Mémoire de fin d’étude Sous la direction de Claire BAILLY Mars 2021 Espace sens cible Peut on percevoir l’espace et concevoir l’architecture en omettant le sens de la vision ? Comment la cécité donne t elle à voir, à percevoir et représenter l ’espace ? Émilie Printemps
2
1
Ensuite, j’aimerai également remercier les personnes qui ont pris le temps d’échanger avec moi sur ce sujet afin de me permettre d’écrire ce mémoire. Un grand merci tout particulier à Louise Michaud pour qui m’a soutenu tout au long de ce premier semestre mais aussi depuis mon entrée en école d’architecture.
REMERCIEMENTS
Je remercie également, ma famille qui est toujours présente pour moi, pour leur soutien inconditionnel et leurs encouragements qui ont été et est d’une grande aide au quotidien.Atoutes ses personnes, je présente mes sincères remerciements, mon respect et ma gratitude.
Tout d’abord, je tiens à remercier ma directrice de mémoire, Claire Bailly, pour l’accompagnement et le soutien qu’elle m’a apporté malgré la distance autant dans la réflexion et le développement que dans l’apport d’une rigueur méthodologique afin de développer un travail enrichissant autant personnellement que professionnellement.
2
3 SOMMAIRE REMERCIEMENTS .................................................................................................. 1 SOMMAIRE ........................................................................................................... - 3AVANT PROPOS .................................................................................................... 5 INTRODUCTION ..................................................................................................... 7 QU’EST-CE QUE LA CECITE, LA MALVOYANCE, ETRE AVEUGLE ? .............................................. - 71. APPREHENDER L’ESPACE SANS LES YEUX : LE CORPS DANS L’ESPACE, UN RECEPTEUR ET PERCEPTEUR SENSORIEL) .................................................................................................. 12 1.1. RECIT D’UN PARCOURS SENSORIEL A L’ENSA (ANCRAGE SENSORIELLE / MEMORISATION DU CORPS) 12 1.2. PERCEPTION SENSORIELLE ..................................................................................... 13 1.3. PHYSIOLOGIE : L’EXPERIENCE DU CORPS ACTEUR PERCEPTIF ......................................... 22 1.4. MOYEN DE COMPENSATION : COMPETENCE SENSORI MOTRICE .................................... 25 2. LE SENS DE L’ESPACE, DE L’ARCHITECTURE (LA PREUVE PAR L’ESPACE) ............................ 32 2.1. DESCRIPTIONS D’UN PROJET VISUEL CONNU 32 2.2. L’ARCHITECTURE, L’ART DE LA VUE 32 2.3. LE PARADOXE D’UNE ARCHITECTURE STATIQUE VISUELLE POUR LES AVEUGLES : UNE ARCHITECTURE « AVEUGLE » 36 2.4. D’UNE ARCHITECTURE RETINIENNE A CELLE DE L’EXPERIENCE : REMISE EN QUESTION ? 41 3. L’ARCHITECTURE DES SENS, DES ESPACES STIMULANTS : UNE CONCEPTION DE L’EXPERIENCE .. 48 3.1. PREMIERE APPROCHE DU RAPPORT DU CORPS AU LIEU : AMBIANCE ET ATMOSPHERE ....... 48 3.2. UNE VISION RAPPROCHEE DU CONTACT DE LA MATERIALITE ......................................... 53
4 3.3. L’INVISIBLE DE L’ESPACE, UN OUTIL DE VARIATION ..................................................... 55 3.4. L’ACCES A L’ASPECT ARCHITECTURAL ....................................................................... 56 CONCLUSION ........................................................................................................... 58 REFLEXIONS CONNEXES DANS LE CADRE DE PFE ....................................................... 60 A UNE ARCHITECTURE COGNITIVE POUR LA STIMULATION D’AGENTS AUTONOMES 60 B INTEGRATIONS DE FACTEURS PHYSIQUES, PHYSIOLOGIQUE ET DE PERSONNALITE 60 C APPORT PLURIDISCIPLINAIRE DE L’ARCHITECTURE : ARCHITECTURE THERAPEUTIQUE ? 60 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 61 TABLES DES ILLUSTRATIONS / FIGURES .................................................................... 64 TABLES DES MATIERES ............................................................................................. 65
Lors du choix de notre orientation, les spécialistes nous orientent vers des professions manuelles comme kinésithérapeute ou boulanger qui relèvent de la pratique du toucher. Moi, je voulais et veux être architecte. Après mon parcours en
5 AVANT PROPOS
En un clin d’œil ! Étudiante en architecture et déficiente visuelle, voici ce qui me singularise. Lycéenne comme beaucoup d’autres qui dévore la vie des yeux, veut découvrir le monde et qui se lance dans de multiples voyages pour comprendre ce qui l’entoure. En décembre 2010, en 72h, mes yeux s’en sont allées, le jour est parti et la nuit s’est installée. La perte de la vue a modifié mon rapport à ce qui m’entoure, à l’espace mais aussi aux autres et à moi même. Où suis je ? A quoi ressemble les personnes qui m’entourent ? Qui suis je ? Comment suis je ? Privée du sens premier, dans une société de l’image, c’est l’incompréhension, la peur qui se dégage. Perdue au milieu de l’on ne sait où.
Un verdict, suite à une bactérie attrapée lors de la tempête Xynthia de 2010, je suis aujourd’hui déficiente visuelle ou malvoyante. J’ai retrouvé avec la rééducation, du temps, et un combat permanent une partie de ma vue, néanmoins selon les termes définis par les scientifiques je suis déficiente visuelle grave c’est à dire que je suis capable d’effectuer des tâches quotidiennes ou des activités en m’appuyant sur ma vision restante mais avec des aides spécifiques pour certaines. Par exemple, je peux lire des textes mais ils doivent être grossis. Suite à un apprentissage particulier je suis autonome aussi bien pour mes déplacements à l’aide d’une canne blanche que pour la réalisation de l’ensemble des tâches quotidiennes que je dois réaliser.
6 école d’architecture j’ai appris à être à la fois étudiante en architecture mais aussi déficienteCependanvisuelle.t,dans ce mémoire, malgré de la distance et de clarté recherchée pour exprimer la perception de l’espace sans perception visuelle, la non vision du visuel, je suis cependant marquée par mon expérience, mon parcours, ma sensibilité qui m’ont amenée à écrire sur ce sujet. Cela représente à la fois une particularité à exploiter mais peut aussi être marqué par un manque d’objectivé.
«
1 SELON
En France, près de 1,7 million de personnes sont atteintes d’un trouble de la vision dont 932 000 malvoyants et 207 000 aveugles »1. Il est donc difficile d’exploiter et de comprendre la multitude de conséquences et enjeux qui y sont liés. Je vais donc dans ce rapport m’attacher à la déficience visuelle similaire à la mienne c’est à dire avec une vision de loin quasi nulle mais avec une possibilité de soutient par la vision proche (inférieur à 50cm de distance), avec distinction lumineuse et potentiellement des couleurs et ainsi que à ma propre expérience de l’apprentissage de la ville. LA FEDERATION DES AVEUGLES ET AMBLYOPES DE FRANCE, ETUDE STATISTIQUE DE L’INSEE, 2000
L’univers, la nature, les autres sont autant de choses que nous apprenons à connaître parce que nous sommes munis de récepteurs et d‘émetteurs. Fruit d’une révolution naturelle de l’homme, notre siècle est un siècle d’images. Qui dit image, dit œil. L’œil, organe le plus subtil et le plus précis à la fois, est devenu un pilier incontournable de notre société.
7
L’homme possède un système visuel performant. Il est capable de percevoir l’environnement dans trois dimensions : gauche / droite, avant / arrière, haut / bas. La rétine, composée de cellules photo réceptrices lui permet d’apprécier les couleurs et les détails dans les conditions de lumière suffisantes. « Les yeux jumelés, parcourent un champ visuel de 180 °. Aussi, 80% des informations reçues sont apportées par l’œil, 14% par l’oreille, 5% par le toucher et seulement 2% l’odorat et la gustation »2 On pense alors que ce sont nos yeux qui voient, mais c’est le cerveau qui est à l’origine de la perception et de la justesse de l’image. Mais les yeux servent surtout à l’orientation, au déplacement, à la reconnaissance ou à la découverte instantanée de l’entourage. L’œil est le lien le plus étroit que l’homme possède pour avoir conscience de lui même et du monde. PAZUR AUBINEAU, 2000. SENTIR POUR VOIR
2 KATARZYNA
INTRODUCTION
Qu’est ce que la cécité, la malvoyance, être aveugle ?
Lorsque survient une défaillance dans ce système de reconnaissance, une partie des informations est perdue. Lorsque l’œil perd en fiabilité, nous perdons en assurance. L’univers, la nature et les autres changent, parce que nous les percevons différemment, et parce qu’ils nous perçoivent différemment.
3 INSTITUT
A partir d’une même situation, on s’aperçoit que les informations peuvent être erronées, et que les restes visuels sont quelques fois insuffisants pour prétendre à un appui unique sur la vision pour comprendre l’espace et se sentir en sécurité. (Figure 1) PARIS EGLANTINE, SUR UNE ETUDE STATISTIQUE DE L’INSEE, 2000 ET OMS, 2015
8
Néanmoins, entre la cécité totale et la vision dite normale, existent des états intermédiaires liés non seulement à l’acuité visuelle, mais aussi la capacité d’adaptation de l’appareil visuel et de la fatigabilité ainsi que de l’individu. A côté de personne totalement aveugles qui représente « 1 français sur 1000 »3 , il en est, les malvoyants qui perçoivent des formes, qui utilisent leurs restes visuels qui représentent eux « 1 français sur 100 »4 . La façon de suppléer son absence, ses défauts ou sa disparition progressive, subite, tardive ou précoce, sont autant d’éléments essentiels à la compréhension. Dans ce mémoire nous nous concentrons sur la déficience visuelle tardive ayant des restes visuels permettant un soutient dans l’approche de l’environnement. Pour comprendre la vision, son défaut et son manque, on peut matérialiser l’image perçue.
9 Figure 1 Simulations des différentes déficiences visuelles ; Captures d'écran de l'application Eye.view
4
Ainsi, une personne malade dans un environnement adapté est une personne valide et à l’inverse une personne valide dans un environnement non accessible est une personne handicapée.
4 OMS, CLASSIFICATION INTERNATIONALE DES HANDICAPS : DEFICIENCES, INCAPACITES ET DESAVANTAGE, 1980.
La notion de handicap est souvent réduite à la description des signes extérieurs visibles : personne en fauteuil roulant, aveugle avec un chien guide… Cette vision réductrice du handicap n’établit pas le rapprochement indispensable entre les déficiences d’une personne et l’environnement physique et social qui l’entoure. En effet, « le handicap est l’aboutissement d’une chaîne de processus qui confronte : une maladie, incluant les accidents, les traumatismes moraux ou physiques, les conséquences des complications de grossesse ou d’accouchement et les malformations congénitales, des incapacités qui sont les difficultés ou les impossibilités à réaliser des actes élémentaires comme se tenir debout, parler, entendre, comprendre… qui résultent en général de plusieurs déficiences. des déficiences qui sont les pertes ou dysfonctionnements des diverses parties du corps ou du cerveau. des désavantages qui désignent les difficultés ou impossibilités que rencontre une personne à remplir les rôles sociaux auxquels elle peut aspirer ou que la société attend d’elle. »
10
Effectivement, dans l’enseignement et la formation d’architecte actuelle, on peut constater l’importance donnée au rendu visuel de la conception à l’importance de l’esthétisme. Une part importante est donnée à la présentation et représentation de l’espace plutôt qu’à une expérimentation, à une perception de celui ci.
Par conséquence, dans un siècle de l’hégémonie de la vue, et l’architecture étant considéré comme une discipline de la visuelle, en l’absence de celle ci quelle dimension prend elle ?
11
Aussi, l’architecture est un moyen qui peuvent favoriser la libre circulation des déficients visuels, à condition d’être conçus et normalisés à cet effet.
S’il faut de la volonté personnelle pour assumer ce handicap, une volonté communautaire forte est nécessaire pour faire le bon choix de matériaux, de signalétique et de conception.
Mais avant d’établir les règles d’organisation, je propose de découvrir quels sont les moyens dont disposent les déficients visuels pour comprendre leur environnement.
S’il on ferme les yeux, l’espace qui nous entoure existe toujours et alors les autres sens prennent la relève. On distingue alors que les espaces se présentent à nous sous d’autre approches. Poser l’exemple d’espaces conçus pour des personnes déficientes visuelles pourrait donc permettre de les penser au delà du visuel, et donc de les enrichir d’une approche sensorielle.
5
Cette mise en situation permet de réfléchir à comment se construit la perception ? Quelles observations, quelles réflexions fait on à partir d'une situation vécue ?
La perception est l’acte dans lequel se forme la représentation d'un objet appréhender6. Étymologiquement, « appréhension », est composée de préhension qui est l'action de prendre de saisir. De cette racine, dérive le terme de 5 RECIT PERSONNELLE, PRESENTATION D’UN ANCRAGE MEMORIEL SENSORIEL 6 CNRTL, CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES TEXTUELLES ET LEXICALES, ETYMOLOGIE DE « APPREHENSION »
12 1. Appréhender l’espace sans les yeux : Le corps dans l’espace, un récepteur et percepteur sensoriel) 1.1. Récit d’un parcours sensoriel à l’ENSA (ancrage sensorielle / mémorisation du Fermezcorps)les yeux et imaginez, vous êtes dans l’escalier principal du hall de l’école d’architecture Paris Val de Seine, vous ressentez une sensation de fraicheur venant du sol mais aussi tout le long de votre côté droit, la pierre, la main courante se trouve juste à côté de vous Un écho profond se diffuse dans l’ensemble de l’espace : c’est le son de l’eau qui s’écoule dans les gouttières métalliques à votre gauche. Derrière vous, une personne de son pas vif donne le tempo, l’impulsion de ses pieds sur le parquet retentit comme le rythme d’une chanson du groupe AC/DC, vous ressentez cette vibration et son pas s’accélère. Un autre rythme se distingue devant vous, moins régulier mais accompagné d’un mouvement de l’air que vous sentez sur votre cou, celui des portes automatiques qui s’ouvrent et se ferment sous le ballet des étudiants entrant et sortant, cela vous indique la sortie. En franchissant la porte bien que vous sentiez l’ombre sur votre visage, une forte luminosité s’ancre sur vos paupières.
Par ailleurs, l'usage latin du sens « action de saisir » fait appel aux fonctions permettant au corps de percevoir ce qui se passe en dehors de lui, grâce aux organes qui commande les 5 sens. « J'ai peur que ma mémoire du monde visible ne s'efface peu à peu, pour être remplacée par un univers abstrait de son odeur et de toucher » 1.2. Perception sensorielle 1.2.1. La hiérarchie des sens
7
Comme pour la déficience visuelle, le comportement d'un bébé dès son plus jeune âge passe par des expérimentations qui lui permettent de progresser. Tous ses sens sont en éveil et transmettent au cerveau des données qui après analyse lui permettent de comprendre correctement l'environnement qui l'entoure Ainsi « durant les premiers mois de sa vie l'œil transmet au cerveau des images pour ainsi dire brut puisqu'elles sont à l'envers. Le haut et le bas sont inversés, et les chaises ont les pieds en hauteur. En se cognant meuble, l'enfant s'aperçoit que les pieds de la CNRTL, CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES TEXTUELLES ET LEXICALES, LEXICOGRAPHIE DE « COMPREHENSION »
13 compréhension qui est la faculté de concevoir et d'être compris7 La compréhension est la caractéristique d'un monde de connaissance intuitif et synthétique qui s'efforce surtout de saisir le sens global contrairement l’appréhension qui est définie comme le fait de percevoir par l'intelligence L’appréhension est caractéristique d'une expérience concrète et notamment celle de la formation par l'expérience, comme l’est celle de déficients visuels dans l’exploration de l’espace.
L’environnement se forme donc au travers d’informations vues, ressenties puis analysées. Or, dans une situation de déficience visuelle, il est nécessaire de comprendre l’importance de la compensation sensorielle par l’ouïe, le toucher, l’odorat et la perception des masses que nous évoquerons successivement afin d’optimiser les capacités qui permettent l’adaptation et la redécouverte de l’environnement sans notre sens premier, la vue. Les capacités sensorielles résiduelles se développent et s’appréhendent avec le temps et l’attention qu’il est nécessaire de leur apporter pour les utiliser pour créer une représentation mentale de l’environnement.
8 K. PAZUR ABINEAU, SENTIR POUR VOIR, DEFICIENCE VISUELLE ET HABITAT 9 K. PAZUR ABINEAU, SENTIR POUR VOIR, DEFICIENCE VISUELLE ET HABITAT
14 chaise ne peuvent être qu'en bas. Son cerveau rectifie alors l'image apporté par ses yeux et la bascule. Les erreurs de la vue sont ainsi corrigées par la vérité du toucher. La vision peut aussi être complétée et affinée par des informations apportées par les autres sens. La fumée sentie par le nez informe d'un feu et les yeux le localise. »8 Ce que le cerveau est capable de faire en bas âge reste à jamais ancré, mais la perte de la vue au cours de sa vie a un impact quant à la compréhension de l'espace dans lequel il vitLa société actuelle, est considéré comme celle de l’hégémonie de la vision puisque tout se présente par le regard et l'apparence. Au delà de l'aspect architectural, un simple regard signifie souvent bien des choses « l'œil devient le lien le plus étroit que l'homme possède pour avoir conscience de lui même et du monde »9 alors que ce lien s’efface ou disparaît, comment fait le corps pour rester intégré dans cette société qui lui devient moins accessible ?
sens par lequel nous percevons les sons, est à l’origine de l’équilibre, de la perception des corps dans l’espace, mais aussi est à la base de la communication sociale qui passe par le langage. En tant que deuxième sens après la vue, l’ouïe est le sens dont l’importance est la plus grande pour interpréter les éléments qui nous entourent. L’enjeux se trouve donc dans l’analyse des sons et dans l’interprétation qui en est effectuée. Deux perceptions dû aux sons sont distinguées. La perception passive basée sur des éléments statiques et dont l’appui sonore est constant. Le son de l’écho sur une façade, une haie, un auvent, un feuillage sont autant d’éléments qui permettent de distinguer l’environnement. Un flux automobile, des voitures qui démarrent au feu vert, l’écoulement de l’eau dans une fontaine sont des éléments mobiles donc la perception est dite active puisqu’ils doivent être analysés et interprétés instantanément. La sensation sonore est alors directement porteuse d’informations comme peut l’être la vue. Entendre ne veut pas dire écouter car l’ouïe est un sens mais l'écoute est un art.
15
L’ouïe,L’ouïe
10 CITATION ANONYME
»10
«
Prenez un instant pour écouter autour de vous ? Y at il de l’écho ? Un silence ? Une mélodie qui se diffuse ? Le chant d’un oiseau ? Le toucher Le toucher est notre rapport premier à l’espace proche. Le sens du toucher est sollicité par le contact de la main, du pied, du corps sur l’environnement immédiat.
Ressentez le sol sous vos pieds : C’est doux ? Rugueux ? Chaud ? Froid ? Mou ? Dur Agréable? peut être ? L’odorat
Le toucher nous informe dans un rapport d’immédiateté et s’interprète selon la sensibilité de chacun selon les conditions extérieures. En l’absence de la vue, en système protecteur, la main, se positionne automatiquement en avant pour détecter les éventuels obstacles. Le toucher par la main joue un rôle protecteur, par le suivi d’une main courante qui va sécuriser le parcours mais également donner une orientation, un sens de déplacement. La main aborde aussi le sens du détail, qui permet la construction d’une image mentale comme par le toucher d’éléments en relief, de maquettes, la lecture de textes en braille. En tant d’extension du corps, la canne blanche permet de détecter les obstacles là où le pied va se poser et où la main n’a pas accès pour permettre une anticipation et une protection nécessaire à la mobilité. Elle est le symbole de l’autonomie mais aussi un marqueur de la différence pour permettre aux autres d’être vigilants. Contrairement aux apparences et comme toute prothèse du corps, l’usage de la canne blanche nécessite un apprentissage enseigné par des instructeurs spécialisés, pour comprendre et faire avec ses limites. En tant que bipède, le pied est notre point de contact avec l’environnement, il nous enracine sur Terre. Chez l’Homme le sens de la marche est une évidence, un moyen élémentaire de se déplacer, or avec une déficience visuelle, le rapport au sol est modifié ce qui change notre dynamique des mouvements. Le pied permet de transmettre des sensations podotactiles pour lire la nature des sols, discerner la nature des revêtements, leurs contrastes éventuels, de jauger la déclivité du sol.
16
17
L’odorat est le sens qui nous permet de percevoir les odeurs, très développé chez le nouveau né, capable de distinguer l’odeur de ses parents, il est secondaire et est perturbé par de nombreux facteurs chez l’adulte, comme l’atmosphère qui change complètement sa perception. C’est pourtant un élément important pour l’identification de lieu et d’ambiance. Les parfums sont volatiles et donc moins fiables dans la précision mais il détermine des zones comme celle d’une boulangerie, d’une bouche de métro, ou de la lavande à certaines saisons. « L’odorat, le matériau aide mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde »11 .
Nous sommes tous capables de nous souvenir du parfum qui embaumait la maison de nos grands parents, d’identifier l’odeur unique de nos parents que l’on retrouve dans un de leurs vêtements ou dans une pièce.
La perception des masses
Elle n’est pas considérée comme un sixième sens, mais la perception des masses est un facteur sensoriel à ne pas oublier. Il est même le plus développé pour les personnes déficientes visuelles puisqu’il est la capacité à ressentir la présence d’une masse plus ou moins importante comme un mur, une colonne, un auvent, ou encore un banc, un abri bus. La perception dépend des conditions propres à la personne (sa fatigue, sa réceptivité) et des conditions ambiantes (calme, bruyant…). Le développement de cette capacité se développe jusqu’à l’identification d’une matérialité, une paroi vitrée et une paroi en bois ne provoquant pas les mêmes sensations. HUGO, LES MISERABLES
11 VICTOR
! » 12
18 «
La compensation de la déficience visuelle repose donc sur l’utilisation et le développement maximal des autres perceptions sensorielles que nous venons d’évoquer. Néanmoins, cela doit s’apprendre : se repérer avec des moyens nouveaux, de nouvelles capacités, et de développer des stratégies de locomotion et d’appréhension de l’espace.
12 CITATION ANONYME
En tant que voyant, nous priorisons le sens de la vie, et négligeons souvent, l’ouïe, l’odorat et le toucher. Pourtant, bien que nous n'y prêtions pas attention et qu'il nous semble souvent que la sollicitation de préférence un seul sens, toutes les activités de la vie quotidienne stimule plusieurs sens. Les échanges entre individu et son environnement associent différentes perceptions. Lors d’une simple promenade, bien que nous admirions le paysage, notre ouïe, reste attentive au bruit de la nature et de l’environnement qui pourrait représenter un danger.
La vue, le toucher, l'ouïe, l'odorat, le goût... ne font qu'un seul et unique sens... le plaisir
En effet, la vision joue un rôle considérable dans la prise d'information sur le monde environnant, l'œil captant les informations à distance. C'est un organe complexe qui apporte une grande quantité d'informations à un moment donné. Il permet une perception simultanée des objets, et de ses multiples détails. C'est cette simultanéité de l'approche visuelle qui facilitent l'anticipation, la préparation à l'action et assurent ainsi une précision du mouvement.
Certains sens ont accès aux mêmes propriétés des objets et se coordonnent, se combinent ou se suppléante. Par exemple, la vision et le toucher renseigne sur la forme et la texture. D'autres sens tels que la vision et l'ouïe se rapporte à l'espace plus lointain. Ainsi E.T Hall13 , aborde sur la notion de distance qui fait intervenir les sens des individus « L’appareil sensoriel de l'homme comporte deux catégories de récepteurs que l'on définira schématiquement comme : les récepteurs à distance, qui s'attachent aux objets éloignés et qui sont les yeux, les oreilles et le nez les récepteurs média qui explorent le monde proche par le toucher grâce aux sensations que nous livre la peau et les muscles. »14
19
13 EDWARD T. HALL EST UN ANTHROPOLOGUE AMERICAIN, AUTEUR DE « LA DIMENSION CACHEE » DANS LEQUEL IL ABORDE LA PERCEPTION CULTURELLE14EDWARD T. HALL, LA DIMENSION CACHEE 15 CHOTTIN M., PHILOSOPHE ET AVEUGLE L’AVEUGLE ET LE PHILOSOPHE, OU COMMENT LA CECITE DONNE A PENSER
Cette distinction de récepteurs sensoriels permet de comprendre la nécessité de combiner les sens pour appréhender et comprendre l’environnement. Néanmoins, la perception de l'espace n'implique pas seulement ce qui peut être perçu mais aussi ce qui peut être éliminé.
Bien que celle ci ne soit pas explicite, il semblerait que donc qu'il y ait une hiérarchie des sens dans notre approche de l’environnement. 1.2.2. Combinaisons des sens
16CHOTTIN M., EXTRAIT DE L’AVEUGLE ET LE PHILOSOPHE, OU COMMENT LA CECITE DONNE A PENSER
Un sens ne peut donc se substituer à une autre, car chacun d'eux traite d’informations qui lui sont propres. Marion Chottin15 met en avant à travers la théorie de Molyneux, l'enjeu de la vue, en contrepoint de l'acquisition d'informations sans la vue
« La supposition de Molyneux consiste en effet à produire les conditions d'une vision originelle, apurée d'une interaction avec le toucher, afin de déterminer si l’idée tactilement acquise ressemble aux idées visuellement acquises. Selon lui en effet, l'aveugle né ne sera pas capable de reconnaître les objets placer devant lui. »16
20
La vue n'est sensible que la lumière, le toucher ne réagit que la pression et à la température, l’ouïe ne détecte que les ondes sonores et enfin le goût et l'odorat réagis seulement à des molécules chimiques. Une certaine polyvalence et interaction sensorielle semblent être indispensables pour percevoir la complexité de l'environnement. Pourtant comment attribuer à l'environnement une stabilité, sachant que les systèmes sensoriels ne captent que des aspects partielles et spécifiques des objets et des espaces ?
21
Pour matérialiser cette définition il est possible de s'imaginer que à la vue d'un rayon de soleil, notre œil est ébloui. Suite à la réception de cette information extérieure notre corps va réagir soit en fermant les yeux légèrement ou complètement soit en orientant le regard dans une autre direction, plus adaptée à l'organe
L'explorationrécepteur.physique
de l'espace répond à deux enjeux, les sensations apportées par le mouvement du corps la kinesthésie sont essentielles à l'acquisition d'informations sur l'environnement et la mobilité est une composante de la liberté individuelle du sujet. De là, une part importante est donnée au pied et donc déplacement. Comment la possibilité d'interpréter l'environnement influera sur la mobilité ou plutôt sur la liberté d'aller et venir ?
1.2.3. Position d’acteur vs spectateur
L'être humain a la capacité d'avoir un état de conscience du monde qui l'entoure. Les différents sens nous permettent de nous situer dans un contexte et une temporalité. Ils sont à l'origine de la perception de notre environnement. Un sens est une fonction physiologique apportant des informations du monde extérieur à notre cerveau afin de les rendre conscientes. Les sensations sont issues de stimulation des différents récepteurs de notre corps. Elles assurent un contact avec le monde extérieur et permettent de communiquer ou de produire des réponses adaptées, réflexe ou consciente par exemple des mouvements. ????
22 1.3. Physiologie : l’expérience du corps acteur perceptif
L'expérimentation et l'ensemble des moyens et procédures de contrôle destiné à vérifier une hypothèse ou une théorie, en la confrontant à des faits. L'expérience permet ainsi de construire un corpus de connaissances Pour les personnes qui ne bénéficient pas de la vue, les conditions de cette acquisition de connaissances présente des particularités. Depuis toujours, l’homme aborde son environnement par tous ses sens. La réception des sens et leur traitement crée ce qu’on appelle la « perception ». La perception est donc l’acte ou le résultat de la prise de conscience d’informations qui nous entourent. 1.3.1. Le mouvement : expérience de déplacement, de mobilité La locomotion est un ensemble de techniques permettant à une personne déficiente visuelle de se déplacer avec un maximum de sécurité, à l'intérieur ou à l'extérieur, de façon autonome ou guidée et cela dans un lieu connu ou inconnu. Pour cela d’apprendre des stratégies de locomotion qui permettent d'améliorer l’autonomie de déplacement dans le cadre de rééducation fonctionnelle. Antoinette Berveiller17 dans sa définition de la locomotion met en avant l'importance de l'expérience par le déplacement « Communiquer, c'est d'abord se déplacer : permettre à toute personne aveugle de se déplacer de façon autonome en dépit de son handicap, tel est le but de la locomotion, discipline relativement récente qui vise à donner une grande autonomie COMMENT VIVRE AVEC UN AVEUGLE DE LA NAISSANCE AU 4EME AGE
17 ANTOINETTE BERVEILLER,
La locomotion, permet une faculté d'adaptation à l'environnement dans le déplacement qui sera propre à chaque individu. Se déplacer en ville est alors un processus complexe, qui nécessitent une série d'opérations qui intègre la préparation du déplacement, la navigation, la perception de l'environnement, l'identification des obstacles, des interactions avec d’autres passants, l'accès à des information divers.
Le guide Les besoins des personnes déficientes visuelles met en avant la question de l'autonomie dans le déplacement, par l'utilisation de termes sur le ressenti et les émotions«Ainsi les malvoyants ressentent fortement le besoin d'être rassuré, voir réassurer » (…) « c'est la personne déficiente visuelle qui prend le guide par le coude se positionnant un peu en arrière afin de ressentir très précisément et par 18 ANTOINETTE BERVEILLER, JOURNALISTE ET AUTEUR DE COMMENT VIVRE AVEC UN AVEUGLE DE LA NAISSANCE AU 4EME AGE 19 MONIQUE BELANGER, AUTEUR DE UN MALVOYANT OUVRE LES YEUX D’UNE VOYANTE
23 à l'enfant et à l'adulte qu'il deviendra. La locomotion est aussi une aide pour comprendre l'espace qui l'entoure. Elle fait appel à la mémoire, à l'intuition et à la concentration »18
La marche est une expérience de traversée d'un territoire composé d'éléments de nature différents, composite, agencé de manière hétérogène
De manière plus générale, un espace que l’on appréhende par la marche, s’inscrive progressivement dans le corps. C'est ainsi que l'exprime Monique Bélanger19 : « pour les déplacements, en plus de l'odorat et du toucher, vous vous serviez beaucoup de votre ouïe, et puis, vous travaillerai la représentation mentale ainsi que la mémorisation de la situation des objets, édifices et rues ; vous apprendrez aussi à vous servir de tout votre corps, à vous positionner dans l'espace »
20 CONFEDERATION FRANÇAISE POUR LA PROMOTION SOCIALE DES AVEUGLES ET AMBLYOPE, LES BESOINS DES PERSONNES DEFICIENTES VISUELLES, ACCES A LA VOIRIE ET AU CADRE BATI (EDITION JUILLET 2010)
Il s'agit de comprendre comment et si les personnes aveugles malvoyants, ont accès à la qualité de la vie en ville : flâner, connaître l'architecture, déambuler, c'est à dire aller sans but précis fait son apparition et appelle à la promenade 1.3.2. Projection du corps : position de spectateur
Quel est donc la place pour le corps d’être spectateur de l’environnement ?
24 anticipation » (…) « un espace c'est compréhensible quand il intègre des éléments de localisation de repérage et d'orientation »20 Se déplacer n'est donc pas seulement d'aller d'un point à un autre de manière utilitaire
Par ailleurs, la peur est une émotion d'anticipation elles informent l'organisme d'un danger potentiel. Ce n'est pas ce qui se produit dans le présent qui représente un danger, mais ce qui pourrait subvenir dans un avenir plus ou moins rapproché.
Une difficulté qui nous semble essentielle est que la personne aveugle vit dans un monde sonore et tactile pour affronter l'inconnu, le monde visuel, le monde de l'espace. « J’avance à tâtons » Indique l'idée d'un besoin de se rassurer, de vérifier avant d'agir. Ce pose la question de la détente Comme il a pu être constaté précédemment, les personnes déficientes visuelles doivent analyser chacun des obstacles, et sont contraints à une vigilance constante.
25
21 CRUNELLE
Apprendre à se déplacer dans un environnement, particulièrement en milieu urbain M., THESE L’EXPLORATION DE LA FONCTION TACTILE EN ARCHITECTURE
Parmi les sens, la vue et le toucher se différencie de l'ouïe, de l'odorat et du goût par la position active qu'il donne à l'Homme. En effet, les trois derniers sens cités place les individus principalement en tant que spectateur de leur environnement Ils font essentiellement appel à l'inconscient sensoriel permettant une mise en contexte du corps On peut faire abstraction du visuel en faisant semblant de ne pas avoir vu quelque chose ou en restant à distance En revanche, on peut difficilement éviter une odeur ou un son Ils nous atteignent sans prévenir. La vue concerne observateur seul alors que l'ouïe et l'odorat sont partagés entre plusieurs individus et nous mette en relation.«Lavue isole, alors que le son rapproche ; la vision est directionnelle alors que le son est omnidirectionnel. L’œil attends mais l'oreille reçoit. »21
Après la perte du sens visuel, l’ensemble des pratiques quotidiennes doivent être réapprises et en particulier la locomotion pour permettre aux personnes de retrouver leur autonomie et de favoriser leur intégration sociale. La locomotion est la faculté des êtres vivants à se déplacer, or cette faculté demande pour les déficients visuels un apprentissage spécifique et un enseignement individualisé. C’est à ce moment qu’intervient l’instructeur en locomotion qui a pour rôle de développer l’aspect sensori moteur (latéralisation, équilibre, développement des autres sens), l’aspect cognitif (mémoire, concentration, déduction) et psycho affectif (image de soi, confiance en soi, maitrise des émotions, motivation, dépassement du handicap).
1.4. Moyen de compensation : compétence sensori motrice 1.4.1. Mémoriser, sélectionner, géométriser, morceler
26 mais aussi en intérieur, nécessite de connaître et de comprendre ce qui fait la ville ou le bâti et son appréhension sans la vision. Comme nous l’avons vu précédemment, le parcours en ville pour les personnes déficientes visuelles est ainsi inscrit dans notre corps même, au terme d'une série d’anticipations motrices et mentales particulières qui sont : mémoriser, sélectionner, géométriser, morceler.
ToutMémorisertrajet
piétonnier sans la vision en ville nécessite d'être préalablement mémorisé. Trois trajets particuliers sont concernés : le trajet domicile / commerces, le trajet domicile / lieu de travail et enfin le trajet domicile / lieux de loisirs. Le protocole de la mémorisation est alors invariable. Les parcours sont effectués, sur le mode de la déambulation urbaine, en compagnie d’un instructeur. Les itinéraires choisis sont courts pour permettre une reconnaissance en contexte du schéma général du trajet. Sont alors mémorisées les points de départ et d'arrivée du parcours, ainsi que les axes centraux qui les jalonnent. La mémorisation du parcours requiert une acuité sensorielle particulière, pour que le trajet s’inscrive outre dans la mémoire mais dans le corps. Un détour, un arrêt, une ligne droite, une traversée sont autant d’éléments qui modifient l’allure et l’attitude. Le corps se penche, s'arque, stoppe, déambule jusqu'à imprimer en lui les méandres du parcours. La mémoire de l'expérience du parcours in situ est la condition première d'un cheminement autonome du déficient visuel en ville. Sélectionner La sélection est à comprendre encore comme une activité d'anticipation des déplacements. L’objectif reste identique pour assurer la normalité d'une conduite
27 motrice en ville. Un classement des lieux urbains est réalisé comme participant ou non à la possibilité de locomotion sans vision. A l’inverse de l’idée reçue, les rues piétonnes, les places publiques ou galeries commerçantes sont autant de lieux évités et délaissés par les déficients visuels. Ils représentent des espaces de confusion marqués par une absence de repères, de marquage au sol qui rendent la déambulation hésitante. A contrario, les espaces avec des axes comme des boulevards, des avenues, ou rues passantes, permettent de manière générale de former un repère notamment auditif permettant de garantir la rectitude du déplacement. Les différentes particularités des trajets, sont alors des repères qui, ajoutés les uns aux autres, construisent un schéma mental qui s’adapte selon l’évolution de l’environnement (véhicules mal stationnés, obstacles mobiles, mobilier, pluie, vent, bruit ambiant…).
LesGéométriserstratégies précédentes se référant à une volonté d'anticipation des déplacements. La géométrisation doit être pratiquée dans l'espace durant le parcours pour être maitrisée. Elle prend forme d'abord dans le choix de la ligne droite comme condition sine qua non de tout parcours. L'enchaînement des lieux au cours du déplacement se fait par la recherche de l'angle droit. La géométrisation se fonde aussi sur la représentation mentale, ce qui signifie que les trajets effectués se découpent en espaces répondant à des figures simples comme le L ou le U. Autrement dit, le cheminement s’effectue selon un enchaînement particulier de lignes droites, celles ci, mémorisées lors des trajets de reconnaissance. Elle fonctionne une fois encore sur le repérage puis la mémorisation de repères propres à l'environnement construit et à l'aménagement urbain.
Ainsi, lors d’un cheminement sur le bord droit du trottoir, son corps se projette vivement vers les façades. En plaçant l'extrémité de la canne le long de celle ci, elle décrit alors lentement un angle droit qui l'aidera à passer d'une rue à une autre. 22
À tout moment de sa vie (déménagement, changement de travail, ...) une personne déficiente visuelle autonome peut avoir besoin d’apprendre à se déplacer dans un nouvel environnement.
Néanmoins ces différentes opérations montrent que la relation des personnes déficientes visuelles à l'espace construit, n'est ni une relation de dépendance, ni une relation de neutralité. Le parcours piétonnier pour les déficients visuels s'inscrit dans une logique dynamique d'action anticipées où le corps s'affranchit de ses maux et où l’aménagement et l’urbain expriment toutes leurs spécificités à travers une multi sensorialité.
28
SeMorcelermouvoir avec une déficience visuelle nécessite une reconnaissance des axes de référence jalonnant le parcours, ainsi que la localisation d'un point d'arrivée en termes de distance. Le morcellement consiste à découper le trajet en différents tronçons à cheminer. La distance totale du parcours est appréhendée par la somme des tronçons franchis. L’enchaînement de tronçons étant scindé par les passages piétons et / ou par la traversée de rues ou autres éléments fixes comme un kiosque par exemple. Une particularité de la locomotion sans vision est donc la nécessité de séquentialiser. Le trajet obéit donc à des règles d'organisation et réalisation précises.
22 NARRATION PERSONNELLE
29
L'expérience des personnes déficientes visuelle indique que le corps se souvient des gestes et des lieux, que les informations données à la mémoire par les différents sens vont peu à peu se développer. Le système nerveux et l'intelligence mobilise les capacités d'adaptation de chacun, l'apprentissage et au cœur du vécu. Cela signifie et illustre le besoin de pratique, de l’expérimentation et de l’écoute sensoriel pour ne pas perdre l'assurance acquise par des habitudes. Mais pour acquérir les données, l'important c'est d'avoir accès à l'information.
1.4.2. Connaissance et habitudes
La navigation se réfère aux techniques précédemment évoquées qui permettent de connaître sa position par rapport à un point déterminé, tout autant qu’à un déplacement fluide sur une grande étendue. Le fait de prendre des repères, d'acquérir des connaissances suffisantes pour que les habitudes s’ancrent dans le corps et prennent le pas sur la crainte de l'inconnu et de l'erreur et permet de constituer, un cadre de vie liée aux besoins. Le but est de pouvoir circuler sans chercher son chemin, seulement le penser, mémoriser.
1.4.3. « Cartographier », le rôle des émotions dans la constitution d’images
La notion de « carte mentale » apporte une précision sur l'acquisition de données topographiques. Pour que la personne déficiente visuelle puisse établir une carte mentale des lieux des explications précises sont nécessaires. La vue d'un aperçu synthétique et globale d'un lieu, une connaissance rapide et surtout à distance. C'est en fait une mémorisation des mouvements physiques mais aussi intellectuel ou émotionnel qui s'opère qui permet de cartographier une situation
23 met en évidence l'importance des sentiments, des ressentis avec notre environnement proche Il note l'importance des réactions émotionnelles par lequel nous répondons à des objets et à des événements variés. Il pose alors la question des interactions émotionnelles entre nous et les objets qui nous entourent ?
Les images que nous avons dans notre esprit sont dans le résultat des interactions qui ont lieu entre nous et les objets qui engagent notre organisme, en tant quels sont écartés dans des structures neurales construite selon la configuration de l'organisme »
Il décrit la manière dont les émotions interviennent pour nous faire voir et comprendre les choses, mais aussi réagir face à elle Le sentiment permet de créer
23 ANTONIO ROSA DAMASIO, MEDECIN, PROFESSEUR DE NEUROLOGIE, NEUROSCIENCE ET PSYCHOLOGIE, 24 A.R DAMASIO, SPINOZA AVAIT RAISON JOIE ET TRISTESSE, LE CERVEAU DES EMOTIONS 25 A.R DAMASIO, SPINOZA AVAIT RAISON JOIE ET TRISTESSE, LE CERVEAU DES EMOTIONS
24 Selon lui, nos organes sont commandés par des réflexes de base, déclenchés par des stimuli « Les réflexes de base Ils incluent le réflexe d'arrêt, que les organismes déploient en réaction à un bruit, un contact tactile ou en tant que tropismes qui éloignent l'organisme d'une chaleur ou d’un froid extrême, qui l’écarte de l'obscurité et qui l'attire vers la lumière.
A.R Damasio
«
Les personnes arrivent à se positionner dans l'espace, a activé leur mémoire musculaire d'où l'importance de la prise de conscience de leur corps dans l'espace La notion de repère renforce l'idée d'une nécessité de l'apprentissage de la sensorialité pour se former à une représentation de son environnement
25
30
»
31 une représentation mentale d'un fait, d'une réalité, de constituer une image propre à soi.Un sentiment de « déjà vu » exprime un souvenir qui, plus ou moins estompé par le temps, est présente dans une banque d’« images » mentales. Un aveugle de naissance aura donc plus de difficulté à se situer dans l'espace, à imaginer un plan de quartier ou l'architecture d'un immeuble. « J'ai regardé le monde très attentivement, et je continue. Oui je le regarde encore. La perception et en autre, mais toujours visuelle. »26
Les singularités des personnes atteintes de déficiences visuelles dans la manière d’appréhender leur environnement, ont été abordées notamment à travers la compréhension de leur expérience de l’environnement et la mise en valeur de compétences. Cette approche sensible de l'espace faite d'expériences sensorielles, émotionnel, factuel, amène à interroger la manière dont l’architecture se donne à lire et à comprendre à être perçue.
26 MERLEAU PONTY, PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION
32 2. Le sens de l’espace, de l’architecture (la preuve par l’espace)
En outre « l’opinion que la plupart des personnes se font d’une architecture ne se fonde pas sur l’intérieur ou sur l’expérience mais d’abord sur l’aspect extérieur. Il faut être un utilisateur potentiel pour se pencher avec attention sur le dedans d’une construction. C’est l’image extérieure qui compte à leurs yeux et les crédits qu’il débloque ne concerne qu’elle est fort peu l’intérieur.
2.2. L’architecture, l’art de la vue « L’architecture, elle aussi en mutation, devient désormais un vecteur d’image à l’écho non négligeable, une composante d’image institutionnelle complémentaire des techniques plus traditionnelles de communication pour l’entreprise
2.1. Descriptions d’un projet visuel connu « Frank Gehry, c’est un architecte sculpteur. Un style unique, reconnaissable immédiatement, qui transforme instantanément chacune de ses créations en œuvre architecturale unique. [A propos de La Fondation Louis Vuitton, à Paris] Frank Gehry puise son inspiration dans les structures de verre du Grand Palais. Il crée douze voiles de verre translucide, comme gonflées par le vent. Les structures de verre enveloppent l’iceberg, une structure faire de 19000 panneaux de béton blanc tous différents pour créer un motif en tremblement de terre. »
»27
27 N. YVES, ARCHITECTURE ET IMAGES D’ENTREPRISES, NOUVELLES IDENTITE
La conception pour les non voyants ainsi pourrait signifier un processus différent de conception des espaces. Dans le cas la conception pour les personnes atteintes de déficience visuelle, le problème à résoudre et non seulement de fournir l’information spatiale par des sources non visuel mais aussi d’examiner les éléments qui puisse augmenter la sensorialité de l’espace. La conception spatiale pour les non voyants signifie donc d’interroger les concepts spatiaux dominant de l’architecture de nos jours. 2.2.1. Suprématie / Hégémonie de la vision
La vue est le sens qui permet d’observer et d’analyser l’environnement. De toutes nos organes sensoriels, la vision reste la source majeure d’information de l’être humain. Nous avons vu que 80 % des informations qui nous viennent de notre environnement nous parviennent à travers la vue.
L’architecture est avant tout est une « discipline » vécue. Mais le développement qu’a connu l’image au niveau de la conception, de la formation et de la représentation de l’architecture a conduit à un centrisme oculaire. Et donc une négligence des sens corporelles qui interagissent avec elle. Et si le paramètre visuel sortait de l’équation, l’architecture aurait t elle plus d’effet sur le corps humain ?
C’est ainsi que la démarche du projet architectural oscille entre l’étude de l’enveloppe extérieure et la recherche d’une image forte, et ce à des degrés variables en fonction de la vocation de l’édifice en question.
33
Nous pensons l’architecture en tant que discipline visuelle, mais la vision est juste un de nos sens passion. Et si la vue sortez de l’équation, l’architecture serait elle aussi engageante ? Si on pousse la théorie un peu plus loin que ce serait ces espaces qui valorisent tous les sens sauf celui de la vue ? Des espaces pour non voyant. 2.2.3. La représentation architecturale La représentation architecturale a bien évidemment été directement influencée par l’évolution de la communication. Celle ci allant d’une représentation perspective de l’espace faite à la main, vers une représentation graphique de plans, de façades et de coupes au crayon jusqu’à arriver à celle reprise par des moyens numériques ou électroniques.
34
Toutefois, le fait de mettre en valeur le sens de la vue dans notre culture actuelle affaiblit le sens de la matérialité et l’expérience d’architecture en général.
En conséquence, en architecture, la vue reste le sens le plus utilisé. En témoigne par certains ouvrages comme « L’apprentissage du regard » de B. Donnadieu28 et D. Spinetta29 est « Apprendre avoir architecture » B Zevi30 2.2.2. La conception architecturale
28 BRIGITTE DONNADIEU, ARCHITECTE, ENSEIGNANTE DE LA THEORIE DE L’ARCHITECTURE 29 DOMINIQUE SPINETTA, ARCHITECTE, CREATEUR DE UP6 (ÉCOLE PARIS LA VILLETTE), ENSEIGNANT DE LA THEORIE DE L’ARCHITECTURE 30 BRUNO ZEVI, ARCHITECTE, HISTOREEN DE L’ART, THEORICIEN DE L’ARCHITECTURE
La géométrie est évidemment la technique la plus fréquente de représentation architecture. Il du mode de représentation « officiel » notamment des éléments mentionnés dans un dossier d’exécution pour les travaux de constructions : plans, coupes et façades. Généralement le dessin du plan vient en premier, ainsi, le tracé des façades et des coupes vient par la suite. La géométrie permet également d’obtenir un mode de figuration à partir de projections perspectives et axonométriques. Il existe différentes sortes de perspectives, d’axonométries et de méthodes pour les obtenir. Les projections perspectives ont pour but de simuler ce l’œil d’une personne peut voir d’un objet.
On constate donc que la plupart des modes de représentation se basent sur l’outil visuel. Seule la maquette exige une dimension matérielle de la solution architecturale mais même celle ci laisse de plus en plus ça place à une représentation tridimensionnelle numérique et donc dématérialisé.
35
Ainsi l’évolution des outils de la communication prend en grande partie la responsabilité de l’évolution oculaire de la figuration architecturale. La question qui se pose alors est comment peut on réorienter le développement de ces modes de représentation ? Et ainsi comment est ce que la figuration architecturale peut influencer notre perception de l’espace architectural ? 2.2.4. La perte de sensibilité de la société
Au cours de l’histoire et suivant les différents courants architecturaux, l’espace architectural s’est délaissé de la sensibilité spatiale. En effet que ce soit au niveau du
fonctionnalisme qui réduit au plan, exigeant une application opérationnelle, ou au formalisme où se substitue progressivement à l’agencement intérieur le culte de la forme, ou encore le structuralisme ou la primauté fut consacrée au système constructif, tous ses principes du mouvement moderne se sont préoccupés du message transmis à travers l’architecture 2.3. Le paradoxe d’une architecture statique visuelle pour les aveugles : une architecture « aveugle » 2.3.1. Paradoxe de l’accessibilité pour tous Devenu obligatoire par la loi du 11 février 2005, la réglementation concernant l'accessibilité aux personnes atteintes de handicap est aujourd'hui une préoccupation importante des concepteurs d'espace. Cependant lorsque l'on parle d'accès aux bâtiments aux personnes handicapées, nous imaginons bien trop souvent que la construction d'une rampe, d'un plancher incliné ou d'un ascenseur est une condition suffisante pour faciliter la vie du plus grand nombre. Forcé de constater l'inégalité des handicaps en matière d'accessibilité. Le handicap moteur, qui que ce, et, à tort, bien plus connu et considéré que les autres. Il n'est pas question de dénigrer l'importance des préoccupations du handicap moteur mais bien de rappeler que le handicap ne peut et ne doit pas être réduit à ce dernier. Le handicap visuel comme d'autres tels que la surdité ou le handicap mental doit être au cœur du processus de création d'espace
36
L'exemple de Fallingwater de F.L. Wright illustre bien ce propos. En effet, nous connaissons tous ce projet architectural surplombant la cascade de la rivière Bear Run. Mais nous sommes nous déjà interrogé sur les gênes occasionnées par le bruit perpétuel des chutes d'eau pour l'habitant ?
Le domaine de l'architecture est un bon exemple des difficultés rencontrées aujourd’hui par un public atteint de cécité. Dans une époque d'hégémonie visuelle, il est nécessaire de se demander, quelle place est offerte au public non voyant En effet, les espaces construits sont majoritairement mis en scène pour être vue. Les informations relatives à nos autres sens sont rarement prises en compte Or l'architecture est et doit rester une expérience sensorielle complète. Outre dans sa conception, la communication et la représentation de l'architecture et plus généralement de la culture est également bien trop raccourci au seul sens de la vue.
37
En plus de prendre le risque de perdre le contexte dans lequel un édifice a été créé, réduire l'architecture au simple usage de nos yeux est un frein important pour les personnes déficientes visuelle et nui a leur quotidien et à leur indépendance Être autonome dans ses déplacements et dans la gestion de sa vie quotidienne, voilà le rêve d'une personne atteinte de cécité visuelle mais aussi un des fondements de l’inclusion de tous.
La conception d'espaces pour les personnes ayant une déficience visuelle est une question importante lorsqu'il s'agit de parler d'accessibilité. Les architectes qui adoptent les principes de la conception universelle comprennent que les besoins d'un client aveugle sont les mêmes que les autres mais que les stratégies de mise en pratique seront différentes.
L'accessibilité consiste à permettre la compréhension d'un espace pour se situer et à rendre disponibles des informations. Un espace est compréhensible quand il intègre des éléments de localisation, de repérage et d’orientation. Dans tout déplacement, il est nécessaire de localiser la zone où l'on se trouve, puis de se repérer dans un espace plus restreint afin de s'orienter dans la direction souhaitée. Ainsi, l'interprétation de l'environnement, les dangers et types d'usages doivent être discernables au moyen de contrastes tactiles (matériaux, déclivités) ou visuels (couleurs, éclairages). Les personnes malvoyantes interprètent ces données pour se déplacer librement, en fonction de leurs centres d'intérêt, de leur mesure du risque et de leur degré 31 CNRTL, ÉTYMOLOGIE DE « ACCESSIBILITE » 32 CONFEDERATION FRANÇAISE POUR LA PROMOTION SOCIALE DES AVEUGLES ET AMBLYOPES
38
Dans le champ de l'urbanisme, la notion d'accessibilité réfère à un principe d'ouverture physique des espaces et de structuration de l'offre de transport : le cadre bâti est accessible, et donc public, lorsqu'il permet la libre circulation des hommes.
Sous l'angle de la déficience visuelle, dont on sait que les conséquences varient selon chaque individu, la CFPSAA32 propose une définition de l'accessibilité. Les notions de sécurité et de confort d'usage sont intimement liées à l'approche de l'information ou de l'environnement pour les personnes déficientes visuelles.
Cette acceptation s'apparente à la définition usuelle du terme : accessibilité, « de accedere, approcher, où l'on peut accéder, qui est ouvert ou sensible à quelque chose, qui ne présente pas d'obstacles et qui est à la portée de quelqu'un »31 2.3.2. Notion d’autonomie / de dépendance
Le principe d'une accessibilité généralisée, introduit le principe de l'égalité des chances pour tous. Et cette loi est complétée par le décret ministériel du 17 mai 2006 pour les ERP33 .
La première relève plus de la mobilité de la circulation au sein d'un espace donné.
Au regard de la loi, un espace est considéré comme « assez » accessible lorsqu'il permet aux personnes présentant une déficience, de circuler en pleine autonomie, d'accéder aux locaux et aux équipements, d'utiliser les équipements, de se repérer, de communiquer et de bénéficier de prestations en vue desquelles l'établissement où l'installation a été conçu.
Quels sont les moyens à mettre en place pour faciliter le déplacement d’une personne déficiente visuelle ? La deuxième relève d’une socialisation, de la participation et l’intégration à la vie collective. Les deux types d’accessibilités tendent à permettre le « bien être » dans l’espace.
39 d'autonomie. Pour cela il est nécessaire d’oser dépasser la seule approche visuelle dans la conception de projets.
Des moyens techniques et humains sont donc à mettre en œuvre pour permettre à toute personne en situation de handicap de se déplacer, et d'avoir la possibilité de participer pleinement à la vie collective.
33 ÉTABLISSEMENT RECEVANT DU PUBLIC
Au travers de cette définition légale, il convient de dissocier deux types d'accessibilité différentes à prendre en compte pour le handicap visuel
Il est en effet difficile de transmettre les autres sensations de façon étendue au public Elles n'auraient d'ailleurs pas d'intérêt à l'être puisqu'elles sont relatives à une certaine proximité avec chaque individu, et que chacun va les ressentir différemment.
40 2.3.3. La place du ressenti, de l’émotion, des sentiments
Effectivement une part d’interprétation plus importante se trouverait entre les intentions du concepteur et le ressenti du récepteur Les sensations souhaitées par l'architecte ne seront peut être pas perçues de la même manière par les personnes pratiquant l'espace concerné. Elles dépendront de la sensibilité, de l'expérience et de l'état d'âme de chacun. Les sensations provoquées par un espace sont liées au passé individuel Elles peuvent tout aussi bien être angoissante qu'agréable selon les personnes. Mais un des intérêts principaux de l'architecture reste particulièrement lié à la notion de confort relative aux différents sens Néanmoins de dit on pas aussi du sens de la vue « que la beauté dépend des yeux qui la regarde ».
Chaque espace architectural possède la capacité de générer des sensations à des intensité plus ou moins importante de façon intentionnel ou non, par l’intermédiaire de différents facteurs au dispositif. Cependant, dans le monde architectural actuelle, l'importance de ces sensations et parfois oublié. Comme nous l’avons vu un seul sens est généralement privilégié, celui de la vue, car il permet de véhiculer rapidement et facilement l'objet d'un projet architectural ou même d'un objet de consommation, et ce, avant même qu'il existe. Le sens de la vision permet de communiquer facilement au grand public notamment grâce, la couverture qu’assure les écrans de nos jours, contrairement aux autres sens qui n'ont pas de moyen similaire pour être diffusée.
La relation entre l'architecture et le corps humain a évidemment une longue histoire. Et les questions qui se posent lors de l'exploration de cette relation sont plus que simplement de trouver les dimensions et les emplacements appropriés dans l'espace architectural pour "accommoder" une personne et ses comportements en son sein. La relation entre l'architecture et le corps humain approfondit la raison pour laquelle ces comportements se manifestent en premier lieu, car elle fait appel aux caractéristiques et aux qualités expérientielles qui s'éveillent lorsque les deux s'unissent impactant non seulement sur le comportement des occupants à travers le corps, mais aussi sur les occupants intellectuellement, émotionnellement, physiologiquement et même spirituellement à travers le corps.
2.4. D’une architecture rétinienne à celle de l’expérience : remise en question ?
Pour pense une architecture au delà du visuel, l’expérience corporelle de l’espace est primordiale. La conception architecturale prenant en considération les personnes atteintes de déficience visuelle pourrait permettre de penser une conception expérimentale de l’espace bâti avec la nécessité d’une recherche d’une nouvelle méthodologie de conception
Ainsi, le corps humain et l'architecture sont engagés dans une "danse" où chacun s'adapte l'un à l'autre où vous, en tant qu'architecte, devez trouver le bon équilibre entre les deux. La question est celle d’interaction, et de savoir où les deux se rencontrent, échangent, se séparent et s'influencent l'un l'autre. L'objectif est de
41 C’est en ce sens qu’il est important de distinguer, l’espace perçu, de l’espace vécue.
La fonctionnalité spécifique à l'éducation des enfants aveugles était l'objectif global de conception. La série allongée d’espace, reliées par une colonne vertébrale de circulation centrale, sont exposée nord pour une lumière diffusée par une série de fenêtres colorées filtrées juste en dessous de la ligne de toit inclinée. Les espaces intérieurs et extérieurs sont pensés dans par une approche multi sensoriel.
42 trouver les bons moments de la conception est donc d’amener les occupants à un nouveau "sens de l'endroit" qui suscite la curiosité, la créativité et/ou le confort au bon moment. 2.4.1. Étude de cas 2.4.1.1. David Partnership, Anchor Center for blind children
L'architecture intérieure du centre est délibérément simple et exempte d'obstructions. Les variations d'échelle, de matériaux et d'éclairage, ainsi que les détails de taille d’enfant, les aident à s'orienter dans tout ce site. Trois couleurs bleu, jaune et rose servent d'éléments d'orientation. Cette triade d'ombrages, intégrée dans tout le bâtiment sous la forme de puits de lumière, de portes et d'appliques murales, a été choisie sur la base d'une étude de la théorie des couleurs et de la nature passive ou active de chaque
43 Figure 2 Photos intérieures de Anchor Center for Blind Children34 2.4.1.2. Alan Dunlop, Hazelwood School Alan Dunlop a imaginé un « mur sensoriel » qui traverse toute l’école. « Ce mur recouvert de liège, un matériau qui procure une sensation de chaleur est un outil de navigation que les enfants peuvent suivre dans toute l’école », explique t il. Les enfants se déplacent ainsi en toute sécurité, renforçant leur maîtrise de l’espace et leur estime de soi. La couleur est également une composante essentielle. Sur un fond neutre, des blocs aux teintes vives fournissent des repères supplémentaires pour guider les enfants ayant une vision résiduelle. Tout le bâtiment est par ailleurs équipé de divers dispositifs tactiles et de signaux sonores. 34 CREDIT : DAVISPARTNERSHIP COM
44 Figure 3
Photo du couloir (mur sensoriel) de Hazelwood School 2.4.1.3. Marcelo Roux et Gaston Cuna, Friendship park
Le parc de l'amitié de Marcelo Roux et Gastón Cuña est un espace public créé pour le développement d'activités récréatives inclusives. Il se compose de six secteurs, avec des jeux pour enfants, du mobilier et du matériel. « La volonté d'avoir un environnement inclusif nous a exigé de concevoir le parc à partir des sens et de leurs possibilités. Pour ce faire, nous avons opté pour des appareils qui améliorent les expériences tactiles, sonores et aromatiques ». Le parc a de grandes surfaces texturées, construisant des histoires figuratives et abstraites sur des sujets liés à l'astronomie, à l'univers, à l'histoire des humains et des animaux. D'autre part, le projet de paysage intègre d'innombrables espèces végétales qui fournissent des couleurs, des textures et des arômes spécifiques.
Crédit photo Archdaily Vue du Friendship park 2.4.2. Théorie d’une architecture sensorielle
45 Figure 4
Nous avons vu, précédemment comment le monde s’est orienté, durant les dernières années vers une suprématie de l’œil. Évidemment, la perception de l’environnement devient axée sur une perception oculaire du monde. Cela questionne la notion de perception, et est traité par différentes discipline, philosophie, psychologie, anthropologie et autre. Ainsi, elle connait différentes définitions.Généralement la perception est réduite à une perception visuelle. Surtout, de nos jours, l’architecture est devenue discipline de l’œil. Considérée par certains philosophes en étant le sens le plus noble, la vue n’est pas moins imposée en
Les lois de la vision développées dans le domaine architectural se répartissent en trois genres principaux Premièrement des lois de nature physiologiques, en d’autres termes celle qui s’intéressent à la physionomie de l’œil, deuxièmement celles de nature optique, qui traitent la géométrie, et enfin celles psychologiques qui se penchent sur la psychologie de la perception, et comment la perception visuelle implique les images mentales et les Évidemment,souvenirs.l’image devient non seulement un outil de conception architecturale mais de réception architecturale, et donc interfère directement sur la manière dont nous jugeons un projet. 2.4.3. Comprendre l’espace perçu et l’espace vécu
«
La conception de ces bâtiments nous a fait réaliser à quel point nous sommes aveugles à nos autres sens, à quel point nous sommes limités par rapport aux étendues possibles de notre perception » 35
35
46 architecture. Pour Viollet le Duc « voir c’est savoir », pour Le Corbusier, « je n’existe dans la vie que pour voir ». C’est pourquoi les recherches sur les lois de la vision ont été particulièrement développées.
Composer un espace pour les aveugles signifie se demander comment voir avec d'autres sens. Cela signifie redécouvrir toutes les sensations qui sont atténuées par la domination de la vision. L'odeur de la spatialité, le son comme entité vivante. La DAVID PARTNERSHIP
Pour communiquer le projet, aucun rendu ou plan ne serait d'aucune utilité pour un client malvoyant, mais un modèle construit à travers lequel peu à peu son bout de doigt, comme un œil expérimenté, peut lire les proportions des ouvertures, le rythme des entrées, la tension entre les volumes architecturaux et les pentes végétales. Le toucher progressivement explique la spatialité du lieu et la séquence du chemin du programme. L’architecte évoque et décrit son projet par les changements d'éclairage, mais aussi le chemin des arômes et le passage des matériaux à mesure que la palette change pour représenter la fonction du bâtiment
L’architecte ne doit pas penser uniquement pour les aveugles ou pour les voyants, mais pour maintenir cette attention aux sens. Dans la recherche d'une atmosphère, nous ne pouvons pas nous concentrer exclusivement sur la vue, mais nous devons essayer de restaurer la sensibilité de la peau à l'exposition à la lumière, au vent, aux arômes émis par le sol humide ou par les fibres naturelles des matériaux que nous utilisons, aux vibrations de la voix lorsqu'on frappe une surface dure. Sinon, nous perdrions cette alchimie particulière, où les murs disparaissent et l'expérience de l'espace devient incommensurable.
47 construction pour les déficients visuelle n'est pas seulement un acte spécifique, mais exige que nous commencions à « voir » l'architecture sous différents angles et à poser de nouvelles questions.
« L'espace devient complexe, non pas par l'artifice, mais parce qu'il améliore les phénomènes de ce qui existe déjà là bas »
3. L’architecture des sens, des espaces stimulants : une conception de l’expérience Dans un espace, il est possible de trouver un certain « esthétisme », un certain confort, une sensation de bien être, un lieu qui nous invite à y rester ; ou au contraire un espace qui nous angoisse, qui nous déplaît, qui nous oppresse dans lequel nous ne voulons pas nous attarder. Malgré que chaque individu ai un vécu différent donc un filtre de perception différentes, chacun peut se rappeler d'un espace par l’évocation de sa mémoire visuelle, olfactive, gustative, tactile ou encore auditive Le souvenir d’un espace peut ressurgir par une simple stimulation sensorielle. A l’instar de la madeleine de Proust qui lui rappelle son enfance, la maison de sa grand mère. Une couleur, un son une odeur peuvent être autant de déclencheur d’une impression de réminiscence et donc de sensation.
48
3.1. Première approche du rapport du corps au lieu : ambiance et atmosphère
La compréhension du corps est essentielle pour analyser et comprendre l'influence des sensations sur celui ci A travers l’histoire, l'architecture a souvent été pensé à partir du corps mais celui ci est parfois oublié avec des dimensions disproportionnées, ou innapropriable. Bien que l’objectif de l’architecture soit dans une majorité des cas d’assurer une forme de bien être de ses usagers, cette volonté n’est bien souvent pas suffisamment prise en compte.
L'espace construit s'enrichit de nouvelles pièces au puzzle qui s'intégre plus ou moins à celles déjà présents
L'enveloppe, l’architecture peut séparer l'individuel du collectif, le privé du public. Elle crée une tension entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur. Une architecture peut avoir pour vocation à être vu, elle se démarquer des autres, ou au contraire à se cacher, se fondre dans un environnement mais aussi, vouloir exposer, ou à l'inverse, cachéSelon S Holl37 , « l'architecture n'arrive jamais à être autant convaincante que le paysage ». Les paysages impressionnent. Leur construction est issue d'un processus long dans lequel tout élément le constituant évolue face aux mêmes conditions ; auxquelles il s'expose dans le temps » L'architecture quant à elle inclue une notion de temporalité différente, influencé par des époques, et des méthodes constructives.
Un espace architectural créer alors un dedans et en dehors. Entre les deux, on peut trouver, « des transitions imperceptibles entre intérieur et extérieur, une incroyable sensation du lieu, de la concentration, lorsque soudain cette enveloppe est autour de soi nous rassemble et on nous tient, seul ou en un groupe. »36
49
Lorsque l'on découvre un nouvel espace architectural, on s'attarde premièrement sur une vision d'ensemble A cette image on peut comprendre le lien entre le corps et lieu et analysant celui de l’architecture et du paysage.
Effectivement, une architecture s'intègre dans un contexte et entretient une relation avec lui. Sa forme, sa dimension, son poids, son esthétique doit créer une certaine harmonie d'ensemble.
36 PETER ZUMTHOR, ARCHITECTE, EXTRAIT DE SON OUVRAGE THERME VALS 37 STEVEN HOLL, ARCHITECTE AMÉRICAIN
L'intégration de l'architecture dans un environnement est liée à la notion de mesure. L'édifice est un intermédiaire entre le paysage et le corps. Il doit à la fois faire en sorte de s'intégrer dans son milieu et de répondre aux usages de l'homme. Ces proportions sont alors l’intermédiaire pour concilier des échelles très différentes. Il faut donc réaffirmer le corps humain comme élément ressentant vivant découvrant l'expérience du monde. Cela amène à de nouveaux questionnements sur les proportions et les échelles de l'espace architectural. « Il y a des bâtiments ou des ensembles, petits ou grands, imposant où important qui me diminue, m'oppresse, m'exclus, me rejette. Mais il y a aussi des bâtiments ou des ensembles petit ou immense dans lequel je me sente bien ou je fais bonne figure qui suscite en moi un sentiment de dignité et de liberté, ou je me tiens volontiers, que j'aime utiliser. De telle œuvre m'enthousiasme »38. À l'inverse « l'environnement ne m'intimide pas mais une certaine façon me grandit et me permet de respirer plus librement. » 3.1.1. Stimuli sensoriels
38 STEVEN HOLL, ARCHITECTE AMÉRICAIN
50
Par exemple, une sous stimulation dans un environnement peut provoquer de l'agitation, des réactions émotionnelles excessives, et de faible niveau de concentration.
Les sens peuvent être activés par de nombreux stimuli environnementaux différents Et alors comprendre leur utilisation, les effets de ces déclencheurs, leur impact sur la perception sensorielle et les différentes réponses qu'ils produisent contribue à éclairer les paramètres de conception et leur application future.
39 39 JUHANI
Une stimulation constante peut être défavorable, alors que la variation des intensités sensorielles suscite un réveil expérientiel. Selon Diane Ackermann les stimulations sensorielles ont besoin d'une variation : « quand il n'y a pas de risque, le terrain émotionnel est plat et inflexible et, malgré toutes ses dimensions, ses vallées, c'est pinacle et c'est détour, la vie semblera n'avoir aucun de ces paysages magnifiques.Comprendre» les impacts de différents stimuli aide à qualifier la nature de diverses caractéristiques environnementales. Un environnement équilibré et nécessaire pour assurer l'unité au sein de la variété. Si la variété est nécessaire pour susciter l'intérêt, l'unité est essentielle pour créer une impression favorable et satisfaire les humeurs et les désirs. Cependant la variété, lorsqu'elle est excessive est source de confusion et d'irritation ; et, l'unité, lorsqu'elle est sans distinction par variété et fade et monotone 3.1.2. Au delà de l’expérience « Un bâtiment fonctionnel n'est pas encore une architecture Pour devenir architecture le bâtiment fonctionnel doit avoir à la fois une atmosphère et une signification. » PALLASMA, LE SENS DU REGARD
51
Tandis qu’une stimulation excessive peut entraîner des modifications de la fréquence cardiaque, du rythme de respiration, la tension artérielle, de la tension musculaire et du stress psychiatrique.
S Holl40 , comme une majorité des architectes qui suivent une approche phénoménologique, soutient l'idée que l'architecture est expérimentée à travers des perceptions sensorielle.
« Seul l’architecture de tous les arts peut éveiller tous les sens »41
52
Selon lui, un bâtiment est bien perçu quand les caractéristiques architecturales particulières sont mises en action : le jeu d'ombre et de lumière, l'effet de transparence et de phénomènes de couleur, la sensation de texture et de matérialité, l'acte de penser le détail et le voyage à travers le temps. Le pouvoir de l'architecture est d'influencer l'expérience humaine et de transformer l'existence quotidienne de la vie humaineS.Hollaffirme que les expériences sensorielles appartiennent uniquement aux perceptions de notre esprit, ils ne peuvent donc pas être rendus verbalement. Les perceptions sont une partie tellement innée de notre existence que, lorsque nous essayons de les retranscrire en langage, les parties de l'expérience ont perdu.
40 STEVEN HOLL, ARCHITECTE AMERICAIN 41 J. PALLASMAA, EXTRAIT DE LE REGARD DES SENS
Le pouvoir de l'architecture et de révéler un sens de la réalité qui sera expérimenté par l'homme à travers l’atmosphère architecturale. Pour atteindre l'intelligence atmosphérique, il faut comprendre les outils nécessaires à cette réalisation que sont notamment la lumière, les couleurs, le rythme et les matériaux.
Selon G. Beanes43 et le physicien C. Henry, la couleur est d'abord perçue avant la forme. On voit une surface colorée avant de voir la façade d'un bâtiment. L'œil est attiré par les accords de couleurs harmonieuses ou les contrastes forts
»
Une matière ne possède pas seulement une texture elle est aussi caractérisée par une teinte Toute architecture possède une couleur Elle peut être naturellement amener par les matériaux utilisés, mais aussi ajouté volontairement pour donner un caractère particulier au bâtiment. Une couleur peut revêtir un aspect décoratif ou fonctionnel. « En architecture la couleur sert à faire valoir le caractère d'un bâtiment, à mettre en valeur sa forme et ses matériaux, à rendre de sa distribution plus claire.
53 3.1.3. La lumière et le contraste
Comme vu précédemment l’architecture cherche à créer à l’homme un espace de bien être et la kinesthésie développer dans le cas de la cécité permet de penser une approche tactile Le premier contact est celui avec le sol qui sont particulièrement
42
42 RASMUSSEN, STEEN EILER 43 CRUNELLE MARS, L’ARCHITECTURE ET NOS SENS
La texture de la surface engendre une variation de teinte en fonction de sa réflexion. L'accroche de la lumière sera différente si le matériau est par exemple brillant ou mat. 3.2. Une vision rapprochée du contact de la matérialité 3.2.1. Le kinesthésique
»44 44 CRUNELLE, L’ARCHITECTURE ET NOS
Présenté par Rasmussen, et notamment pour des personnes atteintes de déficience visuelle, il est évoqué la relation à l’endroit où la rencontre entre le corps et l’espace est le plus proche : la chambre. La chambre est souvent le lieu où l’on trouve le plus grand confort notamment car c’est là où la rencontre est la plus intime, ou le toucher est le plus sensuel, où la surface cutanée rentre en contact avec la matière, les textures, les lumières, la température Et où souvent ces dernières sont les plus douces : depuis les draps les couettes souple et légère, le lit ou, comme dit la publicité on ne sent même plus son corps à la lumière diffuse la tête de lit.
Les matériaux ont une fortement influence sur la notion de confort. Lorsque le corps est protégé des agressions extérieures, il peut profiter d’une autre sensibilité et prendre conscience des qualités de ce qu’il touche. Le corps peut ainsi ressentir une sensation de bien être. Cela peut aussi avoir un effet sur le comportement en apportant une tranquillité à l'esprit. « L’homme qui se sent bien, portera son attention aux autres, dialoguera plus facilement et communiquera davantage SENS
54 importants pour mettre en confiance l'usager. Il est plus facile pour notre corps de marcher sur une dalle en béton plutôt que sur un sol instable comme le sable. Un sol qui n'est pas plane peut éveiller une certaine méfiance. Mais un sol très lisse pourrait devenir glissant et alors évoquer une sensation de danger. C'est à dire qu’un sol doit permettre une certaine adhérence au pied mais aussi permettre un sentiment de sécurité afin d’appréhension podotactile plus fluide et naturel.
Dans une application concrète, on peut penser à une conception d’une gradation des matériaux composant le sol entre une entrée, un espace jour et un espace nuit.
45 PETER ZUMTHOR,
ARCHITECTURAUX
Un grand nombre de sensations que l'on ressent font partie du domaine du non visible Une odeur, un son ou une température sont des composants de l'ambiance d'un lieu. Ces paramètres se propagent principalement dans l'air mais peuvent aussi affecter les matériaux. Leur présence est souvent, peut considérer lors de la conception car leur caractère invisible les rend difficiles à exprimer. Pourtant ces sensations sont nécessairement présentes dans nos lieux de vie et permettre d'agrémenter la notion de confort. Leur maîtrise est donc essentiel, d'autant plus que ce sont des facteurs que l'architecte peut contrôler dans un espace clos. 3.3.1. L’exemple de l’acoustique « Chaque espace fonctionne comme un grand instrument, il rassemble les sons, les amplifie, les retransmets »45. Deux types de sons se distinguent, ce provoqué par le bâtiment lui même et ceux venant de sources extérieures. Les édifices produisent toujours un son même si l'on ne s'en rend pas compte Il peut provenir d'un craquement, d'un équipement, du mouvement des matériaux, ce n'est qu’après ATMOSPHERES : ENVIRONNEMENTS CE QUI M’ENTOURE
55
Le confort est peut être donc lié à l'idée de ne plus se sentir son propre corps, comme quand nous sommes confortablement assis dans un fauteuil, le toucher devient inconscient. En revanche si l'on ressent la pression liée à la dureté de l'assise notre attention se porte sur cela il ne nous permet pas de profiter pleinement de l'instant3.3.
L’invisible de l’espace, un outil de variation
56 avoir fait l'expérience d’une chambre sourde que l'on peut comprendre conscience que quelque chose est différent dans l'ambiance sonore. Il est d'ailleurs très difficile d'arriver à un bâtiment qui produit du silence et atteindre cet objectif ne serait peut surement pas agréable pour les usagers car l'absence de bruit peut provoquer de la désorientation dans l’espace. C’est notamment parce que notre corps « sonne » dans l’espace et renvoi le son que nous nous positionnons Par ailleurs, le bruit ramène à l'idée de la vie Le son dans un bâtiment peut nous dire si l'on est seul ou pas Dans un immeuble, on peut entendre des bruits de pas, de portes qui claquent de serrure qui se ferment. Il y a une certaine présence à cela. Néanmoins, si le bruit devient trop présent, il peut aussi être dérangeant. « Le bruit est une forme de pollution des plus insidieuse qui peut avoir des fortes incidences sociales. On sait que le défaut de confort d'ambiance sonore, au même titre qu'un éclairage déficient, est un facteur important d'échec scolaire et universitaire ; que ce même défaut provoque des troubles psychiques en milieu de travail, des pertes de productivité, »46. Les sensations influencent sur les humeurs et l'architecte a donc un rôle important à jouer qu'il ne peut pas négliger.
3.4. L’accès à l’aspect architectural Dans « la dimension cachée » T.H. Hall s'attache à montrer que l'espace à l'organisation fixe constituent l'un des cadres fondamentaux de l'activité des individus et des groupes. Les bâtiments construits sont un exemple d'organisation fixe Et leur mode de groupement comme leur mode de partition interne correspond également à des structures caractéristiques déterminées par la culture. La composition urbaine
46 REFERENCE PERDUE
Comme nous l’avons vu, les surplombs situés dans le prolongement des entrées, vont avoir un impact acoustique pour annoncer l'accès aux habitations. La réalisation de ce type d'élément est alors un indicateur du cheminement pour relier les espaces entre eux et pour les définir. L’élément architectural est donc porteur d’informations.
57 par son organisation semble constituer des ensembles appréhendables, donc nous avons vu qu'il était compréhensible par les personnes déficientes visuelles sous certaines conditions Mais qu'en est il de l'aspect architectural ? Peut on parler d’architecture « décorative » ?
Cette exemple, exprime bien la valeur de chaque éléments de l’espace architecture qu’il soit visible ou non, à partir du moment où il rentre en interaction avec le corps il devient porteur et véhicule d’une sensation.
L’architecture du handicap renvoie spontanément et de manière réductrice à l’ajout d’éléments collés sur des bâtiments, tels que des monte charges, des rampes d’accès ou des barrières protectrices d’obstacles, à de la réglementation contraignante privant l’architecte de sa liberté. Or, ces prothèses ont pour effet de stigmatiser les déficiences et ne créent pas une œuvre architecturale cohérente. Les différentes familles de handicaps touchent aussi bien les fonctions physiques, sensorielles, que mentales, chacun étant susceptible un jour d’être atteint physiquement ou psychiquement, par maladie, accident ou vieillisse. La ville et l’architecture sont par essence même des espaces vécus créant des sensations et ambiances, leur rôle ne se limite alors pas à un art de bâtir mais aussi à un enjeu social et même sociétal puisqu’elles peuvent être porteuses de rassemblement, de partage, d’échange, de vivre ensemble. L’architecture doit alors prendre en compte tous et chacun.
58 CONCLUSION
L’exposition, Quand l’architecture efface le handicap réalisé à la Maison de l’architecture et de la ville à Lille, s’attachait à questionner, la mesure par laquelle l’architecture peut participer et favoriser un vivre ensemble. À cette occasion, plusieurs réalisations internationales s’attachaient à montrer comment l’architecture peut aider à dépasser le handicap. Bien que complexe, cette question ouvre plus largement mon mémoire et interroge directement le rôle de l’architecture et notamment de l’architecture du handicap.
Néanmoins, durant la rédaction de mémoire ce fut pour moi difficile d’évoquer et d’écrire mon parcours mais aussi d’être confrontée au fait que la déficience est une part de mon identité et de ma philosophie de vie, notamment dans ma conception de l’architecture. Après ma perte de vue j’ai longtemps cherché à « être comme tout le
Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur.L'essentiel est invisible pour les yeux. L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.»
L’exemple de l’architecture sensorielle par les personnes déficientes visuelles montre à la fois la multitude de ressources qu’offre l’espace bâti, notamment urbain, mais aussi la relation étroite qu’établissent les usagers avec leur environnement. Les personnes déficientes visuelles, et plus largement les personnes déficientes sensorielles développent des capacités perceptives qui permettent de relever ce qui est en chacun de nous mais que nous oublions souvent : notre corps dans l’espace.
Cette citation pourrait conclure à elle seule ce que je ressens lors de la conclusion de ce mémoire, ces nombreuses interprétations et évocations sont tellement porteuses de sens que par les mots je ne saurais en exprimer autant.
59
14
La question de l‘intérêt de l’architecture pour les déficients visuels est récurrente, et sans avoir la prétention d’y répondre de manière globale, elle me semble pour ma part indispensable. Je dirais même que la prise en compte des capacités perceptives peut révéler une expression de l’architecture, une dimension sensorielle, évocatrice d’émotions.«Cen'est pas parce qu'on ne voit pas les étoiles qu'on n'en a pas plein les yeux.
J’ai pris conscience durant mes recherches pour ce mémoire, du développement de mon identité et d’une forme de sensibilité dans ma conception architecturale qui jusqu’alors n’étaient qu’intuitions, et expérience personnelle. Par le biais de ce rapport j’ai compris l’ensemble des facteurs qui m’ont permis d’être ici aujourd’hui. D’autre part, par l’expérience du parcours notamment, j’ai réalisé à quel point mes connaissances architecturales acquises au sein de l’ENSA ont enrichi ma perception de l’environnement.
b. Intégrations de facteurs physiques, physiologique et de personnalité c. Apport pluridisciplinaire de l’architecture : architecture thérapeutique ? d. L’apport d’une architecture adaptative ?
REFLEXIONS connexes dans le cadre de PFE a. Une architecture cognitive pour la stimulation d’agents autonomes
60 monde », or, chacun a sa particularité, la mienne est ma déficience visuelle. Rentrer en école d’architecture fut une étape de mon combat contre et pour moi même, j’ai appris à me comprendre à travers l’architecture.
ANTHES Emily, Comment l’architecture influence notre pensée ? Cerveau & Psycho N°3
MERLEAU PONTY M., DOUSSON L., HUBERT RODIER C. (2006). L’œil et l’esprit DAMASIO A.R, Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions
61 BIBLIOGRAPHIE ARCHITECTURE SENSORIELLE THIMONIER C., DEL VALLE F.X, Concevoir une architecture, phénoménologie de la perception spatiale, Février 2019 MERLEAU PONTY, Phénoménologie de la perception
PAZUR AUBINEAU Katarzyna, Sentir pour Voir, déficience visuelle et habitat (2000) PALLASMA Juhani, Le sens du regard, Edition du Linteau HALL Edward T., La dimension cachée CRUNELLE M., L’exploration de la fonction tactile en ville (Thèse) CRUNELLE M., L’architecture et nos sens BACHELARD G. (1998), La poétique de l’espace. ZUMTHOR Peter, Thermes Vals ZUMTHOR Peter, Atmosphères : environnements architecturaux. Ce qui m’entoure COGNON G., Appréhension de l’architecture en tant qu’espace sensible, janvier 2020 DEMAGNY M., Architecture corporelle, mars 2018 N. YVES, Architecture et images d’entreprises, nouvelles identités. THIMONIER C. ET DEL VALLE F-X. (2018/2018). Concevoir une architecture.
62 MARTIN V., A l’écoute ses sens… Logements collectifs dans le quartier Maizerets, décembre 2012 DEFICIENCE VISUELLE PAZUR AUBINEAU Katarzyna, Sentir pour Voir, déficience visuelle et habitat (2000) CHOTTIN M., Philosophe et aveugle L’aveugle et le philosophe, ou comment la cécité donne à penser BERVEILLER Antoinette, Comment vivre avec un aveugle de la naissance au 4ème âge ? BELANGER Monique, Un malvoyant ouvre les yeux d’une voyante BRUN SANGLARD, (2010), Au delà de ma nuit. Édition Presses de la renaissance MAISON DE L’ARCHITECTURE ET DE LA VILLE « Quand l’architecture efface le handicap » (2015) DOMINGUEZ Cendrine, Ma quête du beau CARRILLO Gabriela, Building for blind, 22 Avril 2020 (The Architectural Review) GONZALEZ Maria Francisca, 15 août 2019, Architecture for the Blind: Intelligent and Inclusive Spaces for the Blind User (Archdaily) CHOKSHI Komal, Designing with the blind in mind (Rethinking the future) UNION NATIONALE DES AVEUGLES ET DÉFICIENTS VISUELS, « A vous de voir » : Chris Downey architecte non voyant et visionnaire, 7 janvier 2019
63 EILAND Regan, Experience beyond the visual, an exploration of haptic design, Avril 2020 HOUDA J., Au delà du regard, septembre 2016 PRINTEMPS E. (2017). La mobilité urbaine par les déficients visuels CONFEDERATION FRANÇAISE POUR LA PROMOTION SOCIALE DES AVEUGLES ET AMBLYOPE, Les besoins des personnes déficientes visuelles, accès à la voirie et au cadre bâti (édition juillet 2010)
64 Tables des illustrations / figures FIGURE 1 SIMULATIONS DES DIFFERENTES DEFICIENCES VISUELLES ; CAPTURES D'ECRAN DE L'APPLICATION EYE.VIEW 9 FIGURE 2 PHOTOS INTERIEURES DE ANCHOR CENTER FOR BLIND CHILDREN 43 FIGURE 3 PHOTO DU COULOIR (MUR SENSORIEL) DE HAZELWOOD SCHOOL ................................... 44 FIGURE 4 CREDIT PHOTO ARCHDAILY VUE DU FRIENDSHIP PARK ..................................................... 45
65 Tables des matières REMERCIEMENTS ....................................................................................................... 1 SOMMAIRE ................................................................................................................ - 3AVANT PROPOS ......................................................................................................... 5 INTRODUCTION .......................................................................................................... 7 QU’EST-CE QUE LA CECITE, LA MALVOYANCE, ETRE AVEUGLE ? ................................................... - 71. APPREHENDER L’ESPACE SANS LES YEUX : LE CORPS DANS L’ESPACE, UN RECEPTEUR ET PERCEPTEUR SENSORIEL) ....................................................................................................... 12 1.1. RECIT D’UN PARCOURS SENSORIEL A L’ENSA (ANCRAGE SENSORIELLE / MEMORISATION DU CORPS) 12 1.2. PERCEPTION SENSORIELLE .......................................................................................... 13 1.2.1. La hiérarchie des sens .................................................................. 13 1.2.2. Combinaisons des sens ................................................................ 19 1.2.3. Position d’acteur vs spectateur 21 1.3. PHYSIOLOGIE : L’EXPERIENCE DU CORPS ACTEUR PERCEPTIF .............................................. 22 1.3.1. Le mouvement : expérience de déplacement, de mobilité ........ 22 1.3.2. Projection du corps : position de spectateur 24 1.4. MOYEN DE COMPENSATION : COMPETENCE SENSORI MOTRICE ......................................... 25 1.4.1. Mémoriser, sélectionner, géométriser, morceler 25 1.4.2. Connaissance et habitudes .......................................................... 29
66 1.4.3. « Cartographier », le rôle des émotions dans la constitution d’images 29 2. LE SENS DE L’ESPACE, DE L’ARCHITECTURE (LA PREUVE PAR L’ESPACE) ................................ 32 2.1. DESCRIPTIONS D’UN PROJET VISUEL CONNU....................................................................... 32 2.2. L’ARCHITECTURE, L’ART DE LA VUE ................................................................................... 32 2.2.1. Suprématie / Hégémonie de la vision ............................................. 33 2.2.2. La conception architecturale 34 2.2.3. La représentation architecturale ..................................................... 34 2.2.4. La perte de sensibilité de la société 35 2.3. LE PARADOXE D’UNE ARCHITECTURE STATIQUE VISUELLE POUR LES AVEUGLES : UNE ARCHITECTURE « AVEUGLE » ................................................................................................................................ 36 2.3.1. Paradoxe de l’accessibilité pour tous .............................................. 36 2.3.2. Notion d’autonomie / de dépendance ............................................ 38 2.3.3. La place du ressenti, de l’émotion, des sentiments 40 2.4. D’UNE ARCHITECTURE RETINIENNE A CELLE DE L’EXPERIENCE : REMISE EN QUESTION ? .............. 41 2.4.1. Étude de cas ..................................................................................... 42 2.4.1.1. David Partnership, Anchor Center for blind children ............... 42 2.4.1.2. Alan Dunlop, Hazelwood School 43 2.4.1.3. Marcelo Roux et Gaston Cuna, Friendship park 44 2.4.2. Théorie d’une architecture sensorielle ........................................... 45 2.4.3. Comprendre l’espace perçu et l’espace vécu 46 3. L’ARCHITECTURE DES SENS, DES ESPACES STIMULANTS : UNE CONCEPTION DE L’EXPERIENCE . 48 3.1. PREMIERE APPROCHE DU RAPPORT DU CORPS AU LIEU : AMBIANCE ET ATMOSPHERE ............ 48
67 3.1.1. Stimuli sensoriels 50 3.1.2. Au delà de l’expérience 51 3.1.3. La lumière et le contraste 53 3.2. UNE VISION RAPPROCHEE DU CONTACT DE LA MATERIALITE .............................................. 53 3.2.1. Le kinesthésique 53 3.3. L’INVISIBLE DE L’ESPACE, UN OUTIL DE VARIATION .......................................................... 55 3.3.1. L’exemple de l’acoustique ........................................................... 55 3.4. L’ACCES A L’ASPECT ARCHITECTURAL ............................................................................ 56 CONCLUSION ............................................................................................................... 58 REFLEXIONS CONNEXES DANS LE CADRE DE PFE ........................................................... 60 A. UNE ARCHITECTURE COGNITIVE POUR LA STIMULATION D’AGENTS AUTONOMES ...................... 60 B. INTEGRATIONS DE FACTEURS PHYSIQUES, PHYSIOLOGIQUE ET DE PERSONNALITE ...................... 60 C APPORT PLURIDISCIPLINAIRE DE L’ARCHITECTURE : ARCHITECTURE THERAPEUTIQUE ? 60 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ 61 TABLES DES ILLUSTRATIONS / FIGURES ........................................................................ 64 TABLES DES MATIERES 65
68