BLUE LINE JUIN 2020
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SOMMAIR
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JUIN 2020
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N°04
34 BELGIQUE CONFINEMENT
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CARTE BLANCHE
DOSSIER
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SOCIÉTÉ DIVERSITÉ
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/ CARICATURE /
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ASBL FEL
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RÉSEAUX SOCIAUX
Chroniques de confinement
SCANDALES EN POLITIQUE
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Existe-t-il une limite à l’expression des élus ?
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Politique et finance : Outils d’une corruption
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Les conséquences sur le pouvoir présidentiel
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Quelles informations doit-on attendre d’un débat politique ?
La vie privée en politique : la morale comme dernier rempart ?
D’autres fenêtres...
Erdogan le retour de l’Empire ottoman ? Diversité en Belgique : de l’immigration à l’intégration jusqu’à la citoyenneté
Info Minute Soupe La FEL en pratique
ÉDITO Chères lectrices, chers lecteurs, J’espère que vous allez toutes et tous bien en ces temps troublés. Le confinement aura changé notre mode de vie mais aussi notre vision de la vie en générale. Cette période a été difficile pour beaucoup d’entre nous et le sera sans doute encore pendant quelques mois. C’est pour cette raison que nous avons choisi de commencer ce numéro par une chronique sur le confinement. Celle-ci se divise en trois articles abordant l’histoire du Covid-19, la gestion sanitaire de la crise et quelques idées pour transformer notre économie au lendemain de cette épreuve. Les pages de notre « Blue Line » renferment par ailleurs une caricature dénonçant la surabondance d’informations instantanées et collectives, notamment en ce qui concerne le Coronavirus. Pour terminer l’année académique en beauté, nous avons décidé de consacrer notre dossier central aux scandales en politique. Afin de satisfaire votre curiosité, nos rédacteurs sont revenus sur certaines des affaires les plus révoltantes. Ils analysent, pour vous, une des bévues de Le Pen, le dossier Publifin, le scandale du Watergate, les dessous du Rubygate et les révélations sur Griveaux. Comme à l’accoutumée, pour clore ce dossier central, vous pourrez lire notre rubrique « D’autres fenêtres » réalisée par notre cher président. Hors dossier, vous pourrez également trouver une carte blanche sur Erdogan et une interview de Madame la députée MR Latifa Aït-Baala sur la diversité en Belgique. Enfin, pour ce dernier numéro de l’année académique, il était opportun de revenir sur la FEL, son fonctionnement et ce qu’elle apporte. Ainsi, vous pourrez approfondir vos connaissances sur notre organisation en découvrant l’ultime article de notre magazine. Belle lecture,
Adeline
{ BELGIQUE CONFINEMENT }
CHRONIQUES DE CONFINEMENT PAR CONSTANTIN DECHAMPS
Il était une fois un virus, au départ comparé à une « grosse grippe », qui finit par mettre la quasi-totalité des citoyens européens, et une bonne partie de l’humanité, en confinement. Une mesure qui en plus de menacer certains droits et libertés à travers l’Europe, risque de nous plonger dans une crise économique comparable à la Grande Dépression des années 30. Pourtant une telle situation aurait pu être évitée si les bonnes décisions avaient été prises au bon moment. Pour autant, une crise est un de ces moments uniques où toutes les cartes sont rabattues et où toutes les solutions et futurs possibles peuvent être envisageables. En chinois mandarin, le mot « crise » se compose de deux caractères « 危 » et « 机 », le premier signifie danger et le second, opportunité. Une crise est donc un excellent moment pour se remettre en question afin de ne plus répéter les erreurs du passé.
COVID-19, L’HISTOIRE D’UN VIRUS Il y a plusieurs milliers d’années, les virus de la famille coronaviridae ont commencé à infecter certaines espèces animales, dont les chauves-souris. Ces parasites et leurs hôtes ont co-évolué pendant tout ce temps, les chauvessouris devenant ainsi ce que l’on appelle un « réservoir » pour ces virus et notamment le Coronavirus actuel. À travers différents contacts entre les chauves-souris et d’autres mammifères, ce virus a pu infecter d’autres organismes, et ceux-ci étant en contact avec notre espèce, il a découvert l’hospitalité de l’espèce humaine. Il y a sept souches de Coronavirus différentes chez l’Humain, et celle dont je vous parle est le Coronavirus du « syndrome respiratoire aigu sévère 2 » ou, plus pudiquement, « SARSCoV-2 » qui cause l’infection « COVID-19 ». Dans ses cousins, nous avons également le « SARS-CoV-1 » ou « SRAS » et le « MERS-CoV » ou « MERS » que nous avons respectivement connus en 2003 et 2012. En fait, nous subissons les Coronavirus depuis plusieurs années, même si leurs dégâts étaient jusqu’alors limités à l’Asie et au Moyen-Orient. Ce qui explique sans doute en partie, mais n’excuse pas, l’impréparation de l’Europe et
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la « naïveté sanitaire » dont nous avons fait preuve. Tous ces organismes ont transité de leurs hôtes-réservoirs vers l’être humain via un autre mammifère. Pour le SRAS de 2003, il s’agissait d’une civette ; pour le MERS de 2012, c’était le dromadaire ; et pour le Coronavirus actuel, au moment où j’écris cet article, les soupçons se portent principalement sur le pangolin, bien que d’autres supposent également qu’il est passé directement de la chauve-souris à l’Homme… Mais là n’est pas le propos de mon article. Le Coronavirus, au même titre que l’Ebola, le Zika ou le Sida, est une maladie virale. Ces virus prospèrent chez les animaux avant d’infecter l’Homme, les scientifiques les appellent des « zoonoses » (maladies d’origine animale). Ces dernières émergent depuis des « hub » de biodiversité. Il y a encore une dizaine d’années, on pensait que les forêts tropicales vierges et intactes constituaient une menace pour la santé humaine à cause de toutes les espèces exotiques qui y vivaient et donc des maladies et infections inconnues qu’elles pouvaient porter. Mais des recherches récentes prouvent exactement le contraire. C’est l’altération des écosystèmes par l’activité humaine
{ BELGIQUE CONFINEMENT }
qui rend les « hub » de biodiversité dangereux, et non leur simple présence. L’extension non maitrisée de l’habitat humain, la déforestation et l’artificialisation des sols au profit de l’agriculture intensive provoquent de plus en plus d’interactions entre l’espèce humaine et le monde sauvage instaurant ainsi les conditions idéales pour l’émergence de nouvelles maladies et infections. Ainsi, ceux qui nous disent que l’épidémie de covid-19 était une fatalité et non pas la conséquence de certaines dérives d’un système économique ont tort.
GESTION SANITAIRE DE LA CRISE Fin décembre, plusieurs cas de pneumonies étranges, qui ont été déclarés dans la province du Hubei, commencent à inquiéter les autorités chinoises. Le premier décès est rapporté la première semaine de janvier. La troisième semaine de ce même mois, des cas sont déclarés en Corée du Sud et en Thaïlande. La dernière semaine de janvier le Coronavirus est officiellement entré en Europe et en Amérique du Nord. Et, à mon avis, il n’est pas exagéré de dire que nos autorités regardaient alors ce virus avec un certain dédain. Au même moment, le nombre de cas déclarés en Chine approche du millier et la ville de Wuhan est placée en quarantaine complète. Nous sommes maintenant début mars, tandis que la Chine réussit à maitriser la flambée du nombre de ses cas, l’Italie et l’Iran découvrent avec effroi des foyers d’épidémie sur leurs territoires. Cette rapide propagation du Coronavirus à travers la planète s’explique entre autres par le fait que la période d’incubation avant l’apparition des symptômes dure entre 1 et 14 jours (selon l’OMS). Dans la majorité des cas, les premiers signes de la maladie se dévoilent au bout de 5 jours, mais les personnes préalablement contaminées étaient déjà contagieuses. Ainsi, entre le moment où un individu est infecté et le moment où la maladie se révèle, il peut s’écouler plusieurs jours durant lesquels celuici continue de voyager avec le Coronavirus « dans ses bagages ». Et cela sans compter les porteurs sains, qui sont des personnes qui ont développé la maladie mais n’en présentent aucun symptôme, pour autant, elles n’en sont pas moins contagieuses. La suite, nous ne la connaissons que trop bien avec notamment des premières mesures de confinement décrétées en Belgique le 18 mars. Dans le cadre de cet article, il est alors intéressant de comparer la gestion
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sanitaire de cette crise, en Europe et en Asie. Nous le verrons, le dédain affiché aux prémices de cette crise ne sera pas innocent dans la manière dont nous l’avons gérée…
En Europe…
Le fait que l’Europe et la Belgique n’aient pas connu de situation sanitaire aussi dramatique depuis des décennies explique sans doute, en partie, l’impréparation d’une grande partie des gouvernements européens à faire face de manière efficace et coordonnée à la crise du Coronavirus. À titre exemplatif, alors que la ville de Wuhan était mise en quarantaine, aucune mesure de précaution n’était prise à l’échelon national ou européen vis-à-vis des voyageurs venant de cette région. Le port systématique de masques de protection n’était pas recommandé au public faute de stock suffisant (par souci d’économie) et des tests de dépistage massifs n’ont pas eu lieu. Enfin, soyons réalistes, l’Allemagne, en mettant en place une stratégie massive de dépistage, est sans doute l’une des exceptions européennes qui confirme la règle. Bref, nous ne pouvions ainsi que nous attendre à une flambée du nombre de cas avec pour seule mesure utile un confinement généralisé à toute la population afin de ne pas engorger les hôpitaux trop rapidement. Malheureusement, l’impréparation mène à des dérives. En effet, les mesures de confinement peuvent être sujettes à de dangereuses dérives concernant le respect de la vie privée, je pense notamment à la collecte des données de géolocalisation (des téléphones) des citoyens afin de voir si ces derniers respectent les mesures de distanciation sociale ou afin de vérifier s’ils ont été en contact avec l’une ou l’autre personne infectée. Certes, pour le moment en Belgique (et en Europe), cette récolte des données se fait de manière anonymisée… Mais entre une récolte anonymisée et une récolte nominative des données, il n’y a qu’un pas et cela crée, de fait, un dangereux précédent pour l’état de droit. Il ne s’agit pas de choisir entre santé et vie privée, car comme Benjamin Franklin le disait : « Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté ni la sécurité ». Il nous faut avoir les deux et compter sur le civisme des citoyens1. De plus, du fait de l’impréparation des États européens, des pouvoirs spéciaux et/ou des états d’urgence ont été décrétés vaille que vaille par plusieurs gouvernements. Ainsi, pendant que certains en profitent pour s’arroger les pleins pouvoirs pour une durée indéterminée – je pense à Mr. Orban, Premier ministre de Hongrie –, d’autres gouvernements – à l’instar de celui de Pologne –, profitent de l’interdiction des rassemblements (et donc de manifester) pour supprimer certains des droits des femmes notamment en tentant de faire passer une loi durcissant les conditions d’accès à IVG.
…et en Asie
Pendant que l’Europe redécouvre la peur des maladies au point de menacer à court et à long terme l’existence de certains droits, d’autres pays, sur le pied de guerre,
ont réussi à maitriser rapidement l’évolution de l’épidémie sur leurs territoires et n’ont pas dû infliger des mesures drastiques de restriction des libertés, par le biais d’un confinement, à l’ensemble de leurs populations. Bien sûr, mon but n’est pas ici d’encenser ces mesures de lutte contre le Coronavirus, qui ont également leurs failles — il faudra également voir de quelles manières elles « résisteront » à une éventuelle seconde vague d’infection – mais je pense néanmoins qu’il serait de bon ton de s’en inspirer afin de mieux préparer l’Europe aux futures épidémies.
TAÏWAI : RAPIDITÉ ET ANTICIPATION
Considéré comme le pays ayant le mieux su anticiper l’épidémie, Taïwan a pris très rapidement des mesures d’ampleur. Les citoyens chinois ont été interdits de séjour à partir du 6 février. Depuis le 7 mars, tous les voyageurs européens doivent éviter les lieux publics et porter obligatoirement un masque chirurgical en cas de sortie… D’autant que Taïwan affirme avoir compris que le Coronavirus se transmettait entre humain dès début janvier, alors que le gouvernement chinois ne l’a annoncé que le 20 janvier, tout comme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cette prise de conscience rapide a permis l’accélération de la production de masques, le pays serait capable d’en produire environ 10 millions par jour. Et pour éviter la pénurie, des mesures de régulation ont été prises : interdiction des exportations, réquisition pour le personnel médical ou encore distribution de deux masques par citoyen et par semaine. Résultat, au 20 avril, Taïwan ne compte que 422 cas et 6 décès sur son territoire pour une population totale de 23,5 millions d’habitants. Le pays n’est pas bloqué, il n’y a pas eu de panique, et la vie, bien que plus « lente », suit son cours.
CORÉE DU SUD : DÉPISTAGE ET TRANSPARENCE
Près de 20 000 personnes testées par jour, le système se veut d’une ampleur exceptionnelle. Ces check-up sont menés gratuitement et directement sur des aires routières provisoires. Des alertes sont envoyées par SMS par le gouvernement sud-coréen de façon quotidienne pour informer les citoyens des cas de contamination détectés dans leurs quartiers. Une pratique plutôt bien accueillie par la population, bien que la question de la protection de la vie privée et des données personnelles me pose problème.
HONG KONG : DISTANCIATION SOCIALE ET PORT DU MASQUE Là, un état d’urgence sanitaire a été déclaré rapidement. Les mesures de distanciation sociale ont été accompagnées de mesures strictes de confinement et de quarantaine pour les personnes infectées. De plus, l’exemple hongkongais nous montre que lorsqu’une population adopte le port du masque, la propagation du virus peut être quasiment arrêtée. Notons également que le port de masque généralisé permet d’éviter que les porteurs asymptomatiques transmettent le virus. Au 20 avril, Hong Kong dénombre 1026 cas et 4 décès pour 7 millions d’habitants.
1 https://www.rtbf.be/info/societe/detail_des-donnees-contre-le-corona-votre-telephone-peut-lutter-contre-le-virus?id=10463580
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PENSONS L’APRÈS CORONAVIRUS : TRANSFORMONS NOTRE ÉCONOMIE ! Le 18 mars la Belgique décrète ses premières mesures de confinement, à l’instar d’une grande partie du reste du monde. Tous les grands centres économiques de la planète sont d’une manière ou d’une autre touchés par les mesures visant à lutter contre la propagation du Coronavirus. Les entreprises sont contraintes de réduire, voire d’arrêter, leurs activités. Le chômage économique touche une bonne partie de la population, le spectre de l’augmentation des faillites devient réel. Pas un secteur n’est épargné et le FMI – Fonds Monétaire International – prévoit à ce stade, pour la crise du « Grand Confinement »2 (en référence à la Grande Dépression des années 30), une récession de l’ordre de 3% du PIB mondial (prévision que le FMI a établie à la mi-avril). L’économie est en crise et les gouvernements vont devoir investir. Afin de préserver l’économie, des plans de relance, notamment à l’échelle européenne, sont en train de se dessiner. Et cette relance est une occasion unique à saisir pour « le jour d’après », afin d’opérer et d’accélérer la transition écologique et énergétique dont nous avons besoin si nous voulons lutter efficacement contre le changement climatique et la perte de la biodiversité. Pourtant historiquement, lors d’une crise économique, les émissions de GES – gaz à effet de serre (ex : CO2) – baissent fortement du fait du ralentissement de l’activité économique. Mais cette baisse des émissions est immédiatement suivie d’une hausse rapide et plus forte de ces mêmes émissions de GES lors du plan de relance – le plus proche étant celui arrivant au lendemain de la crise de 2008. Et face au spectre d’une relance « carboné », entre autres promue par les gouvernement tchèque et polonais qui souhaitent « oublier » le Green Deal (honte à eux !), plusieurs solutions existent. Car préserver l’économie ne veut pas dire maintenir à tout prix le tissu économique actuel.
1. P RÉVOIR DES
AIDES CONDITIONNÉES
Ainsi, les économistes Ronan Frydman et Edmund Phelps (Prix Nobel d’économie 2006), proposent, que les aides qui seraient versées aux entreprises – et notamment aux compagnies aériennes – soient « conditionnées » avec d’une part des objectifs sociaux mais surtout des objectifs climatiques. Ne serait-il pas en effet schizophrène de voir de l’argent public servir à voler au secours de telles compagnies, sans juste compensation ? À l’image de l’Autriche, qui à la mi-avril, est en train de négocier une aide financière avec sa compagnie aérienne porte-drapeau Austria Airlines, à la condition que cette dernière respecte des objectifs climatiques. Cela peut prendre la forme d’une réduction, voire d’une suppression, des vols court-courriers ou bien le recours accru à du carburant durable d’aviation, selon la ministre autrichienne de l’Environnement Leonore Gewessler. 3 Nous pourrions également réfléchir, selon moi, à relever la fiscalité sur ce qui pollue, au niveau belge et européen, par le biais d’une « taxe carbone ». 2 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/14/coronavirus-le-fmi-predit-une-recession-mondiale-historique-avec-un-recul-de-la-croissance-estime-a-3-en-2020_6036559_3234.html 3 https://www.journal-aviation.com/actualites/44187-l-autriche-veut-conditionner-toute-aide-a-austrian-airlines-a-des-objectifs-environnementaux
© Petr Pohudka/Shutterstock
Prenons pour exemple les compagnies aériennes, ces dernières sont mises à mal par le quasi arrêt du tourisme, en conséquence, elles réclament des aides financières afin de pouvoir survivre à la crise. Le cas de la France est particulièrement significatif de ce qui est train de se passer en Europe (et notamment en Belgique). Les compagnies aériennes françaises demandent de baisser la fiscalité sur les billets d’avion ou bien de réduire les objectifs climatiques (déjà très faibles) imposés aux compagnies aériennes, alors que nous sommes dramatiquement en retard par rapport à nos engagements de l’Accord de Paris sur le climat.
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2. U TILISER ET RENFORCER
LE GREEN DEAL
Alors que certains souhaiteraient « l’oublier », il nous faut au contraire utiliser et renforcer le Green Deal européen comme cadre pour la relance. Et à cela, j’ai deux bonnes nouvelles ! La première, c’est que la volonté politique pour une « relance verte » existe. Une alliance informelle est en train de se dessiner au Parlement européen réunissant des parlementaires4 de plusieurs groupes politiques. De plus, 12 ministres européens de l’Environnement, dont les ministres français et allemand, dans une lettre adressée à la Commission européenne, plaident pour une telle relance. Deuxième bonne nouvelle, toutes les solutions, techniques ou humaines, existent ! Elles sont climatiquement positives et pourvoyeuses d’emplois ; pour «relancer» une économie, il n’y a rien de mieux. Encourageons l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, investissons dans les énergies renouvelables (le solaire est actuellement l’énergie la moins chère du marché), développons et investissons dans la mobilité bas carbone (transports en commun, mobilité douce, le rail). Réalisons la transition du modèle agricole intensif vers un modèle dit «agro-écologique » qui en plus de créer des emplois, favorise la biodiversité. Investissons dans la protection de l’environnement, car protéger massivement les écosystèmes, c’est éviter autant de futures épidémies potentielles. Réhabilitons le principe de précaution qui jusqu’à présent fait défaut dans la plupart des décisions politiques. Relocalisons certains pans « sensibles » des chaines d’approvisionnement notamment en matière de soins de santé (80% des principes actifs de nos médicaments sont fabriqués en Chine). Construisons une Europe beaucoup plus réactive et solidaire, indispensable en temps de crise. Investissons massivement dans un système de santé publique et de qualité ainsi que dans l’éducation, car nous aurons besoin de toutes les forces vives pour affronter les prochaines crises qui s’amoncèlent à l’horizon. C’est pour cela qu’à mon sens, il ne faut pas parler d’une « relance » économique mais de la transformation de notre économie. Cette crise sanitaire aura au moins eu le « mérite » de nous sortir de notre zone de confort (personnel et étatique), à nous désormais d’être créatifs. Soyons lucides mais surtout soyons audacieux ! L’Europe a le potentiel, si elle le décide, pour créer une nouvelle forme de prospérité afin d’inspirer le monde comme elle l’a déjà fait par le passé. Il est temps pour l’Europe de trouver de nouvelles Lumières, mais à la différence des précédentes, elles ne doivent pas provenir de lampes à pétrole.
« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté. » Winston Churchill
4 https://www.euractiv.fr/section/economie/news/green-recovery-alliance-launched-in-european-parliament/
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DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE Du Watergate à la récente affaire médiatique de Benjamin Griveaux, la politique est parsemée de scandales immoraux et révoltants. Lorsqu’une affaire éclate, la société est ébranlée et l’opinion publique s’insurge. À chaque esclandre, une nouvelle définition de l’inacceptable voit le jour. Il s’agit tantôt d’un scandale sexuel, tantôt d’une histoire financière, et ce n’est évidemment pas exhaustif. Les politiciens ont entre leurs mains la destinée de leur peuple, ils marquent tous l’Histoire d’une façon ou d’une autre. Certains s’en rendent dignes et font le bien, alors que d’autres déchaînent les médias et vont parfois jusqu’à faire vaciller la quiétude mondiale. Après tout, que faut-il en retenir ? Les bienfaits, les méfaits ou uniquement les faits, positifs ou négatifs, qui permettent de perfectionner les rouages de la société ? Nos rédacteurs se sont penchés personnellement sur la question. Tout d’abord avec une nécessaire présentation de l’évènement à l’origine de ces retentissants scandales politiques. Pour ensuite apporter une touche individuelle par une réflexion plus abstraite et parfois même teintée de philosophie. 9
{ DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE }
e du r i a f af tail» e d e d «point © GERARD BOTTINO/Shutterstock
EXISTE-T-IL UNE LIMITE À L’EXPRESSION DES ÉLUS ? PAR ADRIEN PIRONET
Jean-Marie Le Pen nous apparait aujourd’hui comme le « Diable 1 de la République » depuis que sa fille, Marine, a décidé de le remettre au grenier. Néanmoins, en faisant un peu d’uchronie, il aurait pu devenir le chef d’État de la France lorsqu’il est passé au second tour face à Jacques Chirac en 2002. C’était sans compter sur un événement qui a bouleversé sa vie, l’empêchant à tout jamais d’accéder au poste suprême de la République… Voici un petit retour sur cette affaire française emblématique qui ouvrira ensuite une réflexion plus théorique sur la liberté d’expression des élus du Plat pays. 1 Du nom d’un documentaire : https://www.youtube.com/watch?v=ENNF3mRAyVU
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{ DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE }
La seule voix de l’extrême droite française et son extinction
Dès sa jeunesse, Jean-Marie Le Pen se décrit lui-même en se référant à la traduction de son nom de famille. En effet, Le Pen signifie « le chef » en breton. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il a la vingtaine, et on entrevoit déjà son ambition. Il se lance dans des études de droit, certains de ses camarades de fac l’imaginent déjà Président de la République. Sa carrière en politique commence très tôt. Alors que la majorité de l’Assemblée générale est composée de politiciens âgés, il est élu député à seulement 27 ans. Considéré aujourd’hui comme un vieux de la vieille de la politique, il était le plus jeune du parlement français à l’époque. En 1956, nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Rien n’arrête Le Pen, il quitte momentanément l’Assemblée pour prendre part au conflit. À ce momentlà, il est congratulé pour son implication sur le front. Il doit avant tout son accession au Parlement, au succès de son maitre d’alors, Pierre Poujade, représentant des petits indépendants et de la classe moyenne. Évidemment, le mouvement de Poujade s’essouffle et Le Pen se retrouve perdu. Pendant longtemps, il s’estime être un chef naturel, mais il est avant tout un chef sans subordonnés. C’est en 1972 que le destin lui sourit à nouveau. Un groupe d’extrême droite cherche à présenter une liste aux élections législatives. Mais ce micro-parti, qui décide de présenter ses candidats sous la dénomination « Front national pour un Ordre nouveau », n’a pas de leader ; plusieurs personnes sont sondées mais sans succès. C’est dans ce contexte que l’on propose à Jean-Marie Le Pen, qui jouit d’une belle réputation, d’entrer dans le parti. Au départ, il n’y est qu’un simple représentant, mais il prend vite la place de président. Le FN prend naissance. Le chef a enfin une équipe derrière lui, la conquête des institutions peut enfin commencer… Le Pen, en vrai tribun, arrive à conserver la main sur le Front national, il profite de l’occasion pour se présenter à l’élection présidentielle de 1974. Les résultats sont plutôt décevants, il obtient 0,75% des suffrages exprimés. Pourtant, il ne lâche pas l’affaire pour autant. Il ne se présente pas à la présidentielle suivante, mais en 1986, son parti va faire une entrée fracassante à l’Assemblée nationale. Les journaux n’hésitent pas à parler de véritable « choc », car tandis que le score des communistes s’effondre, celui du FN grimpe. Jean-Marie Le Pen a réussi à installer ses hommes au Parlement. Le Front national arrive à se placer comme seule offre politique sur l’extrême droite de l’échiquier. C’est en 1981, lorsque François Mitterrand est élu à la présidence, que Le Pen et son mouvement prennent véritablement de l’ampleur. Le président de la République
socialiste use de son génie, souvent apparenté au Prince de Machiavel, pour décider d’accorder à l’extrême droite une tribune télévisée. Auparavant, la France appliquait un certain cordon sanitaire afin d’empêcher les partis extrémistes de s’exprimer sur le premier canal médiatique. Quoi qu’il en soit, Le Pen est invité à la télévision et reçoit de nombreuses questions très hostiles, il s’en sort brillamment et entre désormais dans la vie des Français. Ses qualités d’orateur lui permettent de convaincre une partie du peuple français, ce qui le rend de plus en plus important sur la scène de l’Hexagone. De plus en plus, Jean-Marie Le Pen est reçu par les médias comme tous les politiciens de partis traditionnels. Effectivement, comme précisé plus haut, la maitrise de la parole et de la contradiction sont ses plus grands atouts. Sur les sujets sensibles, il arrive toujours à « noyer le poisson » et s’extirper des questions délicates. Il sait que les partis traditionnels sont à bout de souffle, c’est l’opportunité de sa vie. Il décide de se présenter à la course pour la présidence de 1988 pour affronter Mitterrand. Il est loin de se douter qu’il va lui-même causer sa perte. Il accepte d’être interviewé en direct par RTL en 1987. C’est alors qu’à la radio, le journaliste lui demande ce qu’il pense des théories négationnistes qui concernent les chambres à gaz. Son équipe ne s’inquiète pas, c’est le genre de question qu’on lui pose souvent et il sait comment esquiver le sujet. Or, ce jour-là, il va précipiter sa propre chute. Il répond : « Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Là, il s’auto-détruit. Sa réponse est tout de suite vue comme une négation de l’horreur commise par les nazis. On peut dès lors se questionner sur le sens de sa déclaration : a-t-il voulu remettre en cause la mort des 6 millions de personnes juives ou bien la manière dont celles-ci ont été éliminées ? Dans tous les cas, les propos du leader du FN demeurent insoutenables. Il est par la suite condamné pour ses propos, néanmoins, il ne regrette rien. En effet, il réaffirme notamment son point de vue lors d’autres interviews plus récentes.
« Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. […] Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
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Jean-Marie Le Pen
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{ DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE }
À partir de là, Le Pen ne parvient pas à se relever. Il espère affronter Chirac à la présidentielle de 2002, mais ne va jamais plus loin que son résultat obtenu (17,79%). Dès lors, il est relégué à la gestion de son parti et de la dynastie Le Pen. Sa carrière s’effondre et il ne lui reste plus que la présidence du FN.
La Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression dans son article 10. Les affaires judiciaires se multiplient à une vitesse folle. Le célèbre arrêt Lacroix de 2017 en est un exemple : Michel Lacroix, conseiller municipal, fait la découverte de deux marchés publics qui auraient été truqués par le maire de sa commune. Il se charge alors de le dénoncer publiquement, ce qui portera l’affaire devant les juridictions nationales afin de statuer sur la diffamation, avant d’être envoyé des années plus tard devant la Cour européenne.
Les porte-paroles du peuple en danger ?
Depuis la Révolution française, le pays des droits de l’homme consacre de nombreuses libertés individuelles. C’est par exemple le cas de la liberté d’expression. En revanche nous l’avons vu avec l’affaire du « point de détail », la parole des représentants du peuple n’est pas absolue. En effet, il y a des sujets avec lesquels on ne badine pas, pour reprendre l’expression d’Alfred de Musset. Au fond, la situation est-elle si différente chez nous ? En Belgique, la Constitution prévoit que la liberté d’expression est garantie pour les députés dans les discussions de leur institution respective (art. 58, 59 et 120). Nos députés belges jouissent donc d’une immunité pour l’expression de leurs opinions dans l’hémicycle. C’est d’ailleurs ainsi que Laurent Louis, en 2012, s’est fait attaquer sur le plan pénal, puisqu’il s’est rendu coupable d’outrage au Premier ministre Elio Di Rupo. Dans les murs de la Chambre, l’immunité couvre les députés ; or, il fait l’erreur de s’exprimer en dehors de la tribune parlementaire. La question légitime que l’on se pose est alors la suivante : nos élus peuvent-ils tout dire ? En réalité, la justice est de plus en plus confrontée aux problèmes de censure de la parole. La France présente de nombreux cas d’élus qui ont été poursuivis par la justice. Ce qui a amené la Cour européenne des droits de l’homme à se pencher sur la question. Comme l’on s’en doute, tout ne peut pas être mis sous le couvert de cette disposition de droit européen. Des abus de 2 https://www.franceculture.fr/droit-justice/jean-marie-le-pen-le-journal-dun-condamne
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droit existent en la matière, notamment lorsqu’un élu local prétexte la liberté d’expression afin d’affirmer ses thèses négationnistes. Clarifions immédiatement la situation, lorsque la parole est incriminée par une disposition légale, la question ne se pose pas. Dans le cas particulier d’actes racistes, la loi punit ces comportements. Néanmoins, lorsqu’il est question de propos honnêtes, comme celui de Michel Lacroix, est-ce qu’un élu doit se conformer à la langue de bois ? Question délicate, puisque celui qui flatte tout le monde séduit le plus grand nombre. D’un autre côté, ceux qui disent la vérité savent que celle-ci est une arme à double tranchant. Elle peut à la fois plaire mais également embarrasser ceux qui sont visés par ce dévoilement. De manière générale, les politiques usent et abusent de formules creuses pour transformer les sujets sensibles en une formule neutre et sans saveur. Ils s’assurent ainsi le plus grand soutien des votants, dans un souci de pérennité et de continuité de carrière. Or, aujourd’hui, sur la scène politique nationale et internationale, trop de carriéristes viennent accaparer les postes à responsabilités et demeurent au pouvoir en tâchant de rester les plus incolores possible. La technique permet en effet de se débarrasser des situations gênantes, mais la xyloglossie, selon son terme savant, n’apporte pas de solution au débat. En face, certains assument de prendre la parole de la « majorité silencieuse », pour reprendre l’expression de Nixon. Aujourd’hui, c’est l’habitude des politiciens à la rhétorique populiste qui rencontre un grand succès. On songe par exemple à Donald Trump, c’est sa parole totalement libérée et sa volonté de déranger les codes qui a plu aux électeurs américains. Il faut cependant se méfier de cet excès de vérité, le populiste-type prend pour mauvaise habitude de dire au peuple ce qu’il souhaite entendre… En définitive, la question de la liberté d’expression, c’est un peu comme une Ferrari sur la route : elle a beau avoir du potentiel dans le moteur, elle doit respecter certaines règles. Et ce n’est pas Jean-Marie Le Pen qui dira le contraire quand on sait qu’il a fait l’objet de six procès2 pour ses propos sur les chambres à gaz. Il est urgent de cesser l’usage de la langue de bois. Dans le cas contraire, le politique risque de devenir à la longue comme Pinocchio, tout fait de bois. Il sera alors à la merci des flammes. Plus personne ne s’intéressera à ses propos. Il est évident qu’une personne qui évite de répondre aux questions est beaucoup moins attrayante qu’un tribun qui dit la vérité les yeux dans les yeux. Mais il faut également veiller à rester dans la mesure lorsque l’on « parle vrai », au péril de paraitre pour un marginal. Combien de fois n’at-on pas vu des personnes affirmer une idée sans avoir les preuves nécessaires. Le citoyen a besoin que ses élus disent les choses telles qu’elles sont et surtout qu’ils apportent des solutions réalisables.
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e r i a f af lifin pub
POLITIQUE ET FINANCE : OUTILS D’UNE CORRUPTION PAR ERNEST MAES
Depuis quatre années maintenant, le nom de cette affaire politico-financière belge est connu de tous, de même que son personnage principal Stéphane Moreau. En nous basant sur le scandale « Publifin-Nethys », nous allons tenter de comprendre le fonctionnement des intercommunales, et ce afin de prévenir toute tentative de corruption à l’avenir.
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Où et quand commence cette affaire ?
Tout commence en 2008. À l’époque, Stéphane Moreau est mis en cause par une lettre anonyme pour abus de biens dans le cadre de la gestion du groupe Tecteo. L’intercommunale, une holding publique gérant notamment le réseau de distribution, les médias et télécommunications tel que VOO, ou encore des assurances et crédits, portera par la suite le nom de Publifin. Rappelons-le, Stéphane Moreau est un homme politique belge. Durant tout un temps administrateur de sociétés et administrateur délégué de Nethys, il a fait partie du PS et a été bourgmestre de Ans de 2011 à 2017. Heureusement pour lui, l’effet de cette accusation se tassera assez rapidement malgré les suspicions de trafic d’influence impliquant différents cadres d’Ethias. Huit années plus tard, Stéphane Moreau sera néanmoins remis en cause, cette fois dans le cas de l’affaire Publifin, pour extorsion de fonds publics. Dès la fin 2016, différents journaux nationaux, comme Le Vif/L’Express, publient des révélations choc qui enflammeront le scandale. Ainsi, ceux-ci dénoncent la perception de rémunérations importantes pour des réunions auxquelles les mandataires n’ont pas ou peu participé. De plus, des soupçons de collusion sont également rapportés à l’égard de Stéphane Moreau et de l’un des procureurs du Roi. En 2017, Stéphane Moreau demandera sa démission du PS et sa rétractation en tant qu’administrateur de l’intercommunale. L’affaire en elle-même développe la participation de mandataires locaux élus à la participation financière
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d’une holding par l’entremise d’une société pour 1 l’optimisation fiscale . En effet, Stéphane Moreau en tant qu’administrateur délégué de Nethys, l’une des filiales de l’intercommunale Publifin, touchait environ 2 950 000 euros par an . Un salaire exorbitant pour un administrateur d’une société publique.
Qu’est-ce que réellement une intercommunale ?
Le législateur a créé un cadre juridique en vue de réglementer la création d’associations intercommunales. Ainsi, celles-ci sont dominées par un haut degré de spécialité, elles exécutent des missions bien déterminées 3 d’intérêt communal. De plus, les intercommunales sont des organismes publics : elles sont généralement composées de pouvoirs publics mais aussi et également de partenaires privés. Dans le cas de notre affaire, plusieurs acteurs sont concernés : la Province de Liège, plusieurs communes liégeoises, la Région wallonne, ainsi que quelques partenaires privés. Les intercommunales consistent aujourd’hui en un mode de financement intéressant pour les communes. En effet, ces dernières ne sont pas touchées par l’impôt des sociétés mais seulement par celui des personnes morales, au sens des institutions publiques. Ce fonctionnement permet aux communes et mandataires communaux de percevoir d’importants dividendes. Pour adapter les régimes fiscaux, une Loiprogramme du 19 décembre 2014 revoyant la fiscalité des intercommunales a vu le jour. Cette loi est cependant fort contrastée et fait encore aujourd’hui l’objet de 4 recours devant la cour constitutionnelle.
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1 M artin Buxant et Philippe Coulée, Le « conseiller stratégique » de Stéphane Moreau gagne 600 000 euros par an, sur lecho.be. (consulté le 3 avril 2020) 2 D avid Leloup, Les salaires surréalistes de Stéphane Moreau et de son conseiller financier Daniel Weekers, sur levif.be, 20 janvier 2017. (consulté le 20 avril 2020) 3 F . Tulkens, B. Lombaert, P.O. de Broux, Syllabus du cours de droit administratif 2019-2020, 18e Édition, II, pp. 60-61. 4 Ibidem, II, pp. 61. 5 N . Keszei, F.X. Lefevre, Stéphane Moreau se fait saisir 8 millions d’euros, sur l’Echo.be. (consulté le 3 avril 2020) 6 Art. L-1511-3 à L-1541-3. 7 Cwadel, 22 avril 2004, art. L-1531-1 à L-1532-5. 8 Cwadel, 22 avril 2004, art. L-1531-2 §1.
Aujourd’hui, qu’en est-il ?
Aujourd’hui, la situation semble s’être stabilisée. Le gouvernement Di Rupo III a rompu les liens avec les anciens administrateurs de Nethys et a permis de geler les avoirs de ces derniers, notamment 8 millions d’euros 5 appartenant à Stéphane Moreau . Le gouvernement pense avoir gardé la face vis-à-vis de cette affaire politique. Et tandis qu’au niveau financier, les avoirs ont donc été bloqués, différents administrateurs, dont Stéphane Moreau, sont poursuivis en justice. Cependant, ici encore, celui-ci dévoile son côté retors car il a activé l’assurance protection juridique qui lui permet de faire payer ses frais d’avocats par Nethys même. Mais si une solution semble donc avoir été apportée pour pallier la situation de l’intercommunale Publifin-Nethys, les problèmes généraux des intercommunales n’ont pas encore été résolus. En Région wallonne, en effet, la matière des intercommunales est réglée par le code 6 wallon de la démocratie locale et de la décentralisation . 7 Dans la partie consacrée aux intercommunales , un titre III traite des principes de bonnes gouvernances de l’intercommunale. Son premier chapitre quant à lui est dédié aux interdictions et incompatibilités. Dans le cas présent, cela implique que Stéphane Moreau, étant un administrateur de l’intercommunale, ne peut être présent à des délibérations où il aurait un intérêt 8 personnel . Or, Stéphane Moreau a eu à plusieurs reprises ce genre de comportements répréhensibles. Aujourd’hui, en plus du décret gouvernant une meilleure organisation d’un comité d’organisation et de contrôle des
mandataires d’intercommunales et des administrateurs, un autre mécanisme présentiel pourrait être une solution applicable au contrôle des mandataires et administrateurs d’intercommunales.
Quelle(s) solution(s) pour l’avenir ?
Pour prévenir ce genre d’affaires dans le futur, le gouvernement wallon a mis en place un contrôle renforcé des mesures de transparence de ses sociétés publiques notamment avec le décret gouvernance. Mais cette solution est-elle vraiment viable ? Comme on a pu le constater auparavant, les gardes fous qui tiennent en place ce régime des intercommunales ne sont pas toujours respectés et sont même parfois détournés par des administrateurs ou des profiteurs sans scrupules qui ne visent que leur propre intérêt et leur profit. Aujourd’hui encore, le détournement d’argent public fait scandale par son ampleur et malheureusement risque de toucher toute une classe politique. Quelle solution pourrait dès lors voir le jour afin de remédier à ce problème ? Une piste de réflexion pourrait porter sur l’importance de la vérification. Pour prévenir toute corruption, il faudrait tout d’abord qu’un comité de transparence opère un contrôle beaucoup plus soutenu sur les fonds utilisés par les mandataires dans leurs tâches et au niveau de leurs rémunérations. Ensuite, pour éviter qu’un mandataire touche une rémunération pour une réunion à laquelle il n’a pas participé et pour contrer plus largement les abus liés à la perception des jetons de présence, il faudrait également instaurer un meilleur contrôle sur ces jetons et leur octroi.
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LES CONSÉQUENCES
SUR LE POUVOIR PRÉSIDENTIEL du e ir ate a f af terg wa
PAR AMAURY ERNST
Connaissez-vous vraiment le Watergate ? Nous avons tous entendu parler de cette affaire mais souvent que de manière parcellaire. Les premiers mots qui nous viennent à l’esprit sont cambriolage, journaliste, informateur, enquête, scandale, enregistrement, démission, etc. Mais, comme le dit l’expression : « Le diable est dans les détails ». Le Watergate est un scandale s’étant déroulé en plusieurs étapes et je vais, pour vous, les retracer pas à pas. Dans l’histoire des États-Unis, il représente un moment charnière, tant sur le plan politique que médiatique. À la suite de ce chamboulement, la fonction présidentielle fut nettement touchée et c’est l’une des conséquences des plus intéressantes que je m’attacherai à analyser.
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Tout démarra avec un cambriolage au siège du Parti démocrate situé dans l’immeuble du Watergate dans la nuit du 17 juin 1972, en pleine période d’élection présidentielle. La police fut prévenue par un témoin, et en arrivant sur place, elle arrêta les cinq cambrioleurs. Parmi eux, se trouvaient un ancien agent de la CIA et du FBI ainsi qu’un membre du Comité de la réélection du Président Nixon. Une action en justice fut donc lancée par le Comité national démocrate mais le directeur du FBI décida de ne pas pousser l’enquête vers la Maison-Blanche. À la suite de cela, le président finira par annoncer : « The White House had no involvement whatever in this particular incident ». Le monde médiatique prit le parti de ne pas suivre le déroulement de cette histoire à l’exception du Washington Post, lequel choisit de placer sur l’affaire Bob Woodward et Carl Bernstein. Assez rapidement, le duo découvrit les liens entre les cambrioleurs et le Comité de la réélection du Président. Durant l’été 1972, l’enquête piétina mais le Washington Post reçut de l’aide du célèbre mais néanmoins mystérieux informateur dénommé « Gorge profonde ». Ce ne fut qu’en 2005 que son identité fut révélée : il s’agissait de Mark Felt, le numéro deux du FBI à cette époque. Il apparut que de nombreux acteurs du scandale étaient reliés, par des paiements, à l’entourage du président Nixon. Les révélations se succédèrent mais
n’eurent pas un grand retentissement, en ce qu’elles n’empêchèrent pas Nixon d’être réélu avec une majorité confortable. Face à cette victoire, la majorité démocrate du Sénat ouvrit une commission d’enquête parlementaire sur les abus commis par les Républicains lors de la campagne électorale. Les hostilités furent alors clairement lancées entre l’administration Nixon et le Sénat. En effet, le président, en raison du principe de la séparation des pouvoirs et de la protection de la sécurité nationale, s’opposa à la commission sénatoriale. À partir d’avril 1973, il y eut tellement de personnes qui commencèrent à en parler que cela engendra des tensions à la MaisonBlanche. Même le directeur du FBI et l’attorney general, le ministre de la Justice, démissionnèrent. En outre, en juillet 1973, les sénateurs apprirent qu’un système d’enregistrements avait été utilisé par Nixon pour archiver toutes les conversations telles que les réunions. Le président refusa de remettre les bandes magnétiques, mais la cour d’appel de Washington lui ordonna leur livraison. Après des mois de batailles et de manœuvres pour empêcher la remise des enregistrements, le 24 juillet 1974, la Cour suprême prononça à l’unanimité la restitution des bandes magnétiques.
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Les audiences du Watergate à la commission judiciaire.
le remaniement politique joua certainement un rôle dans la fin de la détente entre les deux blocs, ce qui provoqua un retour à des tensions internationales.
À la suite de l’analyse des 7000 pages de dépositions, la procédure d’impeachment à l’encontre de Nixon put enfin commencer. Celle-ci débuta par un vote de la commission judiciaire suivie par la Chambre des Représentants puis par le Sénat. La cible de toutes ces démarches était bien entendu la destitution de Nixon. Ce dernier sentit le vent tourner en sa défaveur, mais décida malgré tout de continuer à se défendre. Ce ne fut que le 9 août 1974 qu’il démissionna officiellement de la fonction présidentielle. Gerald Ford devint alors président et le gracia pour mettre fin aux procédures. Mais tandis que Nixon fut protégé des poursuites, le scandale du Watergate prit fin dans une suite de condamnations orientées vers les acteurs du cambriolage et ceux qui avaient fait obstruction à la justice. Si un tel scandale eut de nombreuses conséquences dans bien des domaines. Cette affaire resta fondamentalement liée à la fonction présidentielle. Tout d’abord, l’une des premières conséquences du Watergate – peut-être la plus oubliée mais qui n’en reste pas moins importante – est celle de la perte de prestige de cette fonction. Cela peut paraître secondaire mais c’est, à mon avis, une raison suffisante pour en faire hésiter plus d’un à s’engager dans une campagne électorale. Certes, le rôle de président reste attirant, mais depuis le scandale, ce dernier doit régulièrement rendre compte de son action. En complément, l’affaire du Watergate est un frein aux futures administrations présidentielles ; cette affaire força par exemple à remanier les façons de procéder. Des personnalités moins modérées que leurs prédécesseurs arrivèrent ainsi au pouvoir avec notamment l’instauration de Dick Cheney comme chef de cabinet de la MaisonBlanche. Tout cela dans le but d’avoir un avis plus tranché au niveau décisionnel. De plus, le scandale explosa en pleine période de guerre froide. De mon point de vue,
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Une autre grosse conséquence du Watergate reste également le renforcement des contrepouvoirs. En effet, le Congrès en profita pour mettre des barrières à la fonction présidentielle. Le président des États-Unis demeure l’homme à la tête de la plus grande nation mondiale, mais il doit composer avec de nombreux contre-pouvoirs qui le bloquent dans un grand panel de décision. Il est néanmoins évident que c’est un gage de démocratie ; mais dans le cas du président américain, son administration doit bien plus faire face aux contre-pouvoirs que son homologue français. Cela peut se voir notamment par la War Powers Resolution qui limite l’initiative présidentielle dans un cas de conflit militaire, et l’oblige à obtenir l’autorisation du Congrès pour une intervention de plus de 60 jours. Enfin, la plus évidente des conséquences du scandale est l’impeachment. Cette procédure de destitution représente l’épée de Damoclès au-dessus du président. Le Watergate a permis la démocratisation de l’impeachment. En effet, si un nouveau scandale devait arriver, la procédure serait toujours utilisable. Cela est encore plus flagrant aujourd’hui, avec la récente mise en accusation de Donald Trump. Pourtant, selon moi, une telle menace reste peu efficace. Pour preuve, quatre procédures ont été lancées mais aucune n’a réellement abouti. Malgré tout, les répercussions du Watergate sur la présidence américaine se ressentent encore de nos jours. Par ses nombreuses conséquences, l’affaire du Watergate traversa le temps, changea la face de l’Histoire et modifia tout le paysage politique américain. C’est ce qui rend ce scandale intemporel. D’après moi, ce fut assez bénéfique. En effet, la situation d’avant pouvait se résumer par une phrase de Nixon issue de sa célèbre interview avec David Frost : « Well, when the president does it, that it is not illegal. » Grâce à ce scandale, la fonction présidentielle doit à présent composer avec bons nombres de contrepouvoirs. C’est à mon sens, une évolution positive vers une démocratie américaine plus saine.
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du e r i a aff te a g y b ru
LA VIE PRIVÉE EN POLITIQUE :
LA MORALE COMME DERNIER REMPART ? PAR ADRIEN PIRONET
Début mars, on apprenait que Silvio Berlusconi avait décidé de changer de compagne. L’Italien de 83 ans quittait sa femme de 34 ans pour une autre conquête de 30 ans. Ce fait d’actualité parait anodin compte tenu des nombreuses relations amoureuses de l’ancien Président du Conseil. En réalité, ce fait nous permettra, plus loin dans le texte, de revenir sur le scandale sexuel du Rubygate de 2010. De là, nous nous poserons la question suivante : la vie sexuelle et, par conséquent, privée des politiciens doit-elle être plus morale que celle des citoyens ?
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L’ascension d’il Cavaliere, un nouvel espoir pour le peuple italien ?
Silvio Berlusconi nait en 1936 à Milan dans une famille plutôt aisée. Il entreprend des études de droit et obtient sa licence en 1961. Durant ses années sur les bancs de la fac, on peut déjà sentir chez le jeune homme une accointance avec le paraitre et la séduction, puisqu’il occupe des petits boulots comme représentant pour une marque d’aspirateur ou chanteur sur des croisières. C’est d’ailleurs sur le thème de la publicité, le domaine par excellence des apparences, qu’il rédige son mémoire. La même année, il débute dans le monde de l’immobilier comme promoteur. Il s’y fait un nom en réalisant notamment la construction de mini-villes comme Milano 2, où de gigantesques résidences flirtent avec tout le nécessaire pour satisfaire les besoins des habitants. En 1965, il se marie et de cette union suivra la naissance de deux enfants. Appuyé par l’effervescence de ses projets immobiliers, lui vient l’idée de créer une chaine de télévision locale pour les résidents. En 1976 apparait alors Telemilano, qui passera d’une diffusion locale à régionale. C’est une première en Italie car à l’époque, les chaines publiques disposent d’un monopole sur la télévision nationale. Véritable bourreau de travail, il gagne son surnom d’il Cavaliere lorsqu’il est fait Chevalier du travail en 1977 par le Président de la République. En 1980, il créé Canale 5, la première chaine privée. Il profite d’une décision de la Cour constitutionnelle pour diffuser à l’échelon national, jusque-là chasse gardée du domaine public. Plus rien ne l’arrête, l’empereur de l’immobilier devient un empereur des médias et par la même occasion l’homme le plus riche d’Italie. La clé du succès de sa chaine ? Il truffe ses émissions de filles dénudées pour animer les jeux télévisés. Sur le plan sentimental, son mariage tourne au fiasco, la naissance d’un enfant illégitime pousse Berlusconi à divorcer et épouser sa maitresse. Ce second mariage lui donnera également deux enfants.
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Après ses succès professionnels, en 1990, la seule chose qui manque à son tableau de chasse, c’est la politique. Pour ce faire, il va encore une fois profiter des opportunités qui lui sont présentées. La classe politique italienne est déchirée par les scandales, la justice est en guerre contre la corruption. L’Italie est en proie aux soulèvements populaires. C’est le moment idéal pour y proposer une nouvelle offre politique. Fidèle à son passé d’homme d’affaires, il fonde un parti-entreprise, c’està-dire qu’il utilise les techniques du marketing mais dans le milieu politique. En 1994, Forza Italia arrive sur le marché politique. Dès le départ, le parti de Berlusconi obtient des résultats très satisfaisants. La même année, à 60 ans, il devient Président du conseil des ministres, l’équivalent du Premier ministre en Belgique. Le gouvernement tient 7 mois et puis s’écroule. Mais ce n’est pas pour ça que la carrière du Cavaliere est terminée, au contraire. Il redevient Président du conseil de 2001 à 2006 et ensuite de 2008 à 2011.
Les soirées « burlesques », un « délit de générosité » ?
Alors qu’il est à l’apogée de sa carrière politique, sa vie privée le rattrape. En 2009, son épouse l’accuse de nombreuses infidélités et demande le divorce. En 2010, une jeune femme d’à peine 18 ans, « Ruby », de son nom de scène de danseuse, est arrêtée par la police. Elle est amenée au poste de police. C’est là où Silvio Berlusconi va entrer en scène et mettre le pied dans un engrenage qui lui sera fatal. Il donne un coup de téléphone au chef de la police locale afin de faire libérer Ruby. Apparemment, celle-ci serait la nièce du chef d’État égyptien et Berlusconi cherche à intimider la police en brandissant la possibilité d’une crise diplomatique. Après l’appel du Président du Conseil, le chef des forces de l’ordre décide de libérer la jeune fille. Il s’organise pour qu’une proche, Nicole Minetti, aille chercher Ruby au poste de police. C’est par l’implication de cette tierce personne
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que des liens vont se faire et révéler l’affaire au grand jour. La presse découvre que le Président du Conseil organise régulièrement chez lui des soirées, les fameuses soirées bunga bunga, où il reçoit beaucoup de monde. C’est notamment à ce moment-là qu’il rencontre la jeune femme via l’entremise de Minetti. À l’époque, Ruby n’a que 17 ans. Elle assiste à la soirée et se voit même remettre une enveloppe bien remplie et quelques cadeaux par celui que le peuple surnomme Presidente. Selon le parquet, la somme des présents est tout de même assez conséquente : 7 millions d’euros au final sont comptabilisés. Il ne faut pas s’inquiéter à en croire l’avocat de Silvio Berlusconi, si son client est coupable, c’est uniquement d’un « délit de générosité ». L’homme politique n’est ainsi qu’un généreux grand-père qui veut gâter des jeunes filles… Par après, la situation s’envenime, on accusera Berlusconi d’avoir eu des relations tarifées avec la danseuse mineure. Il fait l’objet d’une première procédure judiciaire en 2011. Sur le plan sentimental, l’année suivante annonce une période de renouveau. Il trouve en effet du réconfort auprès d’une femme, 50 ans plus jeune que lui. Finalement, après une saga judiciaire épuisante, Silvio Berlusconi s’en tire bien. En 2014, il est blanchi par la Cour d’appel de Milan. On le croit tiré d’affaire, mais le ministère public, mécontent de la décision rendue, se dirige vers un ultime recours : la Cour de cassation. L’affaire se poursuit devant cette instance et est clôturée en 2015. Berlusconi est définitivement acquitté. Néanmoins, d’autres faits liés à des relations avec des escort-girls, lors de ses soirées, vont le reconduire devant les juridictions judiciaires. En 2016, Berlusconi reçoit les caméras chez lui pour un documentaire biographique, My way. Il présentera sa version des soirées bunga bunga. Il ouvre une porte de sa demeure et présente une pièce avec une gigantesque table. Selon lui, ce sont de simples dîners élégants où se retrouve du beau monde. À l’entendre, il fait un remake du Versailles de Louis XIV. De plus, à la sortie du tribunal, il frôle le comble du ridicule face à la presse : « J’ai raconté ce qui se passait chez moi, c’est très simple : des diners élégants dans lesquels il n’y a jamais eu la moindre situation incorrecte. […] Elles faisaient des concours de burlesque. Les femmes sont de nature exhibitionniste ».
La vie privée des élus doit-elle être irréprochable ?
Le Rubygate a permis d’allumer le spot (cruel) de la moralité sur de nombreuses activités privées douteuses, pour lesquelles Berlusconi a fait l’objet de procès. Alors que l’homme avait réussi sa vie professionnelle, sa vie privée a causé sa perte. De là se pose une question : la vie d’un élu doit-elle être transparente ? Dans l’affirmative, doit-elle également être irréprochable ? La vie privée des politiques est comme l’évolution du personnage de James Bond. Dans les premiers films, l’agent 007 est présenté comme un super-héros invincible, sans faiblesses hormis son penchant pour la séduction et pour les cocktails. La caméra ne montre que la vie professionnelle du
plus célèbre espion britannique. Alors que dans les derniers épisodes, les faiblesses du protagoniste sont exposées, on en apprend beaucoup sur sa famille, ses émotions et finalement ses faiblesses. Nos politiciens sont pareils, ils sont présentés comme des super-héros, alors qu’en réalité ils ne sont que des êtres humains, comme nous tous. Il faut distinguer deux phénomènes pour comprendre cette absence de vie privée des élus : l’individualisation et la moralisation. La première est en réalité une conséquence de la méfiance du citoyen envers les grandes organisations, les partis politiques et différents groupes qui fonctionnent de manière opaque. L’individualisation de la société fait que l’on préfère se fier aux individus, qui sont plus faciles à cerner et beaucoup moins opaques. À partir de là, chacun s’efforce de montrer qu’il est irréprochable mais c’est évidemment risqué lorsque l’on a quelque chose à cacher. Quitte à voter, autant voter pour le plus irréprochable. C’est dans la nature de la campagne électorale, que de se présenter sous son meilleur jour. Le candidat au scrutin doit s’afficher en public d’une manière ou d’une autre. Certains usent et abusent des réseaux sociaux pour exhiber leur quotidien et leur famille. Dans ces circonstances, il est normal que la frontière entre la vie privée et la vie publique soit plutôt difficile à tracer. Ensuite, la société est en pleine moralisation. C’est-à-dire que ses normes sociales sont de plus en plus dures avec ses élus. On court de scandale en scandale comme Tarzan saute de liane en liane. Chaque fois, la définition de l’acceptable et de l’insupportable est affinée. À l’origine de cette moralisation, se trouve la transparence qui est d’une manière ou d’une autre liée à l’individualisation de la société. Par ailleurs, c’est cette hostilité face à l’opacité qui a ouvert le scandale des emplois fictifs de François Fillon. Lever le voile sur la vie privée de nos représentants peut parfois permettre de découvrir des situations moralement inacceptables. Cependant, la dérive n’est pas loin car certains médias se complaisent désormais dans la « peopolitique », contraction des mots people et politique. Celle-ci se veut comme la presse people mais en étant branchée sur les actualités croustillantes des élus. On pense notamment au Président Hollande qui rend visite secrètement en scooter à Julie Gayet. La situation est cocasse et le cliché, où l’on voit l’homme affublé d’un casque, est grotesque. Mais publier cette photo est indécent car cela relève du domaine de la vie privée. La vie privée quoique devenue fortement exposée, mérite tout de même de conserver des limites inviolables. Lorsque la presse apprend l’existence de la fille cachée de François Mitterand, elle doit avant tout se demander en quoi cela a-t-il un impact sur la gestion de l’État. Il est vrai que la transparence permet de déceler des pratiques immorales, mais son excès n’est décidemment pas bon pour la vie privée de l’être humain. Chacun doit conserver un minimum décent d’intimité. Si vous pensez que vous avez droit à une vie privée, alors pourquoi pas nos élus ? Le mot de la fin sera donné par Sénèque : « En tout, l’excès est un vice ».
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e r i fa aux f a ve i r g
Alexandra de Taddeo revient sur M6 dans un entretien exclusif sur l’affaire Griveaux.
QUELLES INFORMATIONS DOIT-ON ATTENDRE D’UN DÉBAT POLITIQUE ? PAR LOUIS D’EPENOUX
Quand des vidéos grivoises envoyées par Benjamin Griveaux à son ancienne maitresse ont été rendues publiques par le compagnon de celle-ci, il est alors devenu important de définir les informations que nous sommes en droit d’attendre de nos politiques ; celles dont la révélation est acceptable et celles dont elle ne l’est pas.
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{ DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE }
L’aspect fondamentalement humain des politiciens fait qu’il est inutile de rechercher, d’attendre, d’espérer une exemplarité de caractère de l’un d’entre eux. Pourquoi vote-t-on pour quelqu’un ? J’espère que vous répondrez que c’est pour une vision, un idéal, ou, à défaut, le refus d’une volonté politique à laquelle vous vous opposez. L’intérêt donc d’apprendre à connaitre un candidat est que cela nous permet de juger de ses compétences ou de sa volonté à mettre en place son programme. Toute information qui ne répond pas à cet intérêt est, au mieux, inutile ; au pire, située quelque part entre la diffamation et la démagogie. C’est pourquoi, dans l’affaire Griveaux, la réaction des autres candidats à la mairie de Paris a été unanime : ils s’insurgent face à l’indignité des révélations et considèrent que les électeurs méritent mieux. En effet, les arguments ad personam et ad hominem ont toujours été considérés comme le degré zéro d’un débat. Ils n’ont d’ailleurs d’arguments que le nom car ils n’émanent que de la rhétorique et non de la logique. La valeur, la validité d’une idée et sa possibilité d’être mise en place sont indépendantes des contradictions de la personne qui la défend ; et ce, même si c’est pour de mauvaises raisons. Un fumeur peut mettre en place des politiques anti-tabac ; un religieux convaincu peut parfaitement soutenir la laïcité ; et un serial cheater peut lui aussi défendre des idéaux familiaux. Contrairement à un débat entre amis ou au travail, un débat politique n’a pas pour finalité de convaincre un des intervenants mais de convaincre les spectateurs. Ainsi, les arguments choisis par un participant doivent non seulement respecter l’opposant mais également les électeurs. Et les électeurs sont en droit d’attendre des arguments qui ne porteront pas insulte à leur intelligence. Quand Piotr Pavlenski est intervenu dans le débat public en révélant les vidéos envoyées par Benjamin Griveaux à Alexandra de Taddeo, il en a irrémédiablement réduit la qualité. Si les orateurs de la Ve République n’ont probablement jamais été au niveau des grands rhéteurs du passé (Caton, Cicéron, Clémenceau ou Jaurès), ils sont en tout cas de moins en moins bons. Des petites piques sont acceptables ; après tout, il y a bien souvent de l’animosité entre eux ; mais il y a quand même un monde entre Mitterrand, qui répond à Chirac « Vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre » pour le rabaisser au détour d’une phrase, et Mélenchon et Marine Le Pen qui se traitent de « semi-
démente » et de « triple idiot ». Ces deux là sont d’ailleurs ceux qui sont probablement les plus responsables de la dégradation du débat public. Jamais n’a-t-on vu des politiques représentant une part aussi importante du peuple français se comporter aussi mal. C’est durant la campagne de 2017 qu’ils se sont pleinement révélés, s’échangeant de copieuses insultes par presses interposées. Mais ils ont continué à se mettre en scène par la suite, en particulier Mélenchon. Son explosion sous les caméras de « Quotidien » lors de la perquisition de son domicile et du siège de « La France Insoumise » lui a d’ailleurs couté le soutien aussi bien de certains éléphants du Parti Socialiste qui envisageaient de le rejoindre, que d’une partie de son électorat ; preuve donc que le public n’est pas dupe et que celui qui entache le débat politique est abandonné. C’est peut-être pour ces raisons que Chirac n’a pas révélé la seconde famille de Mitterrand, ou que Jospin n’a pas dénoncé les frasques et les infidélités de Chirac. Car les anciens politiciens avaient compris que cela serait un mauvais calcul politique ; parce que malgré leurs inimitiés, ils se respectaient les uns les autres, en tant qu’humains et pour ce qu’ils étaient en tant que mandataires des espérances d’une faction de la population ; et parce qu’on ne peut espérer fédérer un pays derrière soi si on a insulté ces mêmes populations. Des choses que Piotr Pavlenski n’a pas l’air d’avoir comprises à son arrivée en France. Mais est-ce réellement de sa faute ? Après tout, n’a-t-il pas simplement apporté avec lui des méthodes qui lui paraissent normales tant elles ont l’air d’être des parts intégrantes du paysage politique russe depuis plus de 20 ans, depuis que Vladimir Poutine a rejoint les rangs des boyards du Kremlin. L’aspect fondamentalement humain des politiciens fait qu’il est inutile de rechercher, d’attendre, d’espérer une exemplarité de caractère de l’un d’entre eux. Tout comme il est inutile de l’expecter chez leurs électeurs. Parfois, il y a des élus et des candidats qui sont irréprochables, et c’est tant mieux ; mais en attendant qu’ils le soient tous, les seules informations qui sont pertinentes dans le débat public, les seules que nous sommes en droit d’attendre sont celles qui portent sur leurs compétences, les idéaux qu’ils incarnent et leur volonté à en être l’avatar.
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D’AUTRES FENÊTRES… PAR ADRIEN PIRONET
La politique, ce n’est pas qu’une affaire de vieux politiciens ennuyeux. C’est aussi un sujet propice à l’imagination et aux fantasmes populaires. Voici d’autres fenêtres ouvertes sur quelques références culturelles en la matière.
FILM
Frost/Nixon, l’heure de vérité
de Ron Howard, biopic/drame/historique, Royaume-Uni/France/États-Unis, 2008. Après le scandale du Watergate, Richard Nixon démissionne en 1974 et se retire en Californie. Il disparait alors de la scène politique et médiatique. C’est sans compter sur David Frost, journaliste britannique en perte de vitesse, qui en 1977, décroche finalement un entretien télévisé de l’ancien Président. L’équipe de Nixon est convaincue que Frost n’a rien d’intimidant, ce qui laisse présager que la rencontre se passera sans encombre. Or, même si au début toutes les questions sont sans surprises et respectent la ligne de conduite, le sujet du Watergate va être mis sur la table jusqu’à ce que l’ex-Président se confesse…
Ce long métrage reste une référence si vous voulez découvrir la vraie interview de Richard Nixon, où mise en scène et éléments historiques font un mariage heureux.
FILM
Silvio et les autres (Loro)
de Paolo Sorrentino, biopic/drame, Italie/France, 2018. Pour ceux qui ne connaissent pas le réalisateur Sorrentino, on peut véritablement qualifier son travail d’artistique, notamment dans des séries plus connues comme « The Young Pope ». Dans le film, on y découvre un Berlusconi au sommet de sa carrière. Il est montré dans son intimité, on y voit ses faiblesses et notamment les tentatives de sauvetage de son mariage. Mais on y aborde également la vie publique. Tel un roi soleil, il organise ses fameuses soirées, où tous ses courtisans se rendent afin de le flatter et obtenir ses bonnes grâces.
LIVRE
Au lieu de faire un film qui synthétise les faits des soirées bunga bunga, Paolo Sorrentino a fait le pari d’entrer dans l’intimité de Berlusconi et le résultat y est. À savourer en V.O. pour apprécier les talents d’acteurs !
Ce qu’ils ne veulent pas que je dise de Alexandre Benalla, Broché, 2019.
De grand inconnu au service d’Emmanuel Macron, il passe à ennemi numéro 1 de la France. Alexandre Benalla vous propose d’exposer lui-même son cas. Mais ça n’est pas tout, puisqu’il va également jusqu’à dévoiler plusieurs affaires qui se sont déroulées en coulisses. Il n’hésite pas à reconnaître ses torts, notamment à la suite de la vidéo où il est vu frappant un manifestant. Toutefois, il reste convaincu que certains en ont profité pour lui coller d’autres scandales sur le dos.
Quoi que l’on pense de l’affaire Benalla et surtout quoi que l’on sache réellement de ses dessous, le protagoniste a le mérite de tenter une défense non plus par la matraque, mais par la plume. 24
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{ DOSSIER SCANDALES EN POLITIQUE }
LIVRE
Histoire secrète du PS liégeois
de François Brabant, Broché, 2015.
Ce livre peut d’ores et déjà avoir la palme du livre difficile à trouver. Les librairies n’arrivent plus à le fournir, néanmoins on peut trouver cette relique dans les magasins de seconde main ! Le livre est assez vaste : le PS liégeois, c’est toute une épopée. Entre guerre d’influence pour les uns et monopole pour d’autres, le livre est un réel polar belge. On peut par exemple y voir le cartel socialiste qui s’est ligué contre Michel Daerden, alors tout puissant dans le bassin liégeois. C’est tout un monde en soi, il faut l’avoir vu pour le croire. Heureusement que François Brabant nous offre les clés pour percer les secrets d’une des branches les plus puissantes du Parti socialiste belge.
DOCUMENTAIRE
Si vous restez sur votre faim après la saison 6 de « House of Cards », ce livre est à conseiller. Même si Netflix n’a pas encore prévu de série sur le sujet et que vous aimez les séries politiques et les intrigues de mafieux, ce livre est un must have !
Balkany, l’empereur de Levallois
diffusé sur BFMTV, disponible sur la chaîne Youtube de BFMTV, 2019. Le documentaire retrace la folle histoire des sulfureux époux Balkany en plusieurs étapes chronologiques. On y voit la rencontre d’Isabelle et Patrick Balkany, qui ensemble vont briguer la municipalité de LevalloisPerret. Mais également toutes leurs folles combines pour conserver la main sur la mairie et accroître leur patrimoine, jusqu’à leur chute.
Chouette documentaire à voir si vous voulez en apprendre plus sur la folle épopée des « Bonnie and Clyde » des Hauts-de-Seine mais également si vous désirez découvrir quelques bonnes anecdotes croustillantes.
PIÈCE DE THÉÂTRE Richard III
de William Shakespeare, Poche, 2020.
Même si de nombreuses adaptations cinématographiques existent, le retour à la source est essentiel pour appréhender l’œuvre de Shakespeare. La pièce originale date de la fin du 16e siècle. Elle met en scène Richard III, véritable élève du machiavélisme. Au départ simple frère du roi, il entend user d’habiles stratagèmes pour évoluer dans la hiérarchie politique. Sa soif de pouvoir le pousse à faire resurgir les pires techniques imaginables puisqu’il veut absolument faire tomber toutes les têtes qui peuvent bloquer son ascension au trône.
En bon classique de la littérature, cette pièce rencontre toujours un franc succès auprès du public. Malgré que l’œuvre soit imaginaire, l’auteur s’est évidemment inspiré de la réalité politique et révèle la part la plus sombre de chacun… 25
{ CARTE BLANCHE ERDOGAN }
LA CARTE BLANCHE
ERDOGAN,
LE RETOUR DE L’EMPIRE OTTOMAN ? PAR GUILLAUME ERGO
Arrivé au pouvoir dans les années 2000, le Premier ministre puis Président Recep Tayyip Erdoğan a déjà marqué durablement la Turquie moderne. Dans un premier temps fidèle à la politique étrangère traditionnelle turque, il va s’en détourner à l’occasion de la guerre civile syrienne. La Syrie, le Rojava, les migrants, et maintenant la Lybie sont autant de dossiers que de fers mis au feu par celui qui règne aujourd’hui sur Ankara. Mais, a-t-il vraiment les moyens de sa grande ambition, rétablir sa prédominance dans l’ancien espace impérial ottoman ? Est-ce à l’avantage de l’Europe ?
Moustafa Kémal et la fondation de la Turquie moderne
La République turque est née telle un phénix des cendres de l’Empire ottoman. En effet, après la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman moribond a été frappé à mort : des provinces entières lui échappent pour entrer sous influence anglo-française, son monarque est discrédité et l’ennemi héréditaire grec s’avance au cœur de l’Anatolie pour venger l’affront millénaire de la chute de Constantinople… Un général se rebelle alors contre cette situation : Moustafa Kémal. En trois ans, l’énergique général chasse les Grecs de Turquie et parvient à alléger le sort de son pays par le traité de Lausanne qui forge les frontières turques actuelles. Victorieux par les armes, Kémal fait abolir le sultanat (titre politique des souverains ottomans) puis le califat (titre religieux du sultan) et devient président de la nouvelle République turque. Son projet politique est « une Turquie turque et moderne », loin du régime ottoman où chaque province avait suffisamment d’autonomie pour ne pas se sentir comme une nation. Sous sa férule, l’État et la société changent de visage du jour au lendemain : abolition des
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ordres religieux, laïcisation des domaines scolaires, réformes de la justice inspirée des systèmes européens, séparation de la religion et de l’État à la française. Le président occidentalise aussi la Turquie en adoptant l’alphabet latin et le calendrier occidental. Mieux encore, il va plus loin en autorisant le divorce, mettant fin à la polygamie et donnant, dès 1934, le droit de vote aux femmes ! Cependant, sa politique nationaliste lui aliène la communauté kurde et mènera à un conflit latent… Sur le plan extérieur, Kémal prend une position attentiste et neutre vis-à-vis des affaires de l’Europe au bord d’un second cataclysme. Cependant, ses successeurs, peu importe leur tendance politique, s’aligneront sur l’Occident : envoi de troupes en Corée en 1950, adhésion à l’OTAN en 1951, au Conseil de l’Europe, installation de bases américaines sur le sol turque… Les tensions avec la Grèce puis l’invasion brutale de Chypre, sans compter le conflit kurde, ne détourneront pas les différents gouvernements turcs de leur tropisme occidental. Rentrer dans l’Union européenne signifierait pour eux de rentrer définitivement dans le « club » des puissances de
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l’Ouest, au côté des États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni. La Turquie n’aurait alors plus d’ambitions autres que sécuritaires au Moyen-Orient (la question kurde et l’invasion de Chypre) et ne se mêlerait pas des imbroglios régionaux (conflit israélo-palestinien, rivalité Iran-Arabie saoudite, guerres d’Irak).
Le néo-ottomanisme d’Erdogan
Avec Erdogan, cette vision change. Le premier ministre puis président de la Turquie s’est donné pour mission de reforger le kilij brisé après la défaite de la Première Guerre mondiale pour faire de la Turquie une puissance mondiale, leader des nations musulmanes sunnites. L’Islam et la volonté de se reconstituer un espace impérial remplace dès lors l’Occident comme boussole de la politique étrangère turque. Les jalons posés sont à la hauteur de cette ambition : en 2023, ce sera le centenaire de la République turque, en 2053, le 600e anniversaire de la chute de Constantinople et 2071 marquera l’anniversaire de l’entrée des nomades turques en Anatolie. Le refus d’avancer sur la réunification de Chypre, les ouvertures faites aux anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale au nom de leurs racines turques, un partenariat avec l’Algérie sont autant d’offensives diplomatiques visant à créer une sorte de « Commonwaelth ». Ce « Commonwealth » serait une zone d’influence aux frontières de la Turquie où chaque pays est politiquement dépendant d’Ankara à l’image des anciennes possessions de l’Empire ottoman. D’ailleurs, le président Erdogan n’hésite pas à se servir de la diaspora présente en Europe pour pousser ses pions à l’Ouest du Bosphore. En témoigne la publicité bruyante et parfois inquiétante que font les ressortissants turcs de la politique de leur président. Cela a donné lieu à des tensions avec les États européens comme l’Allemagne et à une crise diplomatique avec les Pays-Bas. En France, un rapport sénatorial dénonce le contrôle direct de l’État turc sur la communauté présente dans l’Hexagone. Cela a été encore plus loin lors des élections bulgares de 2017 où plusieurs mouvements se réclamant ouvertement de leur patrie originelle ont été mis sur pied…. Mais, c’est dans une Syrie déchirée par la guerre civile que va s’illustrer le mieux le néo-ottomanisme.
Les aléa raïs
Le « raïs », comme le surnomme ses partisans, va profiter et alimenter le conflit syrien pour revendiquer ses droits sur le Moyen-Orient. Dans un premier temps, Erdogan va financer des groupes rebelles (notamment les Turkmènes turcophones affiliés à l’Armée Syrienne Libre) et laisser des centaines de
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{ CARTE BLANCHE ERDOGAN }
Si l’OTAN est un moulin d’où on entre et sort comme on veut, peut-être que la Turquie n’y a plus sa place. traîtres européens rejoindre les rangs de l’État islamique. À partir de 2016, alors que l’État islamique a été privé de son assise territoriale par les efforts consécutifs de plusieurs camps (alliance russo-irano-syrienne, coalition arabo-occidentale sous l’égide des USA), la Turquie rentre finalement dans le conflit… Et s’en prend aux Kurdes syriens du Rojava ! Au bout de plusieurs offensives de 2018 à 2020, l’armée turque et ses auxiliaires syriens (en fait d’anciens djihadistes) mettent à bas le Kurdistan. Le retrait américain ainsi que la faible présence européenne poussent nos anciens alliés contre l’État islamique à composer avec les Russes et le régime d’Al-Assad. En attendant, les Kurdes ont combattu contre les Turcs avec la même ardeur pour la défense de leur terre libérée que pour vaincre les séides de Daech. Quand ils ont été sur le point de céder, ils n’ont été sauvés que par l’arrivée de troupes russes et syriennes. Récemment, les hostilités ont recommencé. Sauf que cette fois, les Kurdes ne sont plus seuls. Ils sont soutenus par l’armée syrienne et l’aviation russe. Apparemment, les soldats turcs et leurs sicaires savent poignarder dans le dos mais ont du mal pour les face-à-face… En difficulté sur le front, le raïs s’est souvenu subitement qu’il faisait partie de l’OTAN, cette « super-alliance » entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Une OTAN méprisée par le président turc qui a agi en Syrie seul et sans concertation avec ses supposés alliés. Une alliance composée de pays européens qui voient leur sécurité menacée par l’évasion d’anciens djihadistes des prisons kurdes… Devant la réticence compréhensible de ces « alliés » de s’engager dans un conflit où ils ont tout à perdre et rien à gagner, il a littéralement lâché sur l’Ancien Continent des grappes de « migrants ». Les grappes sont devenues des hordes comme les frontières grecques et bulgares se sont transformées en zones assiégées.
À quand un rapport de force ?
Pour résumer, le pouvoir turc a soutenu une organisation terroriste qui a commis d’ignobles attentats en Europe. Puis, il a attaqué nos alliés kurdes (qui gardaient prisonniers de nombreux terroristes) sans concertation avec ses supposés alliés. Ensuite, maintenant qu’il se fait
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repousser du pays qu’il a envahi, il réclame de l’aide à ses alliés. Cerise sur le gâteau, il appuie ses exigences par la menace d’une subversion migratoire. Il est temps de siffler la fin de la récréation et de tirer les conclusions qui s’imposent du comportement turc. Ce qui fait la seule force d’Erdogan face à l’Europe, c’est la faible réaction politique des Européens à ses provocations. Son sentiment d’impunité doit disparaître et être condamné. Si l’OTAN est un moulin d’où on entre et sort comme on veut, peut-être que la Turquie n’y a plus sa place. Ou bien, peut-être que cette organisation n’a plus son utilité et qu’elle devrait faire place à une défense européenne concentrée sur les seuls intérêts de l’Union européenne. Si les migrants ne sont juste que de la chair humaine à brader contre des milliards d’euros ou de l’aide militaire, il serait bon d’adopter une politique migratoire digne de ce nom. Aussi, à l’instar de la Grande-Bretagne, la Turquie est plus dépendante économiquement de l’Union européenne que l’inverse. Si Erdogan négocie avec Moscou et Damas, Bruxelles pourrait lui griller la politesse. Après tout, Russes et Syriens ont combattu plus efficacement l’État islamique que les Turcs. Qui plus est, ce sont eux qui maîtrisent le terrain désormais. L’Union européenne a beaucoup perdu en laissant se développer à ses frontières un pouvoir qui lui est foncièrement hostile. Son initiative, en la laissant à la Russie. Son honneur, en laissant tomber les Kurdes. Sa sécurité, en voyant les djihadistes s’évader des camps kurdes. Son intégrité, en laissant une faction répandre sa propagande au sein des communautés turques du continent. Les États n’ont pas d’amis mais uniquement des intérêts. Aujourd’hui, celui de tous les États-membres de l’Union européenne est la paix et la stabilisation de la Syrie. Quitte à voir un pouvoir autoritaire à Damas ? Certes, mais un pouvoir autoritaire siège déjà à Ankara ! Face à eux, seule la fermeté peut prévaloir. Dans le contexte tendu des relations internationales, il faut se résoudre à discuter avec tout le monde. Mais, discuter ne signifie pas accepter ou se résigner face à un État qui n’est ni notre ami ni notre allié.
{ SOCIÉTÉ DIVERSITÉ }
DIVERSITÉ EN BELGIQUE : DE L’IMMIGRATION À L’INTÉGRATION JUSQU’À LA CITOYENNETÉ PAR MIKAËL HOSSEINI
« À l’immigration subie, je préfère l’immigration choisie » : tels sont les mots prononcés par Nicolas Sarkozy en 2005. Tantôt perçu comme une richesse, tantôt comme une faiblesse, le phénomène migratoire façonne d’année en année le paysage culturel de nos contrées. Ses causes sont nombreuses, nuancées et souvent nous échappent. C’est l’occasion de nous plonger dans un entretien exclusif avec la Députée bruxelloise Latifa Aït-Baala. Figure emblématique de la diversité au sein de son parti, cette juriste de formation et ancienne diplomate possède les nationalités belge, française et marocaine. La Vice-présidente des Femmes MR et du MR International nous livre sa vision de la diversité. Un échange chaleureux qui nous permettra de mieux saisir les notions d’intégration, de binationalité, de citoyenneté ainsi que d’interculturalité. Un réel questionnement introspectif, entre essence et existence.
Quelle expérience tires-tu de ta citoyenneté multiple (Belgique, France et Maroc) ? Comment la vis-tu ?
Je la vis très bien ! Pour moi, il s’agit d’une situation naturelle car je me suis toujours considérée en quelque sorte comme une citoyenne du monde. Cela m’a permis d’avoir des regards multiples et de comprendre ainsi les différents systèmes de pensée, ce que les personnes qui ont grandi dans une monoculture n’ont pas forcément. Certes, un Européen d’origine africaine vit avec deux cultures très différentes. Pourtant, je me suis rendue compte que ma culture islamique n’était pas antinomique avec les valeurs de la République française. Cela permet surtout de construire des ponts. L’islam que j’ai connu avec mes parents est un islam ouvert sur le monde. Au Maroc par exemple, les Juifs
sont considérés comme des citoyens à part entière. Le brassage multiculturel fait partie de mon éducation. De ce fait, on passe outre les barrières religieuse et culturelle. Mes parents m’ont appris que le diplôme est la clé de la réussite. La « valeur travail » est innée dans l’éducation que j’ai reçue.
Selon toi, l’intégration des immigrés en Belgique est-elle une réussite ou un échec ?
Tout d’abord, il faudrait se poser la question de savoir ce qu’est l’intégration. Pour prendre un exemple simple, aux États-Unis, on ne parle pas d’« immigré » comme en Europe, mais d’« expatrié ». C’est très différent. L’intégration ça concerne tout le monde, y compris les Belgo-belges entre eux. Si on parle d’intégration du point de vue des pays tiers, on peut clairement
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langues nationales. Ensuite, on doit pouvoir vérifier qu’ils comprennent les mécanismes qui sous-tendent notre pays. Il faut qu’on puisse aussi les tester sur des connaissances basiques en histoire, en art culinaire, etc. Enfin, préalablement à l’acquisition de la nationalité belge, il faudrait instaurer une cérémonie d’adhésion à nos valeurs. Par exemple, aux États-Unis, on chante l’hymne national avant de devenir citoyen américain. L’acquisition de la nationalité belge doit avoir une dimension juridique certes, mais aussi une dimension sentimentale.
D’une part, on constate que des voix s’élèvent en Flandre (N-VA et VB) pour réclamer la suppression de la binationalité en Belgique. D’autre part, en raison de la crise sanitaire actuelle engendrée par la pandémie du coronavirus, plusieurs centaines de BelgoMarocains se voient refuser un rapatriement vers la Belgique sur décision du gouvernement marocain qui estime que ces binationaux sont exclusivement des ressortissants du Maroc. Eu égard à ces deux problématiques posées, quel est ton avis sur la binationalité ?
affirmer que la Belgique a raté le coche. On n’a pas du tout mesuré l’importance des défis. On a trop politisé les débats sur les questions d’intégration. À gauche de l’échiquier politique, on a tendance à victimiser les Belges issus de l’immigration et les étrangers. À droite, on a trop souvent fait abstraction des problèmes posés.
Comment la Belgique doit-elle alors envisager la question de la naturalisation à l’avenir ? Il faut faire un travail en amont. Il s’agit d’abord d’une question d’adhésion à des valeurs. Pour acquérir la nationalité belge, il faudrait adhérer à un corpus de valeurs : l’égalité entre les hommes et les femmes, la démocratie, les droits humains… Prenons un exemple : le parti ISLAM fondé sur l’idéologie de l’islamisme politique. Ces islamistes adhèrent à la nationalité belge sans adhérer aux valeurs démocratiques. Pire encore : ils se servent de leur nationalité belge pour saper la démocratie. C’est cela qu’il faut éviter à l’avenir.
Justement, comment pourrions-nous nous assurer que les candidats à la naturalisation adhèrent véritablement à nos valeurs démocratiques avant de leur octroyer la nationalité belge ?
Par la vérification. D’abord, il faut qu’on puisse vérifier que ces candidats maîtrisent au moins une de nos
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Lorsqu’on dispose de plusieurs nationalités, on est d’une certaine manière un « schizophrène identitaire ». Cela s’applique a fortiori lorsque les charges magnétiques des deux cultures sont très différentes. En ce moment, il y a 410 Belgo-Marocains coincés au Maroc. Cela a engendré une crise diplomatique entre les deux pays. On s’aperçoit des limites de la binationalité. Normalement, quand un Belgo-Marocain se situe au Maroc, on doit d’abord le considérer comme marocain, et réciproquement il doit être considéré prioritairement comme belge lorsqu’il se situe en Belgique. La binationalité est censée être une opportunité. En revanche, en période de guerre, et en l’occurrence de guerre sanitaire, elle n’a aucun sens. Plusieurs solutions pourraient être trouvées pour venir à bout de cette situation de crise : soit on préconise la solution diplomatique et le Maroc ouvre son espace aérien pour les vols commerciaux ; soit le Maroc doit permettre aux binationaux belgomarocains qu’ils puissent se déchoir de leur nationalité marocaine. En tout cas, il faut faire preuve de bon sens. La binationalité, de par sa complexité, cause parfois ce genre de problèmes, mais elle fait substantiellement partie de notre identité. Des solutions juridiques devraient être trouvées pour remédier à ces soucis, et ce à tous les niveaux de pouvoir. Cela relève d’abord du ressort des États. Ensuite au niveau de l’UE, je crois même qu’on devrait idéalement passer d’une citoyenneté européenne à une nationalité européenne. Et enfin au niveau international, notre humanité devrait transcender toutes les caractéristiques qui nous séparent (couleur de peau, ethnie, religion, culture…). Un monde utopique serait un monde sans frontières.
{ SOCIÉTÉ DIVERSITÉ }
En 2009, Mahinur Özdemir prêtait serment et devenait la première femme parlementaire voilée de l’histoire de l’Europe. L’année passée, c’est une nouvelle députée voilée – Farida Tahar – qui faisait son apparition dans l’espace parlementaire bruxellois. Idem pour le député fédéral Michael Freilich qui portait une kippa le jour de sa prestation de serment. Quel est ton avis sur les signes religieux ostentatoires portés par les élus ? Doit-on privilégier une interprétation inclusive ou exclusive de la neutralité de l’État ? Je vais répondre par la politique de l’autruche. Récemment, on condamnait des personnes qui refusaient de serrer la main de responsables politiques. Cependant, une fois que cette crise sanitaire sera passée, plus personne ne devrait être condamné pour un refus de serrer la main à qui que ce soit. Les questions qu’on devrait se poser sont : Qu’est-ce qu’exactement un signe religieux ? Qui suis-je pour affirmer que tel ou tel signe serait porté pour une quelconque raison religieuse ? Il y a certes des femmes qui portent un turban en raison de leur conviction religieuse, mais d’autres le portent uniquement par style. Cela mérite d’avoir une vraie réflexion. Bien évidemment que dans l’idéal, on ne devrait pas avoir de candidat qui expose sa religion. Mais si on commençait à l’interdire, ce serait pire. Il faut pouvoir se mettre dans le contexte. Ce qui compte avant tout, c’est de construire des terrains d’entente entre toutes et tous, c’est d’amener tout le monde à adhérer à un socle commun de valeurs. Notre but doit être de lutter contre les idées intolérantes de l’extrême-droite tout comme contre l’islamisme politique. Il faut replacer l’humain au cœur du débat politique. On n’aura jamais autant apprécié notre liberté que dans cette situation de confinement obligé. Pour ce qui est de la neutralité, je préconise plutôt la laïcité. Le modèle français où l’État est laïc et où la religion ne dépasse pas la sphère privée me semble en réalité plus approprié. La religion a été trop souvent évoquée dans le débat public. Nous vivons malheureusement dans un pays où tout est politisé et cela ne construit pas le vivre-ensemble. Pour ce qui est de la neutralité dans l’enseignement, je m’oppose à l’apprentissage d’une seule religion car cela divise les élèves. Soit il faudrait supprimer les cours de religion pour les remplacer par un cours de citoyenneté commun, soit il faudrait instaurer un cours de religion comparée où chacun pourrait en apprendre sur la culture de l’autre.
le système de la tirette qui a pour but de rétablir une égalité dans la visibilité entre les hommes et les femmes dans le paysage politique. C’est la raison pour laquelle on devrait établir une cartographie sociologique de notre région. Pour bien comprendre, il faut saisir le contexte actuel. Le « marché électoral » est partagé entre deux grandes formations politiques à Bruxelles. D’un côté, on a les libéraux qui s’intéressent d’abord aux habitants des quartiers chics de la capitale. De l’autre, on a le Parti socialiste qui représente de façon déséquilibrée les Belges d’origine marocaine et turque. Ensuite, viennent s’ajouter Ecolo et le CDH qui tentent de grapiller un maximum l’électorat du PS. Pour mettre fin à cela, je propose qu’on mette en place un système de quotas de façon à ce que toutes les couches de la population bruxelloise puissent être représentées. Nous vivons dans un pays profondément communautaire et structurellement communautariste. Quitte à devoir l’assumer, faisons-le jusqu’au bout. De plus, nous vivons dans un monde de corporations. Tout le monde a besoin de se sentir représenté par ses semblables. Il faut être beaucoup plus sensible à la diversité dans notre société. Les femmes ont besoin d’être représentées par des femmes, les indépendants ont besoin d’être représentés par des indépendants, et c’est exactement pareil pour les jeunes d’origine étrangère. Les gens ont besoin de modèles, d’exemples. Si la diversité ne s’identifie pas à des exemples, elle se sentira rejetée. Si on ne considère pas la diversité, elle se tournera vers d’autres opportunités, mais surtout elle se repliera sur ellemême. La considération des élus d’origine étrangère est essentielle dans notre société.
Dernière question : multiculturalité interculturalité, quelle est ta préférence ?
ou
La multiculturalité, c’est un projet commun qui se limite à l’économie. Conformément au modèle anglo-saxon, elle vise l’épanouissement de chacun mais uniquement au sein de sa propre communauté. L’interculturalité va beaucoup plus loin, il s’agit de co-construire. L’interculturalité, c’est le fait de construire tous ensemble un projet de société où on adhère toutes et tous à des valeurs communes. Mais de ces deux notions, je privilégie le terme de citoyenneté, bien plus même que celui de nationalité, car être citoyen c’est être acteur de son destin. La citoyenneté ne laisse personne sur le côté, et c’est ce vers quoi on doit tendre.
En janvier dernier, tu affirmais sur le plateau télé de BX1 que les listes électorales devaient être établies en tenant compte de la composition sociologique de la région Bruxelles-Capitale. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Une composition sociologique, c’est une étude de terrain. Il faut s’inspirer de la démarche empruntée par
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{ SOCIÉTÉ DIVERSITÉ }
HISTOIRE DE L’IMMIGRATION EN BELGIQUE Depuis le XIXe siècle, notre pays a connu diverses vagues d’immigration en fonction des différentes périodes de son histoire. À l’époque de la création de l’État, il n’existait aucune unité nationale, le Belge étant originellement le fruit d’un mélange des cultures française, néerlandaise et allemande. La première vague de migration en Belgique est d’abord interne. À partir des années 1860-70, de nombreux Flamands quittent la Flandre pour travailler dans le secteur industriel wallon. Après la Première Guerre mondiale, on assiste à une immigration de main-d’œuvre dans le but de reconstruire le pays. Ces ouvriers étrangers venaient principalement de France, d’Italie, de Pologne et même d’Afrique du Nord. Cependant, la crise économique des années 30 changera la donne. Le gouvernement va limiter drastiquement l’entrée des étrangers car il n’y a plus assez de travail pour tout le monde. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie belge est confrontée à un cruel manque d’effectifs. La Belgique fait à nouveau appel à l’immigration pour apporter de la main-d’œuvre dans les mines afin de faire fonctionner nos entreprises belges. En 1946, un accord historique est conclu entre la Belgique et l’Italie qui envoie 50.000 de ses ressortissants. Malheureusement, dix ans plus tard surviendra la catastrophe de Marcinelle qui causera la mort de 262 personnes, dont 136 mineurs italiens. L’Italie décide alors de suspendre l’émigration vers la Belgique. En conséquence, l’État belge octroie de nouveaux droits, mais aussi impose des devoirs à ses nouveaux arrivants, et ce, notamment en matière de sécurité sociale. De plus, on facilite les conditions du regroupement familial. En quelques années, l’immigration en Belgique devient progressivement une immigration de peuplement. À la fin des années 60, le monde est confronté à une nouvelle crise économique : la croissance s’estompe et le chômage augmente. À partir de 1968, le gouvernement belge refuse de donner de nouveaux permis de travail aux étrangers. En 1974, la Belgique met brusquement fin à sa politique d’immigration, à l’exception des ressortissants des pays membres de l’UE et des travailleurs très qualifiés. En 1980, est adoptée la loi historique qui organise « l’accès
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au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ». Celle-ci ne cessera d’être modifiée de manière restrictive à plusieurs reprises. Dans les années 90, la Belgique mène une campagne de régularisation des sans-papiers. Ce phénomène va s’intensifier à partir des années 2000 lorsque la coalition Arc-en-ciel arrive au pouvoir : le regroupement familial est encouragé, l’obtention de la nationalité est facilitée et de nombreux clandestins sont régularisés. En 2008, lors de la crise des subprimes, la Belgique est repassée à une immigration économique en recherchant avant tout des travailleurs qualifiés. L’accord de gouvernement de 2014 a changé la donne. La politique belge en matière d’immigration s’est inscrite dans une logique répressive et restrictive à l’égard des droits des migrants. Les discours amalgamant et stigmatisant du secrétaire d’État de la N-VA, Théo Francken, ne sont pas passés inaperçus et ont contribué à renforcer l’image négative du migrant et du demandeur d’asile. Le bilan de la politique migratoire du gouvernement Michel 1er, à travers notamment une augmentation de son budget « éloignement » de l’ordre de 35% fut l’objet de nombreuses polémiques. Les délais de procédure du regroupement familial furent allongés, les régularisations furent limitées, la lutte contre les mariages de complaisance fut renforcée, des campagnes de dissuasion furent menées et les conditions d’accès à la nationalité belge devinrent plus strictes. Plus généralement, on a assisté à une extension massive des centres fermés. En septembre 2018, le Premier ministre Michel annonce devant l’Assemblée générale des Nations Unies que la Belgique signera le Pacte de Marrakech sur les migrations. La N-VA, alors parti membre du gouvernement, s’oppose publiquement à la signature de ce Pacte. La Chambre des Représentants approuve à la majorité absolue la proposition de résolution onusienne. Cela aboutira trois jours plus tard à la démission des nationalistes flamands au sein du gouvernement fédéral. D'après le think tank « Itinera Institute », la Belgique est devenue une nation d'immigrants et d’ici à 2060, un Belge sur deux sera d’origine étrangère en raison d'une forte immigration continue et d'un taux de natalité plus élevé des étrangers d'origine non-européenne.
{ CARICATURE }
/ CARICATURE / PAR CORALIE BOTERDAEL
Info Minute Soupe On donne la becquée aux individus, on les gave comme des oies avec des messages ficelés en deux coups de cuillère à pot. Des séries d’informations, plus ou moins impressionnistes, pullulent dans nos dépêches, nos téléviseurs mais aussi nos fils d’actualité. Car si les médias envahissent le devant de la scène, les réseaux sociaux tiennent, eux aussi, la dragée haute. Tous ont un truc à dire sur tout. Les médias de masse comme les masses de quidams s’en donnent à cœur joie pour nous abreuver de leur point de vue en toute immédiateté sur des questions en tout genre. Tous azimuts et séance tenante, se propagent de multiples réflexions mais, notre temps de réflexion, lui, se raccourcit de plus en plus. Cette info instantanée et collective devient alors une surinformation engendrant une mésinformation et donc une désinformation. La communication autour du Coronavirus ne fait hélas pas exception à ce phénomène. Combien d’instructions contradictoires n’ont pas été diffusées ? Combien d’hypothèses douteuses n’ont pas été formulées ? Combien de réinterprétations d’une même donnée n’ont pas été proposées ? La multiplication des messages est un fléau pour la crédibilité de ceux-ci. Le citoyen se noie dans le flot d’informations et y perd son entendement. Les médias en première ligne sont le terreau de cette débauche de messages. Le ban et l’arrière ban y ont trouvé une tribune et une foule d’intervenants y font ce qu’ils ont à faire : ils interviennent. Journalistes et spécialistes, politiques et scientifiques, experts et reporters, auteurs et chroniqueurs… Tout le monde à voix au chapitre, tant et si bien qu’on ne sait plus qui croire, qu’on ne sait
plus que croire. Un proverbe allemand dit : « Mieux vaut pas de cuillère que pas de soupe » ; pourtant aujourd’hui, l’enveloppe semble davantage importer que le message. Et des articles aguicheurs aux titres choc ne révèlent parfois plus que des contenus en toc. Dans la course à l’audimat, l’impatience tient lieu d’urgence, la présomption supplée la certitude, la liberté d’expression triomphe de la prudence, la responsabilité et la déontologie. On n’hésite pas à bombarder les citoyens d’informations anxiogènes qui témoignent certes de leurs peurs mais créent bien plus des psychoses collectives. Les annonces ne sont plus passées au bistouri ; elles sont dilatées, botoxées et administrées par baxter à des gens atteints de boulimie informationnelle qui deviennent peu à peu des nymphos de l’info ou pire, des tox de l’intox. La surenchère médiatique envahit tous les canaux de communication et les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Ils incarnent les zébrures du quatrième pouvoir. Mais si les médias ne sont déjà pas une fenêtre neutre sur l’extérieur, les réseaux le sont encore moins. Les citoyens vivent au rythme des amas d’informations en continu et des fils de commentaires à l’infini. Tandis que les médias les retiennent à coups de scoops sur l’actualité, les internautes le font à coups de poings sur le clavier. De part et d’autre, c’est le même combat : quand les uns sont les pantins du buzz, les autres sont des esclaves du like ! Les réseaux sociaux abritent tout un macrocosme, ils sont le relai des journalistes, des politiciens mais aussi des personnes lambda qui cherchent à rapidement se bâtir une e-réputation. On publie une image, un schéma, une citation, un article, une vidéo et on partage. Ensuite, tout le monde y va de son commentaire, chacun a un avis à donner ; qu’il soit truffé de fautes d’orthographe et qu’il propose la dose intellectuelle d’une petite cuillère, on s’en moque… Ce qu’on gagne en quantité, on le perd en qualité. Sans oublier que voyageant en vase clos, cette information circulaire n’est jamais mise en perspective. Ne reflétant finalement plus que les avis d’un même point de vue, les partages et commentaires apparaissent alors en camaïeu sur la toile des internautes. Des messages informatisés pour des citoyens surinformés créent des peuples uniformisés. Est-ce cela le prix d’une parole libérée ?!
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{ ASBL FEL }
LA FEL EN PRATIQUE PAR LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANTS LIBÉRAUX
LA FEL, C’EST QUOI ? La Fédération des Étudiants Libéraux (FEL) est une organisation de jeunesse reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est ainsi présente sur la majorité des campus étudiants de l’enseignement supérieur, directement ou par le biais de l’une de ses sections locales. Principal mouvement politique étudiant, la Fédération des Étudiants Libéraux défend et propage les principes fondamentaux de liberté, de progrès, d’humanisme et de démocratie dans une optique libérale, sur les plans politique, économique, social et culturel. Elle a ainsi notamment pour but de promouvoir l’épanouissement de l’individu dans une société harmonieuse, sans distinction de sexe, d’origine économique, ethnique ou culturelle ou de convictions philosophiques ou religieuses. La FEL mène son action et prend position en totale indépendance à tout parti ou association politique ou philosophique. Elle agit en toute circonstance en se basant sur la liberté, la tolérance et le libre examen sans formuler ni invoquer aucun dogme. C’est par l’entremise de débats, de conférences, de rencontres avec des mandataires politiques, de campagnes de sensibilisation et parfois d’activités plus ludiques que la FEL est active à travers sept sections et donc sur plusieurs campus. Au rayon de leurs actions quotidiennes, les Étudiants Libéraux prennent également des positions de presse sur des thématiques étudiantes sans pour autant omettre l’actualité politique. La Fédération des Étudiants Libéraux est aussi active au niveau international puisqu’elle fait partie des Jeunesses Libérales Européennes (LYMEC) et de la Fédération internationale de la jeunesse libérale (IFLRY). Outre son active participation aux séminaires et aux Congrès de ces diverses instances internationales, la FEL y soumet des résolutions, y propose des textes, des amendements qui sont ensuite votés ou rejetés par les différentes délégations présentes.
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{ ASBL FEL }
LA FEL, C’EST QUI ?
WILLEM DRAPS
DANIEL BACQUELAINE
JACQUES SIMONET
WILLY BORSUS
Président de 1974 à 1976
Président de 1976 à 1978
Président de 1985 à 1986
Président de 1986 à 1987
GAUTIER CALOMNE
LAURA HIDALGO
ADRIEN PIRONET
Président
1re femme Présidente
Président actuel
de 2003 à 2006
de 2017 à 2018
LA FEL, POURQUOI ? Voici les témoignages de quatre de nos membres. Chacun d’entre eux représente un aspect de la FEL. Alexandre Somma dépeindra la FEL en général ; Ömer Candan, quant à lui, décrira ce que peut vivre un membre au sein d’un cercle étudiant, Adeline Berbé parlera, ensuite, de son expérience en tant que rédactrice en chef ; et pour terminer, John de Coster interviendra en tant qu’ancien délégué aux relations internationales.
ALEXANDRE, VICE-PRÉSIDENT DE LA FEL « La FEL m’a apporté beaucoup de richesses. Elle m’a permis de mieux comprendre les relations humaines, d’acquérir une expérience dans un conseil d’administration, dans la politique en générale et également dans la gestion d’un cercle étudiant et plus largement d’une ASBL. Elle m’a, en outre, aidé à savoir défendre mes valeurs et à me positionner politiquement parlant. Grâce aux diverses activités organisées par la FEL, j’ai pu avoir un meilleur regard, enrichir mon expérience personnelle, savoir m’affirmer et prendre des décisions. Les événements qui m’ont le plus apportés sont la visite des camps de concentration d’Auschwitz-Birkenau et celle du syndicat libéral de Belgique (CGSLB). Tout d’abord, la découverte des camps de concentration a été pour moi une vraie prise de conscience, j’ai pu m’y rendre réellement compte des faits et de l’horreur qui s’y sont déroulés. Chaque personne devrait avoir la possibilité de voir ces camps, au cours de la visite, notre vision de la vie et de l’histoire change. C’est un devoir de mémoire. Ensuite, la visite de la CGSLB a été une expérience très intéressante car le monde syndical est quelque chose d’assez méconnu, flou et opaque. Bien souvent, l’image que les gens en ont est un peu faussée, car ils pensent aux grèves, aux manifestations, etc. Cette rencontre m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement d’un syndicat, mais aussi, d’appréhender les processus de décision ainsi que le cadre et les règles qui entourent leurs actions. »
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{ ASBL FEL }
ÖMER, VICE-PRÉSIDENT DU CEL ULB ET TRÉSORIER DE LA FEL « Participer à la vie du cercle des étudiants libéraux de l’ULB a été très instructif pour moi. Cela implique beaucoup de rigueur, d’organisation et de confiance dans les autres membres du cercle. De plus, il faut faire preuve d’une capacité d’innovation constante pour inciter les étudiants à s’intéresser à la politique. Grâce à mon implication au sein du CEL ULB, j’ai pu acquérir de la maturité, le sens des responsabilités et j’ai pu aussi renforcer ma façon de débattre et améliorer mon argumentation. Une activité organisée l’année passée par le cercle et qui m’a particulièrement marqué était la conférence sur la justice. En tant qu’étudiant en droit, j’ai trouvé le débat très enrichissant car il y avait des intervenants d’obédiences politiques différentes et du monde de la justice. Cet évènement m’a permis d’ouvrir les yeux sur certaines choses et de construire ma réflexion. Grâce aux diverses activités, j’ai également rencontré beaucoup d’amis de différents horizons et partis. Ce que je pourrais dire, c’est que je trouve qu’il est indispensable pour tout étudiant de s’investir au sein d’un cercle ou d’une organisation. Cela permet, toujours selon moi, de pousser l’épanouissement de l’étudiant au maximum et on en garde de très beaux souvenirs. »
ADELINE, RÉDACTRICE EN CHEF DU BLUE LINE « Être rédactrice en chef m’apporte beaucoup. Tout d’abord, une expérience dans un milieu professionnel, j’ai par exemple appris à gérer une équipe. Ensuite, un précieux enseignement sur la rédaction et la construction de texte qui m’est pratique dans la vie de tous les jours mais surtout pour mes études. Au-delà, lire nos chers articles me permet de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et d’enrichir ma connaissance sur la politique. Une réalisation qui m’a beaucoup apportée est l’importante réforme que nous avons consacrée à notre magazine. Après de nombreuses réflexions et transformations, le Libertines est devenu le Blue Line. Cette révision m’a permis d’acquérir de l’expérience et surtout de m’épanouir en voyant le travail que nous avions accompli. J’étais fière de participer à son inauguration le 20 novembre dernier et chaque fois que nous en publions un nouveau, j’ai hâte de le recevoir et d’admirer le résultat. »
JOHN, ANCIEN DÉLÉGUÉ AUX RELATIONS INTERNATIONALES ET RÉDACTEUR EN CHEF DU LIBERTINES « Déterminer en si peu de mots ce que la FEL a pu m’apporter relève presque de la cruauté. Je dois mentionner la camaraderie dans laquelle, somme toute, se noient les quelques tensions qui ont pu survenir. Je pourrais parler des débats politiques, philosophiques, idéologiques, tous aussi enrichissants. Ou encore la formation, par la pratique, de la mise en place d’évènements politiques, de leur organisation, de leur médiation, de leur pilotage parfois. Pourtant, ce que je retiendrai par-dessus tout, ce sont les enseignements accumulés aux deux postes que j’ai préféré occuper : celui de rédacteur en chef et celui de délégué aux affaires européennes. J’y ai appris la relativité du plurivers qu’est le libéralisme. Le recours à un lexique astrophysique n’est pas fortuit, tant ce courant de pensée est riche en variations et spécificités. Elles sont propres à chaque contexte national, comme j’ai pu le constater au LYMEC. Mais plus encore, elles sont rattachables à l’échelle individuelle, comme cela transparaissait à travers des articles et cartes blanches que je récoltais dans le cadre du Libertines. À la vérité, ce que le Libéralisme à d’universel renvoie assurément à ses nuances… à ses libéralismes. Autant de fenêtres d’opportunité ouvrant sur une galaxie de possibles à faire advenir, avec pour seules valeurs centrales, la liberté et l’équité. J’y ai appris qu’être libéral, au fond, c’est s’approprier un magma d’idées pour se construire une pensée que l’on sait personnelle, qu’il convient ensuite de partager pour la faire évoluer. »
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{ RÉSEAUX SOCIAUX }
VU SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX Certains usent (et abusent) des réseaux sociaux. L’actualité, elle aussi, n’y échappe pas. Parce qu’on ne peut se résoudre à garder ces quelques « perles » pour nous, en voici un échantillon. Attention, ça pique !
Si si, le Président des États-Unis a bel et bien dit ça...
On ne peut pas vraiment lui donner tort...
« Au bal masqué, ohé, ohé ! [...] Devinez, devinez, devinez qui je suis. »
Avouez-le, vous êtes aussi tombés dans le piège.
Aaaah ces PowerPoint !
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© Fédération des Étudiants Libéraux
BLUE LINE PRÉSIDENT ET ÉDITEUR RESPONSABLE : Adrien PIRONET Avenue de la Toison d’or, 84 - 86 1060 Bruxelles
CONTACT : Tél : +32 2 500 50 55 info@étudiantslibéraux.be
RÉDACTRICE EN CHEF : Adeline BERBÉ
RÉDACTION : Adeline Berbé, Coralie Boterdael, Constantin Dechamps, Louis d’Epenoux, Antoine Dutry, Guillaume Ergo, Amaury Ernst, Mikaël Hosseini, Ernest Maes, Adrien Pironet
DIRECTION ARTISTIQUE : Daphné ALGRAIN
AVEC LE SOUTIEN :
ÉTUDIANTS L I B É RAU X