Juridique
La durĂ©e de protection des Ćuvres Chronique
Sâil arrive que tout un chacun apprenne, au dĂ©tour dâun article de presse, que telle ou telle Ćuvre littĂ©raire est entrĂ©e dans le domaine public, le statut des Ćuvres audiovisuelles est, en revanche, beaucoup moins connu, mĂȘme des professionnels. Quelles sont les Ćuvres audiovisuelles françaises librement rĂ©exploitables et celles qui demeurentâsous droitsââ? Sait-on, par exemple, que la production cinĂ©matographique des frĂšres LumiĂšre, auxquels est attribuĂ©e lâinvention du cinĂ©ma en 1895, se trouvent encore protĂ©gĂ©es par le droit dâauteurâ? Rien nâest moins sĂ»r. Ceci sâexplique par plusieurs raisons. Dâune part, bien que les Ćuvres audiovisuelles soient omniprĂ©sentes dans le paysage culturel contemporain, il ne faut pas oublier que le 7e art, imaginĂ© Ă la fin du xixe siĂšcle, est rĂ©cent Ă lâĂ©chelle de la crĂ©ation artistique. Lâhistoire du cinĂ©ma et de la tĂ©lĂ©vision Ă©tant courte, et les dĂ©lais pour quâune Ćuvre audiovisuelle tombe dans le domaine public Ă©tant particuliĂšrement longs, il nâexiste en rĂ©alitĂ© quâune poignĂ©e dâĆuvres tombĂ©es dans le domaine public. Dâautre part, et câest lâobjet de cet article, le statut particulier des Ćuvres audiovisuelles, Ă©troitement liĂ© Ă la myriade dâauteurs qui participent Ă la crĂ©ation dâun film et au millefeuille de droits dâauteur et de droits dits âvoisinsâ des artistes-interprĂštes qui sâattachent Ă cette forme de crĂ©ation, a un impact non nĂ©gligeable sur la durĂ©e de protection que leur confĂšre le droit de la propriĂ©tĂ© littĂ©raire et artistique en France. Les participants Ă la crĂ©ation de lâĆuvre â donc les coauteurs â sont nombreux Traditionnellement, la durĂ©e de protection des Ćuvres de lâesprit est de 70 ans aprĂšs la mort de lâauteur. En effet, la loi du 27 mars 1997 procĂ©dant Ă lâunification de la durĂ©e de protection des Ćuvres par le droit dâauteur a allongĂ© de 20 annĂ©es le monopole dâexploitation de son auteur, auparavant fixĂ© Ă 50 ans post mortem auctoris. Cette nouvelle durĂ©e a eu ainsi pour effet de faire ârenaĂźtreâ des droits sur les Ćuvres tombĂ©es dans le domaine public avant le 1er juillet 1995, Ă condition quâelles soient encore protĂ©gĂ©es Ă cette date dans au moins un Etat membre de lâUnion europĂ©enne. Cette unification de la durĂ©e de protection des Ćuvres de lâesprit a eu pour effet indirect de rallonger considĂ©rablement celle des Ćuvres cinĂ©matographiques. Du fait de son rĂ©gime particulier dâĆuvre dite âde collaborationâ, lâannĂ©e civile prise en considĂ©ration est celle
âLa Sortie de lâusine LumiĂšre Ă Lyonâ, dâAuguste et Louis LumiĂšre.
âde la mort du dernier vivant des co-auteursâ. Ainsi, câest en principe lâannĂ©e civile du dĂ©cĂšs du dernier auteur ayant activement participĂ© Ă la rĂ©alisation de lâĆuvre cinĂ©matographique â scĂ©nariste, dialoguiste, compositeur musical et rĂ©alisateur selon la liste non exhaustive de coauteurs prĂ©sumĂ©s par le Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle â qui sera prise en compte pour calculer le dĂ©lai de protection de lâĆuvre. Câest ainsi que, pour reprendre le cas des frĂšres LumiĂšre, la durĂ©e de protection de leurs films se calcule en prenant comme rĂ©fĂ©rence le 1er janvier de lâannĂ©e suivant le dĂ©cĂšs du dernier frĂšre, soit Auguste, mort le 10 avril 1954. LâentrĂ©e dans le domaine public de leurs Ćuvres, dont la cĂ©lĂ©brissime vue documentaire Sortie de lâusine LumiĂšre Ă Lyon, se fera donc au 1er janvier 2025. Cette mĂ©thode de calcul de la durĂ©e de protection des droits dâauteur est, dans les faits, dĂ©licate Ă apprĂ©hender tant les participants â et donc les potentiels coauteurs â Ă la rĂ©alisation dâune Ćuvre cinĂ©matographique sont nombreux.
quant Ă la durĂ©e de protection de lâĆuvre. Câest ainsi que des crĂ©ateurs dâeffets spĂ©ciaux, ou encore des monteurs cadres ont notamment revendiquĂ© devant la justice la qualitĂ© de coauteurs dâune Ćuvre audiovisuelle Ă la rĂ©alisation de laquelle ils avaient participĂ©. Par consĂ©quent, par souci de simplification et de sĂ©curitĂ© juridique et financiĂšre, le lĂ©gislateur a prĂ©vu une prĂ©somption de cession des droits des auteurs concourant Ă la rĂ©alisation de lâĆuvre audiovisuelle au producteur. Toutefois, si cette prĂ©somption permet au producteur dâexploiter plus aisĂ©ment lâĆuvre audiovisuelle achevĂ©e, elle nâa aucun effet direct sur le calcul de la durĂ©e du monopole dâexploitation de lâĆuvre. Pour ce qui concerne la composition musicale, la rĂšgle de la cession automatique des droits de lâauteur vers le producteur ne joue pas, et lâauteur de la composition doit cĂ©der expressĂ©ment ses droits afin que son Ćuvre musicale puisse ĂȘtre utilisĂ©e dans lâadaptation audiovisuelle, quand bien mĂȘme la composition aurait Ă©tĂ© enregistrĂ©e afin de sonoriser la bande originale du film.
La prĂ©somption de cession des droits La casuistique inhĂ©rente au caractĂšre indicatif de la liste de coauteurs prĂ©sumĂ©s de lâĆuvre audiovisuelle de lâarticle L. 113-7 du Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle entraĂźne des litiges importants relatifs Ă la dĂ©termination des coauteurs des Ćuvres audiovisuelles, ayant pour consĂ©quence directe une incertitude
Les acteursâ: artistes-interprĂštes et artistes de complĂ©ment Les coauteurs de lâĆuvre audiovisuelle ne sont pas les seuls Ă bĂ©nĂ©ficier de droits sur le film. En effet, les artistesinterprĂštes, dĂ©finis par le lĂ©gislateur comme ceux qui âreprĂ©sentent, chantent, rĂ©citent, dĂ©clament, jouent ou exĂ©cutent de toute autre maniĂšre une Ćuvre littĂ©raire ou artistiqueâ, bĂ©nĂ©ficient de droits dits
âvoisinsâ du droit dâauteur. Ainsi, les acteurs dâun film sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant des artistes-interprĂštes au sens du droit voisin du droit dâauteur. Sont exclus de cette catĂ©gorie les âartistes de complĂ©mentâ, dĂ©signĂ©s usuellement comme Ă©tant les comĂ©diens dont le rĂŽle est muet ou ne dĂ©passe pas 13 lignes de texte, sauf sâil apporte une âcontribution originale et personnelleâ. La jurisprudence considĂšre, en effet, que lâartiste-interprĂšte est âle comĂ©dien qui dans une Ćuvre audiovisuelle a interprĂ©tĂ© des paroles et expressions quâil a improvisĂ©es, Ă©tant Ă la fois lâauteur et lâinterprĂšte de la partie du dialogue quâil prononce dans lâĆuvre, rien ne permettant de lâassimiler Ă un artiste de complĂ©mentâ. La protection qui leur est accordĂ©e est considĂ©rablement abrĂ©gĂ©e par rapport Ă celle des coauteurs de lâĆuvre audiovisuelle, tant par le point de dĂ©part du dĂ©lai de protection que par sa durĂ©e. En effet, la durĂ©e des prĂ©rogatives patrimoniales des droits voisins est de 50 ans Ă compter de la rĂ©alisation de la prestation ou de la premiĂšre exploitation. PrĂ©cisons que le lĂ©gislateur a Ă©galement prĂ©vu une prĂ©somption de cession des droits des artistes-interprĂštes au producteur de lâĆuvre audiovisuelle. Dans une affaire de 2013 concernant un enregistrement du Bourgeois Gentilhomme de MoliĂšre, la Cour de cassation a mis fin Ă la question de savoir si la prĂ©somption de cession au producteur devait sâappliquer aux artistes-interprĂštes dâune composition musicale. Il a finalement Ă©tĂ©
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