BOOKS
Texte Sarah Braun
Image Samuel Kirszenbaum
note sur 5
ĂMILIE PAPATHĂODOROU LâAUBE AMĂRICAINE
Quand je ferme les yeux et que je repense Ă LâAube amĂ©ricaine, deux images me viennent Ă lâesprit. La premiĂšre est celle du mythique « Manhattanhenge » (ou Solstice de Manhattan), soit ce moment parfait oĂč le soleil sâaligne pile avec les rues orientĂ©es Est-Ouest de Manhattan ; la seconde est celle dâun trĂšs petit appartement trĂšs sombre, un peu vĂ©tuste oĂč la lumiĂšre peine Ă percer Ă travers les persiennes. LĂ vit ThĂ©odora, lâhĂ©roĂŻne, aux cĂŽtĂ©s de sa grand-mĂšre Giagia. Câest Ă la rencontre de ces deux personnages que nous amĂšne Ămilie PapathĂ©odorou, dĂšs les prĂ©mices de son premier roman. Les deux femmes accomplissent alors un rite orthodoxe qui consiste Ă teindre des Ćufs. Pas banal cet incipit. TrĂšs vite, on comprend que Giagia nâest dĂ©jĂ plus vraiment lĂ ; ThĂ©o, elle, sâefforce de tout son cĆur de raviver cette mĂ©moire qui sâeffrite, quels que soient les subterfuges. Quand elle ne le fait pas, elle est au volant de son « saxo jaune » â en rĂ©alitĂ© un VTC noir, mais les clichĂ©s new-yorkais ont la vie dure â et dĂ©ambule dans les bas-fonds de New York. Au Mars Bar, son QG, elle sâentiche dâEthan. Ă la folie. Mais lui aussi lâoublie trop souventâŠ
« LA NARRATION MâIMPORTE MOINS QUE LE VISUEL, LE RENDU CINĂMATOGRAPHIQUE, LA CONVOCATION DE LâIMAGINAIRE »
Lâamour nâest quâun prĂ©texte. LâAube amĂ©ricaine est un roman sur la mĂ©moire, ses soubresauts, ses lacunes, sur le devoir quâelle impose. Une pure fiction passĂ©e Ă travers le kalĂ©ĂŻdoscope de souvenirs de lâautrice, portĂ© par une Ă©criture cinĂ©matographique, dense et sublime qui donne Ă voir le New York fantasmĂ© de toute une gĂ©nĂ©ration.
L'AUBE AMĂRICAINE, ĂDITIONS ALBIN MICHEL
QUESTIONS Ă L'AUTEUR
Comment est nĂ© ce premier roman ? Tout a commencĂ© Ă New York, oĂč jâai vĂ©cu un an il y a dix ans. On parle souvent dâambition amĂ©ricaine : elle existe vraiment. Personne nâa peur de dire quâil travaille sur un livre, sur un film. Lâambition amĂ©ricaine est trĂšs contagieuse : jâai moi aussi eu envie dâĂ©crire un roman. Il y a dix ans, jâai donc rĂ©digĂ© 30 pages, dans lesquelles 28
je raconte lâhistoire dâamour entre ThĂ©odora et Ethan. Mais rapidement, je me suis dit que je ne voulais pas que tout mon roman gravite autour de cette romance toxique, câest lĂ quâest arrivĂ©e lâhistoire avec Giagia (sa grand-mĂšre), qui, elle, est inspirĂ©e de ma vie. Jâai tout laissĂ© de cĂŽtĂ© pendant 10 ans, il fallait que ça mĂ»risse. Je mây suis remise pendant le premier confinement. CâĂ©tait aussi pour moi un moyen de voyager, de revivre cette fabuleuse annĂ©e newyorkaise, sans laquelle rien ne serait arrivĂ© : jamais je nâaurais osĂ© Ă©crire. Votre hĂ©roĂŻne, ThĂ©odora, porte votre patronyme : est-elle votre double ? Il y a beaucoup de moi dans ce livre â câest normal pour un premier roman, on y met tout son cĆur, toute son Ăąme â, mais la trame narrative nâest pas
ma vie. Les impressions de New York sont les miennes, toutes ces petites anecdotes qui rajoutent de lâauthenticitĂ© au rĂ©cit ; mais ThĂ©odora nâest pas mon double littĂ©raire. Le souvenir et la mĂ©moire Ă©taient deux thĂ©matiques qui mâĂ©taient trĂšs importantes, jâai donc Ă©tĂ© obligĂ©e dâaller chercher autre chose. Ăvidemment, ça parle de mes racines car je suis dâorigine grecque, de mon voyage Ă New York, mais la relation entre cette petite fille et sa grand-mĂšre qui perd progressivement de la mĂ©moire est de la fiction pure, mĂȘme si elle se nourrit de mon vĂ©cu. Il semble dâailleurs que LâAube amĂ©ricaine cherche Ă perpĂ©tuer votre mĂ©moire familiale⊠Quand je consacre un chapitre Ă un rite funĂ©raire orthodoxe particuliĂšrement