Leçons d’une vie L’œuvre photographique de Pol Aschman dans la presse de son temps
Frédéric Braun
Quand, en 1949, son photoreportage sur un chiffonnier des faubourgs de la capitale lui vaut d’être remarqué, Pol Aschman a 28 ans. C’est un jeune homme mais qui en a déjà vu davantage que bien d’autres plus âgés que lui. Enrôlé de force, comme beaucoup de sa génération, il a passé deux ans sur le front de l’Est, où il est devenu témoin entre autres de la bataille du Dniepr, l’une des plus gigantesques de toute l’histoire. Trois hommes mourront dans ses bras. Au moment où l’Armée rouge traverse le fleuve qui partage en deux l’Ukraine actuelle pour prendre d’assaut la Wehrmacht, Aschman reçoit trois balles : la première lui traverse le cou, la seconde se loge dans le haut du bras tandis qu’une troisième lui érafle la poitrine. Soigné à Lemberg, puis renvoyé au front, il passera Noël 1944 dans un patelin polonais bientôt sous contrôle soviétique. Sauvé des exécutions sommaires grâce à son uniforme d’opérateur-radio, mais désormais privé de sa caméra (une Kodak Box Eastman format 6/9, dont son père lui avait fait cadeau à l’âge de 8 ans), il survit à plusieurs camps de prisonniers de guerre, avant d’être autorisé en 1945 à retrouver sa patrie à bord d’un train de bétail. On l’accueille avec un bouquet de fleurs qu’il ira poser le lendemain sur la tombe de sa mère, décédée en son absence. Quant au pays qu’il retrouve, il est à moitié détruit, sa société divisée et minée par des années d’occupation et de méfiance. Le gouvernement d’union nationale étouffe l’opposition extra-parlementaire et préfère se concentrer sur les grands chantiers (Benelux, Otan, FMI), présentés comme l’accès du Luxembourg à la table des grands. Le paysage médiatique qui s’offre alors à Aschman est celui, vandalisé par l’occupant nazi et sclérosé, d’une presse de partis. Les médias locaux ou indépendants, la presse libérale d’avant-guerre, ont disparu au profit d’un monde de l’information, aussi monolithique que le discours d’identification nationale en train de se mettre en place sur fond de guerre froide. Seul hebdomadaire, la Revue est également, avec en moyenne 100 photos par exemplaire, un des rares endroits à accorder une place privilégiée à l’art du regard. C’est donc tout naturellement que les jeunes photographes de l’époque, dont Pol Aschman, se dirigent vers elle.
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