Tax & Legal JANVIER 2022
DÉFI MONDIAL
La transparence fiscale à l’ère digitale – INTERVIEW PASCAL SAINT-AMANS
« Juncker résistait, Bettel a décidé de tout nettoyer » – INTERVIEW NICOLAS MACKEL
« La fiscalité n’est pas un critère déterminant pour l’attractivité du Luxembourg » – CHALLENGE
Comment la compétition fiscale entre pays opère-t-elle encore ? – INTERVIEW JEAN-PAUL OLINGER
« Ne restons pas sur le banc de touche ! » – AGENDA RÉGLEMENTAIRE
Fiscalité : la grande vague réglementaire
Looking for cross-border legal advice? Discover GSK Stockmann.
Édito #Challenge
www.maisonmoderne.com Téléphone : 20 70 70 E-mail : publishing@maisonmoderne.com Courrier : BP 728, L-2017 Luxembourg Bureaux : 10, avenue de la Liberté Luxembourg-Gare
L’inévitable tour de vis fiscal
fondateur
Mike Koedinger ceo
Geraldine Knudson directeur administratif et financier
Etienne Velasti
Rédaction Téléphone : (+352) 20 70 70 Fax : (+352) 29 66 19 E-mail : press@paperjam.lu Courrier : BP 728, L-2017 Luxembourg directrice de la publication
Bérengère Beffort
directrice des développements éditoriaux
Nathalie Reuter
rédacteur en chef digital
Nicolas Léonard
rédacteur en chef print
Thierry Raizer
secrétaire de rédaction
Jennifer Graglia free-lances Alex Barras, Quentin Deuxant, Sébastien Lambotte, Michaël Peiffer, Jeanne Renauld photographes
Romain Gamba, Hervé Thouroude, Matic Zorman, Guy Wolff correction
Maison Moderne Brand Studio Téléphone : (+352) 20 70 70-300 Fax : (+352) 29 66 20 E-mail : regie@maisonmoderne.com director brand studio
Youcef Damardji
strategic business development advisor
Francis Gasparotto
head of media sales and solutions
Dominique Gouviaux assistante commerciale
Céline Bayle
directeur de la création
Jeremy Leslie studio manager
Sandrine Papadopoulos directeur artistique
Marielle Voisin mise en page
Charlène Pouthier (coordination)
natureOffice.com | DE-261-JYACEBD
Please recycle. Vous avez fini de lire ce magazine ? Archivez-le, transmettez-le ou bien faites-le recycler ! Tous droits réservés. Toute reproduction, ou traduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans l’autorisation écrite délivrée au préalable par l’éditeur. © MM Publishing and Media SA. (Luxembourg) Maison Moderne ™ is used under licence by MM Publishing and Media SA. — ISSN 2354-4619
On n’en parle pas. Le sujet est tabou. Mais comment imaginer qu’au sortir d’une pandémie – si jamais on en sort un jour, et ce de préférence avant d’avoir épuisé tout l’alphabet… –, un tour de vis fiscal ne soit pas à l’ordre du jour ? Car la crise a eu un coût pour les finances publiques des États. Des États qui ont fait ce qu’il fallait. Il faut le reconnaître. Des États qui font d’ailleurs tout ce qu’il faut depuis la crise financière de 2008. Cela fait 15 ans que les politiques budgétaires et monétaires explorent des voies que l’orthodoxie n’imaginait même pas, pas plus d’ailleurs qu’un universitaire sous amphétamines… Mais la donne change. Bien sûr, la dette n’est pas un mal en soi. Elle n’est au final que le revers d’un excès d’épargne. Et si cet excès d’épargne est orienté là où il faut, c’est-à-dire pour préparer l’avenir – et on pense fortement à la décarbonisation de l’économie –, nous sommes devant une opération gagnant-gagnant. Mais cette dette existe, et on ne peut la laisser évoluer sans contrôle. La menace, pour les finances publiques, c’est le retour de l’inflation. Une hausse de l’inflation, c’est l’annonce d’une hausse des taux directeurs. Soit des intérêts de dette d’autant plus chers que l’on s’était habitué à de l’argent gratuit. Cela va mécaniquement peser sur la dette des États, des entreprises, mais aussi des ménages. Sur le terrain, on pourra ainsi voir si les entreprises zombies existent… On risque surtout de voir des ménages en difficulté. Des ménages qui, au Luxembourg, sont fortement endettés pour se loger. Les budgets sociaux devront faire face. Seulement, augmenter les impôts n’est pas si simple. Le faire revient à mettre potentiellement en cause la relance, et même la compétitivité du pays. Qu’augmenter ? La TVA ? L’impôt sur les sociétés ? Les taxes foncières ? Des choix qui demanderont pédagogie et diplomatie… Ça tombe bien, le nouveau ministre des Finances est une diplomate… Auteur MARC FASSONE
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
3
www.atoz.lu
Your business is unique. Your tax advice should be too. Over 15 years of leadership.
Founder & Member of the world’s largest independent tax network
Tax & Legal Janvier 2022
08 LE JOUR OÙ
… Nous avons décidé de devenir leader mondial 10 INTERVIEW NICOLAS MACKEL
« La fiscalité n’est pas un critère déterminant pour l’attractivité du Luxembourg » p. 18
16
136 pays se sont mis d’accord pour relever le défi et mettre un frein aux pratiques d’évasion fiscale des grandes multinationales.
Dossier
Game changer : une nouvelle ère de la fiscalité internationale
48 AGENDA RÉGLEMENTAIRE
Fiscalité : la grande vague réglementaire
–
18 INTERVIEW
54 AUTOMATISATION
PASCAL SAINT-AMANS « Juncker résistait, Bettel a décidé de tout nettoyer »
Rester maître de sa compliance
–
24 DÉFI MONDIAL
Un accord historique sur la fiscalité internationale
56 PROCESSUS AUTOMATISÉ
32 CHALLENGE
Automated payroll et fiscalité : un enjeu crucial
–
58 OBJECTIF CLIMATIQUE
–
Comment la compétition fiscale entre pays opère-t-elle encore ?
Londres peut-elle devenir un nouvel eldorado fiscal ?
Vers le « zéro émission nette » !
38 INTERVIEW
62 INTERVIEW CROISÉE PATRICK
36 FACE-À-FACE
Photo
Matic Zorman
Collage
Marielle Voisin
JEAN-PAUL OLINGER
WEYDERT ET CATHERINE BOURIN
« Ne restons pas sur le banc de touche ! »
« On répond désormais mieux aux besoins de l’industrie »
44 PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR
Voyage à travers l’histoire des impôts au Luxembourg
66 FORECAST p. 10 D’après le CEO de Luxembourg for Finance, quand on veut faire du business à l’échelle internationale, le Luxembourg reste l’une des Places privilégiées des acteurs au sein de l’Union européenne.
Les autres sujets réglementaires incontournables
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
5
Sur le radar
Les réglementations : sujet qui pèse sur la Place 700
TENDANCES
Top 10 des priorités réglementaires L’enquête menée conjointement par EY Luxembourg et l’ABBL analyse les priorités des banques en matière de réglementation. Les deux réglementations en tête de liste sont l’AML et Mifid 2. Celles-ci sont considérées par les banques comme les réglementations les plus importantes, probablement en raison du niveau d’effort requis pour s’y conformer, mais aussi en raison de l’impact de la réglementation sur le secteur bancaire. 1 AML 4 & 5 anti-money laundering
630
600
578 554
500
404 400
2 Mifid 2 Markets in Financial Instruments Directive
347
3 AnaCredit analytical credit datasets 4 Emir European Market Infrastructure Regulation
300
285 257
5 DGSD Deposit Guarantee Schemes Directive 6 RGPD Règlement général sur la protection des données
226
214
200
180 161
7 PSD 2 Payment Services Directive 8 Priips packaged retail and insurance-based investment products 9
129
100
Outsourcing
10 AIFMD Alternative Investment Fund Managers Directive 0
6
TAX & LEGAL JANVIER 2022
AML 4 & 5
PSD 2
Mifid 2
CRD* 5
RGPD
AnaCredit
Conformité et réglementation sont des exercices éprouvants pour les banques de la Place. Budget à allouer, mise en place en interne, moyens humains, mise à jour constante… De nombreuses ressources sont nécessaires et mises en place par les banques qui n’arrivent parfois pas toutes à suivre le rythme…
3 QUESTIONS À
BUDGET
NICOLAS MACKEL
Coût moyen des réglementations
CEO Luxembourg For Finance (LFF)
La réglementation pèse-t-elle aujourd’hui trop sur l’industrie financière luxembourgeoise ? La réponse à la crise financière de 2008 était très largement de nature réglementaire. Il fallait en effet corriger certains excès révélés par les déclencheurs de cette crise. Depuis lors, on a continué à réglementer de sorte que, lorsque l’on entend les acteurs de l’industrie, on a l’impression qu’il s’agit en effet d’une surréglementation. Pour eux, le poids de cet ensemble devient trop lourd. Les dépenses pour se mettre en conformité laissent peu de souffle pour le business en tant que tel. Toutefois, si l’on regarde chaque élément du puzzle, on se rend compte qu’il est probablement justifié car il répond à un problème qui nécessitait un cadre normatif complémentaire.
En milliers d’euros 2019
2020
Source Survey on the cost of regulation and its impact on the Luxembourg financial centre, ABBL – EY Luxembourg, juin 2021
* CRD : Capital Requirements Directive Dac : Directive on Administrative Cooperation Fatca : Foreign Account Tax Compliance Act
Comment l’industrie luxembourgeoise considère-t-elle le nouveau cadre réglementaire en matière de finance durable ? Ce cadre a fait de l’Union européenne un pionnier en matière de finance durable et un leader sur ce marché. On constate d’ailleurs un fort engagement de la part des acteurs pour ces nouvelles règles, même si cela leur demande beaucoup d’efforts. Je crois que tous ont compris que cela est vital pour la planète mais qu’il s’agit aussi d’une opportunité pour l’industrie financière européenne. 142
70 54
50
61
30
Governance regulation
Dac* 6
Emir
Fatca*
Priips
Patricia Pitsch (archives)
70
88
Photo
101
89
Comment la réglementation a-t-elle affecté la perception du Luxembourg ? Ces dernières années, le Luxembourg a veillé à avoir une réglementation et une supervision des plus crédibles, car nous voulons non seulement l’être en tant que pays, mais les acteurs qui s’établissent ici veulent aussi l’être vis-à-vis de leurs clients, investisseurs et actionnaires. Tout le monde a donc intérêt à pouvoir s’appuyer sur une supervision aussi dure que nécessaire, mais aussi raisonnable que possible.
Auteur J. R.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
7
Le jour où…
... Nous avons décidé de devenir un leader mondial Cofondateur et président du conseil d’administration d’IQ-EQ, Serge Krancenblum évoque la période durant laquelle le groupe, spécialisé dans les services aux investisseurs, a pris la décision de devenir un leader international sur ce marché.
La concurrence de grands groupes Nous aurions pu poursuivre notre chemin ainsi, mais tout à coup des acteurs étrangers sont arrivés sur le marché luxembourgeois – en particulier de grands acteurs néerlandais – qui sont désormais devenus nos concurrents principaux. Leur arrivée a rapidement représenté une menace importante pour notre groupe. Ces entreprises étaient en effet capables de servir leurs clients aux Pays-Bas et au Luxembourg, mais également dans d’autres pays car elles s’étaient déjà développées de manière significative à l’international. Nous nous retrouvions donc exposés au risque de perdre certains clients, tout simplement car ils avaient besoin de services dans plusieurs pays. Cette situation s’est d’ailleurs présentée un jour. À l’époque, nous avions un tout petit bureau aux Pays-Bas. Nous y étions représentés par moins d’une Une ambition concrétisée dizaine de personnes. Résultat : l’un de nos En 2010, le groupe comptait moins de principaux clients, un fonds d’investissement 200 personnes et n’était quasiment présent de private equity, qui était à la fois client qu’au Luxembourg. Un peu plus de 10 ans chez nous à Luxembourg et aux Pays-Bas, plus tard, IQ-EQ rassemble désormais nous a quittés aux Pays-Bas. La raison invo- 3.700 collaborateurs et est actif dans 24 juriquée était claire : « Vous nous apportez un dictions. Nous aurions pu continuer à offrir bon service mais nous ne pouvons pas prendre les mêmes services, rester sur le marché luxemle risque de travailler avec une entreprise de bourgeois que nous maîtrisions, mais nous moins de 10 personnes. » avons, à l’époque, pris une décision qui était différente. Nous avons voulu devenir l’un des Une approche proactive grands acteurs de ce métier. Et nous y sommes Ces éléments ont servi de déclencheur. Plutôt arrivés. Aujourd’hui, IQ-EQ est l’une des cinq que d’adopter une politique défensive, nous plus grandes entreprises mondiales indépenavons pris la décision réfléchie, en 2010, de dantes dans son domaine d’activité. partir à la conquête de l’international et de consolider le marché des administrateurs de fonds alternatifs pour construire un groupe mondial. Nous nous sentions capables de développer notre savoir-faire sur d’autres marchés géographiques. Évidemment, pour y parvenir, Propos recueillis par J. R. 8
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Serge Krancenblum revient sur cette époque durant laquelle IQ-EQ a choisi, tout en restant bien ancré au Luxembourg, de s’orienter à l’international et d’y devenir un acteur majeur.
Romain Gamba (archives)
nous nous sommes alliés. Nous avons fait entrer des partenaires financiers au capital, qui nous ont donné les moyens financiers d’atteindre nos objectifs, mais qui nous ont également apporté les connaissances nécessaires pour aborder de nouveaux marchés rapidement. C’était le début de notre expansion à l’international. Nous nous sommes bien sûr développés de façon organique, en créant des plateformes dans certains pays. Mais, pour aller plus vite, nous avons réalisé des acquisitions importantes. Nous avons cherché et trouvé des entrepreneurs qui avaient des vues communes aux nôtres sur les marchés que nous souhaitions atteindre, des personnes qui avaient une vraie mentalité entrepreneuriale, mais qui désiraient aussi s’associer à d’autres entrepreneurs pour croître plus vite. La première acquisition à l’étranger a ainsi été conclue en 2012. Cinq autres ont suivi, dans différents pays. Mais c’est véritablement à partir de 2016 que tout s’est fortement accéléré. Entre 2016 et aujourd’hui, IQ-EQ a en effet repris 19 entreprises.
Photo
Nous étions à la fin des années 2000. Depuis plusieurs années, le groupe se portait très bien sur le marché luxembourgeois. Il était reconnu comme un acteur important en matière de création et d’administration de véhicules juridiques et de fonds d’investissement alternatifs pour une clientèle internationale.
Innovative – but always practical. Future facing with CMS
CMS is an international law firm, present in Luxembourg since 2011, that helps clients to thrive through technical rigour, strategic expertise and a deep focus on partnerships.
cms.law
Interview Nicolas Mackel
« La fiscalité n’est pas un critère déterminant pour l’attractivité du Luxembourg » Comment la perception du Luxembourg évolue-t-elle depuis l’étranger ? Si le pays n’est pas épargné par les médias internationaux, peinant à se défaire d’une image de paradis fiscal héritée du passé, les acteurs économiques mondiaux apprécient la place financière pour ses atouts structurels. Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for Finance, a accepté d’évoquer ces enjeux. 10
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Matic Zorman Photo
Nicolas Mackel a à cœur de promouvoir et de défendre la place financière luxembourgeoise.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
11
Interview Nicolas Mackel
Comment expliquer que le Luxembourg souffre encore tant de cette image de « paradis fiscal » ? Je nuancerais ce constat. Il est vrai que le Luxembourg souffre toujours d’une mauvaise image, mais principalement dans l’opinion publique, auprès ou à cause de certains médias et de certaines personnalités politiques. Toutefois, pour les acteurs du business et du monde financier à l’international, la perception du Luxembourg est toute différente. Ces acteurs, qui connaissent la réalité économique et fiscale du pays, ont du Luxembourg une excellente image. Je crois qu’il est dès lors important de pouvoir faire la différence entre la perception qu’a le monde financier de notre Place et les problèmes résiduels d’image du Luxembourg dans les médias. « Résiduels », dites-vous. Cette mauvaise opinion que l’on se fait du Luxembourg est donc essentiellement un héritage du passé ? Oui. Elle est liée à deux facteurs principaux. D’abord, l’existence du secret bancaire, qui a permis pendant des années à des ressortissants étrangers, en l’absence d’échange d’informations sur ce que contenaient les comptes, de placer leur argent au Luxembourg dans l’optique d ’échapper à leur administration fiscale nationale. Ensuite, LuxLeaks a mis en lumière la pratique de décision anticipée en matière fiscale ou ruling, à laquelle recourent d’ailleurs tous les pays industrialisés. Mais, comme beaucoup de journalistes me l’ont dit, seuls les exemples l uxembourgeois ont été pointés, faisant de cette pratique un problème luxembourgeois. Ces deux facteurs font que le Luxembourg se retrouve toujours considéré comme un paradis fiscal dans l’opinion publique. Depuis lors, qu’est-ce qui a changé ? Quelles évolutions permettent d’affirmer que le Luxembourg n’est plus ce paradis fiscal tant décrié ? D’abord, le secret bancaire a été totalement enterré avec la mise en œuvre de l’échange automatique des informations entre administrations fiscales. Concernant la pratique des rulings, elle est considérablement limitée, ne représentant plus qu’une fraction de ce qui se faisait par le p assé. Sur le plan fiscal, on vit dans un monde complètement différent de celui que l’on connaissait il y a quelques années de cela. Il se caractérise désormais par la transparence qu’apporte l’échange automatique d’informations. Les administrations fiscales sont beaucoup plus vigilantes par rapport à ces enjeux et coopèrent mieux. Et, malgré cela, ou peut-être grâce à cela, le Luxembourg et sa place financière se portent très bien. Si l’on considère l’activité dans le domaine de la banque privée, en 2014, le volume d’actifs sous gestion au Luxembourg s’élevait à 280 milliards d’euros. Aujourd’hui, il est de 508 milliards d’euros. Cela démontre que les gens viennent désormais au Luxembourg pour d’autres raisons que la fiscalité.
cultures de différents pays. Nous ne sommes pas une Place dirigée vers le marché domestique. Quand on veut faire du business à l’échelle internationale, le Luxembourg reste l’une des Places privilégiées des acteurs au sein de l’Union européenne. Le troisième facteur, c’est la stabilité qu’offre le pays. Cela peut sonner comme convenu, mais c’est un élément que citent tous les investisseurs parmi les principales raisons pour lesquelles ils ont choisi Luxembourg. La dernière enquête médiatique jetant l’opprobre sur le Luxembourg, OpenLux, questionnait le recours à des holdings établies au Luxembourg par des acteurs étrangers... Une attaque elle aussi injustifiée, selon vous ? Ce qu’OpenLux a surtout mis en évidence, comme l’a commenté Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, c’est que Luxembourg est un centre financier international. Ce qui, en soi, n’est pas une nouvelle. L’un des reproches formulés réside dans le fait qu’au Luxembourg, on dénombre 3,6 sociétés par habitant. Lorsque l’on compare la situation du Grand-Duché à celle d’autres places financières, comme Paris ou Francfort, le nombre de sociétés par habitant est tout à fait similaire. Il faut que les médias prennent conscience que l’on est une place financière importante. Point. Et, à ce titre, au départ de Luxembourg, pour opérer des investissements, il est nécessaire de passer par des structures sociétales. Il n’y a rien de mal à mettre en place un véhicule commercial pour gérer des participations qui, au départ de Luxembourg, de Paris ou encore de Francfort, contribueront au développement d’activités à l’international. Ces enquêtes autour de la fiscalité font les gros titres à intervalles réguliers. Comment réagissez-vous à chaque fois que l’une d’elles pointe le Luxembourg ? J’éprouve une grande lassitude. Je me demande à chaque fois ce qui justifie cet acharnement, cette fixation sur le Luxembourg. Pour les Pandora Papers, on a vu que le rôle du Luxembourg était marginal, mais que c’était surtout envers les personnes fortunées, le Royaume-Uni et les ÉtatsUnis que les critiques étaient formulées. Mais si l’on revient sur OpenLux, finalement, c’est la transparence dont nous faisons preuve, davantage que d’autres juridictions d’ailleurs, qui a permis à des médias de se rendre compte que d ’importants flux financiers passaient par le Luxembourg.
Les médias ne seraient pas sensibles aux arguments que vous avancez ? Lorsque les journalistes interrogent les particuliers et les sociétés qui décident de se structurer au départ du Luxembourg, les réponses justifiant leur choix résident dans les raisons évoquées plus tôt. Pour les médias, c ependant, Quelles sont ces autres raisons ? cela ne tient pas. Il doit y avoir autre chose. La question On peut évoquer trois principaux facteurs. Il faut princi- le plus souvent soulevée est : qu’est-ce qui justifie qu’un palement relever l’expertise luxembourgeoise, que ce soit Allemand ou un Français aille au Luxembourg pour quelque dans la banque privée, dans les fonds ou n’importe quel chose qu’il peut très bien faire de chez lui ? autre domaine de notre secteur financier. Deuxièmement, la dimension internationale de la Place luxembourgeoise, Quelle est votre réponse à cette interrogation ? cette ouverture vers l’extérieur qui est profondément Cela fait 70 ans que l’on construit l’Europe. Au niveau du inscrite dans son ADN, est une autre caractéristique Luxembourg, on s’est spécialisé dans certaines a ctivités essentielle. On y parle plusieurs langues, on y intègre les que, peut-être, on parvient à mieux faire que d’autres.
12
TAX & LEGAL JANVIER 2022
BIO EXPRESS Début diplomatique Nicolas Mackel fait ses premières armes à l’international pour le compte du ministère des Affaires étrangères en 1999 en occupant différents postes de diplomate à Bruxelles, Washington et en dernier lieu à Shanghai en tant que consul général. Ambassadeur Il est depuis 2013 le CEO de Luxembourg for Finance. Avec un rôle de véritable ambassadeur de la place financière à travers le monde, il est devenu incontournable. Il a, au début de l’année 2021, reçu l’appui des membres de Luxembourg for Finance pour un troisième mandat de CEO qui va courir jusqu’à l’été 2025.
Interview Nicolas Mackel
Dès lors, cela a du sens pour des acteurs européens de s’appuyer sur l’expertise dont on dispose ici. Ce sont 200 ans d’enseignements économiques qui s’appliquent ici. Depuis Adam Smith et David Ricardo, on sait que la spécialisation, en économie, participe à un comportement rationnel. Après avoir intégré le nouveau cadre fiscal défini au niveau de l’OCDE, avec Beps, et transposé au niveau de l’Union européenne Atad 1 et 2, Dac de 1 à 6, Luxembourg reste aujourd’hui l’un des principaux hubs financiers pour les investissements internationaux. C’est la preuve que notre réussite est liée à notre spécialité, parce que cela a du sens de structurer ses investissements au départ du Luxembourg, pour d’autres raisons que la fiscalité. C’est l’Europe. Si le Luxembourg n’a pas ménagé ses efforts pour garantir la plus grande transparence, c’est peut-être parce qu’à un moment donné, il n’avait pas le choix… Mais le monde entier n’avait pas le choix. Les personnes, après la dernière grande crise, a compris que le monde devait changer. Vous vous souvenez peut-être de la d iscussion qu’il y a eu à l’époque autour du secret bancaire. Le gouvernement en place à ce moment-là pensait, avec la connaissance que l’on avait alors, qu’il valait mieux défendre une position favorable à sa suppression, mais seulement si tout le monde le faisait. Avec le recul que l’on a aujourd’hui, on peut se dire que cette position n’était pas la plus opportune et que l’on aurait dû abolir cela plus tôt. Cela nous aurait évité de nous retrouver sur une liste grise « Global Forum » sur l’échange automatique d’informations. Mais ça, c’est le bénéfice du recul.
« Dire qu’il n’y a plus aucune différence entre les juridictions d’un point de vue fiscal, ce serait faux, voire nocif. » NICOLAS MACKEL CEO Luxembourg For Finance
Quelle est la marge de manœuvre luxembourgeoise, sur le plan fiscal, pour améliorer son attractivité sans que le pays se voie à nouveau pointé du doigt ? Comme je le disais, cette image de paradis fiscal ne perdure que dans l’opinion publique. Pour le monde des affaires, quand on regarde la position du Grand-Duché, on est dans la moitié supérieure du tableau des juridictions à la fiscalité sur les sociétés la plus élevée. Il ne faut pas prendre part à une course à la réduction du taux d’imposition. Il y a cependant une marge de manœuvre, des possibilités, pour réduire ce taux dans une optique de préservation de l’attractivité, pour continuer à attirer des acteurs et rester cette place financière importante. C’est cela qui a fait la richesse du pays et qui nous permet de payer nos politiques sociales. Il faut donc continuer à être attractif pour garantir le modèle social luxembourgeois. On ne peut pas le faire uniquement à travers la fiscalité. On ne peut pas le faire non plus sans attractivité fiscale. Il faut agir avec raison, comme ne manqueront pas de le faire d’autres pays dans le respect du cadre international commun.
Le Luxembourg peut-il encore se permettre de jouer sur la fiscalité pour renforcer son attractivité ? C’est un levier sur lequel on peut toujours continuer à tra- Comment le Luxembourg, aujourd’hui, peut-il vailler. Il faut savoir que le cadre européen et global, concer- travailler à améliorer son image ? nant la fiscalité, a complètement changé. Chaque État Vis-à-vis des médias, il faut faire preuve de pédagogie, e xplidispose de moins de marge de manœuvre en la matière. quer ce qu’est le Luxembourg. C’est ce que je m’amuse beauDire qu’il n’y a plus aucune différence entre les juridictions coup à faire en allant à la rencontre des journalistes à Paris, d’un point de vue fiscal, ce serait faux, voire nocif. Une à Francfort, à Londres, à Bruxelles. Je réponds à leurs quessaine concurrence, dans un cadre qui permet à tout le tions et j’éclaircis les points sur lesquels ils ont des doutes. Pierre Gramegna (le ministre des Finances a annoncé monde de jouer correctement, est bénéfique pour l’économie, pour les entreprises. La fiscalité est toujours prise sa démission le mardi 30 novembre 2020, avant cette en compte en faveur d’une localisation ou d’une autre, mais interview, ndlr), d’autre part, a énormément œuvré pour elle n’est pas un facteur déterminant. Les relocalisations, montrer que le Luxembourg prend part à l’évolution des dans le cadre du Brexit, en apportent la preuve. règles fiscales, les soutient, tout en restant attractif. Au niveau de Luxembourg for Finance, nous ne sommes que le Comment cela ? porte-parole de ce que fait le gouvernement luxembourgeois Si l’on considère l’ensemble des décisions de relocalisation en la matière. Les artisans du changement, du succès prises en faveur du Luxembourg ou d’autres Places, très luxembourgeois dans un contexte t ransparent, ce sont peu l’ont été sur la base d’un critère fiscal. Souvent, trente, avant tout les membres du gouvernement. quarante, parfois cinquante critères ont été a nalysés par On aura cependant toutes les peines du monde à changer les acteurs avant d’arrêter un choix. Si la fiscalité avait l’image du Luxembourg dans l’opinion publique au cours été déterminante, tous ces acteurs auraient opté pour des 5 à 10 prochaines années. Cette perception est profonl’Irlande, où le taux d’impôt sur les sociétés est de 12,5 % dément ancrée dans l’imaginaire collectif à l’étranger. Il faut alors qu’il est de 25 % au Luxembourg. Or une grande être patient. En attendant, faisons ce que l’on doit faire : être partie de ces acteurs est venue à Luxembourg, d’autres à un pays membre responsable au sein de l’Union européenne, Francfort, Paris ou Amsterdam. Pour les attirer, chacun une place financière consciente de ses responsabilités, et a fait valoir ses avantages, la plupart du temps liés à des continuer à attirer des entreprises en cherchant à rester à éléments structurels comme l’expertise, le multilinguisme, la pointe de la finance internationale. l’ouverture à l’international, la stabilité, qui constituent les grands atouts du Luxembourg. D’autres Places peuvent Auteur S.L. faire valoir d’autres avantages. 14
TAX & LEGAL JANVIER 2022
WHERE BRIGHT MINDS MEET
The firm fosters a positive way of thinking and promotes a strong team spirit. It motivates me as I know that I can make a difference, and that the efforts I put into my work each day have an impact for me and for others. Katharina Thielges Senior Associate Tax
Find out more about our work, our people and our opportunities careers.cliffordchance.com/luxembourg
Dossier
Photos
09_credit
Game changer : une nouvelle ère de la fiscalité internationale
16
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Collage
Marielle Voisin
Fiscalité internationale
18 INTERVIEW PASCAL SAINT-AMANS « Juncker résistait, Bettel a décidé de tout nettoyer »
–
24 DÉFI MONDIAL Un accord historique sur la fiscalité internationale
–
32 CHALLENGE Comment la compétition fiscale entre pays opère-t-elle encore ?
–
36 FACE-À-FACE Londres peut-elle devenir un nouvel eldorado fiscal ?
L’accord est historique. Dès 2023, une grande réforme fiscale mondiale sera appliquée. 136 pays se sont mis d’accord pour relever le défi et mettre un frein aux pratiques d’évasion fiscale des grandes multinationales. Après d’intenses négociations, les règles fiscales internationales vont être adaptées aux réalités du 21e siècle, l’optimisation fiscale étant encore plus aisée pour les entreprises numériques. Discutée depuis des années sous l’égide de l’OCDE, c’est l’impulsion de l’administration américaine de Joe Biden qui a finalement donné le coup de pouce décisif à cette réforme mondiale, dont l’application prévoit un taux minimal d’imposition des multinationales de 15 %. Pascal SaintAmans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, revient, dans son interview, sur l’évolution de la position du Luxembourg, la notion de justice sociale et les ajustements futurs. Mais quel sera l’impact de la nouvelle donne sur le Luxembourg ? Quels seront les gains à court terme et les pertes à long terme ? La concurrence fiscale entre les États européens pourra-t-elle encore jouer, et à quel niveau ? Et le RoyaumeUni, dans tout cela ? Risque-t-il de faire concurrence à l’Union européenne en devenant un nouvel eldorado fiscal ? La mise en œuvre effective de ce game changer en 2023 montrera à quel point le taureau aura été pris par les cornes. Auteur NATHALIE REUTER
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
17
Interview Pascal Saint-Amans
« Juncker résistait, Bettel a décidé de tout nettoyer » Architecte de l’ambitieux projet Beps, le Français Pascal Saint-Amans a joué un rôle important dans la modification des législations fiscales permettant de mettre fin au secret bancaire et à l’évasion fiscale internationale. Le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE revient avec nous sur l’évolution de la position du Luxembourg à cet égard et sur les chantiers qui lui restent à mener dans le cadre de sa mission. 18
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Hervé Thouroude Photo
Pascal Saint-Amans se félicite de la « révolution fiscale » engagée par l’OCDE.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
19
Interview Pascal Saint-Amans
En l’espace de quelques décennies, les législations fiscales ont considérablement évolué pour mettre un terme à certaines pratiques comme l’évasion fiscale. Quelles sont les principales étapes de cette évolution ? Beaucoup de choses se sont en effet passées depuis la crise financière de 2008. Le cadre dans lequel on évoluait jusqu’alors a été profondément remis en cause. La première étape de cette véritable révolution a été de mettre un terme au secret bancaire, évolution qui a évidemment impacté le Luxembourg. Aujourd’hui, on peut dire que le secret bancaire fait partie de l’histoire ancienne, si ce n’est peut-être encore dans les sphères criminelles. Dans un second temps, nous nous sommes attaqués à la planification fiscale agressive, en mettant en œuvre le projet Beps (Base Erosion and Profit Shifting) initié par le G20. Ici aussi, le Luxembourg a été particulièrement concerné, notamment par rapport à sa pratique du ruling, c’est-à-dire des accords passés entre l’administration fiscale et certains contribuables. Enfin, tout dernièrement, nous sommes parvenus à un accord-cadre sur la taxation des multinationales, qui impose un impôt minimal de 15 % à ces entreprises à partir de 2023 (le 8 octobre 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques a annoncé que 136 pays ont adhéré à la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, ndlr). Grâce à cette dernière décision, on va au bout de la logique. On sait qu’il n’est pas possible de mettre un terme à toute tentative d’optimisation fiscale, mais on dispose au moins, à présent, d’une sorte de filet de sécurité contre la réduction de la charge fiscale de ces structures, qui nous garantit qu’elles payent bien un impôt.
Comment expliquer, dès lors, que le Luxembourg continue à être considéré comme un paradis fiscal par le grand public ainsi que par certains journalistes internationaux ? Il est particulièrement difficile de changer de réputation. C’est d’autant plus vrai quand on est une place financière comme le Luxembourg, avec son industrie des fonds et ses nombreux prestataires de services dont l’objectif avoué est de faciliter l’exonération fiscale. En soi, ce n’est pas un problème tant que les lois sont respectées. À mon sens, si le projet Beps n’a peut-être pas encore produit tous ses effets sur certaines pratiques au Luxembourg, je peux clairement affirmer que le Grand-Duché d’aujourd’hui, en matière fiscale, n’a plus rien à voir avec celui d’avant 2008. Pierre Gramegna, avec qui j’entretiens par ailleurs de bonnes relations, ainsi que Xavier Bettel, ont tout à fait conscience que, d’un point de vue stratégique, cela n’a plus aucun sens, pour le Luxembourg, de s’opposer à une meilleure régulation fiscale. Où un pays comme le Luxembourg doit-il placer le curseur de la réglementation pour permettre le développement du business sans faciliter pour autant l’évasion fiscale ? L’équilibre est difficile à trouver. Je dirais que, pour un petit pays comme le Luxembourg, il faut faire en sorte que les possibilités d’optimisation fiscale offertes ne soient pas trop agressives, car elles risquent d’entraîner une réaction unilatérale de plus grands pays qui, se sentant floués, voudraient se protéger. Il faut bien comprendre que le travail que nous menons est lié à une évolution macroéconomique : le passage d’une économie globalement fermée à une économie ouverte, mondialisée. Dans ce contexte, pour parvenir à une régulation plus efficace, la plupart des grands pays ont consenti à perdre leur souveraineté fiscale, au profit de règles internationales. Certains petits pays se sont engouffrés dans la brèche en proposant des régimes fiscaux plus intéressants, ce qui a été évidemment très mal pris par les grands pays, tenus de respecter des règles plus restrictives. Ceux-ci ont alors pu être tentés de se lancer par exemple dans des guerres commerciales qui, bien évidemment, ne sont dans l’intérêt de personne. Pour les petits pays, il est donc bien plus intéressant de se conformer également aux r églementations internationales, pour éviter de subir des conséquences plus dommageables encore.
Vous l’avez dit, le Luxembourg a été particulièrement impacté par ces évolutions. Comment jugez-vous son attitude par rapport à ces nouvelles exigences ? Je n’ai aucune raison de prendre des précautions d iplomatiques. C’est pourquoi je peux dire que nous avons assisté à un réel changement d’attitude du Luxembourg au moment de la transition entre le gouvernement Juncker et celui dirigé par Xavier Bettel (DP). Le Luxembourg a été un très mauvais élève dans la lutte contre l’évasion fiscale, car il tirait pleinement profit d’une mondialisation non régulée. Alors que Jean-Claude Juncker (CSV) résistait, Xavier Bettel a décidé de tout L’optimisation fiscale, en soi, n’est donc pas nettoyer. J’ai vraiment le sentiment que Jean-Claude un gros mot ? Juncker et son ministre des Finances Luc Frieden (CSV) Non, car tout le monde cherche à réduire de façon légale ont fait preuve d’un manque de sincérité. Ils ont affirmé sa charge fiscale, même vous et moi. Un problème commence vouloir prendre des mesures en matière fiscale, mais ont à se poser quand la manœuvre d’optimisation ne repose retardé autant que possible leur action concrète, s’accro- pas sur les prescrits légaux, mais cherche plutôt à e xploiter chant à la manière de fonctionner qu’ils connaissaient les trous, les brèches qui existent dans les r églementations. depuis des décennies. L’échange automatique d’informa- Aujourd’hui, on ne peut plus tolérer ce genre de pratiques tions sur les rulings avait par exemple déjà été mis en et l’impôt minimum mondial que nous avons contribué place avant même la publication des LuxLeaks, mais il à mettre en place est une réponse à cette problématique, a fallu un changement de gouvernement pour que tout une forme d’aboutissement. cela se concrétise. Évidemment, Xavier Bettel et Pierre Gramegna (DP) continuent à défendre les intérêts de leur Mettre en place ces réglementations est une chose, pays, caractérisé par son économie ouverte, mais ils savent parvenir à en contrôler le respect en est une autre. qu’il est désormais contre-productif de s’opposer à la marche Comment faire respecter la loi en la matière ? globale vers une fiscalité plus transparente. Et ils ont fait La technologie aura indéniablement un rôle à jouer pour y parvenir. Elle l’a d’ailleurs déjà fait dans le cadre du le nécessaire pour prouver leur bonne volonté. 20
TAX & LEGAL JANVIER 2022
BIO EXPRESS Un ancien de l’ENA Né en 1968 à Montluçon, Pascal Saint-Amans a suivi sa formation à l’Institut d’études politiques de Paris, à l’École des hautes études commerciales de Paris, à l’Université PanthéonSorbonne ainsi qu’à la célèbre École nationale d’administration (ENA). Ministère des Finances En France, il commence sa carrière en tant que chargé de mission à la Direction de la législation fiscale du ministère des Finances en 1996. Il y restera jusqu’en 2007, avec une parenthèse de trois années à la Commission de régulation de l’énergie. OCDE En 2007, Pascal SaintAmans rejoint l’OCDE en tant que chef de la division chargée de la coopération internationale et de la compétition fiscale du Centre de politique et d’administration fiscales. Il en devient directeur en 2012.
PUBLIREPORTAGE
Cloud P2P Automation. Easy. Powerful. Smart.
Interview Pascal Saint-Amans
« Le Grand-Duché d’aujourd’hui, en matière fiscale, n’a plus rien à voir avec celui d’avant 2008. »
projet Beps, avec la mise en place de l’échange automatique d’informations, par rapport aux rulings notamment. Le même genre de dispositif sera mis en place pour s’assurer du respect du dernier accord-cadre sur la taxation des multinationales. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé à travailler sur la fin du secret bancaire avant d’aborder d’autres sujets : sans cette évolution, il aurait été impossible de faire circuler aussi facilement les informations émanant de différents pays. Du côté des acteurs bancaires, on ne perd pas une occasion de souligner combien l’accroissement de la réglementation pèse sur la rentabilité. Quel regard jetez-vous sur ces déclarations et doivent-ils encore s’attendre à devoir se conformer à de nouvelles obligations dans les prochaines années ? Le Common Reporting Standard – norme commune de déclaration – contraignant les institutions financières à fournir des informations est une réalité depuis 2014 et est assez complet. En la matière, je ne pense donc pas que les acteurs bancaires doivent attendre quoi que ce soit de nouveau dans les prochaines années. Quant au poids que ce genre de réglementation fait peser sur la rentabilité des banques, je dirais qu’il s’agit du prix à payer pour leur non-collaboration durant de longues années. Si nous n’avions pas constaté de fraudes massives, nous n’aurions pas eu à prendre ce genre de mesures. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est toujours préférable de prendre les devants, plutôt que d’attendre que la réglementation évolue. Certains efforts pourraient d’ailleurs encore être faits par les acteurs du secteur. On voit notamment que des problèmes continuent à se poser au Luxembourg concernant les bénéficiaires effectifs, car toute une industrie fiduciaire y est installée et développe une ingénierie financière sophistiquée pour monter des schémas permettant à ces derniers de rester dans l’ombre. Si je n’ai pas de problème, en soi, avec l’optimisation, il faut toutefois que cela se fasse en toute transparence. Ou la réglementation doit nécessairement être renforcée. Est-ce que vous considérez qu’une bonne fiscalité relève d’une forme de justice sociale ? Je pense que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est fondamentalement bipartisane. Quand on a une sensibilité de gauche, on peut certes y accoler une dimension de justice sociale, avec une vision à la Robin des bois : prendre aux plus riches pour donner aux plus pauvres. Mais, quand on est plus à droite sur l’échiquier politique, on peut aussi considérer que le capitalisme n’est durable que s’il est régulé. Étant donné qu’il ne peut se réguler lui-même, il faut bien que nous le fassions à travers la réglementation fiscale. Le risque que présente un capitalisme non régulé est de voir les populations rejeter la mondialisation dans son ensemble, d’être confronté à l’émergence de mouvements populistes, comme on a pu le constater dernièrement dans de trop nombreux pays à travers le monde. Lorsqu’une telle situation se produit, ce sont les forces centrifuges qui gagnent. Et je pense que tout le monde est d’accord pour dire que ce n’est pas souhaitable. On peut donc être de droite et considérer que la réglementation fiscale est tout simplement un moyen d’assurer la soutenabilité du système. 22
TAX & LEGAL JANVIER 2022
PASCAL SAINT-AMANS Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales OCDE
Avec l’ajustement progressif de la réglementation, ne craignez-vous pas de voir les personnes et organisations fortunées placer leurs capitaux dans des actifs plus anonymes, comme les crypto-actifs, parmi d’autres exemples ? Quand on met en lumière des activités illicites, il est en effet probable que les personnes qui les dirigeaient cherchent un coin plus ombragé pour les exercer… Toutefois, je dois dire que la couverture du Common Reporting Standard est assez large. Par ailleurs, nous adaptons également les réglementations à l’émergence de ces crypto-actifs. Cela dit, ceux-ci sont encore loin d’être systémiques, ils ne représentent pas grand-chose par rapport aux actifs traditionnels. Cela n’empêche qu’un travail de mise à jour permanent est nécessaire pour évaluer quelles sont les nouvelles niches que pourraient exploiter ces personnes. Mais il faut bien être conscient que nous avons réalisé la plus grosse partie du travail en initiant une vraie révolution fiscale il y a plus de 10 ans. Panama Papers en 2016, Paradise Papers en 2017, Pandora Papers en 2021… Quel rôle ont joué, selon vous, ces différentes révélations journalistiques sous le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale ? Pour nous, les informations mises au jour par le Consortium international des journalistes d’investigation sous ces différents noms ne constituaient pas des révélations. Nous étions au courant de chacun de ces éléments. Mais il est clair que ces « Papers » ont contribué à mettre cette problématique de l’évasion fiscale en haut de l’agenda politique. Il y a bien entendu une interaction entre ces informations, devenues tout à coup publiques, et les décisions qui sont à présent prises en la matière. La pression est devenue trop forte pour que le monde politique ignore plus longtemps cette problématique. En ce sens, ils ont sans doute contribué aux avancées de ces dernières années.
Interview Q. D.
LEGITECH L’ÉDITEUR JURIDIQUE DE RÉFÉRENCE AU LUXEMBOURG
LexNow
Codes
Ouvrages
Nous veillons pour vous !
Formations continues
Revues
www.legitech.lu
Dossier
Un accord historique sur la fiscalité internationale Après des années d’intenses négociations dans le but d’adapter les règles fiscales internationales aux réalités du 21e siècle, 136 pays ont réussi à s’entendre pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Un pas de géant vers la mise en œuvre d’une grande réforme fiscale mondiale dès 2023.
8 %
IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS (2000-2019) En pourcentage du PIB avec un échantillon de 7 États et la moyenne de l’OCDE. Source
Allemagne
Moyenne OCDE
États-Unis
Belgique
Corée
Pays-Bas
France
Luxembourg
OCDE 2021
6 %
4 %
0 %
24
2000
2001
2002
2003
2004
2005
TAX & LEGAL JANVIER 2022
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Photos
09_credit
2 %
Défi mondial
Photo
Matic Zorman
8 octobre 2021. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) annonce que 136 pays ont adhéré à la « Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie ». Pour faire plus simple, cet accord comporte deux volets. Il instaure, tout d’abord, une plus grande équité en matière de droits d’imposition des sociétés multinationales en taxant une partie de leurs bénéfices, non plus dans leur pays d’origine, mais dans les pays où elles exercent et réalisent ces bénéfices. Cette disposition concernera les multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse, à l’échelle mondiale, 20 milliards d’euros et dont la rentabilité est supérieure à 10 %. L’accord prévoit, ensuite, l’application d’un taux minimal d’imposition des multinationales de 15 %. Avec, là encore, des exceptions, considérant que ce taux s’appliquera aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros. Discuté depuis de nombreuses années sous l’égide de l’OCDE, un tel accord sur la taxation des multinationales est dû notamment au changement de position opéré par l’administration américaine avec l’élection de Joe Biden. « Il s’agit assurément d’un projet très ambitieux, et l’on pourrait même dire qu’un accord mondial de cette envergure est peut-être sans précédent, témoigne Émilien Lebas, partner International Tax au sein de KPMG Luxembourg. À ce jour, 136 pays ont signé la plus récente déclaration de l’OCDE, acceptant que les sociétés soient imposées à un minimum de 15 % – ce qui, faut-il le rappeler, est un taux supérieur à celui appliqué par certains des pays signataires à l’heure actuelle, l’Irlande par exemple. Et, bien qu’en l’état ce ne soit peutêtre pas encore une solution parfaite, car de nombreuses questions sont encore non résolues et, espérons-le, seront abordées dans les mois à venir (lorsque le rapport final sera publié et
que les discussions commenceront sur une mise en œuvre effective), il est indéniable que cela venait au départ d’un projet très ambitieux qui ne pouvait réussir qu’avec le soutien massif de tous les pays. » La nouvelle attitude américaine Mais revenons en arrière quelques instants. En faisant tomber les barrières du commerce et en intensifiant les échanges à partir des années 1980, la mondialisation a aussi eu pour effet de faciliter les transferts financiers entre États. Profitant de l’absence quasi totale d’uniformisation entre les régimes fiscaux nationaux, les entreprises et les individus ont pu transférer légalement leurs profits ou leur épargne vers les pays dont la fiscalité était plus avantageuse. Dans un contexte de désillusion par rapport à la mondialisation, ces dérives sont aujourd’hui perçues comme une injustice. L’optimisation fiscale est encore plus aisée pour les entreprises numériques, dont font partie les géants Google, Apple, Facebook et Amazon (Gafa), qui ont établi leurs sièges dans des pays à faible fiscalité et échappent ainsi à l’imposition de leurs bénéfices là où ils exercent la majorité de leurs activités, y compris aux États-Unis. Selon la Commission européenne, ces entreprises seraient soumises « à un taux d’imposition effectif moyen deux fois moins élevé que celui applicable à l’économie traditionnelle dans l’Union européenne ». Sur cette base, d’importantes négociations visant à mettre un terme à ces dérives fiscales ont commencé au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques. L’attitude volontariste de la nouvelle administration américaine est ici décisive. Elle reflète le changement de mentalité auquel nous assistons aujourd’hui sur les questions du rôle de l’État et de la lutte contre les inégalités. Si les voix conservatrices et libertariennes rejettent par principe toute taxation des efforts individuels ou privés, celles de la
« L’impôt minimum global de 15 % pourrait générer 83,3 milliards d’euros de revenus supplémentaires pour l’Union européenne, dont environ 5,8 milliards d’euros pour le Luxembourg. » ÉMILIEN LEBAS Partner International Tax KPMG Luxembourg
QUAND LES ENTREPRISES COMMENCERONT-ELLES À PAYER CE NOUVEL IMPÔT ? Selon l’OCDE, le plan détaillé de mise en œuvre prévoit un calendrier clair et ambitieux afin de garantir la mise en œuvre effective des mesures dès 2023. S’agissant du pilier 1, des règles types à intégrer dans la législation interne des pays seront élaborées d’ici début 2022. Et le nouveau droit d’imposition relatif aux bénéfices à réattribuer (Montant A) sera mis en œuvre par le biais d’une convention multilatérale, en vue de permettre sa prise d’effet en 2023. Parallèlement, les travaux se poursuivront sur le Montant B et les activités de distribution et de commercialisation de référence exercées dans le pays, en vue d’être finalisés d’ici la fin 2022. En ce qui concerne le pilier 2, des règles types destinées à donner effet à l’impôt minimum sur les sociétés devraient être définies à la fin de l’année 2021, de même que la disposition conventionnelle type visant à mettre en œuvre la règle d’assujettissement à l’impôt. Un instrument multilatéral sera ensuite élaboré d’ici mi-2022 afin de faciliter la mise en application de cette règle dans les conventions bilatérales.
gauche, notamment au sein du Parti démocrate, réclament une imposition plus équitable et adaptée à l’économie du 21e siècle. Longtemps restées inaudibles, ces voix ont été portées par Elizabeth Warren et Bernie Sanders au cours de la campagne de 2020. La demande de justice fiscale a été renforcée par les scandales autour du rôle joué par les réseaux sociaux lors de la campagne présidentielle de 2016. Les bénéfices réalisés par les plateformes numériques pendant la crise du Covid-19 ont encore accru cette exigence. L’idée de mieux taxer les Gafa et les grandes entreprises a aujourd’hui le vent en poupe aux États-Unis pour des raisons éthiques, mais aussi, plus prosaïquement, pour financer les plans de relance post-Covid et le plan de réparation et de verdissement des infrastructures engagés par Joe Biden. Des règles devenues obsolètes Les entreprises privées, y compris lorsqu’elles soutiennent le Parti démocrate, comme la quasi-totalité des Gafa, ont bien entendu déployé un lobbying intense contre toute hausse de leur imposition. Ainsi, le think tank Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), financé par les acteurs du numérique, a dénoncé les entraves à l’innovation que créeraient une taxe Gafa et un acharnement injustifié contre les entreprises américaines, fleurons de la puissance technologique de demain. Selon lui, les efforts de taxation des Gafa correspondraient à une volonté européenne, en l’absence de géants numériques propres, d’affaiblir les géants américains… JANVIER 2022 TAX & LEGAL
25
Dossier Défi mondial
Mais le monde change. Les anciennes règles qui régissent encore à l’heure actuelle la fiscalité internationale des entreprises remontent au début du 20e siècle. Avec la mondialisation et le numérique, ces règles apparaissent dépassées : la mondialisation permet aux entreprises de jouer sur des prix de transfert pour localiser leurs bénéfices là où ils sont moins imposés. La mobilité des capitaux permet également de contourner les règles fiscales et les réglementations, ce qui conduit les États à pratiquer une course au « moins-disant » fiscal. Par ailleurs, le numérique rend facultative l’existence d’un établissement dans un pays pour y commercialiser des activités totalement dématérialisées. Dans ce contexte, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le G20 ont pris l’initiative de négocier pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices, au sein du cadre inclusif Beps (Base Erosion and Profit Shifting). Un match loin d’être gagné d’avance Dès 2013, l’Organisation a redoublé d’efforts pour relever ces défis et ainsi répondre aux préoccupations grandissantes des citoyens et des responsables publics face aux pratiques d’évasion fiscale des grandes multinationales. Sous l’acronyme de Beps qui, en français, signifie « érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices », l’Organisation présente alors ses premières recommandations dans le cadre du Projet OCDE/G20 pour une approche internationale coordonnée de la lutte contre l’évasion fiscale de la part des entreprises multinationales. « Dès le départ, le but de ce projet global est de deux ordres. Selon l’OCDE, il s’agit, d’une part, de combler les lacunes persistantes dans les règles fiscales actuelles qui, malgré les développements considérables des dernières années, pourraient encore permettre aux multinationales de transférer des bénéfices entre les pays afin de réduire leur charge fiscale globale. D’autre part, l’objectif est de mieux prendre en compte la numérisation de l’économie mondiale en matière d’imposition des bénéfices », explique Émilien Lebas. La mise en œuvre des 15 actions constitutives du paquet Beps, adopté en 2015, a constitué un premier pas dans la bonne direction, mais des lacunes persistaient. Les règles permettaient toujours aux grandes multinationales de réaliser d’importants bénéfices dans une juridiction sans y payer d’impôt sur les sociétés. Avec l’essor de nouveaux modèles d’affaires qui reposent fortement sur les actifs incorporels, ces sociétés pouvaient transférer facilement des bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité. La mondialisation n’a fait qu’attiser une concurrence fiscale malsaine. Il faudra donc attendre 2019 pour que les discussions avancent véritablement dans la direction voulue… « Les travaux de l’OCDE sur 26
TAX & LEGAL JANVIER 2022
EFFETS SUR LES RECETTES DE L’IMPÔT MINIMUM MONDIAL : ESTIMATIONS Selon l’Observatoire européen de la fiscalité
14,2 mrds € Asie
81,8 mrds € Amérique du Nord
83,3 mrds € Union européenne
18,9 mrds € Europe (hors UE : Suisse, Grande-Bretagne…)
le projet Beps 2.0 ont débuté voici deux ans, ajoute Émilien Lebas. Toutefois, la première étape décisive a été franchie à l’automne 2020 lorsque le cadre inclusif OCDE / G20 sur le projet Beps, qui rassemble actuellement 141 pays et juridictions, a reconnu au cours de sa réunion des 8 et 9 octobre 2020 que l’approche à deux piliers élaborée depuis 2019 constituait un socle solide pour un futur accord. À cette occasion, les participants aux négociations ont par ailleurs approuvé pour consultation publique deux nouveaux blueprints pour les piliers 1 et 2 du projet. » Ainsi, après plusieurs mois de travail, 130 pays et juridictions représentant plus de 90 % du PIB mondial ont adhéré à la déclaration du 1er juillet 2021 qui instaure un nouveau cadre pour la réforme de la fiscalité internationale. D’autres pays ont signé la déclaration depuis. Les éléments restants du cadre de la réforme, y compris le plan de mise en œuvre, étaient initialement espérés pour le mois d’octobre. Ils sont désormais attendus pour la fin du mois de novembre. Deux piliers, une même ambition Pour aller plus avant dans l’analyse, Beps 2.0 est divisé en deux piliers, avec des objectifs différents. « Le pilier 1 vise à modifier les règles actuelles en matière de prix de transfert afin d’attribuer les bénéfices des très grandes entreprises multinationales aux juridictions de marché – là où résident les clients –, permettant à ces juridictions d’imposer lesdits bénéfices. La convention multilatérale qui sera utilisée pour la mise en œuvre du pilier 1 sera élaborée et ouverte à la signature en 2022, avec une prise d’effet attendue en 2023 », poursuit Émilien Lebas. Le pilier 2, quant à lui, est celui que l’on appelle communément l’« impôt minimum global ». « Son objectif est de s’assurer que toutes les entreprises sont imposées à un taux minimum de 15 %. Cet objectif devrait être atteint par le biais d’un ensemble de règles complexes interagissant les unes avec les autres, permettant soit une imposition supplémentaire pour les pays d’origine sur certains paiements, soit l’inclusion des bénéfices d’entités considérées comme n’étant pas taxées à un niveau approprié dans le résultat imposable d’une autre société du groupe située dans une autre juridiction. Le pilier 2 devrait être adopté formellement en 2022, pour une entrée en vigueur effective en 2023, à l’exception de la règle relative aux paiements insuffisamment imposés qui devrait, elle, ne prendre effet qu’en 2024. » De belles plus-values annoncées Dans l’ensemble, la taxe de 15 % sur ces entreprises va générer, à l’échelle mondiale, une plus-value fiscale de plus de 200 milliards d’euros. Une manne qui va profiter aux pays développés qui abritent le plus grand nombre de multinationales, soit 66 %, contre 33 %
PUBLIREPORTAGE
Art phygital et NFT : quand le digital devient tangible Elvinger Hoss soutient, avec Deloitte, une exposition inédite à Luxembourg : «Il s’agissait pour nous de mieux comprendre les enjeux juridiques liés à l’utilisation de la blockchain dans un autre secteur que celui de la finance.» Projetés sur des écrans parés d’une colonne en bois dans laquelle est intégré un nanoprojecteur, les films projetés à la galerie Subtile du 25 novembre au 12 décembre 2021 racontent la transformation d’un dessin physique travaillé ensuite par l’artiste sur un ordinateur. Ces œuvres « phygitales » sont disponibles sur une plateforme blockchain via des jetons non fongibles, connus sous le sigle NFT (Non Fungible Tokens). Le choix s’est porté sur la plateforme NFT Kalamint de Tezos prônant un coût de transaction bas et une faible consommation d’énergie. Pourquoi ce partenariat? C’est le côté innovant de l’événement mêlant art et blockchain qui nous a interpellé. Nous n’avions jusqu’alors pas connaissance d’une initiative similaire au Luxembourg. L’exposition se déroulant à deux encablures de notre étude, c’était l’occasion de mettre littéralement le pied dans le monde émergeant des NFT.
«C’est le côté innovant de l’événement mêlant art et blockchain qui nous a interpellé.» Quel intérêt pour une étude d’avocats? Au-delà de l’aspect culturel et artistique qui nous intéresse, il s’agissait pour nous de mieux comprendre les enjeux juridiques liés à l’utilisation de la blockchain dans un autre secteur que celui de la finance. Une façon pour nos spécialistes juridiques d’aborder ces questions légales de façon pratique. Avec quelques conseils, la technologie est en général relativement facile d’usage. Il suffit d’un smartphone et d’une carte de crédit pour créer son portefeuille numérique (wallet). Plusieurs questions ont été posées lors de la mise en œuvre, que des amateurs curieux et candidats acquéreurs n’ont pas manqué de relever. La réponse à la plupart de ces questions, comme celles qui suivent, nécessite un examen approfondi tenant compte de la technologie envisagée et du contexte particulier dans lequel elle est utilisée.
Gary Cywie, Partner et Benoit Nerriec, Associate.
La blockchain est-elle inviolable? Aucune technologie n’est inviolable. Toutefois, les blockchains publiques consistent en un registre distribué qui ne peut en principe pas être modifié, ce qui réduit les risques de falsification et qui justifie donc l’utilisation de cette technologie.
Pour pouvoir décliner une œuvre sous une autre forme il faut être titulaire par exemple d’un droit de reproduction ou d’adaptation sur cette œuvre. Or l’acquisition matérielle d’une œuvre n’emporte généralement pas acquisition des droits liés.
Comment les plateformes garantissent-elles la protection des données personnelles? Il existe de multiples plateformes, dont le fonctionnement peut varier. La meilleure piste consiste à ne pas enregistrer de données personnelles on chain.
La technologie est-elle fiable et sûre? Permet-elle de garantir l’authenticité des œuvres digitales et des transactions qui les concernent? Que se passe-t-il si la plateforme ne fonctionne plus? Si l’avenir de la technologie semble prometteur, il ne faut pas négliger les Comment se manifeste le droit de suite de questions juridiques, techniques et pratiques l’artiste? qu’elle suscite. Le droit de suite sur l’œuvre originale peut être programmé dans un smart contract qui permet d’automatiser le paiement de la rémunération due à l’artiste en la prélevant directement sur le prix de vente. Suis-je le seul, en tant que propriétaire de Legal advice to the highest precision l’œuvre, à pouvoir la décliner sous d’autres Since 1964 formes ? T: +352 44 66 44 0 | M: elvingerhoss@elvingerhoss.lu Tout dépend des droits que l’auteur a transférés 2 Place Winston Churchill, L-1340 Luxembourg au propriétaire par le biais de l’achat du NFT. www.elvingerhoss.lu
Dossier Défi mondial
pour les pays en voie de développement. 38 % de ces multinationales sont basées en Asie (Chine, mais aussi Japon, Corée du Sud et Hong Kong), 28 % aux États-Unis et 15 % dans l’Union européenne. Les pays développés devraient engranger 191,3 milliards d’euros de recettes supplémentaires contre 14,2 milliards seulement pour les pays en voie de développement. « Mesurer l’impact potentiel de cette réforme d’ampleur est un exercice difficile, précise le partner International Tax de KPMG. Le premier commentaire que l’on peut faire est que le Luxembourg ayant un taux d’imposition sur le revenu élevé – près de 25 % –, ce qui le place bien au-dessus du minimum mondial, il ne devrait pas être le pays le plus impacté par Beps 2.0, du moins dans un premier temps. Ceci étant rappelé, les estimations disponibles tablent sur un impact globalement positif en termes de recettes fiscales tant au niveau européen que pour le Luxembourg. Ainsi, selon les estimations de l’Observatoire européen de la fiscalité, l’impôt minimum global de 15 % pourrait générer 83,3 milliards d’euros de revenus supplémentaires pour l’Union européenne, dont environ 5,8 milliards d’euros pour le Luxembourg. » Grand vainqueur, les États-Unis récupèrent, grâce à ces nouvelles dispositions, 57 milliards d’euros de recettes fiscales. Ils sont suivis dans ce palmarès par le Canada (24,4 milliards), la Belgique (21,2 milliards), l’Allemagne (13,3 milliards), l’Irlande (12,4 milliards), le RoyaumeUni (11 milliards). Le Grand-Duché occupe une honorable septième place. « Cet impact favorable pour les recettes de l’État luxembourgeois, s’il se confirme, serait toutefois un impact positif à court terme, prévient Émilien Lebas. À plus long terme, en effet, il ne peut être exclu que certaines multinationales décident de se réorganiser au détriment d’économies ouvertes et tournées vers l’international telles que celle du Luxembourg. À terme, cela pourrait signifier une perte d’activité pour la Place luxembourgeoise et donc de recettes pour l’État. Ceci devra être suivi de près à l’avenir et le Luxembourg devra certainement, comme il l’a toujours fait, continuer à innover et à se réinventer pour demeurer compétitif. » Des forces et des faiblesses « La force principale du projet Beps 2.0 réside probablement dans le consensus qu’il représente entre un si grand nombre de pays, souligne Émilien Lebas. Tous se sont mis d’accord sur le principe d’atteindre un niveau global d’imposition minimum pour les multinationales. De telles mesures ne pourraient réussir sans ce consensus international, étant donné le fait que si les pays étaient en désaccord, on aurait probablement abouti à des mesures unilatérales (comme nous l’avons vu avec les taxes numériques), une double imposition et des litiges fiscaux. » 28
TAX & LEGAL JANVIER 2022
ÉTAPES-CLÉS DE LA FISCALITÉ MONDIALE 1996 Le G7 érige les problèmes de fraude et d’évasion fiscales au rang de priorité. 1998 Publication du rapport de l’OCDE intitulé Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial. 2000-2007 Élaboration de normes internationales en matière de transparence fiscale et engagement à établir l’égalité des règles du jeu. 2008-2009 Crise financière mondiale – engagement du G20 à mettre fin au secret bancaire et à établir le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Juillet 2013 Le G20 fait de l’évasion fiscale une priorité. Octobre 2015 Adoption du paquet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Beps) regroupant 15 actions visant à lutter contre l’évasion fiscale – l’Action 1 porte sur la transformation numérique de l’économie. Juin 2016 Mise en place du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le projet Beps qui compte désormais 140 membres. 2017-2020 Discussions actives au sein du Cadre inclusif sur les solutions pour relever les défis soulevés par la transformation numérique de l’économie, aboutissant à la publication de blueprints d’une solution reposant sur deux piliers en octobre 2020. Juillet 2021 Plus de 130 pays et juridictions adhèrent à la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Octobre 2021 136 membres du Cadre inclusif adhèrent à la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, assortie d’un plan détaillé de mise en œuvre. 2022 Date butoir pour l’élaboration d’un modèle de législation, d’une convention et d’un instrument multilatéraux pour la mise en œuvre de la solution reposant sur deux piliers. 2023 Date butoir pour la mise en œuvre de la solution reposant sur deux piliers.
Dans le courant de l’année 2022, les pays devraient signer une convention multilatérale en vue de la mise en œuvre effective de Beps 2.0 en 2023. Cette convention multilatérale est déjà en cours d’élaboration et servira d’instrument à la mise en œuvre du nouveau droit d’imposition convenu au titre du pilier 1. Elle sera également garante du maintien du statu quo et de la suppression des dispositions en lien avec toutes les taxes sur les services numériques et autres mesures unilatérales existantes, ce qui contribuera aussi à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale et à apaiser les tensions commerciales. L’OCDE élaborera ensuite des règles types pour la transposition du deuxième pilier dans la législation nationale des pays courant 2022, en vue d’une prise d’effet en 2023. « Cependant, il reste encore un travail important à faire, ajoute Émilien Lebas. À l’heure actuelle, avant la publication du rapport final, de nombreuses questions restent sans réponse concernant la conception des règles et la difficulté de s’y conformer. Il faudra par exemple s’entendre sur la façon dont les pertes fiscales de chaque pays seront prises en compte et sur la manière dont ces règles interagiront avec les régimes fiscaux locaux qui sont conformes aux règles fiscales internationales, par exemple les régimes de propriété intellectuelle. En outre, le Luxembourg et les autres États membres de l’Union européenne devront s’assurer que le droit de l’Union européenne et les futures directives peuvent coexister avec ces nouvelles règles afin d’éviter de désavantager les entreprises de l’Union européenne. On pense ici notamment aux règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées. Cela suppose enfin que le consensus international qui s’est dégagé au moment de la conception de ces règles ambitieuses perdure et se concrétise lorsqu’il s’agira de les mettre en œuvre. » De l’aveu même de l’OCDE, cet accord reste toutefois insuffisant pour mettre fin à la concurrence fiscale entre les États. Tout d’abord, bien que les 136 pays ayant adhéré à la Déclaration représentent près de 90 % du PIB mondial, l’accord laisse de côté de nombreux territoires considérés à l’heure actuelle comme des paradis fiscaux. L’accord ne concerne, en outre, qu’une fraction des multinationales. Au cours de l’été, Janet Yellen, secrétaire du Trésor américain, avait ainsi reconnu qu’une entreprise comme Amazon ne serait pas concernée par ces mesures, puisque sa rentabilité est inférieure au seuil de 10 %. Pour certains économistes, enfin, le taux retenu de 15 % apparaît comme faible. Ainsi, tout en reconnaissant que l’accord mondial sur la taxation des multinationales constitue « un grand pas en avant », Joseph Stiglitz regrette qu’il ne soit pas plus ambitieux. Il plaidait, en effet, pour un taux minimum de 25 %, plus susceptible de limiter la concurrence fiscale entre les États. Auteur M. P.
We spark success at the heart of your business, so you and your people can thrive.
Christine Majerus
Luxembourg's national road champion & proud member of Team SD Worx
www.sdworx.lu Payroll & HR Services HR Digital Solutions
Photo credit: @gettyimages
BRAND VOICE
Legal & Consulting
Managed services : aider les acteurs du secteur financier à faire face à leurs obligations
30
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Les acteurs du secteur financier doivent composer avec un cadre juridique, réglementaire et fiscal qui évolue en permanence. Depuis quelques années, on assiste à une multiplication associée à une complexification des exigences en la matière. « Face à cette tendance, les acteurs ont de plus en plus de mal à maintenir une veille relative à ces évolutions, et, dès lors, à se maintenir en conformité, explique Julien Ganter, Partner, Arendt Regulatory & Consulting.
Cette complexification entraîne en outre des coûts et pèse sur l’efficience opérationnelle des acteurs. Dans un contexte de guerre des talents, chacun peine à trouver les ressources humaines et techniques nécessaires à la gestion de ces enjeux réglementaires. » Combiner les expertises Partant de ces constats, Arendt a décidé de regrouper l’ensemble de ses services et produits
Photo
Fort d’un positionnement unique sur le marché, Arendt déploie une solution managed services qui met à disposition de ses clients son expertise légale, réglementaire et opérationnelle pour les aider au quotidien et contribuer à l’amélioration de leur efficacité opérationnelle.
Anthony Dehez (Maison Moderne)
Contenu sponsorisé par ARENDT
visant à aider ses clients à gérer ces enjeux. À cette fin, le groupe a combiné les atouts et ressources de ses diverses entités – son étude juridique (Arendt & Medernach), sa société de conseil autour des enjeux réglementaires (Arendt Regulatory & Consulting) et sa société de services dédiés aux entreprises et investisseurs (Arendt Services) – pour structurer une nouvelle offre managed services. « De nombreuses solutions et services, soutenant la gestion des enjeux opérationnels de nos clients en matière juridique, réglementaire et fiscale, existaient au sein du groupe. Mon rôle est de les orchestrer pour pouvoir proposer une solution pertinente à travers toute la chaîne de valeur de nos clients », poursuit Julien Ganter. Soutenir les processus de production et de veille En mettant en œuvre une approche managed services coordonnée au sein du groupe, Arendt se place aux côtés de ses clients dans la gestion des aspects opérationnels au quotidien. « La volonté est de soulager nos clients vis-à-vis des processus de production et de veille liés à leurs obligations légales et réglementaires, en leur permettant d’accéder à un ensemble d’outils, de services et de ressources
« La volonté est de soulager nos clients vis-à-vis des processus de production et de veille liés à leurs obligations légales et réglementaires. »
portés par le groupe Arendt, explique Julien Ganter. À travers cette approche, nous pouvons leur faire bénéficier d’économies d’échelle, les accompagner dans leur transformation digitale, tout en leur assurant que leurs opérations répondront aux exigences de qualité et d’indépendance qui nous caractérisent. » En partant de son expertise juridique et réglementaire, le groupe a engagé une démarche d’innovation, tant dans la mise en œuvre de processus efficients que de solutions technologiques performantes. « La solution Arendt Automated Documents est une excellente illustration du mariage de notre expertise juridique et de notre savoir- faire technologique. Elle apporte une réponse innovante et adaptée aux besoins de production de documents légaux pour les départements juridiques de nos clients, avec une flexibilité en termes de degré de services qui permet de répondre à tout type d’attentes, de la simple mise à disposition d’outils à un managed service complet », explique Julien Ganter. Partir des besoins de chacun « Un responsable de la conformité n’a pas les mêmes préoccupations qu’un responsable juridique, ou encore qu’un responsable du secrétariat associé à l’organisation et au suivi d’un conseil d’administration. Selon la fonction et la volonté d’externaliser tout ou une partie du processus, nous pouvons mobiliser les outils et les ressources appropriés », poursuit le Partner. L’offre se veut donc parti culièrement modulaire. « Nous sommes là pour simplifier la vie de chacun en offrant des garanties, avec un contrôle sur les opérations assurées par Arendt, dans le respect du cadre légal et de la réglemen tation en vigueur », conclut Julien Ganter.
FOCUS SUR TROIS SOLUTIONS APPARTENANT À L’OFFRE MANAGED SERVICES D’ARENDT
Faciliter les opérations de « tax reclaim » En matière de fiscalité, les acteurs financiers évoluant dans un environnement international sont amenés à jongler entre obligations déclaratives inhérentes aux juridictions et opportunités d’engager des demandes de remboursement de la retenue à la source indûment perçue par les diverses administrations fiscales. Le nouveau service « tax reclaim » d’Arendt s’appuie sur une solution technologique développée avec Mobilu pour soutenir les acteurs financiers dans la réalisation de telles opérations. Il est alors plus aisé d’évaluer les opportunités de réclamer des taxes indues et d’engager les procédures pour les récupérer. ESG : encourager la finance durable tout en veillant au respect de ses engagements L’évolution de la réglementation autour des enjeux ESG exige aussi des gestionnaires de fonds qui font la promotion de caractéristiques environnementales ou sociales et des fonds avec un objectif d’investissement durable de répondre à de nouvelles obligations. Afin de les soutenir, le groupe Arendt met en œuvre un nouvel outil de Due Diligence ESG « EDDMON » et prépare un nouveau service de reporting SFDR. La démarche s’appuie sur l’expertise réglementaire, qui permet de traduire clairement les obligations des acteurs en la matière, et sur le savoir-faire technique acquis avec le développement d’outils tels que CAROL, pour mettre en place un outil performant permettant à chaque acteur de contrôler l’alignement de ses investissements en matière d’ESG. « Corporate services » : accompagner les acteurs financiers dans leurs fonctions juridiques et corporate in-house La solution « corporate services » d’Arendt vient soutenir les acteurs de la Place sur l’ensemble des fonctions juridiques et corporate gérées in-house (préparation et suivi de réunions de board, assemblées d’actionnaires, rédaction de contrats et documents intragroupes, par ex.). Arendt offre ainsi des solutions intégrées en s’appuyant sur une équipe paralégale dédiée. Combinée avec l’automatisation et des solutions numériques, l’offre «corporate services » permet d’assurer une production juridique et corporate interne répondant à toutes les exigences légales et régle utes o t z e r v Décou s managed mentaires tout en contrôlant lution ndt les risques et les coûts du e r les so ’A d es servic début à la fin.
Julien Ganter
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
31
Suite à la mise en œuvre de dispositifs visant à lutter contre des stratégies de planification fiscale agressive, la fiscalité ne serait plus déterminante dans la concurrence que peuvent se livrer les États de l’Union européenne pour attirer des acteurs internationaux.
À quelle concurrence fiscale les États européens peuvent-ils encore se livrer ? Il y a quelques années de cela, le Luxembourg, les Pays-Bas ou encore l’Irlande n’hésitaient pas à renforcer leur attractivité, sur certains segments de l’économie tout du moins, en jouant sur ce que l’on appelait alors des « niches de souveraineté fiscale ». « La fiscalité internationale repose en effet sur les systèmes nationaux, chaque pays ayant la liberté de déterminer sa stratégie en la matière, rappelle Antoine Dupuis, partner, International and Corporate Tax au sein d’Atoz. Toutefois, la compétition fiscale telle qu’elle pouvait s’exercer par le passé est désormais quasi inexistante, et ce en raison d’accords internationaux signés par les États en faveur d’une plus grande harmonisation et transparence fiscale. » En particulier, l’initiative Beps menée au niveau de l’OCDE a largement contribué à la lutte contre les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices. Elle a notamment mis fin à une série de pratiques et de stratégies de planification fiscale exploitant des failles et des différences dans les règles fiscales. Celles-ci visaient le plus souvent à faire « disparaître » des bénéfices ou à les transférer dans des pays ou territoires fiscalement attractifs où l’entreprise n’exerçait guère d’activités réelles. Au niveau de l’Union européenne, Beps s’est traduit par l’adoption d’un ensemble de règles, comme les directives Atad (Anti-Tax Avoidance Directive) 1, 2 et bientôt 3. En imposant des standards minimums aux États membres, ces directives permettent indirectement d’harmoniser la base d’imposition d’un pays à l’autre. La directive européenne sur la lutte contre l’évasion fiscale prévoit une « imposition à la sortie », qui vise à empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs immatériels (un brevet, par exemple) dans le but d’éviter l’impôt. Elle a aussi instauré des règles destinées à empêcher le transfert de bénéfices d’une société à une autre, d’un groupe à un autre. Elle limite également le montant des intérêts nets qu’une entreprise peut déduire de son revenu imposable, les sociétés mères agissant en tant que banques des filiales et permettant de créer des montages d’endettement qui visent à réduire la facture fiscale. Dans la même logique, il n’est par exemple plus possible de pratiquer des prix de transfert s’écartant de prix de pleine concurrence entre sociétés d’un même groupe dans l’optique de réduire sa base d’imposition. À cela s’ajoute une autre directive, Dac6, qui instaure une obligation déclarative exigeant de certains acteurs, comme les banques, qu’ils communiquent aux autorités fiscales les dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif. Base d’imposition harmonisée Depuis quelques années, dès lors, les règles applicables à l’échelle de l’Union européenne, et plus largement des pays de
32
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Collage
Comment la compétition fiscale entre pays opèret-elle encore ?
Marielle Voisin
Dossier
Photo
Gaël Lesure (archives)
Challenge
l’OCDE, garantissent une plus grande harmonie. « Les règles déterminant la base d’imposition sont largement communes à l’ensemble des pays de l’Union européenne, explique Antoine Dupuis. Malgré le principe de souveraineté fiscale, un État n’a en pratique plus vraiment la possibilité, comme c’était le cas par le passé, de faire valoir un régime fiscal plus attractif que ses voisins ou concurrents pour attirer des acteurs. Surtout, les groupes internationaux ne peuvent plus tirer avantage de disparités fiscales existant entre différentes juridictions. » Cela ne veut pas dire que certaines considérations fiscales n’entrent plus en ligne de compte quand vient le moment de choisir la juridiction où placer sa holding ou encore un véhicule d’investissement, la concurrence entre Pays-Bas, Irlande et Luxembourg s’opérant principalement sur ce type de structures. La fiscalité n’est cependant plus déterminante. « Pour le positionnement d’une structure, on constate que les situations où le Luxembourg est mis en concurrence avec l’Irlande ou les PaysBas sont rares, commente Jean Schaffner, partner, Tax au sein de l’étude Allen & Overy Luxembourg. Chacune de ces juridictions présente des spécificités et peut faire valoir une expertise qui prime le plus souvent sur les enjeux de fiscalité. Les différences entre les États en la matière se sont effectivement amenuisées au fil du temps, le Luxembourg jouant pleinement le jeu de la coopération et de la transparence en la matière. » Après s’être retrouvé au centre d’enquêtes médiatiques (LuxLeaks étant la première), le Grand-Duché a fait le choix d’agir pour restaurer sa réputation et de s’inscrire en tant que membre de l’Union européenne au cœur du nouveau cadre harmonisé. « La concurrence fiscale qui jouait dans les années 2000 n’existe plus. S’il reste toujours quelques niches de sou-
« Les acteurs considèrent de nombreux éléments, comme la stabilité réglementaire ou encore les outils disponibles pour structurer leur activité. » PATRICK MISCHO Senior partner Allen & Overy
veraineté, elles sont désormais très limitées. Aujourd’hui, dans leur choix d’implantation, les acteurs considèrent donc de nombreux autres éléments, comme la stabilité réglementaire ou encore les outils disponibles pour structurer leur activité, confirme Patrick Mischo, senior partner chez Allen & Overy. Quand on monte un véhicule d’investissement, il faut s’assurer de la stabilité du cadre à un horizon d’une dizaine d’années. Les acteurs privilégient des juridictions où ils sont assurés que les règles en vigueur ne varieront pas à tout moment. Le Luxembourg, avec son triple A et son cadre stable, assure la plus grande confiance. » Luxembourg, au-delà de la fiscalité, peut faire valoir de nombreux autres arguments. « Aujourd’hui, la place financière et économique luxembourgeoise est reconnue pour son expertise et son cadre réglementaire, assure Jean Schaffner. Si l’on considère le secteur des fonds alternatifs, il est presque naturel pour les gestionnaires d’opter pour Luxembourg. Le fonds alternatif luxembourgeois s’apparente à un standard. Les gestionnaires d’actifs savent qu’ils pourront trouver ici les compétences indispensables pour structurer leur véhicule, répondre aux enjeux de conformité. La fiscalité n’est certainement plus l’enjeu principal. » À chacun son expertise La concurrence s’opère donc davantage sur l’expertise que chaque place peut faire valoir, le cadre réglementaire mis en place et les véhicules disponibles pour répondre aux besoins des gestionnaires d’actifs ou des acteurs internationaux. « Si l’on se penche sur ce qui distingue Luxembourg de Dublin, par exemple, on voit que la Place irlandaise séduit davantage les gestionnaires de hedge funds. Luxembourg est, elle, reconnue pour son expertise autour des fonds immobiliers, de private equity, d’infrastructure ou de dette », explique Patrick Mischo. À chacun sa spécialité. D’autres capitales sont privilégiées, comme Francfort ou Paris, pour d’autres types d’activités, à l’instar de celle de banque d’investissement. « Un groupe international considérera l’écosystème envisagé dans son ensemble, en regardant les outils et régimes juridiques à sa disposition, les opportunités et contraintes, pour in fine décider quelle juridiction privilégier pour structurer de manière optimale son activité », estime Antoine Dupuis. Luxembourg et Amsterdam sont aussi deux centres appréciés des acteurs pour positionner leurs holdings, notamment en raison d’un cadre réglementaire qui stimule le business plus qu’il ne cherche à l’étouffer. Aux yeux de l’associé d’Atoz, cette démarche « pro-business », avec des outils permettant par exemple de répondre plus facilement aux contraintes en matière de conformité réglementaire, joue désormais davantage que la fiscalité elle-même. « Dac6, par exemple, introduit l’obligation de communiquer aux
LA LUTTE CONTRE L’ÉVASION FISCALE EN 4 DATES-CLÉS La lutte contre les pratiques d’évasion fiscale des entreprises ne date pas d’hier. La preuve : 2009 Luxembourg et la liste grise Le Luxembourg se retrouve sur une liste dite « grise » des paradis fiscaux de l’OCDE. Celle-ci compte 38 pays, dont la Suisse, l’Autriche, la Belgique, le Liechtenstein, Andorre, Monaco, les Bermudes ou les îles Caïmans. Selon l’OCDE, qui a établi cette liste, ces États se sont certes engagés à respecter les critères internationaux en matière de transparence bancaire et fiscale mais ne les ont pas « substantiellement » appliqués. Sept semaines plus tard, après avoir signé les 12 accords d’échange d’informations fiscales requis, le Grand-Duché pouvait déclarer avoir été retiré de cette liste grise. 2015 Beps Le projet Beps, lancé par le G20 en 2012 et mis en œuvre par l’OCDE, vise à mettre un terme aux stratégies d’optimisation fiscale mises au point par certaines entreprises qui tirent profit de l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale. Le projet Beps se compose de 15 actions, adoptées en 2015. 2016 Atad Adoptée en 2016, l’Anti-Tax Avoidance Directive (Atad) définit des mesures anti-abus juridiquement contraignantes qui visent les principales formes d’évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales. Les États membres sont tenus de les appliquer depuis le 1er janvier 2019. Une révision de cette directive est en cours. 2021 Taux d’imposition minimal de 15 % En juillet 2021, un accord entre 136 pays est adopté sur l’imposition minimale de 15 % sur les bénéfices des entreprises multinationales.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
33
Dossier Challenge
34
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Reste le taux d’imposition Enfin, il est important de noter que si la base d’imposition est harmonisée à l’échelle de l’Union européenne, chaque État reste libre de fixer son taux d’imposition des sociétés. Et, en la matière, Luxembourg, avec un taux qui s’établit au-delà de 25 % et varie en fonction de la commune où est implantée la structure, n’est pas la juridiction la plus attractive. Ce taux est deux fois moins important en Irlande, à 12,5 %, inférieur au taux d’imposition de 15 % négocié récemment et qui s’appliquera aux multinationales. Aux Pays-Bas, il se situe entre 20 et 25 % en fonction du profit réalisé par la structure. « Ce taux d’imposition constitue un message d’une juridiction à l’égard d’investisseurs étrangers. Je pense qu’il serait d’ailleurs intéressant pour le Luxembourg d ’approfondir la réflexion sur l’opportunité de réduire ce taux ou de contribuer à son harmonisation », ajoute Antoine Dupuis. Au même titre qu’il est important de veiller à préserver un cadre réglementaire attractif et de faire valoir une expertise unique luxembourgeoise.
Auteur S. L.
TAUX D’IMPOSITION EFFECTIF MOYEN (TIEM) SUR LES ENTREPRISES EN 2019 (en %) Selon l’OCDE, le TIEM mesure l’impôt moyen qu’une entreprise acquitte dans le cadre d’un projet d’investissement qui génère des profits économiques positifs. *Guernesey, Jersey et l’Île de Man ont un taux nul d’impôt sur les sociétés.
30,3 %
France
28,5 %
Malte
27,5 %
Allemagne
26,9 %
Grèce Portugal
25,6 %
Espagne
25 %
Autriche
23,8 %
Belgique
23 % 22,7 %
Luxembourg
22,6 %
Pays-Bas
22,5 %
Slovaquie
21,4 %
Norvège
République tchèque Italie
21,2 %
20,7 %
Suède
19,8 %
Danemark Suisse
19,6 %
19,6 % 19,1 %
Finlande
Royaume-Uni Islande
18,4 %
18,3 % 18,1 %
Slovénie
17 %
Estonie Lettonie
17 %
Croatie
15,8 % 15,3 %
Pologne Roumanie Lituanie
14,3 % 13,4 %
Irlande
12 %
Chypre
10,4 %
Liechtenstein Hongrie
10 %
Bulgarie
9,2 %
Andorre
8,9 %
10,1 %
Tableau OCDE (2021) et rapport OCDE
Garantir la neutralité fiscale Il existe cependant toujours des enjeux fiscaux-clés dans le cadre de la structuration d’une activité internationale en Europe. S’il n’est plus possible de recourir à une planification fiscale agressive, il y a un intérêt à structurer des montages sur plusieurs juridictions pour de nombreuses autres bonnes raisons financières et économiques. « Au niveau fiscal, ce qui va être déterminant, c’est de s’assurer que la structuration de l’investissement va pouvoir garantir la plus grande neutralité fiscale par rapport à une détention directe des investissements, assure Antoine Dupuis. L ’enjeu est, par exemple, de garantir que les revenus liés au transfert de dividendes entre sociétés d’un même groupe bénéficient effectivement d’une exonération, comme le permet la directive mère-fille. Les revenus ayant fait l’objet d’un impôt à la source, l’enjeu est d’éviter qu’ils soient taxés deux fois de manière à préserver le rationnel économique de l’investissement lui-même. » Un dividende payé à un actionnaire, en l’occurrence une personne physique ou une société tierce, pourra faire l’objet d’un prélèvement fiscal dépendant du régime applicable dans la juridiction dans laquelle il se trouve. « Entre le prélèvement à la source et le paiement du dividende aux actionnaires, il faut limiter au maximum les frictions fiscales, commente Jean Schaffner. Il ne s’agit pas d’éluder l’impôt, mais de mettre en place le montage le plus neutre possible. » Ces pratiques n’entraînent pas un manque à gagner pour les États, comme cela est parfois dénoncé. Les règles en vigueur visent à taxer les revenus à la source, en fonction de la réalité économique d’une entité. L’échange d’informations et les clauses anti-abus permettent, quant à eux, d’éviter d’éventuelles dérives. Ces montages servent d’autres objectifs. Une holding est souvent utilisée pour consolider les profits, faciliter la gestion des partici pations, permettre de réinvestir plus facilement les profits à l’échelle du groupe. « Elle facilite les flux financiers et la gestion globale de l’activité économique et financière », assure Antoine Dupuis, qui met en garde contre la mise en œuvre des dispositifs, comme envisagés à travers Atad 3, qui pourraient contraindre encore
plus cette gestion des flux financiers alors que les d ispositifs en place depuis les deux premières directives Atad permettent déjà de corriger les situations abusives. Une sur-réglementation pourrait peser sur l’attractivité de l’Union européenne et favoriser, par exemple, le Royaume-Uni. Suite au Brexit, les Britanniques ne sont désormais plus soumis aux contraintes européennes. Si leur politique fiscale s’inscrit dans le cadre défini au niveau de l’OCDE, ils disposent de plus de latitude que leurs voisins européens et pourraient chercher à attirer davantage de multinationales désireuses de se structurer à l’international. En outre, les holdings ou les véhicules établis dans le cadre d’une activité de gestion collective d’investissement génèrent une activité substantielle localement, qui est loin d’être négligeable. « L’expertise juridique, fi scale, financière associée à la gestion de ces structures représente des milliers d’emplois au Luxembourg. Il y a une réelle substance, une activité menée localement qu’il est difficile d’ignorer, avec des compétences avancées dans des domaines particuliers », explique Jean Schaffner. On ne peut plus parler de coquilles vides dans l esquelles seraient simplement rapatriés les profits. « Si le transfert de dividendes entre sociétés d’un même groupe ne génère pas de retombées fiscales, la substance locale liée à la gestion de ces structures entraîne une activité économique qui, elle, générera des recettes fiscales », précise Antoine Dupuis.
Source
autorités fiscales les dispositifs jugés potentiellement agressifs, explique-t-il. Cette directive et son champ d’application, cependant, sont complexes et extrêmement difficiles à a ppréhender. Au Luxembourg, l’expertise en matière juridique et fiscale de l’écosystème a permis le développement d’outils mis à la disposition des acteurs pour rationaliser les processus à l’égard de telles obligations et faciliter l’échange avec les autorités fiscales. De cette manière, Luxembourg soutient les acteurs dans leur démarche de mise en conformité vis-à-vis de leurs obligations tout en veillant à la réputation de la Place. »
www.delano.lu
The Delano offering is expanding! Finance The latest industry news from the heart of Luxembourg’s financial centre ¼ Twice a month, every other Tuesday at 2:00 pm
Weekend "10 Things To Do" ¼ Every Saturday at 9:00 am
International Daily Stay up to date with the Breakfast & Noon Briefings
For local and global players interested in expanding their business ¼ Once a month on Wednesday at 2:00 pm
¼ Briefings at 6:45 am and 11:45 am
SUBSCRIBE on get.delano.lu/newsletters
Face-à-face
Londres peut-elle devenir un nouvel eldorado fiscal ? Le Royaume-Uni étant sorti de l’UE, peut-il se positionner en nouvel espace dérégulé et fiscalement avantageux pour tirer son épingle du jeu ? Nous avons exploré cette thématique avec Anne-Sophie Theissen, directrice Avis et affaires juridiques au sein de la Chambre de commerce, et Keith O’Donnell, managing partner d’Atoz.
« Il y a une volonté britannique de concurrencer l’Europe. » KEITH O’DONNELL Managing partner Atoz
Quels sont les enjeux actuels, sur les plans légal et fiscal, relatifs aux futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ? K. O’D. En matière fiscale, je pense que les évolutions à venir de part et d’autre de la Manche nous unissent plus qu’elles ne nous séparent. La fiscalité évolue fortement à un niveau international et les développements envisagés au niveau de l’OCDE s’appliqueront aussi bien au Royaume-Uni et au Luxembourg que dans la plupart des autres pays. Nous serons de plus en plus contraints par des règles internationales, avec une possibilité limitée – malgré ce que certains imaginent – de se faire concurrence entre États au niveau fiscal. A.-S. T. Une des difficultés suite à la sortie du Royaume-Uni du marché intérieur et de l’union douanière réside justement dans l’augmentation des contraintes, limitant les échanges. Les démarches administratives douanières, notamment, sont plus lourdes. Le passeport européen ne joue plus non plus au niveau du marché financier. Si le Royaume-Uni s’inscrit dans une démarche de trop forte dérégulation, le risque est que l’accès de la City au marché unique soit vraiment restreint.
Romain Gamba
Quel bilan peut-on tirer de la situation au niveau économique ? A.-S. T. Le Royaume-Uni ne semble pas, à ce stade, être sorti gagnant du Brexit. On constate que les exportations et les importations du pays sont en baisse. En outre, il doit faire face à un manque cruel de main-d’œuvre, notamment de chauffeurs poids lourds, entraînant d’importants problèmes au niveau de toute la chaîne d’approvisionnement. Si l’on regarde les chiffres disponibles, la Food & Drink Federation parle d’un effondrement des exportations britanniques de produits alimentaires et de boissons vers l’UE de 2 milliards de livres sterling au cours du premier trimestre 2021. On peut difficilement imaginer que cette baisse puisse être compensée par des augmentations des
exportations vers des marchés non européens. Dans l’ensemble, les ventes de ces produits vers l’UE pour les six premiers mois de l’année ont chuté de 27,4 % par rapport à la période préCovid de 2019. Pour les exportations vers le Luxembourg, on parle d’une baisse de 49,2 % entre le premier semestre 2019 et le premier semestre 2021, et même de 66,2 % entre le premier semestre 2020 et le premier semestre 2021. KEITH O’DONNELL (K. O’D.) Ces chiffres montrent que le Brexit relevait d’un choix politique. Ce n’était en rien un projet économique. Au cours de la campagne en faveur de sa sortie, beaucoup ont avant tout avancé des prétextes permettant d’expliquer que cela ne serait pas une catastrophe, sans étudier vraiment les conséquences économiques d’un tel projet. Aujourd’hui, ils sont confrontés à la réalité. À court terme, le bilan est assez défavorable pour le RoyaumeUni. À moyen et long termes, the Office for Budget Responsibility, l’organe indépendant chargé d’établir des projections économiques, fait état d’un recul de 4 % de l’économie.
Photos
Voilà quelques mois que la sortie du Royaume-Uni de l’UE est effective. Quel regard portez-vous sur cet événement ? ANNE-SOPHIE THEISSEN (A.-S. T.) Tout d’abord, il faut dire à quel point nous regrettons la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. C’est une grande déception. Il faut rappeler comment nos places financières respectives ont grandi ensemble pendant de nombreuses années, faisant valoir une belle complémentarité d’expertise. Pour l’avenir, il nous tient à cœur que le Royaume-Uni reste un partenaire privilégié du Luxembourg et de ses entreprises. Nous souhaitons pouvoir nous appuyer sur des relations commerciales aussi stables que possible, fondées sur un équilibre des droits et des obligations de chacun et garantissant des conditions de concurrence équitables.
Anne-Sophie Theissen et Keith O’Donnell
Que reste-t-il de la possibilité de voir émerger, comme cela a pu être évoqué, un « Singapour sur Tamise » ? K. O’D. On a évoqué l’idée de voir émerger, aux portes de l’Union européenne, un centre financier faiblement régulé et faiblement taxé. La réalité, aujourd’hui, est tout autre. Si l’on regarde le budget que vient de proposer le chancelier britannique, il relève plus d’une approche travailliste que du projet de « Singapour sur Tamise ». L’impôt sur les sociétés, que le gouvernement souhaitait réduire au départ, est finalement relevé en raison de contraintes budgétaires. A.-S. T. Le Royaume-Uni, contrairement à Singapour, n’est pas une cité-État. Il doit composer avec tout un contexte social, économique, démocratique. Les élus doivent donc aussi tenir compte des aspects socioéconomiques très éloignés des préoccupations du centre financier. Sans l’accès direct au marché unique, les Britanniques ont perdu en attractivité. Plusieurs acteurs ont d’ailleurs choisi de délocaliser une partie de leurs activités sur le continent, pour éviter d’être confrontés à des barrières physiques et réglementaires pour commercer avec l’Europe.
« Sans l’accès direct au marché unique, les Britanniques ont perdu en attractivité. » ANNE-SOPHIE THEISSEN Directrice Avis et affaires juridiques Chambre de commerce
difficiles d’accès, avec des marchés moins homogènes et une concurrence internationale forte et déjà en place. Abandonner le marché européen pour aller chercher quelque chose d’autre, ce n’est pas forcément évident. À l’inverse, quels sont les enjeux de cette situation, pour le Luxembourg ? K. O’D. Les flux commerciaux du Luxembourg vers le Royaume-Uni concernent davantage des services que des biens. Le vrai enjeu a trait à la relation qui existe entre les deux centres financiers. Jusqu’à présent, nous restons partenaires dans la mesure où nos activités sont complémentaires. Mais il faudra voir comment cette relation peut évoluer avec le temps.
Comment le Royaume-Uni peut-il réagir face à cette situation ? A.-S. T. La situation est assez tendue, principalement pour les 180.000 entreprises britanniques qui commerçaient essentiellement avec l’Union européenne. Ces acteurs sont confrontés à des contraintes, de nouveaux contrôles douaniers, des exigences vétérinaires, d’autres réglementations qui restreignent la circulation À quelles évolutions peut-on s’attendre ? des marchandises… Une enquête du UK Trade K. O’D. Les possibilités, pour le Royaume-Uni, Policy Observatory de l’Université du Sussex, de réduire la charge fiscale ou réglementaire publiée par The Independent, s’appuyant sur sont limitées. Par contre, ses dirigeants pourles chiffres du gouvernement, relayait récem- raient se contenter de suivre ces règles comment que si l’on tenait compte de la totalité munes pendant que l’Europe déciderait des nouveaux accords commerciaux post- d’aller au-delà, alourdissant les contraintes, Brexit de Boris Johnson, le Royaume-Uni ne comme on a naturellement tendance à le faire. pourrait bénéficier que d’un avantage écono- Le Royaume-Uni gagnerait progressivement mique situé entre 0,01 % et 0,02 % du PIB au un avantage compétitif, qui pourrait nous cours des 15 prochaines années. Ces nouveaux pénaliser. Sur d’autres aspects, il y a une volonté accords de libre-échange, négociés entre gou- britannique de concurrencer l’Europe, comme vernements, ne sont – d’après cette publica- dans le domaine des fonds alternatifs, sur tion – que des tentatives visant à remplacer lequel est bien positionné le Luxembourg. des traités qui existaient déjà avec l’Union A.-S. T. Le Royaume-Uni, évidemment, va européenne. Les conséquences de la sortie chercher à renforcer sa compétitivité et son sont donc énormes. attractivité sur certains aspects. Et c’est bien K. O’D. La marge de manœuvre, si le Royaume- légitime. Comme d’autres régions nourrissent Uni souhaite accéder au marché européen, aussi des ambitions à l’égard de l’Europe et sera toujours limitée. L’Europe, qui n’est pas du Luxembourg. C’est pourquoi il est impordupe, empêchera le développement d’une tant d’être vigilant par rapport à ce qui se situation de concurrence déloyale. Le Royaume- passe ailleurs, de rester innovant et créatif. Uni peut aussi décider que le marché euro- On l’a vu dans le cadre du Brexit : les capitaux péen n’est plus sa cible principale et qu’il est peuvent bouger très vite, dans un sens ou plus opportun de commercer avec des régions dans l’autre. Il est essentiel de ne pas se repoplus éloignées. Mais cela semble compliqué, ser sur ses lauriers. le marché européen demeurant attractif et les autres régions, comme l’Asie, restant plus Interview S. L.
Interview
« Ne restons pas sur le banc de touche ! »
38
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Photo
Par la voix de son directeur et président du comité exécutif, Jean-Paul Olinger, l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) appelle le gouvernement à entamer dès 2022 une réforme fiscale ambitieuse afin de s’engager sur la voie d’une économie locale prospère et durable.
Romain Gamba (archives)
L’UEL encourage le gouvernement à anticiper davantage l’impact des nouvelles règles fiscales internationales sur les finances publiques et sur notre modèle de croissance économique.
Jean-Paul Olinger
BIO EXPRESS Jean-Paul Olinger, 43 ans, dirige l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) et l’Institut national pour le développement durable et la respon sabilité sociale des entreprises (INDR). Diplômé d’un MBA de HEC Lausanne et d’un MBLT de l’université de Mannheim, Jean-Paul Olinger rejoint l’équipe fiscale de KPMG Luxembourg en 2005 où son parcours l’emmène d’assistant à associé. En janvier 2018, il rejoint le secrétariat général de l’UEL, d’abord en tant que secrétaire général, puis en tant que directeur. Puis, il préside le comité exécutif de l’UEL et est nommé directeur de l’INDR. Jean-Paul Olinger occupe différ ents postes d’admi nistrateur dans les organes de la sécurité sociale luxembourgeoise. Il est membre de la Fédération des jeunes dirigeants depuis 2012, dont il a assuré la présidence lors de l’exercice 2016-2017.
Pourquoi devient-il urgent d’entamer une véritable réforme fiscale au Luxembourg ? La raison est simple : l’agenda fiscal international ne nous attend pas. Des décisions sont prises à d’autres niveaux et elles auront un impact certain sur le Luxembourg, qu’on le veuille ou non. Le train est en marche et il est temps de monter à bord. Point positif, l’agenda politique luxembourgeois est aujourd’hui commun à celui de nombreux autres pays qui nous entourent et à celui de la Commission européenne. Des thèmes comme la digitalisation, la transition énergétique et l’upskilling sont des priorités partagées. Aussi, l’accord de coalition gouvernemental de 2018 affichait des objectifs clairs dans ces matières. Aujourd’hui, il est évident que la fiscalité doit être un levier pour soutenir ces sujets, pour canaliser les capitaux privés sur les bons rails. Des dossiers sont sur la table. Le temps est venu de les mettre en œuvre dès 2022. Il ne faut pas perdre de vue que 2023 sera une année électorale. En 2024, on peut s’attendre à une phase transitoire, le temps que le nouveau gouvernement trouve ses marques… Aujourd’hui, l’équipe en place est rodée. Alors allons-y ! Sinon, nous allons nous retrouver en 2025 et rien n’aura été entrepris, alors même que le coup d’envoi du match est déjà donné. Ne restons pas sur le banc de touche !
renseigne un coût fiscal sur les bénéfices plus élevé pour les entreprises au Luxembourg (taux de 24,9 %) que dans la moyenne des pays EU-28 (taux de 21,4 %). Pour être attractif dans un monde globalisé, le Luxembourg doit avoir un coup d’avance sur ses compétiteurs et ne pas r ester sur le bord du terrain, ce qui implique de continuer à soutenir les investissements des entreprises par des mesures fiscales ciblées. Qu’en est-il au niveau de la formation et de la mise à niveau des compétences ? Le gouvernement l’a dit dès 2018 : nous devons faire avancer la transition digitale, la transition énergétique et, pour y arriver, nous devons agir sur le levier des compétences et inciter les salariés à suivre des formations. En effet, tout le monde s’accorde à dire que nous aurons encore plus besoin de nouveaux talents à l’avenir. Par ailleurs, nous sommes clairement dans une situation structurelle de manque de main-d’œuvre qui touche beaucoup de métiers, par exemple le chauffeur de bus, le boulanger ou encore l’informaticien. Nous devons donc aussi donner envie à des non-résidents de venir travailler au Luxembourg. Pour assurer la transition énergétique et digitale du pays, on aura tous besoin d’ingénieurs, d’informaticiens, de talents divers… Sur des profils bien ciblés que nous n’arrivons pas à former au Luxembourg, nous devons développer des pistes pour pouvoir les attirer et les retenir. Un problème que nous partageons avec la majeure partie du monde occidental et qui rend la guerre des talents plus dure. Dans l’ensemble, il est important de regarder si notre pays reste attractif pour les talents, par rapport à d’autres pays. La fiscalité peut être l’une des pistes. Aujourd’hui, l’étude Taxation Trends in the European Union 2020, évoquée plus tôt, renseigne un taux d’imposition marginal sur les revenus des personnes physiques plus élevé au Luxembourg (taux de 45,8 %) que dans la moyenne des pays EU-28 (taux de 39 %), ce qui est clairement un frein à l’attraction de talents. Des mesures fiscales ciblées sont donc nécessaires, en plus de la modernisation de c ertaines des mesures existantes. Par exemple, il existe un régime des impatriés, mais celui-ci est-il suffisamment attractif comparé aux régimes applicables dans les autres pays ? D’autres initiatives ont été prises récemment, comme l’introduction de la prime participative, qui prévoit la possibilité pour les employeurs d’allouer à leurs salariés une prime pouvant bénéficier d’une exemption d’impôt sur le revenu à hauteur de 50 %. C’est un pas en avant que nous saluons, mais certains freins à sa mise en œuvre généralisée existent et devraient être levés.
Quelles sont les pistes envisagées ? Adapter le cadre législatif de la fiscalité, tant en ce qui concerne les salariés que les entreprises et les investisseurs. Un autre point, sur lequel je reviendrai plus loin, concerne la compétitivité du pays sur la carte internationale, mais tout est finalement étroitement lié. Pour les salariés, la problématique du logement est plus que jamais d’actualité et touche de plus en plus de personnes. Le logement est très cher, les gens s’éloignent, ce qui conduit aux problèmes de mobilité et de recrutement qu’on connaît aujourd’hui. La fiscalité ne résoudra pas le problème à elle seule, mais elle peut agir sur l’équation offre / demande. Pour défendre l’attractivité du Luxembourg, il est important de veiller au pouvoir d’achat des salariés sans augmenter continuellement la pression sur le niveau des salaires. Par ailleurs, afin de réduire les inégalités, on peut évidemment adhérer à la récente recommandation de la Fondation Idea concernant une adaptation fiscale en faveur des familles monoparentales, plus exposées que les autres à la précarité. Avec les indépendants, elles sont les plus touchées. Sans oublier que la fiscalité des célibataires au Luxembourg est aussi parmi les plus élevées en comparaison européenne, alors que ce sont généralement des jeunes diplômés que nous essayons d’attirer pour travailler et vivre au Luxembourg. Pour les investisseurs, le Luxembourg doit rester le rondpoint de la finance internationale, avec un cadre clair et stable, tout en ayant une approche pragmatique en ligne Comment la fiscalité peut-elle soutenir davantage les entreprises locales ? avec les standards fiscaux internationaux. Pour les entreprises, la compétitivité passe n otamment Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où l’épargne par les soutiens à l’innovation et la maîtrise du coût fiscal des ménages est au plus haut. Cette épargne forcée accumulée global au titre de leurs investissements. Qui dit i nnovation, par les résidents depuis le début de la crise sanitaire est dit lever des fonds, investir en infrastructures et c ompétences, évaluée à environ 1,8 milliard d’euros au Luxembourg, en développer la R & D, bénéficier d’un cadre réglementaire plus de l’épargne dite « normale ». Dès lors, un objectif moderne, produire et vendre ses produits et s ervices, tout prioritaire du gouvernement devrait être d’orienter cet en restant profitable. Le prix – dont les impôts – que les inves- argent vers des capitaux productifs, comme le relève aussi tisseurs sont prêts à payer pour agir depuis le Luxembourg la Fondation Idea, c’est-à-dire vers les entreprises locales, dépend de la globalité des facteurs p ertinents contribuant les PME et les start-up. Enfin, beaucoup de discussions ont trait aujourd’hui à à l’attractivité du pays. Aujourd’hui, l’étude Taxation Trends in the European Union 2020 de la Commission européenne la transmission et à la reprise des entreprises. Nous devons JANVIER 2022 TAX & LEGAL
39
Interview Jean-Paul Olinger
« Nos finances publiques sont saines. Profitons de cette situation avantageuse et n’attendons pas d’être dos au mur pour agir. »
faciliter cette reprise et favoriser les consolidations pour avoir des structures de taille suffisamment grande pour qu’elles puissent s’organiser de manière professionnelle et augmenter leur rentabilité. Pour finir, comme indiqué plus tôt, il faut soutenir les entreprises dans leurs efforts de digitalisation, de transition énergétique et de formation professionnelle. La fiscalité est un des leviers à utiliser à cet égard. Un autre volet qui touche à la fiscalité est celui de la simplification administrative. Comment le gouvernement peut-il agir à ce niveau ? L’étude Paying Taxes de la Banque mondiale compare d’année en année la situation fiscale d’une entreprise type dans les pays du monde entier. Nous occupons la 23e place du classement en 2020, il y a donc des points sur lesquels on peut encore s’améliorer. Ce sont de petites choses sur lesquelles on peut agir grâce à la digitalisation et la simplification administrative. En septembre dernier, la Chambre de commerce a d’ailleurs publié ses propositions législatives de mesures ponctuelles visant à moderniser le système fiscal, sans générer d’impact budgétaire négatif significatif. Ces mesures s’articulent autour de trois axes stratégiques que sont l’allègement de la charge fiscale, le renforcement des droits du contribuable et la cohérence juridique. Revenons à l’agenda fiscal international. Dans une carte blanche publiée fin octobre, vous invitiez le pays à être un pionnier plutôt qu’un suiveur sur ce sujet… Sur le plan de la fiscalité internationale, que ce soit au niveau de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr), du G7 ou du G20, les discussions tournent autour d’une plus grande cohérence dans l’imposition des entreprises au niveau mondial. Une question centrale touche au transfert partiel du droit d’imposition des pays producteurs vers les pays consommateurs. L’autre sujet est celui de l’imposition minimale de 15 % sur les revenus des multinationales. Nous encourageons donc le gouvernement à anticiper l’impact des nouvelles règles sur les finances publiques et sur notre modèle de croissance économique. D’autres pays comme la Grande-Bretagne, l’Irlande et les Pays-Bas adaptent plus promptement leur fiscalité aux nouveaux enjeux fiscaux et environnementaux. La concurrence se durcit et il faut être présent, tout en respectant les standards fiscaux internationaux. Dès 2018, c’est le ministère des Finances qui le disait : « À politique inchangée, le Luxembourg risque de perdre son attractivité en tant que terre d’accueil pour les entreprises internationales. » Entre-temps, les études de l’OCDE et du FMI (Fonds monétaire international, ndlr) sont arrivées à la même conclusion. Il faut donc anticiper, s’entraider et afficher le bon état d’esprit. Je ne pense pas que nous puissions nous permettre de nous limiter à des débats conceptuels et idéologiques. Quels sont les risques encourus si rien n’est entrepris rapidement ? On l’a dit, même s’il reste des zones d’ombre et des incertitudes, l’agenda fiscal international est lancé et la direction est claire. Nous sommes un pays sans marché propre qui exporte plus de 85 % de ses produits et services, 40
TAX & LEGAL JANVIER 2022
JEAN-PAUL OLINGER Directeur et président du comité exécutif Union des entreprises luxembourgeoises
avec la majorité des recettes fiscales provenant du secteur financier, et nous risquons donc d’être impactés au niveau de nos recettes fiscales, avec des répercussions directes sur notre économie. Nous devons donc être vigilants. Particularité de notre système luxembourgeois, outre la dépendance au secteur financier, le système de la sécurité sociale est en partie subventionné, c’est-à-dire que l’État contribue à son budget. Ainsi, nos cotisations sont moins élevées que dans d’autres pays voisins. Mais sa pérennité est étroitement liée aux recettes fiscales qui sont perçues. De plus, l’inflation peut faire augmenter les coûts et, là encore, réduire les recettes… Par ailleurs, avec les multiples réformes fiscales liées aux initiatives de la Commission et de l’OCDE, on assiste à une augmentation de la complexité juridique et de l’insécurité en matière fiscale. Or, dans ce contexte, tout investisseur pourrait tout simplement choisir d’investir ailleurs. Pour conclure, nous comprenons les annonces du gouvernement qui a décidé de ne pas entamer de réforme fiscale d’envergure en 2020 ou 2021. Mais 2022 doit être l’année de la mise en œuvre. Nous avons eu un échange avec la commission des finances et du budget de la Chambre des députés en septembre, dans le cadre des discussions qui ont été lancées sur la modernisation de la fiscalité et sur la justice fiscale. Avec l’UEL, nous souhaitons participer au débat, être force de proposition pour soutenir une économie prospère, inclusive et durable. Si l’équité fiscale est un sujet important, encore faut-il d’abord s’assurer de la croissance de nos recettes fiscales, ce qui pose la n écessaire question du maintien de la compétitivité fiscale du pays.
Auteur M.P.
FR/EN
BREAKFAST TALK FINANCIAL INDUSTRY: THE NEW RULES OF OUTSOURCING
08.03.22
Mardi 08h30
Inscription et informations : www.paperjam.lu/club
Celebrating 30 years in the Grand Duchy, Loyens & Loeff today employs 230 professionals in its Luxembourg office.
Tax & Legal
Further. Better. Together. Sponsored content by LOYENS & LOEFF LUXEMBOURG
In many ways, Loyens & Loeff, the country’s third largest law firm, has grown in step with the local financial sector. They have built on past achievements by leveraging the full scope of their broad expertise.
“The story of Loyens & Loeff’s three decades in Luxembourg is of us ensuring we have a strong pipeline of highly motivated talent to enable us to meet our clients’ expectations,” explained Marc Meyers, Managing Partner and Head of the Investment Funds practice. “It is an important part of our DNA that we have been willing and able to adapt,” added Peter Adriaansen, a Tax Partner. 30 years of being your trusted partner in Luxembourg “30 years ago, tax was in the driver’s seat, and the lead
42
TAX & LEGAL JANVIER 2022
partners were tax specialists,” he said. Loyens & Loeff built and maintained its lead in Luxembourg in this area thanks to its team of experienced tax lawyers and tax advisers. To this the firm has added deep layers of expertise in other fields, such as the major role it now plays in the local fund ecosystem. Growth on the fund side has been so impressive that a couple of years ago the firm officialised the status of its multidisciplinary investment management practice. This group works holistically, dealing with
BRAND VOICE
3 DECADES OF EVOLUTION
A FEW WORK HIGHLIGHTS
1990s
everything from fund formation and the regulatory side, through to finance and tax. When necessary, they are helped by their in-house fund litigation specialists. This team features more than forty lawyers and six dedicated partners out of a total office headcount of 230. “This innovation resulted from increased requests from clients,” explained Mr Meyers. “Given the increased complexity and sophistication of the alternative fund space, it became clear that an integrated and collaborative approach is the only way to provide smart solutions.” The demands in respect of each alternative investment strategy require a tailor-made solution to meet unique structuring and tax challenges, particularly when managing international assets. This practice adds to the firm’s reputation as a leading alternative funds specialist in Luxembourg, which itself is the leading global crossborder player in this space. Working together makes the difference It wasn’t always this way. When the Netherlands-based international law firm Loyens & Loeff decided to open a practice in the Grand Duchy, it was as a tax advisor rather than a fully fledged law firm.
“ It became clear that an integrated and collaborative approach is the only way to provide smart solutions.” Marc Meyers Managing Partner and Head of the Investment Funds practice
Loyens & Loeff is established in Luxembourg, principally as a traditional tax advisory firm to multinational enterprises.
2000s
As Luxembourg embraces alternative funds, Loyens & Loeff offers clients the necessary structuring, corporate, banking and tax services.
2010s
and onwards Loyens and Loeff becomes Luxembourg’s leading tax and alternative fund specialist, largely thanks to its multidisciplinary approach.
This was in the 1990s when international corporate structuring was a largely uncontroversial part of business life. This all changed with the global financial crisis, and both the firm and Luxembourg have had to adapt. “We live in a democracy, so that’s how it should be,” commented Mr Adriaansen. Feeding into this is the firm’s unique-in-Luxembourg fund litigation expertise. They have and continue to deal with some of the highprofile cases that resulted from the global financial crisis, including former Luxembourg fund directors being sued in the wake of the Madoff fraud. In cases such as these, Loyens & Loeff Luxembourg works alongside colleagues from other major legal firms in global financial capitals. “The department was founded during the crisis, but it has grown as we follow market trends,” said Véronique Hoffeld, Head of the Litigation & Risk Management practice. “The fund sector has grown and become more complex, plus there is corporate litigation, which did not use to be there when structuring models were also less complex,” she added. The firm’s banking and finance practice is also critical to this success and has flexed with the requirements of the local market. “Increasingly we have focused on the work of private equity firms, both on the lender and sponsor sides, while still serving financial and industrial groups
as we have done from the beginning,” noted Anne-Marie Nicolas, the department’s Lead Partner. The transactions carried out in the alternative fund area can be complex, particularly regarding private equity firms working crossborder seeking to negotiate favourable deals. In the wake of the Covid market decline, Ms Nicolas has witnessed a sharp increase in international distressed and acquisition finance, as well as debt restructuring. She also expects that boards will increasingly seek advice around liability and reputational risk in a more aggressive creditor environment where crisis management is frequent. The banking and finance practice strengthened its financial regulatory and capital markets teams, which have grown substantially. This was in response to increased scrutiny and an increased volume in regulatory and reporting obligations in the financial and capital markets. Brexit has added further complexity, with businesses aiming to maintain access to the EU internal market continuing to seek new structures within the EU to ensure continuity of service. There are overlaps here too with the work of the Corporate and M&A Practice headed by partner Frédéric Franckx. “Previously the main role of the corporate experts was to support and implement tax structures. This has changed over time to become a true M&A practice, involving multinationals and private equity firms, working on technically complex files in collaboration with our fund experts,” he said. “The Dutch DNA of our firm means we have very flat hierarchies,” said Mr Meyers. “This helps a lot in the way we work, the way we are integrated, the way our teams collaborate.” This dynamic is central to how the firm manages to grow and differentiate itself in a competitive landscape.
Takeover expertise Loyens & Loeff advised on the €1.8bn financing of the takeover of iconic German shoe manufacturer Birkenstock.
Capital market moves When Altice SA needed help with its capital increase following its acquisition of a large stake in Numericable, they turned to Loyens & Loeff.
Fund litigation Loyens & Loeff Luxembourg represents the former directors of the Luxalpha and LIF funds in the wake of the €4bn Bernard Madoff scandal.
TREND SPOTTING
On the horizon Post-Covid increase of distressed finance and acquisitions. Board liabilities and financial regulatory come to the fore. ESG and CSR become key topics in the legal sector.
ore For m visit io t a n, inform
ff.lu
loe loyens www.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
43
Passé, présent et futur
Voyage à travers l’histoire des impôts au Luxembourg Depuis la création du Luxembourg, né dans sa forme actuelle en 1839, jusqu’à aujourd’hui, la charge fiscale a considérablement évolué. Retour sur près de deux siècles d’histoire de l’impôt au Luxembourg.
La place financière luxembourgeoise est aujourd’hui l’une des plus influentes d’Europe et une véritable locomotive pour les autres activités du pays, ainsi qu’un grand pourvoyeur d’emplois (le secteur représente 11 % de l’emploi, contre 3 % en moyenne pour l’Union européenne). Le succès et l’importance de la place financière s’expliquent par de nombreux facteurs comme la stabilité politique et économique, la position centrale du pays sur la carte de l’Europe, son triple A, mais aussi son système fiscal avantageux et résolument finance friendly. Pour comprendre comment le pays en est arrivé là, nous vous proposons un petit voyage à travers l’histoire des impôts au Luxembourg avec Denis Scuto, docteur en histoire de l’Université Libre de Bruxelles depuis 2009, enseignant-chercheur à l’Université du Luxembourg et auteur d’une publication sur l’histoire des impôts au Luxembourg dans l’ouvrage collectif Impôts et justice fiscale au Luxembourg : les éléments clés pour une future réforme.
44
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Collage Shutterstock Photos
Un impôt à 1 % La vague révolutionnaire qui gronde dans toute l’Europe en 1848 s’accompagne au Luxembourg d’une réforme fiscale qui applique de nouveaux taux d’imposition : 1 % d’impôt sur les traitements, salaires et pensions, 2 % sur les bénéfices et les gains. Certaines professions en étaient toutefois exemptées (soldats, apprentis, ouvriers, journaliers et domestiques), tout comme les revenus des communes, des hospices ou encore des fabriques d’églises. En 1849, le droit de patente est aboli pour laisser place
Marielle Voisin
1839, naissance du Luxembourg Le Grand-Duché tel qu’on le connaît aujourd’hui en tant qu’État souverain et indépendant est né en 1839, issu indirectement de la révolution belge de 1830. La population luxembourgeoise a en effet vivement exprimé son mécontentement par rapport aux impôts indirects imposés par le roi Guillaume Ier des Pays-Bas (impôts sur le vin, sur le pain, accises sur l’alcool, etc.). En matière d’impôts directs, le jeune GrandDuché hérite de la nouvelle philosophie de la fiscalité introduite par les Lumières qui remplace l’impôt-tribut par l’impôt-échange et introduit le principe d’égalité devant l’impôt et celui de proportionnalité. En 1841, la législation luxembourgeoise reprend les impôts directs en vigueur sous la période hollandaise (1815-1830) avec une contribution personnelle perçue sur la valeur locative, les portes et fenêtres, les foyers, le mobilier, les domestiques et les chevaux, un droit de patente fixe sur les revenus des industriels, commerçants et personnes exerçant une profession libérale (les ecclésiastiques, fonctionnaires, avocats, médecins et artistes en étaient exemptés), ainsi qu’une contribution foncière.
Votre business club à portée de main ! En quelques clics seulement, vous pouvez vous inscrire aux événements du Club et planifier votre agenda grâce à des wish lists. Vous serez informés des événements enregistrés et des messages reçus via des notifications.
Après chaque événement, continuez le networking entre membres via des conversations one-to-one et des groupes de discussion. Votre suivi postévénement sera facilité et 100% sécurisé.
TÉLÉCHARGEZ L’APP SUR PAPERJAM.CLUB
Passé, présent et futur
RECETTES FISCALES EN % DU PIB
à partir du 1er janvier 1941 et sera maintenu après la Libération, par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944. Toutes les dispositions discriminatoires antisémites seront naturellement annulées. Luxembourg Moyenne OCDE L’adoption de ce nouveau régime représente Source OCDE une révolution sur le plan fiscal mais aussi économique et social au Luxembourg. Ce nouvel 4 0% impôt est « censé faire des cotisations sociales des outils de redistribution et de solidarité dans le 3 0% cadre du Welfare State : des riches vers les pauvres, des actifs vers les non-actifs, des non-malades aux malades, des jeunes aux personnes âgées », 2 0% explique Denis Scuto dans sa publication. En 1967, l’impôt sur le revenu des per1 0% sonnes physiques varie d’un taux de 0 %, pour la tranche de revenu inférieure à 26.400 francs 0 % annuel, à 12 % pour la tranche entre 26.400 2000 2005 2010 2015 2020 et 36.000 francs, et jusqu’à 57 % pour les revenus annuels dépassant 504.000 francs. Les ménages sont également répartis en trois classes distinctes : les célibataires, les perà un impôt foncier de 2 % sur les revenus des sonnes mariées sans enfants à charge et les marchands ambulants, des marchands de bétail personnes de plus de 65 ans, et les personnes et lds entrepreneurs de jeux d’amusement. Un mariées, veuves ou divorcées avec des enfants impôt foncier de 10 % sur les revenus des pro- à charge. Concernant l’impôt sur les collecpriétés bâties et non bâties voit également le tivités, il est fixé entre 20 et 40 % en fonction jour (il passera à 8 % en 1869). du revenu imposable. En 1868, les apprentis, ouvriers, journaliers et domestiques sont à leur tour soumis à l’im- Une histoire qui reste à écrire pôt, tout comme les fabriques d’églises et les Il faudra attendre les années 80 pour voir la communes. Seuls les soldats restent exemptés charge des impôts directs diminuer progresd’impôt. Un impôt de 3 % est également perçu sivement au Grand-Duché. Ainsi, pour la sur les revenus de capitaux placés à intérêt ou tranche la plus haute (plus de 200.000 euros investis dans le commerce et l’industrie. Enfin, de revenus annuels), le taux est passé de 57 % en pleine industrialisation du pays, un impôt en 1967 à 42 % en 2021 et, pour la tranche minier est généralisé à hauteur de 1,5 % du prix inférieure imposable (11.265-13.137 €), de 12 de vente des produits pour les entreprises minières. à 8 %. La TVA, apparue en 1970, a quant à elle En 1913, la déclaration d’impôt devient augmenté, passant de 8 à 17 % aujourd’hui. obligatoire au Luxembourg et le taux d’imL’impôt sur les sociétés a lui aussi forteposition devient progressif, passant de 0,2 % ment baissé depuis le milieu des années 60, à 6 % de contribution mobilière. Le taux de 0,2 % passant d’un maximum de 40 % en 1967 à 17 % est appliqué aux contribuables aux revenus aujourd’hui. L’impôt communal est néaninférieurs à 3.000 francs alors que le taux moins venu s’ajouter à ce chiffre, portant le plafond de 6 % concerne les Luxembourgeois taux d’imposition des sociétés à près de 25 %. gagnant 1 million de francs et plus. C’est à Enfin, à partir des années 2000, dans le cadre cette période également qu’un minimum vital de l’éclosion de la place financière, le taux de exonéré d’impôts est institué et qu’un impôt la retenue d’impôt sur les capitaux qui s’apsur la fortune fait son apparition (il ne dispa- plique sur les dividendes est passé de 25 à 15 %. raît qu’en 2006 pour les personnes physiques). « Cette histoire intéressante et importante de En 1919, les impôts directs sont regroupés l’impôt et de la politique fiscale dans la longue en un « impôt général sur le revenu ». Comme durée reste encore largement à écrire au Luxemle rappelle Denis Scuto dans sa publication, bourg. Et les réformes fiscales que le gouvernemême si un impôt complémentaire sur le reve- ment annonce depuis belle lurette – sans jusqu’à nu des capitaux voit le jour en 1927, l’entre- présent passer à l’acte – mériteront, elles ausdeux-guerres reste une période de low taxes au si, d’être analysées à la lumière de cette histoire Luxembourg. À titre de comparaison, en 1920, où s’entremêlent des notions économiques, sociales, la France adoptait un taux maximal de 50 %. juridiques, politiques, philosophiques, idéologiques, une histoire de redistribution ou de 1941, un second tournant historique distribution changeante des conditions de reveMais la Seconde Guerre mondiale marquera nu et de fortune », conclut Denis Scuto. un nouveau tournant historique pour la fiscalité luxembourgeoise. Le système fiscal allemand est en effet imposé au Grand-Duché Auteur A. B. Les recettes fiscales totales en pourcentage du PIB indiquent la part de la production d'un pays qui est prélevée par l’État sous forme d’impôts.
46
TAX & LEGAL JANVIER 2022
LE LUXEMBOURG EN 5 DATES HISTORIQUES Le Luxembourg possède une riche histoire. Voici 5 dates à retenir. 963 : naissance de Luxembourg L’année 963 est considérée comme celle de la fondation officielle de la ville de Luxembourg. Cette date figure sur une charte signée entre l’abbaye Saint-Maximin de Trèves et le noble Siegfried, désireux d’acquérir un promontoire stratégique pour faire face aux ennemis. 1839 : l’indépendance Le traité de Londres de 1839 définit les frontières du pays tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce traité met fin à dix années de troubles, au cours desquelles la population était déchirée entre son allégeance au roi néerlandais, l’occupation prussienne et les solides sympathies d’une partie de la population envers les principes démocratiques belges. 1867 : la neutralité « perpétuelle » En 1867, un conflit entre la France et la Prusse, prêtes à se battre pour les fortifications du Luxem bourg, est déjoué au dernier moment. Cette crise a définiti vement fait tomber les célèbres fortifications de la ville de Luxembourg et conféré au pays son statut de neutralité. 1919 : adoption du suffrage universel Les conflits politiques et sociaux qui couvaient depuis plusieurs années ont fini par éclater à la fin de l’occupation allemande. Le référendum de 1919 et les modifications du système électoral, notamment l’adoption du suffrage universel, ont fini par stabiliser la situation du pays. 1985 : ouverture des frontières Les accords signés le 14 juin 1985 par le Luxembourg, l’Allemagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas constituent aujourd’hui la pierre angulaire de la libre circulation entre les États membres et sont le symbole d’une ouverture d’esprit qui se vit au Luxembourg au quotidien.
www.delano.lu Since 2011
Luxembourg in English 4€ at newsstands
SUBSCRIBE FOR FREE while working from home
Agenda réglementaire
48
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Collage
Depuis la crise financière de 2008, la réglementation fiscale est en pleine évolution. Elle se joue désormais à un niveau international, les différents pays ayant moins de marge de manœuvre pour adapter les règles adoptées à l’échelon supérieur. Des changements majeurs, longtemps évoqués, deviennent à présent concrets. De quoi inciter les acteurs luxembourgeois à se préparer à affronter la vague… Auteur Q. D.
Marielle Voisin
Fiscalité : la grande vague réglementaire
#Befit En matière de réglementation fiscale, l’Europe est friande d’acronymes. L’ancien projet CCCTB (Common Consolidated Corporate Tax Base) refait ainsi surface sous le nom de Befit (Business in Europe : Framework for Income Taxation). « La volonté de l’Europe, à travers ce nouveau projet réglementaire, est d’harmoniser la base taxable pour l’ensemble du territoire européen, détaille Sébastien Labbé, head of tax au sein de KPMG Luxembourg. De la sorte, l’Union compte à la fois simplifier les procédures pour des sociétés basées dans plusieurs pays, et lutter contre l’évasion fiscale. » Concrètement, les bénéfices réalisés par des groupes multinationaux basés en Europe seraient agrégés dans une assiette fiscale commune, répartie ensuite entre les États membres suivant une formule à déterminer. Ces montants seraient ensuite imposés dans chaque pays en fonction du taux national d’imposition des sociétés. « On évoque la possibilité d’utiliser les règles mentionnées dans le pilier 2 de l’accord-cadre de l’OCDE pour déterminer la clé de répartition de cette assiette commune entre pays mais, dans ce cas, on comprend difficilement pourquoi une autre réglementation est nécessaire », souligne Bart Van Droogenbroek, tax leader chez EY Luxembourg. « Il est aussi question de prendre en compte le chiffre d’affaires de ces sociétés dans chaque pays, voire le nombre de collaborateurs qu’elles emploient. Mais tout cela reste à déterminer. » Sébastien Labbé abonde dans ce sens, insistant sur « l’importance de s’assurer que toutes ces nouvelles mesures soient cohérentes ».
« Le but est de s’attaquer aux sociétés sans substance, qui n’ont pas de réelle activité ou d’employés dans un pays. »
Selon le dernier accord-cadre de l’OCDE, les sociétés multinationales pesant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires seront imposées à un minimum de 15 % dès 2023.
#OCDE L’annonce a fait grand bruit au mois d’octobre dernier : 136 pays membres de l’OCDE ont approuvé une réforme majeure du système fiscal international, qui sera concrétisée, au Luxembourg, par des directives européennes. Cet accord repose sur deux piliers. « Le premier est une vraie révolution, car il vise à taxer les très grandes entreprises, non plus seulement dans le pays où elles sont basées, mais aussi là où leurs clients résident », explique Sébastien Labbé. En ciblant les sociétés avec un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros, l’OCDE a clairement en ligne de mire les Gafa actifs dans le monde entier, mais qui ne payent un impôt que là où ils sont basés. « Ce nouvel outil va permettre à certains pays, dont les finances ont été affectées par la crise, d’accéder à une manne intéressante. Mais la clé utilisée pour déterminer quel montant sera versé à chaque pays reste à déterminer. De toute évidence, vu la taille de son marché domestique, le Luxembourg ne sera pas le plus grand gagnant à ce niveau », ajoute Sébastien Labbé. Le deuxième pilier, quant à lui, impose un impôt minimum de 15 % aux multinationales réalisant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros, et ce dès 2023. « Il s’agit d’une noble initiative mais, pour ce pilier aussi, des questions se posent sur le taux effectif d’imposition qui sera applipays, estime Bart Van qué dans chaque pays Droogenbroek. Des particularités nationales comme, au Luxembourg, la possibilité de reporter ses pertes d’une année à l’autre, rendent ce calcul complexe. L’OCDE a déjà fourni des guidelines, mais des précisions doivent guidelines encore nous être apportées. apportées. »
Dans une communication publiée au mois de mai dernier, la Commission européenne a lancé toute une série de propositions, dont Befit. Mais on trouve aussi dans cette liste des projets destinés à renforcer la transparence fiscale des grandes entreprises. L’un d’eux concerne l’obligation, pour un grand groupe, de publier chaque année son taux effectif d’imposition. « La même méthode que celle utilisée dans le pilier 2 de l’accord de l’OCDE devrait être employée pour définir ce taux effectif d’imposition. Mais pour ce point également, nous attendons des précisions de l’Europe », indique Bart Van Droogenbroek. La principale conséquence de cette mesure sera un renforcement des obligations de reporting de ces sociétés. Mais elle renforcera également la nécessité, pour ces groupes, de développer des stratégies de communication efficaces. « Dernièrement, un bureau d’études a publié un article sur le taux d’imposition effectif de différentes banques, situées dans plusieurs endroits du monde. Certaines différences de taille sautaient aux yeux et, même s’ils peuvent tout à fait se justifier, les acteurs doivent être prêts à détailler de façon claire les raisons qui expliquent ces variations. C’est un exercice de communication très délicat, auquel il faut réellement se préparer », ajoute le tax leader d’EY Luxembourg. S’il peut en paraître proche, le Public CBCR (countryby-country reporting) est toutefois un élément indépendant de cette nouvelle obligation. Déjà approuvé et devant entrer en vigueur en 2023, ce dernier va encore plus loin dans la volonté de rendre plus transparente la fiscalité des multinationales en Europe. « Aujourd’hui, un country-bycountry reporting est déjà appliqué en Europe. Des données comme les bénéfices par pays, le chiffre d’affaires par pays ou le nombre d’employés par pays sont déjà à disposition des administrations fiscales nationales. Le but, ici, est de rendre ces informations publiques, ce qui mettra sans conteste une pression supplémentaire sur ces entreprises », indique Bart Van Droogenbroek.
Photo
Guy Wolff
SÉBASTIEN LABBÉ Head of tax KPMG
15 %
#Transparence
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
49
Agenda réglementaire
Debra (Debt-Equity Bias Reduction Allowance) : voilà un autre acronyme qui risque de faire parler de lui au cours des prochains mois. Derrière ce nom un peu barbare se cache une proposition visant à mettre sur le même plan le financement par la dette et celui par fonds propres. « Jusqu’à présent, les entreprises qui souhaitent investir, se développer, sont souvent incitées à s’endetter plutôt qu’à utiliser leurs fonds propres. En effet, les intérêts sur cette dette sont généralement déductibles fiscalement, alors que le financement par capital propre ne donne pas lieu à une déduction fiscale », indique Sébastien Labbé. La dette est donc utilisée massivement par les sociétés dans leur stratégie de planification fiscale. Mais ce large recours au financement par la dette pourrait menacer le système financier global, accroissant notamment le risque de faillites et d’augmentation du chômage. « Pour limiter cette pratique, la Commission européenne veut introduire des déductions des intérêts notionnels sur le capital, à l’image de ce qui se fait déjà dans certains pays comme la Belgique, par exemple », complète Bart Van Droogenbroek. Cette déduction pourrait prendre la forme d’une prime versée pour tout nouvel investissement financé sur fonds propres. La Commission, qui entend inscrire rapidement cette proposition dans le droit européen, souligne que le dispositif légal final intégrera également des règles strictes en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
« La Commission européenne veut ouvrir la possibilité d’introduire des déductions des intérêts notionnels sur le capital, à l’image de ce qui se fait déjà dans certains pays comme la Belgique. » BART VAN DROOGENBROEK Tax leader EY Luxembourg
50
TAX & LEGAL JANVIER 2022
136 C’est le nombre de pays membres de l’OCDE qui ont approuvé une réforme majeure du système fiscal international.
#Atad 3 Le nom est déjà bien connu des fiscalistes européens. En effet, Atad 1 et 2 sont des réglementations qui ont découlé des premiers projets Beps (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE. Cette directive Anti-Tax Avoidance vise, comme son nom l’indique, à lutter contre l’évasion fiscale dans l’ensemble de l’Union européenne. La problématique est en effet devenue une priorité de la Commission européenne suite à la crise financière de 2008. Avec Atad 3, l’Europe veut à présent cibler en particulier les sociétés-écrans. « Le but est de s’attaquer aux sociétés sans substance, qui n’ont pas de réelle activité ou d’employés dans un pays et qui existent donc essentiellement pour des motifs fiscaux, explique Sébastien Labbé. Atad 3 privera ces sociétés de certains avantages. Le périmètre exact de cette réglementation reste à définir mais, en principe, les entités régulées devraient y échapper. » De manière générale, le head of tax de KPMG estime que le Luxembourg devrait être relativement épargné par cette mesure. « Une étude récente menée par notre firme montre que les gestionnaires de fonds alternatifs – susceptibles d’être visés par Atad 3 – ont considérablement augmenté leur substance au cours des dernières années. Il n’y a donc pas de raison de s’alarmer », précise-t-il. Bart Van s’alarmer Droogenbroek souligne toutefois qu’un reporting important sera nécessaire pour faire face à Atad 3. « Les fonds alternatifs, qui travaillent beaucoup avec des special purpose vehicles, devront justifier l’utilité de ces sociétés, comme les soparfi par exemple. Il faut donc se préparer à cette augmentation des exigences de reporting, sachant qu’une directive pourrait déjà être votée à la fin de cette année. »
#Luxembourg S’il est vrai que ce sont désormais les institutions internationales qui donnent le ton de la réglementation fiscale, particulièrement en Europe, chaque pays peut encore introduire ses propres changements en la matière. À la fin du mois d’octobre, le gouvernement luxembourgeois a ainsi publié son projet de loi concernant le budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 2022. Plusieurs mesures fiscales y sont mentionnées et devraient rapidement entrer en vigueur. « Il s’agit plus de corrections techniques et de simplifications que de réelles révolutions, mais ces décisions auront toutefois un impact sur les acteurs économiques et les citoyens luxembourgeois, explique Bart Van Droogenbroek. Parmi celles-ci, il faut tout d’abord noter l’introduction de la déductibilité pour toute participation au plan de pension paneuropéen, le PEPP. » Les citoyens luxembourgeois bénéficieront en effet des mêmes déductions fiscales pour ce produit que pour un autre contrat de prévoyance-vieillesse, tel que défini dans l’article 111 bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu. D’autres mesures évoquées dans ce projet de loi concernent plus les entreprises. C’est le cas de la taxation forfaitaire sur les rémunérations versées par les entrepreneurs dans le cadre d’un contrat de mission aux salariés intérimaires dont le salaire horaire ne dépasse pas les 25 euros. Enfin, il est également proposé de prolonger jusqu’au 31 décembre 2023 la bonification d’impôt sur le revenu en cas d’embauche de chômeurs.
POURQUOI LE LUXEMBOURG NE DOIT PAS AVOIR PEUR 1 Le pays collabore. « Toutes les initiatives légales que nous évoquons ici ont été conçues et mises en place avec la participation du Luxembourg. Le pays a donc démontré qu’il était, lui aussi, favorable à plus de transparence fiscale », estime Sébastien Labbé. 2 La Place est réglementée. Dans le secteur financier, un régulateur robuste fait déjà un travail important sur la Place luxembourgeoise. « Certaines pratiques n’existent plus et certaines des nouvelles règles pourraient ne pas s’appliquer aux entités régulées », précise Sébastien Labbé. 3 Le pays doit être enthousiaste. Au lieu de craindre le changement, mieux vaut anticiper les défis qui s’annoncent (climatiques, digitaux…). « Le Luxembourg doit continuer à rester un pionnier et moderniser ses outils fiscaux pour faire face à ces défis », explique encore le head of tax de KPMG.
Photos Matic Photo 09_credit Zorman
#Debra
www.maisonmoderne.com
« Je suis optimiste et non conservateur, militant et non partisan, libre et indépendant. » 86 % sont d’accord * * 37 % sont complètement d’accord , 30 % sont d’accord et 19 % sont plutôt d’accord.
Extrait du texte Les Évolutionnaires Enquête menée sur Delano.lu et Paperjam.lu durant les mois de juin et juillet 2021 (1.641 participants)
DÉCOUVREZ Les Évolutionnaires
Agenda réglementaire
5 réglementations qui vont impacter la Place Chapo entre 150 et 200 signes
Si le secteur financier a été confronté à d’incessantes vagues réglementaires au cours des dernières années, ce mouvement n’est pas terminé. Nous pointons cinq paquets de réglementations qui impacteront considérablement la Place au cours des prochains mois. Auteur Q. D. 1
LA DURABILITÉ EN HAUT DE L’AGENDA
La réglementation européenne encadrant la finance verte est en cours de finalisation. « CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose aux entreprises d’une certaine taille de communiquer des informations sur la façon dont elles gèrent les aspects sociaux ou environnementaux, devrait entrer en application en 2023 ou 2024 », rappelle Benoît Sauvage, director regulatory chez Deloitte Luxembourg. SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et le règlement Taxonomie complètent cet arsenal. 2
REVERSE HYBRID ENTITY RULE
Le projet Beps de l’OCDE a donné naissance à Atad 1 et 2 (Anti-Tax Avoidance Directive). L’un des reliquats, pas encore appliqué, de ces réglementations est la Reverse Hybrid Entity Rule. « Elle concerne par exemple des sociétés de l’industrie des fonds au sens large, transparentes fiscalement, qui pourraient dans certaines conditions devoir payer un impôt sur le revenu dans le pays où elles sont enregistrées, et ce dès l’année fiscale 2022 », explique Julien Lamotte, partner financial services tax chez Deloitte Luxembourg. 3
UN ARSENAL LÉGISLATIF POUR LES ACTIFS DIGITAUX
Les actifs digitaux ont le vent en poupe et, pour la Commission européenne, il devenait essentiel de légiférer sur le sujet. « Dès Dès 2024, des dispositifs légaux vont venir encadrer l’ensemble de ces actifs au plan européen, ce qui constitue une révolution comparable à la création des Ucits en 1985 », estime Benoît Sauvage. Mica (Markets in Crypto-assets regulation), DLT Regime (Distributed Ledger Technology) ou Dora (Digital Operational Resilience Act) font partie de ce paquet. 4
AML, DE DIRECTIVE À RÈGLEMENT
52
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Photos
ATAD 3 L’utilisation d’entités juridiques, dans un but uniquement fiscal, sera la principale cible de la directive Atad 3 (Anti-Tax Avoidance Directive). « On ignore encore quel sera le champ d’application exact de la directive, mais un grand nombre de sociétés européennes pourraient devoir assumer des obligations additionnelles », explique Grégory Jullien, tax senior manager chez Deloitte Luxembourg. Le texte final est attendu mi-décembre. 5
09_credit Shutterstock
Bien connue des acteurs financiers, la directive AML (Anti-Money Laundering) va devenir un règlement européen, s’appliquant indifféremment et de manière uniforme dans tous les pays de l’Union. « Une agence de supervision sera en outre créée pour contrôler le respect du règlement. Ce n’est pas une révolution, mais un important tour de vis supplémentaire en matière de lutte contre le blanchiment », précise Benoît Sauvage.
www.paperjam.lu
La famille Paperjam s’agrandit ABONNEZ-VOUS sur newsletter.paperjam.com
Automatisation
Rester maître de sa compliance Pour faire face à un environnement réglementaire complexe et en constante évolution, ainsi qu’à l’augmentation des contrôles du régulateur, les entreprises du secteur financier se dotent aujourd’hui de logiciels regtech, qui automatisent et facilitent les processus de compliance.
PERCEPTION DE L’AUTOMATISATION 1
10
54
27
9
Digitalisation de la chaîne d’approvisionnement 2 4
47
34
14
Digitalisation des canaux clients 1 3
12
40
45
Digitalisation de l’interaction et de la collaboration entre les employés 1 3
31
47
20
Automatisation et intelligence artificielle Depuis la crise du Covid-19, 67 % des entreprises ont accéléré l’implémentation de solutions d’automatisation et d’intelligence artificielle (en pourcentage des répondants).
Accélération significative
Source
Ralentissement significatif
54
McKinsey Global Business Executives Survey, juillet 2020
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Légère accélération Pas de changement Léger ralentissement
Mifid 2, RGPD, Atad 2, AML, CSRD… Ces dernières années, la charge réglementaire s’est considérablement alourdie pour les acteurs de la place financière. Si bien qu’aujourd’hui, face à la multiplication des réglementations, les capacités humaines ne suffisent plus toujours pour s’assurer de respecter le cadre légal. Or, la compliance, que l’on pourrait définir comme l’ensemble des processus destinés à assurer qu’une entreprise respecte les normes auxquelles elle est soumise, est au cœur des activités et des performances de l’entreprise. Les exemples d’entités ayant dû s’acquitter d’amendes colossales pour manquements réglementaires ne sont d’ailleurs pas rares. « Une non-conformité au RGPD peut par exemple entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 20 millions d ’euros ou 4 % du chiffre d’affaires. Une violation de Mifid expose à des amendes s’élevant jusqu’à 5 millions d’euros ou 10 % du chiffre d’affaires », rappelle Guillaume Vieira de Carvalho, CEO de Smart Oversight. Puisque les enjeux de compliance sont capitaux pour les entreprises, il est nécessaire pour ces dernières d’avoir recours à la technologie. « Au-delà de la récente inflation des textes réglementaires, on a constaté une augmentation du niveau de granularité des contrôles de la part des régulateurs, en l’occurrence de la CSSF au Luxembourg pour le secteur financier, par rapport à ces réglementations, mais aussi une plus grande complexité des cas à couvrir. Ceci nous amène à travailler avec nos clients pour pouvoir répondre à la réglementation, devenue plus complexe, et assurer que nos clients soient en conformité avec ces réglementations », explique Yann Fihey, partner d’Arendt Regulatory & Consulting. « Pour peu que le client veuille distribuer aussi en dehors de l’Europe, comme c’est souvent le cas dans l’industrie des fonds, ce dernier est aussi confronté à des réglementations qu’il ne maîtrise pas forcément, d’où l’importance de faire appel à un prestataire de services ou à la technologie », ajoute Guillaume Vieira de Carvalho. Deep learning, machine learning, NLP… C’est dans ce contexte que l’automatisation, qui permet de décharger l’Homme des tâches chronophages en matière de compliance et de traiter un volume d’informations gigantesque en un temps record, entre en jeu. « Les avocats d’Arendt travaillent par exemple avec la société Predictice, qui a digitalisé un nombre très important de jurisprudences françaises et, récemment, luxembourgeoises pour créer un moteur de recherche qui permet aux avocats d’avoir accès à une foule d’informations en quelques secondes. Grâce à cette solution, il est aussi possible d’accéder, en quelques minutes, à une prédiction de décision de justice grâce à l’IA. Dans le cadre d’un litige, par exemple, vous encodez quelques données – la nature du litige, les montants impliqués, etc. –, et l’outil vous sort, sur la base des jurisprudences, le montant moyen des indemnités que vous allez devoir payer, et quels tribunaux sont plus sus-
L’AUTOMATISATION ET SON IMPACT SUR NOTRE SOCIÉTÉ
12 mios
Selon l’étude These are the top 10 job skills of tomorrow – and how long it takes to learn them du World Economic Forum, parue en octobre 2020, à l’horizon 2025, l’automatisation aura créé 12 millions de nouveaux emplois.
60 %
L’automatisation et la digitalisation croissantes de notre société auront un impact direct sur le marché de l’emploi. Selon l’étude Reskilling, Upskilling, and Workplace Learning for Industry 4.0, publiée l’année passée par la société newyorkaise CGS, en 2030, de 40 à 60 % des offres d’emploi concerneront des métiers qui n’existent pas encore aujourd’hui.
125 %
Les régulateurs européens se concentrent de plus en plus sur la mise en œuvre du RGPD. Preuve en est, selon le média britannique Finbold, le nombre d’amendes infligées par les régulateurs de l’UE pour les violations du RGPD est passé de 332 en 2020 à 709 en 2021. Il a donc augmenté de près de 125 % !
ceptibles d’être en votre faveur ou défaveur, illustre Yann Fihey. En tant que cabinet d’avocats, la technologie nous est également d’une grande aide en termes de vérification KYC (Know Your Customer). Avant toute entrée en relation, nous devons scanner nos clients afin de les connaître. Dans ce cadre, les outils technologiques nous permettent d’avoir une information plus fine, plus pertinente, sur nos clients, et donc de pouvoir prendre de m eilleures décisions dans leur dossier. » Au-delà de ces exemples, « le développement de ces outils s ’insère dans la stratégie d’Arendt, qui investit et développe son offre afin de mettre ces technologies à disposition de ses employés et de ses clients par le biais de son offre de managed services », précise Jean-Marc Ueberecken, managing partner d’Arendt. Longtemps l’apanage des grandes sociétés, les outils d’automatisation permettent aujourd’hui de servir aussi les besoins en compliance des petites et moyennes sociétés. « Que vous soyez un énorme acteur bancaire international, une petite étude d’avocats ou un petit family office basé au Luxembourg, si on prend le domaine du KYC, vous aurez les mêmes obligations réglementaires, et c’est là, justement, que l’offre technologique peut aider les structures de taille plus modeste », assure Guillaume Vieira de Carvalho. Sa société, Smart Oversight, propose une solution digitale permettant d’accompagner les entreprises dans leurs obligations réglemen-
taires. « Nous utilisons le NLP (natural language processing) notamment pour faire de la veille en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Mais on peut aussi l’utiliser pour faire de la revue de presse ou de la traduction de textes. Dans le secteur bancaire, pour tout ce qui est détection de fraudes, on utilise énormément le machine learning et l’IA. On va créer des modèles qui permettront à la machine d’identifier des comportements qui pourraient être frauduleux. Certaines structures utilisent également ces technologies de NLP et d’IA pour analyser les actifs en portefeuilles de fonds d’investissement ESG et s’assurer de leur caractère durable, ou non », indique le CEO de Smart Oversight. Quelle place pour l’humain ? Si les entreprises ont de plus en plus recours à la technologie pour faire face à leurs obligations réglementaires, il n’en reste pas moins que l’analyste humain conserve un rôle prépondérant dans le processus de compliance. « Un modèle d’IA, de type machine learning, sera d’autant plus performant que les informations qu’on lui fournit sont pertinentes. C’est justement le rôle de l’humain d’alimenter, d’enrichir la machine. De plus, le compliance officer a toujours un rôle de garde-fou », explique Guillaume Vieira de Carvalho. Restent également toutes les sensibilités humaines que la machine ne peut pas (encore ?) s’approprier. « Toutes les entités qui vont utiliser cette technologie n’ont pas forcément la même approche, la même appétence, et c’est ce qui fera la différence entre une structure et une autre. En outre, les textes de loi en Europe laissent encore beaucoup de place à l’interprétation, ce qui est aussi la prérogative de l’être humain », poursuit le CEO. « Si la technologie est arrivée à maturité et permet à l’humain de confier de nombreuses tâches à la machine, il est capital de rester maître de sa compliance », résume Yann Fihey. La technologie s’est certes démocratisée ces dernières années mais elle demande quelques prérequis aux entreprises qui souhaitent l’apprivoiser. « Il faut d’abord un volume suffisant. Ensuite, automatiser un processus pour lequel on ne connaît pas l’entièreté des cas de figure est voué à l’échec. Il faut donc que les processus soient matures et documentés. Il faut aussi, naturellement, maîtriser la compliance et les risques inhérents. Enfin, d’un point de vue IT, il faut avoir une certaine appétence pour les technologies et une véritable vision de ce que l’on veut faire », indique Yann Fihey. Face aux enjeux cruciaux que représente la compliance pour les entreprises, les solutions regtech ne sont donc plus considérées comme des outils permettant uniquement de répondre aux obligations en matière de conformité. Elles sont désormais perçues comme de véritables leviers d’amélioration de la compétitivité. Auteur A. B.
LES QUATRE APPLICATIONS À CONNAÎTRE Les outils technologiques permettant d’accompagner et de soulager les compliance officers dans leurs activités quotidiennes sont nombreux sur le marché. Voici nos quatre incontournables. 1 Smart Oversight Smart Oversight est une solution de gestion destinée aux petites et moyennes entreprises qui rationa lise les processus de vérification KYC et de lutte contre le blanchiment d’argent en s’appuyant sur l’automatisation robotique des processus et l’algorithme de traitement du langage naturel (NLP). 2 Data Legal Drive L’entreprise française Data Legal Drive fournit une plateforme SaaS pour aider les entreprises à se mettre en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD). Adapté aux structures plus petites, l’outil permet de mettre en place sa conformité RGPD efficacement et de gagner du temps grâce à une utilisation fluide. 3 Greenomy Primée à de nombreuses reprises déjà, la jeune start-up d’origine belge, mais hébergée par la Lhoft, a développé une technologie pour aider les entreprises et les institutions financières à se conformer aux normes du Green Deal européen et de SFDR. 4 Carol Arendt Regulatory & Consulting a développé une série d’outils principalement dédiés aux entités réglementées au Luxembourg. Parmi ceux-ci, Carol (Compliance and Regulatory Oversight Online), une plateforme sécurisée offrant un plan de surveillance réglementaire et de contrôle de la conformité sur mesure aux entreprises réglementées par la CSSF. Carol peut être utilisé par les sociétés de gestion de fonds, les gestionnaires de fonds alternatifs, les sociétés de gestion de portefeuilles, les banques dépositaires et les entreprises d’investissement.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
55
Processus automatisé
Au-delà du gain de temps et de la réduction du risque d’erreur, automatiser sa gestion de paie offre de nombreux avantages aux entreprises en termes de fiscalité. Gregory Pels et Tom Brahy, nous expliquent pourquoi. 56
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Collage
Automated payroll et fiscalité : un enjeu crucial
Un sujet particulièrement d’actualité au Luxembourg On l’évoque moins souvent dans la longue liste des avantages qu’offre l’automatisation de la gestion de paie, mais celle-ci permet aussi de répondre à des enjeux fiscaux et de compliance. Une question particulièrement sensible au Luxembourg quand on sait que près de la moitié des travailleurs intérieurs sont frontaliers. « Dans un environnement fiscal en constante évolution, se doter d’un logiciel de paie automatisé ou confier cette tâche à un prestataire de services paraît aujourd’hui essentiel, explique Gregory Pels, head of payroll chez SD Worx Luxembourg. Nous avons la chance de posséder nos propres moteurs de paie. Cela nous permet d’avoir une flexibilité que d’autres n’ont pas. Nous offrons ainsi un service sur mesure et résolvons les problèmes éventuels très rapidement. » Dans sa trousse à outils digitaux offrant une réponse aux enjeux fiscaux, la sociétécompte par exemple Protime, une solution qui permet notamment de suivre les mouvements du personnel. « Cela nous donne la possibilité d’identifier le pays dans lequel le travailleur a presté ses heures et donc de collecter des données précieuses en matière de fiscalité en vérifiant le quota d’heures réalisées au Luxembourg et à l’étranger. C’est une donnée très importante car cela peut également amener, en cas de dépassement, à l’obligation de s’affilier
Marielle Voisin
Entre le calcul des salaires, l’encodage des fiches de paie, leur envoi, le paiement et le transfert de toutes les informations aux organismes, il n’est pas rare que, pour une entreprise de plusieurs centaines de personnes, la gestion de la paie occupe les équipes des ressources humaines (RH) plusieurs jours durant. Pour faire face à la complexité croissante des processus et aux besoins grandissants en matière de confidentialité des données, les entreprises ont donc de plus en plus recours à des solutions d’automatisation pour améliorer l’efficacité de leur gestion de paie. L’implémentation d’outils d’automatisation dans le processus de paie a de nombreuses vertus pour les entreprises. La principale étant qu’elle libère les RH des tâches chronophages, répétitives et à faible valeur ajoutée, leur permettant ainsi de se consacrer sur l’essence même de leur travail : l’humain. Les responsables des ressources humaines sont d’ailleurs conscients des bienfaits de la technologie sur leurs activités quotidiennes. Dans son étude Tendances sur le marché des solutions digitales RH parue en juin dernier, Markess by exægis révèle que 70 % des responsables des ressources humaines interrogés considèrent l’automatisation des processus RH comme un enjeu majeur.
14 h Selon une étude de CareerBuilder, les responsables des RH qui n’automatisent pas complètement leurs différents processus perdent en moyenne 14 heures par semaine en tâches manuelles qui pourraient être automatisées.
à une caisse de sécurité sociale dans son pays de résidence. Le salarié perdrait alors tous les avantages luxembourgeois comme la pension, les allocations familiales ou les remboursements de soins de santé, qui peuvent être plus élevés que dans les pays frontaliers. En termes de fiscalité, il pourra également être soumis à l’impôt dans le pays où il réside en cas de d épassement du nombre de jours de tolérance prestés hors du Luxembourg », rappelle G regory Pels. Les enjeux pour les travailleurs sont donc majeurs. « Il y a quelques années encore, si l’on encodait mal ses absences, on s’exposait uniquement à des soldes de congés incorrects. Aujourd’hui, le pointage des jours de télétravail et de mission hors du Luxembourg a une incidence réelle sur la fiscalité des entreprises. Au regard de ces enjeux, il est très important que les gens soient formés aux outils et soient au fait de la législation en la matière », explique Tom Brahy, account manager chez SD Worx, qui travaille actuellement sur la création d’un nouvel outil pour une grande société de transport luxembourgeoise. « Ils souhaitent mettre en place une application à destination de leurs chauffeurs, souvent amenés à traverser les trois frontières. Cette appli permettrait de mesurer précisément le temps passé par les chauffeurs dans chaque pays et ainsi d’avoir une répartition plus fine des heures réalisées au Luxembourg, en France ou en Allemagne », poursuit Tom Brahy. L’impact de la crise La crise du Covid-19 a profondément changé nos habitudes de travail. De plus en plus d’entreprises ont en effet recours au télétravail, ce qui a un impact direct sur la fiscalité des employés, et principalement des frontaliers, soumis à des règles très strictes en la matière. « Depuis la généralisation du télétravail, nous avons de plus en plus de demandes de simulation de la part de grandes entreprises pour mesurer l’impact qu’engendrerait, par exemple, un jour de télétravail en plus par semaine en matière de fiscalité. Notre rôle, en plus de fournir
les outils adéquats pour identifier les jours prestés sur le sol luxembourgeois, est d’informer les équipes en entreprise sur les différents impacts fiscaux que le télétravail aura pour chaque salarié », explique Gregory Pels. Autre conséquence de la crise du coronavirus, les entreprises ont pu mesurer leur dépendance à certains acteurs-clés au sein de leur structure. « Certaines sociétés se sont rendu compte que si leur RH tombait malade ou devait passer en télétravail, il y avait des risques réels de non-continuité du paiement des salaires. D’autre part, elles ont parfois constaté que les changements légaux par rapport au chômage étaient difficiles à suivre et à mettre en place. Certaines sociétés, en difficulté, ont pu compter sur SD Worx pour leur venir en aide. De notre côté, nous avons assuré nos services sans interruption et, grâce à nos juristes et experts IT, nous avons suivi les changements légaux efficacement et conseillé nos clients au mieux au vu de la situation », assure Gregory Pels. Pour être pertinente et rentable au sein d’une structure, l’automatisation de la gestion de paie nécessite un volume d’employés suffisant pour amortir le coût. « Toutefois, il existe des solutions adaptées aux PME. Nous proposons par exemple aux petites et moyennes entreprises notre solution Alicia, qui officie en tant que ‘mini SIRH’, et qui leur permet d’encoder quelques données RH par rapport au personnel (numéros de contact d’urgence, liste des équipements, etc.), mais aussi de faire du reporting. C’est très apprécié », relève Gregory Pels. Si l’automatisation permet aux équipes des ressources humaines de gagner un temps précieux, Tom Brahy rappelle que l’humain garde un rôle central dans le processus. « D’une part, il reste des tâches manuelles à accomplir et, d’autre part, même s’il y a des importations et des exportations de données qui se font automatiquement, il est conseillé de vérifier les fichiers de part et d’autre. Même si la machine joue aujourd’hui un rôle important, il est nécessaire d’avoir une excellente hygiène de travail pour que le modèle soit efficace », rappelle l’account manager. Au-delà des enjeux fiscaux, l’automatisation de la gestion de paie permet en effet aux sociétés de posséder des données RH exhaustives et claires qui leur permettront de prendre les meilleures décisions possibles en matière de business, et donc d’être un véritable levier de performance stratégique.
LES CINQ AVANTAGES D’UNE GESTION DE PAIE AUTOMATISÉE Automatiser son service de payroll offre de nombreux avantages aux entreprises tant pour l’employé et l’employeur que pour le service des ressources humaines. 1 Gagner du temps L’un des principaux avantages de l’automatisation de la gestion de paie est de renforcer la product ivité des équipes des res sources humaines en les libérant des tâches à faible valeur ajoutée. Cela leur permet d’avoir plus de temps pour les enjeux RH stratégiques. 2 Réduire le risque d’erreur Une gestion de paie manuelle peut entraîner des erreurs qui peuvent être hautement préjudi ciables pour l’entreprise et ses employés. L’automatisation de certaines tâches permet précisément de réduire les risques lors de l’encodage. 3 Assurer la conformité Les solutions d’automatisation sont des outils redoutables pour les responsables RH face à l’évolution constante de l’environ nement réglementaire. S’appuyer sur un prestataire qui dispose d’une connaissance avancée du cadre sociojuridique luxembour geois est un atout indéniable. 4 Bénéficier de données de reporting Grâce aux nombreuses données récoltées, les entreprises peuvent établir des rapports qui les aident à prendre des décisions straté giques importantes pour gagner en compétitivité. 5 Réduire les coûts Grâce au gain de productivité lié à la réduction des tâches admi nistratives, l’automatisation de la gestion de paie permet de réduire les coûts. À condition toutefois d’opter pour une solution adaptée à ses besoins.
Auteur A. B.
JANVIER 2022 TAX & LEGAL
57
Objectif climatique
Vers le « zéro émission nette » ! Dans la lutte contre le dérèglement climatique, le monde économique est appelé à réduire considérablement ses émissions de CO2. Un ensemble de dispositifs, parmi lesquels des leviers fiscaux, doivent pousser les acteurs dans cette direction.
84 123
LA TARIFICATION DU CARBONE EN EUROPE Afin d’inciter les décideurs économiques à investir davantage dans les énergies propres et moins dans les technologies émettant des gaz à effet de serre, certains États ont décidé de donner une valeur économique à l’émission d’une tonne de CO2. (en dollars, par tonne d’équivalent CO2) Source
58
FINLANDE
I4CE, Les Comptes mondiaux du carbone, mai 2020
NORVÈGE 2
SUÈDE
ESTONIE 26
10 LETTONIE
28
DANEMARK 23
98
IRLANDE
<1 25
ROYAUME-UNI
POLOGNE <1
49
UKRAINE
LUXEMBOURG 19 SUISSE SLOVÉNIE
FRANCE
Photos
PORTUGAL
09_credit
26
58
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Photo
Matic Zorman
L’Union européenne s’est fixé comme objectif de réduire de 55 % ses émissions de CO2 à l’horizon 2030 par rapport au niveau de 2005. C’est une étape essentielle dans la poursuite de l’objectif de neutralité carbone pour nos sociétés en 2050. Désormais, chaque État membre est invité à contribuer à cet objectif. « Pour le Luxembourg, au regard du développement démographique et économique du pays, l’effort à consentir sera plus important que dans de nombreux autres pays, assure Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea. Traduit par habitant, il faudrait parler de la nécessité d’une réduction de 70 % des émissions. La situation luxembourgeoise n’est comparable à aucune autre à travers le monde. Au cours des 20 dernières années, on est à peine parvenu à réduire les émissions luxembourgeoises de 3 % par an et par personne. » Pour contribuer à l’objectif fixé, le Luxembourg comme les autres pays membres de l’Union européenne doivent activer une série de mesures. Pour accomplir la transformation nécessaire, il faudra parvenir à mobiliser l’ensemble de la société, en jouant sur les leviers qui auront le plus d’impact. Adopter les bonnes mesures Au niveau du Luxembourg, une multitude de mesures ont déjà été prises ou devraient l’être dans les années à venir. Parmi elles, on peut citer pêle-mêle l’introduction d’une norme de consommation d’énergie quasi nulle pour les bâtiments fonctionnels, un déploiement rapide de l’électromobilité, la mise en œuvre de primes spéciales pour le remplacement du chauffage au mazout. À cela s’ajoutent la promotion des énergies renouvelables, la mise en œuvre d’une démarche d’économie circulaire, la réduction de la fertilisation azotée sur les terres arables et les surfaces en herbe… Enfin, le Luxembourg a introduit une mesure fiscale qui fixe un prix à la tonne de carbone émise. « À la poursuite des objectifs climatiques, il est possible de recourir à des mesures de diverses natures. On peut agir sur le plan normatif et réglementaire, typiquement en interdisant l’utilisation de véhicules thermiques. C’est rudement efficace mais cela a pour inconvénient un coût économique souvent important, indique Vincent Hein. Une possibilité est d’agir suivant une logique de marché, en jouant sur les quotas de carbone par exemple. Enfin, il y a le levier de la fiscalité, avec l’intégration des externalités au niveau du prix payé. » Si la fiscalité y contribue, elle n’est pas toujours le moyen le plus efficace pour faire évoluer les comportements. L’enjeu, à tous les niveaux, est d’appliquer la mesure la plus pertinente, qui produira le plus d’impact. Face aux défis à relever, il importe d’agir de manière coordonnée sur l’ensemble de ces leviers aussi bien au niveau du gouvernement, des institutions publiques, des ménages que des entreprises. « Il y a aussi un volet éducationnel important, qu’il ne faut pas négliger, pour emmener tout le monde dans
« La fiscalité verte sert à financer la transition, à soutenir les investissements nécessaires, autant qu’elle incite les acteurs à renoncer aux mauvaises pratiques et à évoluer. » VINCENT HEIN Économiste Fondation Idea
la bonne direction, déployer des efforts à tous les échelons de la société, explique Jean-Luc Fisch, partner, spécialiste des questions de fiscalité au sein du cabinet Dentons. Le levier fiscal, visant à créer un effet dirigiste, est un instrument parmi d’autres. Jusqu’à présent, le Luxembourg se situe en queue de peloton des pays européens en matière de taxation du carbone. Dans un cadre européen, le gouvernement va devoir afficher des ambitions plus importantes en la matière. » Taxe carbone Depuis le 1er janvier 2021, au Luxembourg, la tonne de CO2 coûte 20 euros. Elle s’applique à la vente de carburant, de mazout de chauffage et de gaz. Pour chaque litre de diesel acheté, le consommateur paie 5 centimes de plus qu’en 2020. Cette taxe est appelée à évoluer progressivement dans les années à venir. Elle sera de 25 euros la tonne de CO2 en 2022 et de 30 euros en 2023.
COMMENT FONCTIONNE LE MARCHÉ DU CARBONE ? Le marché du carbone est l’un des plus importants leviers dont dispose l’Union pour abaisser les émissions de gaz à effet de serre. Il concerne plus de 11.000 installations industrielles européennes qui totalisent à elles seules environ 50 % des émissions européennes de dioxyde de carbone. Il s’agit d’un système d’échanges de quotas d’émissions de CO2 en vertu du principe pollueur-payeur. Ce marché a pour objectif de mesurer, contrôler et réduire les émissions de ces industries et de ces producteurs d’électricité. Il a pour but de limiter les émissions de gaz à effet de serre via des quotas d’émissions. Chaque participant soumis au marché doit, à la fin d’une année, restituer autant de quotas que de CO2 émis dans l’atmosphère. Lorsque les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont inférieures au quota alloué, elle peut revendre ses quotas sur le marché du carbone. Si les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont supérieures au quota alloué, elle a la possibilité d’acheter des quotas supplémentaires sur le marché.
Le pays européen appliquant la taxe carbone la plus élevée, soit 123 euros la tonne de CO2 en 2020, est la Suède. Au regard de l’enjeu, par ailleurs, on peut s’attendre à des évolutions en matière fiscale dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la taxation énergétique. « La directive en vigueur actuellement date de 2003 et n’est plus en phase avec les enjeux actuels, accordant notamment de nombreuses exceptions auxquelles il y a lieu de s’attaquer si l’on veut atteindre les objectifs fixés, commente Jean-Luc Fisch. En matière de fiscalité, il convient de mettre fin aux pratiques qui soutiennent les énergies fossiles, par exemple les avantages liés à la mise à disposition des voitures de société ou encore l’absence de taxation pour l’utilisation de carburants fossiles dans les transports aériens et maritimes. » Bien que de telles mesures soient impopulaires, le projet de révision de la directive entend bien s’attaquer à ces enjeux, avec la volonté de montrer l’exemple. Fiscalité et conséquences sociales Cependant, le recours à la fiscalité environnementale peut s’avérer particulièrement délicat, entraînant de probables effets de bord. « Elle constitue un levier intéressant pour renforcer la prise de conscience de chacun. Toutefois, la mise en œuvre est assez complexe et implique une approche coordonnée. Il faut notamment faire preuve de vigilance vis-à-vis des impacts sociaux découlant de l’application d’une fiscalité verte renforcée », poursuit l’expert fiscal du cabinet Dentons. Quand la fiscalité traditionnelle vise une forme de stabilité et de neutralité dans le temps, générant une rente durable et utile au fonctionnement de la société, les taxes environnementales suivent une logique différente. « Elles sont mises en œuvre pour lutter contre des pratiques et des habitudes que l’on souhaite voir disparaître dans une démarche de transition », indique Vincent Hein. Autrement dit, les éléments sur lesquels la fiscalité s’applique sont de nature à disparaître à un horizon plus ou moins lointain. « Dans cette optique, il est essentiel JANVIER 2022 TAX & LEGAL
59
Objectif climatique
que l’intégralité des recettes générées par ces nouvelles mesures serve à financer la transition, en soutenant les populations impactées ou à travers le financement de projets de transformation vers l’objectif fixé », continue l’économiste. Taxer le carburant va davantage affecter la population rurale, qui a besoin de son véhicule, que les citadins. Les personnes les plus pauvres seront aussi celles qui auront le plus de difficultés à faire face à une hausse du prix des énergies fossiles, nécessaires pour se chauffer. Ce sont elles également qui disposeront des capacités d’investissement les plus limitées pour rénover leur habitation ou changer d’installation de chauffage. Il est important, dans une optique de transition, de prévoir des mesures de compensation à l’intention des perdants. Un équilibre à maintenir « Bien pensée, la fiscalité verte devrait suivre une trajectoire d’augmentation connue à l’avance », commente Vincent Hein. L’idée est de faire en sorte que plus on avance vers une société décarbonée, plus le recours à des solutions émettrices de CO2 soit onéreux. La démarche doit permettre aux acteurs économiques – en tenant compte des coûts, de leur amortissement et des opportunités d’investissements – de plus facilement se projeter dans le monde d’après. Au-delà de l’aide aux personnes les plus démunies, les recettes fiscales engrangées doivent aussi servir à subventionner les énergies de demain et les technologies propres et pourvoir aux nouveaux besoins en infrastructures. « La fiscalité verte sert à financer la transition, à soutenir les investissements nécessaires, autant qu’elle incite les acteurs à renoncer aux mauvaises pratiques et à évoluer », ajoute Vincent Hein. Si l’on a évoqué les impacts sociaux d’un renforcement de la fiscalité au service des enjeux de transition, d’autres implications doivent être prises en considération. « À terme, on peut s’attendre à voir disparaître le tourisme à la pompe, qui génère d’importantes recettes fiscales pour le Luxembourg. Et, avec lui, ce sont aussi les accises liées à la vente d’alcool et de cigarettes qui pourraient aussi considérablement diminuer », explique Jean-Luc Fisch. Comme nous le disions, la taxe carbone, qui s’applique aux énergies fossiles, est appelée à augmenter progressivement. Cependant, et cela peut paraître paradoxal au regard de l’urgence climatique, le Luxembourg aurait tout intérêt à la maintenir à un niveau inférieur à celui de ses voisins s’il ne veut pas perdre en attractivité ou grever son budget de fonctionnement. « Actuellement, les taxes sur le carburant, l’alcool et le tabac représentent 7 % des recettes de l’État. Ce n’est pas négligeable. Il importe de considérer ces enjeux dans la mise en œuvre d’une fiscalité verte », expose Vincent Hein. À la lumière de cet exemple, on peut comprendre que certains États soient réticents à s’engager trop vite dans la mise en œuvre d’une fiscalité environnementale renforcée, préférant 60
TAX & LEGAL JANVIER 2022
LA COMPENSATION CARBONE
Investissements dans des projets de réduction ou de séquestration d’émissions (dont l’entreprise n’est pas responsable).
CO2
Les entreprises/ gouvernements qui doivent atteindre leurs objectifs en matière d’émissions.
Compensation des émissions de carbone, y compris la plantation d’arbres et les projets d’énergie renouvelable. Création de crédits carbone.
Certificat obtenu pour le paiement des compensations carbone.
attendre que d’autres les devancent. L’urgence exige une approche mieux coordonnée. « Au- delà, il est important de garder à l’esprit que la fiscalité seule ne permettra pas de financer la transition. Il est aussi essentiel de trouver des modes de financement alternatifs, en soutenant l’émergence des fonds et des obligations durables », déclare Jean-Luc Fisch. Taxe carbone aux frontières La mise en œuvre d’une fiscalité carbone renforcée à l’échelle de l’UE soulève de nombreuses autres questions. Les principales ont trait à la compétitivité de l’Union européenne, les acteurs en son sein étant contraints de supporter des charges plus importantes, au risque de voir se délocaliser la production. L’enjeu n’est pas, à terme, d’externaliser plus encore les émissions de CO2 en Asie, comme c’est déjà le cas aujour d’hui. « Au-delà de la portée symbolique d’une fiscalité carbone, il est essentiel de s’attaquer à la problématique dans son ensemble, en considérant le coût carbone de nos biens de consommation, prévient Jean-Luc Fisch. L’usage d’une voiture électrique, pour peu qu’elle soit alimentée au départ des énergies renouvelables, n’implique pas d’émissions de CO2. La production de ces véhicules, par contre, peut entraîner d’importantes émissions. Favoriser des projets de rénovation énergétique d’une habitation est une bonne chose, mais pas si les matériaux utilisés c omportent une énergie grise conséquente. Il est important de considérer le coût carbone dans sa globalité,
tout au long du cycle de vie d’un bien de consommation, qu’il soit produit en Europe ou importé. » L’une des réponses à ces enjeux envisagées par l’UE réside dans l’application d’une taxe carbone applicable à ses frontières, permettant que les importations intègrent le coût carbone au même titre que les biens produits localement. « L’introduction d’une fi scalité carbone à l’échelle de l’Union européenne est assez simple, se t raduisant dans l’application d’une taxe au niveau de la vente des énergies fossiles, explique Vincent Hein. Pour des produits importés, c’est sans doute un peu plus complexe. Il est nécessaire de s ’appuyer sur des référentiels p ermettant de déterminer le coût carbone associé à chaque bien, en fonction de sa nature et de sa provenance. » L’application d’une taxe carbone aux frontières constitue cependant un levier intéressant. « La mesure permettrait de préserver et de garantir l’harmonie du marché unique et constituerait aussi un moyen d’exporter nos normes au-delà de l’espace de l’Union », précise Vincent Hein. Une telle mesure, toutefois, ne manquerait pas de créer certaines frictions commerciales à l’échelle globale. « C’est le poids commercial de l’Union européenne à l’échelle globale qui sera déterminant pour l’exportation de nos normes environnementales à l’extérieur. Mais je pense que nous pourrions jouer un rôle de précurseur en nous inscrivant dans une telle dynamique », conclut Jean-Luc Fisch. Auteur S. L.
99 Advisory, cabinet de conseil du groupe Finnegan Luxembourg, innove avec son équipe juridique qui sera dédiée à soutenir de manière proactive les banques, les fonds d'investissement et les Fintech dans des domaines tels que les accords d'externalisation, les contrats Cloud Computing, les documentations contractuelles de protection des données et le cadre de gouvernance des données, les formalités légales d'incorporation et d'enregistrement, et la conformité réglementaire avec les exigences PSD2. Pour en savoir plus : www.99-advisory.lu Legal & Regulatory services
|
Contact : Moufida Leckie Kouki
|
+352 691 228 470
Interview croisée
« On répond désormais mieux aux besoins de l’industrie »
62
TAX & LEGAL JANVIER 2022
Photo
À la faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg, un partenariat est en place avec les représentants de l’industrie financière. Explications avec Patrick Weydert, partnership development officer au sein de la faculté, et Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’ABBL.
Matic Zorman
08_legende oihfg Namdicul drh a 08_legende_italic eth dinesimus abemus mo hoc.
Patrick Weydert et Catherine Bourin
LE PRIX DU MEILLEUR ÉTUDIANT Afin de rendre les programmes de master du département Finance de l’Université plus attractifs encore, il a été décidé, cette année, de lancer un Prix du meilleur étudiant. « Un prix sera décerné dans chacune des spécialisations du master of science in finance and economics », précise Patrick Weydert. Une façon, également, de créer une certaine émulation au sein des étudiants et de les pousser vers l’excellence. Ces prix seront financés par l’industrie.
Depuis 2019, une collaboration renforcée a été mise en place entre l’Université du Luxembourg et les représentants de l’industrie financière. Qu’est-ce qui explique cette décision ? PATRICK WEYDERT (P. W.) Il s’agit d’améliorer la collaboration entre le département Finance de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance d’une part, et le secteur financier luxembourgeois d’autre part. Je suis arrivé à l ’Université en 2019 pour assurer la liaison entre ce département et la Place, après avoir travaillé durant 25 ans au sein de l’industrie financière. Si l’Université a décidé de prendre les choses en main, c’est parce que les acteurs de l’industrie financière luxembourgeoise témoignaient d’une certaine incompréhension par rapport à l’organisation des programmes de master proposés par le département. En effet, avant 2019, l’Université proposait des masters en un an, qui étaient plutôt destinés à des personnes déjà actives. Or, pour conserver les étudiants qui avaient fait leur bachelor à l’Université du Luxembourg, il était indispensable de proposer des masters en deux ans, c’est-à-dire un cycle complet. Sans cela, on assurait la première partie de la formation des étudiants, qui partaient ensuite à l’étranger, souvent sans revenir au Luxembourg pour y travailler. Ce qui est réellement problématique quand on connaît les besoins de l’industrie en matière de recrutement. CATHERINE BOURIN (C. B.) Pour les membres de l ’Association des banques et banquiers, Luxembourg, il est en effet devenu difficile de dénicher les bons talents, au Luxembourg, en Europe et même au-delà. Il était donc indispensable d’optimiser les outils disponibles sur le territoire, à commencer par la formation universitaire. Plusieurs facteurs expliquent cette difficulté à recruter, notamment l’émergence de tendances fortes, par exemple en matière de finance durable, qui entraîne la création de nouveaux métiers, pour lesquels une demande importante commence à se faire sentir. Il nous semblait donc très important de collaborer avec l’Université pour leur exposer les besoins spécifiques qui sont les nôtres et parvenir à augmenter le nombre d’étudiants capables d’apporter une réelle plus-value à tous nos membres, dès la sortie de leurs études. En échangeant régulièrement, nous essayons également d’identifier quels seront les métiers de demain, et de plaider pour la mise en place de filières universitaires qui permettent de former ces profils.
nombre de développements technologiques. La montée en puissance de l’intelligence artificielle ou de la blockchain, par exemple, qui concerne également le monde de la finance, demande aux professionnels du secteur de savoir un minimum de quoi il s’agit, même s’il est évident qu’on n’exige pas d’eux qu’ils soient des experts en la matière. Concrètement, comment s’articule cette collaboration entre l’Université et le secteur financier ? P. W. L’un des effets les plus visibles de cette collaboration est l’organisation des stages, qui sont désormais obligatoires pour tous nos étudiants en deuxième année de master. L’ABBL nous aide en relayant les demandes de stage auprès de ses plus de 150 membres. Cette année, ce sont 140 étudiants qui ont pu trouver un stage de cette façon. Par ailleurs, un « advisory board » se réunit deux fois par an avec les représentants de l’industrie financière. Le but est d’obtenir le feed-back de l’industrie, de discuter des programmes et des nouvelles tendances afin de savoir où il sera nécessaire d’investir dans le futur, ce qui doit être adapté, etc. C. B. Nous veillons en effet à faire la promotion des stages auprès de nos membres, en contactant tous les directeurs des ressources humaines de la Place. Pour nous, il est particulièrement important d’accueillir des stagiaires qui, dans de nombreux cas, deviennent ensuite de n ouvelles recrues pour l’entreprise. Si les stages conventionnés avec les universités sont encouragés, il faut toutefois signaler un problème législatif, au Luxembourg, concernant les stages pour les personnes qui ont terminé leurs études. Le législateur a en effet récemment décidé que les entreprises devaient directement proposer un CDD ou un CDI à ces profils, alors que certains n’ont pas effectué de stages durant leurs études et seraient prêts à en réaliser un pour mettre le pied à l’étrier. Cette réglementation, actée en 2020, est de notre point de vue problématique, car le stage est une manière idéale de se familiariser avec l’industrie financière, qu’on soit étudiant ou qu’on ne le soit plus. Nous avons exposé notre point de vue au pouvoir politique à ce sujet, mais nous n’avons pour l’instant pas été entendus.
Comment cette collaboration a-t-elle impacté les programmes de master du département Finance de l’Université ? P. W. Sur la base des constats partagés avec l’industrie, Au-delà de ces nouvelles tendances à l’œuvre nous avons commencé par faire passer le master en wealth au sein de la société, comment ont évolué les métiers management d’un à deux ans, pour offrir un cycle complet de la finance au cours des dernières années ? aux étudiants qui ont terminé leur bachelor. C. B. Ce n’est un secret pour personne : nous assistons Ensuite, nous avons créé le master of science in finance depuis quelques années à une réelle inflation législative and economics, lui aussi en deux ans. Au sein de ce dernier dans le secteur financier. Cette vague réglementaire master, nous avons en outre introduit toute une série de entraîne une augmentation considérable des exigences spécialisations, qui visent à mieux répondre aux nouveaux en matière de compliance, notamment. Les besoins sont besoins de l’industrie : banking, investment management, par ailleurs importants en matière d’IT. Nous avons donc risk management, financial economics, sustainable finance besoin de nombreux talents qui disposent de ces savoir- et digital transformation in finance. L’idée est de proposer faire spécifiques. L’Université a évidemment un rôle à une première année plus généraliste et une seconde axée jouer pour former ces profils et ainsi mieux répondre aux sur un aspect spécifique. Il faut aussi relever la création récente de certificats académiques pour des personnes nouveaux besoins de l’industrie. P. W. Pour ma part, je soulignerais également l’exigence déjà actives dans le secteur, notamment sur la thématique croissante de polyvalence, d’interdisciplinarité dans ce de la finance durable. Grâce à un cursus s’étalant sur deux secteur. Aujourd’hui, pour être efficace quand on travaille fois quatre jours, ils permettent à ces professionnels au sein d’un acteur de la finance, il faut pouvoir maîtriser d’avoir une connaissance plus fine de ces sujets dont des aspects légaux, mais aussi être familier avec un certain l’importance est croissante. Des cycles de conférences JANVIER 2022 TAX & LEGAL
63
Interview croisée Patrick Weydert et Catherine Bourin
Le coût de la vie au Luxembourg n’est-il pas un obstacle pour certains étudiants venus de pays lointains ? C. B. Bien entendu, et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place, à travers la Fondation ABBL pour l’éducation financière, un programme de bourses d’études permettant à ces étudiants de subvenir à leurs besoins tout au long de leur formation. P. W. Des scholarships ont également été mis en place avec d’autres institutions, dans le but d’aider à la fois les étudiants méritants et les plus nécessiteux. Sans cela, certains ne pourraient tout simplement pas vivre ici. Ces différentes initiatives montrent que l’industrie est derrière nous, qu’elle nous soutient. C’est très positif, car cela n’a pas toujours été le cas par le passé.
Joindre la théorie à la pratique Katalin Ligeti, doyenne de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance, et professeur de droit pénal européen et international, nous détaille la révision des formations aux métiers du droit, intégrant une importante dimension pratique. Le département de droit de l’Université du Luxembourg veille à ajuster constamment ses programmes afin de former des juristes prêts à intégrer rapidement le monde du travail, dans des secteurs parfois très pointus. « Notre bachelor est une formation généraliste, qui prépare nos étudiants à pratiquer le droit dans un pays caractérisé par sa grande ouverture au monde, explique Katalin Ligeti, doyenne de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance. Nous abordons donc à la fois le droit luxembourgeois, celui des pays voisins, ainsi que le droit européen. » Le recours à la pratique – notamment à travers des cours de rhétorique judiciaire et de plaidoirie encadrés par des praticiens reconnus – est déjà important à ce stade, mais il s’intensifie lors du master, indispensable pour devenir avocat. « L’accent est mis sur l’articulation de la théorie et de la pratique, notamment à travers
KATALIN LIGETI Doyenne Faculté de Droit, d’Économie et de Finance
« 90 % de nos étudiants trouvent un travail dans les six mois suivant leur sortie. » Interview Q.D.
64
TAX & LEGAL JANVIER 2022
l’étude de cas concrets, qui permet de développer des compétences d’analyse et d’argumentation juridique », poursuit Prof. Ligeti. Pour s’adapter au marché luxembourgeois, la Faculté a également fait le choix de proposer des masters très spécialisés, en droit pénal européen des affaires, en droit bancaire et financier européen, ou même en droit de l’espace. Dans toutes ces formations, la collaboration avec le Barreau et les acteurs de la Place est très poussée. « Cela nous permet de développer des initiatives inédites, comme la Clinique du droit de la consommation, qui permet à des consommateurs de venir exposer certains problèmes juridiques qui seront résolus par les étudiants, aidés par des professionnels. Les sept concours de plaidoirie, proposés à nos étudiants de master et soutenus par le cabinet Clifford Chance, sont également très appréciés », détaille-t-elle. La collaboration avec le secteur privé s’illustre aussi à travers la SES Chair in Satellite Communications and Media Law et l’ATOZ Chair for European and International Taxation, ou des programmes « Fellowship and Internship » en partenariat avec Allen & Overy et Ferrero. À l’avenir, le département cherchera à mieux mesurer l’employabilité de ses étudiants, portée par la généralisation des stages en deuxième année de master. « Notre dernière analyse montrait que 90 % d’entre eux trouvaient un travail dans les six mois suivant leur sortie », précise la doyenne.
Université du Luxembourg
Comment évolue le nombre d’étudiants au sein du département Finance ? Quels sont vos objectifs en la matière ? P. W. Entre les années académiques 2020-2021 et 2021-2022, nous avons constaté une hausse des inscriptions d’environ 25 %, ce qui est très positif. Nous ne pouvons toutefois pas, à l’heure actuelle, aller au-delà d’un certain nombre. Aujourd’hui, nous comptons 20 étudiants par spécialisation dans le master of science in finance and economics – soit 120 au total – et de 40 à 50 étudiants pour le master en wealth management. Au-delà, nous serions confrontés à des problèmes logistiques, et la qualité d’enseignement attendue, surtout pour les spécialisations, ne serait plus assurée. Nous nous félicitons toutefois de constater que la proportion d’étudiants de nationalité luxembourgeoise est en hausse. Désormais, un tiers des étudiants du département Finance sont luxembourgeois. Cela est en ligne avec nos objectifs, qui visent à rassembler un tiers d’étudiants luxembourgeois, un tiers issu de l’Union européenne et un tiers venu de pays situés hors de l’Europe.
Département de droit
Photo
sont par ailleurs organisés sur ces thèmes d’avenir : durabilité, impact investing, real estate, etc. C. B. Cette refonte des programmes, avec l’organisation de stages, permet à des étudiants d’ici et d’ailleurs de comprendre le fonctionnement du monde bancaire luxembourgeois de l’intérieur. C’est incontestablement une plus-value pour l’industrie, qui dispose ensuite de professionnels bien au fait des réalités luxembourgeoises, dès leur sortie des études.
FR/EN
APÉRO TALK PRIVATE BANKING
Avec Nathalie Reuter
30.03.22
Mercredi 18h30
Inscription et informations : www.paperjam.lu/club
Forecast
Les autres sujets réglementaires incontournables Au-delà des « gros morceaux » que nous avons évoqués dans les pages précédentes, d’autres réglementations doivent encore susciter l’attention des acteurs luxembourgeois. Petit tour d’horizon. Propos recueillis par Q. D.
1
BASILE FÉMELAT Partner – Banking, Finance & Capital market AKD Luxembourg
En 2022 entrera en vigueur le projet de loi 7825 portant modification de la loi de 2004 sur la titrisation. La titrisation consiste, pour une société détentrice d’actifs financiers peu liquides, à céder ceux-ci à un organisme de titrisation dans le but de les sortir de son bilan et/ou de se refinancer. Le projet de loi 7825 vise notamment à clarifier les moyens par lesquels un organisme de titrisation peut se financer, à permettre aux organismes de titrisation d’octroyer des sûretés dans un cadre plus souple et de gérer activement certains types actifs, et à spécifier plusieurs nouvelles règles relatives à la compartimentation. Ce projet devrait redonner un nouveau souffle aux véhicules de titrisation luxembourgeois, en offrant de nouvelles possibilités pour accomplir les opérations de titrisation dans des conditions claires, et une protection efficace des investisseurs. Ce nouveau cadre devrait donc renforcer l’attractivité du pays pour ce type d’opérations face aux autres grandes places financières. Le projet de loi 7825 vient également mettre en œuvre en droit luxembourgeois le règlement (UE) 2020/1503 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs (crowdfunding). 66
TAX & LEGAL JANVIER 2022
3
« La digitalisation des services financiers sera encouragée, mais elle sera aussi réglementée. » MARIE-PAULE GILLEN ET MARIO DI STEFANO Partners, avocats à la Cour DSM Avocats à la Cour
Outre le renforcement de la surveillance des exigences du respect des normes prudentielles et des risques au niveau des banques, il faut s’attendre à de nouvelles réglementations et/ ou mesures en matière de lutte contre le blan- chiment et le financement du terrorisme, ainsi que de finance durable, avec des répercussions sur les règles de protection de l’investisseur (Mifid II) et sur celles applicables aux fonds d’investissement. « La digitalisation des services financiers sera encouragée, mais elle sera aussi étroitement réglementée et mise sous surveillance pour encadrer les risques liés à l’usage des nouvelles technologies dans le domaine financier, notamment en matière de cryptoactifs », estime Me Marie-Paule Gillen. Me Mario Di Stefano, quant à lui, évoque la modification de la réglementation en matière d’immobilier, notamment le projet de loi no 7642 portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation, qui devrait abolir la catégorie des « logements de luxe », et le projet de loi no 7139 pour modifier la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, visant à une accélération de la viabilisation des terrains constructibles par un contrat d’aménagement.
AKD Luxembourg, Clifford Chance et DSM Avocats à la Cour
« La modification de la loi sur la titrisation renforcera l’attractivité du Luxembourg. »
L’agenda réglementaire européen est particulièrement chargé, notamment concernant les fonds d’investissement. C’est le cas de la directive AIFM qui régule la gestion, l’administration et le marketing des fonds d’investissement alternatifs pour laquelle la Commission Européenne vient de publier son projet de directive dit «AIFMD2». Un volet très important pour le Luxembourg est celui de la délégation, un modèle sur lequel la Place s’est développée en grande partie, avec des fonds domiciliés à Luxembourg mais dont la gestion est assurée ailleurs. Le projet d’AIFMD2 ne comporte pas l’approche quantitative tant redoutée, consistant à imposer un nombre minimum d’employés en fonction des avoirs sous gestion en appliquant une règle de 3 arbitraire. C’est un soulagement, mais il subsiste un point d’interrogation, car les AIFMs qui délègueront plus de la moitié de leurs activités à des entités situées dans des pays tiers feront l’objet d’une notification à l’ESMA selon un formulaire à définir. L’information qui sera ainsi récoltée pourrait ensuite servir à l’adoption de nouvelles règles encadrant la délégation. Affaire à suivre donc. Dans l’intervalle, nul doute que la place luxembourgeoise devra investir encore plus dans la substance, nonobstant tout le chemin qui a déjà été accompli depuis l’adoption d’AIFMD1. Tout ceci s’inscrira dans un contexte où les exigences en matière de substance se trouveront également renforcées d’un point de vue fiscal avec la future adoption de la directive ATAD 3 visant à lutter contre les « shell companie »
Photos
2
EMMANUEL-FRÉDÉRIC HENRION ET GEOFFREY SCARDONI Partner – Investment funds practice et partner – Tax Clifford Chance Luxembourg
PwC Tax Information Reporting for the Financial Sector Ensuring that you reclaim what’s yours We help actors of the financial sector such as Funds, Banks and Insurance companies reclaim taxes over-withheld or ensure that the relief at source procedure is applied when available. Our Tax Reclaim Managed Services served by a team of problem solvers will assist you globally in reclaiming what’s yours. We can handle it all. In addition, our team specialised in tax transparency and operational tax aspects can also assist you with other tax reporting and compliance obligations such as FATCA, CRS, QI, DAC 6, AML Tax and Country-by-Country reporting.
Global tax reclaim and refund All in one place Easy Reporting Solution High performance solution coping with ever-changing market requirements More information on:
Also available on the PwC Store:
Find out more about the current hot topics and our services!
Your contacts Pierre Kirsch
Partner, PwC Tax Information Reporting T: +352 49 48 48 4031 E: pierre.kirsch@pwc.com
Murielle Filipucci
Partner, FS Tax Leader, PwC Luxembourg T: +352 49 48 48 3118 E: murielle.filipucci@pwc.com
© 2021 PricewaterhouseCoopers, Société coopérative. All rights reserved. In this document, “PwC” or “PwC Luxembourg” refers to PricewaterhouseCoopers which is a member firm of PricewaterhouseCoopers International Limited, each member firm of which is a separate legal entity. PwC IL cannot be held liable in any way for the acts or omissions of its member firms.