bold 70

Page 28

BOOKS

Texte Sarah Braun

Image Samuel Kirszenbaum

note sur 5

ÉMILIE PAPATHÉODOROU L’AUBE AMÉRICAINE

Quand je ferme les yeux et que je repense Ă  L’Aube amĂ©ricaine, deux images me viennent Ă  l’esprit. La premiĂšre est celle du mythique « Manhattanhenge » (ou Solstice de Manhattan), soit ce moment parfait oĂč le soleil s’aligne pile avec les rues orientĂ©es Est-Ouest de Manhattan ; la seconde est celle d’un trĂšs petit appartement trĂšs sombre, un peu vĂ©tuste oĂč la lumiĂšre peine Ă  percer Ă  travers les persiennes. LĂ  vit ThĂ©odora, l’hĂ©roĂŻne, aux cĂŽtĂ©s de sa grand-mĂšre Giagia. C’est Ă  la rencontre de ces deux personnages que nous amĂšne Émilie PapathĂ©odorou, dĂšs les prĂ©mices de son premier roman. Les deux femmes accomplissent alors un rite orthodoxe qui consiste Ă  teindre des Ɠufs. Pas banal cet incipit. TrĂšs vite, on comprend que Giagia n’est dĂ©jĂ  plus vraiment lĂ  ; ThĂ©o, elle, s’efforce de tout son cƓur de raviver cette mĂ©moire qui s’effrite, quels que soient les subterfuges. Quand elle ne le fait pas, elle est au volant de son « saxo jaune » – en rĂ©alitĂ© un VTC noir, mais les clichĂ©s new-yorkais ont la vie dure – et dĂ©ambule dans les bas-fonds de New York. Au Mars Bar, son QG, elle s’entiche d’Ethan. À la folie. Mais lui aussi l’oublie trop souvent


« LA NARRATION M’IMPORTE MOINS QUE LE VISUEL, LE RENDU CINÉMATOGRAPHIQUE, LA CONVOCATION DE L’IMAGINAIRE »

L’amour n’est qu’un prĂ©texte. L’Aube amĂ©ricaine est un roman sur la mĂ©moire, ses soubresauts, ses lacunes, sur le devoir qu’elle impose. Une pure fiction passĂ©e Ă  travers le kalĂ©ĂŻdoscope de souvenirs de l’autrice, portĂ© par une Ă©criture cinĂ©matographique, dense et sublime qui donne Ă  voir le New York fantasmĂ© de toute une gĂ©nĂ©ration.

L'AUBE AMÉRICAINE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL

QUESTIONS À L'AUTEUR

Comment est nĂ© ce premier roman ? Tout a commencĂ© Ă  New York, oĂč j’ai vĂ©cu un an il y a dix ans. On parle souvent d’ambition amĂ©ricaine : elle existe vraiment. Personne n’a peur de dire qu’il travaille sur un livre, sur un film. L’ambition amĂ©ricaine est trĂšs contagieuse : j’ai moi aussi eu envie d’écrire un roman. Il y a dix ans, j’ai donc rĂ©digĂ© 30 pages, dans lesquelles 28

je raconte l’histoire d’amour entre ThĂ©odora et Ethan. Mais rapidement, je me suis dit que je ne voulais pas que tout mon roman gravite autour de cette romance toxique, c’est lĂ  qu’est arrivĂ©e l’histoire avec Giagia (sa grand-mĂšre), qui, elle, est inspirĂ©e de ma vie. J’ai tout laissĂ© de cĂŽtĂ© pendant 10 ans, il fallait que ça mĂ»risse. Je m’y suis remise pendant le premier confinement. C’était aussi pour moi un moyen de voyager, de revivre cette fabuleuse annĂ©e newyorkaise, sans laquelle rien ne serait arrivĂ© : jamais je n’aurais osĂ© Ă©crire. Votre hĂ©roĂŻne, ThĂ©odora, porte votre patronyme : est-elle votre double ? Il y a beaucoup de moi dans ce livre – c’est normal pour un premier roman, on y met tout son cƓur, toute son Ăąme –, mais la trame narrative n’est pas

ma vie. Les impressions de New York sont les miennes, toutes ces petites anecdotes qui rajoutent de l’authenticitĂ© au rĂ©cit ; mais ThĂ©odora n’est pas mon double littĂ©raire. Le souvenir et la mĂ©moire Ă©taient deux thĂ©matiques qui m’étaient trĂšs importantes, j’ai donc Ă©tĂ© obligĂ©e d’aller chercher autre chose. Évidemment, ça parle de mes racines car je suis d’origine grecque, de mon voyage Ă  New York, mais la relation entre cette petite fille et sa grand-mĂšre qui perd progressivement de la mĂ©moire est de la fiction pure, mĂȘme si elle se nourrit de mon vĂ©cu. Il semble d’ailleurs que L’Aube amĂ©ricaine cherche Ă  perpĂ©tuer votre mĂ©moire familiale
 Quand je consacre un chapitre Ă  un rite funĂ©raire orthodoxe particuliĂšrement


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.