et mes beaux-parents qui sont présents, ainsi que Félix, Élise et Louise. On est accueilli comme des héros, mais nous avons à peine passé la moitié. Nous mangeons des nouilles chinoises et buvons jusqu’à plus soif. Puis, après 30 minutes d’arrêt, nous relançons les jambes, non sans mal. Mais quelle équipe ! Jules, Tania et Élise embarquent avec nous pour les prochains 11 kilomètres, à vélo et en courant. Les kilomètres les plus rapides du parcours, et les plus faciles à enjamber grâce à leur énergie. Nous avançons à du 5 minutes et demie du kilomètre, alors que nous étions coincés sur du 6 minutes juste avant. Finalement, cette belle équipe nous quitte pour préparer notre arrivée à Bruxelles. À nos corps, déjà endormis par l’endorphine, se joint notre mental qui chute au moment d’engager le kilomètre 70 et de quitter les alentours de Villersla-Ville, où Nico ainsi que le frère de Milou et ses neveux étaient venus nous supporter. C’est avec un immense bonheur que nous échangeons quelques mots avant le désarroi. Louise et Louis tentent de nous suivre à vélo dans des petits chemins trop escarpés, et nous nous retrouvons de nouveau à deux sur un terrain des plus fatigant, entre Villers et Lasne. Nous marchons dans les montées et nous laissons doucement aller dans les descentes, nous n’échangeons plus un mot. Si ce n’est « on marche », « aller », ou quelques râles venus des
profondeurs de nos corps usés. Finalement, Louis réapparaîtra de nulle part avec son vélo et nous tiendra la conversation jusqu’au ravitaillement du kilomètre 80. Nous nous effondrons. « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? ». Nous répondons en chœur : « un lift pour Bruxelles ». Si nous étions rentrés dans le dur au kilomètre 30, cette fois nous sommes dans une nouvelle dimension inconnue. Pas de douleur, mais un état de paralysie, le corps entier qui crie « stop » et la tête qui essaye de pousser. Mais rien, rien qui ne justifie l’arrêt, pas de douleur prononcée, plus faim, plus
« Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? ». Nous répondons en chœur : « un lift pour Bruxelles ». soif et la tête qui force à courir, à boire et manger. Louis propose de continuer à nous accompagner à vélo jusqu’au prochain et dernier ravitaillement. Un soulagement pour nous, mais encore un bel effort à affronter. Désormais, ce n’est plus notre force physique ou psychique qui nous porte, mais celle des autres. Les nombreux messages que nous recevons en continu sur nos GSM, les
encouragements à chaque ravitaillement, l’accompagnement, le barbecue de la veille, toutes ces personnes qui croient en nous, nous aident. Un accord tacite plane entre Milou et moi, nous le savons. S’il n’avait été question que de nous deux, nous aurions abordé la question différemment. Mais là, à aucun moment, nous n’avons suggéré l’abandon. Les douleurs, la fatigue, les nausées et autres états auront tous été discutés. Mais quoi qu’il en coûte, tant que la blessure ne pointe pas le bout de son doigt, nous nous laissons porter. 90e kilomètre, dernier ravitaillement à l’orée de la forêt de Soignes, Louis continue avec nous. Nous n’avançons plus qu’à du 7 ou 7 minutes et demie du kilomètre, faisant de chaque kilomètre une éternité. Nous croiserons Nathalie et Élise qui feront un bout de chemin avec nous, avant de foncer sur Bruxelles pour être là à l’arrivée. À l’évocation de la fin, Milou annonce une douleur importante sur le haut du pied, et moi sur le côté externe, mais pour ce qu’il reste… Nous sortons enfin la tête de la forêt, traversons Auderghem pour apercevoir un comité d’accueil à Herman-Debroux, il nous reste un kilomètre, elles ont écrit des mots sur le sol. C’est l’euphorie, personne n’en revient, la masse s’accumule autour de nous jusqu’à rejoindre le petit parc devant New Rock où encore plus de monde nous attend. Je ne peux retenir quelques larmes, on s’enlace, on reçoit quelques fleurs, on remercie cette équipe formidable.
ne pas ignorer la douleur, la fatigue, ne pas craindre la réaction de son partenaire, sans pour autant surjouer. Pour tenir à deux, sur tout ce parcours, il aura fallu faire preuve de transparence, de détermination et de respect. Nous avons su respecter le rythme de l’un et de l’autre, les besoins, exprimer nos envies, les négocier. Faire une pause, ralentir, accélérer, tout peut être sujet de discorde lorsque l’entièreté de votre corps est meurtrie et que votre esprit n’aspire qu’au repos, à l’arrêt, à ne plus penser à rien. Durant ce Rocathlon, nous avons eu l’impression de vivre une course de montagne, une course où nous aurions embarqué, dans nos sacs, toute l’énergie et l’enthousiasme de celles et ceux qui ont été présent·e·s dans cette folle aventure. JONATHAN VARD
Jamais nous n’avions poussé nos corps et notre mental aussi loin. Faire cordée, ce n’est pas seulement planifier, profiter et s’accorder. C’est aussi avoir l’attitude la plus respectueuse envers l’autre et envers soi. Il faut se connaître pour montrer ce qu’il faut à l’autre,
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DOSSIER ÇA SE P A S S E À F R E Y R !
À Freyr, La grande variété des styles d’escalade est liée à la constitution géologique de ses différents massifs rocheux ALAIN HERBOSCH
À Marc Abramowicz et à l’escalade qui m’ont aidé à faire face aux moments difficiles de ma vie Nul besoin de connaître en détail la géologie de Freyr pour comprendre cet article essentiellement descriptif, par contre une bonne connaissance des différents massifs rocheux et des voies qui y ont été tracées est préférable. J’y ai grimpé presque sans interruption depuis bientôt 60 ans et j’ai pu suivre l’évolution du tracé des voies, de leur équipement de protection, ainsi que les importants changements de l’éthique de l’escalade libre.
Les roches calcaires formant ces rochers se sont déposées dans une mer tropicale peu profonde au début du Carbonifère (350-335 millions d’années) et ont ensuite été plissées en synclinaux et anticlinaux, et faillées à la fin de cette même période entre 310 et 305 Ma. Ceux qui seraient intéressés par plus de détails géologiques peuvent
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lire l’article récemment paru dans Ardennes & Alpes par ma collègue géologue A. Roobaert, « Géologie des rochers de Freyr », ainsi que le guide plus détaillé « Sentiers de Freyr : contexte géologique » par F. Schmit et co-auteurs (voir références). Je décrirai successivement les principaux massifs rocheux qui suivent le versant est de la Meuse en allant du sud vers le nord (figure 1) en illustrant mon propos par des photos démonstratives. Pour chaque massif, un premier paragraphe décrira la situation géologique de manière simple et un second donnera un aperçu du style d’escalade avec des exemples de voies caractéristiques. En effet, sur 50 ans, j’ai parcouru en tête une bonne partie des voies de cotation inférieure à 6b.
1. Les massifs dolomitiques de La Jeunesse et de Louis-Philippe Ces deux massifs appartiennent aux « récifs waulsortiens » et, de ce fait, sont massifs, c’està-dire sans stratification. Contrairement aux autres rochers de Freyr qui sont formés de calcaire, ils sont constitués de dolomie. Les roches dolomitiques sont plus résistantes à l’érosion et sont donc souvent en relief dans le paysage. Effectivement, le rocher de La Jeunesse est bien individualisé, il forme une crête avec une arête en dent de scie et un versant sud vertical (figure 2). Le processus de dolomitisation des calcaires, qui s’est opéré longtemps après le dépôt, se fait avec une diminution du volume de 10 à 15 %. En conséquence, la roche comporte de nombreux trous millimétriques à centimétriques (figure 3). Sa couleur plus brun clair est aussi caractéristique. Les voies sont soit aériennes sur l’arête très dentelée et de type escalade facile en montagne (« Ancienne Jeunesse »), soit fort verticales, voire surplombantes, sur un rocher à trous bien adhérent (« Génie des alpages », « Éperon Walker »). On notera des traversées aériennes (« Traversée Serge », « Fra diabolo ») (figure 2). La situation est assez semblable dans le rocher de Louis-Philippe qui est encore plus surplombant (« Corde
J.
Ardennes & Alpes — n°210
magique », « Liedekerke », « Cap’taine cœur de miel »). Ce sont des escalades souvent engagées, fort verticales, à la fois délicates et athlétiques.
La majorité des voies de la face sud est en « gratonnage » dans des dalles plus ou moins lisses, comme les voies de la Dalle des 3 Saurets (figure 4) où se trouvent quelques-unes des voies les plus délicates de Freyr. Des surplombs permettent le passage d’une dalle à une autre, en fait d’un banc à un autre (toit de « La Lecomte » ou de « L’Enfant »), ou de les éviter par des dièdres (sortie de « La Lecomte » et de « La Directissima ») (figure 4). Dans la face ouest, le rocher est de moins bonne qualité, et la verticalité donne de longues et belles voies aériennes comme « Le Spigolo » ou « L’Arête Jongen » suivie de « La Sérénade ».
2. Le massif stratifié de l’Al Lègne Ce massif, certainement le plus vaste et au dénivelé le plus important de Freyr (proche de 100 m et 150 voies), est formé de calcaire bleuté stratifié verticalement. De ce fait, on grimpe dans toute sa face sud sur des dalles étagées qui sont les surfaces des bancs redressés à la verticale (figure 4). Dans sa face ouest, plus étroite, on distingue bien les bancs d’allure verticale, vu que la face est perpendiculaire aux strates d’épaisseur métrique.
3. Les massifs « récifaux » du Pape et de la Tête du Lion
Dièdre de la Lecomte
Fig.2 – A.H. © 2021
Toit de la Lecomte
Toit de Pull Marine
Dalle 3 Saurets
Dièdre de la Directissima
Toit de l'Enfant
Dièdre et dalle de l'Échec du Siècle
Dalle du Pilastre
Fig.3 – A.H. © 2021
Fig.4 – A.H. © 2021
Fig.5 – A.H. © 2021
Ces deux massifs sont constitués par une partie d’un « récif waulsortien », c’est-à-dire une importante masse calcaire construite par des organismes récifaux (bryozoaires, éponges, algues…) et surtout par de la boue calcaire d’origine microbienne. Ils formaient sur le fond de la mer des monticules en relief d’une centaine de mètres de haut et d’une largeur kilométrique. Le
rocher de la vaste face sud du Pape est de ce fait très massif, sans stratification et souvent parcouru par de fines fissures et vides occupés par de la calcite blanche ou rosée (figure 5). En effet, l’énorme masse de ces « récifs » n’a pas pu être plissée comme les autres formations stratifiées voisines et a été localement broyée avec formation concomitante de vides et fissures. La Tête du Lion forme un relief avec trois faces et une arête, elle est également compacte, sans stratification, mais le calcaire est plus homogène.
L’évolution des moyens de pitonnage a permis l’explosion du nombre de voies sur un rocher très raide et merveilleusement sculpté En conséquence, les voies du Pape sont très verticales, le rocher est souvent de mauvaise qualité, sans bonnes fissures pour placer des protections, ce qui fait que les voies n’ont été ouvertes que très progressivement à partir des années 50, le plus souvent en escalade artificielle (« Pilier et surplomb Davaille », « Les Tourtereaux », « La Herman Bull »). Seule exception, « Le Pape », ouvert en 1934 en escalade libre (figure 6). L’évolution des moyens de pitonnage a permis l’explosion du nombre de voies sur un rocher très raide et merveilleusement sculpté…, mais à écailles branlantes. La face sud de la Tête du Lion comporte des voies en dalles et surplombs fines et athlétiques (« La R2 », « La Sirène »), qui sont malheureusement devenues terriblement lisses.
4. Le massif stratifié verticalement des Cinq-Ânes Ce massif est formé de calcaire gris-blanc en bancs décimétriques à métriques bien visibles et redressés presque à la verticale (figures 7, 8, 9). Il présente quatre faces :
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1. une face Meuse (secteur Can-Can), qui aligne une série de fissures et dièdres rectilignes et parallèles ; 2. une face sud (secteur Sylvia) avec des bancs et dièdres verticaux (figure 7), suivis à droite d’une large dalle à grattons où s’observe une structure d’érosion en « V » (figure 8) ; 3. une face Meuse (secteur Taches Rouges) formée d’une série de dièdres constituée par des bancs successifs verticaux (figures 7 et 9) ; 4. une large face sud essentiellement en dalles, vu qu’elle est parallèle à la stratification. Les voies sont toutes très verticales et de toute beauté, c’est le royaume de la grimpe technique et les cotations descendent rarement en dessous du 6. Escalade de splendides dièdres (« La Sylvia » suivie de « La Thérèse », « La Galère » (figure 7), parfois en Dülfer (départ du « Culot qui manque »), en fissures athlétiques (« La Sanglante ») et en dalles sur des grattons et mono-doigts (« La Can-Can », « Le Tour de Cochon » (figure 8), enfin des surplombs (« La Pino Prati », « Le Scarabée » (figures 8 et 9).
5. Le massif stratifié verticalement du Mérinos Ce massif où la stratification ne se voit que côté Meuse comporte plusieurs faces : 1. une face nord surplombante qui abrite les voies les plus dures de Freyr ; 2. une face Meuse peu redressée où se trouvent beaucoup de voies anciennes ; 3. une large face sud parcourue par de nombreuses voies (plus de 50), surtout en dalles (figure 10). Les voies sont tantôt raides, tantôt entrecoupées de rampes herbeuses (figure 10) avec de belles traversées (« Les Crêpes », « Les Hermétiques ») et des dalles à grattons (« Super Vol-au-Vent », « La Gamma »). Malheureusement, la forte fréquentation a rendu beaucoup de voies très patinées.
6. Le synclinal de Freyr Situé tout au nord du domaine de Freyr dans une ancienne carrière, ce synclinal est constitué de calcaire en bancs métriques qui dessinent des courbes régulières (figure 11). On y grimpe surtout sur le sommet des bancs qui constituait au moment du dépôt le fond de la mer. Les voies sont essentiellement en dalles et de niveau abordable.
Pino-Prati
Fig.9 – A.H. © 2021
Fig.10 – A.H. © 2021
Fig.7 – A.H. © 2021 Secteur «Can-Can»
Secteur « Sylvia » Le Tour de cochon
Fig.8 – A.H. © 2021
Secteur « Tâches Rouges » Le Pape
La Herman Bull
Fig.6 – A.H. © 2021
Fig.11 – A.H. © 2021
7. Conclusions Il n’est pas étonnant que le site d’escalade de Freyr soit mondialement connu. En effet, comme je viens de le montrer, il y a peu d’endroits qui rassemblent sur un aussi petit domaine une telle variété de styles d’escalade liée à la constitution géologique de ses différents massifs : calcaire et dolomie, calcaires massifs récifaux et calcaires stratifiés, stratification le plus souvent verticale, mais aussi variable. On y trouve environ 600 voies qui couvrent toute la gamme des cotations jusqu’au 8c. Un problème déjà actuel et pour le futur est l’usure des prises par le passage répété des grimpeurs qui rend l’escalade à Freyr de plus en plus difficile. J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire cet article qui fait la synthèse entre deux des passions de ma vie : la géologie et l’escalade. ALAIN HERBOSCH
Références •
Bott, M. et Masschelein, P., Topo de Freyr, Bruxelles, Évasions Verticales asbl, 2002.
•
Roobaert, A., « Géologie des rochers de Freyr », Ardennes & Alpes, n° 208, 2021, pp. 24-25.
•
Schmit, F., Rekk, S. et Hallet, V., Sentier de Freyr : contexte géologique. Itinéraires géologiques et pédologiques en Province de Namur, Fondation Gouverneur R. Close et Institut géographique national, 2016.
Fig. 1 : Vue Google Earth de Freyr du 21-052020 à 500 m. J.=Jeunesse, L.P.=Louis-Philippe, Al.= Al lègne,P=Pape, Tl=Tête de Lion, 5 A=5 Ânes, M=Mérinos,S=Synclinal Fig. 2 : Partie E de la face S de la Jeunesse, verticale et parallèle à la stratification Fig. 3 : Jeunesse, structure rugueuse à petits trous mm. La mire fait 5 cm Fig. 4 : La face S de la Lègne est parallèle à la stratification, chacune des dalles représente un nouveau plan Fig. 5 : Pape : la roche broyée montre des filonnets de calcite blanche et de calcite ferrifère rose Fig. 6 : Pape, W de la face S massive et verticale en dalles et surplombs Fig. 7 : Vue d'ensemble des 5 Ânes avec les 3 secteurs décrits Fig. 8 : 5 Ânes : la dalle du Tour de Cochon avec son V caractéristique Fig. 9 : Secteur taches Rouges en bancs épais verticaux ondulants Fig. 10 : Face S du Mérinos en dalles parallèles à la stratification Fig. 11 : Flanc W du Synclinal de Freyr: les bancs se redressent progressivement vers le haut
In memoriam Triste nouvelle… Florent, le président d’honneur du CAB Liège, nous a quittés. FREDDY GONDA C’était un passionné de montagne depuis de longues années. Cette passion fut interrompue à la suite d’une erreur médicale. Florent était une personne formidable, impliqué pendant de nombreuses années à la Fédération du Club Alpin Belge. Toujours présent à nos côtés, il a connu la souffrance, la perte d’un être cher, mais a su surmonter la détresse. page 30
Florent était sensible, mais toujours positif, avec un moral d’acier. Parfois, la vie nous permet de croiser le chemin de personnalités hors du commun, et Florent en était une. J’aimais l’écouter me raconter ces années de montagne, de randonnée, d’escalade et de ski avec ses amis, des amis qu’il aimait et qui se retrouvaient le mercredi au Club à boire un bon verre de vin. Florent, tu as été exceptionnel, et ceux qui t’ont apprécié et aimé ne t’oublieront jamais. Florent n’est pas mort, il a juste franchi le col et est derrière la montagne. Repose en paix, cher ami.
Fayeulle
Noyau Alpi du Club Alpin Belge News 2021 MARC NOOTENS Le groupe fondé en septembre 2019 autour de neuf personnes en compte désormais une trentaine. Les conditions que nous avons et devons encore subir depuis la pandémie ne nous a pas permis, malgré toutes nos espérances, d’effectuer de grandes réunions en montagne. Quelques projets en « comité réduit » ont été réalisés. Le mont Rose, l’aiguille de Bionnassay sont les dernières courses, malgré des conditions météo peu optimales lors de cette saison estivale. Confiants dans l’évolution des événements, nous avons dès lors programmé deux rassemblements hivernaux en janvier et février ; les thèmes sont la gestion du froid pour le premier, et activités hivernales, cascades de glaces, ascensions hivernales pour le second. Pour la saison estivale 2022, plusieurs rassemblements sont à l’étude, mais pas seulement. Nous avons été sollicités par une organisation internationale pour y avoir une représentation dans leur expédition.
Thibault
© 2021
En quoi consiste le projet ? Objectif 1 Contribuer au développement d’une région et à la préservation de sa culture. Inspirés par le film « The porter », nous irons à la rencontre des habitants de la vallée d’Ullukhurzuk, présents dans cette vallée isolée depuis des milliers d’années. En dehors de leurs activités agricoles, leurs opportunités économiques sont réduites. Et la jeunesse aspirant à d’autres choses, leurs traditions ancestrales risquent de s’éteindre. Après un premier voyage en 2018, Matthew est de nouveau sur place actuellement afin de dessiner les premières lignes du projet avec les acteurs locaux. Leur donner de nouvelles perspectives passerait notamment par le développement de l’alpinisme.
Objectif 2 L’ascension de l’Elbrouz via la face nord-ouest, face encore très peu fréquentée, fera se réaliser plusieurs premières nationales. Ces premières, ainsi que le CV vertigineux de certains participants, permettront un sacré coup de projecteur sur l’enjeu social du projet, notamment via la réalisation d’un film documentaire.
Objectif 3 Récolter des fonds pour initier le développement des activités portées par la population locale. Damien Verriest sera notre alpiniste dans cette aventure. Je vous invite à jeter un coup d’œil sur le site Internet de l’expédition : www.elbrus4alpinists.org D’autres projets d’organisation personnels, Groenland entre autres, sont en préparation.
QUESTION : à quand le retour des expéditions du CAB ? Ascension du Mont Rose, l’aiguille de Bionnassay
MARC NOOTENS
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Quentin
Ceuppen
s © 202 1
« Trek sportif » dans les… QUENTIN CEUPPENS « Trek sportif au sud des îles Lofoten » : c’est le titre de l’article que l’on trouve en quelques clics sur le site https ://rando-lofoten.net. On comprend très vite que c’est un Français qui a écrit le récit de son aventure. Première réaction : « O.K., il fait sûrement le malin, quand il dit que c’est abrupt, ou qu’il faut avoir un bon sens de l’orientation, ou que certaines étapes prennent 8 à 9 heures » : on peut relativiser. Bah oui ! Dans les Alpes, quand un panneau nous indique « refuge à 3 heures », on y est généralement en une heure et demie. Et puis, en France, on grimpe facile à vue du 6b, alors qu’en Belgique le 5c en page 32
moulinette nous fait pousser des cris de cerf en rut… Spoiler alert : on aurait dû écouter le monsieur.
Les signes du destin Le destin nous envoyait-il des signes lorsque Bertrande est passée par la fenêtre du Airbnb à Amsterdam, pensant qu’elle s’ouvrait vers l’intérieur, et prenant donc son élan pour la tirer vers elle ? (Elle finit sa course sur le balcon). Était-ce aussi un signe de l’oracle quand, à 6 h du matin, la voiture fait « tttrrrrrt » quand on essaye de la démarrer pour aller à l’aéroport ? Quand comprendrions-nous que ce voyage nous était hostile dès le départ ? Quand Bertrande ne retrouvait pas sa carte d’identité ni son passeport alors que nous embarquions ?
Ardennes & Alpes — n°210
Que nenni ! Nous volons sans papiers d’identité jusqu’à Bergen. Le gentil douanier, après nous avoir informé que « You have a problem », décide finalement qu’on fait bien trop pitié et nous laisse passer… Deuxième vol jusqu’à Bodo, et là, nous arrivons juste à temps pour embarquer dans le ferry (gratuit) pour Mosekenes : le sud des Lofoten. Le monsieur à l’entrée me demande « Name ? » je lui réponds « Quentin »… « same as Quentin Tarantino ». Le monsieur écrit sur son registre de bord « Quentin Tarantino ». Me voilà ravi de voyager avec un grand producteur de cinéma à bord. Au loin, après 3 heures de navigation venteuse et houleuse, on commence à apercevoir ce que Tolkien aurait immédiatement nommé « le mordorrr » : entre d’épaisses vagues noires et une chape plombée de nuages se dresse une gigantesque mâchoire acérée. Des pics qui semblent prêts à nous avaler. La pluie, partout, tout le temps. Débarquement vers 20 h. Nous devons encore marcher le long de la route jusqu’à Sorvagen, où nous planterons la tente au début du trek, sur un terrain magnifique, plat, et accueillant : le descriptif renseigne « bivouac possible partout ». Ce que le descriptif ne dit pas, c’est que, quand il pleut, c’est plutôt « de la tourbe, trempée, partout ».
Quentin Ceuppens © 2021
On avance, toujours un peu plus loin, pensant qu’à un moment on tombera sur le seul endroit de l’île à proposer autre chose qu’un caillou ou un tapis spongieux gorgé d’eau dans lequel on s’enfonce de quinze cm…, mais on doit bien s’y résoudre : ce soir, comme tous les soirs à venir, il va bien falloir se coucher dans une flaque.
Là où, de « sportif » on est soudainement passés à « hostile », c’est lorsqu’il a fallu redescendre. À notre grande surprise, la nuit fut bonne. Et ce, malgré la pluie qui tombe depuis notre arrivée : une pluie tantôt battante en rafales de grosses gouttes qui font « splatch » dans le cou ou le bas du dos quand on s’abaisse, tantôt fine, qui a la capacité d’outrepasser n’importe quelle protection, fût-elle waterproof. Dès notre première montée, on se demande si c’est bien ça… le chemin. En fait, pour tout dire, il n’y a pas de chemin. D’après la trace GPX, on est censé marcher sur une sorte de toboggan de pierre lisse et archi glissant. On le fait avec une extrême précaution, car on est heu… curieux ! Après quelques passages franchement hardcore, on tombe sur une chaîne : « c’est bien la preuve que des humains sont passés par ici ». On continue donc, en ayant déjà beaucoup de respect pour les montagnards norvégiens qui, selon l’expression consacrée, mais néanmoins soumise à controverse, car on critique : « ne sont vraiment pas des p’tits zizis ». Arrivés au-dessus, on longe une crête à travers un décor époustouflant : même « avec un ciel si gris qu’un canal s’est pendu », l’île révèle son imposante et majestueuse beauté.
Mais, comme le veut l’autre expression consacrée, « leur bonheur est de courte durée ». Car, brusquement, le chemin disparaît devant une falaise qui plonge à pic dans le lac en contrebas. Pourtant, on sait qu’il faut passer plus ou moins par là. Alors que faire ? ! Deux choix possibles : soit redescendre, ce qui signifie abandonner ce trek et en faire un autre, balisé cette fois, soit grimper vers le sommet, en essayant de se faufiler dans la première goulotte qui semble conduire vers le col. On opte pour l’option 2. À ce moment, nos godasses sont déjà percées, ce qui vous aidera à comprendre la photo ci-dessous, prise 7 heures plus tard.
En fait, sans les lacs, il nous aurait été impossible de nous orienter. C’est le côté « simple » des Lofoten : il suffit de passer entre les lacs…, après il faut trouver la faille. Pendant des heures, on avance par petites étapes entrecoupées de « t’es sûre que c’est par là ? », et d’allers-retours sans sacs pour repérer si « ça passe ». À ce moment-là, la pluie fait son entrée officielle à travers nos sous-vêtements, et chacun de nos pas s’accompagne d’un gros « sprouitch » : c’est officiel, nous sommes bien en train de faire « un trek sportif ». De violentes rafales de pluie nous le confirment. Là où, de « sportif » on est soudainement passés à « hostile », c’est lorsqu’il a fallu redescendre. La trace GPX du français est formelle, il faut aller « dré dans l’pentu ! ». Or, le pentu, c’est une dalle toute lisse qui semble plonger droit dans le vide. Plus on avance, plus on se rend compte que remonter est impossible, et que s’il n’y a rien là-dessous, on risque de se retrouver calés sur ce caillou pour un sacré bon bout de temps.
On trouve finalement un passage : tellement étroit qu’il faut parfois onduler comme des vers pour hisser notre corps à travers les rochers et mousses détrempées. On trouve une échelle ! « Ah, bah là, c’est sûr, on est sur un super chemin super équipé ! » LOL.
Quentin Ceuppens © 2021
Arrivés au col, on croit à une mauvaise blague : pas de chemin pour redescendre de l’autre côté, bien sûr, mais pire : une vieille corde qui nous
invite (crod-ialement) à descendre les 20 mètres de falaise pleine de mousses. Mais elle date de quand ? Plutôt XIXe ou XXe siècle ? Ouuu ? Hein ? Tout doucement, on s’y agrippe un par un, avec nos 12 kilos de sac qui nous tirent vers le vide. Les mains sont trempées et glacées, mais elles tiennent bon, parce qu’en bas c’est un pierrier, et pas un tapis de mousse (pour une fois).
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On se retrouve même en position « pépette ski » à racler nos pantalons sur la roche, en traînant nos sacs d’une main, l’autre main cherchant quelques maigres prises pour se rassurer, en vain. Il faut mettre les mains à plat sur ce rocher lisse, en espérant ne pas glisser. À ce moment-là, on n’est pas très fiers. On serre les fesses, le silence s’installe. Ce moment va durer au moins 15 heures selon nous, une heure et demie selon la police, mais il restera gravé dans nos souvenirs comme étant « le moment où on a été vraiment foireux : la prochaine fois, on y réfléchira à deux fois ». Finalement, on arrive à destination, après… 9 heures de marche ! On aperçoit le lac de Krokvatnet. Et là « oh joie ! », il y a un genre de plage ! Enfin, un endroit sans tourbe ! Je dégage les cailloux, et installe la tente à 30 cm de l’eau en pensant que « c’est boooon, ça vaaa, c’est pas la mer ». Il est déjà 22 h et il fait encore totalement clair. Normal, car à cette époque de l’année, le soleil ne se couche que très peu, dans une sorte de pénombre entre 2 et 3 h du matin, un truc du genre. Donc, imaginez que vous vous réveillez la « nuit », eh bien il fait clair comme en plein jour. Assez perturbant, d’autant plus que nous sommes réveillés toutes les quinze minutes, car, avec le vent et la pluie, des vagues se sont créées, venant lécher les parois de notre tente, qui, rappelons-le, était plantée à 30 cm de l’eau, seul endroit de l’île, j’imagine, où il n’y avait pas de tourbe détrempée.
Quentin Ceuppens © 2021
On se réveille à cause des rafales de vent, à cause de la pluie battante, à cause des vagues qui léchouillent l’auvent, à cause du froid, de l’humidité… Je rêve même qu’un marsouin me réveille pour me mettre en garde de la montée des eaux, et sursaute dans mon sac de couchage. Pour la millième fois, j’ouvre la tirette de l’auvent
Ne jamais sous-estimer un type qui vous parle d’un « trek sportif dans les Lofoten ». Même si c’est un Français. pour vérifier que l’eau n’atteint pas nos affaires. Une bonne nuit quoi… Voici dans quel état ont été nos pieds, jour et nuit. C’est dur, mais il faut voir la vérité en face : aucun petit pied, si protégé qu’il soit dans de bonnes chaussures bien graissées, ne peut rester au sec plus de cinq heures dans cet endroit. L’eau est partout. Le lendemain, opération « exfiltration ». Nous venons d’enfiler nos vêtements trempés et glacials, on a replié la tente dans le sac, trempée elle aussi, plus question de se dire qu’on va continuer comme ça : on se tire ! D’autant plus que le pro-
gramme du jour, c’était l’ascension du plus haut sommet, dans une purée de pois, avec rafales et rochers glissants. Sur la photo ci-dessus, Bertrande indique qu’il faut descendre jusqu’au lac, longer sa rive, pour trouver un village qu’on devine dans la brume. Normalement, il y a des bateaux qui font des navettes, mais le dernier passe d’ici quelques heures. Sachant qu’il nous reste encore une descente plutôt rock’n roll, et que le long du lac il n’y a pas de chemin, c’est tendu. Entre deux gamelles et autant de gros mots, on descend mètre par mètre sur une pente… heu… pentue, et extrêmement glissante. De nouveau on pense : « Quand même, ces Norvégien(ne)s, c’est vraiment des grand(e)s malades ». Parce que oui, on trouve çà et là des traces de passages d’humains : des cabines techniques, des câbles, de vieilles cordes… Ce qui devrait être un chemin pour les techniciens du barrage s’est transformé en torrent. On n’a pas le choix, il faut à nouveau descendre en « pépette-ski », mais cette fois en plein courant. Je vois Bertrande s’engager là-dedans, entre la paroi légèrement en dévers à gauche et la falaise à pic à droite : son sac amortit les trombes d’eau du torrent. On arrive, après énormément d’efforts, au bord du lac. On trouve un semblant de chemin : cela ressemble plus à la trace laissée par un animal dans les fourrés, mais ça nous convient. On oscille entre des bosquets touffus dans lequel il faut se plier en quatre, et d’énormes blocs tombés de la falaise, qu’il faut escalader puis désescalader. Ça fait un moment maintenant qu’on est en mode automatique : avancer, ne pas se poser de question. Sur la photo, on le voit au loin, le fameux « dernier bateau » (page suivante). Il faut donc accélérer. page 35
Quentin Ceuppens © 2021 Quentin Ceuppens © 2021
Quentin Ceuppens © 2021
On glisse, on tombe dans la boue, on s’enfonce jusqu’aux genoux dans des bourbiers, mais on avance coûte que coûte…, jusqu’à arriver à l’embarcadère de la libération. Là, le capitaine nous dit qu’il faut en fait attendre un autre bateau. On patiente dans une petite cabine en bois avec d’autres touristes, en expliquant d’où on vient. Ils ont des yeux tout ronds. On est content de voir de vrais gens. En réalité on est parti depuis deux jours seulement, mais on a l’impression que ça a duré un mois. Il faut dire qu’avec la nuit qui ne tombe jamais, on a eu tendance à marcher beaucoup, beaucoup… Enfin arrivés à la civilisation, on se prend un méga hôtel, dont on oublie le prix exorbitant tant il nous est nécessaire de prendre une douche chaude et de dormir. À ce moment précis, tous nos muscles se disent : « C’est bon les gars, on a fini le job », et on commence à boiter comme des petits vieux, on ne fait plus « sproutch » à chaque pas, mais « aïeuh ». La chambre « méga classe » se transforme vite en « méga souk », où l’on entend les « plics plics » des affaires qui sèchent. La suite du séjour est plutôt classique : visite de villages, petite rando à la journée, dont la fameuse rando qui mène à la plage de North of the Sun (https ://miniurl.be/r-3vyh) où nous avons pu squatter la cabane des types, une super expérience ! Je vous laisse là avec quelques photos.
En conclusion : même si c’est difficile à croire, on a franchement adoré ce trip. C’était une belle épreuve de couple qu’on est assez fiers d’avoir surmonté sans aucune tension, et surtout, c’est ce genre de trucs qui vous font apprécier les douches chaudes, le petit confort, etc. Autrement dit, c’est indispensable de se faire mal pour être heureux. QUENTIN CEUPPENS
Cet article a été publié pour la première fois en 2021, dans les récits Cap Expé : capexpe.org. Merci pour le partage !
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Antoine
Champagne, guitares et confettis L’ASBL Cap Expé rejoint le Club Alpin Belge DOMINIQUE SNYERS Partir à l’abordage du grand dehors en autonomie pour reprendre les rênes de nos vies et devenir acteurs de changements. Depuis 25 ans, l’association Cap Expé encourage et facilite l’organisation d’aventures humaines fortes, vécues en autonomie maximale dans les grands espaces naturels, proches ou lointains. Les voyages longs et lents y sont privilégiés pour se découvrir et se reconnecter à la terre. À pied, à vélo, en crampons, en chausson d’escalade, à skis ou en packraft, tous les moyens sont bons pourvu qu’ils ne dépendent que de nos muscles et de l’ouverture de nos sens.
2021 Aerts ©
Sans visée lucrative, Cap Expé organise au contraire la coopération entre ses membres pour que circulent conseils, matériels et autres tuyaux. Ainsi, l’aventure s’invente, plus qu’elle ne s’achète, et se met en musique avec l’aide d’une communauté. Elle se vit d’autant plus intensément qu’elle résiste aux sirènes polluantes d’une société de consommation dans laquelle nous ne baignons que trop. Car l’aventure reste incomplète sans une étape d’intériorisation, d’écriture et d’échange de ce qui a été vécu, ressenti et appris. C’est la raison d’être de notre site Internet www.capexpe.org d’agréger ces récits, photos, vidéos et autres tuyaux. Son répertoire d’un millier de Cap Expés a le rêve contagieux. Chaque année, nous éditons aussi un carnet mettant à l’honneur les contributions les plus marquantes. À l’automne, toute la communauté se rassemble et échange autour de délicieux repas, d’ateliers et de concerts jusqu’aux petites heures. Des liens se tissent, des projets naissent. L’aventure ainsi s’élève, se cultive et vit au-delà du retour par un partage simple et chaleureux.
Felix Foret, Florian Funcken, Antoine Aerts, refuge Falbert 1er, Chamonix – août 2021 page 37
Antoine Aerts © 2021 Dominique Snyers © 2021
« Une Cap Expé, c’est un rêve mis en musique, un élan qu’on suit jusqu’au bout pour le partager ensuite ». C’est aussi le cas lors des soirées à thème en mode « auberge espagnole » et des projections de films qui sont régulièrement organisées tout au long de l’année. L’aventure ne connaît pas de limite. Qu’elle soit technique ou familiale, sportive ou contemplative, à deux pas ou au bout du monde, chaque aventure répond à l’envie de se réapproprier un certain niveau d’autonomie et de gestion du risque, seul capable de nous transformer vraiment.
N’hésitez pas à nous rejoindre dans l’aventure !
Baudoin de Hemptine © 2021
DOMINIQUE SNYERS
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Florian Funcken, Glacier du Tour, Chamonix – août 2021 Farsavagge, Suède – avril 2021 Mont Dauphin – janvier 2021
Lire Bel’Wall Pour tout savoir sur les structures artificielles d’escalade du royaume ! MARIE PIERRET
Fruit d’un très long travail pour son auteur, Mark Sebille, l’ouvrage Bel’Wall est disponible depuis le 30 septembre !
Bel’Wall est un catalogue amélioré avec 136 murs d’escalade significatifs qui ont été construits en Belgique à partir de 1937, intérieurs et extérieurs, publics ou privés. Nous parlons à la fois des salles d’escalade et des murs d’escalade, qu’ils soient encore utilisés ou non, dont la grimpe est la seule destination. La Belgique a joué un rôle de pionnier dans le développement de l’escalade en salle. La plus ancienne salle d’escalade au monde se trouve à Bruxelles, et le concept actuel du mur d’escalade artificiel a été inventé en 1986 par un grimpeur bruxellois avant de conquérir le monde. Il est également exceptionnel et unique qu’un roi belge ait eu, en 1937 déjà, la vision de construire dans son propre jardin un mur d’escalade qui, à tous les égards, soutient la comparaison avec les premiers murs d’escalade publics en pierre d’après 1980.
240 pages | 136 structures artificielles d’escalade | données techniques des salles actuelles en Belgique | 400 photos couleur | Prix de vente : 30 € | Français / Néerlandais | Avant-propos : Muriel Sarkany et Anak Verhoeven
Bel’Wall, c’est un catalogue avec toutes les salles d’escalade disponibles en Belgique. Bel’Wall, c’est un ouvrage de référence avec l’histoire des murs d’escalade belges.
Le livre commence par l’histoire des origines du mur d’escalade actuel.
Bel’Wall entend faire l’inventaire du patrimoine perdu et valoriser l’existant.
En vente, notamment, dans la boutique du Club Alpin Belge : www.clubalpin.be/shop
Avec le soutien du Club Alpin Belge.
www.bel-wall.be Facebook : @montanabooks
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Quelques notes… À propos de l’escalade urbaine en Wallonie BERNARD MARNETTE Ces derniers temps ont fleuri dans différentes revues (dont notre Ardennes & Alpes) bon nombre d’articles concernant l’escalade sur structures artificielles.
On sait que la Belgique a joué un rôle dans le développement des murs d’escalade et, chez nous comme ailleurs, les structures « en résine » ont pris un essor important depuis la moitié des années 80. À cette belle histoire se mêle cependant une « préhistoire », faite d’ascensions sur structure à la fois plus naturelle et tout autant artificielle, que l’on peut qualifier en gros d’« escalade urbaine ». On peut d’ailleurs mentionner que ces premières pratiques « artificielles » sont à l’origine de deux disciplines différentes : la populaire escalade en salle et les médiatiques ascensions sur gratte-ciel ou autres monuments célèbres réalisées par les urban climbers. L’origine de ces pratiques se trouve loin des montagnes, dans ou près des villes. Encore faudrait-il différencier dans ce fatras d’idées différentes pratiques : l’escalade de bloc et l’escalade en cordée, les structures pitonnées à demeure et les voies non équipées (avec assurage du haut), différencier les véritables voies laissées équipées des tracés « interdits » sur lesquels on ne grimpe qu’une fois. Faudrait-il distinguer les murs aménagés de système d’assurage et les véritables murs construits par et pour les grimpeurs, ceux aux prises naturelles et ceux aux prises collées ou taillées… ? page 40
Ces escalades, certes un peu sacrées, se pratiquent sur des églises autant que sur des monuments laïcs, des structures privées comme publiques, de jour comme de nuit. On pourrait compléter cette liste par les véritables rochers se trouvant en ville. Ainsi, le long de la chaussée Napoléon à Huy, les rochers qui soutiennent le fort ont été gravis fin des années 60 par Francis Dechany et Dany Heymans (un piton, toujours en place, témoigne de ces ascensions). Il en sera de même pour la paroi de la citadelle à Dinant, qui fut régulièrement gravie par les membres du CAB dans les années 30. Que penser du Bayard ? Nous l’avons dit : de nombreux articles ont été écrits dans notre pays sur ce sujet, notamment sur les salles d’escalade. En complément de ces publications, il convient cependant de mentionner quelques histoires annexes qui ont vu le jour, il y a déjà quelque temps, dans notre région. De petites aventures, parfois cocasses, qui prennent place entre les deux grandes pratiques développées dans notre pays : l’escalade indoor (sur mur artificiel) et l’escalade outdoor, c’est à dire sur nos falaises ardennaises et condruziennes. Il est d’ailleurs amusant de constater que l’alpiniste Owen Glyne Jones, souvent considéré comme le véritable premier « grimpeur » (il passait du 5e degré au XIXe siècle), aimait traverser les murs et les meubles de son bureau sans mettre pied à terre, pour s’entraîner. Il fit déjà, à son époque, l’ascension de la tour Cléopâtre à Londres. À la même époque, Geoffrey Winthrop Young entreprit d’escalader le toit de l’université de Cambridge. Au tournant du siècle, il publia deux fascicules sur les escalades de bâtiments, parodiant les guides d’alpinisme.
Mur du Sart-Tilman, Claude Lorenzi en action
Pierre Van Mellaert, Ferme de Wéry à Flémalle en 1981
Claude Lorenzi, Ferme Wéry à Flémalle en 1981
Le mur de la maison de Georges Janty à Jambe
© C. Lorenzi
© C. Lorenzi
© B. Marnette
En 1905, Harry H. Gardiner se fait déjà spécialiste de l’escalade urbaine. Il réussit l’ascension de plus de 700 bâtiments en Europe et en Amérique du Nord. Le concept est véritablement lancé ! De nombreux alpinistes de renom y prendront goût. Ainsi, au début du XXe siècle, le mythique Paul Preuss et le non moins célèbre Hans Dulfer faisaient régulièrement l’ascension du Propylaer à Munich. Tita Piaz, le diable des Dolomites, a appris l’escalade sur les murs de la maison paternelle et sur les clochers des églises environnantes. Plus tard, le grand Messner découvre l’escalade en gravissant le Palo, un mât artisanal bien connu du folklore de Padoue. En 1980, Jean-Claude Droyer, l’apôtre du libre en France, se distingue pour une ascension artificielle (déjà classique) : celle de la tour Eiffel. En 1981, c’est Christophe Profit, l’icône des enchaînements alpins, qui gravit la tour des Archives départementales à Rouen. Les années 70-80 semblent être d’ailleurs des années fertiles pour l’histoire de l’escalade urbaine. Le magazine Alpi-rando en tire une chronique régulière, mentionnant les ascensions de Notre-Dame de la Garde à Marseille, la colonne Nelson au Trafalgar Square de Londres, la tour Télécom à Bordeaux… Depuis lors, ces ascensions spectaculaires sont de plus en plus connues et médiatisées. Le spiderman français, Alain Robert, en est, de nos jours, le fer de lance. Chez nous, il faut remonter à Xavier de Grunne pour entendre parler d’escalade urbaine dans les milieux du CAB.
En 1930, celui que l’on surnommait « Père Chamois » aimait escalader acrobatiquement le second étage du bâtiment qui abritait son cercle d’étudiants, 24, rue de la Joyeuse Entrée à Louvain. Ainsi, gravir les surplombs et les cheminées d’une façade a été, pour Xavier de Grunne, un premier moyen d’épater ses amis de classe, mais aussi… de faire enrager les policiers du coin.
Les années 80 vont être une période importante de l’escalade urbaine en Wallonie, avec l’apparition des murs d’escalade. Comme on peut le voir, l’origine de l’escalade urbaine en Belgique est donc assez ancienne. Cependant, c’est essentiellement à partir des années 60, avec la démocratisation de l’escalade, que le goût pour la grimpe urbaine va se développer. Cette pratique sera assez courante en Wallonie. Ceci tient à deux éléments essentiels : le manque d’argent et de temps. En cette période d’émancipation, tout le monde n’a pas les moyens de se déplacer facilement vers les massifs rocheux (on se déplace encore volontiers à vélo et en train).
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Team Vichy, Namur 1990.
A. t_Kint sur le mur de la Citadelle – © G. Janty
Le mur du Team Vichy
à Namur en 1990 © G.Janty
mur à la caserne de Vielsalm © B. Marnette
Si les temps de loisirs sont comptés, les longues soirées d’été sont propices à la grimpe près de chez soi. Ainsi, au début des années 60, les Namurois grimpent volontiers sur les murs de soutènement de la Sambre. Certains grimpeurs aménagent les murs de leur maison, d’autres sont réputés pour les ascensions originales. Ainsi, Émile Naomé est connu pour ses périlleuses ascensions sur les chantiers de bâtiments dans lesquels il travaille : murs non rejointoyés, cages d’ascenseurs, pylônes électriques sont dévorés régulièrement par un de nos meilleurs grimpeurs des années 60-70.
Fin des années 70, du côté d’Aywaille, Maurice Levaux et ses amis s’entraînaient volontiers sur les murs de soutènement des carrières (carrière de la Falise, musée de la Pierre à Sprimont…).
À Seraing, André Lamberty et Jacques Collaert placent quelques pitons sur le mur d’enceinte du cimetière communal.
Sur le béton, on grimpe aussi ! Au plan incliné de Ronquière et à Louvain-la-Neuve, où Pierre Masschelein, notamment, s’illustre par quelques ascensions audacieuses au doux goût d’interdit.
Un peu plus tard, début des années 70, à Chokier, dans la carrière de la réserve des roches, Claude Delvenne, Camille Piraprez et Renzo Lorenzi gravissent, en guise d’entraînement, les murs de soutènement du chemin de fer et ceux des vieux fours à chaux situés près de l’entrée amont de la réserve. La génération suivante reprendra ces habitudes et développera l’escalade à quelques pas de là sur les vieux murs de la ferme abandonnée de Wéry, aux Trixhes, sur le haut de Flémalle. Ce sera les débuts pour la génération des Claude Lorenzi1, Isabelle Dorsimond, Dominique Lewalle, Pierre Van Mellaert, Jean-Marc Piron et bien d’autres. Ces murs ayant tant de succès que des journalistes de la RTB firent un reportage pour l’émission bien connue « Télétourisme ».
1 - Claude Lorenzi prétendra toujours que ce sont les longues séances d’entraînement sur les murs de la ferme Wéry qui lui ont donné sa base de grimpeur de haut niveau et qui l’ont conduit à la réalisation de la « Traction universelle » à Pepinster, le premier 8c belge en 1994.
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Marcel Focant devant son
À la même période, on peut aussi mentionner les escalades urbaines que réalisaient, aux heures de pluie, les grimpeurs de Sy. Lorsque les rochers étaient mouillés, les plus passionnés d’entre eux s’exerçaient sur les murs en briques du bâtiment des sanitaires de l’ancien camping situé au centre de l’actuelle esplanade.
L’escalade urbaine se démocratise donc. Il reste cependant des objectifs bien tentants, mais interdits d’accès. Ces sites vont générer un style nouveau : les ascensions nocturnes. Ainsi, dans les années 80, la tour du Bol d’Air à Boncelles, près de Liège, est gravie de nuit par Claude Lorenzi, Bernard Devleeger et Sorella Dacosta. Jean Michel Stembert gravit également, au clair de lune, l’église Sainte-Julienne à Verviers. À noter que nos bâtiments religieux seront des objectifs de choix pour nos grimpeurs urbains. Dès les années 60, Jean Lecomte fera une démonstration d’ascension sur le bulbe de la collégiale de Dinant. Plus tard, ce sera l’ascension de celle de Petit-Rechain, près de Verviers, pour y placer une croix. Dans des périodes plus récentes, d’autres églises comme celle d’Arlon, celle d’Onhaye, par exemple, seront également gravies.
J-M Stembert escalade l’Eglise Sainte-Julienne à Verviers (Alpi-rando n°40, Févr. 82)
Il y a aussi les tours et les châteaux. Ainsi, dans les ruines du château de Moha, la tour d’entrée était souvent gravie fin des années 80 et début des années 90 lors d’activités pour les jeunes de la région hutoise. Activités animées par des grimpeurs confirmés comme Francis Dechany ou Freddy Gonda. Sur le thème des ponts, on peut évoquer l’activité du groupe spéléo « Les Gours ». À partir de 1971, ces Hutois vont grimper régulièrement sur le « pont de fer » à Huy. Il s’agit d’un pont de pierres qui tient son nom du fait qu’il succède à un ancien pont en acier détruit pendant la Première Guerre mondiale. Les grimpeurs y laisseront quelques pitons à demeure. Plus tard, les membres du même groupe feront une démonstration, tout à fait officielle (à la demande de la Ville) sur les piliers du pont Baudouin. On peut aussi signaler l’activité de Christian Vandenhoff qui, dans les années 70-80, faisait volontiers des traversées sur le mur de soutènement de la passerelle de Sy. Les Verviétois des années 80 s’exerceront à plusieurs reprises sous le viaduc de l’autoroute de Dison ou de Theux. Les Brabançons équiperont le pont du chemin de fer de Braine-l’Alleud. Les années 80 vont être une période importante de l’escalade urbaine en Wallonie, avec l’apparition des murs d’escalade. Pas ceux que l’on connaît aujourd’hui, avec des prises en résine, mais des murs construits en béton et en briques. Ce sont les murs de la première génération : ceux venus d’Angleterre.
Simon Lorenzi sur la maison de Claude à Flémalle en 2004 © C. Lorenzi
Il y a, à cette époque, mur et mur. On peut en effet différencier deux types de murs, ceux conçus pour la grimpe et les autres adaptés pour y grimper. Il faut effectivement noter qu’avant le concept de salle d’escalade, né à Terre-Neuve en 1987, certaines initiatives avaient été prises pour construire des murs d’escalades artificielles sur le modèle anglais, c’est-à-dire en véritables pierres. Il y eut, en Wallonie, l’éphémère mur du hall omnisports de Jambes. Conçu en 1982, construit en 1984, façonné de briques rentrantes et sortantes, il n’eut pas grand succès. Il faut dire que son concepteur ne reçut guère de soutien du monde de la grimpe. Ce mur est cependant l’ancêtre de l’actuelle salle d’escalade, située dans le complexe sportif de l’ADEPS. Plus abouti est le mur du domaine universitaire du Sart Tilman. Sa mise en service date de 1985, mais les grimpeurs liégeois y grimpaient bien avant qu’il ne soit inauguré. C’est un mur (à double face, dont une des faces est extérieure) en béton à prises fixes. C’est le type même d’un mur anglais de la première génération. Il a d’ailleurs été construit sous la supervision d’un architecte britannique. Les prises sont aujourd’hui bien usées, mais le mur est toujours fonctionnel. Il y eut, dans ces mêmes années, des initiatives privées pour adapter certains murs à l’escalade. C’est le cas, par exemple, d’un petit mur construit par Freddy Gonda et quelques amis dans le hangar du tennis Maréchal à Ampsin. C’était un mur complètement artisanal, c’est-à-dire un mur sur lequel ont été collées des prises en pierre et en résine. Dans des initiatives vraiment privées, on peut mentionner l’aménagement que fit Georges Janty lors de la construction de sa maison de Jambes, en 1988. Il fit maçonner des prises sortantes de
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manière à rendre un mur de sa maison « grimpable » malgré le rejointoiement. Trois broches furent placées au sommet. C’était l’époque ou le local de la section de Namur du CAB se trouvait au domicile du président. Ce petit mur fut donc assez Les Fours à Chaux souvent utilisé par à Flémalle les membres namu© B.Marnette rois du Club Alpin. Il faut dire qu’à l’ancien domicile de Georges Janty (rue de Coppin) les grimpeurs namurois avaient déjà l’habitude de « faire le mur » lors des réunions de la section. Dans le registre des murs adaptés, on ne peut passer sous silence l’original mur de la caserne des chasseurs ardennais à Vielsalm. Il s’agit probablement du premier mur « artificiel » (ou semi-artificiel) du pays. Ce mur fut aménagé par Marcel Focant2, instructeur en éducation physique chez les chasseurs ardennais de 1957 à 1981. Celui-ci, excellent grimpeur, amenait souvent ses hommes sur les rochers. C’est donc dans une démarche d’entraînement qu’il eut l’idée d’aménager une aile du bâtiment d’éducation physique de la caserne. En 1971 et 1972, il y ouvrira trois voies en les pitonnant du bas et en aménageant certaines briques en prises. Parmi ces voies, une se nomme le « Pilier Joseph ». Elle est dédiée au responsable de l’entretien des bâtiments, qui voyait d’un mauvais œil que l’on vienne « pitonner la brique ». L’histoire de ces premiers murs d’escalade a le mérite d’officialiser cette « escalade artificielle »3 Durant la décennie suivante, certaines choses vont s’institutionnaliser. Il deviendra de plus en plus à la mode d’utiliser les grimpeurs pour des animations et autres démonstrations populaires, voire des publicités.
2 - Marcel Focant a été un bon grimpeur de son époque, ouvrant plusieurs voies à Hotton dédiées à son fils (le « Petit » et le « Grand » Marc). Il est aussi le découvreur des rochers de Hourt, où il a ouvert plusieurs voies avec son beau-frère, Jules Libouton, ainsi que deux autres militaires de Vielsalm, Jules Schoumacker et Johnny Drouget. 3 - P. Dumoulin et P. Villanyi réservent déjà un chapitre à l’escalade urbaine en 1984 dans leur guide des lieux grimpables en Belgique (Guide de l’escalade en Belgique, SSW, 1984).
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Ainsi, les bâtiments de l’antenne montoise de la RTB sont inaugurés par une ascension de Marc Bott et Isabelle Dorsimond. D’autres bâtiments, comme la tour Kennedy à Liège, sont également gravis à cette époque. Mais, dans les années 90, c’est la grosse affaire de l’Équipe Vichy. Le Team Vichy4 symbolise à lui seul cette époque de grimpe urbaine. C’est à l’initiative d’Alex Hausiaux que ce Team est créé. Il a pour but de promouvoir l’escalade grâce à la société Vichy Célestin. Le but était de parcourir le pays en créant des « événements escalade » grâce à des démonstrations de grimpe sur un mur (le fameux mur Vichy) et un monument symbolique d’une ville. Cela étant dit, si la véritable escalade urbaine est sans doute définitivement dépassée par l’aménagement de structures artificielles (fixes, mais aussi mobiles), il n’en reste pas moins qu’elle conserve ses adeptes. On a récemment encore parlé d’équiper les pylônes de soutien du viaduc de Remouchamps, mais ce projet semble bien aujourd’hui enterré. Jean-Philippe Perikel, quant à lui, a équipé dernièrement de nouvelles voies au pont de Virelle, des voies de plus de 30 m. Le Hutois Lenny Obez réalise volontiers des escalades urbaines à sensation, comme celle de la collégiale de Huy durant l’été 2020.
Visiblement, l’escalade urbaine a encore de l’avenir dans notre région ! BERNARD MARNETTE
Remerciements : X. Bonjean, M. Bott, M. Brankart, L. Debacker, F. Dechany, I. Dorsimond, P. Dumoulin, M. Focant, Ch. Fontaine, A. Lamberty, P. Gobbels, F. Gonda, B. Goubau, G. Janty, M. Levaux, Cl. Lorenzi, R. Lorenzi, A. Orban, J.-Ph. Perikel, M. Schilling, Ch. Van den Hoff, J. Volckaert.
4 - Le Team Vichy est fondé en 1989 : il est défini de la sorte dans Ardennes & Alpes n° 66 – octobre 1989 : « Grâce à ce contrat de sponsoring, nos compétiteurs pourront prendre part à la première coupe du monde d’escalade/IUAA. Mais, l’originalité de ce contrat réside dans la contrepartie que nous offrons à Vichy et qui consiste à une campagne de promotion menée à travers tout le pays par le team Vichy/ Club Alpin Belge. Comment ? En réalisant l’ascension de monuments réputés dans plusieurs villes et en organisant conjointement une compétition pour jeunes débutants et des démonstrations sur un mur mobile de 9 m de hauteur (le plus haut de ce genre en Belgique à l’heure actuelle) ».
Photo : Mario Colonel
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