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ÉPOQUE
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NELLIE BLY
LA PIONNIÈRE OUBLIÉE
Infiltrée en usine, dans un asile ou défiant le héros de Jules Verne, cette journaliste américaine, engagée aux côtés des plus fragiles, a redéfini l’essence du métier de reporter. Par Françoise-Marie Santucci
La journaliste, vers 1890.
H.J. MEYERS/LIBRARY OF CONGRESS. TIRA LEWIS/DOUGLAS STEWART FINE BOOKS. PRESSE (X3).
Issue de la classe moyenne, tôt orpheline, Nellie Bly* arrive en 1885 à Pittsburgh. Elle a 21 ans, sa carrière démarre en trombe. Le journal Pittsburg Dispatch déplore que les femmes ne sachent plus coudre ni cuisiner ? Elle adresse une missive cinglante au rédacteur en chef. Intrigué, il la rencontre et l’embauche. La méthode Bly s’impose vite : raconter les choses de l’intérieur. Ses reportages dans les usines exposent les conditions de travail indigentes des ouvrières. Mais ces investigations provoquent la colère des industriels : on la relègue aux rubriques « féminines ». Le jardinage, la mode. Qu’importe : elle part au Mexique et en tire un livre, aussi pittoresque qu’engagé. De retour, elle travaille pour le quotidien New York World. Mais que dénoncer ? Comment agir ? Elle se fait hospitaliser dans un « asile de fous », où elle consigne hurlements, cruauté des soignants… Le reportage provoque un séisme, qui contribue à améliorer les conditions d’internement en psychiatrie. Nellie Bly est une star ! Son nouveau but ? Battre le record de Phileas Fogg, le héros fictionnel de Jules Verne, en bouclant le tour du
Around the world with Nellie Bly, jeu de l’oie édité aux États-Unis vers 1890.
monde en moins de 80 jours. Sponsorisée par le New York World, elle tient en haleine les lecteurs qui suivent son périple entre trains et bateaux à vapeur, contrées lointaines et… rencontre avec Jules Verne. Sans jamais quitter sa robe longue, son pardessus et un petit sac de voyage, elle revient à New York triomphalement, 72 jours après. Une foultitude de livres et biographies lui est consacrée. Mais elle quitte le journalisme pour épouser un riche industriel, plus âgé. À la mort de ce dernier, elle reprend les rênes de l’empire avec l’idée d’améliorer le sort des ouvrier et ouvrières. Hélas, elle s’avère piètre gestionnaire. C’est la faillite et le retour à l’écriture. Nellie Bly est envoyée en Europe pour « couvrir » la Grande Guerre. Elle meurt d’une pneumonie en 1922, à 57 ans. Aux États-Unis, sa vie devient une histoire merveilleuse qu’on raconte aux enfants, puis tombe dans l’oubli. Mais elle réapparaît depuis quelque temps via des biographies et B.D. Et on peut aussi la lire en français ! (*) Auteure de 6 mois au Mexique, éd. du Sous-Sol, 10 jours dans un asile, éd. de poche Points et Le tour du monde en 72 jours, éd. de poche Points.
LE FOODING A 20 ANS « On nous donnait vingt jours, vingt semaines, vingt mois, et ça fait vingt ans, constate Emmanuel Rubin, cofondateur du Fooding. Il y a une différence entre être dans la mode et être dans la modernité. Le Fooding s’inscrit dans la seconde proposition. » Des détracteurs, il y en a eu lors de l’invention de ce mot, contraction de « food » et « feeling », inventé à l’aube de l’an 2000 par Rubin et Alexandre Cammas (boss du Fooding avec Marine
Bidaud), qui portait un mouvement fondé sur l’envie d’en découdre avec une gastronomie alors cocardière et poussiéreuse. Le Fooding a, en vrac, inventé le terme de bistronomie (bistrot + gastronomie), libérant une génération de chefs de bistrot, repéré les chefs les plus brillants (Iñaki Aizpitarte, du Chateaubriand, en tête), poussé les cuisiniers à sortir la tête de leurs fourneaux. À force d’audace, ils ont fait bouger les lignes et enfoncé
le clou d’une cuisine devenue un fait pop-culturel autant que la musique, la mode, le design. Ils ont aussi imaginé des fêtes débridées, des pique-niques géants aux recettes reversées à des associations caritatives, noué des partenariats avec des marques – le Fooding est une
entreprise qui a vu Michelin entrer à son capital. Et créé le seul guide de restaurants désembourgeoisé. Si la cuisine française du XXIe siècle est ce qu’elle est, c’est grâce au Fooding, qui a su la faire entrer dans son époque. 20 ans, et toujours mordant. Elvira Masson