La Feuille hors série. Spécial Assises du journnalisme. Septembre 2021

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Récit

Assises du journalisme − ­­ Septembre 2021

La Feuille

LETTRE D’AMOUR À LA PLANÈTE

P

endant six ans, le photographe brésilien Sebastião Salgado explore, survole, se laisse porter par les eaux de l’Amazonie. Il en capture tous les recoins, de la forêt aux montagnes en passant par les fleuves et les rivières. Il témoigne du quotidien d’une douzaine de tribus indigènes rencontrées çà et là. Le tout, rassemblé dans Amazonia (éd. Taschen, 2021) : un ouvrage de 500 pages et une exposition, qui se déplace à travers le monde, dédiés aux peuples indigènes de la région amazonienne du Brésil, son pays natal. Un pays qu’il quitte au début des années soixante, fuyant la dictature militaire. On est en 1969, il a 25 ans, il embarque pour la France avec sa femme, Lélia. Il poursuit une formation d’économiste. Elle étudie l’architecture. « Elle devait acheter un appareil pour faire des photos d’architecture. Ce fut mon premier vrai contact avec la photographie », confiait-t-il au média culturel Artistik Rezo, en 2020. Cet appareil photo, il l’emporte avec lui lors de ses déplacements en Afrique, dans le cadre de son travail au sein de l’Organisation internationale du cafe, basée à Londres. À force de clichés, il se découvre une passion à laquelle il va se vouer entièrement. Lélia, elle, va se charger de présenter partout ses photographies : journaux, magazines, ouvrages… Il se démarque par une singularité : le refus de la couleur qu’il explique au micro de France Inter, en 2017 : « Cela permet d’avoir une harmonisation et d’être concentré sur la personnalité des gens que l’on photographie. »

Une ode aux travailleurs, aux petites mains À partir des années soixante-dix, Sebastião Salgado devient reporter pour des agence telles que Sygma, Gamma ou Magnum. Il se fait le témoin de la condition humaine. Dans Autres Amériques (Aperture, 1986), il dévoile la diversité sociale et culturelle d’un continent sud-américain parcouru des mois durant. La Main de l’homme (Aperture, 1993) est une ode aux travailleurs qui construisent le monde, aux petites mains qui font de grandes choses. Pour Exodes (La Martinière, 2000), il parcourt des territoires ravagés par la guerre et la famine. Il met en lumière les exclus, leurs corps errants ou rongés par

la mort. Et plus d’une fois, il pose son appareil photo par terre pour pleurer. Rwanda. 1994. les Tutsis sont massacrés par les Hutus. Hommes, femmes et enfants fuient le pays par millions. Le photographe est l’un des premiers spectateurs d’un génocide qui le dépasse. Il se confiera dans le documentaire Le Sel de la Terre (2014), réalisé par son ami Wim Wenders et par son fils Juliano Ribeiro Salgado : « C’était une catastrophe partout. […] Il y avait à peu près 150 kilomètres de route pour qu’on arrive à la périphérie de Kigali, et 150 kilomètres de morts. On est un animal terrible, nous, les humains. » Sebastião Salgado remet en cause son travail de photographe social. Il ne croit plus en rien et abandonne la photographie. Il plonge dans la dépression. « Quand je suis sorti d’ici, j’étais malade. […] C ’est mon âme qui était ­malade. » En 1998, un tournant s’opère. De retour au Brésil, sur sa terre natale du Minas Gerais, dans le sud-est du pays, il découvre les ravages de la déforestation. La ferme dont il a hérité de son père n’est plus qu’une étendue de poussière. Lélia lui propose de replanter les 700 hectares de mata atlântica (forêt atlantique). Un projet titanesque qui donne naissance à Instituto Terra, une réserve nationale protégée. L’écosystème meurtri reprend vie : 3 millions d’arbres sont plantés et des centaines d’espèces animales et végétales réapparaissent. Avec le projet Olhos D’Ãgua (l’œil de la source), le couple projette de ressusciter fleuves et rivières. Selon Wim Wenders, « la Terre a guéri les désespoirs de Sebastião. La joie de voir les arbres repousser et les sources ­revivre a ranimé sa vocation de photographe ». S’éloignant peu à peu de l’humain, le photographe se consacre à l’environnement et choisit de rendre hommage plutôt que de dénoncer. De cela naît le projet Genesis (Taschen, 2013), une « lettre d’amour à la planète » dans laquelle il offre une vision plus optimiste d’une Terre dont il a longtemps saisi les blessures. Le résultat de huit années de clichés d’une planète encore préservée. Pour l’ami réalisateur, « il voulait montrer la nature, les animaux, les lieux, les êtres qui étaient comme aux origines du temps ».

Eléa N’GUYEN VAN-KY

Photo : Philippe Petit

Le photographe brésilien, Sebastião Salgado, spécialiste du noir et blanc, chérit la planète de ses clichés. Récit du parcours d’un homme que la Terre a sauvé.


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