Ecran total Special Annecy 2021

Page 22

Juridique

La durĂ©e de protection des Ɠuvres Chronique

S’il arrive que tout un chacun apprenne, au dĂ©tour d’un article de presse, que telle ou telle Ɠuvre littĂ©raire est entrĂ©e dans le domaine public, le statut des Ɠuvres audiovisuelles est, en revanche, beaucoup moins connu, mĂȘme des professionnels. Quelles sont les Ɠuvres audiovisuelles françaises librement rĂ©exploitables et celles qui demeurent“sous droits” ? Sait-on, par exemple, que la production cinĂ©matographique des frĂšres LumiĂšre, auxquels est attribuĂ©e l’invention du cinĂ©ma en 1895, se trouvent encore protĂ©gĂ©es par le droit d’auteur ? Rien n’est moins sĂ»r. Ceci s’explique par plusieurs raisons. D’une part, bien que les Ɠuvres audiovisuelles soient omniprĂ©sentes dans le paysage culturel contemporain, il ne faut pas oublier que le 7e art, imaginĂ© Ă  la fin du xixe siĂšcle, est rĂ©cent Ă  l’échelle de la crĂ©ation artistique. L’histoire du cinĂ©ma et de la tĂ©lĂ©vision Ă©tant courte, et les dĂ©lais pour qu’une Ɠuvre audiovisuelle tombe dans le domaine public Ă©tant particuliĂšrement longs, il n’existe en rĂ©alitĂ© qu’une poignĂ©e d’Ɠuvres tombĂ©es dans le domaine public. D’autre part, et c’est l’objet de cet article, le statut particulier des Ɠuvres audiovisuelles, Ă©troitement liĂ© Ă  la myriade d’auteurs qui participent Ă  la crĂ©ation d’un film et au millefeuille de droits d’auteur et de droits dits “voisins” des artistes-interprĂštes qui s’attachent Ă  cette forme de crĂ©ation, a un impact non nĂ©gligeable sur la durĂ©e de protection que leur confĂšre le droit de la propriĂ©tĂ© littĂ©raire et artistique en France. Les participants Ă  la crĂ©ation de l’Ɠuvre – donc les coauteurs – sont nombreux Traditionnellement, la durĂ©e de protection des Ɠuvres de l’esprit est de 70 ans aprĂšs la mort de l’auteur. En effet, la loi du 27 mars 1997 procĂ©dant Ă  l’unification de la durĂ©e de protection des Ɠuvres par le droit d’auteur a allongĂ© de 20 annĂ©es le monopole d’exploitation de son auteur, auparavant fixĂ© Ă  50 ans post mortem auctoris. Cette nouvelle durĂ©e a eu ainsi pour effet de faire “renaĂźtre” des droits sur les Ɠuvres tombĂ©es dans le domaine public avant le 1er juillet 1995, Ă  condition qu’elles soient encore protĂ©gĂ©es Ă  cette date dans au moins un Etat membre de l’Union europĂ©enne. Cette unification de la durĂ©e de protection des Ɠuvres de l’esprit a eu pour effet indirect de rallonger considĂ©rablement celle des Ɠuvres cinĂ©matographiques. Du fait de son rĂ©gime particulier d’Ɠuvre dite “de collaboration”, l’annĂ©e civile prise en considĂ©ration est celle

”La Sortie de l’usine Lumiùre à Lyon”, d’Auguste et Louis Lumiùre.

“de la mort du dernier vivant des co-auteurs”. Ainsi, c’est en principe l’annĂ©e civile du dĂ©cĂšs du dernier auteur ayant activement participĂ© Ă  la rĂ©alisation de l’Ɠuvre cinĂ©matographique – scĂ©nariste, dialoguiste, compositeur musical et rĂ©alisateur selon la liste non exhaustive de coauteurs prĂ©sumĂ©s par le Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle – qui sera prise en compte pour calculer le dĂ©lai de protection de l’Ɠuvre. C’est ainsi que, pour reprendre le cas des frĂšres LumiĂšre, la durĂ©e de protection de leurs films se calcule en prenant comme rĂ©fĂ©rence le 1er janvier de l’annĂ©e suivant le dĂ©cĂšs du dernier frĂšre, soit Auguste, mort le 10 avril 1954. L’entrĂ©e dans le domaine public de leurs Ɠuvres, dont la cĂ©lĂ©brissime vue documentaire Sortie de l’usine LumiĂšre Ă  Lyon, se fera donc au 1er janvier 2025. Cette mĂ©thode de calcul de la durĂ©e de protection des droits d’auteur est, dans les faits, dĂ©licate Ă  apprĂ©hender tant les participants – et donc les potentiels coauteurs – Ă  la rĂ©alisation d’une Ɠuvre cinĂ©matographique sont nombreux.

quant Ă  la durĂ©e de protection de l’Ɠuvre. C’est ainsi que des crĂ©ateurs d’effets spĂ©ciaux, ou encore des monteurs cadres ont notamment revendiquĂ© devant la justice la qualitĂ© de coauteurs d’une Ɠuvre audiovisuelle Ă  la rĂ©alisation de laquelle ils avaient participĂ©. Par consĂ©quent, par souci de simplification et de sĂ©curitĂ© juridique et financiĂšre, le lĂ©gislateur a prĂ©vu une prĂ©somption de cession des droits des auteurs concourant Ă  la rĂ©alisation de l’Ɠuvre audiovisuelle au producteur. Toutefois, si cette prĂ©somption permet au producteur d’exploiter plus aisĂ©ment l’Ɠuvre audiovisuelle achevĂ©e, elle n’a aucun effet direct sur le calcul de la durĂ©e du monopole d’exploitation de l’Ɠuvre. Pour ce qui concerne la composition musicale, la rĂšgle de la cession automatique des droits de l’auteur vers le producteur ne joue pas, et l’auteur de la composition doit cĂ©der expressĂ©ment ses droits afin que son Ɠuvre musicale puisse ĂȘtre utilisĂ©e dans l’adaptation audiovisuelle, quand bien mĂȘme la composition aurait Ă©tĂ© enregistrĂ©e afin de sonoriser la bande originale du film.

La prĂ©somption de cession des droits La casuistique inhĂ©rente au caractĂšre indicatif de la liste de coauteurs prĂ©sumĂ©s de l’Ɠuvre audiovisuelle de l’article L. 113-7 du Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle entraĂźne des litiges importants relatifs Ă  la dĂ©termination des coauteurs des Ɠuvres audiovisuelles, ayant pour consĂ©quence directe une incertitude

Les acteurs : artistes-interprĂštes et artistes de complĂ©ment Les coauteurs de l’Ɠuvre audiovisuelle ne sont pas les seuls Ă  bĂ©nĂ©ficier de droits sur le film. En effet, les artistesinterprĂštes, dĂ©finis par le lĂ©gislateur comme ceux qui “reprĂ©sentent, chantent, rĂ©citent, dĂ©clament, jouent ou exĂ©cutent de toute autre maniĂšre une Ɠuvre littĂ©raire ou artistique”, bĂ©nĂ©ficient de droits dits

“voisins” du droit d’auteur. Ainsi, les acteurs d’un film sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant des artistes-interprĂštes au sens du droit voisin du droit d’auteur. Sont exclus de cette catĂ©gorie les “artistes de complĂ©ment”, dĂ©signĂ©s usuellement comme Ă©tant les comĂ©diens dont le rĂŽle est muet ou ne dĂ©passe pas 13 lignes de texte, sauf s’il apporte une “contribution originale et personnelle”. La jurisprudence considĂšre, en effet, que l’artiste-interprĂšte est “le comĂ©dien qui dans une Ɠuvre audiovisuelle a interprĂ©tĂ© des paroles et expressions qu’il a improvisĂ©es, Ă©tant Ă  la fois l’auteur et l’interprĂšte de la partie du dialogue qu’il prononce dans l’Ɠuvre, rien ne permettant de l’assimiler Ă  un artiste de complĂ©ment”. La protection qui leur est accordĂ©e est considĂ©rablement abrĂ©gĂ©e par rapport Ă  celle des coauteurs de l’Ɠuvre audiovisuelle, tant par le point de dĂ©part du dĂ©lai de protection que par sa durĂ©e. En effet, la durĂ©e des prĂ©rogatives patrimoniales des droits voisins est de 50 ans Ă  compter de la rĂ©alisation de la prestation ou de la premiĂšre exploitation. PrĂ©cisons que le lĂ©gislateur a Ă©galement prĂ©vu une prĂ©somption de cession des droits des artistes-interprĂštes au producteur de l’Ɠuvre audiovisuelle. Dans une affaire de 2013 concernant un enregistrement du Bourgeois Gentilhomme de MoliĂšre, la Cour de cassation a mis fin Ă  la question de savoir si la prĂ©somption de cession au producteur devait s’appliquer aux artistes-interprĂštes d’une composition musicale. Il a finalement Ă©tĂ©

9 juin 2021 / Écran total  n°1332

22

22_ETH_1332_TRIBUNE_JURIDIQUE_BAT.indd 22

08/06/2021 20:55


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.