AÉROPORT DE RENNES 1 MILLION DE PASSAGERS EN 2020, C’EST POSSIBLE ?
TAXE D’HABITATION LES GRANDS GAGNANTS DE LA SUPPRESSION Aymeric Lesné Le fondateur du Stunfest dévoile sa collection privée
l.com l.com nsue nsue € / leme € / leme / 4,40 / 4,40 20172017 Avril bre 90 / Octo Numéro 95
LOBBY DE L’ALIMENTATION
RENNES SOUS INFLUENCE R 28039 - 095 F : 4,4 €
OCTOBRE 2017 N° 95 SOMMAIRE
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42
65
06. VOS PHOTOS
GRANDS FORMATS
MON RENNES
ACTU
32. RENNES-SAINT-JACQUES
63. AGENDA
08. REPÈRES 12. TAXE D’HABITATION
Les ménages rient, les maires se crispent 16. POLLUTION DE LA SEICHE
« Spectaculaire mais moins grave que beaucoup d’autres » 18. HÔTELLERIE À RENNES
Avec son congrès, la CFDT fait monter les prix
L’aéroport veut mettre le turbo 42. EN COUV : LOBBY DE L’ALIMENTATION
Rennes sous influence
54. JARDINS FAMILIAUX
Un bouillon de cultures 58. FRANÇOIS BAZENET
Lieutenant du breakdance
64. MUSIQUE
Un disque signé Korbell et Darcel 65. GIGSTA
« Je suis obsédée par le lien entre les mots et la techno » 66. CHRISTOPHE SÉMONT
« J’aime bien quand le méchant gagne » 67. RECONVERSION
Les arts de la friche
20. HARCÈLEMENT SEXUEL
68. AYMERIC LESNÉ
Le difficile combat de la direction de l’université
« Street fighter III reste mon jeu clé »
22. PATRICK CHAUDET
70. BASILIQUE SAINT-SAUVEUR
« Le phénomène des mineurs étrangers délinquants s’est accru »
Perfide Albion
24. INSTANTS D’AUDIENCES 26. ENORA LE PAPE
« Nous saurons proposer un projet volontariste pour Rennes » 28. MUNICIPALES RENNAISES
Le filon vert 30. POLITIQUE
ABONNEZ-VOUS RENDEZ-VOUS P. 31, 62 OU SUR ABO.LEMENSUEL.COM DISPONIBLE SUR TABLETTE
Tour Alma, 9e étage – 1 bis rue du Bosphore – 35200 Rennes / Tél : 02 99 79 04 65 / Courriel : rennes@lemensuel.com / Site internet : www.rennes.lemensuel.com Facebook : Mensuel de Rennes / Twitter : @MensueldeRennes DIRECTION Directeur de la publication Killian Tribouillard / Directeur artistique Thomas Dubois / Rédacteur en chef délégué Donovan Potin RÉDACTION Journalistes Claire Staes, Julien Joly, Maxime Gouraud / Photographe Lionel Le Saux / Graphistes Coralie Choupeaux, Chantal Rivière / Secrétaire de rédaction Donovan Potin / Relecture Josette Faure / Ont participé à cette édition Nathalie Musac PUBLICITÉ 02 99 79 04 65 / Courriel : communication@lemensuel. com / Chef de publicité - Agence de Rennes Xavier Hinnekint – 02 99 79 12 37 / Attaché commercial Publicité/Réassorts points de vente Romain Jaiffrai – 07 86 49 18 97 ABONNEMENT Thomas Dubois - Anaïc Lqllouet / Le Mensuel Abonnements – 6-8 rue Hoche – BP28 – 56001 Vannes Cedex – 02 97 47 84 74 Courriel : abonnements@lemensuel. com ADMINISTRATION SPO Service carrière – 7 voie d’accès au Port – 29600 Morlaix / recrutement.letelegramme.fr / RH Catherine Le Carpentier – 02 97 47 84 74 IMPRESSION Etic Graphic, Laval – Imprimé sur du papier PFEC DIFFUSION Dépôt central de presse / Dépôt légal : à parution ISSN : 2101-8936 Commission paritaire : 0516 I 89863 Le Mensuel de Rennes est édité par SPO, SAS au capital social de 100 000 €, Siège social : 7 voie d’accès au Port – 29600 Morlaix – 02 97 47 84 74 – RCS Brest : 814 907 200 – APE : 5814Z. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation de l’éditeur. © 2017 SPO SAS
Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
3
AGORA
RÉACTION
« Non, M. Méhaignerie n’a pas tué Isabelle Le Callennec » Publiée dans Le Mensuel de juillet-août, l’analyse de la défaite de la député LR Isabelle Le Callennec dans la circonscription de Vitré en juin a suscité cette réaction de lecteur. Je ne partage pas votre analyse de la situation politique à Vitré parue dans Le Mensuel n°93 de juillet-août. Les électeurs du pays de Vitré sont essentiellement des centristes modérés. C’était ce qui expliquait l’implantation ancienne et durable de M. Pierre Méhaignerie (ancien ministre et actuel maire de Vitré, NDLR), dont certains Vitréens n’ont pas bien suivi la migration vers Sarkozy il y a quelques années. Mme Isabelle Le Callennec a fait plusieurs erreurs qui expliquent son échec (aux législatives, NDLR), qui, à mon avis, est lié à ses prises de position sur : -Le mariage pour tous, opinion trop à droite et intolérante pour beaucoup de Vitréens, même catholiques. M. Méhaignerie n’aurait pas fait cette erreur. -Sur l’autisme, sur lequel elle ne semble pas connaître le sujet. -Derrière Sarkozy, puis Fillon. Les Vitréens sont plus proches des centres qu’incarne M. Bayrou et qu’incarnait M. Pierre Méhaignerie. Non, M. Méhaignerie n’a pas « tué Isabelle Le Callennec ». Ce sont ses erreurs de position qui l’ont coulée, à mon avis, définitivement. Je ne crois pas à son retour possible localement. OPINION D’UN VIEUX VITRÉEN
ACCIDENT DE SAINT-MÉDARD
« La justice semble négliger le respect des victimes »
SUR LES TOITS DE RENNES Et les gagnants sont... Elodie Laniepce et « Val Vdl » ont remporté deux ans d’abonnement gratuits au Mensuel de Rennes en devinant d’où était prise la dernière photo de notre série Sur les toits de Rennes, publiée dans le magazine de septembre. Il s’agissait de la tour Alma, où est installée notre rédaction. Bravo aux gagnants et merci aux autres lecteurs pour leur participation !
PRÉCISION La légende d’une infographie a malencontreusement « sauté » dans notre enquête consacrée à l’évolution de la qualité de l’air, Rennes au milieu du gué, publiée dans Le Mensuel de septembre. Sous les colonnes montrant l’origine des polluants, il fallait lire, de gauche à droite : oxydes d’azote, PM10 et PM2,5. Merci aux lecteurs qui nous ont signalé cette bévue.
L’annonce réalisée par le procureur de la République, en septembre, de la tenue éventuelle d’un procès en 2018 suite à l’accident de train de Saint-Médard a motivé l’un des proches d’une des personnes décédées à écrire au Mensuel. En tant que famille d’une victime de l’accident de train survenu à Saint-Médard en 2011, je m’étonne que Le Mensuel de Rennes n’ait pas vraiment dénoncé le laxisme de la justice dans l’instruction de ce dossier. Sept ans d’instruction, pas moins de 3-4 juges d’instruction qui se sont succédé... Je trouve que l’annonce faite par le procureur de la probable date du procès en 2018 mériterait de creuser davantage sur la lenteur de la justice. Car, par delà le drame, il y a aussi le respect des victimes et des familles que la justice semble négliger.
Le 12 octobre 2011 en fin d’après-midi, un TER percutait un semi-remorque arrêté sur un passage à niveau à Saint-Médard au nord de Rennes. Trois passagers du train étaient tués et plusieurs dizaines d’autres étaient blessés. S’en était suivie une polémique sur ce passage à niveau réputé dangereux. Depuis, Réseau ferré de France et la SNCF ont été mis en examen. L’instruction se poursuit. En septembre, le procureur de la République a annoncé la tenue d’un procès pour 2018. D’importants travaux ont aussi été annoncés pour sécuriser le passage à niveau actuel mais leur livraison ne devrait pas intervenir avant 2020, au mieux. Soit près de neuf ans après l’accident. Le Mensuel ne manquera pas de revenir sur ce sujet. LA RÉDACTION
4 Le Mensuel N°95 / Octobre 2017
ÉCRIVEZ-NOUS Le Mensuel de Rennes 1bis rue du Bosphore, 35200 Rennes Tél : 02 99 79 04 65 RÉAGISSEZ rennes@lemensuel.com ou www.lemensuel.com
PHOTOBLOG
Présence Par Sylvain Brajeul
Sylvain nous propose cette image réalisée aux anciennes tanneries de Rennes lors d’une sortie Urbex. Le graphisme de la photo, renforcé par le traitement en noir et blanc, donne de l’intérêt à cette image. Mais son principal atout est la présence de ce visage féminin graffé sur le mur, mis en valeur par une composition harmonieuse. Déposez vos images sur
VOSPHOTOS.LE MENSUEL.COM
Créé en octobre 2011 pour vous permettre de publier vos photographies, le photoblog du Mensuel accueille toutes les images. Lieu d’échanges et de débats, il est aussi ouvert à vos commentaires. Seules exigences : un peu d’imagination et d’ambition esthétique. Chaque mois, la rédaction sélectionne une photographie et la publie en rubrique Agora du magazine. Retrouvez toutes les infos sur vosphotos.lemensuel.com ou sur le site internet du magazine lemensuel.com.
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REPÈRES
SAMEDI 16.09
DES MARQUIS AU LIBERTÉ
C. Staes
RENNES. La capitale bretonne leur doit sa réputation de ville rock. 36 ans après leur dernier concert, le quatuor mythique des Marquis de Sade se reforme pour un show exceptionnel car unique, au Liberté, à l’occasion de la biennale Teenage Kicks. Quarante ans après leur création à Rennes, les Marquis de Sade enflamment un public conquis et prouvent que l’on peut bien vieillir. Les musiciens ont renoué avec leur son atypique. Parmi les 3 000 personnes présentes, du beau monde, parfois venu de loin pour l’événement : Etienne Daho, Yann Tiersen, Pascal Obispo...
8 Le Mensuel N°95 / Octobre 2017
C. Staes
Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
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REPÈRES
LE MUR DE LA GLOIRE
SAMEDI 23.09
RENNES. 250 m dédiés à la liberté d’expression. Une trentaine de graffeurs venus de plusieurs pays réalisent une immense fresque, boulevard du Colombier, le long de la voie de chemin de fer. Près de 900 m² de murs sont sous-couchés en 2 heures 30 de temps. Nom de code de l’opération : Wall of fame (le mur de la gloire). Une performance qui intervient dans le cadre de la 3e édition de la biennale d’arts urbains, Teenage kicks, qui se déroule à Rennes, Nantes et Saint-Malo.
VENDREDI 01.09
UNIVERSITÉS : L’UNION PLUTÔT QUE LA FUSION
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VENDANGE PLUVIEUSE, VENDANGE HEUREUSE SAMEDI 16.09
RENNES. Sous une pluie battante, une dizaine de courageux ramassent plusieurs kilos de raisins dans des jardins du quartier du HautQuineleu au sud de Rennes. La précieuse récolte est pressée sur place, rue de Châtillon. 160 l de jus finissent en tonneaux. La dégustation du cru rennais est prévue en novembre. L’association Rennes-Jardin perpétue cette tradition du vignoble rennais depuis 25 ans.
L. Le Saux / DTACC-projects
RENNES. Après un quatrième échec début 2017 à l’obtention des fonds Idex, les facultés ont décidé de s’allier avec quatre grande écoles (ENSCR, ENS, Sciences Po et l’Insa) pour présenter le projet Unir, l’acronyme d’universités rennaises. Tout un symbole. Le projet est présenté à la ministre, Frédérique Vidal. Son objectif est de créer, d’ici 2019, un établissement public à caractère scientifique de près de 60 000 étudiants, afin de bâtir une stratégie de recherche commune et de peser à l’international.
UN HÔTEL 4 ÉTOILES PLACE DES LICES VENDREDI 15.09
RENNES. Rooftop, spa, restaurants, bars, salles de séminaire... La Trinité sera le futur grand hôtel de la capitale bretonne, installé place des Lices dans l’immeuble qui était occupé par le siège de la BPO. Cet établissement haut de gamme comptera 120 chambres réparties sur 12 000 m² de surface. Il dopera les capacités hôtelières de la ville, en marge de l’ouverture du futur centre des congrès début 2018. Deux maîtres d’ouvrage mènent ce projet : le promoteur Blot allié au groupe de BTP Legendre. Ouverture prévue dans deux ans.
MERCREDI 06.09
UNE EXPO PINAULT EN 2018
RENNES. Le Mensuel avait révélé en juin 2016 que le milliardaire était « OK sur le principe ». La Ville le confirme en septembre. Rennes accueillera bien une vaste exposition d’art contemporain issue de la collection des œuvres de François Pinault, l’une des plus riches au monde. Elle se tiendra du 22 juin au 9 septembre 2018 au Couvent des Jacobins. Cette annonce intervient après le succès de l’exposition des frères Bouroullec en 2016. « François Pinault a répondu avec enthousiasme à l’invitation de la maire de Rennes », se félicite la Ville.
8 000 MANIFESTANTS CONTRE LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL
L. Le Saux / DTACC-projects
MARDI 12.09
RENNES. A l’appel de l’intersyndicale CGT, FSU, SudSolidaires, environ 8 000 personnes descendent dans la rue pour protester contre la réforme du Code du travail. Cette première mobilisation du quinquennat Macron se déroule sans violences. Neuf jours plus tard, un nouveau rassemblement réunit près de 3 000 personnes. Une cinquantaine de manifestants s’introduisent brièvement dans les locaux de la Sécurité sociale pour dénoncer la baisse des APL. Le lendemain, le président de la République signe les ordonnances réformant le Code du travail.
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MAXIME GOURAUD maxime.gouraud@lemensuel.com
TAXE D’HABITATION
Les ménages rient, les maires se crispent
e 24 septembre, lors des élections sénatoriales (dont l’Ille-et-Vilaine était exemptée), les élus locaux ont envoyé un signal. En votant majoritairement pour les partis de « l’ancien monde » (LR, PS, UDI...), les grands électeurs ont signifié à l’exécutif leur défiance vis-à-vis de la suppression de la taxe d’habitation (TH).
L
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Bien sûr, la mesure fiscale qui se profile ne saurait expliquer seule le revers de la République en marche. La suppression des contrats aidés et l’effort supplémentaire demandé aux collectivités territoriales de 13 milliards d’euros sur cinq ans auront aussi nourri le feu des critiques envers le duo Macron-Philippe. Mais plus que toute autre annonce, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80% des ménages a braqué les élus. Et notamment
les maires, premier contingent d’électeurs aux sénatoriales. Le candidat Emmanuel Macron l’avait promis. D’ici trois ans, quatre Français sur cinq ne devraient plus payer la TH. Seront concernés les contribuables dont le revenu annuel de référence ne dépasse pas un certain plafond, fixé selon leur situation : 27 000 € pour un célibataire, 43 000 € pour un couple, 49 000 € pour un couple avec enfant,
Archives Le Mensuel
D’ici trois ans, 80% des foyers seront exonérés de taxe d’habitation. Une mesure qui réjouit les contribuables autant qu’elle inquiète dans les communes de Rennes métropole. Elles craignent notamment pour leur autonomie.
24,71% etc. Concrètement, la réforme s’appliquera à ceux qui perçoivent moins de 2 500 € de revenus mensuels imposables, a fait savoir le ministère de l’Action et des Comptes publics dans les colonnes du Monde. Dès l’an prochain, la taxe baissera de 30% sur la feuille d’imposition de 17 millions de foyers. Coût pour l’Etat : 3 milliards d’euros. A terme, sa suppression représentera une économie de 10 milliards d’euros pour les ménages par an. Une manière simple de leur rendre du pouvoir d’achat.
LA TAXE FINANCE DES PROJETS LOCAUX. ETONNANT QU’ON N’AIT PLUS LA MAIN DESSUS
Archives Le Mensuel
MARC HERVÉ, adjoint aux finances de Rennes
La décision est aussi populaire auprès des contribuables qu’elle hérisse le poil des élus municipaux. « Ce n’était pas le point de programme avec lequel j’étais le plus d’accord au moment de la campagne », reconnaît le maire de SaintGrégoire Pierre Breteau (UDI), qui a parrainé Emmanuel Macron. Tous pourtant l’accordent : la taxe d’habitation est un impôt devenu « injuste », « vétuste », « illisible », qu’il est grand temps de réformer (lire ci-contre). « Le problème, c’est qu’elle n’est pas calculée par rapport aux revenus du propriétaire ou du locataire mais à la valeur du logement », fait remarquer Marc Hervé (PS), adjoint aux finances à Rennes. S’ils logeaient dans le même bien, un couple de retraités aisés et une famille monoparentale avec cinq enfants paieraient la même somme. « Un bon impôt devrait être assis sur la capacité contributive de chacun. » « Le gouvernement fait un bon constat,
celui d’une taxe inéquitable. Mais la mesure elle-même va générer de l’inégalité. Elle est très imparfaite », pointe la sénatrice Françoise Gatel (UDI), présidente de l’Association des maires d’Ille-et-Vilaine. Parmi les propriétaires ou locataires concernés par la réforme, tous ne gagneront pas la même chose, selon les taux en vigueur dans leurs communes. Pour un même bien, l’exonération ne représentera pas la même hausse du pouvoir d’achat qu’on se trouve à Rennes (35,63%) ou à Chartresde-Bretagne (24,71%). La mesure induit également des effets de seuil. A 26 900 €, un célibataire ne paiera pas. A 27 100 €, il devra mettre la main au porte-monnaie. C’est tout ou rien. Des élus vont même jusqu’à s’interroger sur la légalité d’un impôt qui ne serait payé que par 20% des Français. Autre source de défiance de la part des maires : la contrepartie. A l’heure où nous bouclons ces lignes, les mesures compensatoires n’étaient pas encore connues dans le détail. Plutôt que le versement d’une dotation supplémentaire, l’option du dégrèvement semblait tenir la corde. En clair, l’Etat se substituera aux contribuables et redistribuera, à l’euro près, ce que la collectivité devait toucher avant l’exonération. L’augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée) permettra de financer la mesure. Les communes et communautés de communes pourraient garder la maîtrise de leurs taux1.
Des élus échaudés De nombreuses questions restent en suspens. Quelles seront les garanties apportées aux collectivités ? Le dégrèvement va-t-il être sanctuarisé quelques années ? Sera-t-il dynamique ou figé, c’est-à-dire prendra-t-il en compte les évolutions démographiques ? Une certitude, la confiance n’est pas de mise. « On avait déjà bien des compensations. On sait ce qu’elles sont devenues », raille Philippe Bonnin, maire de Chartresde-Bretagne (PS), en référence à la baisse des dotations observées depuis 2014. L’exemple de la taxe professionnelle a
C’est le taux de la taxe d’habitation à Chartres-de-Bretagne, le plus bas de Rennes métropole. La commune de 7 300 âmes devance Cesson-Sévigné (24,87%). Sur l’ensemble de l’Ille-et-Vilaine, la palme revient à La Selle-en-Luitré (Fougères agglomération), avec une TH de 19,1%.
39,73% SOIT LE TAUX DE TAXE D’HABITATION LE PLUS ÉLEVÉ DE RENNES MÉTROPLE (ET PAR LA MÊME OCCASION DE L’ILLEET-VILAINE). UNE PREMIÈRE PLACE QU’OCCUPE LA PETITE COMMUNE DE LE VERGER, DEVANT SA VOISINE CINTRÉ (36,1%). RENNES COMPLÈTE LE PODIUM (35,63%).
20% C’est la part que représente la taxe d’habitation communale dans le budget de la Ville de Rennes. Schématiquement, un euro sur cinq que la collectivité dépense pour son fonctionnement ou ses investissements provient de cet impôt.
71 MILLIONS D’€ Ou, à la louche, le produit de la TH communale à Rennes en 2017. L’équivalent de ce que la Ville dépense par an pour les solidarités, la culture, l’enfance et le sport. Sur l’ensemble de la France, les collectivités perçoivent environ 22 milliards d’euros au titre de la taxe d’habitation.
2003
Depuis quatorze ans, le taux de la taxe d’habitation n’a pas changé à Saint-Jacques-de-la-Lande (19,97%). Idem pour Betton (17,3%). Dans le même temps, celles de Bruz et Cesson-Sévigné ont gagné plus de deux points.
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TAXE D’HABITATION
VILLE
TAXE D’HABITATION1 (EN %)
TAXE SUR LE FONCIER BÂTI (EN %)
IMPÔT SUR LE REVENU2 (EN €)
RENNES BRUZ CESSON-SÉVIGNÉ SAINT-JACQUES-DE-LA-LANDE PACÉ BETTON CHANTEPIE SAINT-GRÉGOIRE LE RHEU THORIGNÉ-FOUILLARD VERN-SUR-SEICHE CHARTES-DE-BRETAGNE MORDELLES NOYAL-CHÂTILLON-SUR-SEICHE ACIGNÉ VEZIN-LE-COQUET GÉVEZÉ LAILLÉ LA CHAPELLE-DES-FOUGERETZ SAINT-GILLES
35,63
27,49
4 315
31,9 24,87
21,27 14,27
4 116 5 634
33,61
21,7
2 262
30
18,92
5 089
30,94
20,73
4 224
29,5
20,54
3 179
30,46
18,31
7 435
33,64
22,43
3 498
30,7
20,58
4 415
31,08
22,79
3 708
24,71
15,14
3 027
29,44
17,83
2 941 3 344
33,91
25,61
31,84
19,93
3 451
31,47
19,52
3 559
31,24
21,03
2 527
30,14
20,25
3 347
33,43
23,7
3 715
31,68
18,96
3 732
1. Parts communales et intercommunales cumulées 2. Impôt moyen payé en 2016 par les foyers imposés sur le revenu
TAXE D’HABITATION
COMMENT ÇA MARCHE ?
Le montant de la taxe d’habitation repose sur la valeur locative d’un bien, c’est-à-dire son loyer théorique. Celui-ci est attribué par l’administration fiscale selon plusieurs paramètres (superficie, environnement, confort...). Problème soulevé par tous les élus : la valeur locative est encore calculée en fonction de l’immobilier tel qu’il était... en 1970. Depuis plus de quarante ans, les bases d’imposition n’ont jamais été révisées. Aucun gouvernement n’ayant osé s’attaquer à un chantier qui s’annonce immense. Ce qui induit aujourd’hui de fortes disparités, totalement décorrélées de la réalité du marché. Les logements en centre-ville étaient par exemple beaucoup moins valorisés par le passé, quand les HLM l’étaient davantage. A cette valeur locative est appliqué un taux fixé par les collectivités locales (communes et communautés de communes). Le produit des deux correspond au montant de la taxe d’habitation à payer.
14 Le Mensuel N°95 / Octobre 2017
échaudé les édiles. En 2010, l’Etat s’était engagé auprès des collectivités à pallier sa suppression. Une compensation qui s’est aujourd’hui érodée. « On ne donne que ce que l’on a », philosophe Grégoire Le Blond (UDI), premier magistrat de Chantepie, par ailleurs vice-président de l’association des petites villes de France. « Et on a vu que quand l’Etat est en déficit, il reprend aux communes. » Quelles que soient les modalités de compensation, les maires s’inquiètent pour leur autonomie. Leur crainte : devenir un simple organisme sous tutelle de l’Etat. « La fiscalité locale sert à financer des projets locaux », insiste Marc Hervé. « C’est étonnant qu’on n’ait plus la main dessus. » Avec l’exonération de la TH, les collectivités perdent la pleine maîtrise d’un levier de recettes qu’elles pouvaient actionner. Un paradoxe, alors que l’Etat leur demande toujours plus d’efforts et que leurs compétences se multiplient. L’expression aussi d’un retour
à un système centralisé, déconnecté du terrain, augurent certains. « Le préfet n’aura bientôt plus qu’à gérer lui-même et à nommer de grands fonctionnaires à la place des maires », charge-t-on dans les communes.
Un message « populiste » et « dangereux » L’exonération de la taxe d’habitation enverrait également un signal « dangereux » aux contribuables. Le message implicite -« et populiste »- que les services publics ne coûtent rien. « Dans l’imaginaire, l’impôt local est une confiscation. Alors que c’est un outil de cohésion et de redistribution du pouvoir d’achat », rappelle Marc Hervé. La taxe d’habitation finance les cantines, les centres de loisirs, la voirie, l’éclairage public... La supprimer, ce serait déresponsabiliser le citoyen sur sa contribution à la société. « On passe encore pour les méchants. Alors que les gens sont estomaqués quand ils se rendent comptent qu’ils coûtent plus à la commune qu’ils ne versent en impôt », ajoute Pierre Breteau, maire de Saint-Grégoire. Les maires défendent pour la plupart l’instauration d’une taxe basée sur les revenus et non plus sur la valeur locative. Un chantier énorme, qui pourrait bien être lancé d’ici la fin du quinquennat. « Le gouvernement est en train de vider la taxe d’habitation de sa substance. C’est un préambule. Emmanuel Macron fait d’une pierre deux coups », analyse Pierre Breteau. Tout en faisant un cadeau aux contribuables, l’exécutif chamboule totalement le dispositif de la fiscalité locale. Et rend par la même occasion indispensable une remise à plat complète du système. 1. A ce sujet, le professeur en sciences économiques Yann Le Meur (Rennes 1) expliquait dans Le Télégramme (18/07) : « La part d’impôt consécutive à l’augmentation du taux d’imposition restera à la charge du contribuable exempté. Exemple : monsieur X payait 1 000 € de taxe auparavant et se trouve exempté du fait de la réforme. Le maire décide d’augmenter le taux de la taxe de 10 % : monsieur X devra payer 100 € (mais pas les 1 100 € qu’il aurait payés sans réforme). »
ACTU
Au premier plan, la station d’épuration qui a rejeté l’eau anormalement chargée en lactose. Au second plan, l’usine Lactalis de Retiers.
« SPECTACULAIRE MAIS MOINS GRAVE QUE BEAUCOUP D’AUTRES » Le 18 août, un incident se produisait à l’usine Lactalis de Retiers. Trois jours plus tard, les rejets d’eau saturée en lactose asphyxiaient les poissons de La Seiche. Depuis, sur 8 km, il n’y a plus de vie dans le cours d’eau. Une enquête est en cours. Les pêcheurs, eux, ne décolèrent pas. « C’est une pollution d’une ampleur exceptionnelle », souffle un fonctionnaire de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Le 18 août, un incident dans un atelier de l’usine Lactalis de Retiers a entraîné le rejet d’eau saturée en lactose dans La Seiche. Conséquence : « Sur 8 km, la rivière est recouverte de lentilles d’eau et, surtout, tous les poissons ont été asphyxiés », poursuit l’agent de la DDTM, avant de tempérer. « C’est spectaculaire. Mais cette pollution est moins grave que
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beaucoup d’autres qui ne se voient pas. Les rejets de Lactalis, de l’eau insuffisamment épurée en lactose, sont organiques. La nature va pouvoir reprendre ses droits. Dans quelques mois, il n’y paraîtra plus. L’agence française pour la biodiversité considère que le milieu sera revenu à son état normal dans trois ans. Il y aura de nouveau des poissons-géniteurs. » Ce « policier de l’eau » connaît parfaitement le dossier sur la pollution de La Seiche par Lactalis fin août. Son analyse a le mérite du recul. Pourtant, elle est loin de satisfaire les associations de protection de l’environnement qui, un mois et demi après le début de la pollution, ne décolèrent pas. Trois d’entre elles ont porté plainte contre le géant de l’agroalimentaire qui emploie 850 personnes à Retiers. « Nous ne pouvons tolérer que la rivière soit entièrement asphyxiée sur 8 km car il y a eu un “problème dans l’usine” », gronde Jérémy Grandière de la Fédération française de pêche, qui estime que près de 15 à 20 t de poissons morts auraient été collectés par Triadis service, l’entreprise chargée de leur ramassage. Pourtant, officiellement, seules quatre tonnes de cadavres de poissons ont été collectées, puis incinérées dans l’unité de traitement de produits d’abattage de la SVA Jean-Rozé à Cornillé. « La collecte des poissons morts n’a commencé que dix jours après leur asphyxie. Ils étaient en état de décomposition avancée quand on a voulu les retirer de l’eau. Les lambeaux passaient à travers les épuisettes »,
souffle Pauline Pennober de l’association Eau et rivières. Lactalis a-t-elle tardé à donner l’alerte ? A-telle sciemment continué à déverser de l’eau polluée dans La Seiche ? C’est ce qu’aura à évaluer le procureur de la République de Rennes. Le magistrat s’appuiera sur l’enquête de la gendarmerie de Vitré et sur le procès verbal de l’Agence française de la biodiversité. Quelle que soit la suite judiciaire donnée, Jérémy Grandière prévient : « Nous, nous irons jusqu’au bout. »
15 À 20 T DE POISSONS MORTS Le représentant des pêcheurs assure qu’ils ne se satisferont pas d’une simple compensation via le financement de l’introduction de poissons par l’industriel. « Nous voulons de réelles garanties pour que Lactalis ou un autre industriel ne puisse plus polluer les cours d’eau. » Au micro de France bleu Armorique, Bruno Alix, directeur de l’usine de Retiers, ne cachait pas son erreur après les faits mais rassurait : « On assumera notre responsabilité. Ce genre d’incident ne se reproduira plus. Nous avons d’ores et déjà mis en place des actions correctives. » Une chose est certaine : la suite donnée à cette procédure ne devrait pas se faire attendre. La pression médiatique est telle que le procureur devrait arbitrer rapidement. Claire Staes
L. Le Saux
POLLUTION DE LA SEICHE
L. Le Saux
ACTU
VIDÉOSURVEILLANCE
LE DÉBAT SUR SON UTILITÉ RELANCÉ
10,1% C’est le nombre de déplacements domiciletravail qui s’effectuent en vélo à l’intérieur de Rennes, selon une étude de l’Insee dévoilée en septembre. Rennes fait partie des grandes villes françaises de plus de 100 000 habitants où la pratique du vélo est la plus fréquente. Elle figure au quatrième rang des 39 grandes villes les plus cyclistes, loin cependant derrière Strasbourg (20%), Grenoble (18,5%) et Bordeaux (16,1%). Comme pour l’ensemble de la Bretagne, la voiture reste toutefois le moyen de déplacement le plus utilisé (39,2%), devant les transports en commun (27,9%) et la marche (16,8%).
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HÔTELLERIE À RENNES
AVEC SON CONGRÈS, LA CFDT FAIT MONTER LES PRIX
La CFDT tiendra son grand congrès annuel en juin à Rennes. Près de 3 500 personnes sont attendues. Résultat : de nombreux hôtels sont complets pendant que d’autres ont considérablement augmenté leurs prix. vis aux touristes qui veulent dormir à Rennes entre les 4 et 8 juin. D’après les sites Internet de nombreux hôtels rennais, il sera difficile de trouver une chambre à un tarif intéressant. A cette date se tiendra le grand congrès de la CFDT au Liberté et au nouveau centre des congrès du Couvent des Jacobins. Entre 3 000 et 3 500 personnes sont attendues. Pour faciliter l’organisation, Destination Rennes, l’office de tourisme, s’est transformé en centrale de réservation et a retenu 2 200 chambres sur une capacité totale de 4 000 chambres sur la métropole. « Proposer un service de centrale hôtelière faisait partie des conditions d’éligibilité pour recevoir ce congrès, explique Karine Tréguer, sa directrice commerciale. Au lieu d’être en contact avec des dizaines d’établissements, la CFDT n’a qu’un interlocuteur unique, Destination Rennes. Pour pré-réserver, nous avons demandé aux hôteliers intéressés de nous faire connaître le nombre de chambres à disposition et leurs prix. » Résultat : neuf mois avant l’événement, de nombreux établissements rennais sont déjà complets. Et ceux qui proposent encore quelques lits ont considérablement augmenté leurs tarifs. Dans plusieurs hôtels du centre, les prix affichés ont carrément doublé. « Ce n’est pas vrai
A
partout, défend Anthony Perrois, président du club hôtelier de Rennes métropole. Le centre est l’exception. Les hôtels plus éloignés n’ont augmenté leurs tarifs que de quelques euros. » Karine Tréguer nuance aussi : « Si quinze jours avant l’événement, les hôtels ne sont pas pleins, ils baisseront leur prix. » Prix forts ou pas, « un congressiste français dépense en moyenne entre 180 et 200 € tout compris (hébergement, restauration, shopping). Un congressiste étranger le double », précise Karine Tréguer. Ce qui signifie que le raout de la CFDT devrait ramener entre 2,5 et 3 millions d’euros dans l’économie locale. Sur une année, les retombées économiques du Couvent des Jacobins sont estimées à vingt millions d’euros. Premiers concernés, les hôteliers sont ravis de ce regain d’activité. Dès 2018, les établissements vont profiter de l’ouverture du centre des congrès. « J’ai d’ores et déjà quinze jours de pleine activité de plus qu’en 2017, se félicite Anthony Perrois, président des hôteliers de la métropole. Et ce n’est pas fini, beaucoup de congressistes n’ont pas encore réservé. Tout comme les touristes individuels que nous espérons nombreux avec l’exposition Pinault (lire p.11). » Claire Staes claire.staes@lemensuel.com
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C’est l’étude dont les résultats sont les mieux gardés de la Ville de Rennes. Courant septembre, les élus de la majorité municipale ont reçu les conclusions d’une vaste enquête portant sur les effets de la vidéosurveillance sur la délinquance urbaine. Ce document, que Le Mensuel a pu entrapercevoir, va relancer le débat sur l’intérêt d’un tel système. Il établit que celui-ci produit peu d’effets sur la réduction de la délinquance de voie publique. La présence de caméras dans les rues de la cité a surtout pour conséquence de déplacer les problèmes d’un lieu à un autre. Les résultats de cette enquête seront présentés lors du prochain conseil municipal, lundi 9 octobre.
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ACTU
4E
HARCÈLEMENT SEXUEL
LE DIFFICILE COMBAT DE LA DIRECTION DE L’UNIVERSITÉ E n septembre, Le Mensuel révélait les graves problèmes de harcèlement sexuel qui minent les universités rennaises. Des pratiques qui semblent communes aux facs françaises, contre lesquelles les instances dirigeantes rennaises ont décidé de lutter. Un combat compliqué, perturbé par les rumeurs à caractère diffamatoire, diffusées, notamment, sur les réseaux sociaux. Des procédés dénoncés par Olivier David, président de Rennes 2, le 26 septembre. « On a assisté à la mise en cause publique de personnels de l’établissement dans des situations supposées de harcèlement sexiste et/ou sexuel. A chaque fois, les auteurs de ces mises en cause s’abritent derrière un anonymat commode justifié par ce qui serait l’inertie de l’équipe de direction. La diffusion de tracts désignant nominativement des personnels ou les dénonciations lancées sur les
réseaux sociaux perturbent considérablement le traitement des cas portés à la connaissance de la direction. (…) Ces procédés desservent la lutte contre le harcèlement sexuel par leur mépris des règles et des lois. » Le président de Rennes 2 rappelle les mesures prises pour lutter contre ce phénomène (lire Le Mensuel de septembre). Et assure que les faits portés à sa connaissance « ont tous reçu une réponse immédiate ». Ainsi, selon nos informations, le procureur de la République a été alerté par la faculté, le 13 septembre, de faits portant sur « un comportement graveleux » d’un professeur. Une enquête a été ouverte le 15 septembre. Et le professeur a été convoqué pour s’expliquer à l’hôtel de police le 27. A l’heure où nous bouclons, nous ne connaissons pas les éventuelles suites données à cette affaire. Claire Staes claire.staes@lemensuel.com
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C’est la place de Rennes au sein des 44 villes françaises où il fait bon étudier, selon le palmarès 2017 du magazine L’Etudiant dévoilé en septembre. Ce palmarès se fonde sur de multiples critères, prenant en compte la qualité des formations mais aussi des indicateurs de qualité de vie. La capitale bretonne arrive ex-aequo avec Montpellier, à un cheveu de Toulouse. Parmi ces trois villes rivales, Rennes est la cité qui affiche la plus forte part d’étudiants dans sa population (20,7%), le meilleur taux de réussite en licence, la plus forte densité d’offre de formations, les plus faibles loyers médians pour un studio (391 € contre 454 € pour Montpellier et 443 € pour Toulouse). C’est aussi Rennes qui dispose du plus faible taux de délinquance et de chômage (7,7% à Rennes, 13% à Montpellier et 9,7% à Toulouse). En dix ans, Montpellier et Toulouse ont accueilli 12 000 à 14 000 étudiants supplémentaires, contre 8 700 à Rennes. La capitale bretonne se fait aussi piler par ses concurrentes sudistes sur le dynamisme de l’emploi sur dix ans, le prix annuel de l’abonnement aux transports collectifs (317 € par an à Rennes, 143 € à Montpellier et 100 € à Toulouse) et... l’ensoleillement.
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ACTU
« Ce n’est pas un mouvement d’ampleur mais il se développe », constate Patrick Chaudet, directeur départemental de la sécurité publique d’Ille-et-Vilaine.
PATRICK CHAUDET
Directeur de la sécurité publique
« LE PHÉNOMÈNE DES MINEURS ÉTRANGERS DÉLINQUANTS S’EST ACCRU » L’Ille-et-Vilaine fait face à une augmentation des arrivées de mineurs étrangers isolés. Une minorité est impliquée dans de récents faits divers. Patrick Chaudet,directeur départemental de la sécurité publique, tente de quantifier et d’expliquer ce phénomène. Le Mensuel : De plus en plus de mineurs étrangers isolés s’installent en Ille-et-Vilaine. Certains sont bien connus des services de police. Distinguez-vous des mineurs qui sombrent dans la délinquance devant la difficulté à survivre seuls en France ou est-ce des jeunes qui viennent ici pour vivre de la délinquance ? PATRICK CHAUDET : Clairement, les
jeunes auxquels la police rennaise à affaire viennent pour vivre de la délinquance. Ils refusent l’aide du conseil départemental. Ils ne restent pas dans les foyers. Au premier feu rouge, ils descendent de voiture ! De
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temps en temps, ils profitent de nuits d’hôtel ou de bons pour manger. Ils ne veulent pas se faire assister. Ils logent dans des squats ou chez des amis. La voie royale pour eux est de séduire une jeune femme, de lui faire un enfant, et d’habiter chez elle. Ces jeunes sont très souvent violents. Leurs interpellations sont souvent agitées. Ils ne respectent ni la police, ni la justice. A Rennes et plus généralement dans l’ouest de la France, quelle est l’ampleur du phénomène ? En ce moment, à Rennes, une petite centaine de mineurs étrangers isolés posent problème. Ils sont
probablement entre 80 et 100. Ce sont des jeunes très mobiles. Après des démêlés avec la justice, ils quittent la ville. On les retrouve ensuite à Nantes, Bordeaux, Quimper… Dans l’ouest de la France, fin décembre 2015, il y avait 90 mineurs isolés étrangers qui posaient problème en Maine-et-Loire, 90 en Vendée, 71 en Finistère, 250 en Loire-Atlantique, 80 en Ille-et-Vilaine et 22 dans le Calvados. Cela fait près de 600. Fin 2015, 80 mineurs étrangers isolés étaient connus des services de police en Ille-et-Vilaine. Dans le même temps, ils étaient 250 en LoireAtlantique… Pourquoi le phénomène est moindre, ici ? Ce sont les chiffres de fin 2015… Mais le phénomène s’est accru. Nous sommes davantage touchés depuis quelques mois. Rien que sur le premier trimestre 2017, nous avons procédé à 63
CLAIRE STAES claire.staes@lemensuel.com
interpellations. Nous allons refaire un recensement prochainement. Nous sommes touchés par des mineurs ou des faux mineurs qui veulent profiter de l’excuse de minorité. Il y en a certains pour qui nous arrivons à prouver la majorité grâce aux relevés d’empreintes papillaires ou génétiques. Car ils ont déjà été l’objet de signalement et leur âge a été enregistré. On peut aussi prouver un âge par des radiographies osseuses qui peuvent se faire avec l’accord du juge des libertés et de la détention. Dans quels types de délinquance s’illustrent les mineurs isolés à problèmes ? La journée, ils font du trafic de drogues, notamment place de la République à Rennes. Ils ont tenté de s’imposer dans le deal à Villejean en 2016 mais les dealers historiques n’ont pas laissé faire. Ça s’est fini à coups de battes de baseball. La nuit, on les retrouve beaucoup sur des vols avec violences. A la sortie des bars et des boîtes de nuit, ils profitent de l’alcoolisation des noctambules pour les détrousser violemment. Ils volent les téléphones, l’argent. On retrouve aussi ces mineurs étrangers isolés impliqués dans des cambriolages. On parle de délinquance d’opportunité. L’été dernier, par exemple, ils ont fait des raids sur les plages de Saint-Malo. Ils volaient les effets personnels des baigneurs qui avaient quitté leur serviette quelques minutes. Quelle part de la délinquance générale relevée à Rennes leur est imputable ? Impossible à dire. Ils sont dans les stupéfiants, les cambriolages, les vols avec violences, les agressions… Nous pouvons leur imputer quelques faits en flagrant délit mais pour le reste, ils ne reconnaissent rien. A Rennes, cette délinquance se voit beaucoup car ils agissent principalement en centre-ville. A Rennes, ces mineurs étrangers isolés viennent souvent de la région d’Oujda, une ville marocaine située à la frontière algérienne, pourquoi ? Il existe sûrement une filière. Ils arrivent par contingent de 50 ou 60. L’été de
préférence. Puis, ils disparaissent deux ou trois mois. D’autres prennent leur suite. Je conclus qu’il existe une filière. Vous dites : « Je conclus. » Pourquoi n’y a-t-il pas d’enquête poussée ? Nous avons réalisé une enquête en 2015 pour connaître l’ampleur du phénomène. Un peu plus tard, le procureur a mis en place un groupe local de traitement de la délinquance. La police aux frontières et la police judiciaire ont été saisies pour identifier une filière. Cependant, pour le moment, ça n’a pas avancé. Pour dire avec assurance que c’est une filière, il faut le prouver. Or nous ne pouvons pas le prouver. Les mineurs étrangers isolés ne s’expriment pas du tout sur leur identité. Ils ne disent rien. Ils nient même leur implication quand ils sont pris en flagrant délit ! Et les recherches à l’étranger sont très difficiles. Comment arrivent-ils en France ? D’après ce que nous avons pu savoir : ils arrivent le dimanche matin par car, via l’Espagne. Pourquoi viennent-ils à Rennes ? Il faut croire que la ville leur plaît. Le caractère festif de la ville joue sûrement. Après, ils communiquent avec ceux restés là-bas. Est-ce un phénomène propre au grand Ouest ? Je ne sais pas. Ce n’est pas un mouvement d’ampleur mais il se développe. Il y a aussi des mineurs étrangers isolés dans la région parisienne. Pour le reste de la France, je ne sais pas. Quelles sont les poursuites pénales applicables ? S’ils ont moins de 13 ans, âge de la majorité pénale, nous pouvons les entendre sur les faits mais ils ne sont pas poursuivis. Comme ils n’ont personne sur le territoire français qui répond de leur responsabilité, nous ne pouvons rien faire. Entre 13 et 16 ans, le tribunal pour enfants peut les juger. La peine de prison est exceptionnelle. Mais les jeunes que nous avons à Rennes depuis quelques années ont rarement moins de 16 ans. Ici, on observe surtout des gens âgés de 16 à 30 ans. On a eu des adultes de 29 ans
IL EXISTE UNE FILIÈRE PATRICK CHAUDET
qui prétendaient en avoir 17 ! Depuis quatre ans, nous avons interpellé 180 personnes dites « mineurs étrangers isolés ». 127 ont été présentées au juge pour enfants, qui en a envoyé 50 en prison. 45 ont tenté de se faire passer pour des mineurs mais elles étaient en réalité majeurs. Jugés en comparution immédiate, ils ont quasiment tous été écroués. Des reconduites à la frontière ont-elles été ordonnées ? Non, quasiment jamais. C’est très compliqué. Pour reconduire des mineurs à la frontière, il faut établir une identité et identifier les parents. Or ces jeunes ne donnent pas leur vrai nom. Les autorités marocaines ne répondent que très tardivement. Vous envoyez des empreintes au Maroc, vous allez peut-être avoir la réponse au bout d’un an et demi. Entre temps, ils sont partis ailleurs. Il faudrait faire évoluer la loi française.
440 JEUNES PRIS EN CHARGE PAR LE DÉPARTEMENT
Evalués à une centaine, les mineurs étrangers délinquants représentent une minorité des mineurs isolés accueillis en Ille-et-Vilaine. En septembre, le Département prenait en charge 440 mineurs étrangers isolés. Pour faire face à l’arrivée accrue de ces derniers depuis quelques mois, le Département a ouvert, fin août, un nouveau lieu d’hébergement au sein de l’ancienne caserne Guillaudot, près du Thabor à Rennes. Un lieu désaffecté de ses gendarmes depuis 2013. 78 mineurs non accompagnés y sont hébergés depuis. Ce centre fonctionne comme un internat avec un gardiennage et des travailleurs sociaux en lien avec l’association Coallia. Le Département a aussi voté un plan d’actions pour développer les dispositifs d’accueil individualisés et collectifs. L’objectif est de créer 210 places supplémentaires avec un budget de trois millions d’euros. Trois communes se sont proposées pour accueillir des centres pouvant héberger une quinzaine de jeunes.
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INSTANTS D’AUDIENCES
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE RENNES
21 SEPTEMBRE
« JE VOULAIS REMETTRE LE CHAKRA RACINE DE SON VAGIN EN LIGNE »
« JE MARCHAIS DANS LA RUE ET JE ME SUIS PRIS UNE BALLE »
harlotte, 22 ans, revient sur les raisons qui, à Bruz, en mai dernier, l’ont poussée à consulter Louis, un électricien en retraite qui pratique à l’occasion l’activité de magnétiseur. « Je m’intéresse à la circulation de l’énergie et à la mémoire cellulaire. Louis m’a convaincue qu’il pouvait me guérir. On a beaucoup échangé sur mes difficultés, sur ma vie. J’avais une grande confiance en lui. Du coup, je lui ai dit oui. A chaque fois qu’il me demandait de me déshabiller un petit peu plus, je lui ai dit oui. Tout a été amené habilement. Il a toujours demandé. Et moi, j’ai toujours dit oui. Il n’arrêtait pas de me parler, de me dire : “C’est la meilleure chose que tu vas vivre. Ça va te libérer.”» La présidente la coupe : « Et quand il a mis ses doigts dans votre sexe, a-t-il demandé ? » « Non, ça je ne savais pas. Je me suis cambrée. Il a retiré ses doigts. Du coup, il a arrêté et est revenu à des massages plus classiques. Il m’a dit que normalement, il ne faisait pas cela avant la quatrième séance. » Interrogé, Louis, 62 ans, reconnaît avoir massé le clitoris de Charlotte mais pas plus. « Je voulais la rééquilibrer. Remettre le chakra racine de son vagin en ligne. » « Et quelle formation avez-vous eu pour pratiquer ces massages tantriques ? », questionne la présidente. « J’ai fait une formation par téléphone. » « Ah, je me demande comment on apprend à masser par téléphone, s’interroge la présidente. Mais j’ai du mal à comprendre votre démarche de soin. Vous pensiez résoudre le malaise d’une ancienne agression sexuelle par une nouvelle atteinte à l’intimité. C’est un peu le même principe que le vaccin ? Vous inoculez la maladie ? Mais qui vous a dit de faire ça ? Dans quel livre, c’est écrit ? » Louis confesse : « Je reconnais que ce n’est pas malin d’avoir fait ça. Vu ce qu’elle m’a expliqué. J’aurais dû lui dire que son cas était trop lourd pour moi. » Louis est condamné à dix mois de prison avec sursis. Il est inscrit au fichier des délinquants à caractère sexuel et a interdiction d’exercer une activité impliquant de la manipulation physique. Il devra verser 4 800 € de dommages et intérêts à sa victime.
ransport, détention, acquisition, cession, usage de stupéfiants… Les charges retenues contre Enfardine, 20 ans, sont nombreuses. La justice reproche à cet habitant de Villejean d’avoir participé à la vente de quatre barrettes de cannabis et de deux cocottes de cocaïne dans un immeuble de la rue du Nivernais, le 30 novembre 2016. Après avoir vu son identité contrôlée sur place, les résultats d’analyse en laboratoire ont prouvé que ce sont bien les empreintes digitales d’Enfardine qui figuraient sur les deux cocottes de cocaïne saisies. « Oui, j’ai aidé à les fabriquer. J’étais curieux de voir comment on faisait. Mais elles ne sont pas à moi », explique Enfardine. « Et comment expliquez-vous que, lors d’une perquisition chez vous, les policiers ont retrouvé 2 640 € en petites coupures ? » « Je voulais payer mon permis de conduire. » « On a du mal à imaginer comment vous avez amassé une telle somme alors que vous ne travaillez pas… », s’agace la présidente. « Mon frère qui bosse dans l’armée, m’avait donné de l’argent », répond tranquillement le jeune homme aux cheveux blond platine sur le dessus et noir de jais en dessous. « Parlez-nous des violences qui apparaissent dans les écoutes téléphoniques ? », questionne la présidente. « Comment ça ? Quand je me suis pris une balle ? » « Oui, c’est ça ! », répond la présidente, en écarquillant les yeux. « Je marchais dans la rue et je me suis pris une balle. C’est tout », livre Enfardine avec une incroyable nonchalance. Le procureur requiert huit mois ferme et la confiscation des 2 640 €. La présidente l’interrompt lors de son réquisitoire. « Page 17, je ne comprends pas ce que les 121 gr de cocaïne en date du 12 décembre viennent faire là. Je ne sais pas à quoi cela correspond. » « Moi, non plus », abonde le procureur. « Je le mets dans le débat », prévient la présidente. Après la suspension de séance, la présidente annonce : « Vous êtes relaxé de l’ensemble des chefs d’inculpation sauf celui d’usage. Vous écopez d’une amende de 500 €. Les 2 640 € saisis vous seront rendus. Vous devez cependant vous acquitter des 127 € pour frais de procédure. » Enfardine sautille jusqu’à la greffière pour payer. « Non, non, nous ne sommes pas au supermarché ! Vous paierez en temps et en heure. » Enfardine repart avec un sourire jusqu’aux oreilles. Claire Staes
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POLITIQUE
ENORA LE PAPE
La France insoumise
« Nous saurons proposer un projet volontariste pour Rennes » Nouvelle venue en politique, Enora Le Pape, candidate France insoumise, s’est qualifiée au second tour des législatives dans la 8e circonscription, en juin. Elle anime le groupe d’appui de sa formation à Rennes-centre.
Qualifiée au 2nd tour des législatives dans la 8e circonscription, tombeuse surprise du président PS de la Métropole, Enora Le Pape, 34 ans, anime le groupe d’appui de la France insoumise de Rennes-centre. Elle revient sur la stratégie de sa formation pour capitaliser sur ses bons scores.
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Le Mensuel : Au 1er tour de la présidentielle, la France insoumise (FI), formation de Jean-Luc Mélenchon, est apparue comme la 2e force politique à Rennes, avec 25,8% des voix, soit plus de 6 points au-dessus de sa moyenne nationale. Quelles initiatives prenez-vous pour capitaliser localement sur ce score ? ENORA LE PAPE : Nous sommes la deuxième force politique à Rennes. Les résultats de la présidentielle se sont confirmés aux législatives, où certains de nos candidats se sont qualifiés pour le second tour (Marc Martin dans la 4e et Enora Le Pape dans la 8e, NDLR) et
ont vu leur score progresser entre les deux tours. Nous réfléchissons donc à notre organisation aux niveaux local et national pour structurer notre mouvement. Actuellement, nous discutons de modalités d’actions, nous réfléchissons à des outils, etc. Nous avons besoin de temps pour construire ce mouvement, que nous souhaitons différent des partis politiques. Notre objectif est qu’il existe un dialogue en son sein. L’absence d’élus et de porte-parole au niveau local ne pose-t-il pas un problème d’incarnation ? Nous, nous voulons un mouvement
KILLIAN TRIBOUILLARD killian.tribouillard@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
politique pas un parti. Nous réfléchissons donc à en casser les codes. Nous estimons, par exemple, que la politique ne doit pas être l’affaire de quelques professionnels. Tous les citoyens peuvent avoir une expertise à faire valoir. Nous préparons une journée départementale de la FI. Elle se déroulera fin octobre. Elle pourra déboucher sur la désignation de porte-parole thématiques. L’idée est aussi de faire tourner les militants afin que ce ne soit pas toujours les mêmes qui s’expriment dans les médias. Comment s’organise votre formation ? Au niveau local, notre mouvement se fonde sur des groupes d’appui qui s’inscrivent sur des bassins de vie (quartiers ou communes). Chacun d’entre eux travaille de façon autonome. Nous œuvrons actuellement à la coordination de ces groupes. Partir du local est essentiel pour permettre aux militants d’être impliqués. On va prendre le temps de s’organiser. En attendant, cela ne nous empêche pas d’agir. Ainsi, depuis septembre, nous avons repris avec force nos actions, à travers notre opposition à la loi travail notamment. La mobilisation de ce samedi (23 septembre, NDLR) a été très forte. Trois bus sont partis de Rennes pour Paris. Sur place, nous avons pu constater que la FI n’avait pas décliné depuis le 18 mars dernier (lors du défilé « pour la 6e République », NDLR). Notre capacité à mobiliser est intacte, bien que nous ne soyons plus en campagne électorale. Nous sommes en capacité d’être indignés, créatifs et festifs. Protestations contre la baisse des APL, contre la suppression des emplois aidés... Depuis l’élection de Macron, les élus du PS rennais semblent eux aussi clairement dans l’opposition au gouvernement, non ? Oui... (sceptique, NDLR). Les socialistes rennais ne se sont pas démarqués durant la présidentielle. Aux législatives, les électeurs ont eu des difficultés à comprendre ce que feraient leurs candidats s’ils étaient élus. Ce manque de clarté nous a permis de passer devant aux législatives.
Aujourd’hui, les responsables politiques locaux s’aperçoivent qu’il va être compliqué de faire ce qu’ils ont prévu avec les mesures prises par le gouvernement. C’est bien qu’il existe une union face à certaines aberrations. La suppression des contrats aidés par exemple. Ils ont été arrêtés du jour au lendemain sans que rien ne soit proposé aux gens concernés. Les contrats aidés ont été considérés comme une simple ligne budgétaire que l’on raye. C’est totalement inhumain. En matière de ligne budgétaire, par contre, le gouvernement a décidé de maintenir celle du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, à destination des entreprises, NDLR) ou d’alléger l’ISF (impôt sur la fortune, NDLR). Nous ne sommes pas dupes. Les lignes budgétaires supprimées visent les précaires. Celles qui sont maintenues concernent une autre catégorie de la population. Quelles sont les ambitions locales de la FI ? La FI présentera des listes à Rennes et dans toutes les communes de la Métropole aux municipales. On y réfléchit. Des groupes de travail ont été formés. Mi-septembre, les écologistes de la majorité municipale ont estimé qu’une alliance avec votre formation pourrait être envisagée lors des prochaines municipales rennaises (lire p.28). Qu’en pensez-vous ? Ils nous ont soutenus entre les deux tours des législatives. Nous partageons des idées sur bien des sujets. Cependant, il serait prématuré de parler de tractations avec d’autres formations alors même que nous débutons nos propres réflexions. Nous bâtirons notre projet et nous verrons, dans un second temps, qui sera susceptible de se retrouver sur celui-ci. Pouvez-vous citer quelques exemples concrets qui pourraient être portés localement par la FI aux municipales, susceptibles d’être différents de la politique menée par l’actuelle majorité ? Le projet municipal découlera de
notre programme national, l’avenir en commun. Nous serons plus volontaristes pour répondre aux urgences écologique et sociale. Par exemple, en introduisant plus d’alimentation biologique ou issues des circuits courts dans les cantines. Nous travaillerons aux liens entre la Métropole et les jeunes agriculteurs pour favoriser leurs installations. Au niveau des transports aussi, nous pousserons pour faciliter les déplacements quotidiens des Rennais... La LGV constitue un bon exemple de projet qui bénéficie surtout aux Parisiens ou aux Rennais qui travaillent à Paris. Elle a des conséquences pour les autres usagers des trajets locaux : hausse du coût des billets, changements d’horaires etc. Nous travaillerons pour ces derniers. Si on veut qu’il y ait moins de voitures à Rennes, nous devrons par exemple être très volontaristes sur le RER rennais, le développement des pistes cyclables, sur de multiples projets favorisant la qualité de vie et la transition énergétique... Certaines de ces propositions figurent déjà dans les projets portés par la majorité. Nous serons plus volontaristes. Il existe d’importantes marges de progression... Et nous serons aussi plus attentifs à l’urgence sociale. Prenez le cas des migrants. Nous, nous sommes auprès d’eux. La mairie et la préfecture ne cessent de se rejeter la responsabilité de la situation. En attendant, le 115, qui est aussi destiné aux SDF, est saturé en permanence. Il n’existe pas de centre d’accueil d’urgence. Nous savons qu’il existe de nombreux logements vides. Il ne manque que la volonté politique. Nous saurons proposer un projet volontariste pour la Ville de Rennes, alternative de la politique actuelle de la majorité.
NOUS SERONS AUSSI PLUS ATTENTIFS À L’URGENCE SOCIALE
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POLITIQUE Nature en ville, place du vélo... Ces sujets sont érigés en priorité par les Rennais dans la plupart des opérations de concertation.
MUNICIPALES RENNAISES
Le filon vert n 2020, les municipales rennaises seront placées sous le signe de l’écologie urbaine ou ne seront pas. C’est déjà ce qui se dessine à mimandat. En cause ? La forte appétence des Rennais sur ce sujet, qui transparaît en particulier dans le cadre de la Fabrique citoyenne. Conséquence ? Toutes les forces en présence semblent vouloir surfer sur cette thématique. Et l’érigent déjà au rang de priorités. Mi-septembre, les treize élus écologistes de la majorité municipale ont publié un document baptisé Rennes en transition. Création du budget participatif, plan vélo... L’objectif était de faire le point, à mimandat, sur la mise en œuvre des mesures prévues par l’accord conclu avec la liste d’Appéré entre les deux tours des municipales de 2014. 60% des réformes auraient été mises en œuvre. Quelques points de vigilance subsistent. Et les écolos mettent un point d’honneur à ce qu’ils soient levés. Le programme doit être bouclé d’ici la fin du mandat. « Il faut foncer », confiaient en septembre Matthieu Theurier et Gaëlle Rougier, les deux chefs de file du groupe. Pourtant, la tonalité de leur discours tranche avec ce bilan d’étape globalement
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LE BUDGET PARTICIPATIF, NOUS L’AVONS IMPOSÉ. AUJOURD’HUI, ON A L’IMPRESSION QU’IL ÉTAIT DANS LE PROGRAMME DU PS
MATTHIEU THEURIER, chef de file des écologistes de la majorité
positif. Les écolos ont choisi de considérer le verre à moitié vide, histoire de maintenir la pression. L’alliance avec le PS n’est pas quelque chose d’acquis, rappellent-ils, en se laissant la possibilité de monter leur propre liste. Une alliance avec la France insoumise au premier tour est aussi évoquée (lire p.26). Miser sur la tension pour exister. L’enjeu pour les écolos intégrés à la majorité est de montrer aux Rennais à quel point leur groupe pèse sur la politique menée. Pas aisé, car l’équipe socialiste aurait, selon
eux, l’habitude de s’accaparer la communication sur ces différents dossiers, forts de leur écho au sein des habitants. « Le budget participatif, nous l’avons imposé dans l’accord d’entre-deux tours, rappellent-ils. Aujourd’hui, à les entendre (les socialistes), on a l’impression qu’il était dans leur programme », s’agacent-ils. En septembre, la reprise en direct de la délégation communication par la maire1 a été interprétée par ses alliés comme la volonté de ne leur laisser aucun espace. Ainsi, les socialistes ne cessent de semer « des petits cailloux ». L’écologie urbaine, c’est déjà leur tasse de thé. « Nous donnons dès maintenant une place plus grande à la nature, aux cours d’eau », déclarait Nathalie Appéré dans le bulletin municipal Les Rennais de septembre. « Un des piliers de Rennes 2030, la place de la nature en ville. Déjà 871 ha d’espaces verts à Rennes. Notre objectif : passer à 1 000 », tweetait aussi la maire le 18 septembre, qui rappelait « qu’à terme, 90% des Rennais seront à moins de cinq minutes à pied d’un espace vert ». Le filon vert ? Il est déjà trusté. Killian Tribouillard killian.tribouillard@lemensuel.com 1. A l’occasion du changement de fonctions de Sylvie Robert pour cause de cumul des mandats
F. Destoc - Le Télégramme
Toutes les forces politiques en présence le martèlent : l’écologie urbaine est la priorité des potentiels candidats aux municipales rennaises de 2020. En mairie, écologistes comme socialistes se revendiquent pionniers de ce filon vert.
F. Destoc - Le TĂŠlĂŠgramme
POLITIQUE
MUNICIPALES RENNAISES
En septembre, Le Mensuel annonçait la démission de Hind Saoud du conseil municipal rennais, après que l’élue choisisse de devenir attachée parlementaire du nouveau député EM, Mustapha Laabid cet été. Cette activité professionnelle a été jugée incompatible avec son mandat exercé au sein de la majorité de la maire socialiste de Rennes, Nathalie Appéré. Elle n’a cependant posé aucun problème avec son appartenance à la majorité du président du conseil régional, le socialiste Loïg Chesnais-Girard (en photo), successeur de Jean-Yves Le Drian à l’hôtel de Région. Une mesure, deux poids ? « Hind Saoud est dans ma majorité, confirme Loïg Chesnais-Girard. Elle dispose même d’une délégation aux achats. Ce que je lui demande c’est : est-ce qu’elle se reconnaît dans le projet politique qui est le nôtre et dans ma présidence ? A partir du moment où la réponse est oui à ces deux questions, elle a sa place dans mon exécutif et dans ma majorité. » PAR KILLIAN TRIBOUILLARD EN PARTENARIAT AVEC
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APPÉRÉ EN MODE COMBAT Conséquence du « séisme » des législatives et de l’avènement d’En marche (EM) ? Ou simple tempo lié à la mi-mandat ? Nathalie Appéré semble avoir passé la surmultipliée en septembre. Au point que certains politiques estiment que la maire PS de Rennes est déjà en campagne pour les municipales de 2020. Ils se fondent sur de multiples « indices ». Début septembre, elle annonçait la tenue d’une dizaine de réunions dans les quartiers. L’occasion de vanter les mérites de son action, en prenant le pouls des habitants, les « vrais experts de la ville », dit-elle sur Tweeter. Dans la foulée, la maire a profité de la démission de Sylvie Robert de son mandat d’adjointe à la communication¹ pour récupérer sa délégation, stratégique dans la période qui s’ouvre. « Rennes entre dans une nouvelle ère. » Dans la presse cet été, elle « Les vraies a également posé réformes ne sont ce qui ressemble à des éléments de pas dans les langage, déclinés recettes libérales par ses troupes sur de multiples d’hier » canaux. « Notre NATHALIE APPÉRÉ équipe est au travail pour qu’une nouvelle ère s’ouvre pour notre ville », expliquait-elle à nouveau dans le bulletin municipal, Les Rennais, en septembre. Au niveau national, Appéré est aussi montée au créneau pour protester contre la suppression des emplois aidés et le projet de réforme du financement du logement social, prévu dans le projet de loi de finances (PLF). Sur France 3, dans Le Courrier des maires, dans Libé... La maire, également présidente de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a sorti la sulfateuse et interpellé le président contre « les mesures inefficaces et profondément injustes que le gouvernement prépare dans l’ombre des arbitrages budgétaires ». « M. le président, les vraies réformes ne sont pas dans les recettes libérales d’hier, mais dans la réinvention d’une politique de logement que nos territoires sont prêts à mettre en œuvre². Dans le même temps, Marc Hervé, son adjoint aux finances, attaquait sur Facebook le député Florian Bachelier (EM), fustigeant une expression « qui démontre un manque d’humilité vis-à-vis de l’action publique ». « On peut se demander si la lutte contre le chômage autorise brutalité, arrogance et mensonge », s’est interrogé l’élu,
Nathalie Appéré, maire PS de Rennes
peu connu pour être un vindicatif. La maire est-elle en campagne ? Cherche-t-elle à gagner des points en tapant sur le gouvernement ? Dans son entourage, on dément. Les rencontres avec les habitants ? Elles sont habituelles pour rendre compte du « contrat » passé avec les habitants en 2014. La récupération de la délégation de la communication ? Une simple mesure technique liée à des questions de parité. La communication est gérée par un comité de pilotage collégial, mutualisé avec la Métropole. Dans les faits, ce changement n’aura aucune incidence, assure-t-on au « Château ». Rien à voir avec une volonté de s’adjuger la com’ de la collectivité. Les prises de position nationales ? « Il s’agit d’un cri du cœur, explique un proche. La maire est ultra compétente sur les questions de logement. Les mesures prévues par le PLF vont foutre en l’air à court terme cinquante ans de politique du logement menée à Rennes, considérée comme exemplaire. Dans deux ans, on ne pourra plus rénover, ni construire de logements sociaux. Le projet de rénovation urbaine dans les quartiers coûte 550 M€, dont 240 sont apportés par les bailleurs sociaux. Si le PLF passe, le projet ne pourra pas se faire. Il est normal que la maire alerte là-dessus. Il existe un vrai risque pour la ville. » La maire estelle dans l’opposition au gouvernement ? « EM a dit être ni de gauche, ni de droite. Aujourd’hui, ça boîte. On voit bien la jambe droite. Où est passée la gauche ? » 1. Pour cause de cumul des mandats. Sénatrice, Sylvie Robert reste conseillère municipale. 2. Une autre politique du logement est possible, Libération, 18/09
L.L.S.
HIND SAOUD DÉMISSIONNÉE DE LA MAIRIE, CONFIRMÉE À LA RÉGION
L.L.S.
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JULIEN JOLY julien.joly@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
Surtitre
Rennes-Saint-Jacques
L’aéroport veut mettre le turbo L’aéroport de Rennes a gagné 100 000 passagers en seulement un an. C’est l’aéroport français qui connaît la plus forte croissance. Pour quelles raisons ? Et cela va-t-il durer ?
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RENNESSAINT-JACQUES
l y a quelques années à peine, les experts le voyaient moribond, flétri dans l’ombre de Notre-Dame-desLandes (NDDL). Aujourd’hui, alors que le projet d’aéroport du Grand Ouest, à côté de Nantes, ressemble plus que jamais à un serpent de bocage, celui de Rennes a entamé sa mue. Le trafic a augmenté de 18,8% en 2016. En juillet-août, 138 000 passagers l’ont emprunté. Un record. Fort de cette croissance, « RNS » -son nom de code- compte bien franchir la barre des 700 000 annuels. Objectif : dépasser le million de passagers en 2020. C’est autant que Brest, mais moins que les cinq millions de Nantes-Atlantique. Ce cap serat-il atteint ? Le sort du 18e aéroport français dépendra de la croissance de Rennes métropole, qui dope son développement. Il faudra aussi qu’il se méfie de la crise de croissance. Atteindre ce seuil réclamera des aménagements importants.
I
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C’est le nombre de saisies de la douane à l’aéroport de Rennes en 2016 42 depuis début 2017. Principalement des cigarettes d’origine russe qui transitent par Barcelone, pour une valeur qui dépassait parfois 12 500 €.
Potentiel inexploité L’aéroport de Saint-Jacques naît en 1933, dans le sillage des héros de l’aviation. Il remplace l’hippodrome des Gayeulles, piste de fortune. Venu l’inaugurer, le ministre de l’Air, Pierre Cot, fait une arrivée remarquée… aux commandes de son monoplan Morane personnel. En 1940, la Luftwaffe réquisitionne l’aéroport pour bombarder l’Angleterre. A la Libération, il passe aux mains des Alliés. Une nouvelle aérogare est inaugurée en 1953, mais le trafic commercial n’est vraiment lancé que vingt ans plus tard, principalement sur des lignes intérieures. Au début des années 1990, la libéralisation du ciel et Internet entraînent la multiplication des vols à bas coût en France. Les low-cost lorgnent les aéroports régionaux, moins soumis à la concurrence. Pour gérer la plateforme, la CCI crée, en 1995, la société Air ouest assistance dont elle est gérante et actionnaire unique. Une usine à gaz dont les conflits d’intérêt sont pointés par la Chambre régionale des comptes. A partir de 1996, les liaisons nationales s’intensifient et des compagnies internationales comme Flybe et Aer Lingus pointent leur nez. Après une baisse d’activité de
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trois ans consécutive aux attentats du 11-Septembre, la croissance repart. En 2008, l’aire de chalandise directe de l’aéroport s’étend, pour les vols réguliers, à toute l’Ille-et-Vilaine, aux Côtes d’Armor, au Morbihan et à la Mayenne. Mais l’offre à l’international reste timide, à part Madrid et les îles britanniques. Il faut passer par Paris. Sur ce terrain, le futur NDDL est censé changer la donne. A Rennes, le trafic annuel affiche alors 497 679 passagers. A Nantes, il a passé le million depuis vingt ans. La capitale bretonne se démarque
FIN 2017, L’AÉROPORT SEMBLE DÉCIDÉ À RATTRAPER SON RETARD en facturant aux compagnies des redevances aéroportuaires moins chères que son homologue ligérienne. Cependant, la faible capacité des avions empruntant le tarmac rennais entraîne des surcoûts qui gonflent le prix des billets. Le fret, lui, est dopé par le commerce en ligne. Vu comme la porte d’entrée du Grand Ouest, Rennes offre aux opérateurs des créneaux aériens et des services plus avantageux qu’à Nantes. Mais des voix s’élèvent : Rennes gâcherait son potentiel. En janvier 2010, un groupement composé de Vinci Airports (49%), de la CCI de Rennes (50%) et de celle du Pays de Saint-Malo (1%) signe avec la Région un contrat de délégation de service public (DSP) de quatorze ans. La gestion des aéroports de Rennes et de Dinard est confiée à Vinci. La société exploite 35 aéroports dans le monde. Elle se révèle un redoutable lobbyiste pour négocier de nouvelles lignes. Quelques mois plus tard, en décembre 2010, Vinci remporte aussi l’appel d’offres pour construire et exploiter le futur aéroport de NDDL. Cet appétit est hautement stratégique. En 2016, l’activité construction du groupe de BTP est en berne. Mais la bonne santé de ses concessions génère 72% de son bénéfice brut d’exploitation. De son côté, Rennes doit augmenter le nombre de
ses passagers pour décrocher le statut de métropole. Les sorts de Vinci et de la capitale bretonne sont liés.
Des objectifs réalistes ? Fin 2017, l’aéroport de Rennes semble décidé à rattraper son retard. Au risque de finir par saturer ? « On est très, très loin de la vitesse de croisière, affirme Gilles Tellier, son directeur. Comparez avec Strasbourg ou Montpellier, des métropoles à peu près similaires. Leurs aéroports sont à largement un million de passagers. On s’en approchera vers 2020 si on suit notre courbe. » Ces objectifs sont-ils réalistes ? Gilles Tellier est confiant. Il reste du retard à rattraper. « Après, la question est : estce qu’on se positionne comme Nantes, Bordeaux, Marseille ? Ou est-ce que notre potentiel est dans une gamme intermédiaire ? Tout dépend de l’ambition de la destination Rennes en terme d’attractivité et de l’augmentation de sa population. » Pour Alain Bonnafous, chercheur au Laboratoire d’économie des transports, « il est difficile de calculer le seuil de maturité, c’est-à-dire quand on a rempli toutes les destinations économiquement viables ». En l’absence de grands centres décisionnels ou d’entreprises exportatrices, l’avenir est donc au développement des destinations de loisirs. « Il y a une règle quasi absolue : plus le trafic total est important, plus il y a de chances pour que des lignes soient ouvertes. C’est un cercle vertueux. » A Rennes, l’Europe représente un tiers de l’activité de la plateforme avec 17 destinations en vol direct. Ces dernières affichent une progression de trafic de 41,5% depuis le début de l’année. Le reflet d’une tendance à la massification des flux aériens. Amsterdam, qui affiche deux dessertes par jour au départ de Rennes, est un « hub », un carrefour d’où on peut aller à Pékin ou Mexico. Ainsi, en jouant sur les correspondances, des compagnies comme Air France peuvent utiliser les passagers rennais pour faire du « remplissage » dans leurs avions aux Pays-Bas. L’aéroport de Rennes veut multiplier l’accès aux hubs comme Amsterdam. Quelles seront les villes directement accessibles depuis Rennes dans les prochaines années ? Pour le savoir, il faut laisser
Avec la baisse du fret, Rennes mise plus que jamais sur le voyage loisir, et s’intéresse de plus en plus à l’aviation privée d’affaires.
traîner ses oreilles dans les salons spécialisés. Comme le Connect, qui s’est tenu à Ajaccio en 2017. C’est là que se jouent les contrats, lors de « speed dating » où les équipes de développement des aéroports doivent séduire les compagnies.
L’Allemagne dans le viseur Arguments mis en avant par Rennes : un nombre de passagers annuel supérieur au demi-million, la distance par rapport à l’actuel aéroport de Nantes, une clientèle d’étudiants et de jeunes actifs europhiles… Au sein de la concurrence féroce que se livrent les offices de tourisme européens, la capitale bretonne joue à fond la carte « Breizh » avec des initiatives de com’ comme Destination Rennes. Selon les spécialistes en économie des transports, ces atouts pèsent aujourd’hui très lourd dans les négociations. Si le courant passe, il faut compter environ trois ans pour inscrire une ligne au catalogue. Dans certains cas, les compagnies peuvent se voir promettre une ristourne temporaire sur les redevances passager ou d’atterrissage. Ainsi, la société d’exploitation de l’aéroport rennais reconnaissait un « coup de pouce » légal de « 15 000 € environ » à Vueling pour lancer la ligne
vers Barcelone en 2013. Six ans plus tard, la ligne affiche +17% de trafic. Sa fréquence et sa capacité ont été renforcées, avec aujourd’hui presque un vol par jour. 60% des utilisateurs sont rennais, 40% espagnols. Tactique à double tranchant : en 2014, Ryanair a reporté sa destination Porto sur l’aéroport de Lorient après que Rennes a refusé d’augmenter ses remises commerciales sur les taxes d’atterrissage¹. Dans les prochaines années, le catalogue rennais devrait s’enrichir de vols vers l’Allemagne, « un marché très séduisant » selon Gilles Tellier. En lice : Francfort, Munich, Düsseldorf, Berlin… Les compagnies comme Tui, qui proposent des packages voyage et séjour, représentent aussi « un nouveau pan de notre évolution, estime le directeur. Tui identifie Rennes comme un marché prometteur. Les clients peuvent partir directement de leur maison. » Des destinations « vacances ensoleillées » comme Casablanca ou Marrakech « font partie des potentialités ». « Reste à trouver la compagnie capable de monter un business plan avec nous. L’Italie, l’Adriatique, le Maghreb… La marge de progression est considérable. »
BAS PRIX… SOUS CONDITIONS
Attention aux publicités trop alléchantes. Sur les neuf compagnies qui opèrent depuis Rennes, beaucoup proposent des tickets à des tarifs « low cost », comme cet allersimple pour Londres à 30 €. Un prix d’appel aguicheur dont les raisons sont à chercher dans les petites lignes : « Hors frais de service, soumis à conditions et à disponibilité. » Pour bénéficier du tarif promis (ou en tout cas d’un prix approchant), mieux vaut réserver à l’avance et être flexible sur ses dates : les vols pas chers sont généralement en milieu de semaine. Exemple avec un direct Rennes-Londres, réservé un mois à l’avance, hors saison. Pour un départ milieu de semaine, il varie de 30 à... 350 €. Bénéficier d’un bagage en soute coûte minimum 40 € supplémentaires par passager (qu’il faudra re-débourser au retour). Un supplément peut aussi s’appliquer selon le moyen de paiement utilisé. Et pendant les vacances, les prix flambent. Dès début juin, le billet de base commence à augmenter et affiche 50 €, même en s’y prenant dès la rentrée de l’année précédente.
1. Le Mensuel de Rennes n°71. Compagnies à bas coût, les secrets du « gagnant-gagnant », Virginie Jourdan
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RENNESSAINT-JACQUES
L’aéroport en chiffres
DINARD
BARCELONE est la plus importante ligne européenne à l’international, en terme de volume, avec 61 336 passagers transportés.
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6 4 0 7 6 8
C’est le nombre de passagers accueillis en 2016 à Rennes. Un record de fréquentation dû à l’ouverture de 8 nouvelles lignes pendant l’année.
C. Choupeaux
PARIS CDG
est la principale ligne en nombre de passagers transportés : 134 297. Principalement grâce aux correspondances possibles avec l’international.
1 1 0 4 4 t
de fret transportées en 2016 par 3 lignes de cargo quotidiennes. Soit un peu plus que le poids de la tour Eiffel. Le fret représente moins de 5% du trafic total sur la plateforme. L’aéroport de Rennes est le 9e aéroport de fret français hors Paris.
Un tiers des vols au départ de Rennes sont internationaux. Entre 2015 et 2016, le trafic vers l’Europe a augmenté de 48% (Londres Southend, Rome, Barcelone…). QUALITÉ DE L’AIR
AIR BREIZH ENQUÊTE SUR LA POLLUTION En 2016, l’association Air breizh a réalisé une étude de la qualité de l’air aux abords de l’aéroport de Rennes. Les mesures ciblaient le dioxyde d’azote et le benzène. Conclusion : sur la zone de l’aéroport et ses environs, « des niveaux faibles au regard des valeurs réglementaires », d’où « un impact jugé réduit de l’activité aéroportuaire sur son environnement pour ce qui est de ces deux paramètres ». De nouvelles mesures pourraient être menées dans l’aérogare passagers ainsi que sur un panel de polluants plus large.
18,8%
de progression de trafic en 2016. Depuis 2010, l’activité de la plateforme augmente de plus de 9% par an. 2,5 fois plus vite que la moyenne des aéroports en France.
C. Choupeaux
LES GRANDES DATES Début du XXe siècle. L’hippodrome des Gayeulles sert de piste pour les premières manifestations d’aéronefs 1931. Aménagement d’un aérodrome de 38 ha à Saint-Jacques-de-la-Lande 1933. Inauguration 1940. L’aéroport est étendu par les Allemands, qui s’en servent de base pour attaquer l’Angleterre 1944. Rennes est le premier aéroport allié hors Normandie 1953. Inauguration d’une nouvelle aérogare, mais le trafic commercial est limité 1966. Ouverture d’une ligne régulière Rennes-Orly 1973. L’aéroport renforce ses lignes intérieures 1990. Le trafic atteint le cap des 200 000 passagers 2014. Importants travaux de rénovation de l’aérogare 2016. Le meeting aérien Rennes Air show est remplacé par un Aéroforum. Raison invoquée : la difficile cohabitation avec les activités de l’aéroport
En 2016, Rennes était le 18e aéroport français. En terme de trafic, l’aéroport de Rennes est le 2e de la région Bretagne, derrière Brest (environ 1 000 000 de passagers) et devant Lorient (146 002 passagers).
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RENNESSAINT-JACQUES
Notre-Dame-des-Landes
La menace fantôme Alors que Notre-Damedes-Landes, projet d’aéroport du Grand Ouest, accumule retards et déboires, son impact sur celui de Rennes est sujet à débats entre sympathisants et opposants. a médiation se poursuit pour décider de l’avenir du projet d’aéroport du Grand Ouest, à NotreDame-des-Landes. Enième épisode d’un mélodrame dont le flou semble nourrir les ambitions de son voisin rennais. Devra-t-il s’effacer si « NDDL » finit par sortir de terre ? Ces dernières années, le nombre annuel de passagers à Saint-Jacques a augmenté de façon record. Le catalogue de destinations s’est étoffé, incluant des carrefours internationaux comme Amsterdam. Selon Vinci, concessionnaire des deux aéroports, il ne s’agit pas d’anticiper un éventuel crash de NDDL. Mais d’assurer les obligations de développement prévues dans sa délégation de service public. Même si, en coulisses, le renforcement de Rennes et le réaménagement de NantesAtlantique n’est plus une option tabou en cas d’abandon du dossier. La question de l’impact de la construction de NDDL sur Rennes ne fait pas consensus. « Ce nouvel équipement va tuer l’aéroport de Rennes », affirmait Yves Crozet, professeur à Sciences Po Lyon et rattaché au Laboratoire aménagement économie transports, dans les colonnes du Journal des entreprises (9 septembre). Les compagnies aériennes seraient amenées à mutualiser les clientèles rennaise
L
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et nantaise sur une seule plateforme. En 2007, un rapport de la Chambre régionale des comptes s’inquiétait déjà de la « fragilité importante » de Rennes face à la concurrence du futur aéroport du Grand Ouest. Un abandon de l’aéroport rennais aurait des conséquences financières non négligeables pour Rennes métropole, la commune de Saint-Jacques et les travailleurs qui en bénéficient. La plateforme a versé, en 2016, 565 000€ de taxe foncière et de Contribution économique territoriale. Elle génère 15 000 emplois¹, qui ne seraient pas tous compensés par l’ouverture de NDDL.
La question du rail Emmanuel Couet, maire de SaintJacques (et président de Rennes métropole), favorable à NDDL, affiche toutefois son optimisme. En juin 2016, après la victoire du « oui » à la consultation (controversée) sur le transfert de l’aéroport de Nantes, il a réaffirmé avec Nathalie Appéré, maire de Rennes, que les deux plateformes pourraient cohabiter en « complémentarité »².
« NDDL » DEVRA ÊTRE ACCESSIBLE RAPIDEMENT EN TRAIN À PARTIR DE RENNES Le même mot est repris par Gilles Tellier, directeur de l’aéroport de Rennes. « Il n’y a pas plus de sujet entre Rennes et NotreDame-des-Landes qu’entre Rennes et Nantes. Avec Nantes, même si ce n’est pas la même catégorie, il y a relativement peu de porosité. La plupart de nos lignes existent aussi à Nantes, où elles continuent de croître. » L’actuel aéroport de Nantes se situe à 1 heure 30 de Rennes, une distance limite, en termes de zone de chalandise, pour constituer une menace sérieuse pour son voisin. NDDL, lui, serait à 55 minutes. Suffisant pour condamner Rennes ? Non, selon les études et les cadres de compagnies aériennes. Les choses pourraient
LGV
Train contre avion La Ligne à grande vitesse n’aspirera pas les clients de l’aéroport rennais. Elle ne devrait pas nuire non plus à son activité de fret. epuis juillet, la LGV a mis Rennes à 1 heure 25 de Paris. Pourtant, cette nouveauté ne devrait pas avoir d’impact négatif sur l’aéroport, estiment les acteurs du monde ferroviaire et aérien. Un diagnostic plus optimiste qu’à Bordeaux, elle aussi reliée depuis cet été à Paris par la LGV. Le sujet a suscité de nombreux débats dans la cité girondine, d’où il était, jusqu’ici, plus facile de rallier Paris en avion qu’en train.
D
cependant changer si le nouvel aéroport devenait accessible aux Rennais en train, via une liaison rapide à fréquence régulière. C’est l’objectif de LNOBPL (liaison nouvel ouest Bretagne-Pays de Loire). Ce projet de réseau de trains grande vitesse en Bretagne promet de placer le futur aéroport à 45 minutes de Rennes. Pourtant, même dans ce cas de figure, NDDL resterait trop éloigné pour les voyageurs du nord de la Bretagne, de la Normandie ou encore de la Mayenne, qui utilisent également Rennes-SaintJacques. Reste à savoir dans quelle mesure le maintien de lignes pourrait être justifié par cette clientèle. L’avenir du projet ferroviaire reliant Rennes à Nantes via NDDL s’avère tout aussi incertain que le projet d’aéroport. La liaison n’est pas prévue avant 2030, voire 2040. En juillet, Emmanuel Macron a affirmé qu’il préférait privilégier les liaisons existantes et les « trains du quotidien » plutôt que les « grands projets nouveaux ». 1. Aéroport de Rennes, Etude d’impact économique et social de l’activité de l’aéroport, Additif, 2017 2. 20 Minutes, juin 2016
L’AÉROPORT RESTE COMPÉTITIF La situation est différente à Rennes. Le seuil à partir duquel le rail concurrence l’avion est estimé entre 2 et 3 heures de trajet. Bien sûr, pour les particuliers, le prix entre aussi en ligne de compte. Aujourd’hui, Air France opère trois vols quotidiens vers Paris-Charles-deGaulle. Prix du billet de base : entre 50 et 60 €. A peu près le même tarif qu’un train Rennes-CDG pour une durée de trajet moins longue. L’avion reste donc plus compétitif pour les 87% de voyageurs venus de Rennes, qui sautent ensuite dans un autre avion, direction l’international. Cette ligne n’est donc pas menacée. En réalité, l’impact de la LGV sur l’avion a été anticipé en 2008, lorsque Air France a pris la décision d’interrompre sa liaison Rennes-Orly. Paradoxalement, la vaste campagne de
publicité accompagnant le lancement de la LGV a pu également servir l’aéroport rennais. Elle a donné à la capitale bretonne une visibilité inespérée. Notamment via Internet. Présentée comme la porte de la Bretagne, la métropole se rêve désormais en destination touristique. L’aéroport espère en bénéficier indirectement pour attirer une clientèle d’étudiants et de CSP+ friands de mobilité. Demeure la question de l’impact sur le transport de marchandises, un des piliers de l’activité économique de Rennes-Saint-Jacques. Si les passagers peuvent voyager plus rapidement par train, c’est aussi le cas des colis. Et pour un bilan carbone a priori moindre. A l’aéroport de Rennes, le fret représente trois lignes cargo quotidiennes et 11 000 t de marchandises par an. Un tonnage significatif bien que l’activité ait connu une baisse ces dernières années, avec une perte d’activité à Rennes en faveur de Brest. Mais là non plus, Gérard Lahellec, viceprésident aux transports de la région Bretagne, ne croit pas à la concurrence du rail : « Le train va presque trop vite. 1 heure 30 entre Paris et Rennes ne laisse guère le temps d’optimiser les activités de traitement et d’acheminement dans le train. » Aujourd’hui, le transport a besoin de liaisons rapides et peu coûteuses entre les aéroports locaux et les hubs européens comme Liège. Là non plus, la bataille du rail contre l’avion n’aura pas lieu.
Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
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RENNESSAINT-JACQUES
Accueil des voyageurs
L’aéroport va-t-il craquer ? L’aéroport de Rennes vise le million de passagers en 2020. Les accueillir nécessitera d’importants travaux. es baies vitrées du hall d’accueil reflètent le ciel chafouin de septembre. Devant l’aéroport, le parking affiche complet. Les chauffeurs de taxi glissent un regard noir à une Renault qui squatte la zone de livraison. Avec une zone de chalandise de 3,3 millions d’habitants, l’aéroport de Rennes vise le million de passagers par an en 2020. En six ans, sa fréquentation aura donc plus que doublé. Pour maintenir ce cap, des travaux d’aménagement seront nécessaires. Quoi qu’il advienne, ils devront être menés avant la fin de la délégation de service public attribuée à Vinci, en 2024, selon le directeur de l’aéroport. En 2016, l’aérogare a déjà subi un lifting à 800 000 €. La prochaine étape sera consacrée à l’adaptation des parkings de la plateforme. Avec actuellement 700 000 passagers par an, ils frôlent la saturation. 400 places devront être ajoutées dans les quatre prochaines années. Elles seront prises sur les anciens locaux de l’aéroclub, détruits en décembre. Des négociations sont aussi en cours avec l’armée qui possède des terrains voisins. Pas question de se passer de la voiture : avec
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1,5 million d’euros de recettes par an, les parkings permettent à l’aéroport de maintenir des tarifs aéronautiques compétitifs1. Côté bus, l’offre actuelle n’est pas à la hauteur des ambitions. L’arrêt le plus proche (bus 57) est à 300 m. Plusieurs scénarios sont à l’étude. Notamment dérouter la ligne C6 aux portes de l’aéroport. Sa fréquence est plus élevée que la 57 (lire
LE PLUS URGENT EST D’AMÉLIORER LES TRANSPORTS ENTRE L’AÉROPORT ET LA GARE HERVÉ CAVALAN, président de l’association Adarb
Le Mensuel de juillet 2017). En revanche, aucune station de métro n’est envisagée. « Le plus urgent est d’améliorer les transports entre l’aéroport et la gare de Rennes », explique Hervé Cavalan, ancien pilote. Sceptique vis-à-vis NotreDame-des-Landes, il a créé l’Adarb², une
association pour développer l’aéroport de Rennes. En août, il a longuement rencontré les médiateurs nommés dans le cadre de ce dossier brûlant. Pour lui, Rennes représente une alternative. « L’aérogare est prévue pour 1,5 million de passagers, il n’y a pas d’aménagement structurel à faire. » Quid de l’agrandissement des pistes ? Dès les années 1970, le projet d’aéroport prévoyait un éventuel allongement jusqu’à 2 400 m. Un non-sujet, pour la direction de l’aéroport. « Beaucoup de gens croient qu’il faut allonger la piste, mais ce n’est pas nécessaire, note Hervé Cavalan. Elle fait 2 100 m de long. Ce qui est très suffisant pour les courts et moyens courriers tels que l’A320. Des aéroports avec des pistes plus courtes que Rennes accueillent plus de monde. Ainsi, Jersey, draine 1,5 million de passagers par an avec 1 700 m de piste. » La question d’une piste XXL permettant l’accueil de gros porteurs, capables de rallier Rennes à Tokyo sans escale, ne se pose pas. Aucun aéroport de l’ouest n’est destiné à accueillir ce type de vols, NDDL compris. 1. Ouest-France, 02/10/2013 2. Adarb.fr
Lobby de l’alimentation
Rennes sous influence 42 Le Mensuel N°95 / Octobre 2017
JULIEN JOLY julien.joly@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
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ue tous ceux qui vivent de l’élevage se lèvent ! Regardez ce que vous leur faites subir. Certains ne peuvent plus vivre ! » A cet appel, ils sont une centaine à se dresser, mine revêche. Ambiance tendue ce matin de septembre à l’école de commerce de Rennes. L’association anti-viande L214 participe à un débat avec les pontes locaux de l’agro-business, devant un parterre d’exploitants. La profession a décidé de profiter de l’occasion pour dire tout le mal qu’elle pensait de cette ONG et de ses vidéos chocs prises dans des abattoirs. Diffusées sur les réseaux sociaux, reprises par les médias, elles créent régulièrement la polémique. En apprenant que L214 avait été invitée à cette conférence, l’interprofession a fait pression sur les organisateurs pour pouvoir s’exprimer en premier et délivrer un contre-message, confie un pro du marketing agricole, présent à ce rendez-vous, organisé en marge du Space, le deuxième salon agricole français.
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L’émotion change de camp
Visite au Space de rennes, en septembre 2017
Pollution, scandales sanitaires, soupçons de maltraitance sur les animaux... Souvent pointées du doigt, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire veulent redorer leur image. Pour y parvenir, les « agri-communicants » imaginent de nouvelles stratégies de lobbying, dont certaines s’inspirent directement des méthodes utilisées par les anti-viandes. Une guerre de l’image qui se joue en partie à Rennes.
Sur la scène, Brigitte Gothière, porteparole de L214, encaisse. D’habitude, c’est elle qui maîtrise ce type d’happening. Cette région d’éleveurs, ce n’est pas son terrain. Christiane Lambert, présidente de la FNSEA 1, l’interpelle : « Vous êtes très présents sur les réseaux. Mais maintenant, on va montrer ce qu’on sait faire ! » Le lendemain, la scène fait les gorges chaudes dans les allées du Space à Bruz. La rencontre n’a pas fini en boucherie. Elle symbolise une inversion des rôles dans une guerre de l’image où se joue une partie de l’avenir des agriculteurs et de la filière alimentaire. Un marché juteux pour une nouvelle génération d’« agricommunicants » rompus aux nouvelles techniques de lobbying. La consommation de viande rouge diminue en France. En raison de son prix, mais aussi pour des questions éthiques. L’impact de l’élevage sur les Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
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animaux et l’environnement sont devenus des enjeux économiques. Ils conditionnent les aides publiques. Se mettre aux normes de bien-être animal a un prix. Remplacer les cages d’une exploitation de 100 000 poules (la moyenne bretonne) coûte 1,2 million d’euros2, par exemple. A la crise économique s’ajoute aussi le contrecoup des scandales sanitaires. En juin, une campagne de L214 a accusé des fournisseurs du groupe breton Hénaff de maltraiter les bêtes. Deux mois plus tard, les rejets d’une usine de lait intoxiquaient La Seiche (lire p.16). Jusque dans les années 1970, le paysan breton était considéré comme un héros de l’indépendance alimentaire. Il se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés. « Ce n’est pas la réalité de notre métier ! », protestent les agriculteurs, qui veulent désormais se réapproprier le sujet. En faisant de l’élevage « à la française », par exemple, un argument marketing contre les superfermes (chinoises, notamment) où les vaches voient rarement la couleur du pré. Le dernier Space proposait ainsi des conférences comme « le bien-être animal, un atout pour les élevages de l’Ouest ». « La crise du monde agricole n’est pas due à un problème de com’, nuance
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Carine Abecassis, directrice du réseau d’agri-communicants Syrpa. Mais il est de plus en plus important qu’ils puissent expliquer d’où viennent leurs produits. C’est une partie de la solution. » C’est pourquoi le métier de communicant spécialisé dans l’agriculture et le bien-être animal prend « de
IL FAUT DÉCHIANTISER LE DISCOURS AGRICOLE
HERVÉ LE PRINCE, expert en communication stratégique
décidé de reprendre leurs méthodes. Compte Instagram, chaîne Youtube, offensives sur les réseaux sociaux… Voici l’arsenal d’Agriculteurs de Bretagne. Une association rennaise créée en 2012, la Némésis de L214. Elle est de tous les événements locaux. Début septembre, l’asso a présenté à Rennes un clip Youtube qui résume sa philosophie, avec le Morbihannais Jo, star de L’Amour est dans le pré, l’émission de M6. Musique cheezy, images de gamins qui dévorent des carottes... La voix off débite : « Pour Jo, bien produire, c’est bien le dire et surtout le prouver », « la Bretagne est l’une des meilleures agricultures au monde », etc.
« Redonner du courage » plus en plus de place dans le paysage agricole ». Une petite révolution culturelle. L’influence de l’opinion publique a longtemps été le point faible de l’agriculture bretonne, qualifiée de « lobby invisible » par Clarisse Lucas, auteure du Lobby breton3. Pour contrer les anti-viandes et autres lobbies vegans, maîtres dans l’art d’utiliser Internet pour jouer sur la sensibilité du consommateur, les nouveaux influenceurs de l’alimentation ont
Greenwashing ? L’association préfère parler de « communication positive » pour « redonner le courage d’affronter les consommateurs ». Parmi ses soutiens, on compte une centaine de mastodontes de l’agro-agri comme Bigard, Triskalia ou Triballat. Beaucoup y voient l’opportunité de se défaire de leur image d’industriels. Pour affiner sa stratégie, Agriculteurs de Bretagne peut aussi compter sur l’Institut de Locarn, puissant lobby des patrons bretons
Twitter est dans le pré
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Action des jeunes agriculteurs à Rennes, février 2015
et siège de Produit en Bretagne. Une marque qui a 25 ans d’expérience dans la promotion des produits locaux. Des contacts ont lieu régulièrement avec son président, Jakez Bernard. Les deux entités se veulent complémentaires : à l’une la promotion des produits bruts, à l’autre les transformés. Une alliance de circonstances qui n’est pas sans remous. La participation de E.Leclerc ou Intermarché à Produit en Bretagne est parfois source de tensions, au gré des relations entre les agriculteurs et la grande distribution.
Vers de terre et big data Agriculteurs de Bretagne doit aussi sa montée en puissance à l’expertise d’un Rennais : Hervé Le Prince, fondateur de Newsens, cabinet spécialisé dans la communication de crise. Avec sa silhouette en stylo, sa barbe marengo et son vocabulaire techno, il a un air d’un Steve Jobs des champs. C’est l’archétype de cette nouvelle vague de communicants qui proposent des formations à la com’ numérique dans les grands rendez-vous agricoles. Des quadras, très diplômés, souvent issus de l’agro-agri. Salaire moyen dans la profession : 52 800 € bruts par an4. Leur mantra ?
es animaux blessés dans des cages minuscules : c’est souvent ce qu’on trouve en cherchant « élevage » sur Twitter. Pourtant, ces images trash cohabitent de plus en plus avec des photos bucoliques de vaches dans leur pré. Depuis deux ans, Vincent, producteur laitier de 31 ans à Sulniac (56), partage sur Twitter vidéos et selfies avec ses bêtes. « Je les envoie en direct du champ. Il faut montrer la vérité sur ce qu’on fait. » Et cela cartonne : Vincent a 2 756 abonnés à son compte, dont un tiers hors secteur agricole. Même succès chez Antoine, alias Agriskippy. Cet éleveur-Youtubeur filme son métier à travers des sujets délicats, comme la séparation du veau et de sa mère. Les géants de l’agro-agri ont compris qu’il serait contre-productif de « télécommander » ces jeunes si spontanés. Ce qui ne les empêche pas de les soutenir discrètement. La Chambre d’agriculture de Bretagne propose ainsi des stages photos avec des pros. Sodiaal (Yoplait, Candia...) donne de la visibilité aux vidéos d’Agriskippy. Vincent est invité à des réunions d’analyse des réseaux sociaux avec sa filière. Les deux font partie du mouvement #Agridemain, qui promeut une image positive de l’agriculture depuis 2015. A sa tête : la puissante FNSEA. Instrumentalisation des « petits » par les lobbys du secteur ? Pas pour Vincent. « Je pense que c’est complémentaire. »
Pour reconquérir le consommateur, l’agriculture doit montrer un nouveau visage à la fois productif et écolo. C’est « le mariage des vers de terre et du big data »5. « Il faut déchiantiser le discours agricole », traduit Hervé Le Prince, mi-septembre, devant un parterre d’agri-communicants réunis à Rennes. L’exploitant doit parler « émotion », pas statistiques. « Quand ils s’expriment, certains se prennent pour le ministre de l’Agriculture, ils sont plantés en trente secondes. » Alors que coachés comme il faut, dans leur ferme, « ils parlent avec passion ». Avec 60% de surfaces agricoles, la Bretagne va-t-elle devenir l’Eldorado de ces nouvelles techniques d’influence ? Pas tout de suite. Agriculteurs de Bretagne ne dispose que de 25 agriculteurs-ambassadeurs. « Au départ, on a pensé naïvement que les exploitants nous suivraient spontanément :
68 000 actifs, c’est 68 000 communicants demain ! C’est pas le cas. Ils ont subi un choc économique et un choc moral. Ce sera très long. » La stratégie de reconquête, balbutiante, se limite pour l’instant aux vidéos et photos en ligne. Elle n’a pourtant pas de temps à perdre. De leur côté, les antiviandes adaptent aussi leur communication. Beaucoup misent désormais sur une image « cool et non culpabilisante » au travers de vidéos Youtube humoristiques. De quoi reprendre une longueur d’avance ? 1. Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles 2. Jean-Paul Louédoc, Ouest-France, 10/9 3. Le lobby breton, par Clarisse Lucas, aux éditions Nouveau monde, 2011 4. Observatoire Syrpa 2016 5. Les agriculteurs à la reconquête du monde, Maximilien Rouer, Hubert Garaud, éd. JC Lattès
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LOBBY Visite du ministre de l’Agriculture (à droite) le 17 septembre au Space en compagnie de la présidente de la FNSEA
Space
A Rennes, les lobbies tiennent salon En septembre, le Space, le grand salon des filières agricoles à Rennes, est aussi l’occasion de « réseauter » pour les lobbies qui agissent en leur nom. e Space de Rennes, ce n’est pas que des ministres au cul des vaches et des kilomètres de bouchons à SaintJacques-de-la-Lande. Concours d’animaux, rencontres internationales, conférences sur la génétique ou la méthanisation… Avec 1 441 exposants sur 10 ha et 114 653 visiteurs courant septembre, le Space apparaît comme la meilleure vitrine de l’agriculture bretonne. Mais aussi celle des jeux d’influence qui la sous-tendent, de Rennes aux couloirs de Bruxelles. En première ligne, la FNSEA, syndicat agricole majoritaire en France. JeanMichel Lemétayer, décédé en 2013, a dirigé la FNSEA pendant dix ans. Il a aussi cofondé et présidé le Space. La FNSEA est
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inscrite au registre de transparence des lobbies (ou « représentants d’intérêt ») de la Commission européenne. En 2015, elle employait à cette activité onze personnes dont trois équivalents temps plein, pour un budget entre 100 000 et 200 000 €. La FNSEA est également membre du CopaCogeca, le grand lobby agricole européen. Cette représentation est cruciale pour défendre les intérêts de ses membres et anticiper, voire influencer la législation européenne. Ses thématiques de travail comptent, sans surprise, l’élaboration de la Politique agricole commune (Pac).
Prendre la température du secteur Dans la même liste, on trouve Breiz Europe. Souvent citée comme « le » lobby breton à Bruxelles, l’association
représente les intérêts de l’agroalimentaire au parfum de beurre salé auprès de la Commission européenne. « Breiz Europe a deux permanents à Bruxelles. Ils sont à l’écoute de ce qui se décide et le répercutent au niveau de l’agroalimentaire breton », explique Frédérique Le Gall, journaliste du Télégramme spécialiste du monde agricole. Dans le viseur de Breiz Europe, les normes environnementales, sur lesquelles elle peut peser en faveur des éleveurs bretons. Elle fait aussi entendre leur voix lorsque se décident des sanctions diplomatiques, comme en 2014 pendant l’embargo vers la Russie. Courroie de transmission entre ses membres et la stratosphère bruxelloise, elle transmet des informations stratégiques comme les fluctuations
des restitutions à l’exportation. Breiz Europe a été dirigée de 2007 à 2014 par un Finistérien haut en couleurs, Jean Le Vourc’h. Cet ex-président du Crédit agricole du Finistère pilotait aussi la puissante coopérative laitière Even, qui tient stand à l’entrée du Space. Il n’hésite pas à ferrailler face caméra contre l’écotaxe, à remettre en cause l’implication de l’agriculture dans les algues vertes ou tancer le ministre de l’Agriculture sur le prix d’achat du lait. Pour les groupes d’intérêt comme Breiz Europe, le Space représente un précieux vecteur d’influence. Les professionnels de l’agro-agri y sont sur leur terrain pour faire entendre leurs doléances aux décideurs. « En 2016, Breiz Europe avait organisé la venue au salon du commissaire européen à l’Agriculture Phil Hogan », se souvient Clarisse Lucas, journaliste à l’AFP et auteure du Lobby breton. Ce fut l’occasion d’une rencontre à huis-clos avec les filières bretonnes, dans un hôtel près de Rennes, pour causer Pac et distorsions de concurrence. En période électorale, le salon fait partie des figures imposées de la politique. En 2016, on a pu y voir Emmanuel Macron parler quotas ou François Fillon passer un tablier pour servir des assiettes de poulet aux visiteurs ébahis. Hors campagne, le Space reste un canal ouvert avec les représentants du monde rural. Des élus avalent les kilomètres pour y prendre la température du secteur. Comme Jean Arthuis, eurodéputé de l’Ouest qui, entre une barquette de tomates et un robot chasse-poules révolutionnaire, en profite pour serrer la pince aux représentants d’intérêts qu’il croisait quelques jours plus tôt à Bruxelles.
Un réseau en or Toutefois, d’année en année, on voit émerger une nouvelle génération d’influenceurs qui jure moins par les méandres de l’Europe que par ceux des réseaux sociaux. Au Space, ils se retrouvent dans les conférences dédiées au marketing, où ils partagent leur expérience. Venus du business,
spécifiquement formés au lobbying, ils se taillent une place aux côtés de l’ancienne école. Celle du carnet d’adresses rempli au fil des carrières dans les bureaux des ministres ou des parlementaires. Dans la liste d’exposants du salon, on ne retrouve pas que l’organigramme de Breiz Europe. Les patrons du cru aiment mêler les réseaux. Comme Alain Glon (Matines, Michel Robichon...), membre
LE SPACE REPRÉSENTE UN PRÉCIEUX VECTEUR D’INFLUENCE de Breiz Europe et président du think tank Institut de Locarn (à l’origine de Produit en Bretagne). Il fait aussi partie du très discret Club des trente. Un réseau où l’on entre par cooptation, et où il a pu croiser Louis Le Duff (Brioche dorée, Pizza Del Arte) ou le géant de la charcuterie Jean-Jacques Hénaff. Malgré leurs intérêts parfois concurrents, les membres de ces réseaux y trouvent des ressources pour résister aux crises. Longtemps miné par
l’entre-soi et un discours hors-sol, l’agroagri breton cherche aujourd’hui à peser sur les sujets de société qui touchent ses entreprises. Comme le bien-être animal, le réchauffement climatique et les questions sanitaires. Au prix, parfois, de quelques contradictions. En 2011, Produit en Bretagne a accompagné le lancement d’une chaire de développement durable à l’école des mines de Nantes. Tout en refusant de bannir les OGM de ses produits. Ces liens politico-industriels permettent aussi à ce lobby de la bouffe de bénéficier d’un impact à tous les niveaux de décision. Il a l’oreille attentive de Jean-Yves Le Drian et par conséquent de l’Elysée. Loïg Chesnais-Girard, son successeur à la Région, n’est pas en reste. En marge du Space, il s’est taillé un succès auprès des éleveurs en déclarant : « Je ne tolérerai pas qu’on m’interdise de manger de la viande. » Promesse dans l’air du temps, alors que démarrent les états généraux de l’alimentation. Cette année, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, est lui aussi venu faire son pèlerinage à Rennes. Ses interlocuteurs lui ont répété cette phrase : « M. le ministre, le bien-être animal, c’est bien, mais celui des éleveurs, c’est mieux ! » Le lobbying, c’est parfois simple comme un bon slogan.
A SAVOIR
En Bretagne, 65,9% des entreprises jugent l’influence « importante ou très importante », selon un rapport de la Chambre de commerce et d’industrie de 2015. 37,4% y ont déjà eu recours. Parmi celles qui ne le font pas, 47,6% expliquent que c’est parce qu’elles ne savent pas comment faire.
DES LOBBIES DIFFICILES À ENCADRER
Le lobbying est aussi vieux que le pouvoir. Par le passé, il s’exerçait forcément au plus près, comme à la cour du roi. L’origine du mot se trouve dans les couloirs qui mènent aux antichambres des décideurs. Avec l’arrivée de la démocratie et des médias, les lobbyistes s’étendent à ce qui influence indirectement les élus. A partir de 1990, ils essaiment dans des cabinets spécialisés, gagnant une visibilité inédite. En 1991 est créée l’Association française de conseil en lobbying, dotée d’une charte déontologique. Le terme désigne aujourd’hui des entreprises, des associations de consommateurs ou encore des groupements d’élus. L’objectif reste d’anticiper et d’influer sur le processus politique dans le sens de ses intérêts. Qui ne coïncident pas toujours avec ceux du grand public : industrie du tabac, scandale de l’amiante… Depuis 2017, en France, les lobbies doivent s’inscrire sur un nouveau registre pour rencontrer ministres, élus et certains hauts fonctionnaires. « Insuffisant », jugent des associations comme Anticor.
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A Rennes, le Centre culinaire contemporain apparaît comme un haut lieu d’influence pour les industriels de l’agroalimentaire.
Groupes d’intérêt
Les élus sous influence ? Pour les politiques, les lobbies sont vus comme des sources d’information. Impossible également de fermer la porte à ceux qui représentent une partie de leur électorat. Cependant, gare aux dérapages. ennes est le centre du pouvoir breton. Comme toute capitale de région, cela fait d’elle un haut lieu du lobbying. Dans ses institutions comme dans des lieux plus officieux. Sans exagérer leur portée, il ne faut pas minimiser leur rôle dans la vie de la cité. D’autant que celle-ci s’épanouit hors des places sacralisées comme l’hôtel de la Métropole. Ainsi, la Chambre d’agriculture partage désormais son influence avec des cénacles comme le Club des trente, qui compte des patrons de l’agroagri et a pesé de tout son poids en faveur de l’arrivée de la LGV en Bretagne. Les restaurants sont aussi des lieux de réseau par excellence. Avenue Janvier à Rennes, au sortir du TGV, Le Galopin rassasie élus et patrons dans son salon privatif. L’artiste Ar Furlukin, célèbre pour ses omniprésents radis, y travaille comme maître d’hôtel. Combien de dossiers sensibles dénoués dans cette
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brasserie emblématique ? Parmi les « cantines » des décideurs, il y a aussi Léon Le Cochon, le Carré des Lices, ou encore Il Toscano. A l’opéra de Rennes, les maires avaient
LE PROBLÈME, CE N’EST PAS QUE LES LOBBIES EXISTENT, C’EST LEUR FAÇON DE TRAVAILLER YANNICK JADOT, eurodéputé EELV
leur loge réservée, bien visible du public. Aujourd’hui, c’est dans les loges VIP du Roazhon Park qu’il faut être vu. Nathalie Appéré ou Jean-Yves Le Drian y croisent François Pinault (Kering), Daniel Jeulin
(Repro Conseil), Christian Roulleau (Samsic)… L’occasion de faire passer des idées. Dans ce petit monde, l’influence se mesure au nombre d’électeurs ou d’employés que le chef d’entreprise représente. Dès lors, faire entendre son point de vue est simple comme un coup de fil. Anecdote : le Rennais Le Duff (Brioche dorée) veut implanter un snack au Colombier mais n’a pas la licence adéquate1. Un cadre du groupe harcèle au téléphone les services de l’urbanisme, qui entament de pénibles négociations auprès de la préfecture pour faire valoir les intérêts du restaurateur. Licence accordée. En France, les lobbies ont mauvaise presse. Les élus, eux, les voient comme un rouage utile de la démocratie. Les fréquenter fait partie du job. « Le législateur les rencontre pour fonder son opinion sur des informations fiables, explique le centriste Jean Arthuis, eurodéputé de l’Ouest. C’est normal que les parties concernées par un projet
Joël Labbé Sénateur breton
fassent connaître leurs réserves et leurs attentes. Il faut rester transparent et indépendant. » Pour son homologue écolo Yannick Jadot, « le problème, ce n’est pas que les lobbies existent, c’est la façon dont ils travaillent. La corruption est souvent passive. Une entreprise m’a déjà proposé de participer à des conférences dans un endroit idyllique, avec ma famille… » Des méthodes que le député européen réprouve.
Petits cadeaux Il y a aussi les petits cadeaux. En 2016, un industriel du tabac a envoyé un total de 6 629 € en « avantages » et « invitations » à 29 députés dont Marcel Rogemont. Bien que non-fumeur, l’alors député PS d’Illeet-Vilaine avait défendu en commission la présence du tabac dans les œuvres culturelles. Un rapport ? Difficile à dire. Subsiste le doute. Autre ficelle répandue : tenir la plume aux élus. « Des sociétés envoient des projets d’amendement tout faits, avec une vraie expertise sur des sujets compliqués, relate Jean-Louis Tourenne, sénateur PS d’Ille-et-Vilaine. Plus qu’à déposer à l’Assemblée. Inacceptable. » Mais tentant. « Aujourd’hui, les vrais lobbies ne font pas de la corruption. Ils font de l’idéologie, c’est plus efficace », explique, en « off », un ancien consultant auprès des collectivités et des entreprises. « Ils préfèrent avancer masqués, se présentant comme des défenseurs du territoire, de l’identité bretonne. Ils diffusent un discours sans locuteur qui passe pour celui de gens raisonnables en matière économique. L’Institut de Locarn est le prototype du lobby intelligent qui a réussi avec son outil marketing Produit en Bretagne. » S’afficher contre NDDL ou la LGV « passe alors pour de l’irresponsabilité, poursuit cet ancien consultant. Car c’est être contre le “développement économique”. Toute analyse technique passe alors à l’as. A Rennes métropole, j’ai entendu des discours de prospective qui étaient des discours d’entreprises maquillés en analyses scientifiques. C’est ce que font les groupes agroalimentaires ici ».
« Je suis celui qui dérange » Le sénateur breton Joël Labbé (ex-EELV), fraîchement réélu en septembre, est à l’origine d’une loi visant à mieux encadrer les pesticides. Cet iconoclaste a dû batailler ferme contre les lobbies de l’agrochimie. Le Mensuel : Quelle influence exercent les lobbies sur les décisions des élus ? JOËL LABBÉ : Cela passe notamment
par le chantage à l’emploi pour les bassins d’activités agroalimentaires. Certains, comme (le syndicat agricole majoritaire) FNSEA, font aussi en sorte que leurs adhérents intègrent les conseils municipaux. En Bretagne, on voit ça avec Olivier Allain, vice-président à la Région chargé de la question agricole (et ancien vice-président de la FNSEA, NDLR). Avez-vous reçu des pressions de la part d’entreprises du secteur quand vous avez présenté votre loi encadrant les pesticides ? Ce n’est pas de la pression directe. C’est très insidieux. Je sais comment ils travaillent. Ils me fréquentent peu car je suis celui qui dérange. Ils me considèrent comme irrécupérable. Les firmes d’agrochimie et les fournisseurs de pesticides sont montés au créneau contre ma loi. Ils ont essayé d’utiliser l’association des Maires de France en leur disant que le texte serait inapplicable et insupportable financièrement pour les communes. Puis ils ont essayé d’attaquer la loi pour incompatibilité avec la réglementation européenne, via leurs relais à Bruxelles. J’ai voulu lancer une contreattaque par une résolution européenne
demandant à l’Europe d’avancer vers l’application de cette loi dans tous les pays de l’Union (cette résolution est toujours en discussion, NDLR). La loi aurait-elle été différente sans l’implication de ces influenceurs ? Oui. Par exemple, les délais d’application ont été rallongés. On a cependant eu de la chance. (L’ancienne ministre de l’environnement) Ségolène Royal a été très nettement dans notre sens malgré le lobbying du ministère de l’Agriculture. Joël Labbé a été réélu au Sénat fin septembre.
CE N’EST PAS DE LA PRESSION DIRECTE. C’EST TRÈS INSIDIEUX Qu’est-ce qui a changé dans les techniques d’influence pratiquées ?
Ils utilisent les réseaux sociaux pour allumer des contre-feux contre l’action des ONG. A chaque fois qu’une étude scientifique ne va pas dans leur sens, ils lancent une contre-expertise menée par des scientifiques qu’ils payent très cher. On appelle ça « la fabrique du doute ». Heureusement, grâce à Internet notamment, l’opinion publique est de moins en moins dupe.
1. Jacques Lescoat, Une aventure rennaise, éditions Finisterre
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Les écoliers sont à la fois les consommateurs de demain et des mini-influenceurs pour les parents.
Influence
Les enfants d’abord Le lobby de l’agro-business multiplie les opérations de com’ dans les écoles, sous couvert de pédagogie. Pour cela, il prend l’apparence d’associations et d’instituts scientifiques.
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ous ne savez pas quoi faire ce soir ? Cela tombe bien, le journal annonce une conférence passionnante sur les céréales à la Maison des associations. Pardon, un « Voyage dans l’imaginaire des céréales ». Le 29 novembre dernier, 200 personnes ont écouté des VIP raconter leur amour du blé, du riz ou du maïs. Freddy Thiburce, cofondateur du Centre culinaire contemporain, Jean-Marie Baudic, chef étoilé... Nathalie Appéré, député-maire de Rennes, retenue à l’Assemblée nationale, était excusée. Ce n’était marqué nulle part, mais l’organisateur, Passion céréales, est plus qu’une joyeuse bande de fanas de graminées. C’est un paravent de l’industrie céréalière,
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inscrit au registre européen des lobbies. Son credo : « Réenchanter la consommation de céréales. » Il y a urgence : le sans-gluten, régime d’abord réservé aux malades cœliaques, séduirait de plus en plus de Français. Des faux-nez dans le genre l’agrobusiness n’en manque pas. Les lobbies usent volontiers de noms ronflants d’associations de consommateurs ou environnementales. Sucre-info ? Géré par le Cedus, la filière sucre française. Le Centre d’information des viandes (CIV) ? Le bras armé de l’Interbev-les métiers du bœuf, 32 millions d’euros de budget annuel.
1 700 mallettes gratuites Parmi ces structures, Passion céréales est particulièrement actif sur la toile avec
un site et une page Facebook, l’Ecole des céréales, destinés aux enseignants. Les écoliers étant à la fois les consommateurs de demain et des mini-influenceurs pour les parents. En 2015-2016, 1 700 mallettes pédagogiques ont été fournies gratuitement aux écoles et accueils de loisirs qui en ont fait la demande. 42 500 enfants ont été « sensibilisés » aux vertus du pain et des pâtes. Les profs de SVT, qui manquent de matériel pédagogique, en redemandent. Taux de satisfaction : 98%. L’association intervient directement dans les cantines, avec un jeu gourmand, Graines de détectives (« Mène l’enquête sur les céréales ! »). En 2015, 265 000 enfants y ont participé. De son côté, l’Interbev distribue un kit dans les cantines et envoie des animateurs parler élevage et nutrition en classe. Le Cniel (la filière du lait) est un pionnier du genre, qui a mis en place dès 1982 des « classes d’éveil au goût » sous le patronage de Jack Lang. La com’ représente 54% de son budget de
39,8 millions d’euros (hors subventions européennes). En période de débats sur l’impact de la viande ou du lait sur la santé, venir défendre son steak sur le temps scolaire peut faire tiquer. Mais rien d’illégal. En 2016, l’académie de Rennes et le Cniel ont signé une convention de cinq ans portant notamment sur la fourniture de supports pédagogiques. Depuis 2009, 124 000 élèves ont participé à sa campagne « A table pour grandir » dans les classes de CM1-CM2. Objectif : convaincre les enfants de consommer trois à quatre produits laitiers par jour. Les ateliers sont animés par un diététicien. Les entreprises de l’agro-agri ont pris l’habitude de faire appel à des spécialistes du secteur en guise de caution scientifique. Lors des Assises de l’agriculture à Rennes, en septembre, les conférences sur la viande et la santé comptaient un éminent membre de l’Inra de Rennes. Bémol : ses recherches sont soutenues par une société de nutrition animale. A la maison, les enfants retrouvent les lobbies à la télé. Pas dans les spots publicitaires. Mais dans des dessins animés signés Passion céréales et produits par Disney channel. Près de 200 000 vues rien que sur Internet. Le CIV, lui, squatte les journaux jeunesse. Comme dans ces
DES FAUX-NEZ, L’AGRO-BUSINESS N’EN MANQUE PAS « éditions spéciales » faites maison et insérées dans des journaux jeunesse comme L’Actu. Message diffusé : l’élevage, c’est écolo ! Passion céréales préfère éditer son propre magazine, Epok’Epi, destiné aux 7-11 ans. Au sommaire : Les pâtes quelle aventure ou Les secrets du pain. Plus de 6 000 enseignants sont abonnés, pour une diffusion d’environ 500 000 exemplaires. Un soft power que les interprofessions préfèrent présenter comme des « actions d’information sur l’alimentation ».
Le futur du cyber-lobbying chaque scandale sanitaire, la toile fleurit de « sites d’info » et de forums alimentés par les communicants de l’agro-agri. Contre une dîme aux géants du web, ces contenus partiaux remontent dans les moteurs de recherche au détriment de sources neutres. Et des internautes soucieux de leur santé. Internet est aussi un moyen de déminer les polémiques. L’interprofession bovine ne jure que par un logiciel mouchard développé par Thalès, qui brasse tout ce qui s’écrit à propos de viande. Blogs et forums sont classés selon leur degré de « contestation ». Il peut détecter des signaux faibles sur des sujets de société et déterminer une réponse graduée. Exemple : en 2015, l’OMS publie un rapport sur des liens entre la viande et certains cancers. Cellule de crise à l’Interbev, qui analyse heure par heure les réactions des internautes sur cette thématique. La profession identifie le timing et les supports adaptés pour allumer ses contre-feux. Les porte-parole constatent que beaucoup tournent le sujet en dérision. Et ajustent leur réponse officielle en minimisant les conclusions de l’étude. Prochaine étape ? La cyberdémocratie. Les industriels noyautent aujourd’hui le site participatif des états généraux de l’alimentation. Ils utilisent aussi la masse phénoménale de données personnelles que Facebook revend aux entreprises. Les algorithmes permettent déjà de déterminer si un utilisateur tend à devenir végétarien. Bientôt, les spécialistes de la com’ en ligne seront à même de lui envoyer des articles ciblés pour le faire revenir dans le troupeau.
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LOBBY
Associations citoyennes
Graines de lobbys L’association Fermes d’avenir veut prouver que l’agroécologie est plus rentable que l’agriculture conventionnelle. En pointe sur la communication, elle vante son modèle auprès des politiques, des citoyens et des autres agriculteurs. es lobbies détestent qu’on les appelle « lobby ». Ils préfèrent « groupement d’intérêts », « cabinet de communication » ou simplement « association ». Une pudeur de violette que ne partage pas Fermes d’avenir, asso qui pratique l’agroécologie et veut le faire savoir. « On fait du lobbying pour porter la voix des citoyens. On n’a rien d’autre à offrir que l’image du monde d’après », explique son président, Maxime de Rostolan. Blabla de doux rêveur ? Non. L’ingénieur de 36 ans a fait ses preuves. Ce costaud à petite barbe, sourire Colgate et cheveux fous, a le ton de celui qui maîtrise son sujet. Originaire de Boulogne, il pilote depuis deux ans une ferme expérimentale à la Bourdaisière, près de de Tours. Là-bas, la fertilisation des sols se fait par décomposition de matière organique. Les insecticides sont remplacés par des plantes qui repoussent les nuisibles et les cochons s’occupent des labours. Mardi 29 août, Maxime de Rostolan était de passage à Rennes dans le cadre du « Fermes d’avenir tour ». Un voyage
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Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir, et Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, à Rennes lors du « Fermes d’avenir tour »
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à travers la France pour présenter son modèle, via 220 exploitations. Dans la capitale bretonne, il a visité une ferme de La Prévalaye en compagnie du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. « Il a vu de ses propres yeux que des modèles alternatifs et vertueux
ON N’A RIEN D’AUTRE À OFFRIR QUE L’IMAGE DU MONDE D’APRÈS MAXIME DE ROSTOLAN, président de Fermes d’avenir
étaient déjà en place. La Bretagne a des atouts, comme (l’association) Agrobio 35, très bien implantée. » Pour Maxime de Rostolan, faire ne suffit pas. Il faut montrer qu’un autre modèle est possible, en utilisant les mêmes leviers de com’ que l’autre camp. « Plus je fréquente les ministres, plus je découvre qu’ils font face à de nombreux interlocuteurs aux intérêts antagonistes. Je comprends mieux leur difficulté à
prendre des décisions qui devraient être simples. On aimerait bien qu’il suffise de dire “on arrête le glyphosate (composant du Roundup, NDLR)” pour que ça arrive, sauf que ça mettrait toute la FNSEA dans la rue. » Alors, le lobbyiste en herbe observe et apprend. « Aujourd’hui, notre but est, un, d’avoir un réseau d’influenceurs et, deux, des soutiens qui pèsent pour crédibiliser nos propositions. » Pas question de rester dans l’entre-soi. « Sur le tour, on est allé à la rencontre des céréaliers chimiques et je continue à en rencontrer régulièrement. » Fermes d’avenir compte aujourd’hui quatorze personnes. Trop peu pour ses ambitions ? Maxime rembarre : « Il y a un an et demi, on n’était que quatre. » L’association a des projets plein les cartons. « En ce moment on travaille sur la comptabilité en triple capital. » C’est-àdire ? « C’est une forme de comptabilité qui, en plus du capital financier, prend en compte les coûts environnementaux et sociaux de l’agriculture, comme la pollution. Avec ça, on verra qu’au final l’agroécologie est bien plus rentable pour le consommateur. »
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Jardins familiaux
Un bouillon de cultures 54 Le Mensuel N°95 / Octobre 2017
A la Prévalaye, 229 jardiniers cultivent leur parcelle sur l’un des plus imposants jardins familiaux rennais. A l’image d’un quartier métissé, les différences culturelles y cohabitent, sans vraiment se mélanger.
NATHALIE MUSAC rennes@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
couple lors de leurs rares voyages en Asie. Thaiji et Maho ont obtenu ce jardin un an après leur arrivée en France, il y a 29 ans. « J’habite à Villejean en HLM. A la maison, toute la journée, le temps est long. Ici, il n’y a pas de temps ! », explique Thaiji, 58 ans. Il y vient plusieurs fois par semaine, après son travail aux abattoirs. Le week-end, la famille prépare le repas à la maison, puis vient y manger avec les enfants sur la longue table en plastique, protégée du sol par une moquette bleue. A droite rampent de multiples plantes aromatiques, « pour la cuisine, avec le poulet, pour les médicaments aussi », indique Maho. Dans la serre, ce sont de hautes feuilles de citronnelle en touffe qui prédominent. Tout provient du Laos. Enfants, ils ont cultivé la terre avec leur famille. A Rennes, ils perpétuent leur savoir-faire. Jardiner est une manière de maintenir le lien avec leurs origines.
Montre moi ton jardin...
Laurent est un perfectionniste. Son jardin est un laboratoire d’expériences de semis mais aussi un observatoire de la vie des bêtes, où tout est prévu pour leur confort, de l’hôtel à insectes à l’abreuvoir aux abeilles.
l fait très chaud. En cette fin août, beaucoup de jardiniers sont partis en vacances. Dans les allées, quelques voix sont perceptibles. Les têtes de Maho et Thaiji dépassent de la végétation. Comme eux, 227 autres jardiniers disposent d’une parcelle au sein des jardins familiaux de la Prévalaye, à Rennes. Le deuxième en taille sur les onze sites que compte la ville. Plus vaste que le parc Oberthür, l’espace labyrinthique est constitué de
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jardins en îlots -« en alvéoles » disent certains- tous mitoyens. Fleuri ou potager, aéré ou luxuriant, chacun d’eux est à l’image de celui qui l’occupe. « Je suis Hmong, on vient du Laos », annonce Thaiji, en s’excusant pour ses problèmes de maîtrise de la langue. Arrosoir à la main, chapeau de paille à franges vissé sur la tête, il se fraie un chemin sous les bananiers pour arroser les dizaines de dahlias rouge et blanc qui se dressent à hauteur de poitrine. Quelques plants ont été acquis en France. Mais la majorité d’entre eux a été ramenée par le
Deuxième plus grand jardin rennais, la Prévalaye accueille de multiples nationalités, réunies au fil des années dans différents secteurs des jardins. A l’image d’un village ou d’un quartier, les cultures y cohabitent sans vraiment se mélanger. Les contacts entre voisins d’origines différentes ne sont pas courants. Et les pratiques jardinières de chacun méconnues. L’usage limité de la langue donne aussi des complexes. « Tout là-bas, c’est arabe », montre Maho en balayant de son bras le dessus de sa haie. « Là, derrière, il y a un Français. » Gérard Travert, président du bureau de ce secteur, confirme cette méconnaissance des uns et des autres, en faisant référence aux plus importants îlots : « Je suis à peu près certain que de l’autre côté, les gens ne sont jamais rentrés dans le jardin de leur voisin turc. » « L’autre côté », c’est l’ensemble d’îlots majoritairement composés de jardiniers originaires de Turquie. Ces attributions, groupées en fonction des nationalités, ont une histoire. Lors de l’ouverture des jardins, en 1982, les demandes n’affluaient pas. « Personne ne voulait de jardins. Et eux (les Turcs), Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
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JARDINS FAMILIAUX
de la ZUP, étaient très demandeurs. Il y a même eu des familles qui en avaient deux, tellement il y avait de jardins disponibles dont personne ne voulait ! Donc ils se sont installés, le père, le fils, le neveu… Aujourd’hui, ils occupent autour de 75-80 jardins. » Au sein de cet îlot, qui accueille aussi quelques Asiatiques et des Tchétchènes, une animation particulière débute dès le vendredi après-midi lorsque le temps est beau. Des fumées se répandent avec des odeurs de grillades. Les enfants jouent dans les allées. Les femmes font du pain. Les hommes sont assis à l’ombre. Le jardin est une extension de la salle à manger, avec de grandes tables dressées sous la pergola. A proximité, Farouk, 56 ans, regarde placidement le feu sous le samovar. L’homme au physique imposant constate que le besoin entraîne l’échange. Avec jovialité, il explique que « la Française derrière, elle ne me parle pas. Jusqu’à la semaine dernière. Avec la sécheresse, elle a demandé le tuyau ». Certains viennent aux jardins pour chercher la tranquillité. André, 67 ans, profite de son espace aéré, son petit-fils Elliot, 6 ans, à ses côtés, et sa compagne, Renée. « C’est notre résidence secondaire », lance-t-elle avec un large sourire. Le rectangle de pelouse est fraîchement
JARDINS FAMILIAUX
Rennes compte 11 sites de jardins familiaux, nommés, jusqu’en 1952, « jardins ouvriers », ils permettent aux jardiniers de bénéficier d’un espace pour leurs loisirs et de cultiver pour leur propre consommation. Les jardiniers ne sont pas propriétaires de leur parcelle. Ils adhèrent à l’association des jardins familiaux de Rennes et s’acquittent d’une redevance en fonction de la taille de la parcelle, de 50 à 200 m². Il faut être patient : à la Prévalaye, comptez un an et demi d’attente. Ces jardins sont à distinguer des jardins partagés, cogérés par des habitants d’un quartier.
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tondu. Des chaises de jardin sont installées. André craint les taupes. « Le voisin marocain à côté, il a un carré entièrement parcouru de galeries », confirme Renée. Les relations avec les voisins, « c’est comme partout », énonce le jardinier. « Il y a des gens sympas, d’autres moins », ponctue Renée. « Les Turcs préfèrent être entre eux. Ils sont plus familiaux », indique Louis, voisin venu saluer André. Celui-ci, sagement assis, explique qu’« ils aiment se rassembler. Nous, on a perdu ça. Il faut remonter à nos parents ou grands-parents ». Ce qui n’empêche pas la cordialité. « On s’échange du piment, dit Renée. On en a eu l’année dernière et cette année. »
L’ABSENCE DE CONTACT PEUT AUSSI GÉNÉRER DE L’INCOMPRÉHENSION Un peu plus loin, Laurent converse avec ses voisins. Il partage un souci esthétique de l’espace. Laurent est un perfectionniste. Comme son voisin Claude, la culture est méticuleusement menée en rectangles bien dressés et la mauvaise herbe est chassée. Le jardin de Laurent ressemble à un laboratoire d’expériences de semis mais aussi un observatoire de la vie des bêtes, où tout est prévu pour leur confort, de l’hôtel à insectes à l’abreuvoir aux abeilles. Lorsqu’on les écoute, on comprend que les relations entre jardiniers sont facilitées lorsqu’ils affichent la même manière de faire. Exemple entre le paillage et le bâchage. Les jardiniers sensibilisés à la biodiversité et à l’économie d’eau recourent au paillage et fuient les insecticides. Les Turcs ne connaissent pas le paillage et pratiquent le bâchage. La convivialité du lieu et la production priment sur l’écologie et le décor. Les jardins masqués par leurs hautes cultures peuvent aussi générer un peu de suspicion, face aux carrés qui offrent aux regards une ornementation travaillée. La densité des jardins et le regroupement de
personnes aux mêmes origines avec les mêmes habitudes rendent les échanges et la compréhension des pratiques plus difficiles. L’absence de contact peut aussi générer de l’incompréhension. Ainsi, ceux qui recherchent la quiétude en solitaire ne comprennent pas toujours les rassemblements familiaux. L’utilisation de l’eau peut aussi constituer une source de tension. Elle peut être importante dans les serres et diffère selon la perpétuation des pratiques de chacun.
Partager… sans uniformiser Cet été, les restrictions préfectorales ont amené les bénévoles du bureau de certains secteurs à couper l’eau en semaine. Les horaires d’accès aux robinets ont été affichés en français et en turc. Une plaquette a aussi été adressée à tous les jardiniers pour promouvoir la pratique du paillage, qui permet de conserver l’humidité. Sous forme de bande dessinée, elle est accessible quelle que soit la langue. Favoriser la culture potagère constitue un objectif des jardins familiaux. Leur rôle est aussi de développer les liens, pour que l’espace de cohabitation devienne lieu de sociabilité. Chaque année, une fête des jardins est organisée. Un moment convivial où les échanges restent pourtant limités. « Il y a quatre ans par exemple, on faisait nos galettes saucisses, raconte Gérard Travert. Et les Turcs étaient 50 m plus loin. Nous on était là, et eux ils étaient là-bas… C’était caricatural. Heureusement il y a une jardinière qui a pris l’initiative d’aller parler avec eux, et de les inviter à prendre le dessert. Ce groupe de Turcs a réagi en envoyant les enfants avec des desserts. Ce n’est pas allé plus loin que ça. C’est couillon. » Pour aller plus loin, justement, les membres du bureau souhaitent développer des animations, partager des savoir-faire de pratiques jardinières, s’affranchir des haies pour ouvrir les jardins… Autant de pistes énoncées pour transformer cette espace en lieu de sociabilité privilégié, comme le résume Gérard Travert : « L’idée serait de faire un espace à palabre, un préau, qui abrite de la pluie, avec une table, juste pour venir parler, manger, boire un coup… Faut que ça se mette en place ça ! »
Les jardins familiaux de la Prévalaye reflètent la vie d’une micro-société.
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force de tourner sur les mains, sa peau a formé de la corne. A force de tourner sur la tête, son cou et ses épaules se sont endurcis. Aujourd’hui, François Bazenet porte le breakdance sur lui. Physiquement et mentalement. Il a fait sienne la devise de la culture hip-hop : « Peace, unity, love and having fun. » Dans sa vie de tous les jours comme dans ses spectacles, le Rennais de 29 ans prône la paix et le vivre ensemble. Loin, très loin, de ce qu’il imaginait devenir. Longtemps, François Bazenet a voulu s’engager dans l’armée. Il rêvait de devenir officier de renseignement militaire, de fournir des informations de première importance, d’être un infiltré en zone ennemie. Pour y arriver, après une licence en biologie, il a achevé ses études par une année de formation à l’école militaire de SaintCyr-Coëtquidan. Sa carrière militaire lui tendait les bras mais à l’heure de s’engager définitivement, le lieutenant a sauté le pas et choisi de vivre du breakdance. Rien ne prédisposait pourtant ce passionné de football à danser. Ce n’est que tardivement qu’il découvre le hip-hop. La révélation lui vient à 18 ans en visionnant un film sur le breakdance. Le jeune homme, qui vit encore chez ses parents à Bédée, décide de prendre des cours. Puis, rapidement, il en donne. Il s’entraîne sans relâche. « 35 heures
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François Bazenet
Lieutenant du breakdance Le breakdancer et chorégraphe François Bazenet sera en résidence à la salle Guy-Ropartz de Rennes en octobre pour créer son deuxième spectacle : Pangée. L’occasion de découvrir les coulisses du show de cet ancien Saint-Cyrien.
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CLAIRE STAES claire.staes@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
Pour enrichir sa danse, François Bazenet a pris des cours de hip-hop, de capoeira et de danse classique.
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FRANÇOIS BAZENET
semaine » auxquelles s’ajoutent les cours qu’il donne. A la force des bras, des poignets et des abdos, il se hisse à un niveau international. Dans la région rennaise, le petit show qu’il a monté avec quelques copains s’arrache.
JE VEUX MONTRER QU’IL Y A TOUJOURS UN CHOIX POSSIBLE POUR ÉVOLUER
François Bazenet s’entraîne au premier étage du bâtiment Erève à l’université Rennes 2.
Espagne, Suisse, Allemagne Encouragé par le succès, en 2015, François Bazenet crée sa compagnie de danse : Primitif. Il chorégraphie son premier spectacle : Jungle trip. Une réflexion sur l’évolution de l’homme. De nouveau, le succès est au rendez-vous. Son spectacle se joue partout en France. Et de plus en plus souvent en Europe. Cet été, sa troupe a été ovationnée au prestigieux Southbank centre à Londres. L’an prochain, elle dansera en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Mais dès octobre, le chorégraphe et sa troupe entreront en résidence à la salle Guy-Ropartz à Rennes. Du 9 au 22, ils commenceront à répéter leur nouveau spectacle : Pangée. Une référence au continent unique qui a donné naissance aux continents actuels. « Ce spectacle offre une double lecture. Une, immédiate pour les enfants, et une autre, destinée aux adultes. Pangée est une réflexion sur les choix qui s’offrent à l’homme. Parfois, il subit la vie et ses cassures. Parfois, il choisit. Je veux montrer qu’il y a toujours un choix possible pour évoluer. » Des paroles qui font écho à son parcours personnel. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, entre l’armée et le hip-hop, il y a un lien. Celui du dépassement de soi, de l’acharnement. Quand vous courez sous la pluie des heures avec un lourd paquetage sur le dos, c’est comme quand vous répétez une nouvelle figure. Il faut de l’acharnement. » L’autre facette du hip-hop qui plaît au Rennais, c’est l’ouverture sur le monde. « Depuis des années, l’université de Rennes 2 tolère que nous répétions dans ses locaux. Ici, à l’étage de l’Erève, tout le monde se mélange, danse ensemble. Il y a des Brésiliens, des Américains, des Asiatiques, des Africains. Le hip-hop est international et en constante évolution. Sur Internet, tous les jours, des gens du monde entier postent des vidéos avec des nouvelles figures. Il y a des trucs qu’on n’imaginait pas possibles, il y a quelques années. C’est une culture vivante. » Jungle trip, le premier spectacle de François Bazenet, a été dansé une centaine de fois en France.
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Marie Pierre Weinhold / D.R.
Mon Rennes Culture & découverte
En octobre...
DU MERCREDI 4 AU SAMEDI 14 OCTOBRE FESTIVAL LE GRAND SOUFFLET
DU LUNDI 9 OCTOBRE AU 6 MERCREDI DECEMBRE
EXPOSITION DIALOGUE
La Morlaisienne Marie-Pierre Weinhold, disciple du maître sculpteur portugais Martins Correia, présente ses « Divas de bronze ». Leurs formes épurées font écho aux gouaches de Nicolas Silberg. Cet autodidacte, ancien comédien, présente ses toiles dans le même espace de la galerie Pictura. Cesson-Sévigné. Renseignements : http://tinyurl.com/yd7oa7jv
DU MERCREDI 18 AU DIMANCHE 22 OCTOBRE
Le festival roi de l’accordéon prend pour sa 22e édition une esthétique rétro sur le thème du « Bal du monde ». La guinguette, qu’on croyait enterrée, revient dans l’air du temps. L’occasion d’accueillir Pasha Disco Club, Roger Raspail et le baluche de Barbatruc. Et quel meilleur instrument que le piano à bretelles pour faire grincer le parquet de danse ? Rennes. Renseignements sur http://tinyurl.com/pgv4apr
CINEMA COURT MÉTRANGE
Des rats géants vont bientôt prendre le contrôle du monde pour faire de nous leurs cobayes impuissants. Profitez de vos derniers jours en tant qu’espèce dominante pour aller au festival du court métrage insolite et fantastique, ses films drôles ou dérangeants (parfois les deux), le tout couronné par une remise de prix. La thématique de cette année : « Etre ou ne pas être... artificiel. » Rennes. Renseignements sur http://tinyurl.com/ ybe5o7uk
SAMEDI 28 OCTOBRE MUSIQUE C’EST SONORE ICI ! Les Ateliers du vent proposent des écoutes et performances sonores pour toute la famille. Fictions, « paysages sonores », documentaires… Mais aussi des impros et autres « bidouilles acousmatiques » avec un DJ set en fin de soirée. Un espace spécialement conçu accueillera les plus jeunes avec de belles histoires… à écouter, évidemment. Rennes. Renseignements : http://tinyurl.com/y85zgov9
MARDI 10 OCTOBRE CONFÉRENCE RENNES ET LES AMERIQUES
Marie Pierre Weinhold / D.R.
Edmond Hervé, ancien maire de Rennes, apporte son vécu le temps d’une conférence : « Quels liens existe-il entre Rennes et les Amériques ? » Il évoquera le rôle de l’Institut franco-américain et le jumelage entre Rennes et Rochester, mais aussi les liens entre la capitale bretonne et le Canada, le Brésil, le Chili, le Venezuela... Rennes. Renseignements : http://tinyurl.com/y95rqjwp
DU MARDI 10 AU DIMANCHE 15 OCTOBRE FESTIVAL MAINTENANT Quand les arts rencontrent l’innovation électronique, ça donne Maintenant. Expositions et installations surprenantes vont côtoyer l’innovation musicale. L’Orchestre symphonique de Bretagne présentera notamment un programme autour des œuvres des grands compositeurs minimalistes américains. Et toujours le brunch électro, qui accueillera Les Gordon et Sidney & Eszaid. Rennes. Renseignements : http://tinyurl.com/yc8em4ul
DU VENDREDI 27 AU DIMANCHE 29 OCTOBRE BD QUAI DES BULLES Cette édition du festival de BD de Saint-Malo est marquée par le décès, en août dernier, de Michel Plessix. L’illustrateur et scénariste malouin était notamment connu pour l’univers champêtre qu’il avait construit autour du classique Le Vent dans les saules. Quai des Bulles a bouleversé sa programmation pour lui rendre hommage avec une expo rétrospective. Saint-Malo. Renseignements sur http://tinyurl.com/yagth5jf
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AGM Factory
C’était une des seules entreprises de post-production hors de la capitale. AGM Factory a annoncé en août sa cessation d’activité à Rennes. L’aventure se poursuivra dans ses nouveaux locaux, à Paris. La déception est palpable chez les doubleurs bretons et les studios rennais, comme Vivement Lundi, brutalement privés d’un partenaire capital. Le directeur Yann Legay regrette de son côté l’absence de dispositif de soutien direct pour la post-production locale. « Depuis deux ans, on observe une recentralisation importante des productions parisiennes avec des budgets et des temps de travail diminués. Ça devenait compliqué d’être bien positionné. Et à Rennes, difficile d’embaucher des techniciens formés pour la fiction. » AGM a notamment travaillé sur La grande aventure de Maya l’Abeille ou encore La Science des Soucis. J.J.
Un disque signé Korbell et Darcel
Quand deux grands noms de la musique en Bretagne se rencontrent, forcément, ça présage une bonne galette. Frank Darcel (Marquis de Sade, Octobre, Republik), et Nolwenn Korbell, actrice et rockeuse bretonnante, mettent la dernière patte à un album prévu pour février 2018. Parmi les autres grands noms qui émargent la jaquette, on compte Xavier « Textino » Géronimi à la guitare, ou encore Cédrick Alexandre à la basse. L’ensemble devrait se colorer d’un style pop-folk. Les chansons seront en breton, en anglais et en français. Les deux artistes, connus pour avoir soutenu ou milité au Parti Breton, partagent un même engagement politique fort en faveur de la Bretagne. Frank Darcel, producteur, a écrit et composé une
grande partie des titres. Il n’en est pas à sa première collaboration avec Nolwenn Korbell, qu’il considère comme « une des plus belles voix hexagonales ». Celle-ci s’est déjà essayée à un duo avec Republik, en 2016, qui devrait être intégré au disque. Ce n’est pas la première fois que Nolwenn Korbell travaille avec des grands noms bretons. On l’a vue mêler sa voix à celle de Gilles Servat lors de la Saint-Patrick 2005 à Bercy. Ou à la guitare de Soïg Sibéril, avec qui elle a signé l’album Red en 2007. Si Frank Darcel et Marquis de Sade font partie de l’ADN de « Rennes la rockeuse », Nolwenn Korbell n’est pas en reste. Celle-ci a fait ses études dans la capitale bretonne, a fréquenté le Conservatoire d’art dramatique et présenté des émissions en breton sur France 3. Récipiendaire de l’ordre de l’Hermine en 2016, elle vient de terminer une tournée de théâtre sur L’Opéra de quat’sous, de Kurt Weill et Bertolt Brecht. En attendant la sortie de l’album, dont le nom n’est pas fixé, un single devrait sortir d’ici à la fin de l’année. Julien Joly
ARM COURONNE LE DERNIER EMPEREUR
Le rappeur rennais ARM (ex-Psykick Lyrikah) sort son album solo Dernier empereur le 13 octobre, en CD, vinyle et numérique. Le visuel, très sobre, est signé Keflione. Le style envolé se démarque de la production hexagonale, tout au long de dix pistes de nappes de synthé mêlées de boucles de piano et d’une guitare saturée. Enfant de Saint-Malo, l’artiste a débarqué dans l’univers
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du rap tricolore il y a quinze ans. Sa carrière a démarré aux Trans musicales en 2002. Technicien, discret, ARM -qui avoue n’écouter que peu de rap français- est reconnu comme un perfectionniste des paroles et du son. Il sera en concert à Paris le 29 novembre, au 104. www.facebook.com/armpageofficielle
LLS
Rap
Pop
AGM Factory / Marina Chelin
Culture
HORS PARIS, POINT DE SALUT ?
Gigsta
« Je suis obsédée par le lien entre les mots et la techno »
Gigsta tient à ce que son visage ne soit pas médiatisé.
LLS
AGM Factory / Marina Chelin
Animatrice de Fictions sur Cashmere Radio et rédactrice chez Tracks, DJ Gigsta est aussi doctorante en littérature comparée. Elle défend une approche éthique de la techno. Le Mensuel : Qu’avez-vous ressenti pendant votre tout premier set ? GIGSTA : J’avais peur. Je suis timide face à la foule. Un soir, alors que je mixais à l’Antipode, j’ai remarqué des gens qui dansaient les yeux fermés. Ça m’a aidée à me dépasser. La danse est très importante pour moi. Que gardez-vous comme souvenirs de Track/Narre, votre émission sur Canal B ? Ça m’a permis de rencontrer des gens, de commencer à me faire un nom quand j’arrivais à Rennes. Ça me plaisait de raconter des histoires en 90 minutes, de collectionner des disques. Je dépense tout en vinyles. J’en ai 1 000. Je regrette parfois d’avoir laissé Rennes derrière moi. Mais j’ai une émission radio géniale à Berlin, dans un bar clandestin, au milieu des clients. Comment définissez-vous votre style ? Je mixe de tout : disco, house, techno… en fait, je crois que ce que j’aime bien dans les morceaux, ce sont les lignes de basse. J’ai vu un documentaire sur un chef qui a sacrifié sa vie à la recherche du meilleur sushi. Il est perfectionniste, il en rêve la nuit. En le voyant, je me suis rendue compte que la musique me garde en vie mais que je m’impose énormément de sacrifices.
Des artistes que vous appréciez ? Ethiquement, j’aime l’approche du mix du Rennais Philo. Il voyage beaucoup, il fait beaucoup de soul, de disco, de funk. Il ne fait pas ça pour l’ego. Il s’intéresse à l’origine et à la signification des sons. Il y a aussi Nagababa, très engagé sur la question de la parité. C’est lui qui m’a poussée à mixer devant des gens. Vous préparez une thèse sur l’écriture des musiques électroniques… Je suis obsédée par le lien entre les mots et la techno. Comment décrire ce que nous fait cette musique, ce qui se passe en nous quand on danse ? Mes profs me disaient que la techno n’avait pas créé une littérature comme le rock. J’avais envie de prouver que cette musique avait au contraire suscité énormément d’écrits critiques et de fictions. En Allemagne, à la chute du Mur, la critique s’est axée sur son côté politique et symbolique. En France, il y avait un fort besoin de revendication car c’était une musique minoritaire. Didier Lestrade, de Libération, s’est démarqué. Il citait des détails techniques, comme le nombre de battements à la minute.
Je vais avoir un discours de vieux con, mais Internet a fragilisé l’économie de ces musiques. La critique est de plus en plus rare car il n’y a pas de sous. En parallèle, énormément de marques investissent dans la scène. Certaines se posent comme institutions ou médias. J’ai plein d’amis qui mixent et se disent de gauche tout en trouvant que la Redbull music academy c’est trop cool, sans s’interroger sur ce que ça implique. La question éthique se pose beaucoup moins dans ce milieu que dans d’autres. Vos recherches et votre musique s’influencent-elles ? Je trouve des morceaux, à travers ma recherche, que je mixe en tant que DJ. Et j’ai une vue d’ensemble sur la pratique car j’y réfléchis en tant que chercheuse. Comme beaucoup de choses ont été faites depuis trente ans, ça me permet de sortir des sentiers battus. Julien Joly
https://soundcloud.com/gigstab
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« J’AIME BIEN QUAND LE MÉCHANT GAGNE » Après Les Enfants de Chango, thriller cubain sorti en septembre, Christophe Sémont prépare déjà un nouveau roman. Cet écrivain voyageur, parfaitement documenté, s’impose comme un auteur phare de la région rennaise.
CUBA, SES PLAGES, SES TUEURS Ses romans, c’est un peu l’anticarte postale. Avec Les Enfants de Chango (sorti en septembre chez les Rennais Critic) Christophe Sémont signe un thriller mêlé des croyances cubaines de la santeria. Récits croisés d’un tueur alcoolique et d’une mère qui affrontent une conspiration religieuse. C’est aussi une allégorie de la révolution, ses bienfaits et ses sacrifices. « J’écris uniquement sur des pays où je suis allé, notamment en Amérique latine. C’est à Cuba que j’ai rencontré les gens qui m’ont le plus marqué. J’ai eu la chance de rencontrer des chamans, c’est toujours une expérience troublante… »
D’ABORD UNE NOUVELLE « J’ai écrit le premier jet sous forme de nouvelle, il y a des années. Mon amie était enceinte. J’étais un peu angoissé de ma future rencontre avec ma fille. Cette intrigue, qui parle d’enfants, m’a permis d’exorciser. J’ai aussi été inspiré par des films comme Chromosome 3 de Cronenberg ou Kill list de Wheatley. » La nouvelle est devenue roman et s’est enrichie d’un nouveau personnage principal. On sent parfois quelques coupes douloureuses, comme cette trame secondaire autour de l’assassinat de Kennedy finalement réduite à un dialogue explicatif.
PROCHAIN LIVRE AU GUATEMALA Ne vous attachez jamais aux héros de Christophe Sémont. « J’aime bien quand le méchant gagne, ou plutôt, je n’aime pas les happy end. C’est une noirceur que j’assume. » Son prochain roman se déroulera au Guatémala. « Il fera le lien entre le passé, avec la guerre civile, et le présent, les gangs de jeunes tatoués hyper-violents qui mettent le pays à feu et à sang. »
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Né en 1973 en Auvergne, Christophe Sémont a parcouru le monde sac au dos. Il habite aujourd’hui à Thorigné-Fouillard et travaille dans une agence de marketing agricole. Son dernier coup de cœur ciné ? Que Dios Nos Perdone, polar espagnol. « La noirceur, l’épaisseur des personnages… J’ai compris pourquoi j’écrivais du polar en le voyant, et pourquoi je continuerai à en écrire. »
LLS / Claps / Estelle Chaigne
« J’écris quand je rentre du boulot et que les enfants sont couchés. A 21h , il faut parfois se mettre un coup de pied au derrière, mais je peux tenir jusqu’à minuit. Si je n’ai pas écrit depuis une semaine, c’est comme la course, il faut 20 minutes de mise en jambe compliquée. Pour la documentation, Internet aide beaucoup. Je replonge aussi dans mes guides de voyage pour retrouver les rues ou les bars où il m’est arrivé telle ou telle anecdote. Et resituer au plus juste l’ambiance du pays. »
LLS.
ECRIVAIN DE NUIT
C’est qui ?
Culture
Christophe Sémont
Reconversion
A Rennes, d’anciens hangars et bâtiments industriels ont été repensés sauce culture. Reconvertir les vestiges industriels est dans l’air du temps, avec plus ou moins de succès.
LES ATELIERS DU VENT Depuis 2006, le collectif les Ateliers du vent propose un lieu d’expérimentations artistiques dans l’ancienne usine à moutarde Amora. Entièrement rénové, le bâtiment insolite et immense abrite des expositions ainsi qu’une cantine-bistrot. En septembre, le lieu a accueilli une exposition en hommage au groupe Marquis de Sade. 24 plasticiens ont illustré des titres de cette formation mythique. L’adresse : 59 rue Alexandre-Duval
LLS / Claps / Estelle Chaigne
LLS.
L’ELABORATOIRE L’Elaboratoire, alias « l’Elabo », a fêté ses vingt ans au printemps dernier. Le collectif est réparti sur deux sites au milieu d’une friche artistique de la plaine de Baud-Chardonnet. Robots et monstres de récup’ veillent sur 2 000 m² d’ateliers, de musique, théâtre et salles de danse. Pour combien de temps ? La requalification du quartier avançant, les relations se tendent entre les artistes et l’équipe municipale. L’adresse : 17 bis avenue Chardonnet
Culture
LES ARTS DE LA FRICHE ANCIENNE BRASSERIE KRONENBOURG Fermée en 2003, l’ancienne brasserie de Saint-Hélier, en activité de 1873 à 2003, a rouvert ses portes en juin 2017 pour accueillir le concert de Timsters, pour la 14e édition du festival Transat en ville. Son avenir en tant que lieu culturel est toutefois incertain, tant les rumeurs et les projets avortés se succèdent autour de sa mythique salle d’embouteillage. L’adresse : 138 rue Saint-Hélier
LES ANCIENNES CARTOUCHERIES Les habitants du quartier de La Courrouze se sont mobilisés pour réhabiliter les anciennes cartoucheries. Les alvéoles et murs en pierre ont abrité une fabrique de munition durant la Seconde Guerre mondiale. Le site, longtemps fermé au public, a accueilli le Made festival, événement techno rennais, en mai 2017. L’aménagement des alvéoles se poursuit à la rentrée avec la décision d’y aménager une salle de 80 m², des bureaux et un bar-cuisine. L’adresse : 19 rue de la Guibourgère
LE LOCAL DU CLAPS Quatre associations musicales rennaises (Legal Promotion, Dancehall attitude, Burning dancefloor et BOUT’40) se sont réunies autour d’un projet : le local du Claps, un « nouveau lieu associatif, pluriculturel et solidaire ». Le local, qui se veut « modulable », devrait ouvrir début 2018 et pallier le manque de salles dans la capitale bretonne. L’adresse : 3 Rue du Hoguet Octobre 2017 / N°95 Le Mensuel
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Film & serie : en quête de surprises
Sur l’étagère de...
Game of thrones, Walking dead, « forcément », Aymeric les suit. Mais le trentenaire rennais se réclame davantage de séries plus originales, comme Le P’tit Quinquin (diffusée sur Arte) ou Fargo (sur Netflix). Cette dernière fait « preuve d’une intensité qui m’a ben plu ». Question films, il préfère citer ses dernières claques plutôt que ses œuvres cultes. Parmi les derniers métrages qui l’ont marqué, on trouve Visit (M. Night Shyamalan) ou Bella e perduta, un film italien surréaliste de 2015 (Pietro Marcello). « Une histoire de voyage avec Arlequin et un buffle. »
Aymeric Lesné
« STREET FIGHTER III RESTE MON JEU CLÉ » Touche-à-tout, le cofondateur du festival Stunfest ne se cantonne pas au jeu vidéo. La trentaine bien tassée, Aymeric Lesné butine aussi bien du côté de la musique que de la BD et du ciné. Deux mots d’ordre : la surprise et la curiosité.
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Musique : Chapelier fou en mode Fisher-Price
Pour parler vinyle, ce collectionneur de curiosités ne lésine pas. Il sort de sa collection une platine d’enfance Fisher-Price -introuvable aujourd’hui- pour y passer Delta, de Chapelier fou. Un artiste qu’Aymeric a découvert à l’Antipode. « Je n’écoute pas ce qui passe sur les grandes ondes FM, comme je n’aime pas non plus me passer et me repasser les sempiternelles mêmes voix. »
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DONOVAN POTIN donovan.potin@lemensuel.com LIONEL LE SAUX
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Radio : Fip mon amour
Grand auditeur de Fip, Aymeric consomme pas mal de radio, soit en diffusion numérique, soit via son petit poste qui trône habituellement dans la cuisine. La plupart du temps pour des émissions culturelles, quelquefois pour les bulletins d’information. « L’info sur Fip me va très bien. Cinq minutes par ci, cinq minutes par là. » Pour s’informer, Aymeric « picore » également dans la presse. Articles en ligne ou sur papier. « Ici un petit bout du Monde, là autre chose... »
Jeu vidéo : un « segaïste » pur jus
« Street fighter III reste mon jeu clé. » Ça tombe bien, Aymeric a chez lui la version borne d’arcade de cet opus signé toujours par Capcom. « J’ai commencé à y jouer quand je suis venu étudier à Rennes. » Depuis, deux nouveaux épisodes du célèbre jeu de baston sont sortis. « Mais j’éprouve moins de plaisir à jouer avec. » Outre Street fighter, Aymeric apprécie surtout les jeux vidéo indépendants. Exemple avec Witness (PS4). Un jeu à la première personne qui notamment « nous questionne sur notre place de joueur ». Plus jeune, le cofondateur du Stunfest était un « segaïste » pur jus. Ses consoles préférées : la Saturn et la Dreamcast. 4
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C’est qui ? Aymeric Lesné est né à SaintBrieuc en 1982. Après un bac L décroché au Lycée Renan, il décolle pour Rennes, direction les Beaux-arts de 2000 à 2005. Il découvre alors les plaisirs techniques d’un The King of figthers 2000 et commence à se réunir avec d’autres joueurs férus de la console Neo Geo. Ensemble, ils organisent de petits tournois dans la Maison de quartier La Touche. L’événement se répète l’année suivante, puis l’année suivante... avant de devenir le Stunfest en 2005. Après avoir été notamment facteur, Aymeric se dédie complètement à sa passion du jeu vidéo en 2011. Cofondateur du Stunfest, il en devient salarié en 2014, après avoir été un temps président de l’association organisatrice 3 Hits combo. Entre temps, le Briochin a décroché un diplôme en science de l’éducation (sa thèse : « Usage appliqué des nouvelles technologies en éducation »). Aujourd’hui, Aymeric Lesné prépare le retour du Stunfest en 2018 ainsi qu’un autre projet : l’ouverture d’un lieu totalement dédié à la culture vidéoludique à Rennes. « Ce serait quelque chose d’assez unique en France. »
Livres & bd : de Gaston Lagaffe aux essais de philo
« Je suis un butineur. Je touche à tout », explique Aymeric alors qu’il présente une pile de livres et de BD. « Il y a des choses que je commence avant de m’arrêter pour y revenir plus tard. » On y trouve pêle-mêle un album de Gaston Lagaffe, le roman 4 graphique Pacifique de Trystam & Baudy, à côté d’ouvrages plus sérieux comme l’essai Philosophie et jeu vidéo (Mathieu Triclot).
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Une histoire
Basilique Saint-Sauveur
PERFIDE ALBION
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a basilique Saint-Sauveur, située à l’angle de la rue de Clisson, est le théâtre de plusieurs miracles. En 1720, la présence d’une statue de la Vierge aurait permis au quartier des Lices d’être épargné par le grand incendie. Un tableau votif commémore « l’événement ». Plus loin, un étrange vitrail rappelle une autre intercession de la Vierge, durant la guerre de Cent Ans. Au XIVe siècle, les successeurs du duc Jean III de Bretagne se disputent l’héritage sur fond de conflit franco-anglais. En 1357, les Anglais assiègent Rennes. Les habitants retranchés redoutent une invasion par voie souterraine. Ils ont bien raison. Pour s’emparer de la ville par surprise, l’ennemi creuse un tunnel qui aboutit au puits de l’église Saint-Sauveur, alors voisine des remparts. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Dans le clocher de Saint-Sauveur, les cloches se mettent à sonner toutes seules. Les Rennais, paniqués, se précipite dans l’église. Alors, sur l’autel de la Vierge, les cierges se mettent à briller spontanément. Levant les
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yeux, les habitants s’aperçoivent que la statue de sainte Marie étend son bras pour désigner un endroit précis de l’édifice. Là où comptent sortir les Anglais. Le capitaine de Rennes, le chevalier Bertrand de Saint-Pern, saisit tout de suite la gravité de la situation. Il ordonne qu’on creuse une contre-mine pour détruire celle des assaillants. Echec des Anglais. En remerciement, un cierge est mis à brûler nuit et jour. Il n’existe pas vraiment de source contemporaine de ce miracle, officiellement reconnu en 1634. Le puits est supprimé en 1720. Par la suite, le récit de l’invasion anglaise passe peu à peu à la légende. Paul Banéat, historien rennais (1856-1942), relate dans son Vieux Rennes une explication à l’histoire. La découverte de la mine anglaise aurait été due au tressautement de billes métalliques, placées dans des chaudrons par le décidément très ingénieux Saint-Pern. En 1902, des ouvriers qui creusent les fondations du 18 rue Rallier-du-Baty ont la surprise de tomber sur un étrange
souterrain. Celui-ci court à 8 m de profondeur. Ses parois sont creusées sommairement, à coups de pic, sans maçonnerie, à même le schiste qui compose le sol. D’après les sources de l’époque, le tunnel fait 2 m de hauteur et 1,5 de large. Il dispose d’une voûte cintrée et d’un petit caniveau d’écoulement. Malheureusement, un effondrement au bout de 10 m en interdit l’exploration. Mais en imaginant que ce souterrain se prolonge en ligne droite vers le sud-ouest et dévie légèrement, il passe bel et bien au niveau de Saint-Sauveur. Il pourrait donc s’agir d’un vestige de l’incursion ennemie. Au fait, qu’est devenue la statue miraculeuse ? D’après Paul Banéat, celle-ci a été détruite pendant la Révolution. Laissant Rennes désemparée en cas de future invasion anglaise. Julien Joly
L.L.S.
Trésor de l’église Saint-Sauveur, une mystérieuse statue de la Vierge aurait protégé le quartier des Lices pendant des siècles.
L.L.S.