Interview Jean-Pierre Faber
« Une meilleure exploitation des données est cruciale pour la CSSF » Véritable colonne vertébrale de l’économie luxembourgeoise, le secteur financier a lui aussi entamé sa transformation digitale. Cela a évidemment des implications concrètes pour son régulateur, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Le directeur de l’établissement, Jean-Pierre Faber, nous explique sa vision de ce que sera la CSSF 4.0.
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TRANSFORMATION DIGITALE MAI 2021
RGPD : AUCUNE AMENDE ADMINISTRATIVE Depuis l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), le 25 mai 2018, le nombre de réclamations déposées à la CNPD (Commission nationale pour la protection des données) a augmenté en 2018 (environ 450, soit plus du double de l’année précédente) et en 2019 (plus de 600). Il en va de même pour les contrôles en entreprise (12 en 2018, et 33 en 2019). 526 violations de données ont, en outre, été notifiées à la CNPD depuis le 25 mai 2018. Si 140 réclamations ont conduit à l’adoption de « mesures correctrices », aucune amende administrative n’a été délivrée au Luxembourg depuis l’entrée en vigueur du RGPD.
Au-delà des ressources humaines, quelles sont les nouvelles technologies à l’étude au sein de la CSSF ? D’importants efforts ont déjà été réalisés au niveau de la collaboration interactive en temps réel avec les acteurs du secteur financier. Cela prend forme, par exemple, au travers de la mise en place d’une Dropbox CSSF, de l’intensification de l’implémentation de guichets digitaux. e-Prospectus est notre guichet destiné au traitement des final terms ; eDesk concerne la vie d’un agrément OPC (organisme de placement collectif, ndlr), le registre des comptes bancaires est destiné à l’AML (anti-money laundering, ndlr) pour différents organismes gouvernementaux. En parallèle de ceci, nous menons des projets nous permettant d’aller encore plus loin dans l’innovation. Avec le SnT (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust de l’Université du Luxembourg), nous menons un projet qui vise à analyser des dizaines de milliers de prospectus autorisés afin de nourrir un système de machine learning qui nous permettrait d’automatiser l’autorisation de certains fonds d’investissement standards. Au final, notre idéal pour une CSSF 4.0 serait de parvenir à une surveillance en temps réel des entités régulées, avec l’aide des nouvelles technologies. Cellesci nous aideraient à l imiter le coût de la surveillance, aujourd’hui assumé en partie par les acteurs de l’industrie. Aujourd’hui, la digitalisation et l’automatisation nous permettent de rendre nos contrôles plus rapides, efficaces
Matic Zorman
Concrètement, comment vous organisez-vous pour atteindre ces objectifs ? Nous visons, ensemble, à travailler sur les qualités professionnelles de nos collaborateurs, au développement de nos « talents intrinsèques ». Il s’agit d’un travail de longue haleine, que nous avons articulé autour de plusieurs axes. Le premier est lié aux ressources humaines. La CSSF a 30 ans et a connu une importante évolution au cours des dernières années, avec plus de 300 engagements en l’espace de cinq ans. Nous comptons aujourd’hui près de 1.000 collaborateurs, qui ne sont pas tous des digital natives. Il faut donc mettre en place un plan d’upskilling,
qui permette à la fois d’identifier les compétences indispensables aujourd’hui et demain, et de former les personnes qui doivent l’être. Plus largement, il faut que nos collaborateurs puissent comprendre les évolutions du marché dans le domaine des nouveaux outils et services qui y sont proposés. Par ailleurs, il est crucial pour nous de parvenir à exploiter au mieux les données transactionnelles, la « data pure », dans le respect des règlements européens, évidemment. Pour mener cette tâche à bien, nous aurons besoin de développer nos compétences dans le domaine des data scientists, en nous formant, mais également en ayant recours à des recrutements externes.
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La transformation digitale des acteurs financiers a connu une importante accélération au cours des dernières années, et plus encore suite au Covid-19. En quoi est-ce important pour la CSSF de suivre le mouvement ? Comme vous le mentionnez, le marché lui-même a vu éclore dernièrement un nombre important de nouvelles solutions digitales : la blockchain, les cryptomonnaies, les tokens, etc. Nous devons donc nous adapter par rapport à cette évolution, pour servir à la fois de facilitateur de la transformation digitale pour les entités régulées, mais aussi de garde-fou. Les attentes du marché sont en effet élevées : les acteurs attendent de nous une grande réacti vité et une réelle transparence, ils ne veulent pas voir leur croissance commerciale entravée. Pour eux, la digitalisation, notamment l’automatisation de certains processus, est en effet une nécessité, car elle leur permet certes de réduire leurs coûts dans un contexte de diminution des marges, mais surtout d’être plus dynamiques, plus agiles, tout en maintenant un niveau de qualité élevé. D’un autre côté, la société civile et les pouvoirs publics souhaitent que nous jouions notre rôle de protecteur par rapport aux éventuelles dérives que cette digitalisation pourrait entraîner. Notre priorité reste en effet de garantir la stabilité du m arché et la réputation de la Place luxembourgeoise. Nous devons donc trouver le bon équilibre entre ces deux exigences.