Paperjam Plus - Diversity & Inclusion

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Diversity & Inclusion JUIN 2022

L’ABÉCÉDAIRE

LGBTQIA+ – INTERVIEW DE CORINNE CAHEN

« Une entreprise inclusive a de meilleurs résultats économiques ! » – NANCY THOMAS ET PRISCILIA TALBOT

La Charte de la diversité – PARITÉ

La diversité chez les dirigeants – MICRO-AGRESSIONS

Le racisme au banc d’études – HANDICAP EN ENTREPRISE

Loin des quotas espérés – DEUXIÈME VIE

Coach de retraite


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Édito #Diversity #Inclusion

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Dignité, égalité, tou(te)s concerné(e)s! Cette année, pour la huitième année consécutive, nous célébrons au Luxembourg le Diversity Day. L’Union européenne a d’ailleurs consacré le mois de mai « Mois européen de la diversité ». Le but : encourager tous les acteurs de la société civile, les ONG, les institutions gouvernementales, les entreprises, les communes… à travailler ensemble sur la question de la diversité. La Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par les Nations unies après 1945, représentait la première expression mondiale des droits auxquels tous les êtres humains peuvent espérer. Les droits de l’Homme sont censés être inaliénables, interdépendants et universels. Voilà pour la théorie. En pratique, la marche vers l’égalité des droits passe, comme le souligne l’historien Denis Scuto, par une transformation des cadres mentaux et matériels qui dépasse le seul aspect légal. L’histoire des mouvements de libération est une course de fond par étapes. Après les mouvements ouvriers, sociaux et féministes du début du siècle dernier, notre société se focalise aujourd’hui sur la diversité des ethnies, des genres et des orientations sexuelles. Propulsés par les hashtags, les mouvements #BlackLivesMatter et #MeToo se retrouvent à la une des agendas politiques. Que la diversité et l’inclusion profitent à tout un chacun, individu, entreprise, société, c’est une évidence. Dans les beaux discours, il y a unanimité sur l’importance de la diversité des profils dans les entreprises. Mais où sont donc ces travailleurs(euses) en situation de handicap qui devraient intégrer les rangs des salarié(e)s ? Fort peu sur les fiches de paie. Au-delà des réglementations, c’est par le biais du partage de bonnes pratiques et la sensibilisation du public que le combat contre discrimination, exclusion, crimes de haine et souffrances s’articule. Le gouvernement luxembourgeois mise sur les plans d’action et les chartes pour influencer et changer les mentalités. À chacun(e) de donner du sien. Ce supplément souhaite apporter sa pierre à l’édifice. Happy Diversity Month! Auteur NATHALIE REUTER

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Diversity & Inclusion Juin 2022

08 LE JOUR OÙ

« J’ai décidé de devenir active au sein de ZEFI » 10 INTERVIEW CORINNE CAHEN

« Une entreprise inclusive a de meilleurs résultats économiques ! » 14 HISTOIRE

Des siècles de combat pour l’égalité des droits 20

p. 10 Les enquêtes le prouvent, la rentabilité des entreprises plus diversifiées est susceptible de surpasser systématiquement celle des entreprises moins diversifiées.

Dossier

Célébrons chaque nuance

40 VIE PROFESSIONNELLE

Agissons contre les discriminations en entreprise !

22 COMMUNAUTÉ

L’abécédaire des LGBTQIA+

28 CONSEILS

44 CHANCE POUR TOUS

Comment éviter les faux pas ?

Handicap en entreprise : loin des quotas espérés

30 INTERVIEW CROISÉE

Photo

Guy Wolff

Illustration

Marielle Voisin

NANCY THOMAS ET PRISCILIA TALBOT « Pouvoir accepter chaque personne telle qu’elle est »

46 ACCOMPAGNEMENT

Quel est le rôle du CET ? 48 PENSION

34 DISCRIMINATIONS

Le racisme au banc d’études

Ma deuxième vie professionnelle : coach de retraite

38 PARITÉ

50 FORECAST

ETHNO-RACIALES

Diversité chez les dirigeants : où en est-on ?

p. 20 Œuvrer pour une société plus inclusive, c’est l’affaire de tou(te)s. Nous pouvons tou(te)s y contribuer en commençant par faire preuve d’une plus grande ouverture, en étant sensibles à la différence.

Comment contribuer à plus de diversité en entreprise ? JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Sur le radar

L’acceptation dans le monde TOP 25

Le classement des pays les plus LGBT+ friendly

AU NIVEAU MONDIAL

La carte du droit d’aimer en 2019

Décriminalisé

L’initiative « Libres et égaux » du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme propose une carte qui recense les pays où les relations entre même sexe sont considérées comme un crime et ceux où ça ne l’est pas.

Criminalisé

Spartacus publie l’indice des voyages gays chaque année depuis 2012. Cet indice mesure la situation juridique et les conditions de vie des membres de la communauté queer dans le pays concerné. 1

Canada

2

Malte

3

Portugal

4

Espagne

5

Autriche

6

Danemark

7

Suède

8

Royaume-Uni

9

Uruguay

10

Australie

11

Allemagne

12

Islande

13

Taïwan

14

Colombie

15

Pays-Bas

16

Nouvelle-Zélande

17

Suisse

18

Belgique

19

Groenland

20

Irlande

21

Norvège

22

Argentine

23

Finlande

24

France

25

Luxembourg

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Sources ILGA, Britannica, BBC, Human Rights Watch, OutRight Action International, Equaldex, Stonewall, Gay and Lesbian Archives of the Pacific Northwest, Journal of African Law, Routledge International Encyclopedia of Queer Culture, GLBTQ Archives

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Pas de données


L’inclusion des personnes LGBT+ augmente chaque année. Les initiatives, les manifestations et l’éducation jouent toutes un rôle important pour l’acceptation de soi et des autres, sans porter de jugement. Mais hélas, dans certains pays, de gros efforts restent encore à faire.

3 QUESTIONS À

TOM HECKER

Président Rosa Lëtzebuerg

Comment se positionne le Luxembourg vis-à-vis des questions des droits et de l’inclusion des personnes LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queer, intersexes, asexuelles, et plus, ndlr) ? Nous sommes un des pays les plus ouverts au monde. Bien sûr, tout n’est pas parfait. Et il y a encore d’importants chantiers à mener, des adaptations législatives à effectuer, des changements à opérer. Nous en mettons chaque année quelques-uns en avant à l’occasion de la Luxembourg Pride. Sur quels sujets faut-il avancer davantage ? On peut citer l’interdiction de pratiquer toute intervention médicale ou chirurgicale qui n’est pas nécessaire pour la vie ou la santé sans le consentement éclairé des personnes concernées ! Cet aspect concerne notamment les personnes intersexes. Un autre enjeu réside dans la « dépsychiatrisation » des personnes trans et dans l’accès aux mesures de réassignation de genre sans passer par la psychiatrie. Nous soutenons aussi l’introduction d’autres options de genre à l’état civil, la recon­nais­ sance parentale automatique. Nous souhaitons aussi la création de safe spaces, c’està-dire des endroits où les personnes appartenant à la communauté pourraient se retrouver en sécurité. Enfin, nous avons récemment adopté une revendication supplémentaire de solidarité avec les réfugiés queer d’Ukraine et d’autres pays. Au niveau des organisations et des entreprises, comment ces enjeux de diversité sont-ils abordés ? De plus en plus d’entreprises viennent vers nous, avec le souhait d’aborder ces enjeux. Nous pouvons leur proposer des formations et des ateliers sur mesure pour leur permettre de bien appréhender les problématiques liées à la diversité et à l’inclusion à l’échelle de leur organisation. Auteur S. L.

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Le jour où…

J’ai décidé de devenir active au sein de ZEFI Depuis 2017, Martine Kirsch est présidente de ZEFI (Zesummen fir Inklusioun), une asbl qui milite pour une meilleure inclusion des enfants et des jeunes à besoins spécifiques, et dont les combats la concernent pour des raisons très personnelles.

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Martine Kirsch, en ayant repris la présidence de l’association, accompagne à son tour les familles.

Romain Gamba

cela se poursuit tout au long de leur vie, à travers des structures spécialisées, des ateliers protégés. Pourtant, selon la convention de l’Orginastion des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées que le Luxembourg a signée, les personnes à besoins spécifiques, qui représentent une fraction non négligeable de la population, ont les mêmes droits que chacun d’entre nous… À l’heure actuelle, les engagements que nous avons pris en signant cette convention ne sont pourtant pas respectés. Un autre problème majeur est la lourdeur administrative, qui est inévitable pour toutes les démarches liées aux jeunes à besoins spécifiques. Entre le début de celles-ci et la scolarisation effective du jeune, il s’écoule parfois un an ! C’est évidemment une année perdue pour un enfant ou un jeune qui a besoin d’être scolarisé. Il est malheureusement très difficile de faire changer les choses. Nous avons lancé de nombreuses démarches qui sont finalement restées lettre morte. Il faut énormément de temps pour faire évoluer le cadre légal, surtout quand la volonté politique n’est pas vraiment présente. C’est pourquoi, aujourd’hui, tout en continuant à collaborer avec le ministère et nos différents partenaires, nous avons décidé de prendre certaines choses en main, en organisant des conférences, des tables rondes (ce 30 mai, notamment), ou encore des formations. L’un de nos grands objectifs est en effet de mettre sur pied une formation d’assistant pour ce public spécifique. Ce profil manque en effet cruellement, notamment au sein des écoles. Même si nous ne sommes qu’une poignée de bénévoles, nous voulons agir plus concrètement pour le bien-être des enfants et des jeunes à besoins spécifiques.

Propos recueillis par Q. D.

Photo

C’est à travers mon expérience personnelle que j’ai découvert ZEFI asbl. Étant moi-même maman d’un enfant à besoins spécifiques, je cherchais un soutien, et je l’ai trouvé au sein de l’association. ZEFI offre en effet un accompagnement bienvenu aux parents, dans différents contextes, notamment lors des réunions à l’école. À partir de 2015, j’ai voulu m’engager un peu plus dans l’association et j’ai commencé à suivre certains des comités de ZEFI. À cette même période, il s’est avéré que les fondateurs de l’asbl, créée il y a 25 ans, pensaient tout doucement à passer à autre chose. Il fallait donc leur trouver des successeurs… ou décider tout simplement de mettre un terme à l’aventure. La disparition de l’asbl aurait été dommage, étant donné qu’il s’agit de la seule association qui milite sur ce sujet en particulier. Je dois dire qu’il n’y avait pas beaucoup de candidats pour prendre le poste de président de l’association. De mon côté, je ne me considérais pas assez qualifiée pour postuler. Il me fallait un peu de temps pour apprendre tous les rouages de ce milieu, mieux connaître les différentes législations, etc. C’est donc une autre personne qui a pris la présidence cette année-là, en 2016. J’ai lui ai succédé l’année qui a suivi, en 2017. Depuis mon arrivée, les combats ne manquent pas. Il y a quatre ans, une nouvelle loi a été créée pour encadrer la scolarité des enfants et des jeunes à besoins spécifiques. Celle-ci a conduit à la création de huit centres de compétences dédiés, qui consacrent leur travail sur le principe des « classes spéciales ». Au sein de ZEFI, nous étions contre ce principe de « ségrégation » des enfants à besoins spécifiques, même si nous sommes conscients des difficultés qui existent, aujourd’hui, pour intégrer ces profils aux classes traditionnelles. Comme souvent, le problème est le manque de moyens et de ressources humaines, notamment d’assistants capables d’épauler les enseignants dans leur mission. Nous avons un problème fondamental avec le handicap au Luxembourg: nous avons l’habitude de mettre ces personnes à l’écart, de les « cacher ». Cela commence à l’école, et



Interview Corinne Cahen

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Photo

Un an avant les prochaines élections communales et législatives, grand tour d’horizon avec Corinne Cahen, la ministre de la Famille et de l’Intégration, des défis des maisons de retraite et de soins ainsi que des challenges qui se posent en termes de racisme, d’inclusion de la communauté LGBT+, des personnes en situation de handicap et du Pacte du vivre-ensemble des communes.

Guy Wolff

« Une entreprise inclusive a de meilleurs résultats économiques! »


Pour la ministre, « la non-éducation et la non-connaissance sont souvent le problème ».


Interview

La ministre de l’Environnement a démissionné suite à l’affaire des Gaardenhaischen. Vous avez aussi subi des pressions pour démissionner. Comment les avez-vous digérées ? Ça m’a montré le mauvais côté de la politique. Certains politiciens viennent avec des mensonges pour vous détruire. On n’a plus envie de se défendre parce que c’est tellement gros… Le rapport de la commission d’enquête l’a d’ailleurs démontré. La crise a été très bien gérée dans les maisons de retraite et les maisons de soins au Luxembourg. Tout le monde a fait de son mieux. À l’étranger non plus, on ne connaissait pas le virus. C’était un jeu politique pour me détruire. Je ne suis pas féministe et je n’ai jamais eu l­’impression d’être discriminée par rapport à mon sexe. Je pense être une femme assez forte, mais je constate qu’en politique, ici au Luxembourg, certains hommes qui se croient plus forts aiment bien attaquer les femmes. Peut-être parce que les femmes ont moins le sens de la répartie. Vous avez déjà souligné le fait qu’on vous pose des questions qui ne sont pas adressées à vos collègues masculins… C’est exactement cela. Quand j’étais ministre, au début, mes enfants avaient sept et neuf ans. Tous les jours – vraiment tous les jours –, on me demandait: «Mais tu gères comment avec les enfants?» On n’a jamais, même pas une seule fois dans toute leur carrière, posé cette question ni à Claude Meisch (ministre de l’Éducation nationale, ndlr) ni à Marc Hansen (ministre de la Fonction publique, ndlr)! On a une responsabilité en tant que femme et en tant que mère. Je ne condamne pas la question. C’est juste un constat. On parle d’égalité, mais on n’y est pas vraiment. Si c’était à refaire en ce qui concerne la gestion de la pandémie au sein des maisons de soins et de retraite, que changeriez-vous ? Je ferais une story sur Instagram tous les jours pour r­ apporter tout ce qu’on fait, parce que, apparemment, c’est ce qu’il faut faire. Nous étions en pleine crise sanitaire, donc c’était plutôt à la ministre de la Santé de communiquer, et mon rôle était de travailler et de faire en sorte qu’il y ait le matériel nécessaire, les dispositions nécessaires, et qu’on ­n’oublie pas le secteur du handicap. C’était très, très, très dur pour les fonctionnaires, les gestionnaires des maisons de soins et de retraite, le personnel et les résident(e)s, qui étaient enfermé(e)s dans leur chambre. Nous avons travaillé sept jours sur sept, 24 heures sur 24. La seule chose que je ­changerais, c’est que je communiquerais tout le temps, puisque c’est ce qui m’a été reproché.

d’une chambre, par exemple en ce qui concerne le linge ou bien les boissons servies avec le repas. Suite à la crise, nous avons décidé de déposer une série d’amendements. Un exemple est l’obligation de créer des comités d’éthique qui peuvent trancher sur les questions qui relèvent de leur compétence. Pendant la crise sanitaire, on a remarqué qu’il y avait des questions éthiques qui se posaient. Au ministère de la Famille, nous avons souvent joué le rôle de médiateur. Nous sommes d’avis qu’il faut un médiateur ou une m ­ édiatrice externe assumant cette médiation entre les résident(e)s, les familles des résident(e)s et les gestionnaires. À quel moment et comment le ministère entreprend-il le contrôle de la gestion et de la gouvernance dans les maisons de soins et les maisons de repos ? Le ministère est en charge de donner un agrément à ces maisons. Avec la loi actuelle, pour avoir l’agrément, il faut remplir certaines conditions. Une fois par an, nous faisons une visite d’agrément pour voir si toutes les dispositions sont toujours en place et si l’agrément est toujours valable. Les maisons de retraite n’appartiennent pas à l’État, mais peuvent appartenir soit à un établissement public – comme Servior –, soit à des congrégations – comme Elisabeth, HPPA –, soit à des gestionnaires privés. La nouvelle loi sera d’ailleurs un petit peu plus exigeante concernant les ­critères de qualité. Comme nous n’avons pas actuellement de médiateur ou médiatrice, nous sommes en contact permanent, que ce soit les services ou moi-même, avec les gestionnaires pour désamorcer des conflits potentiels. De facto, vous ne jouez donc pas à la police… C’est donc aux établissements de gérer leurs propres affaires et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de maltraitance ? On n’intervient pas au quotidien. Nous accordons un agrément aux maisons de retraite et notre participation peut atteindre jusqu’à 70% de la construction du bâtiment. C’est un long processus et il faut faire la demande bien à l’avance. Et puis, il y a des commissions de contrôle. Les maisons de retraite se financent par deux biais. Le premier, c’est le prix de la chambre. Et le second, c’est l’assurance dépendance, qui, elle aussi, fait des contrôles. Même s’il n’y a qu’un soupçon de maltraitance, nous nous rendons tout de suite sur place avec l’assurance dépendance. Nous parlons aux gens, aux gestionnaires pour constater ou ne rien constater… C’est une collaboration très étroite entre le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région et celui de la S ­ écurité sociale. Le but ultime recherché, c’est toujours la bientraitance et le bien-être des résident(e)s.

Selon l’étude Le Racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg, réalisée par le Liser Déjà avant la pandémie, vous avez mis en place et le Cefis, les discriminations sont devenues un projet de loi réglant les relations entre l’État et les de plus en plus sournoises. Le rapport parle surtout organismes œuvrant dans les domaines social, familial de micro-agressions quotidiennes. Qu’est-ce que et thérapeutique. Après le Covid, vous avez ajouté des vous allez entreprendre pour réagir à cela ? modifications. Quels sont les accents phares de la loi ? Si je devais en retenir deux, ce serait d’abord la qualité. Trois domaines sont principalement touchés par les discriNous mettons l’accent sur la qualité qui revient au consom- minations et le racisme – et cela n’étonne personne –, à mateur, donc à la personne résidant dans une maison de savoir le marché du travail, l’éducation et le logement. Souvent, une personne en discrimine une autre sans retraite ou une maison de soins, qui est actrice de sa vie et qui doit aussi pouvoir décider de son projet de vie et de la même le remarquer. Tout le monde a des idées reçues. C’est façon dont elle veut être traitée. Ensuite, je citerais la trans- un exercice que nous devons tous faire avec nous-mêmes. parence: transparence des prix, savoir ce que je reçois, où Il faut proposer des formations sur le racisme et les discriet à quel prix. Nous sommes en train de faire ce registre minations. D’abord, il s’agit de sensibiliser les enseignant(e) des prix. Souvent, on ne sait pas ce qui est inclus dans le prix s, et ensuite de conscientiser les entreprises avec l’aide de

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

BIO EXPRESS La politique Corinne Cahen se pré­sente pour la première fois aux élections en octobre 2013 et est élue députée. Dès le mois de décembre, elle devient ministre de la Famille et de l’Intégration, et ministre à la Grande Région. Un portefeuille qu’elle conserve également dans le deuxième gouver­ nement dirigé par Xavier Bettel. Depuis novembre 2015, elle est présidente du DP. Les médias et le commerce Corinne Cahen a commencé sa carrière comme free-lance pour différents journaux et radios, puis devient journaliste à RTL et à l’agence de presse AFP. En 2008, elle quitte le monde des médias pour prendre la gé­rance de son magasin de chaussures à Luxem­bourg. Elle devient présidente de l’Union commer­ ciale de la Ville de Luxem­bourg en 2008 et membre élue de la Chambre de com­ merce en 2009. Les études Après des études secondaires à l’Athénée de Luxembourg, Corinne Cahen débute ses études supérieures à l’Université des sciences humaines de Strasbourg, où elle est licenciée en langues étrangères appliquées. Elle passe ensuite par l’Université NiceSophia-Antipolis, où elle obtient une maîtrise de langues étrangères appliquées (section affaires et commerce), et termine son cursus à la Sorbonne avec un diplôme supé­rieur de journalisme bilingue français-anglais.


Corinne Cahen

«Il est important de montrer que notre société est diverse et que chacun(e) est différent(e).»

Cette fonction est un peu la victime de la pandémie. En fait, l’assistance à l’inclusion dans l’emploi n’est pas uniquement là pour la personne en situation de handicap, mais surtout pour l’entreprise, pour les collègues de travail. Souvent, des personnes en situation de handicap accèdent encore à un poste de travail, mais elles n’y restent pas. Pourquoi? Parce que les collègues de travail ne savent pas comment s’y prendre. Tout l’enjeu est d’arriver à un engagement à long terme. C’est l’UEL et la Chambre de commerce. Les entreprises ou les la raison pour laquelle nous aménageons les postes de t­ ravail responsables des ressources humaines qui appliquent la et nous offrons l’assistant(e) à l’inclusion dans l’emploi. Nous Charte de la diversité reçoivent par exemple les CV sans faisons tout pour que cela puisse réussir. Je lance un appel photo et sans nom, ils regardent les qualifications. Plusieurs aux entreprises: Chères entreprises, tentez le coup! Si vous enquêtes d’ailleurs, réalisées au Luxembourg ou à l’étranger, vivez votre diversité pleinement avec les personnes en s­ ituation ont prouvé qu’une entreprise inclusive a de meilleurs résul- de handicap, vos résultats économiques seront meilleurs. tats économiques. Ce n’est pas seulement vrai pour le racisme, Faites-le! mais aussi quand on parle de handicap, de la communauté LGBT+, de la discrimination en général basée sur le sexe, Sur le plan de l’intégration, vous avez signé un projet l’âge ou la religion. Quant au marché du logement, nous pilote : Pakt vum Zesummeliewen (Pacte du vivreréfléchissons à une charte pour les agences immobilières, ensemble). Pourquoi avez-vous lancé ce projet ? pour qu’elles n’acceptent pas de client(e)s qui refusent de Le but est d’inclure les citoyen(ne)s dans le vivre-ensemble louer leur bien à telle ou telle personne. de la commune. On souhaite que les gens deviennent acteurs et que les initiatives au niveau communal ne viennent Ce sont des choses qui sont difficiles à imposer… pas du bourgmestre, mais des citoyen(ne)s eux/elles-mêmes. On ne peut pas l’imposer, mais on peut faire des chartes. Signer ce Pacte du vivre-ensemble, c’est aussi se faire La non-éducation et la non-connaissance sont souvent accompagner par des conseillers et conseillères à l­’intégration le problème. qui suivent et conseillent les communes.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez également lancé un guide d’inclusion pour les personnes transgenres en entreprise ? Absolument. Il est très important de montrer que notre ­société est diverse et que chacun(e) est différent(e), comme nous le faisons actuellement avec la campagne «Wat ass normal?» («Qu’est-ce qui est normal?»). Tout est normal et tout est anormal. Très souvent, les gens ne savent pas comment se comporter avec les autres, que ce soit la personne transgenre elle-même ou l’entourage. Ce guide est censé aider les ­personnes transgenres à pouvoir vivre leur identité sans être jugées et apprendre aux autres que chacun(e) est différent(e) et que chacun(e) est fantastique comme il/elle est. En ce qui concerne le handicap, toutes les entreprises avec plus de 300 employé(e)s doivent occuper 4 % de leurs postes avec des personnes qui ont le statut de salarié(e) handicapé(e). Selon les statistiques, 81,7 % des entreprises ne le font pas. Ce chiffre est énorme. Comment voulez-vous changer cela ? J’ai essayé, c’est très difficile. Les chiffres de l’État ne sont pas meilleurs. Avant d’imposer aux autres, il faut ­commencer par soi-même et, en bon père de famille, l’État devrait ­montrer l’exemple. Deux choses sont difficiles. P ­ remièrement, le matching. Il faut engager une personne non pas parce qu’elle est handicapée, mais parce qu’elle possède les compétences nécessaires. Et nous avons des services qui ­fonctionnent très bien, par exemple le service téléphonique de l’Adem, où il n’y a que des travailleurs et des travailleuses handicapé(e)s. Chaque fois que je vais dans les entreprises, je leur rappelle que l’État paie la totalité de l’aménagement du poste de travail. C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur. J’ai essayé, avec la loi sur l’accessibilité, de faire en sorte que le monde devienne plus accessible à tous. La fonction de l’assistant(e) à l’inclusion dans l’emploi a été créée en 2019, juste avant la pandémie…

Par exemple, Esch-sur-Alzette est, pour l’instant, la seule commune dans le pays ayant un projet Sport pour Tous, incluant des enfants à besoins spécifiques et en situation de handicap… Différents projets existent dans différentes communes. C’est donc justement bien de copier ce qui fonctionne dans d’autres communes. Le Pacte du vivre-ensemble est un ­projet transversal de participation citoyenne, qui concerne à la fois les jeunes, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap… en fait, toutes les communautés. Esch et Luxembourg-ville sont des grandes villes avec ­plusieurs services à leur disposition, alors que beaucoup de communes de petite ou moyenne taille ne savent pas gérer tout cela seules. On est en train de les sensibiliser, et ça prend du temps afin que cela devienne quelque chose de solide. Vous ne voulez pas d’un troisième mandat en tant que ministre de la Famille et de l’Intégration et ministre à la Grande Région. Mais qu’en est-il du poste de ­bourgmestre de la Ville de Luxembourg ? Les élections seront organisées l’année prochaine, au mois de juin. Je ne vous cache pas que j’adore ma ville. J’ai ­énormément d’idées. Donc on verra… Kommt Zeit, ­kommt Rat. («Le temps nous le dira», ndlr). Mais vous comptez rester active en politique ? Bien sûr. Je ne peux pas rester inactive! Je resterai ministre et je resterai membre du bureau exécutif et du comité ­directeur du DP. Il faut faire de la politique parce qu’on est comme on est. Moi, j’adore être chez les gens. On me dit avoir été à toutes les assemblées générales possibles et ­imaginables du DP partout dans tout le pays. C’est vrai. Dès que je peux, j’y vais. Interview NATHALIE REUTER

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Histoire

Des siècles de combat pour l’égalité des droits Au Luxembourg, le combat pour les droits de l’Homme et leur universalité s’enracine profondément dans l’histoire et n’a cessé de se poursuivre. Aujourd’hui, le sujet de l’égalité entre femmes et hommes, entre minorités sexuelles ou ethniques, est désormais bien plus médiatisé que les questions sociales.

Dans ses Leçons sur la philosophie de l’histoire, Georg Wilhelm Friedrich Hegel développe l’idée selon laquelle la raison (ou l’esprit) se réalise à travers l’Histoire pour aboutir, au terme de celle-ci, à la liberté humaine. Ce point de vue – qui a été autant admiré et poursuivi par des penseurs comme Marx que moqué par de nombreux philosophes ultérieurs – fait toutefois étrangement écho au combat pour les droits humains et à leur universalité. Les libertés et l’égalité des droits (au moins théorique) que nous connaissons aujourd’hui dans nos contrées sont en effet l’aboutissement d’un long processus historique. «Pour un historien, il est toujours intéressant de souligner l’importance du passé dans la constitution de la r­ éalité présente, relève Denis Scuto, historien, vice-­ directeur du Centre for Contemporary and Digital History (C²DH) et directeur de l’unité de recherche sur l’histoire contemporaine du Luxembourg au sein de l’Université du ­Luxembourg. C’est particulièrement vrai quand on évoque l’évolution des droits humains en Europe. Comme l’a expliqué l’historien Heinrich August Winkler, l’Occident s’est fédéré, au fil des siècles, autour d’un projet normatif accordant une place importante à la liberté et la démocratie.» Grandes déclarations, effets limités Parmi les principaux jalons de ce cheminement vers la liberté, l’égalité et la démocratie, on trouve évidemment la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, proclamée suite à la Révolution française, ainsi que la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 et la Constitution qui a été rédigée dans la foulée. « Ces grandes déclarations, bien qu’exprimant plus ou moins clairement l’égalité des droits entre tous les citoyen(ne)s, sont en pratique très loin de la consacrer universellement. Au moment où ces textes ont été adoptés, si l’on se penche uniquement sur le droit de vote par exemple, les femmes, les personnes disposant de peu de moyens, ainsi que toute une série d’autres citoyen(ne)s ne pouvaient tout simplement pas y prétendre, ­précise

À travers l’histoire Une série d’autres dates-clés émaillent l’histoire de l’égalité des droits au Luxembourg. Nous en avons sélectionné quelques-unes dans cette frise chronologique.

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

1919 Introduction du suffrage universel pour les femmes et les hommes au Luxembourg.

1965 Astrid Lulling devient la première femme députée de l’après-guerre en 1965.


Photos Marcel Schroder © Photothèque de la Ville de Luxembourg, European Union / EP, Marcel Tockert © Photothèque de la Ville de Luxembourg, Matic Zorman, Marc Wilwert © Photothèque de la Ville de Luxembourg, Romain Gamba

Denis Scuto. Cette première étape était toutefois indispensable pour préparer le terrain aux évolutions qui allaient se produire durant les siècles suivants. » Il faudra toutefois attendre bien longtemps pour que le projet normatif de l’Occident aboutisse. Comme un clin d’œil à la dialectique hégélienne de l’Histoire, des événements majeurs, allant totalement à l’encontre de cette quête de liberté et de démocratie, lui permettront de se concrétiser. C’est le cas des deux guerres mondiales, boucheries menées par des dirigeants totalitaires, assoiffés de conquêtes territoriales et de soumission des peuples. «C’est au terme de la Première Guerre mondiale que le droit de vote des femmes a vu le jour au ­Luxembourg, comme dans d’autres pays en Europe. Quant à la véritable universalisation des droits humains, elle ne commencera à être effective qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale», souligne Denis Scuto. Les jeunes éduqué(e)s, moteurs du changement C’est en effet surtout durant les Trente ­Glorieuses – qui s’étalent de 1946 à 1975 – que le combat pour l’égalité des droits a connu un réel coup d’accélérateur. La conscience civique de l’Occident, dans son ensemble, se réveille alors. Elle s’illustre notamment aux États-Unis, avec le mouvement pour les droits civiques, la culture hippie et toute l’influence qu’elle a eue en matière d’émancipation, de promulgation du féminisme, de lutte contre les conflits armés comme celui du Vietnam… «Ces évolutions majeures sont liées à l’émergence d’une toute nouvelle catégorie au sein de la société, celle des jeunes qui ont en plus grand nombre accès à une éducation universitaire et qui n’hésitent plus à s’exprimer, explique l’historien de l’Université du Luxembourg. La culture populaire, et notamment la musique, a permis de faire voyager ces enjeux dans le monde entier, touchant notamment les habitant(e)s du Luxembourg comme celles et ceux des autres pays européens. Les événements de Mai 68, en France et ailleurs, sont l’expression de cette prise de conscience.»

1971 Le Mouvement de libération des femmes (MLF) voit le jour au Luxembourg.

DES LOIS POUR FAIRE RESPECTER LA DIVERSITÉ Au Luxembourg, le respect de la diversité est encadré par 7 principaux textes de loi. L’article 11 paragraphe 2 de la Constitution, tout d’abord, affirme que les femmes et les hommes sont égaux en droits et en devoirs. La loi du 28/11/2006 impose quant à elle l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes. La loi du 07/11/2007 condamne la discrimination fondée sur la nationalité. Celle du 28/05/2019 impose que les sites web et applications mobiles des organismes publics soient accessibles à tous. Ces différentes dispositions légales trouvent écho dans d’autres textes, comme le Code du travail ou encore le Code pénal.

Focus sur l’origine ethnique et le genre Au Grand-Duché, le combat pour l’égalité des droits entre les personnes issues de l’immigration et les personnes «locales» ainsi que celui en faveur de l’égalité femmes-hommes vont toutefois prendre un tournant décisif dans les années qui suivent, notamment dans le sillage de la construction européenne. «Robert Krieps, ministre de la Justice dans les années 70, aura notamment une grande influence sur l’évolution de la législation en la matière. Ancien résistant et prisonnier politique, il avait à cœur de libéraliser et de dépénaliser une série de choses au niveau national», explique Denis Scuto. Son travail, conjugué à celui d’autres juristes et de nombreux/nombreuses activistes, permettra de mettre – enfin – un terme au statut d’infériorité de la femme dans le mariage, qui restait jusque-là encore inscrit dans la législation. «Ce n’est qu’en 1972 que ce statut disparaît, ce qui paraît tout de même assez tardif, relève Denis Scuto. À l’époque, des femmes qui travaillaient alors que leur mari restait à la maison – situation certes assez rare, mais qui existait – pouvaient se retrouver dans des situations délicates. Je me souviens de discussions, à l’époque, où on évoquait le fait que, légalement, les maris pourraient alors être considérés comme proxénètes, puisqu’ils envoyaient leur femme travailler pour obtenir un revenu. Évidemment, aujourd’hui, on croit rêver quand on entend ça!» Le fait que la première femme députée de l’après-guerre – Astrid Lulling – n’ait siégé qu’à partir de 1965, et que la première femme secrétaire d’État ne soit entrée en fonction qu’en 1967, indique bien que l’égalité femmeshommes n’était qu’une chimère théorique jusqu’au début des années 70.

Au Grand-Duché, on voit émerger, dans les années 60, une série de mouvements qui reflètent cet éveil européen, avec l’impératif de garantir et d’approfondir la notion d’égalité des droits. Le mouvement féministe est ainsi créé à cette époque et s’institutionnalise en 1971 sous le nom MLF (Mouvement de libération des femmes). L’activisme écologique se développe également au même moment, tout comme se créent des groupements d’étudiant(e)s trotskistes ou maoïstes. Au ­Luxembourg, ces derniers mouvements s’engagent beaucoup en faveur des droits des travailleurs et travailleuses immigré(e)s, à côté des syndicats et d’associations issues de la mouvance catholique. « Le Luxembourg avait un besoin croissant de travailleurs et travailleuses étrangers/ étrangères pour faire tourner son industrie, mais ils/elles étaient invisibilisé(e)s, dans la mesure où la plupart ne disposaient pas de Classe et nation vs ethnie et genre vrais contrats, mais étaient engagé(e)s comme Dans les années 80, le Luxembourg est égasaisonniers/saisonnières. Ainsi, le Luxembourg lement l’un des premiers pays à se reconnaître restait donc un pays avec une politique xéno- officiellement « pays d’immigration ». Une phobe et basée sur une vision raciste: ne tolérer déclaration qui s’est accompagnée d’un chanqu’une immigration européenne, blanche », gement de discours radical. À ce moment-là, indique Denis Scuto. l’immigration était considérée comme une

1993 Le droit de voter et d’être élu au sein de chambres professionnelles est accordé aux étrangers et étrangères.

2014 Le mariage homosexuel est autorisé au Luxembourg.

2020 En pleine crise sanitaire, les manifestants n’ont pas hésité à aller défendre les droits des personnes de couleur.

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Histoire

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DENIS SCUTO Historien, vice-directeur du Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) et directeur de l’unité de recherche sur l’histoire contemporaine du Luxembourg au sein de l’Université du Luxembourg de Luxembourg.

sujet, il faut savoir que le droit de vote au sein tif premier doit être de nous réaliser, de choisir des conseils d’usine avait été accordé aux étran- notre vie. C’est une bonne chose mais, pour gers et étrangères après la Première Guerre mon- avoir réellement la possibilité d’y parvenir, il diale. Mais il a été supprimé après la Deuxième faut avoir les moyens. Or, aujourd’hui, il reste Guerre mondiale et n’a été réintroduit qu’avec de nombreuses inégalités sociales dont on ne la création des premières institutions euro- parle plus beaucoup au Luxembourg, estime péennes. Pour le droit de vote aux chambres Denis Scuto. Cela est dû au niveau de vie généprofessionnelles, créées en 1924, il faudra attendre ralement assez élevé que l’on a la chance d’avoir encore plus longtemps – en 1993 – pour qu’il ici. Mais on voit que la question du pouvoir soit introduit.» d’achat et des droits sociaux conserve une importance fondamentale pour de nombreuses perLe Luxembourg, un suiveur zélé sonnes. Il suffit de voir ce qui s’est passé aux Finalement, tout au long de cette histoire de dernières élections françaises : les deux candil’évolution des droits humains, peut-on dire dats finalistes ont fini par centrer leur arguque le Luxembourg a été, par moments, un mentation sur ces sujets. » Ce dernier sujet permet également de ne précurseur, ou qu’il s’est contenté de suivre le mouvement? «De manière générale, estime pas oublier un élément essentiel : si la lutte Denis Scuto, le Grand-Duché a suivi d’assez en faveur de l’égalité des droits humains, au près les luttes civiques qui avaient lieu ailleurs sein de la société civile, est fondamentale et dans le monde. C’est lié au fait que les jeunes, doit être poursuivie, elle ne doit pas faire à l’époque, suivaient leurs études principale- perdre de vue le rôle fondamental de l’État. ment en Belgique ou en France. Ils/elles étaient « Il ne faut pas que ce combat citoyen soit une donc rapidement informé(e)s des combats en excuse pour désengager l’État. Au contraire : cours ailleurs dans le monde et ramenaient ces les pouvoirs publics sont en première ligne pour préoccupations au Luxembourg.» Sur certains répondre aux aspirations de chaque citoyen(ne) points, toutefois, le pays a su être ambitieux, de disposer des mêmes droits, des mêmes opporinstaurant certains droits avant d’autres nations. tunités. Comme le disait le philosophe alle« L’assurance maladie a ainsi été créée en 1901, mand Jürgen Habermas, il faut remettre, dès l’assurance accident en 1902, en s’inspirant du aujourd’hui, la question sociale au cœur du modèle allemand. Le droit de vote pour les débat», conclut Denis Scuto. Un passage oblifemmes a par ailleurs été acté ici en 1919, avant gé, sans doute, pour boucler finalement la la France (en 1944, ndlr)… même s’il y avait marche hégélienne de l’Histoire, devant sans doute des arrière-pensées électoralistes conduire nos sociétés vers une réelle expérience de la liberté humaine. derrière cette décision », poursuit l’historien. Désormais, le pays se positionne sur d’autres sujets très mainstream, comme la remise en cause de son passé colonial – de nombreux ­travailleurs et travailleuses luxembourgeois(es) ayant notamment rejoint les rangs des colonisateurs et colonisatrices belges au Congo – ou les suites des mouvements BlackLivesMatter ou MeToo. Le sujet qui, désormais, n’est toutefois quasiment plus évoqué est celui de la répartition correcte des richesses entre tous. «L’individualisme nous indique que notre objec- Auteur Q. D.

Matic Zorman

La lutte, en plus de la loi On le voit, le chemin est long pour parvenir à passer de l’idéologie générale, d’abord exprimée dans ces cénacles restreints, à l’adoption dans la loi, qui permet d’accorder concrètement des droits égaux aux femmes ou aux diverses minorités. Toutefois, même quand cette étape législative est actée, le combat n’est pas pour autant terminé. «Au ­Luxembourg, il existe par exemple une loi qui impose l’égalité de traitement entre femmes et hommes, qui date du 28 novembre 2006. Pourtant, dans les faits, cette égalité n’est pas encore atteinte, estime Denis Scuto. L’inscription dans la loi n’est donc pas suffisante, car la marche vers l’égalité des droits passe par une transformation des cadres mentaux et matériels qui dépasse le seul aspect légal. On le voit aujourd’hui avec les débats sur l’inclusion – notamment sur l’école inclusive pour les enfants en situation de handicap. Tout le monde s’accorde sur le principe théorique, mais la mise en pratique soulève de nombreuses difficultés. » Pour l’historien, cela doit inciter les mouvements civiques et citoyens à rester présents dans l’espace médiatique, à continuer à se battre pour certains droits. Difficile de lui donner tort quand on constate ce qui se joue en ce moment aux États-Unis, où le droit fédéral à l’avortement est sur le point d’être remis en cause. « Plus proche de nous, et sur un autre

«L’accent principal n’est plus mis sur la lutte pour l’égalité des droits pour un groupe, mais bien sur le fait que chacun(e) puisse se réaliser pleinement.»

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richesse et une série de plans allaient être mis au point pour mieux accompagner l’installation des travailleurs et travailleuses venu(e)s de l’étranger. Petit à petit, la question de l’égalité des droits entre genres et entre origines ethniques va connaître une inflation telle que celle portant sur les combats sociaux, ouvriers, traditionnels va se dissoudre d’elle-même. «À partir des années 1990, suite à la chute du Mur de Berlin, une nouvelle vague de démocratisation va toucher l’Europe, poursuit l’historien. La société va évoluer, de plus en plus, vers l’individualisme. L’accent principal, désormais, n’est plus mis sur la lutte pour l’égalité des droits pour un groupe de travailleurs ou travailleuses, par exemple, mais bien sur le fait que chacun(e) puisse se réaliser pleinement, quels que soient ses choix.» Rendre visible la diversité des ­ethnies, des genres et des orientations sexuelles devient ainsi de plus en plus important. «C’est un processus intéressant pour l’historien que je suis, car on voit qu’on est passé d’une situation où la classe et la nation comptaient avant tout à un environnement dans lequel l’ethnie et le genre sont devenus des questions prépondérantes», ajoute Denis Scuto. Le droit au mariage pour tous – consacré en 2014 – ou celui, pour les personnes intersexuées et transgenres, de modifier leur mention du sexe et leur prénom – en 2018 – participent à cette évolution.


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BRAND VOICE

Nicole Dochen, membre du comité exécutif à la Banque de Luxembourg et directrice des ressources humaines.

Diversité et inclusion

Le rôle de la diversité et de l’inclusion dans l’entreprise Contenu sponsorisé par BANQUE DE LUXEMBOURG

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dont, sans être exhaustive, le genre, les cultures, les qualifications, les relations intergéné­rationnelles, les confessions religieuses, les situations diverses de handicap… Pourquoi la diversité est-elle importante ? Car elle est une richesse, et comme toute richesse, elle mérite qu’on en prenne soin et qu’on la valorise. Mais avant tout, il faut en

Banque de Luxembourg

Tout d’abord, pourriez-­ vous nous rappeler en quoi consiste la diversité dans une entreprise ? Un des synonymes de la diversité est la variété. Toute entreprise est composée de femmes et d’hommes aux caractéristiques diverses et variées. L’entreprise n’est finalement que le reflet de notre société. Sous la thématique de la diversité sont couverts plusieurs aspects,

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La diversité et l’inclusion occupent une place de plus en plus prépondérante dans les organisations. Elles sont devenues de véritables enjeux pour les entreprises, mais également pour les collaborateurs. Explications avec Nicole Dochen, membre du comité exécutif à la Banque de Luxembourg et directrice des ressources humaines.


LES CHIFFRES-CLÉS être conscient et avoir une ouverture à la différence. La banque compte 1.000 salariés et notre effectif est composé de 22 nationalités ; autant de singularités que de personnes de valeur. En termes de genre, la proportion est de 55 % d’hommes pour 45 % de femmes. Cela dit, la sous-­ représentation des femmes aux instances décisionnelles est devenue un vrai sujet sur lequel nous travaillons et le comité exécutif en fait un axe de bonne gouvernance. Il a cette conviction que les idées et points de vue mixtes apportent de la valeur aux décisions. Pour y arriver, plusieurs initiatives ont été mises en place. Une offre de différents programmes de formation est proposée aux femmes afin de les accompagner dans le développement de leur leadership et les amener à prendre des postes à respon­ sabilités. Par ailleurs, nos processus RH ont été affinés afin d’attirer et de retenir les talents féminins. Nos managers sont sensibilisés à la thématique, ainsi qu’à l’égalité des chances de développement et d’évolution tant pour les femmes que pour les hommes. La collaboration inter­ générationnelle est également un atout pour les équipes. Il nous importe que de véritables alliances se créent. Jeunes et expérimentés s’enrichissent mutuellement, les uns apportent des connaissances nouvelles et fraîches, les autres apprécient transmettre leurs expériences multiples et leurs savoir-faire minutieux dans la façon

« Si la diversité est un fait, l’inclusion au sein de l’entreprise est un choix. »

d’exercer leur métier. Un programme spécifique est dédié aux jeunes ayant moins de trois ans d’ancien­ neté, leur permettant de se rencontrer, de partager et d’évoluer en stimulant la collaboration entre métiers. La diversité, c’est aussi le mélange de profils. La dynamique de mobilité interne est relancée en misant sur le fait que les compétences apportées soient capitalisées dans l’équipe d’accueil. Apprendre de l’autre pour encore mieux faire. Un nouveau dispositif de mobilité interne est en cours de réalisation sous un format collaboratif, avec une vingtaine de collègues d’horizons divers. Qu’entendez-vous par le terme « inclusion » ? L’inclusion, c’est un choix que fait l’entreprise d’adopter une attitude qui s’ouvre à la différence sans préjugés. Plus simplement, c’est reconnaître que l’on a en face de soi une personne qui a un genre, une culture, un âge, un tempérament différents, et qui pense différemment, mais que ce sont justement ces différences qui font la richesse d’une collaboration. Mais cette richesse, il faut la découvrir et en faire un atout et une chance pour le bien collectif de l’équipe. Comment, concrètement, les collaborateurs peuvent-ils prendre une part active à ces sujets ? À l’occasion de la Journée de la diversité, le 12 mai, des ateliers ont été organisés afin d’inclure les collabora­teurs dans les réflexions. Les échanges et les débats ont été libres et fructueux au sujet de la diversité au sens large. Ces ateliers collaboratifs ont permis de recueillir les ressentis spontanés et les suggestions qui contribueront à compléter nos actions et à co-construire de nouvelles initiatives. À titre d’exemple, offrir de manière concrète l’égalité d’accès à un équilibre vie privée

« En mettant davantage l’accent sur l’inclusion, nous faisons de nos différences une richesse. »

1.016

salariés au 1er mai 2022

55 %

d’hommes

45 %

et vie professionnelle tant aux hommes qu’aux femmes ouvre des perspectives intéressantes ! Pour finir, pourriez-vous nous dire quelques mots à propos des formations que vous offrez à ce sujet ? Tous nos managers sont invités à suivre une formation sur le leadership ouvert et inclusif, sur l’identification des biais inconscients qui peuvent entraver les choix dans la composition d’une équipe. Les managers jouent un rôle majeur pour amener plus de diversité et de mixité dans les équipes, sources d’une performance collective renforcée. La représentativité des genres doit en tout cas devenir une réalité à tous les niveaux de responsabilité et dans l’ensemble de nos équipes. La jeune génération qui prendra le relais et sur qui nous comptons ne l’entend pas autrement !

de femmes

22

nationalités

13

ans d’ancienneté moyenne

43

ans d’âge moyen

25 %

de temps partiel

s vez plu Retrou ions sur : rmat .com d’info bourg m e x lu de anque www.b

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Photos

09_credit

Dossier


Diversité

Célébrons chaque nuance 22 L’ABÉCÉDAIRE LGBTQIA+

28 CONSEILS Comment éviter les faux pas ?

Illustration

Marielle Voisin

30 INTERVIEW NANCY THOMAS & PRISCILIA TALBOT « Pouvoir accepter chaque personne telle qu’elle est »

La diversité et l’inclusion sont des thématiques aujourd’hui beaucoup mieux appréhendées par les organisations. Elles sont de plus en plus nombreuses à apprécier la richesse qui peut découler du mélange de toutes les formes de sensi­ bilité. Le Luxembourg, depuis plusieurs années, parvient à se distinguer par son ouverture à la différence autant que par son caractère cosmopolite. Le pays en a fait un élément-clé de son nation branding. Si l’on peut s’en féliciter, cela ne doit pas amoindrir les combats qu’il faut encore mener sur la voie de l’égalité entre les citoyen(ne)s, qui, dans leur grande diversité, sont des membres à part entière de la société. Car, au-delà des beaux principes affirmés, la législation peut encore être améliorée afin de consacrer une parfaite égalité des droits. Plus généralement, les stéréotypes et certains biais cognitifs peinent à s’effacer. La lutte contre les discriminations reste au cœur des préoccupations. Œuvrer pour une société plus inclusive, c’est l’affaire de tou(te)s. Nous pouvons tou(te)s y contribuer en commençant par faire preuve d’une plus grande ouverture, en étant sensibles à la différence. Plus que jamais, nous devons célébrer la beauté des couleurs, en permettant à toutes les nuances qui composent la société de s’exprimer. JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Dossier

L’abécédaire des LGBTQIA+ C’est toute une communauté riche en identités, en préférences, en attirances qui se rassemble aujourd’hui derrière l’acronyme LGBTQIA+. Avec les représentants de l’association Rosa Lëtzebuerg, nous avons souhaité prendre la mesure de toute cette diversité, lettre par lettre. Auteur S. L.

Si l’acronyme LGBTQIA+ débute par la lettre L, ce n’est pas pour rien. « Chacune des lettres est ajoutée selon son ordre d’adoption, explique Tom Hecker, président de l’association Rosa Lëtzebuerg. L’acronyme, dès lors, traduit une certaine évolution de la communauté. Elle vit, s’agrandit avec le temps, chaque catégorie gagnant à la fois en visibilité, en reconnaissance ainsi qu’en nuance. » C’est donc avec la lettre L que s’est ouvert le cycle. Elle symbolise les lesbiennes, concept qui traduit « une attirance sentimentale ou sexuelle entre personnes s’identifiant comme femmes ». La définition, simple, précise, exige toutefois de la nuance. Peuvent se ­réclamer lesbiennes des personnes qui ne sont pas nées « femmes », mais qui s’identifient comme telles. On doit l’origine du mot « lesbienne » à une poétesse de l’Antiquité répondant au nom de Sappho. Celle-ci est née sur une île grecque de la mer Égée, proche de la Turquie, baptisée Lesbos. « Cette femme littéraire, que l’on qualifierait aujourd’hui de bisexuelle, a notamment

LESBIENNES

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

produit de nombreux poèmes érotiques destinés aux femmes qui vivaient sur cette île », explique Tom Hecker. L’histoire aura gardé le nom de l’île pour aujourd’hui identifier une communauté de femmes et de personnes s’identifiant comme telles partageant une même attirance affective ou sexuelle. Au Luxembourg, la communauté est aussi incarnée par le mouvement Pink Ladies, qui ne représente pas uniquement les lesbiennes, mais qui a pour ambition de fédérer les « femmes cis et transgenres qui aiment les femmes et les femmes s’identifiant comme lesbiennes, bisexuelles, asexuelles, queer ou en questionnement ». Il s’agit d’un groupe transfrontalier et multiculturel, qui accueille des femmes de tous âges. L’un des combats importants portés par les femmes réside dans la reconnaissance des familles de couples homosexuels de la même façon que pour les couples hétérosexuels. À l’heure actuelle, en effet, une femme mariée avec une femme qui a un enfant doit passer par une procédure d’adoption afin que la seconde mère soit reconnue comme parent légal.

VIVRE CACHÉ(E) ?

65 %

Au Luxembourg, 65 % des étudiant(e)s de moins de 18 ans s’identifiant comme membre de la communauté LGB ou T l’ont « toujours » ou « souvent » caché ou dissimulé (moyenne UE : 67 %). Source FRA (2013). Enquête sur les personnes LGBT dans l’UE – Enquête sur les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres dans l’Union européenne – Les résultats en bref

75 %

Au Luxembourg, trois personnes sur quatre (75 %) ne divulguent pas du tout ou seulement de manière sélective à leur lieu de travail qu’elles sont LGB ou T (moyenne UE : 83 %) Source Étude LGBT de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2012

G


G

Communauté

Un gay est donc un homme (ou une personne s’identifiant comme homme) qui a une attirance amoureuse ou sexuelle pour un autre homme (ou une autre personne s’identifiant comme masculine). C’est là la définition précise du concept symbolisé par la lettre G. Pendant long­ temps, c’est le terme qui a été utilisé pour identifier toute la communauté homosexuelle. « Le premier site internet de notre association était en effet gay.lu, se remémore Tom Hecker. Et il s’adressait à l’ensemble de la communauté. » C’est dans les années 1970, aux États-Unis, que l’utilisation du terme, pour désigner les personnes homo­ sexuelles, se popularise. À l’époque, on voit se tenir les premières Gay Pride, invitant à l’acceptation de toutes les orientations affectives et sexuelles au sein de la société. « Nos premières manifestations, au Luxembourg, étaient le Gaymat, une appellation qui jouait avec la langue luxembourgeoise. Géi mat, en luxembourgeois, se traduit en effet par ‘viens avec nous’, explique Laurent Boquet, trésorier de Rosa ­Lëtzebuerg.

GAYS

« On parle de bisexualité pour désigner une personne qui est attirée, affectueusement ou sexuellement, par une personne du même sexe ou d’un autre sexe », explique Laurent Boquet. La nuance « d’un autre sexe » plutôt que « du sexe opposé » n’a rien d’anodin. « Parce qu’il y a bien plus de sexes que de genres », poursuit le trésorier. D’ailleurs, le terme « bi », faisant référence à une dualité, n’exprime pas parfaitement ce type de sexualité. « Pendant longtemps, en effet, la définition de la sexualité se limitait aux deux sexes considérés sous l’angle de la biologie. La manière de considérer l’identité sex­uel­le, au fil du temps, évolue, avec l’intégration de plus de nuances », poursuit Tom Hecker. L’affirmation de la bisexualité a été de nature à remettre en question les approches binaires sur lesquelles ont tendance à se fonder nos sociétés, et par extension certaines éducations. Avec elle, on n’est plus forcément soit

Photos

Nato et Matic Zorman

BISEXUEL(LE)S

En somme, une belle invitation, pour tous, pour une société plus inclusive. « Cela ne fait que trois ou quatre ans que nous avons rebaptisé l’événement Luxembourg Pride », explique-t-il. L’apparition du mot « gay », en lien avec la culture homo­ sexuelle, semble-t-il, est antérieure aux premières Gay Pride. Les fairies, dans les années 1920 aux États-Unis, y recouraient pour désigner les lieux où ces « personnes efféminées » pouvaient se retrouver. Pendant ­longtemps, d’ailleurs, on a eu recours aux appellations « bar gay » ou « boîte gay ». On peut encore préciser que le mot « gay » est une anglicisation de « gai », d’origine française, et qui sert à décrire une personne joyeuse, insouciante, heureuse.

«On parle de bisexualité pour désigner une personne qui est attirée, affectueusement ou sexuellement, par une personne du même sexe ou d’un autre sexe.» LAURENT BOQUET Trésorier Association Rosa Lëtzebuerg

BETTEL-DESTENAY, DES AMBASSADEURS L’un des plus grands ambassadeurs de la communauté LGBTQIA+ au Luxembourg est certainement son Premier ministre, Xavier Bettel, qui, dès 2008, a révélé son homosexualité au grand jour. Il assume ses préférences sexuelles et affectives, emmenant son mari dans les grands sommets européens, avec l’exemple qui a fait le tour du monde de cette photo avec les premières dames lors d’un sommet de l’Otan en 2017. En juin 2021, le Premier ministre déclarait, réagissant à la loi hongroise sur le genre, face à Viktor Orbán, devant le Conseil européen : « L’homosexualité, ce n’est pas un choix : tu nais comme cela. »

hétérosexuel(le), soit homosexuel(le). On ne doit plus désirer exclusivement un homme ou une femme. De ce fait, l’approche binaire en devient nulle. Cette fluidité de l’orientation sexuelle, portée par la bisexualité, pousse de cette manière la réflexion jusqu’à la fluidité du genre. La bisex­ ualité interroge, dès lors, à la fois l’homo­sex­ualité et l’hétérosexualité, démontrant que les frontières ne sont pas toujours marquées. Au concept de bisexualité, il fau­drait désormais préférer celui de pansexualité, qui permet de caracté­ riser les individus qui peuvent être attirés, sentimentalement ou sexuel­ lement, par un individu de n’importe quel sexe ou genre. En effet, les pansexuel(le)s sont, la plupart du temps, regroupés avec les bisexuel(le)s sous la lettre B et continuent à ce jour d’être représenté(e)s par des associations initialement dédiées à la condition bisexuelle.

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Dossier Communauté

Ne dites pas « transgenre » ou « trans­ sexuel(le) », mais « trans ». Chercher à définir chacune des lettres de l’acronyme LGBTQIA+, comme c’est le cas ici, implique de considérer diverses notions. Certains concepts, en effet, vont se fonder sur la sexualité, d’autres sur le genre ou encore sur l’identité. Le concept de transgenre, par exemple, s’axe essen­ tiellement sur les aspects biologiques qui nous caracté­ risent et, à ce titre, est très limitatif. « Nous partons du principe que chaque personne peut se définir par elle-même comme elle le souhaite, explique Tom Hecker. C’est ce qui explique la multiplication des éléments de l’acronyme avec le temps, un nombre croissant de personnes pouvant se reconnaître sous l’une ou l’autre étiquette. Même si l’on pourrait se contenter de parler d’amour entre individus, tout simplement, l’être humain adore s’identifier à une com­munauté, se définir suivant des catégories... » Si l’on en revient au T de « trans », Laurent Boquet évoque « une personne dont le sexe attribué à la naissance diffère de

QUEERS

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Q 37 %

Plus d’un(e) répondant(e) sur trois s’est senti(e) discriminé(e) lors de sa recherche d’emploi en raison d’être transgenre.

27 %

Plus d’un(e) répondant(e) sur quatre a déclaré avoir été victime de discrimination sur le lieu du travail.

l’artiste a grandi au Luxembourg, où la communauté queer n’est pas très impor­ tante ni très visible. « Pour celui/celle qui se sent différent(e), il n’y a pas grand-chose à quoi s’accrocher. Être queer au Luxembourg, c’est comme partout. Sur les principes affirmés, dans la législation, c’est accepté, ça passe. Dans la vraie vie, au cœur de la société, ça coince parfois », explique-t-il, décriant une certaine hypocrisie des marques et organisations à faire des concepts LGBTQIA+ des outils marketing. « Ces enjeux devraient pouvoir être abordés plus tôt dans le parcours scolaire, bien avant la puberté, dans une logique de représen­ tation de la diversité sociétale, et pas uniquement à l’approche de la Pride. » En tant qu’artiste, ayant l’attention d’une audience grandissante, se sent-il le devoir de représenter la communauté ? « Non, répond-il. Je m’affirme comme homme, homosexuel. Je ne suis qu’une nuance parmi une grande diversité de couleurs. Mais, si à travers ce que je suis, certain(e)s jeunes se sentant différent(e)s peuvent se raccrocher à moi, se sentir moins seul(e)s, alors cela fait partie de ma responsabilité d’artiste. »

«Ces enjeux devraient pouvoir être abordés plus tôt dans le parcours scolaire, bien avant la puberté.» CHAiLD Artiste

Martine Pinnel

Autour de la lettre Q, les avis sont divergents. Elle correspond à queer. « Si vous demandez à une personne en Belgique ce que recouvre le concept, sa réponse sera certainement différente de la nôtre, explique Laurent Boquet. Pour nous, ce terme rassemble toute la communauté gay. Une personne masculine homosexuelle, ne voulant pas être identifiée comme telle, aura volontiers recours à l’appellation queer. » Au Luxembourg, queer est donc un mot-valise. En Belgique, cela correspond plus « aux personnes trans ou fluides en genre, autrement dit des individus ne se revendiquant ni féminins ni masculins, ou pouvant se définir comme l’un ou l’autre, s’autorisant de changer dans le temps », explique Tom Hecker. Pour CHAiLD (prononcez « child »), artiste électro-pop luxembourgeois en pleine ascension, qui s’affirme comme étant queer, le terme rassemble « tout ce qui se distingue des standards hétéronormés ». « Au départ, le terme était utilisé comme une insulte, pour qualifier une forme de déviance. Petit à petit, la communauté se l’est réapproprié pour s’affirmer » explique-t-il. Âgé de 23 ans,

54 %

En Europe, selon le rapport Being Trans in the European Union, publié en 2014 par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, plus d’une personne transgenre sur deux s’est sentie victime de discrimination ou de harcèlement en raison d’avoir été perçue comme transgenre. Plus les répondant(e)s parlaient de manière ouverte d’être transgenre, plus la probabilité augmentait d’avoir été victime de discrimination.

son autoperception sexuée ou genrée ». La définition ne se limite pas aux personnes qui ont « changé de sexe », mais plus largement aux individus se percevant comme appartenant à un autre sexe que celui correspondant à ses organes génitaux. « D’ailleurs, depuis la loi de 2018, il n’est plus besoin de justifier d’une intervention médicale pour changer de sexe ou de prénom à l’état civil », ajoute Laurent Boquet. Le changement de sexe et de prénom peut s’effectuer directement à l’état civil par demande écrite et sur présentation de certaines pièces (casier judiciaire, acte de naissance, etc.). Désormais, plusieurs critères (non cumulatifs) sont définis, qui devraient permettre à la personne concernée de « prouver » que le sexe mentionné à l’état civil ne correspond pas à celui avec lequel elle s’identifie : le fait qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; le fait qu’elle soit connue de son entourage familial, amical, professionnel ou associatif sous le sexe revendiqué ; et le fait qu’elle ait obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué.

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TRANSGENRES

ÊTRE TRANSGENRE EN EUROPE


10�6 LUXEMBOURG INTERNATIONAL CHAMPIONS! 10 entrepreneurs, financiers, inventors, artists, film producers, of Luxembourg origin and who became famous internationally, will share the story of their adventure and their vision for more Luxembourg initiatives to be successful internationally.

Programme • Welcome cocktail (18:30) • Show (19:00) • Networking walking cocktail (20:15)

20.09

Mardi

Athénée Luxembourg

Inscription et informations : www.paperjam.lu/club


Dossier Communauté

Les personnes se déclarant asexuelles sont celles qui ne ressentent pas d’attirance particulière à l’égard d’une autre personne, quel que soit son sexe ou sa sexualité. « Ce qui ne veut pas dire que ces personnes pratiquent l’abstinence sexuelle, précise Laurent Boquet. Un(e) asexuel(le) peut avoir des relations sexuelles. Simplement, chez ces personnes, il n’y a pas d’attirance particulière, pas de manifestation particulière d’une envie d’avoir de telles relations. » L’indifférence des personnes à l’égard de la sexualité est souvent avérée et peut s’expliquer de différentes manières, tout comme elle peut, de manière tout aussi légitime, constituer une revendication identitaire. Comme les autres catégories évoquées dans cette rubrique, on trouvera des profils de personnes très différents qui, en raison de leurs choix, de leurs préférences, de leurs antécédents, s’identifieront comme asexuel(le)s. « Ce n’est pas parce que l’on se réclame asexuel(le), par ailleurs, qu’il n’y a

ASEXUEL(LE)S

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Au Luxembourg, une personne sur trois est d’avis que l’identité de genre peut être un critère de discrimination lorsqu’une entreprise cherche à embaucher quelqu’un(e) et qu’elle a le choix entre deux candidat(e)s de compétences égales et de qualifications égales. (17 % en 2012). Source Commission européenne (2015). La discrimination dans l’UE en 2015. Eurobaromètre 83.4. Résultats pour le Luxembourg.

« Ce n’est pas parce que l’on se réclame asexuel(le), par ailleurs, qu’il n’y a pas de relations affectives. » TOM HECKER Président Association Rosa Lëtzebuerg

pas de relations affectives, poursuit Tom Hecker. Derrière ce A de LGBTQIA+, on peut aussi retrouver les aromantiques qui, eux, ne nourrissent effectivement pas de sentiments affectifs à l’égard d’une autre personne. »

+

UNE DIVERSITÉ POUR L’ÉGALITÉ Derrière le + de l’acronyme LGBTQIA+ se trouvent de nombreuses autres catégories de personnes, affirmant personnellement une identité, une sexualité ou encore un genre. « Le +, ici, confère son caractère ­inclusif à l’acronyme. Celui-ci veut en effet englober l’ensemble de la communauté, dans sa grande diversité, explique Tom Hecker. Derrière ce +, on peut évidemment mettre toutes les catégories ou étiquettes qui ne sont pas explicitement mentionnées. » De cette manière, personne n’est oublié(e). « Mais, surtout, derrière ce +, il y a aussi toutes celles et tous ceux qui supportent et défendent les revendications de la communauté, nos allié(e)s, y compris de nombreux et nombreuses hétérosexuel(le)s. » Car, oui, nous sommes toutes et tous, avant tout, des humains, appartenant à une même société, qu’il convient de considérer d’égal à égal. Plusieurs associations De nombreux groupements, associations, mouvements et services fédèrent la communauté LGBTQIA+ au Luxembourg et militent pour la défense des droits de leurs membres. Au-delà de Rosa Lëtzebuerg, on peut citer le Centre LGBTIQ+ La Cigale, Pink Ladies et Pink Gents, ou encore Intersex & ­Transgender Luxembourg asbl (ITGL).

Matic Zorman

INTERSEXES

29 %

les discriminations à leur égard, et ainsi veiller à leur intégration au sein de la société. Plus particulièrement, les ONG intersexes demandent une interdiction pénale de toutes les formes de mutilations génitales intersexes, y compris celles pratiquées à l’étranger. Au Luxembourg, les personnes intersexes sont notamment représentées par Intersex & Transgender Luxembourg asbl, qui rappelait encore récemment la nécessité d’une loi permettant de protéger l’intégrité physique des enfants. « Une loi ne pourra jamais être remplacée par un plan d’action national, des formations ou des lignes directrices médicales, dont l’application est facultative et ne pose pas le cadre nécessaire à un consentement éclairé des familles et personnes concernées », expliquait l’asbl dans un communiqué diffusé l’an dernier. Depuis 2015, les politiques en faveur des personnes intersexes sont coordonnées par le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région. Ces mises en place s’inscrivent dans la tradition des poli­tiques en matière de non-discrimination et de diversité.

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Selon le site intersexe.lu, mis en place par le ministère de la Famille et de l’Intégration, les personnes intersexes « sont nées avec des caractéristiques biologiques qui ne correspondent pas à la norme sociale ou médicale des corps dits ‘masculins’ ou ‘féminins’ ». Ce concept, contrairement aux autres évoqués dans cet article, est le seul qui s’attache à des aspects purement biologiques ou anatomiques, et non à une préférence sexuelle ou affective ou à une affirmation de son identité. « Il s’agit de variations naturelles du corps. Ces variations peuvent concerner les caractéristiques chromosomiques, hormonales, anatomiques ou des organes reproducteurs », lit-on encore sur le site, qui introduit une campagne autour de ces enjeux. « L’intersexuation peut apparaître avant la naissance, à la naissance, à la puberté ou à l’âge adulte. Certaines per­son­nes ne se rendent pas compte de leur intersexuation au cours de leur vie. » L’un des enjeux, pour ces personnes dont le corps est souvent considéré comme différent de la norme, est de prévenir


SUSTAINABILITY

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Appel à candidatures : du 20 avril au 24 juin 2022 CAT ÉGO R I ES

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Planet

Prosperity

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Conseils

Comment éviter les faux pas ? Exemples concrets d’attitudes et de comportements à adopter ou à proscrire pour contribuer au vivre-ensemble, dans le respect de la diversité selon l’EFCL (Edmonton Federation of Community Leagues).

DO’s

DONT’s

Faire attention à la confidentialité, à la divulgation d’informations personnelles et à l’outing des personnes. Les personnes LGBT+ ont droit à ce que leur histoire, leur genre et leur sexualité soient considérés comme des informations privées. C’est à elles de choisir de les partager avec d’autres.

S’offusquer si une personne est agitée, bouleversée ou sensible pendant et après son coming out.

Faire l’effort de s’éduquer. De nos jours, il est courant de travailler avec une personne LGBT+, d’être en relation avec elle ou de la connaître. Il est donc important de prendre le temps de s’informer sur son identité et de bien la comprendre. Vous éviterez ainsi de blesser accidentellement une personne qui vous est chère, mais aussi de la faire se sentir plus à l’aise et en sécurité avec vous.

Respecter les pronoms et les noms choisis. L’une des choses les plus importantes que vous puissiez faire à l’égard des personnes trans est d’utiliser et de respecter les pronoms et le nom qu’elles vous disent d’utiliser. 28

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Parler des personnes LGBT+ dans votre vie comme si vous les collectionniez. C’est irrespectueux et dégradant. Supposer que toutes les personnes dans votre vie sont hétéros et/ou cisgenres. Les personnes LGBT+ sont nombreuses, et il y a de fortes chances que vous en connaissiez au moins une. Pour éviter de mettre cette personne dans une situation très inconfortable, évitez de supposer et d’agir comme si tout le monde que vous connaissez était hétéro et/ou cisgenre.

Jouer les entremetteurs. Les personnes LGBT+ n’ont pas besoin de votre aide dans leur vie personnelle, à moins qu’elles ne vous le demandent expressément. Supposer que la personne de votre entourage qui fait son coming out a subi un traumatisme qui l’a «rendue comme ça». Le fait d’être LGBT+ n’est pas dû à un traumatisme. Une personne ne devient pas gay en raison d’une agression sexuelle ni trans à cause d’un parent abusif. Ne présumez pas de cela à propos de quelqu’un, c’est incroyablement irrespectueux et cela conduit à des considérations négatives sur la communauté LGBT+.

09_credit Shutterstock

Aider son entreprise ou son groupe à s’ouvrir aux personnes LGBT+. Si vous faites partie d’une entreprise ou d’un groupe qui se dit inclusif, veillez à ce que cette déclaration soit factuelle et suivie d’effet.

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Contester les remarques et/ou les blagues homophobes et transphobes dans les espaces publics et privés.

Demander : « Êtes-vous l’homme ou la femme ? » L’idée qu’il doit y avoir un homme ou une femme dans une relation est réductrice et hétéronormative. De plus, elle perpétue les normes de genre sexistes et les transmet ensuite aux personnes LGBT+. Ne demandez pas cela aux personnes LGBT+ et faites des recherches pour savoir pourquoi c’est une mauvaise chose.


APÉRO TALK DÉMOCRATIE ET JUSTICE AVEC SAM TANSON Programme • Welcome cocktail (18 h 30) • Conversation avec Sam Tanson (19 h 00) • Networking walking cocktail (20 h 00)

Nathalie Reuter Directrice des développements éditoriaux, Maison Moderne

22.09

Jeudi

Sam Tanson Ministre de la Justice, ministre de la Culture

ECCL, Luxembourg-Kirchberg

Inscription et informations : www.paperjam.lu/club


Interview

« Pouvoir accepter chaque personne telle qu’elle est »

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DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

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Il y a dix ans, IMS Luxembourg – Inspiring More Sustainability lançait la Charte de la diversité, mettant le sujet sur la table et invitant les organisations à promouvoir la diversité au sein de leurs équipes. Sur une décennie, beaucoup de choses ont évolué positivement, comme l’évoquent Nancy Thomas, directrice d’IMS, et Priscilia Talbot, coordinatrice de la Charte de la diversité.

Matic Zorman

Une fois la charte signée, il est difficile pour les entreprises de ne pas prendre de mesures en faveur de la diversité.


Nancy Thomas et Priscilia Talbot

230

ORGANISATIONS SIGNATAIRES Depuis le lancement de la Charte de la diversité Lëtzebuerg, il y a dix ans, 230 organisations y ont adhéré. Le personnel, qui bénéficie des me­sures que les orga­ nisations signataires mettent en place pour favoriser la gestion de la diversité, représente plus de 21,5 % de la masse salariale. Le dernier baromètre de la diversité, présenté fin 2021, précise quel­ ques indicateurs intéres­ sants. Par exemple, 86 % des personnes en charge de la diversité dépendent directement de la direction. 85 % des signataires rédigent leurs offres d’emploi grâce à un référentiel de compétences. 64 % adaptent la com­ munication en fonction des différentes langues utilisées en interne. 86 % s’appuient sur la charte pour augmenter leurs connaissances théori­ques et sensi­bi­ liser leurs collaborateurs et collaboratrices. 73 % des signataires observent une amé­ lioration de leur image et de leur réputation grâce à leur politique de diversité.

Si l’on se replace dans le contexte d’il y a dix ans, comment étaient considérés les enjeux de diversité dans les organisations ? NANCY THOMAS (N. T.)   Le sujet n’était pas considéré, ou peu, au Luxembourg. Seules quelques organisations dépendant de groupes internationaux, le plus souvent anglosaxons, avaient déjà mis en place des approches de gestion de la diversité. En effet, ces sujets sont pris très au sérieux aux États-Unis et traités depuis très longtemps. En Europe, il y a dix ans, le sujet émergeait. Les questions de diversité, toutefois, étaient difficiles à appréhender, en raison peut-être d’un manque d’indicateurs, la législation interdisant de questionner le personnel sur ses convictions religieuses, son orientation sexuelle ou encore son origine ethnique. Le Luxembourg était alors le neuvième pays à mettre en place une Charte de la diversité. En quoi était-ce important de soutenir ce sujet ? N. T. Les organisations, au-delà des enjeux de lutte contre la discrimination, ont pris conscience qu’il y avait de la richesse dans la diversité, tant pour l’entreprise que pour son personnel. C’est le cas des premiers adhérents à la Charte de la diversité. Celle-ci s’apparente à un texte, signé par le CEO ou encore des membres du conseil d’administration, qui engage l’entreprise à prendre des mesures en faveur de la diversité. La volonté, à travers elle, est de mobiliser la direction autour d’une vision et de l’inviter à mettre en place un plan d’action concret. PRISCILIA TALBOT (P. T.)  Au Luxembourg, à travers son article 6, la Charte de la diversité a introduit cette notion d’engagement, qui n’est pas présente dans d’autres chartes en Europe. Cet article indique que, étant engagée, l’entreprise doit rendre compte de ce qu’elle fait, en partageant ses pratiques mises en place et en répondant, tous les deux ans, au questionnaire de notre baromètre de la diversité. Quel effet produit l’adhésion à la Charte de la diversité au niveau des organisations adhérentes ? N. T. C’est un levier pour la promotion de la diversité au cœur de l’organisation. L’entreprise y adhère de manière volontaire. Une fois l’engagement pris, elle s’expose vis-àvis de ses équipes, en interne, et du public. Il est difficile pour la direction, une fois la charte signée, de ne pas prendre de mesures en faveur de la diversité. La démarche permet d’aller au-delà des critères légaux de non-­discrimination, en prônant une approche positive de la diversité. L’une des originalités de notre charte est qu’elle prévoit un engagement des signataires à mobiliser leurs parties prenantes en faveur de plus de diversité. P. T. Les bonnes pratiques permettent d’initier une dynamique en faveur de la diversité. À partir de là, on peut établir des priorités et mettre en œuvre des chantiers et des procédures, qui viseront à promouvoir la diversité à l’échelle de l’organisation et de son écosystème. Comment pourrions-nous définir le concept de diversité ? P. T. Au Luxembourg, la législation définit sept critères de non-discrimination : la religion ou les convictions, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle, l’appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une race ou une ethnie, le genre et l’origine. Si l’on regarde la législation en France, les critères sont beaucoup plus nombreux. On en dénombre 25, parmi lesquels la situation familiale, l’opinion politique, le lieu de résidence… Le fait est que la

diversité n’est pas limitée à une série de critères explicitement définis et considérés chacun de manière indépendante. L’idée est de permettre à chaque personne de se présenter au travail en étant soi-même, sans crainte. N. T. C’est avant tout important pour la personne salariée, pour éviter un mal-être. Mais l’entreprise aussi est gagnante. Des études ont montré qu’un ou une salarié(e) qui, pour correspondre à une norme définie, cherche à dissimuler sa véritable nature est beaucoup moins performant(e). On parle d’une baisse de productivité de 30%. L’organisation qui crée une culture inclusive, qui permet à chacun(e) de venir sur son lieu de travail en étant soi-même, va se nourrir, s’enrichir de cette diversité. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, la nouvelle génération est particulièrement sensible à ces sujets. Si elle veut rester attractive, fidéliser ses talents, l’entreprise ne peut faire l’économie d’un engagement en faveur de plus de diversité. Dix ans après l’introduction de cette Charte de la diversité, qu’est-ce qui a changé ? N. T. Beaucoup de choses ont évolué. Il y a désormais une véritable prise de conscience. Tout le monde voit aujourd’hui de quoi on parle. De nombreuses thématiques, en lien avec la diversité, sont désormais portées par nos signataires. On a vu de plus en plus de femmes accéder à des fonctions de dirigeantes dans les entreprises. Des mouvements d’ampleur globale autour de plusieurs problématiques, aussi, ont soutenu une plus grande prise de conscience. On peut penser aux violences sexistes et sexuelles, avec #MeToo, au racisme, avec #BlackLivesMatter. Ces mouvements nourrissent les échanges avec nos membres, nous invitent à envisager les moyens de considérer les problèmes. De belles évolutions sont aussi constatées pour une meilleure intégration des diverses orientations sexuelles et identités de genre dans l’entreprise, et ce, même s’il a été assez difficile de convaincre les signataires de considérer le sujet. Si l’on regarde vers l’avenir, désormais, quels sont les enjeux à traiter ? N. T. Le travail se poursuit, parce que toutes les organisations n’ont pas forcément intégré ces enjeux. Toutes n’ont pas le même niveau de maturité vis-à-vis des questions de diversité, du respect de chacun, d’un meilleur vivre-ensemble. D’autre part, la société bouge, évolue. Les sujets qui prévalent ne sont pas forcément les mêmes qu’il y a quelques années. Au cœur de la pandémie, par exemple, nous avons proposé un guide de gestion de la diversité en temps de crise. Parce que, dans des moments comme ceuxlà, nous ne sommes pas égaux. Confinées, en télétravail, les personnes ne jouissent pas du même niveau de confort et d’équipement pour continuer à travailler. La situation d’une personne célibataire n’est pas la même que celle d’un couple ou d’une personne seule avec ses enfants. P. T. Il faut continuer à sensibiliser, à former sur des sujets, à discuter avec nos signataires. Au-delà, l’un des enjeux est de parvenir à ne plus traiter les problématiques de manière indépendante les unes des autres, mais d’avoir une approche plus globale de la diversité et de l’inclusion dans la durée. Il s’agit d’accepter chaque personne telle qu’elle est, tout en répondant aux diverses problématiques lorsqu’elles se présentent, à travers une politique cohérente de la gestion de la diversité. Interview S. L.

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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BRAND VOICE

1.

Contenu sponsorisé par AURA GROUPE

Le secteur de la petite enfance place l’humain au cœur de son activité. Que ce soit au sein des enfants ou des éducateurs, renforcer l’inclusion et l’interculturalité est un double objectif des structures d’accueil. Spécialisé dans l’accompagnement à la parentèle et le bien-être de l’enfant, le groupe Aura célèbre cette année ses dix ans. Tout commence en 2012 avec l’ouverture de la Crèche Les P’tits Bouchons à Foetz pour accueillir 40 enfants. « Depuis ce moment, nous avons mené une réflexion pédagogique sur la création d’un univers de la petite enfance. Notre volonté a toujours été de tenir compte de la société 32

dans laquelle les enfants d’aujourd’hui et de demain vont évoluer. Cette vision est appliquée en gardant les valeurs pédagogiques et morales qui nous tiennent à cœur», explique Héloïse Pierre, fondatrice du groupe. Ces valeurs sont l’authenticité dans les rapports humains, la bienveillance dans la communication et les actions auprès des collaborateurs et, par conséquent, des enfants, le respect, la conscience professionnelle,

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

commente Alison Pierre. Avant de rejoindre les équipes, ces derniers bénéficient en effet d’une période d’apprentissage. L’humain au cœur de l’activité Aura Groupe a placé l’humain au cœur de son ADN, ce qui se traduit par une politique inclusive globale. Héloïse et Alison Pierre sont attentives à la satisfaction des enfants, mais aussi du personnel et ont à cœur que les équipes se sentent bien pour que les petits soient épanouis.

« Le souhait d’Aura Groupe est de permettre à chacun de s’éveiller à sa propre lumière. » Alison Pierre Directrice administrative et financière

Eva Krins (Maison Moderne)

L’inclusion, source de diversité

la tolérance, l’ouverture d’esprit et la positivité. » Afin de développer cet univers, Alison rejoint sa sœur en tant que Directrice administrative et financière. Les jumelles ont entrepris la création de nouvelles structures. Des extensions ont, par exemple, été ajoutées à la crèche pour accueillir davantage d’enfants, dont des nourrissons, tandis qu’un foyer pour les enfants scolarisés y a également vu le jour. «Cette décision avait pour but de répondre à la demande des parents. L’évolution de cette structure nous permet aujourd’hui d’y accueillir 250 enfants de 2 mois à 12 ans.» Les deux sœurs ont continué sur leur lancée en concrétisant l’ouverture de crèches et foyers supplémentaires à Leudelange, Esch-sur-Alzette et, plus récemment, Schifflange. Plus que jamais, leur objectif est d’apporter un soutien à la parentalité et d’offrir une qualité de service et de pédagogie aux enfants, tous milieux confondus. ​Si l’activité principale du groupe reste la petite enfance, d’autres activités ont été mises en place. « Nous avons effectivement créé N’AIRGYM, un centre de psychomotricité pour les petits. Aur’Academy, notre centre de formation, a, quant à lui, vu le jour, afin de former nos collaborateurs »,

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Petite enfance


3.

« Aujourd’hui, les hommes représentent 37 % de nos effectifs, tous niveaux confondus. » Héloïse Pierre Fondatrice et dirigeante

1. Aura Groupe favorise la diversité aussi bien culturelle que des genres. C’est pourquoi il a choisi également d’engager des hommes pour intégrer son équipe. 2. Aura Groupe veille au bien-être des enfants, en leur permettant de s’épanouir. Déguisements, livres et jeux d’imitation, tout est proposé pour le plus grand bonheur des enfants. 3. Aura Groupe met à disposition un centre de psychomotricité encadré par des éducateurs spécialisés. 2.

«L’une des raisons pour lesquelles notre groupe s’appelle Aura est notre souhait de permettre à chacun de s’éveiller à sa propre lumière. Un éducateur doit se sentir à sa juste place», commente cette dernière. Favoriser la diversité La diversité faisant depuis toujours partie intégrante du projet pédagogique et d’entreprise d’Aura Groupe, les deux dirigeantes ont signé une Charte de la Diversité. Une première pour un réseau de crèches-foyers. Pour Héloïse Pierre, « cette pluralité concerne notamment les genres. Nous avons, par exemple, engagé des hommes dans nos structures, afin de bousculer la vision que certaines personnes ont de l’éducation. Aujourd’hui, ces derniers représentent 37 % de nos effectifs, tous niveaux confondus. » En raison du caractère multiculturel du Luxembourg, une attention particulière a également été portée au fait d’encourager l’interculturalité et les échanges entre les collaborateurs. « Cette démarche se traduit par des projets gravitant autour de notre groupe, comme notre nouveau concept store : un salon de coiffure multiculturel. Nous nous sommes en outre rapprochées de certaines associations (Caritas, la Croix-Rouge Luxembourgeoise, etc.), afin d’engager des réfugiés à qui on ne laisse pas forcément la chance

de travailler. Nous souhaitons leur tendre la main », ajoute Alison Pierre. Les deux dirigeantes mettent un point d’honneur à recruter des personnes motivées et compétentes, qu’elles se trouvent ou non en situation complexe: régularisation de papiers, chômage longue durée, manque de formations. Selon elles, les savoirs techniques peuvent s’acquérir en interne, au sein d’Aur’Academy. «Cette dernière accompagne le développement personnel et professionnel des collaborateurs grâce à des cours théoriques et pratiques. Ce centre de formation permet en effet aux personnes en réinsertion professionnelle d’obtenir le diplôme adéquat et devenir ainsi des éducateurs qualifiés», précise Héloïse Pierre. Outre le label de la Charte de la Diversité, le groupe a également reçu du ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes le label Actions positives, ainsi qu’une mention du MLQE

(Mouvement luxembourgeois pour la qualité et l’excellence). Un réseau toujours plus engagé Tournées vers l’avenir, les deux dirigeantes multiplient les projets avec l’objectif d’offrir, d’ici trois ans, 1.000 places dans leurs structures d’accueil. Engagées plus que jamais dans le soutien à la parentalité et la multiculturalité, elles entendent avoir du poids dans la société et faire bouger les lignes en ce qui concerne l’inclusion des enfants à besoins spécifiques.

, ir plus n savo ur : e r u o s P z-vous rende

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

e.lu

group

aurawww.

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Une récente étude sur le racisme et les discriminations ethno-raciales pointe du doigt les micro-agressions régulièrement ressenties par les minorités au Luxembourg. Un phénomène qui ne peut être endigué que par la sensibilisation de toutes les populations.

Ampleur et évolution du phénomène L’étude de 260 pages, intitulée Le Racisme et les discriminations ethno-raciales au ­Luxem­bourg, a été présentée début mars 2022.

Illustration

Le racisme au banc d’études

La question du racisme et des discriminations ethno-raciales est un sujet important au Luxembourg. Il suffit de se promener dans n’importe quelle rue d’une ville luxembourgeoise pour se rendre compte que le pays accueille de grandes communautés étrangères, dont des descendant(e)s de migrant(e)s des 19e et 20e siècles, des expatrié(e)s, des réfugié(e)s et celles et ceux qui, en visite au Luxembourg, ont décidé d’y rester. Comme l’attestent les derniers chiffres, 47,2% de la population est d’origine étrangère, et 170 nationalités sont à ce jour recensées dans le pays. Au cœur de cet univers hétéroclite et pluriculturel se pose inévitablement la question du vivre-ensemble et de la diversité. Sur ce point, le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, intitulé Being Black in the EU, a créé pas mal de remous lors de sa publication en 2019. On y découvrait un pays confronté à un véritable problème de racisme envers les personnes de couleur noire, au centre de cette étude. Michael O’Flaherty, le chef de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, avait fait le déplacement pour souligner une situation «franchement alarmante», où plus de 50% des répondant(e)s disaient avoir été victimes de ­harcèlement au cours des cinq dernières années en raison de leur origine ethnique. En réponse, la Chambre des députés a adopté, en juillet 2020, une motion invitant le gouvernement luxembourgeois à « faire élaborer une étude sur le phénomène du racisme au Luxembourg afin de développer une stratégie de lutte cohérente ». Le département de l’intégration du ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région a donc mandaté le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis) et le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser) pour participer à la conception d’une telle étude, la réaliser et en restituer les principaux résultats. Avec des recommandations d’orientation politique à la clé. Plus spécifiquement, le Liser a mené une enquête quantitative par questionnaire en ligne auprès d’un échantillon représentatif de la population résidente âgée de 18 ans et plus. L’enquête visait à mesurer les attitudes par rapport au racisme et à l’immigration, les stéréotypes, les perceptions des pratiques de discrimination et de racisation en tant que témoin ou en tant que victime dans la société, ainsi que l’opinion sur les politiques publiques. Le Cefis, quant à lui, s’est principalement occupé du volet qualitatif de cette étude, en donnant la parole aux structures en lien direct ou indirect avec le racisme et les discriminations, des expert(e)s et témoins.

Marielle Voisin

Discriminations ethno-raciales


Romain Gamba (archives) Photo

«Cette étude est un pas dans la bonne direction, mais maintenant, il faut travailler à des ­résultats concrets », résume Jana Degrott, conseillère communale à Steinsel, figure de l’activisme antiraciste et cofondatrice de We Belong Europe, plateforme dont l’objectif est de permettre aux personnes de couleur de partager et de réfléchir à leurs expériences, d’explorer leurs histoires et leurs identités, et de développer les récits de leurs propres vies, dans le but ultime de contribuer à une Europe plus inclusive et tolérante. « Moi, je suis Luxembourgeoise. Mon père est blanc, et j’ai la peau noire. Est-ce que cela suffit à me définir ? Non. Il faut lutter contre les stéréotypes, donner de la visibilité aux groupes minoritaires, notamment dans les espaces de pouvoir. Personnellement, je me suis lancée à 21 ans en politique. Lors d’une réunion, une personne est venue me demander si j’étais bien Luxembourgeoise… J’ai dû me justifier, vous imaginez ? » Dans son volet quantitatif, l’enquête révèle que 4,3% des résident(e)s établissent une hiérarchie entre les races et 15,2% estiment que des réactions racistes sont parfois justifiées. Les parts des résident(e)s souhaitant éviter un(e) voisin(e) ou un(e) supérieur(e) d’un type ethno-racial particulier s’élèvent respectivement à 11,1 % et 6,3 %. Ces résultats sont sensiblement plus faibles que ceux identifiés en France ou en Belgique à partir de questions identiques ou similaires. Néanmoins, si les affirmations purement racistes sont rares, la population luxembourgeoise perçoit les discri­ minations ethno-raciales comme un phénomène sociétal récurrent. Près de la moitié des résident(e)s âgé(e)s de 18 ans et plus déclarent que les discriminations fondées sur la couleur de peau (48,3 %), la méconnaissance de la langue luxembourgeoise (48,8 %), l’origine présumée (40,4%), les signes culturels distinctifs (47,6 %) sont plutôt ou très répandus au Luxembourg. Ce ressenti général est observé dans toutes les sous-populations, y compris chez les répondant(e)s né(e)s au Luxembourg. Aussi, une fraction des résident(e)s pense que l’immigration n’est pas bénéfique pour l’économie (10,9 %), ne rend pas la vie meilleure (16,7 %) et n’enrichit pas l’identité du pays (13%). Chez les personnes nées au Luxembourg, ces parts sont 1,5 fois plus élevées que la moyenne des résident(e)s. Une fraction plus élevée de la population pense qu’il y a trop d’immigré(e)s au Luxembourg (27,9%) ou que les Luxembourgeois(es) devraient être prioritaires sur le marché du logement en cas de pénurie (26%). Enfin, 67% de la population – et 82,4% des Luxembourgeois(es) – pensent que les immigré(e)s devraient apprendre à parler le luxembourgeois.

«Si l’on veut s’améliorer, la seule solution est d’aller à la rencontre des autres, de mieux les connaître, de savoir d’où les personnes viennent et qui elles sont… » JANA DEGROTT Cofondatrice We Belong Europe

mais il s’est transformé», relève Pierre Weiss. C’est un point très important. Le pays ne de­vient pas de plus en plus raciste du point de vue des personnes interrogées et des expert(e)s. Par contre, il est souvent pointé du doigt ce qu’on appelle aujourd’hui un phénomène de microagressions. « Nous ne sommes pas confrontés à un racisme idéologique, qui produit une violence d’extrême droite, constate le sociologue. Ce sont plutôt des choses de la vie quotidienne, le fruit d’interactions qui sont liées au fait que nous vivons dans une société très multiculturelle. Certains comportements et certains actes sont perçus comme des micro-agressions par les minorités. L’agresseur ne le fait d’ailleurs pas toujours de manière volontaire. Mais, au final, quelle que soit l’intention de départ, la blessure peut être importante.» En moyenne, environ 15% des résident(e)s se déclarent souvent ou très souvent victimes de discriminations ethno-raciales. Ces pourcentages sont faibles chez les Luxembourgeois(es), et varient entre 25 et 40 % chez les Portugais(es), les musulman(e)s et les p ­ ersonnes de couleur noire. Selon les groupes, la discrimination prend la forme d’injustices ou de paroles et gestes déplacés. Elle ­s’exprime lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement, et sur le lieu de travail, notamment pour 25 à 33% des Portugais(es) et pour 35 à 40% des personnes de couleur noire. Ces pourcentages restent supérieurs à 20% dans l’enseignement, sur les réseaux sociaux, et lors d’un contrôle de police. «Moi-même, j’ai vécu des expériences très désagréables. Un jour, un groupe d’hommes, visiblement sous l’influence de l’alcool, m’a interpellée. Ils m’ont dit : “Retourne dans ton pays !” Ils ont commencé à taper sur des poubelles. Résultat ? Je suis rentrée chez moi, et je n’ai rien dit à personne…, témoigne Jana Degrott. Il n’y a aucune porte où aller frapper… » Selon les chiffres de l’étude, environ deux Le phénomène des micro-agressions tiers des «victimes» présumées affirment ne « Personnellement, je retiens de cette étude que pas déclarer les faits. Et 29,7% des résident(e)s, le racisme n’a pas nécessairement augmenté, y compris les Luxembourgeois(es), craignent

que des incidents à caractère ethno-racial puissent se produire. Ce pourcentage s’élève à 38,4 % chez les personnes de couleur noire. « Il ressort de l’étude que les micro-agressions constatées au quotidien ne sont pas reportées. Pourquoi? Dans la plupart des cas, les victimes les jugent comme pas suffisamment graves, et parce qu’il faut apporter la preuve et avoir la possibilité de l’apporter», constate Pierre Weiss. La force des stéréotypes Ces micro-agressions sont souvent le fait de préjugés et de stéréotypes solidement ancrés dans l’inconscient de la population. «J’appelle cela de la discrimination négative en écho à la discrimination positive. Il s’agit d’une origine qu’on n’a pas choisie, mais que les autres nous renvoient régulièrement comme un stigmate alors qu’on ne le veut pas nécessairement, et même que, quelques fois, on refuse cet héritage, explique Pierre Weiss. Mais on assigne cette étiquette à la tête d’une personne et, ensuite, ça la suit dans son parcours. Ce phénomène est finalement perçu comme quelque chose d’injuste. D’accord, mes grands-parents se sont installés au Luxembourg. Oui, j’ai été à l’école au Luxembourg. J’ai appris toutes les langues comme on me l’a demandé et, quand j’arrive dans la vie adulte, je suis encore le Portugais, le Français ou l’Arabe de service. Très clairement, la personne dans cette situation estime que le retour n’est pas juste par rapport à l’investissement qu’elle a consenti pour répondre aux critères d’intégration affichés. Il faut pouvoir l’entendre.» Les trois domaines les plus impactés sont le logement, le travail et l’école. Ce sont évidemment les domaines où l’intégration des personnes est ce qui importe le plus. C’est là aussi que se joue la place de chacun(e) dans la société. «Ce n’est pas qu’une question ethno-­raciale. C’est aussi une question socioéco­nomique, analyse Jacques Brosius, directeur du département de l’intégration au sein du mi­nistère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région. Nous avons demandé au Liser d ­ ’approfondir ce point JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

35


Discriminations ethno-raciales

au cours des deux prochaines années… Dans le même temps, le Cefis va interroger les victimes, afin de déterminer plus précisément leur vécu et quel est leur point de vue sur la prise en charge.» Cette étude n’est qu’une première étape dans un processus d’amélioration continue qui doit conduire le Luxembourg à de meilleurs résultats en matière de diversité et d’inclusion. La question de la prise en charge des victimes du racisme est centrale. Comment mettre en place un système efficace d’aide aux victimes et prévoir l’assistance judiciaire nécessaire? «Il est souvent difficile, voire impossible d’apporter la preuve d’une micro-agression, sans compter les systèmes de dépendance qui sont en place, à commencer sur le lieu de travail, relève Pierre Weiss. Je pense qu’il faut être capable d’entendre la parole minoritaire sans automatiquement tomber dans la paranoïa. Bien sûr, il arrive qu’on mette en avant des stigmates pour atteindre un objectif. Mais nous devrions toujours être en mesure d’entendre cette parole minoritaire. Formellement, nous sommes égaux par rapport à la loi, mais dans la réalité, on ne part pas tou(te)s sur le même pied d’égalité. C’est pour cela qu’il faut être sensible à la question minoritaire. » Place aux actions concrètes Le dernier rapport annuel du Centre pour l’égalité de traitement (CET) relève que l’origine ethnique est passée, en 2021, à la première place des motifs de discrimination indiqués par les requérants. Un changement législatif et d’autres revendications de longue date du CET, comme le droit d’accompagner des plaignant(e)s en justice, sont actuellement en cours d’élaboration par la Chambre des députés. «Cela n’est pas suffisant. Aujourd’hui, le CET n’est pas un endroit accueillant où l’on a envie de se rendre pour se confier, constate Jana Degrott. Le point le plus important derrière tout cela est le fait de pouvoir se sentir écouté(e). Une micro-agression, c’est comme une piqûre de moustique. Quand il te pique une fois, tout va bien. Mais s’il te pique en continu, cela gratte durant plusieurs semaines. Cela fait plus de dix ans que je m’engage en tant qu’activiste pour faire bouger les lignes. Je suis Luxembourgeoise, et je parle au nom du Luxembourg devant des milliers de personnes à l’étranger. Pourquoi, dans ma commune ou ailleurs au Luxembourg, ai-je encore cette impression de ne pas être à ma place quand je prends la parole?», raconte celle qui a récemment été nommée conseillère de l’Apolitical Foundation et a été sélectionnée pour rejoindre la toute nouvelle cohorte de la Fondation Obama en tant que leader, action qui vise à connecter les jeunes leaders émergent(e)s en Europe et dans le monde. Maintenant que le Luxembourg dispose de nouvelles données concernant le phénomène du racisme et des discriminations ethno-­ raciales, le moment est venu d’agir. « Concrèt­ement, une des premières recom36

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

QUELQUES CHIFFRES DE L’ÉTUDE Si les affirmations purement racistes sont rares, la population luxembourgeoise perçoit les discriminations ethno-raciales comme un phénomène sociétal récurrent.

48,3 %

Près de la moitié des résident(e)s âgé(e)s de 18 ans et plus déclarent que les discriminations fondées sur la couleur de peau.

48,8 %

Des résident(e)s âgé(e)s de 18 ans et plus déclarent que la méconnaissance de la langue luxembourgeoise.

40,4 %

Des résident(e)s âgé(e)s de 18 ans et plus déclarent que les discriminations liées à l’origine présumée sont plutôt ou très répandues.

mandations touche à la sensibilisation, note Jacques Brosius. De nombreuses initiatives existent déjà sur le terrain. Nous avons lancé un état des lieux des formations interculturelles disponibles dans le pays, en collaboration avec IMS Luxembourg. Sur cette base, nous pourrons harmoniser, fédérer les actrices et acteurs, évaluer si toutes les populations cibles sont atteintes. » Un cycle de conférences destiné à présenter l’étude au grand public, tout comme des échanges sectoriels, est également en préparation. «On est bien conscient qu’une seule mesure ne peut pas résoudre toutes les questions en lien avec le racisme. Nous allons les multiplier, ajoute Pierre Weiss. Au final, tout le monde est concerné. On en vient à l’importance des soft skills dont on parle tant en ressources humaines. Il est primordial que chacun(e) d’entre nous développe de nouvelles compétences et soit conscient(e) de l’impact que peuvent avoir les mots qu’il/elle prononce.» Un appel à projets vient aussi d’être lancé dans le cadre du fonds européen Asile, migrations et intégration (AMIF), l’idée étant de développer une grande campagne afin de sensibiliser le grand public sur les questions du racisme et les stéréotypes qui y sont associés. « À mes yeux, nous devons mobiliser tou(te)s les actrices et acteurs de terrain pour promouvoir davantage d’inclusion et de diversité, parce que l’un ne va pas sans l’autre, complète Jana Degrott. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de diversité à la Chambre des députés et dans nos communes? Pourquoi les groupes minoritaires ont-ils moins de visibilité ? Il faut comprendre qu’être une personne de couleur n’est pas un job, mais je me rends compte aussi qu’il est important de s’engager pour donner l’exemple à d’autres. Des personnes, comme Michele Obama ou la députée européenne Samira Rafaela, sont des personnes à qui je peux moi-même m’identifier et dont je peux m’inspirer. Par ailleurs, je pense qu’il faut inclure davantage les citoyen(ne)s dans les processus décisionnels au niveau local, en veillant à la diversité des participant(e)s. Si l’on veut s’améliorer, la seule solution est d’aller à la rencontre des autres, de mieux les connaître, de savoir d’où les personnes viennent et qui elles sont… »

47,7 %

Des résident(e)s âgé(e)s de 18 ans et plus déclarent que les signes culturels distinctifs sont plutôt ou très répandus au Luxembourg.

Auteur M. P.


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Mardi

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Parité

Diversité chez les dirigeants : où en est-on ? La diversité en entreprise, cela concerne aussi les dirigeants eux-mêmes. Si des progrès réels ont été réalisés à ce niveau au cours des dernières années, un travail important reste à mener.

Montrer l’exemple Loin d’être perçu comme une contrainte, le renforcement de la diversité au niveau des directions des entreprises est surtout une véritable richesse. « Avoir une équipe moins homogène, où les points de vue sont variés, permet de ne pas s’enfermer dans un seul mode de pensée et, donc, de mieux aborder les problèmes, de définir des stratégies qui sont plus en phase avec la réalité », estime Enrique Sacau. Surtout, rendre la diversité visible au sein des équipes dirigeantes permet aussi d’envoyer un message à la génération suivante. « Les enfants, les jeunes, pensent que ce qu’ils voient autour d’eux est la norme. Il faut donc éduquer de façon subliminale, en montrant l’exemple. Si l’on est une petite fille et 38

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

ENRIQUE SACAU, CEO DU GROUPE KNEIP Le CEO du groupe Kneip, s’exprime sur la diversité dans les entreprises, et comment, pour arriver à une sorte de quota, certaines personnes sont placées à des postes élevés par défaut.

« Il faut quand même rappeler que tout le monde est très à l’aise avec le fait d’avoir un nombre considérable d’hommes incompétents qui occupent ces fonctions. On devrait être aussi à l’aise avec le fait d’avoir des femmes incompétentes à ces postes de direction… Cela dit, cela n’arrive jamais, car elles doivent souvent prouver qu’elles sont bien plus talentueuses que les hommes pour obtenir les mêmes responsabilités qu’eux. »

que l’on voit que tous les pilotes d’avion sont des hommes, on aura tendance à se dire que ce métier n’est pas fait pour soi. Si l’on est un petit garçon et que l’on voit que tous les Premiers ministres sont hétérosexuels, on pensera qu’il faut avoir cette orientation sexuelle pour occuper ce poste. Le fait que l’on ait un Premier ministre gay au Luxembourg est, à cet égard, un très bon signal », ajoute le CEO du groupe Kneip. La question des compétences Si la représentation des minorités dans l’espace public et au sein des sociétés s’est améliorée, quelques voix discordantes s’expriment encore parfois quand il s’agit d’attribuer un poste à responsabilité à une autre personne qu’un homme blanc hétérosexuel. L’un des arguments les plus souvent évoqués est le fait que l’on pourrait en arriver à accorder des postes de direction à des personnes moins compétentes, simplement parce qu’elles sont issues de la diversité. Pour Enrique Sacau, cela n’a pourtant rien de réaliste. « Il n’arrive jamais, quand il s’agit de choisir un profil de haut niveau, que l’on soit forcé de choisir le mauvais candidat simplement pour une question de genre, d’orientation sexuelle ou d’origine ethnique, explique-t-il. Et même si c’était le cas, il faut quand même rappeler que tout le monde est très à l’aise avec le fait d’avoir un nombre considérable d’hommes incompétents qui occupent ces fonctions. On devrait être aussi à l’aise avec le fait d’avoir des femmes incompétentes à ces postes… Cela dit, ça n’arrive jamais, car elles doivent souvent prouver qu’elles sont bien plus talentueuses que les hommes pour obtenir les mêmes responsabilités qu’eux. » Malgré les progrès de ces dernières années, le CEO du groupe Kneip invite donc à la prudence. « On peut rapidement revenir en arrière sur ce que l’on croyait acquis. Il faut donc continuer à enfoncer le clou, agir délibérément pour plus de diversité et continuer à expliquer pourquoi on le fait. C’est la seule façon d’avancer sur ce sujet », conclut Enrique Sacau. Auteur Q. D.

Photos Mike Photo 09_credit Zenari (archives)

Au Luxembourg, peu de statistiques sont disponibles concernant la diversité au sein des équipes dirigeantes des entreprises. Les seules données publiées régulièrement à ce sujet concernent la parité hommes-femmes. Et celle-ci, bien qu’en progrès, est toujours loin d’atteindre l’équilibre parfait. Selon les chiffres de l’Observatoire de l’égalité, 26,3 % des postes de direction au Luxembourg étaient occupés par des femmes en 2020. C’était par ailleurs le cas de 28,2 % des postes de cadres supérieurs et intermédiaires. Ces quelques éléments en disent long sur le travail qu’il reste à mener en matière de diversité au niveau des équipes dirigeantes des entreprises, ne serait-ce qu’en matière de genre. La visibilité des minorités sexuelles ou des origines ethniques, par exemple, devrait sans doute également être améliorée. « Il n’y a pas de règle à respecter par rapport à la diversité des cadres en entreprise, explique Enrique Sacau, CEO du groupe Kneip. Il incombe donc à chaque société de veiller elle-même à une bonne représentation des femmes, mais aussi des différentes minorités. Chez Kneip, nous avons multiplié les initiatives à ce sujet au cours des dernières années, notamment en veillant à avoir une répartition 50-50 entre les femmes et les hommes au sein de l’équipe dirigeante, mais aussi en soutenant diverses initiatives, comme la Luxembourg Pride, un événement qui me tient à cœur, étant moi-même gay. »


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Mercredi

Henri Kox Ministre du Logement Antoine Paccoud Chercheur en géographie sociale, Liser

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Vie professionnelle

Agissons contre les discriminations en entreprise ! Face aux situations de discrimination ou de harcèlement, que prévoit le cadre légal ? Les mesures prévues sont-elles suffisamment adaptées et efficientes ? Comment peuvent agir les victimes pour faire valoir leurs droits ?

Name and shame «Autour de ces enjeux relatifs à la discrimi­nation, au harcèlement moral ou encore sexuel, dans la société comme plus spécifiquement dans un contexte professionnel, il existe un cadre légal résultant principalement de directives et accords sociaux européens transposés au niveau des législations nationales, explique Guy ­Castegnaro, avocat spécialisé dans le droit du travail. Les mécanismes en place, visant à lutter contre toute forme de discrimination et garantissant l’égalité de traitement, s’avèrent le plus souvent peu efficients. » Si le cadre juridique permet effectivement de faire valoir des droits devant un juge, c’est bien souvent trop tard. La ­victime qui se défend devant la Cour a le plus souvent fait l’objet d’un licenciement et se trouve dans une situation où elle essaie de faire valoir ses droits, en démontrant une situation de harcè­ lement ou le caractère abusif de son éviction. Le mieux, sans aucun doute, aurait été de ­pouvoir remédier à la situation au plus proche des faits, pour faire cesser toute forme de ­discrimination ou de harcèlement et permettre à la victime de se maintenir la plus épanouie possible dans l’entreprise.

RÉPARTITION DES QUALIFICATIONS DE CAS DE DISCRIMINATION Dossiers introduits au niveau du Centre pour l’égalité de traitement, pour un total de 245 dossiers. Source

Rapport d’activité du CET 2021

Orientation sexuelle

9

Religion

9

Âge

10

Discrimination multiple

16

Sexe

43

Handicap

48

Autres

50

Origine ethnique

40

60

DIVERSITY & INCLUSION JUIN 2022

Ce printemps, un compte Instagram a com­ mencé à faire parler de lui au Luxembourg. « Balance ton employeur » (@balancetastart­ upluxembourg) se présente comme un «compte dédié à la libération de la parole des salariés du Luxembourg », recueillant, vérifiant et ­diffusant anonymement des témoignages évoquant du harcèlement ou de la discrimi­ nation au sein d’organisations locales. Cette pratique du name and shame, qui ­s’inscrit dans la continuité de #balancetonporc, se répand largement en Europe, soulevant de nombreuses questions et suscitant un débat. La pratique, s’il s’agit effectivement de ­libérer la parole, laisse supposer que les mécanismes en place, au niveau de la législation et plus spécifiquement du droit du travail, ne ­fonctionnent pas.

Balancer ne règle rien « Considérant la faiblesse des mécanismes en place aujourd’hui, les personnes ciblées pensent que ‘balancer’ celles ou ceux dont elles sont les victimes ou les pratiques douteuses qu’elles constatent dans l’entreprise constitue le seul moyen d’espérer faire bouger les choses », pour­ suit Guy Castegnaro. Or, en réalité, rien ne prouve que cela règle les choses. Les per­ sonnes à l’origine des témoignages, si l’on parvient à remonter jusqu’à eux/elles, s’ex­ posent à des risques supplémentaires, comme des poursuites pour injures et diffamations, une rupture de l’obligation de confiden­tialité de l’employé(e). L’employeur pourrait aussi intenter une action en justice de demande de dommages et intérêts liés à d’éventuelles rup­ tures ou pertes de contrats clients suite à


MSS Photo

la dégradation de l’image de l’entreprise ou discrimination, il s’agit plutôt de situations à des difficultés pour recruter. « Finalement, relevant de l’égalité de traitement entre femmes la dénonciation publique, au-delà d’une et hommes. » ­satisfaction à court terme, dans un esprit de La loi ouvre aussi la possibilité de mettre ­vengeance, ne règle rien à long terme», conclut en place des mesures et actions de discrimiGuy ­Castegnaro. nation positive. Il s’agit d’avantages accordés à des salarié(e)s d’une catégorie pour les mettre Que prévoit la loi ? sur un pied d’égalité avec les autres et lutter C’est donc par d’autres moyens que la dénon- ainsi contre une inégalité de fait. Le but de ciation qu’il faut travailler sur la probléma- ces mesures est de réaliser une égalité des tique. Aujourd’hui, que prévoit la loi? Quelles chances entre salarié(e)s par compensation. sont les obligations de l’employeur ? Et quels Le cas type de la discrimination positive est sont les moyens dont disposent les victimes la mise en place de quotas (pour femmes, p ­ ersonnes pour remédier (ou tenter de remédier) à une âgées, personnes d’ethnie différente, etc.) au situation problématique avant de recourir à niveau de l’embauche, de l’accès à la formala justice ? tion, de la promotion, etc. Ces mesures doivent, Si l’on parle de discrimination, le Code par nature, être temporaires. pénal interdit toute forme de discrimination dont les motifs sont l’origine, le sexe, la cou- De la discrimination au harcèlement leur de peau, l’orientation sexuelle, la situa- Au sein de l’entreprise, comme partout ailleurs, tion familiale, l’âge, l’état de santé, le nul n’est censé ignorer la loi. L’employeur et handicap, les opinions morales, politiques toutes les personnes dans l’entreprise investies ou philosophiques, l’appartenance à un syn- d’un pouvoir décisionnaire doivent donc veiller dicat réelle ou supposée, l’appartenance à un à respecter les règles de non-discrimination. groupe ethnique, une race ou une région par- «C’est à eux/elles, en premier lieu, de s’assurer ticulière et la non-appartenance à un groupe d’une égalité de traitement entre les personnes à ou une communauté. « Le Code du travail, travers les décisions prises», poursuit le reprépour sa part, interdit toute discrimination sentant syndical. Au sein de l’entreprise, d’autres directe ou indirecte fondée sur la religion ou problèmes peuvent se poser, et ce, même entre les convictions, le handicap, l’âge, l’orientation personnes n’ayant pas entre elles de liens de sexuelle, ou l’appartenance ou non à une ­ethnie subordination. Entre collègues, on ne parlera ou à une race réelle ou supposée. La discrimi- alors pas de discrimination, mais de cas de nation directe et indirecte fondée sur le sexe ­harcèlement discriminatoire. «Certains cas de est interdite, explique Christophe Knebeler, harcèlement constatés peuvent constituer une secrétaire général adjoint du LCGB. Le forme de discrimination. Ils ont pour origine une ­harcèlement et le harcèlement sexuel sont consi- différence de couleur, de conviction ou de croyance, dérés comme des formes de discrimination de sexe, précise Guy Castegnaro. Cependant, il fondées sur le sexe et sont donc interdits. Les peut y avoir également harcèlement sans discridispositions relatives à la protection de la gros- mination. Un cas de discrimination, qui relève sesse et de la maternité ne constituent pas une des différences de traitement dans les décisions prises ou les politiques mises en place, est facile à établir. Pour parler de harcèlement moral, il faut qu’il y ait répétition.» Un comportement déplacé, une parole qui dépasse la pensée, à la suite par exemple d’un « Le premier défi est de excès de colère ou de stress, ne relève pas du pouvoir évoquer tout harcèlement s’il est isolé et, évidemment, conteproblème au sein de nu. Pour qu’il y ait harcèlement discriminatoire, il faut attester d’une volonté de nuire. Jusqu’à l’entreprise, pour présent, la victime d’un tel harcè­lement bénéintervenir avant que ficie du régime de la charge de la preuve allégée. Le législateur considère que l’on n’a pas besoin la situation ne de preuve parfaite pour prendre en compte dérape ou pour le litige. L’employé(e) doit établir des faits qui font présumer qu’il y a eu ou qu’il y a corriger des discrimination. La simple présomption situations suffit à faire en sorte que l’employeur doive ensuite démontrer qu’il n’y a pas discriconstatées.» mination. «Mais, malgré tout, cela reste un défi pour les victimes, car elles doivent CHRISTOPHE KNEBELER rassembler des éléments concrets et recueilSecrétaire général adjoint dans le droit du travail lir des témoignages, souvent dans un contexte LCGB où les personnes peuvent craindre des représailles, avoir peur du licenciement», explique

5 NORMES POUR LUTTER CONTRE LA DISCRIMINATION LGBT+ EN ENTREPRISE Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a publié des normes de conduite à l’attention des entreprises. 1 Toutes les entreprises ont la res­ ponsabilité de respecter les droits de la personne – y compris les droits des LGBT+ – dans leurs activités et relations commerciales. Dans les cas où leurs décisions ou activités auraient une incidence négative sur l’exercice des droits de la personne, il est nécessaire de prendre des mesures pour y remédier. 2 Les employé(e)s et les autres personnes avec lesquelles l’entreprise travaille ont le droit de ne pas subir de discrimination. Les entreprises devraient y veiller en ce qui concerne les recrute­ ments, l’emploi, les conditions de travail, les prestations, le respect de la vie privée ou le traitement des cas de harcèlement. 3 Dans l’entreprise, les LGBT+ sont nombreux et nombreuses à se heurter à d’énormes obstacles pour être accepté(e)s et inclus(es) au travail. Les entreprises doivent instaurer un climat positif qui permette de travailler dans la dignité sans être stigmatisé(e)s. 4 Veiller à ne pas faire preuve de discrimination à l’égard des fournisseurs, distributeurs ou des client(e)s LGBT+ pour ce qui est des conditions d’accès aux produits ou services que les entreprises offrent. Lorsqu’un partenaire commercial fait preuve de discrimination, elles doivent user de leur influence pour empêcher cet acte de discrimination. 5 Les entreprises sont encoura­ gées à user de leur influence pour faire cesser les violations des droits fondamentaux, notamment des LGBT+. Elles peuvent mener des activités de sensibilisation, prendre des initiatives collectives, prendre part au dialogue social ou apporter une aide financière ou une assistance en nature.

JUIN 2022 DIVERSITY & INCLUSION

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Vie professionnelle

Guy Castegnaro. Ce contexte de peur, dans la plupart des cas, rend le règlement des conflits et des ­problèmes délicat.

LA DISCRIMINATION RÉPANDUE SUR LE LIEU DE TRAVAIL

25,9 %

Plutôt répandue (oui)

Le premier levier : informer 34,6% des résidents 29,9 % Quels sont, dès lors, les moyens à la disposi­ pensent que la discri­ Plutôt peu répandue (non) tion des victimes, en dehors du recours à la mi­nation s’exprime justice, pour mettre un terme à une situation de manière répandue de discrimination ou de harcèlement ? sur le lieu de travail. Aujourd’hui, 8,7 % « Le ­premier moyen d’action est d’informer au Luxembourg, diriez-vous Source Rapport d’étude sur le racisme et les discrimiTrès répandue que la discrimination ­l’employeur d’une situation problématique, assure nations ethno-raciales au (oui) s’exprime sur le lieu Luxembourg (ministère Christophe Knebeler. Aujourd’hui, les diride travail de manière de la Famille, de l’Intégration répandue, rare, ou geants d’entreprise prennent ces sujets très au et à la Grande Région, qu’elle n’existe pas ? Cefis et Liser) sérieux. Dans beaucoup de cas, l’employeur n’est pas forcément au courant de cas de d ­ iscrimination dont sont victimes les collaborateurs et collaboratrices. Étant informé, dans la mesure où la 8,5 % 22,7 % loi est formelle, il est obligé d’agir, d’analyser la Pas du tout Je ne me répandue plainte avec sérieux. Et s’il arrive à la concluprononce pas (non) sion qu’il y a discrimination, il lui incombe de redresser la situation en accordant au/à la plai4,4 % gnant(e) les avantages dont il/elle a été privé(e).» N’existe pas (non) Il n’est toutefois pas toujours évident, dans le chef de l’employé(e), de trouver l’interlocu­ teur ou l’interlocutrice à qui l’on peut se confier. Le/la salarié(e) a également la possibilité de et la formation des salarié(e)s et dirigeant(e)s des partenaires sociaux, l’initiative se heurte s’adresser aux délégué(e)s du personnel qui, sur la politique de prévention et de protection à certains bémols. La Chambre des salariés, avec l’appui du service juridique du syndicat si contre le harcèlement au travail, l’identifica­ par exemple, trouve la nouvelle définition du cela s’avère nécessaire, pourront servir tion d’un(e) interlocuteur ou interlocutrice harcèlement, prévue dans le projet de loi, « à ­d’assistant(e)s ou d’intermédiaires dans les dis­ compétent(e) en matière de prévention et de la fois longue et imprécise », affirme qu’elle cussions avec l’employeur. «Il est aujourd’hui protection contre le harcèlement au travail, « pêche par manque de rigueur » et qu’elle « ne préférable de trouver des solutions, au sein même la définition des moyens et procédures mis à permet pas de mettre facilement en évidence de l’entreprise, plutôt que de recourir à la j­ustice, disposition des victimes pour obtenir de l’aide. les éléments caractéristiques du harcèlement moral, contrairement à celle retenue par les à travers un dossier du droit du travail ou, le cas partenaires sociaux luxembourgeois ». Elle a échéant, une procédure pénale, poursuit le repré­ Un projet de loi très discuté sentant syndical. Le plus souvent, on peut trou- À côté de cette convention, un projet de loi aussi émis de sérieuses réserves sur le recours ver des solutions en interne, pour peu que l’on visant à renforcer les moyens mis à la dispo­ facilité à l’ITM dans le cadre d’une procédure. parvienne à qualifier la situation, à travers la sition des victimes de harcèlement est actuel­ prise de mesures pour remédier à des situations lement dans les cartons du législateur. Pour Éviter la judiciarisation à l’excès de discrimination ou encore en prenant des sanc- Guy Castegnaro, considérant l’inefficience Pour Christophe Knebeler, s’il faut agir plus tions adaptées à l’égard des personnes ayant com- des mesures actuelles, le texte introduit cer­ efficacement vis-à-vis des cas de harcèlement, taines mesures qui peuvent être utiles. « Il y il s’agit aussi d’éviter la judiciarisation des mis des actes de harcèlement.» a lieu, en effet, d’être aujourd’hui plus précis ­dossiers à l’excès, ne pas engager des p ­ oursuites Adapter et renforcer le cadre et plus explicite sur la définition de ce qui relève dès qu’il y a un doute. «Il y a un risque de dérive Il y a toutefois lieu d’adapter les instruments du harcèlement. D’autre part, il faut des outils important. Dans ces dossiers, il y a souvent mis en place pour mieux répondre aux problé­ et des mesures plus adaptés à la gestion des beaucoup de zones grises, exigeant d’agir avec matiques qui se posent, mieux considérer conflits. Le projet ne va pas jusqu’à introduire nuance, explique-t-il. Il est préférable, avant les enjeux actuels, dans un objectif d’identifi­ le renversement de la charge de la preuve, qui toute procédure ou l’intervention d’acteurs extécation claire et de règlement plus rapide des obligerait l’employeur ou l’auteur d’actes dès rieurs, d’explorer les voies de médiation et de cas, et même pour inclure un volet préventif. qu’il y a présomption à apporter la preuve que discussion en interne, pour trouver des solutions. Les p ­ artenaires sociaux, dans cette optique, les accusations sont infondées, explique ­l’avocat. Le premier défi est de pouvoir évoquer tout prose sont saisis du sujet, en établissant une Toutefois, une mesure intéressante réside dans blème au sein de l’entreprise, pour intervenir convention relative au harcèlement, aujourd’hui le renforcement du rôle de l’Inspection du ­travail avant que la situation ne dérape ou pour c­ orriger déclarée d’obligation générale. Cette et des mines (ITM), à travers l’instauration des situations constatées. Dans la plupart des ­convention comporte une définition précise d’une procédure spéciale lui permettant cas, cela permet de trouver des solutions, de du harcèlement moral et impose à tout ­d’instruire un dossier au départ d’auditions et prendre les mesures les plus adaptées et, le cas employeur d’interdire tout acte de harcèle­ d’établir un rapport au départ duquel des échéant, des sanctions.» ment moral dans son entreprise, de mettre ­décisions pourraient être prises dans l’entreen œuvre une ­politique de sensibilisation et prise ou permettant d’éclairer des décisions de des mesures de p ­ révention en la matière et justice établies dans le cadre d’une procédure.» de mettre en place une ­procédure de gestion Le projet de loi, toutefois, semble aujourd’hui des plaintes de ­harcèlement moral. bloqué dans le processus législatif. Et rien ne En matière de prévention, les mesures permet aujourd’hui d’affirmer qu’il sera a ­ dopté doivent notamment porter sur l’information avant la fin de la législature actuelle. Du côté Auteur S. L. 42

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Chance pour tous

Une législation peu contraignante Le premier impératif est de s’assurer que les personnes porteuses d’un handicap aient ­suffisamment accès au monde du travail. À ce niveau, la politique a un vrai rôle à jouer en légiférant pour faciliter la mise à l’emploi de ces personnes. Aujourd’hui, la législation luxembourgeoise prévoit déjà des quotas : toute entreprise ­privée ou structure publique est tenue d’embaucher un certain nombre de personnes handicapées. Pour les établissements publics, 5 % des effectifs totaux doivent être composés de salarié(e)s handicapé(e)s. Pour le ­privé, cela dépend de la taille de la structure : au moins un(e) salarié(e) handicapé(e) à temps plein pour une entreprise entre 25 et 49 personnes ; au moins 2 % de l’effectif total pour une entreprise de moins de 300 personnes ; et au moins 4 % de l’effectif total pour une entreprise de plus de 300 salariés. Dans les faits, toutefois, cette législation ne tient pas ses promesses. «Le problème, c’est que les sanctions prévues par la loi en cas de non-respect des quotas ne s’appliquent jamais, dans la mesure où les conditions pour qu’elles soient vraiment appliquées sont très floues, explique Andrea Di Ronco. Il faudrait vraiment qu’un employeur dise ‘Je ne veux pas engager de personnes porteuses d’un handicap’ pour être sanctionné. Évidemment, cela n’arrive jamais. » Ce caractère peu contraignant de la loi fait que les quotas théoriques que devraient atteindre les différentes entreprises et structures publiques ne sont, en pratique, jamais atteints. Pour Info-Handicap, il apparaît urgent de renforcer l’arsenal législatif en la matière. « Quel que soit le sujet, les grands changements qui interviennent dans nos ­sociétés le font toujours par le biais de lois plus contraignantes. Sans Code de la route, ce serait ­toujours le chaos ! », illustre Andrea Di ­Ronco.

Marielle Voisin

Chacun de nous, au cours de sa vie, peut être limité par une affection ou un handicap divers. Le sujet du handicap concerne donc toutes les entreprises. Pourtant, la réglementation reste peu ambitieuse en la matière, contrairement aux initiatives lancées par des acteurs privés et publics.

Perdre un peu de mobilité, avoir des ­problèmes de vue ou d’audition importants, souffrir de troubles mentaux… qu’ils soient congénitaux ou qu’ils résultent d’accidents de la vie, ces handicaps rendent notre existence plus ­difficile au quotidien. C’est notamment le cas dans le cadre du travail, où ils ne sont pas toujours perçus par l’employeur… car ils ne sont ni visibles ni explicités par ­l’em­ployé(e). « Il faut savoir que plus de 80 % des handi­caps ne sont pas des handicaps ­physiques», précise en effet Andrea Di ­Ronco, collaborateur au service Information ­juridique de l’asbl Info-­Handicap. Pour permettre à une personne porteuse d’un handicap de s’épanouir dans sa fonction et de faire pleinement profiter de ses compétences à son employeur, il convient donc de structurer l’approche que l’on a du handicap en entreprise.

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Handicap en entreprise : loin des quotas espérés


UNE RÉCOMPENSE POUR LUXEMBOURG-VILLE

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Sodexo

La ville de Luxembourg a reçu, en fin d’année 2021, l’Access City Award 2022 de la part de la Commission européenne. Un jury d’experts a analysé les solutions et améliorations innovantes des villes candidates telles que « la facilitation de l’accès des personnes handicapées aux espaces publics et privés, notamment aux logements, aux lieux de travail, aux transports publics, aux terrains de jeux et aux technologies de l’information et de la communication », selon la commu­ nication de la Commission européenne. Ces différentes mesures permettent ­d’accroître l’accessibilité des personnes vivant avec un handicap. La capitale était en compétition avec cinq autres villes de l’Union européenne (Barcelone, Helsinki, Louvain, Palma et Porto). « La ville a été reconnue pour son engagement résolu à améliorer l’accessibilité, pour ses campagnes de sensibilisation au public et pour une approche globale de la conception (des espaces, ndlr) pour tous », a déclaré l’Union européenne sur Twitter. En outre, des ascenseurs ont été installés autour de la gare centrale, et les trottoirs abaissés aux croisements remodelés pour faciliter la mobilité des personnes en fauteuil roulant.

Le reclassement, ça marche Là où la loi sur les quotas semble donc peu ­efficace, celle sur le reclassement paraît mieux suivie. Il arrive en effet souvent que des ­personnes, déjà employées par une entreprise, connaissent des problèmes de santé qui amoindrissent certaines de leurs capacités physiques ou mentales. Dans cette situation, les ­em­ployeurs doivent s’assurer de proposer un cadre de ­travail adapté à ces ­collaborateurs et collaboratrices. «Il peut notamment s’agir d’aménager le poste de travail. Des aides financières sont prévues pour permettre aux employeurs de ­financer ces adaptations, ainsi que l’éventuelle perte de rendement occasionnée, ajoute Andrea Di ­Ronco. Il est toujours plus facile de mettre des choses en place dans le cas du ­reclassement, car on connaît déjà bien la personne, et il a ­ pparaît tout à fait normal de lui permettre de ­continuer à travailler dans la structure.» Si la plupart des structures publiques comme privées, au Luxembourg, font le nécessaire pour assurer ce reclassement de leurs collaborateurs et collaboratrices, certaines y mettent un soin tout particulier. Ainsi, du côté de la Ville de Luxembourg, on a mis en place toute une organisation qui veille à gérer correctement l’adap­ tation du cadre professionnel aux collaborateurs et collaboratrices affecté(e)s par un accident de la vie. «En collaboration avec la médecine du travail, nous cherchons à t­ rouver une solution personnalisée pour chaque employé(e) concerné(e), explique Annemie Maquil, responsable du département Prévention santé et diversité au niveau de la direction des ­ressources humaines de la Ville de Luxembourg. Nous discutons notamment avec la personne pour voir quelles sont les autres compétences dont elle dispose. Ensuite, si aucun poste spécifique n’est disponible ou adapté,

nous confions, par exemple, certaines tâches ­ onctuelles à la personne, qui lui permettent de p gagner en compétences. Au fil du temps, elle ­pourra rejoindre un service dans lequel elle sera en mesure de travailler avec tout le confort nécessaire et en délivrant une réelle plus-value.» Notons que tout employeur du secteur privé peut s’adresser à l’Adem pour obtenir l’aide d’un assistant à l’inclusion. Ce(tte) professionnel(le) formé(e) aidera le/la salarié(e) en situation de handicap ou en cours de ­reclassement à s’intégrer parfaitement à son environnement de travail. Sensibiliser la personne concernée… et l’équipe Le réel défi, toutefois, semble bien se situer au niveau du recrutement et de l’intégration de personnes porteuses d’un handicap au sein de l’équipe en place. Des barrières psychologiques existent parfois dans l’esprit de ces personnes, les empêchant de postuler. Pour les entreprises, la participation à des salons de l’emploi ­permet, par exemple, de les lever. «Une autre solution, dans des métiers comme les nôtres, est de passer par des stages, explique Ann De Jonghe, ­directrice des ressources hu­maines au sein de Sodexo Luxembourg. Nous avons notamment a ­ ccueilli un apprenti venant d’une structure spécialisée qui souhaitait devenir cuisinier. Il est désormais en stage au sein de la cuisine de la maison relais de Kehlen. Il est clair que, pour toutes ces ­personnes, le rêve est de travailler, comme tout le monde, au sein d’une entreprise normale, et pas ­forcément dans un atelier protégé.» Au-delà des adaptations techniques qui doivent parfois être réalisées pour permettre à ces travailleurs et travailleuses de rejoindre l’organisation, le plus délicat est certainement l’adaptation organisationnelle. Les tâches ou horaires doivent souvent être adaptés, et le ­personnel en place doit être préparé. « Chez Sodexo, une personne au sein des RH est désignée comme ‘personne de confiance’, et, avec notre collaboratrice Diversité, elle discute avec les personnes elles-mêmes, les managers, ainsi que l’équipe, poursuit Ann De Jonghe. Il est essentiel de s­ ’assurer de l’ouverture d’esprit de tous. Si nous sentons une réticence, nous trouvons une autre solution. Imposer la personne alors qu’on sent qu’elle ne sera pas forcément bien accueillie, c’est être sûr que les choses ne vont pas bien se passer…» À la Ville de Luxembourg aussi, un service dédié s’assure de la bonne intégration de la ­personne handicapée au sein de l’équipe : le ­service Intégration et besoins spécifiques. ­Au-­delà des adaptations techniques au sein des bâtiments, il s’assure de préparer le terrain, de veiller à la sensibilisation des équipes, et de répondre aux questions que ses membres pourraient se poser.

TÉMOIGNAGE

«Je peux compter sur l’aide de mes collègues»

JASON CHENET Aide-cuisinier Maison relais de Kehlen

Jason Chenet est un jeune homme de 24 ans souffrant d’un handicap physique – touchant l’un de ses bras – et mental. Depuis le mois de septembre dernier, cet apprenti cuisinier réalise une partie de ses stages au sein de la cuisine de la maison relais de Kehlen, gérée par Sodexo. « Je fais quelques semaines ici, et quelques semaines à l’école, en alternance, explique-t-il. Je prépare toute une série d’aliments – des fruits, des steaks… – et je réalise aussi d’autres tâches, comme le nettoyage, la vaisselle, etc. La cuisine, c’est quelque chose qui me plaît. C’est donc important pour moi de pouvoir l’apprendre ici. » Même s’il est limité par son bras, Jason peut compter sur le soutien de l’équipe de la cuisine. « Cela s’est tout de suite bien passé avec l’équipe. Pour le travail, je fais ce que je peux faire, et quand j’ai besoin, je demande de l’aide à mes collègues », ajoute l’apprenti cuisinier.

Auteur Q. D.

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Accompagnement

Quel est le rôle du CET ? Connaissez-vous le Centre pour l’égalité de traitement (CET) ? Créé par la loi du 28 novembre 2006, il veille en toute indépendance entre 150 et 200 signes à lutter contre toute forme de discrimination. Auteur M.Chapo P. 1

TOUS HORIZONS

Le Centre pour l’égalité de traitement a pour objet de promouvoir, d’analyser et de surveiller l’égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion ou les convictions, le handicap et l’âge. 2

ACCOMPAGNEMENT

Sa mission est d’apporter une aide aux personnes qui s’estiment victimes d’une discrimination en mettant à leur disposition un service de conseil et d’orientation visant à les informer sur leurs droits individuels, la législation, la jurisprudence et les moyens de faire valoir leurs droits. Un changement législatif, qui donnerait le droit au CET d’accompagner des plaignants et plaignantes en justice, est actuellement en cours d’élaboration par la Chambre des députés. 3

CONSEILS

En toute indépendance, le CET publie des rapports, émet des avis ainsi que des recommandations et conduit des études sur toutes les questions liées aux discriminations. Il peut aussi produire et fournir toute information et toute documentation dans le cadre de sa mission. 4

PUBLICATIONS

Par ailleurs, il mène ou commandite des enquêtes et des analyses indépendantes sur les restrictions et obstacles injustifiés au droit à la libre circulation ou sur la discrimination fondée sur la nationalité à l’encontre des travailleurs de l’Union et des membres de leur famille, au sens du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union.

En 2021, le CET a traité un total de 245 dossiers, dont 203 nouvelles demandes. Ce chiffre a presque doublé depuis 2016. L’origine ethnique (60 cas, 24 %) passe à la première place des motifs de discrimination indiqués par les requérant(e)s (2e en 2020). Concernant le domaine d’application, l’emploi est la catégorie prédominante avec 31 %. 46

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Pension

Ma deuxième vie professionnelle : coach de retraite Avec l’arrivée en fin de carrière d’un nombre important de baby-boomers, la bonne préparation du départ à la retraite est un enjeu fondamental pour les entreprises, autant que pour les retraités eux-mêmes. Aujourd’hui, des coaches de retraite bénévoles les épaulent dans cette étape cruciale.

1/5 DE LA POPULATION ACTIVE A PLUS DE 50 ANS Le départ à la retraite est un sujet majeur dans nos sociétés, considérant la proportion importante de travailleurs de plus de 50 ans au sein de la population active. Source Organisation internationale du travail, Enquêtes sur les forces de travail, calculs CEPS/INSTEAD (2018)

26 % 23 % 21 % 19 %

Luxembourg

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Belgique

France

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Allemagne

Selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail, un cinquième de la population active est aujourd’hui âgée de 50 ans ou plus. Cette proportion est même plus élevée dans nos pays voisins. Dans les prochaines années, un nombre considérable de travailleurs vont partir à la retraite. Pour les entreprises, il est donc essentiel de faire en sorte que le passage de témoin entre cette génération de baby-boomers et les nouveaux entrants sur le marché du travail se déroule de façon fluide. Pourtant, la prise de conscience des managers par rapport à cette problématique est encore limitée, même si les initiatives en la matière ont tendance à se multiplier depuis quelques années. « Nous avons mis en place une procédure de sortie récemment. Avant cela, rien de spécifique n’était prévu, alors que cette étape fait, selon moi, partie intégrante de la carrière d’un salarié», explique Anne Kremer, responsable RH au sein du groupe Prefalux. Désormais, Prefalux veille à cibler les personnes qui partiront prochainement à la retraite, à communiquer sur ce sujet et à préparer la transition en l’anticipant suffisamment. Un travail qui n’est pas de petite envergure, considérant que le groupe Prefalux rassemble aujourd’hui huit entreprises et 380 personnes. S’appuyer sur des associations spécialisées Au Luxembourg, des structures spécialisées existent pour épauler les entreprises dans ces démarches, mais aussi pour améliorer, de façon générale, les conditions de vie des personnes parvenues au troisième âge. C’est le cas de Gero – Kompetenzzenter fir den Alter (anciennement RBS), une asbl fondée et conventionnée par le ministère de la Famille et de l’Intégration qui, depuis 30 ans, soutient la recherche et la formation du personnel de soins et d’accompagnement des personnes âgées (www.gero.lu). « Au-delà de ces deux premiers piliers, nous organisons aussi une série de cours et d’événements permettant aux seniors de rester actifs, de continuer à nouer des contacts et à trouver des centres d’intérêt après leur retraite, précise Vibeke Walter, responsable de GeroAktiv, le pôle de l’association dédié à cette dernière activité. Nous mettons un point d’honneur à souligner la diversité de profils qu’on retrouve derrière l’étiquette ‘seniors’: certains sont en pleine forme, d’autres ont des problèmes physiques, d’autres encore ont des soucis psychologiques. On ne peut donc pas parler du troisième âge comme d’une catégorie de personnes homogène, comme on ne peut pas parler des ‘jeunes’ de façon globale.» En 2019, à l’initiative du ministère de la Famille et de l’Intégration, Gero a lancé un programme d’accompagnement pour les personnes à la retraite ou étant sur le point de terminer leur carrière. Derrière cette idée, un constat qui a d’abord à voir avec la


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santé mentale des (futurs) retraités. « Encore une fois, les profils peuvent être très différents. D’un côté, nous avons des personnes qui vont rester très actives une fois la retraite arrivée, qui vont profiter pleinement de cette nouvelle vie. Mais, de l’autre, on rencontre aussi des gens qui ont plus de mal à occuper leur temps, à trouver des projets dans lesquels ils veulent s’investir. Il faut dire que, dans nos sociétés, nous sommes définis pour une grande partie par notre travail. Lorsqu’on le perd, on a parfois des difficultés à trouver sa place. On peut alors voir émerger un certain désarroi, voire des symptômes dépressifs », estime la responsable de GeroAktiv. Des coaches bénévoles eux-mêmes retraités Pour soutenir les personnes concernées et les aider à passer cette étape de leur vie de la meilleure façon possible, Gero a décidé de faire appel à des coaches de retraite bénévoles, eux-mêmes retraités. À travers des conférences données sur demande en entreprise ou dans des communes, par exemple, ils cherchent à recentrer les (futurs) retraités sur leurs compétences et ressources, les activités et projets auxquels ils pourront désormais consacrer plus de temps. « Nos coaches ne sont pas des experts ou des professionnels, ils ne sont donc pas habilités à jouer le rôle d’un psychologue ou d’un conseiller financier, par exemple, mais ils peuvent renvoyer vers les bonnes personnes en cas de besoin, souligne Vibeke Walter. Ils suivent une formation de trois jours afin de bien cerner ce qu’ils peuvent apporter aux participants. Leur but, au final, est de faire prendre conscience aux retraités que ce moment de leur vie peut être génial, qu’il faut en profiter pour penser à eux, et pas seulement pour donner tout leur temps à leur famille ou à diverses associations. » Des entretiens individuels peuvent aussi avoir lieu à la demande, pour des questions spécifiques, mais ils sont généralement limités à trois sessions. Henri Feit est l’un de ces coaches bénévoles. Après 35 ans de carrière dans le secteur financier, il a répondu à l’annonce de Gero, publiée sur les réseaux sociaux. « Je venais de faire moi-même la transition entre la vie active et la retraite, et je me suis aperçu que c’était un gros changement. Je me suis dit qu’il serait intéressant d’en discuter avec d’autres personnes concernées, explique-t-il. J’ai suivi la formation organisée par Gero, et j’ai développé ma propre présentation pour mes conférences, basée sur la brochure du ministère de la Famille. J’apprécie beaucoup cet échange avec les gens. J’essaie de leur faire comprendre que, de 60 à 90 ans, c’est le même laps de temps qu’entre 30 et 60 ans, une période au cours de laquelle on réalise beaucoup de choses. On peut donc réellement avoir une deuxième vie très riche à la retraite. »

Bon pour l’image de l’entreprise Avec cette casquette de coach de retraite, Henri Feit est intervenu à trois reprises au sein de la société Prefalux. Tous les employés de plus de 55 ans avaient été conviés à participer à ces conférences. À cette occasion, le coach a évidemment abordé l’importance de se trouver de nouveaux projets une fois la retraite arrivée, mais également la nécessité de bien préparer, suffisamment à l’avance, le passage de témoin au sein de l’entreprise. « Cela permet de maintenir la motivation du travailleur sur le point de partir à la retraite, et c’est donc positif à tous les points de vue pour l’entreprise. En outre, c’est un vrai plus pour l’image de marque de la société : si la préparation de la retraite a été réalisée dans les règles, cela se sait vite sur le marché du travail, estime Henri Feit. Je suis d’ailleurs persuadé que les entreprises sont de plus en plus conscientes de la nécessité de bien préparer cette étape de la vie de leurs collaborateurs. » Du côté de Prefalux, on se félicite en tout cas d’avoir pris cette initiative. Les conférences d’Henri Feit ont en effet été très largement suivies, ce qui indique qu’il y avait une réelle demande. « 62 % des personnes éligibles – c’est-à-dire celles de plus de 55 ans – ont participé aux conférences, précise Anne Kremer. Et les retours que nous avons obtenus étaient très positifs. Les participants ont apprécié le format interactif de l’atelier, ainsi que les sujets abordés : se fixer des objectifs pour la retraite, être au fait des démarches administratives à effectuer, bien gérer ses doutes et sa motivation…» Labellisé ESR (entreprise socialement responsable), le groupe Prefalux a d’ailleurs déjà prévu d’organiser une nouvelle session avec Henri Feit au début du mois de juin. Les personnes qui ne s’étaient pas présentées lors des premières conférences ont été réinvitées pour l’occasion, en comptant sur le bouche-à-oreille pour les convaincre. Au sein de nos sociétés vieillissantes, dans lesquelles les seniors vivent aussi en meilleure santé qu’il y a quelques décennies, la retraite devient quasiment un âge d’or de la vie, au cours duquel ils peuvent partager leur grande expérience. La préparation adéquate de ce moment important de l’existence, à travers des initiatives comme celle lancée par Gero, devrait donc, au fil du temps, prendre une importance grandissante.

Auteur Q. D.

LES CONSEILS DE SYLVIE NOTARNICOLA HR manager by interim au sein de Maison Moderne et retraitée administrative depuis quatre ans, Sylvie Notarnicola s’intéresse beaucoup à la question de la préparation du départ à la retraite et de l’offboarding des employés. Elle nous livre quelques conseils. 1 Pour les responsables RH et managers Plusieurs démarches doivent être initiées par les responsables RH et les managers de chaque entreprise avant le départ à la retraite des salariés : Mener des entretiens de fin de carrière et des entretiens de départ ; Accompagner, en anticipant suffisamment, la transmission des compétences de la personne partant à la retraite à son remplaçant ; Travailler à la mise en place d’une nouvelle répartition des tâches au cas où le poste ne serait pas mécaniquement remplacé ; Organiser les différentes démarches administratives liées au départ à la retraite du salarié. 2 Pour les futurs retraités Avec l’aide de l’entreprise, les futurs retraités doivent préparer leur « succession » professionnelle, mais aussi leur nouvelle vie personnelle. Il leur faudra donc : Utiliser leurs deux dernières années de travail pour préparer leur départ, transmettre leurs connaissances et poursuivre ainsi leur travail en restant motivés ; Trouver le bon équilibre entre le fait d’être encore utiles à leur entreprise et la nécessité de préparer leur nouvelle vie ; Faire le bilan de leur carrière et donner du sens à leur retraite en identifiant de nouveaux projets.

SYLVIE NOTARNICOLA HR manager by interim Maison Moderne

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Forecast

Comment contribuer à plus de diversité en entreprise ? Les entreprises sont de plus en plus conscientes que contribuer à une plus grande diversité en entreprise est une richesse. Mais comment y parvenir concrètement? Propos recueillis par M.P.

MARC WENGLER Directeur général – président du comité des directeurs Groupe CFL

Tout d’abord, travailler sur la diversité implique que l’on soit convaincu de l’impact positif que cela peut avoir sur la structure. Ensuite, la priorité est de créer un cadre qui porte la démarche. La stratégie des CFL intègre ainsi cinq valeurs fondamentales dont fait partie le «nous», l’attachement à l’humain par-delà toutes ses différences. Des centaines de mesures sont définies dans une feuille de route pour renforcer cet aspect. Il faut également identifier – à travers des sondages, des enquêtes – quels sont les enjeux en matière de diversité au sein de l’entreprise, puis mettre en place des processus d’amélioration continue. Au sein des CFL, nous avons notamment travaillé à l’inclusion des femmes, à la lutte contre le harcèlement, mais aussi à la réorientation des personnes qui ne peuvent plus exercer leur emploi en raison de problèmes de santé. Enfin, la sensibilisation est indispensable pour travailler sur les stéréotypes qui nous influencent tous. Nous organisons des ateliers avec des experts, des journées spéciales. Nous communiquons aussi sur le sujet à travers notre intranet. L’attention portée à la diversité touche aussi notre clientèle. Nous veillons notamment à rendre nos gares et nos trains accessibles à tous: personnes âgées, malvoyantes, en situation de handicap… 50

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« La politique de recrutement est un autre facteur important pour garantir la diversité dans une entreprise. »

« Il faut donc que la diversité, et par extension l’inclusion, soit LA principale composante de la raison d’être de l’entreprise. »

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ISABELLE FABER Directrice Ressources humaines, Relations publiques & RSE Post Luxembourg

Bien plus qu’une simple tendance, l’entreprise doit promouvoir la diversité de manière systématique et croissante, quels que soient ses engagements, en interne et en externe, dépassant parfois le cadre de son activité. C’est particulièrement vrai dans une stratégie de recrutement égalitaire, la communication et le marketing en intégrant de manière proactive des messages accessibles à tous et en reflétant la diversité de la société. Il faut donc que la diversité, et par extension l’inclusion, soit LA principale composante de la raison d’être de l’entreprise afin que les collaboratrices et collaborateurs y adhèrent et s’approprient cet état d’esprit. D’où la nécessité sine qua non que l’engagement soit à la fois sincère, compréhensible et crédible pour tou(te)s. Cette prise de conscience devra passer par la sensibilisation et la formation pour apprendre à travailler ensemble tout en respectant les différences. Dans la mesure du possible, créer des processus d’alerte et mettre en place un plan de résolution des conflits. Ensuite, prendre position publiquement sur l’inclusion de minorités au sens large et, quand c’est possible, en partenariat avec des associations (ligue HMC, ateliers protégés…) et l’ensemble des partenaires de l’entreprise pour partager cette vision de la valeur ajoutée créée, résultat d’une politique de diversité assumée.

Post Luxembourg, ING Luxembourg et Jan Hanrion (Maison Moderne / archives)

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« La sensibilisation est indispensable pour travailler sur les stéréotypes qui nous influencent tous. »

Il est tout d’abord essentiel d’avoir un soutien fort de la direction, tant pour créer des équipes diversifiées que pour développer une culture d’entreprise forte et inclusive. Ces facteurs seront les clés d’une meilleure performance à tous les niveaux. Ensuite, il sera important d’établir un diagnostic chiffré des aspects de diversité qui peuvent être mesurables (genre, âge, nationalité). Pour qu’un groupe se sente écouté, il doit représenter au moins 30% de la population, ce que nous appelons «la règle du 70/30». La politique de recrutement est un autre facteur important pour garantir la diversité dans une entreprise. Les short lists de candidat(e)s doivent être diversifiées, et le principe directeur doit être d’engager le ou la meilleur(e) candidat(e). Mais à CV égal, c’est le ou la candidat(e) qui accroît la diversité de l’équipe qui sera retenu(e). Un autre point essentiel est d’informer tous les employé(e)s sur la stratégie de l’entreprise et les former aux biais inconscients, ces mécanismes de pensée qui agissent sur notre perception et notre jugement. Cela impacte bien entendu les process de recrutement, mais également d’évaluation de performance ou de développement de carrière. À ce niveau, une culture d’entreprise qui soutient ces éléments est un véritable atout pour faire la différence.

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STÉPHANIE MOULIN HR business partner ING Luxembourg




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