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Entretien
Assises du journalisme − Septembre 2021
La Feuille
« IL FAUT S’ALIGNER AVEC LE VIVANT »
Journaliste indépendante spécialiste de l’environnement, Laure Noualhat prône une vision radicale de l’écologie. Vous avez écrit l’ouvrage Comment rester écolo sans finir dépressif, dans lequel vous expliquez que l’écodépression n’est pas une fatalité. Vous en avez pourtant vécu une face à l’ampleur de l’urgence climatique. Comment l’éviter ou en sortir ? Laure Noualhat. L’éco-dépression est une déprime liée à la dégradation continue et dramatique de l’environnement. Pour s’en sortir, je dirais qu’il faut avant tout embrasser totalement cette dépression. Lui dire que vous l’aimez, parce que c’est un signe de bonne santé. Je pense qu’il faut vraiment embrasser ces moments où l’on se dit : « Putain tout est foutu, il n’y a aucune perspective, notre destin commun, il est quand même mal barré . » C’est important de bien prendre la mesure de ce qui nous traverse, que ce soit la colère, l’impuissance, la peine, la peur, etc. Ce qui revient à la notion de deuil… L. N. Oui, le deuil du « Yes we can », du « Just do it ». Le deuil de tout ce qu’on nous a appris et même de tout ce que l’on m’a appris. Ensuite, mon deuxième conseil, ce serait d’en parler. Se rapprocher de personnes qui vivent la même chose.
Laure Noualhat souhaite agir en rupture avec le modèle de consommation contemporain en travaillant, en particulier, sur l’écopsychologie.
M o n t r o i s i è m e c o n s e i l c ’e s t l a réconciliation avec soi-même. Bien faire le distinguo entre la notion d’effondrement et l’effondrement intime dans lequel ça résonne. Donc distinguer de quel effondrement on parle, ce qui résonne en nous et sur quoi s’appuie cette peur. Enfin, quatrième conseil : aller faire des stages. Personnellement, ce qui m’a vraiment nettoyé, ce sont des ateliers collectifs appelés « stages de travail qui relie ». Ils permettent de se reconnecter avec la n ature. Pour moi, il y a eu un avant et un après.
« Si nous faisons passer l’information et que 100 000 personnes nous lisent, alors cela mérite les 20 tonnes de CO2 émises pour aller aux États-Unis » Comment allier un mode de vie décarboné aux contraintes de mouvement que le métier de journaliste implique ? L. N. En faisant du slow journalisme. Par exemple, j’ai fait beaucoup de voyages en train pour aller couvrir des COP [conférences pour l’environnement]. Je suis allée à Poznań, en Pologne. En train, cela prend une quinzaine d’heures. Tu peux voyager doucement. L’Europe est toujours à portée de train. C’est cher mais tu peux payer la différence ou négocier auprès de la production. Après, je ne peux pas dire grand chose là-dessus parce que j’ai aussi beaucoup pris l’avion. Si j’avais fait un enfant [ce qu’elle a refusé par choix écologique] mon bilan carbone aurait été inférieur à celui de mon bilan carbone aéronautique. Alors comment concilier un mode de vie écologique avec mon travail ? C’est la grande question. On essaie souvent de se racheter une conscience. Si nous faisons passer l’information et que 100 000 per-
Photos : Alexis Gaucher/EPJT
E
n 2014, victime d’éco-dépression, Laure Noualhat quitte Paris et son CDI à Libération pour se mettre au vert, dans une grande maison partagée de l’Yonne. C’est de ce lieu à son image, authentique et naturel, qu’elle mène ses projets de films, comme Après demain qu’elle coréalise en 2018 au côté de Cyril Dion. L’entretien a lieu dans sa bibliothèque, sans fioriture, près de son bureau jonché de feuilles. Elle raconte son mode de vie permacole, les causes de son éco-dépression et ses quatorze années au service Terre de Libé. À notre arrivée, surprise et ravie, elle a ffiche la couleur : « C’est dingue, pour une fois que je rencontre des jeunes journalistes qui s’intéressent à ces questions ! » Elle joue avec le bout de son pull-over, détache ses cheveux et engage rapidement le dialogue. Un contact facile qui témoigne de sa volonté de transmettre un message aux futures générations, en préconisant la résilience écologique. Devenue une référence dans le journalisme environnement, elle estime avoir atteint son objectif de vie : travailler en toute indépendance, sans patron, ni horaires. Au service de l’écologie.