ECTOPLASTIQUE

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Maïwenn Humbert Chevalier

Avant-propos

Ce qui est intéressant avec le néologisme ectoplastique c’est qu’il provient du mot ectoplasme. Une partie extérieure, différenciée, du cytoplasme, des amibiens. C’est ici sa première définition, plutôt scientifique et biologique. Mais les deux descriptions suivantes de l’utilisation du mot ectoplasme permettent davantage de faire un parallèle avec le plastique. Quelqu’un d’ectoplasme, dans un sens figuré est une personne inconsciente, comme sans personnalité ni même d’existence dans le milieu où elle gravite. Un trait sur l’existence paradoxal quand on pense au plastique qui existe véritablement dans notre quotidien. Pourtant ce matériau inerte s’est invité dans les moindre recoin de notre monde, sans même que l’on s’en aperçoive. Dans une perception plus occulte, l’ectoplasme serait une substance mystérieuse qui se libérerait du corps de médium durant une transe. Elle se matérialiserait pour former, des membres, des organismes, des visages, ou des objets divers. Ce mémoire est une invitation à découvrir la transe humaine d’un créateur dont sa plus grande œuvre, le plastique, lui a échappé : l’homme face au plastique.

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Introduction

i- Ce fantastique désastre

a) Le plastorique

b) Le plastimique

c) l’écoplastique

II- Vieux plastiques, nouvelles pratiques

a) Le plastoctoc

b) Le bioplastique

c) Le prastique

III- Les archéologues du futur

a) La plastologie

b) Le plasticien

c) L’ectoplastique

Conclusion

Pré(sur)face

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Ces dernières années, c’est une véritable chasse qui s’opère face au plastique. Les chiffres sont alarmants, 460 millions de tonnes de déchets plastiques ont été produites dans le monde en 2019 selon l’OCDE. La production de plastique augmente perpétuellement depuis son invention, et ce sont près de 10 millions de tonnes de plastiques qui se dispersent dans les mers et océans chaque année, d’après l’UE. Ce matériau, créé par l’homme et pour l’homme, continue son développement technique et ce même si nous en constatons les désastres écologiques. Pourtant si le plastique est aussi présent c’est qu’il à révolutionné beaucoup de domaines. Les grandes avancées qui en font sa renommée controversée donnent lieu à des changements de valeurs légitimes et laissent entrevoir un avenir au plastique. Au cours des 70 dernières années, il est entré dans tous les objets du quotidien ; des emballages, aux articles ménagers, des vêtements aux meubles, des automobiles à l’architecture, il n’y a pas de domaines qui n’envisage pas l’utilisation de la matière plastique. Notre histoire avec le plastique a à voir avec la manière dont on le pense. C’est par une analyse historique que nous proposons d’exposer les changements de paradigme du plastique pour tenter de dégager des pistes d’évolution.

À l’aide de différents prismes interdisciplinaires, et de manière chronologique, nous appréhenderons, dans un premier temps, la matière d’un point de vue historique, physique et chimique, puis enfin écologique. Dans quelle mesure connaissons-nous réellement les plastiques ? Dans une seconde partie, et à l’aide d’études de cas, nous découvrirons un choix détaillé des paradoxes entre solutions pour endiguer la pollution plastique et la mise en place de ces solutions. Ainsi nous nous interrogerons sur les changements de consommation et de production markétés “écologiques” qui sont pratiqués actuellement. Pour finir nous découvrirons les multiples futurs imaginés par des artistes et designers contemporains, mais aussi par des scientifiques. Ainsi avec une meilleure connaissance du plastique, de ses enjeux, de son évolution et de ses problématiques nous pourrons amorcer un futur projet de design.

6 ECTOPLASTIQUE - INTRODUCTION

Vous trouverez dans ce mémoire, à la manière de la phénoménologie, une tentative de définition plurielle du plastique en évitant de réduire cette matière à une conception universelle. Si nous abordons des notions politiques, historiques, écologiques et philosophiques, c’est que la perception de cette matière est différente du point de vue où l’on se place. C’est ce qui fait la singularité du plastique et sa controverse. De plus, le choix des exemples sera régi par les grandes avancées dans le monde de la plasturgie.

Il est important de noter que le terme plastique est en fait un adjectif précisant que ce matériau peut être modelé librement afin de répondre à des applications souhaitées. De manière plus rigoureuse, il conviendrait de le désigner de matières plastiques. De plus, scientifiquement il advient de parler davantage de matériaux polymères. Nous expliquerons ces termes au cours de cet écrit.

Ajoutons que les néologismes qui parcourent le déroulé du récit serviront, comme les époques historiques, à déterminer, en compartimentant, les raisons pour lesquelles nous approchons ce projet. L’usage de nouveaux mots permet également de comprendre

la matière, les enjeux mais aussi les confusions que nous tentons de soulever. Nous attirons l’attention sur le fait que les différents documents présentés lors de ce mémoire, souvent de nature scientifique, sont à prendre avec du recul. En effet, les lobbies existent et sont actifs dans les deux sens ; celui défendant les intérêts de l’industrie du plastique et son traitement comme celui défendant les intérêts de l’environnement.

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I - Ce fantastique désastre

a) Le plastorique - Depuis quand et comment le plastique s’est-il invité progressivement chez nous ? C’est l’Histoire avec un grand H de cette matière virale.

Nous aurions pu commencer notre remontée de “ l’ère du plastique ” dans l’antiquité où l’utilisation de cette matière était dite naturelle. Les égyptiens employaient, alors, des colles à base de caséine* de lait, de gélatine d’os, ou encore d’albumine* d’œuf. Plusieurs siècles av. J.-C nous utilisions les propriétés plastiques des écailles de tortue, de la corne, de l’ambre, du caoutchouc et beaucoup d’autres (1). C’est pour dire à quel point nous employons, et ce depuis longtemps, cette plasticité, d’abord grâce à des formules naturelles puis synthétiques.

Nous nous retrouvons, à la fin du XIXe siècle, dans une période où nous commençons à mieux capter le pétrole. C’est à ce moment que débute la mise au point de nouvelles matières : les plastiques semi-synthétiques. La première et seconde guerre mondiale font rage, tour à tour, et les besoins militaires demandent un développement industriel et technologique qui entraîne une grande innovation dans le domaine du plastique synthétisé. En 1935 apparaît la fibre proclamée par la société Dupont

de Nemours comme « aussi solide que l’acier, aussi fine que la toile d’araignée, et d’un magnifique éclat ». Cette description du polyamide aussi appelé nylon, s’avère plutôt vrai. En effet, cette innovation fait ses preuves quelques années plus tard dans les parachutes des G.I. lors du débarquement de 1945. Par ailleurs, les bas distribués aux femmes des pays libérés sont eux aussi confectionnés en nylon (1). Autre exemple avec le Formica inventé aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Ce sont deux ingénieurs américains, Herbert A. Faber et Daniel J. O’Conor qui ont inventé ce revêtement synthétique. C’est un matériau composite*, un assemblage de feuilles de papier kraft imprégné de résine de synthèse pressée à chaud. Ils travaillaient initialement sur l’isolation électrique, le plastique étant un atout pour les appareils de communication en temps de guerre. C’est dans les années 30 qu’il habille le mobilier et envahit les salons et les cuisines des foyers occidentaux.

Publicité de 1959 promouvant les meubles de cuisine Formica

(1) Thommeret, R. (2014) Plastiques & Design, page 13, 14, 15

caséine- albumine : ce sont toute deux des protéines composite : se dit d’un matériau qui est constitué d’au moins deux matériaux de nature différente. L’idée est de combiner les propriétés de l’ensemble des matériaux utilisés.

Ce fantastique désastre a) Le plastorique

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Le plastique prend de nombreuses formes, et c’est après la Libération et avec les années 50, que la diversification et la consommation de masse engendre de telles demandes que cela conforte l’essor de cette nouvelle industrie. Les usages sont alors repensés et deviennent très variés, le plastique entre dans les objets de la vie quotidienne. Ainsi les polymères sont progressivement proposés et parfois même imposés dans les secteurs de l’électroménager, de l’emballage, de l’habitat, de l’automobile ainsi que de l’habillement (2). Le plastique est donc partout. Par période c’est un objet précieux, un bijoux, ceux fabriqué en bakélite ont inauguré l’ère du plastique, car cette matière est devenue la première à être produite industriellement. La bakélite, développée entre 1907 et 1909, a par la suite été détrônée au profit de nouveaux plastiques plus colorés, plus performants, plus légers et plus simples à fabriquer. Passé d’objets rares et nouveaux aux objets prolifiques en série, le plastique touche de nombreux secteurs, et puisque tel est le cas, le design n’y échappe pas.

Le plastique entraîne un champ de possible pour les designers, c’est tout un regard formel qui évolue. Pour citer quelques grands noms et objets emblématiques du design, la célèbre Panton Chair de Verner Panton, en 1960, est la première chaise entièrement faite de plastique injecté* en une seule pièce, monobloc. Les hésitations dans le choix du matériau ont jalonné son parcours. Il a fallu plusieurs années à Verner Panton pour aboutir à une chaise mécaniquement durable. Le prototype de 1960 était fait dans une variété de polystyrène, le polysteron mais la structure en porteà-faux subissait trop d’efforts. Il a dû concevoir des renforts entre le dossier et l’assise, ainsi une petite série à été créée en polyester renforcé de fibre de verre. Mais si la chaise est devenue un objet emblématique du design et a obtenu de nombreux prix internationaux, c’est qu’elle à fini par être conçue entièrement en plastique. C’est l’ASA, un type de plastique, qui par sa grande fluidité mais aussi sa légèreté a permis au matériau d’être fidèle au détail du moule de la Panton Chair (1).

L’une des premières machines à écrire portatives en plastique montre parfaitement les nouvelles possibilités du moulage et de la déformation du plastique. La Valentine de Ettore Sottsass pour Olivetti, en 1969, symbolise la désinvolture des années 60. Cet appareil compact placé dans un coffret pourvu d’une poignée se rend transportable. La couleur rouge vive, innovante, renverse la vie monotone du bureau. En tirant parti des qualités novatrices du plastique, cette machine à écrire est un objet culte de la révolution culturelle de la fin des années 60.

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Le plastique révolutionne et évince ainsi beaucoup d’autres matières plus traditionnelles. En fait, grâce à sa malléabilité, le plastique peut même imiter certains matériaux. Le consommateur n’y voit que du feu. Comme un caméléon, le plastique sait épouser les formes, les textures et les couleurs. C’est formidable tout ce que peut faire cette matière. Elle change les modes de perception, les mentalités, les comportements, innove nos moyens de créer, de consommer, de vivre.

« Le plastique, c’est fantastique, le caoutchouc, super doux », chante le groupe Elmer Food Beat dans les années 1990. C’est le gimmick d’une campagne de promotion pour l’utilisation du préservatif fait en latex (plastique). Encore un domaine d’application, dans lequel le plastique a su surpasser d’autres matériaux. Cette phrase, le plastique c’est fantastique, traverse la matière et est ainsi utilisée pour approuver une fascination autour du plastique. Nous l’avons vu, son ampleur est considérable, et son ascension dure depuis plusieurs siècles. La terminologie même du plastique fait appel à sa puissance. Tel un matériau magique qui a le pouvoir de se donner forme, la plastique est aussi esthétique que modelable. Mais alors pourquoi ce matériau est-il aussi exceptionnel et a-il révolutionné tant de secteurs? En quoi est-il si différent des autres matières ? Le fait qu’il puisse être usiné et implanté dans tant de domaines différents résulte de ses propriétés chimiques.

Affiche pour la Valentine, design Ettore Sotsass & Perry King, 1969 © Olivetti

(1) Thommeret, R. (2014) Plastiques & Design, page 87

(2) Messika, L. et Couette, P. 2004, Plastic no plastic. Paris: L’Archipel, page 12,

injecté : le procédé d’injection du plastique presse (injecte) la matière chaude dans un moule

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Photographie de la chaise « Panton » et de la machine « La Valentine » pour l’ouvrage 50 Designers dal 1950 al 1975 © Photo Carol-Marc Lavrillier.

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b) La plastimique - L’incroyable plastique d’un point de vue physique et chimique. Le plastique est ce qu’on appelle un polymère, caractérisé par le degré de polymérisation issus d’hydrocarbure fossile, c’est-à-dire le pétrole. Une définition compliquée, pour décrire un matériau complexe. La première caractéristique du plastique c’est, comme son nom l’indique, qu’il à de multiples formes (latin plasticus, du grec plastikos, « relatif à ce qui peut être modelé, transformé»). C’est par ailleurs cette malléabilité qui lui à permis de prendre autant d’envergure dans notre monde. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de la chimie macromoléculaire pour expliquer comment les plastiques sont fabriqués. Il s’agit surtout de comprendre que le processus de synthèse, aussi appelé polymérisation, peut se faire de plusieurs manières. Le fabricant de polymères peut jouer sur différents paramètres lors de la fabrication, comme la température, la pression, la présence ou non d’un solvant, d’additifs, le temps de réaction, etc. Tout ceci permettant de donner certaines propriétés au plastique (3). Ce procédé permet d’expliquer la multitude de compositions chimiques attribuées au polymère, car il existe en réalité des milliers de dénominations différentes réunis sous le nom de plastique.

Pour y voir plus clair, cette matière se retrouve sous trois formes, les thermodurcissables, les élastomères et

les thermoplastiques qui sont les plus importants par leur quantité ainsi que leur variété de matériaux. A noter que pour mettre en forme les thermoplastiques et les élastomères il faut généralement les chauffer quant aux thermodurcissables ils prennent leur forme définitive à froid. Cette différence est importante car c’est ce qui explique l’aspect recyclable ou non recyclable des plastiques. Nous développerons davantage ce fait dans une deuxième partie. Enfin une dernière souscatégorie est organisée pour reconnaître au mieux chacune des compositions chimiques. C’est d’ailleurs ce que nous pouvons retrouver sur la plupart des objets en plastique : des nombres encerclés de triangle suivis par des abréviations.

« Le plastique dans tous ses états » Icône des types de plastique, il n’y a que sept classifications car la dernière regroupe tous les autres plastiques tels que: ABS ; PLA ; NYLON ; VINYLE etc.

(3) Guidot, R. 2006, Industrial Design Techniques and Materials, page. 214 - 263. Paris: Flammarion.

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Moule d’une bouteille en polyéthylène obtenue par une opération d’extrusion souflage.

Ci-contre en haut : ouverture du moule et éjection des pièces moulées par injection.

Ci-contre en bas : profilé en matière de synthèse thermoplastique sortant, en continu, d’une filière d’extrudeuse.

© Photo archives flammarion extrait de l’ouvrage Design techniques et matériaux

En termes de propriétés, le plastique présente de nombreux avantages. Je vous propose de découvrir ses facteurs de succès ainsi que des exemples de domaines d’applications pour mieux les illustrer. Une des réussites dans l’invention des plastiques est leur légèreté. Cela leur a permis de remplacer le métal dans des réalisations telles que le cadre de fenêtre, la conduite d’eau ou bien même le réservoir de carburant des voitures. L’industrie automobile a fait du plastique un matériau de prédilection dans l’équipement des voitures. Il résiste de mieux en mieux aux chocs et allie performances techniques et compétitivité (bonne résistance à la corrosion et aux chocs, liberté des formes, etc.). Son pourcentage dans un véhicule n’a cessé de croître depuis les années 50. Il était de 6% dans les années 70, il est aux alentours de 15% dans les années 2000. On le retrouve dans l’habitacle, l’extérieur et dans la structure. La voiture est ainsi devenue plus sûre. Paradoxalement le plastique, pour rappel issu du pétrole, permet d’économiser beaucoup de carburant, lui-même issu du pétrole. En effet, une voiture plus légère consomme moins d’énergie à son utilisation (2).

Une maison mieux isolée consomme elle aussi moins d’énergie. Et bien le plastique est aussi un isolant thermique. Dans le bâtiment, le polystyrène (6) (expansé ou extrudé) et le polyuréthane sont beaucoup utilisés et ceux grâce à son faible coût, son gain de place (déformation) et à son imputrescibilité. De plus, il est utilisé partout dans le domaine de l’électricité car il n’est pas conducteur électrique.

Le domaine médical est imprégné de plastique. La panoplie d’application s’étend de matériel courant comme les verres de prescription, les seringues, les poches de sang et les bouchons aux plus spécifiques comme les valves cardiaques. Ils sont fabriqués selon des procédés soumis à des contrôles rigoureux et avec des prototypes spécialisés car le matériel médical est sensible. Aucun domaine de la santé n’y échappe, il existe des articles partiellement ou entièrement faits de plastique. De la chirurgie et ses implants à la pharmacie et ses contenants, le plastique offre d’une part une facilité de stérilisation et, grâce à sa résistance thermique, il peut être stérilisé plusieurs fois de suite. Il peut également être mis en contact avec divers produits chimiques tels que les solvants. Par conséquent, il est très utilisé dans les salles opératoires et fait partie intégrante des équipements d’un professionnel de la santé.

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L’emballage alimentaire en plastique facilite le transport, l’entreposage et l’information autour du produit. Mais son premier rôle est de garantir aux usagers que leurs aliments seront conservés dans d’excellente conditions d’hygiène. L’emballage plastique doit protéger le consommateur contre deux risques principaux, l’absorption par le matériau des composés de la denrée alimentaire qu’il contient. La migration, de ce qui constitue l’emballage, au sein de l’aliment. Dans tous les cas, il doit prémunir les denrées de l’environnement extérieur, garantir leur état de conservation, ainsi que de maintenir leurs qualités nutritionnelles et gustatives. Pourtant les emballages en plastique sont sujets à migration, mais moins soumis aux effets des changements de température. Ils sont d’ailleurs très utilisés pour la conservation au froid. Pour exemple, les plastiques PEHD, PELD et PP sont très largement utilisés pour la conservation des produits laitiers et surgelés.

L’un des principaux attraits de ce matériau reste son coût. La grande majorité des plastiques ont un faible coût de production. Seulement, lorsqu’un objet devient plus cher à gérer après son utilisation que pendant sa production, il peut facilement devenir une matière jetable. C’est ce à quoi a été réduit bon nombre de plastique, une matière sans grande valeur.

« Le plastique, c’est dramatique, le caoutchouc super fou », chante de nouveau le groupe Elmer Food Beat en 2019. Les campagnes contre le plastique se multiplient, alors même que l’on disait de lui que c’était un matériau fantastique. Pourquoi se revirement de situation bien que nous venons de constater son impact positif sur de nombreuses avancées ? Le plastique est devenu, plus vite qu’il n’est apparu, un matériau sujet à controverse. Le plastique ne jouit plus du prestige des matériaux plus traditionnels comme l’acier ou le verre, ni de la respectabilité liée au grand âge de la pierre ou du bois. Sa réputation est en déclin car quand l’objectif est de produire beaucoup, rapidement et à bas prix, on se préoccupe peu de la durabilité ni même de la qualité. Dorénavant c’est un problème d’ordre écologique et sanitaire qu’a engendré la production de masses des plastiques. Il est relégué à un matériau, non plus précieux et innovant, mais dangereux et à éradiquer.

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(2) Messika, L. et Couette, P. 2004, Plastic no plastic. Paris: L’Archipel, page 11,

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c) L’écoplastique - L’idylle entre l’humain et le plastique n’aura pas duré éternellement. Les failles et les contreparties commencent à se faire voir. C’est la dérive écologiquement désastreuse du plastique.

Comme un amour qui se fane, la relation humain-plastique a ses limites. Même si seule une faible quantité de pétrole, 4% de la consommation mondiale annuelle, est nécessaire à la production de plastiques, les scientifiques estiment qu’au rythme des années 2000, cette part atteindra 20 % en 2050. Les descriptions citées plus haut pourraient faire croire que les plastiques sont les champions du développement durable. Après tout, il permettent d’alléger bon nombre d’objets qui consomment bien plus d’énergie que la production même de plastique. Il faut par ailleurs plus de la moitié de l’extraction du pétrole mondiale pour nous chauffer. Malgré les nombreux avantages du plastique, il engendre une pollution depuis sa production en masse dans les années 50.

Nous nous retrouvons au milieu du 20ème siècle et au vu de l’ampleur qu’il a pris il devient difficile à traiter. La pollution plastique est omniprésente dans le monde. On le trouve dans tous les océans, dans les lacs et les rivières, dans l’atmosphère, dans les êtres vivants, dans les sols et les sédiments. Cette prolifération a été entraînée par la croissance rapide de la production et de l’utilisation du plastique combinée à des modèles économiques qui ignorent les externalités des déchets. Une forte augmentation de la consommation de plastique à usage unique et une culture du « jetable » ont augmenté le problème. Les systèmes de gestion des déchets ne procurent pas une capacité suffisante pour éliminer ou recycler tous

les déchets plastiques. Cela entraîne donc une inévitable pollution plastique dans l’environnement. Des études ont estimé qu’environ 8 millions de tonnes de macroplastiques* et 1,5 million de tonnes de microplastiques* pénètrent dans l’océan chaque année. Les amas de déchets plastique ont même engendré à eux seuls une nouvelle terre que l’on appelle le 7ème continent. Ce sont des zones d’accumulation de plastique, et si l’on fait référence à un continent cela est dû à l’étendue de ces zones. Ces déchets plastiques sont en dérive. Sous l’effet des gyres océaniques*, de gigantesque tourbillons se forme de manière inverse dans l’hémisphère Nord et dans l’hémisphère Sud. Les déchets plastiques se retrouvent alors emprisonnés dans l’Atlantique Nord et Sud, le Pacifique Nord et Sud et l’océan indien. On y retrouve surtout des micro-plastiques et du polyéthylène en surface, utilisés dans le secteur de l’emballage. Le plastique résistant mal au rayonnement ultraviolet et à l’abrasion des vagues, tous ces objets plus ou moins grands finissent par se fragmenter et devenir des microplastiques (4).

Série Totems, Totem # 5 © Alain Delorme. Shangai une ville polluée, dont les dechets sont ramassés pour être recyclé par « de petites mains ». Technique de photomontage pour accentuer la charge tirée.

(4) Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020 macroplastiques : Objet ou fragment de plastique dont la dimension externe est d’au moins 5 mm microplastiques :des plastiques inférieurs à 5 mm gyres océaniques : courants marins dû à la rotation de la Terre

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De plus, ce polymère est dangereux pour la santé. Il empoisonne les océans avec des effets destructeurs sur la faune et la flore sous-marine, mais pas que. Nous savons que près de 700 espèces marines ont ingéré ou se sont empêtrées dans du plastique et il est dorénavant avéré que le polymère se retrouve dans de nombreux organismes terrestres, y compris humains (4) . Nous mangeons l’équivalent d’une carte de crédit par semaine, davantage pour les plus carnivores d’entre nous. Certains plastiques sont reconnus pour être des perturbateurs endocriniens. Nous retrouvons ces perturbateurs dans des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle. Elles sont étrangères à l’organisme d’un être vivant et peuvent donc interférer et induire des effets délétères sur le fonctionnement d’un individu ou sur celui de ses descendants. Les sources d’exposition sont principalement l’eau et l’alimentation mais aussi l’air, or nous avons constaté que l’on peut retrouver des microplastiques dans ces trois endroits. Pour exemple, l’emballage plastique d’un aliment peut migrer, sous l’effet de la chaleur. L’environnement peut aussi être une cause de certaines contaminations face auxquelles l’emballage plastique est perméable.

Les déchets plastiques sont tout autant problématiques lorsqu’ils sont incinérés. Cette valorisation énergétique consiste à brûler les déchets pour produire de l’énergie. Toutefois, cette technique génère de la pollution atmosphérique lorsqu’on les incinère à ciel ouvert ou en incinérateur.

Il contribue aussi à l’anthropocène, cette nouvelle couche géologique créée par l’homme en un temps record et qui prouve son fort impact dans l’écosystème. Nous sommes rentrés dans une nouvelle ère, l’âge plastique qui surpasse les forces géophysiques.

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(4) Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020, page 28

L’Île aux fleurs, un court métrage de 1989, donne à voir les inégalités socioéconomiques du Brésil. A l’époque c’est le pays le plus inégalitaire au monde. Le film dénonce une dimension racial par le biais du chemin que parcourt une tomate plantée puis achetée et mise dans un sac plastique, elle est finalement jetée dans une décharge ouverte de l’île aux fleurs; proposé aux porcs puis laissée aux familles pauvres de la ville. Les emballages plastique sont présents dans le documentaire, je me permets donc d’en faire un parallèle avec les déchets plastiques. Il critique plus largement l’organisation de nos sociétés, bien que nous soyons tous humains, certains d’entre nous ne semblent pas avoir les mêmes droits que d’autres. L’Île aux fleurs, c’est le chaos d’un monde filmé et classé de données objectives sur un fond d’ironie. Tout cela aboutit à la décharge publique : les plus pauvres fouillent les ordures, vivent de ces déchets jetés par les plus riches. Le goût amère de ce visionnage est d’autant plus fort qu’il s’inscrit dans la logique, la vérité, le cours de ce monde qui est le nôtre, le chemin des déchets, du plastique jetable. Mais cette “normalité” n’est pas fataliste, alors même que les plastiques, nous l’avons vu, nous mènent la vie durement facile. Pouvons-nous déjouer et réparer ce malheureux destin d’une matière si révolutionnaire pour nos modes de vie ?

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Échantillon T22U.RFU

Cet échantillon nous vient tout droit de notre futur, sans autre information que sa simple présence : un avertissement.

Slow Architecture & Mobiterre

Oeuvre collaborative d’Olivia Frapolli, Sébastien Soulez-Larivière, Rachid Mizrahi, Miki Nectoux, matériaux : pisé léger et béton ©photoarchitecture

En forme de carotte géologique ce « totem » érige les couches avant l’humain, pendant et après l’humain.

II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques

a) Le plastoctoc - Rien n’est éternel, sauf le plastique. Pour savoir si un objet, quel que soit le matériau dont il est fait, est bon ou mauvais pour l’environnement, il faut le prendre en compte de sa conception à son élimination voir sa réutilisation.

Plus de 300 millions de tonnes de déchets plastiques sont produits dans le monde et ce chaque année. Il y en a quelque 11 millions qui finissent dans les océans, selon l’ONU (5). Le reste est déchargé dans les pays les plus pauvres. Sur le continent africain il y a, en plus des déchets plastiques, déjà beaucoup d’autres produits et matériaux dangereux comme les batteries, les composants électroniques. Yves Ikobo, le président de l’ONG congolaise Planète verte RDC, dans une interview pour le monde expose sa crainte de voir tous les déchets des pays industrialisés déversés chez eux. Pour ne pas “être la poubelle du monde”, des pays comme la Chine, les Philippines et la Malaisie ont interdit en 2018 l’importation des déchets plastiques sur leur territoire (6).

Dans un film documentaire tourné à Jardim Gramacho, la plus grande décharge à ciel ouvert d’Amérique latine, nous pouvons y voir la vie des catadores. Sur près de trois ans, Waste Land suit l’artiste Vik Muniz dans sa découverte de la périphérie de Rio de Janeiro. Les catadores sont une population marginalisée qui à recours à la cueillette de précieux matériaux recyclables dans les ordures jetées par ceux qui, au Brésil, ont plus de chance qu’eux. Ils jouent un rôle crucial et significatif dans la culture moderne

de surconsommation et d’élimination négligente. Avec une camaraderie remarquable et sous la direction d’un jeune cueilleur Tião, ils ont créé une coopérative pour mettre en commun leur travail et leurs ressources afin de maximiser leurs revenus. L’œuvre avait pour but de montrer l’entreprise de l’artiste Vik Muniz, de peindre les catadores* à l’aide des ordures qu’ils triaient. Seulement, à la suite de sa rencontre avec les travailleurs de la décharge, il décide de transformer le projet en une œuvre collaborative. Il photographie les cueilleurs individuellement sur leur lieu de travail, puis projette les images qu’il a capturées sur le sol d’un immense entrepôt à proximité. Ensemble, ils rassemblent les objets recyclables de la décharge sur les lignes des photographies afin de donner vie aux portraits. Ainsi le parallèle entre déchets, matière revalorisée mais surtout dignité dans un certain désespoir est posé sur le sol, pendant que les catadores commencent à ré-imaginer leur vie.

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Le film ne se contente pas de parler du pouvoir transformateur de l’art, mais reverse tous les profits des photographies aux catadores. Ils les utiliseront pour améliorer leurs conditions de vie, investir dans la coopérative, aller à l’école, maintenir leurs camions en état de marche et même construire une bibliothèque. Bien entendu les acheteurs sont ceux qui ont les moyens de s’offrir les œuvres. Ce sont les mêmes issus des pays qui déversent leurs déchets là où les décharges ne se voient pas. Le site Jardim Gramacho fut fermé en 2012, à l’approche de Rio+20, le sommet de l’Organisation des Nations Unies sur le développement durable.

Cette décision à laissé des milliers de ramasseurs sans emplois, alors même que les autorités et les entreprises avaient promis des formations en vue de reconversion professionnelle, et la mise en place de fonds destinés à réhabiliter le quartier.

Photographie extraite de l’exposition Objets Blessés au musée du Quai Branly, 2017. Le language de l’objet réparé semble plus familier que celui de l’objet parfait. Il est comme immortel.

(5) Résumé du bilan de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement (2020)

(6) AFP, L.M (2022) Un enjeu pour l’afrique : Ne Pas devenir « la poubelle du Monde « Des déchets plastiques, Le Monde

catadores : quelqu’un qui récupère des déchets réutilisables ou recyclables jetés dans le but de les vendre ou pour sa consommation personnelle

- II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques a) Le plastoctoc

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Masques de Romuald Hazoumé plastiscien bélinois, matériaux de récupération, entre 1989 et 2015. En utilisant les déchets éparpillé dans le monde, il dénonce l’hypocrisie et le déni des dirigeants mondiaux alors que l’urgence climatique frappe déjà l’Afrique.

ECTOPLASTIQUE - II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques a) Le plastoctoc

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Après l’usage du plastique, il y a donc son rejet dans les pays “poubelles” qui empoisonne et fait paradoxalement vivre les habitants. Les chercheurs ont constaté qu’en plus de soixante-dix ans, les humains avaient généré 8,3 milliards de tonnes de matières plastiques, sur ces quantités gigantesques, 6,3 milliards de tonnes sont dès à présent devenues des déchets, dont seuls 9 % ont été recyclés, 12 % ont été incinérés et 79 % accumulés dans des décharges ou dans la nature (7).

Pour ces 9%, je vous propose de nous attarder sur le processus de recyclage. Précédemment nous avons introduit la notion de recyclabilité du plastique. Tous ne sont pas recyclables, du fait de leur composition qui diffère et de la manière dont ils ont été créés. De plus, le plastique n’est pas recyclable à l’infini, comme certains voudraient nous le faire croire. Au fur et à mesure que la matière chauffe, car elle à besoin d’être refondue pour être recyclée, elle perd ses propriétés mécaniques. Le recyclage entier ne permet pas non plus de garantir l’hygiène de ce nouveau plastique. Il n’est donc plus utilisable pour un usage alimentaire, à part si l’on ajoute une part importante de polymère neuf. Comme tout matériau, le plastique se recycle donc par type, c’est-à- dire par famille, le PET (1) avec le PET (1), le PEHD (2) avec le PEHD (2)

etc. Et pour rappel il y a des milliers de formes différentes de plastique, dans des milliers d’applications. Il y a parfois même dans un seul objet en plastique plusieurs types de plastique. Pour exemple, une bouteille d’eau contient jusqu’à trois types de polymère différent, le corps de la bouteille en PET (1), le bouchon en PEHD (2) ou en PP (5) et l’étiquette en PEBD (4). Il faut trier tout ceci, les récolter, détacher les pièces plastiques, en refaire une matière première, donc parfois les broyer. Tout un processus long et coûteux, c’est pour cela que le bilan est aussi peu conséquent, 9% du plastique produit mondialement depuis 1950 a été recyclé.

Le mouvement Precious Plastic est né aux Pays-Bas suite au projet de fin d’études de Dave Hakkens. Celui-ci a développé des machines de recyclage de plastique et a créé une communauté qui s’étend aujourd’hui mondialement. De nombreux designers, ingénieurs, artistes et bénévoles reprennent l’idée grâce aux données d’informations « open source ». Ainsi, le projet Precious Plastic s’est développé et Dave Hakkens a pu créer des versions améliorées des machines. Celles-ci ont une multitude de variantes, certaines plus low tech que d’autres. La communauté s’est approprié le projet et le recyclage de plastique tend alors à devenir une pratique

ECTOPLASTIQUE - II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques a) Le plastoctoc

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plus artisanale et accessible. En effet la ligne directrice du projet est de réduire des processus industriels à échelle plus humaine et pédagogique. Ceci permet aux grands publics de se faire une meilleure idée de ce qu’est la matière plastique, sa dangerosité, sa complexité et sa flexibilité. En 2018, Miki Nectoux, un designer du sud de la France, dépose Precious Plastic Provence. Il met en place une remorque qui permet au projet d’être itinérant et ainsi d’aller au contact des écoles, des collectivités, des entreprises et de tous les curieux qui souhaitent apprendre et découvrir l’ambition de Precious Plastic. Il construit et achète au total sept machines permettant le recyclage de plastique : une scie à ruban, deux broyeuses (petite et grande version), un four (anciennement à pizza), une presse, une extrudeuse et une presse à injection manuelle. Les principales démarches employées par le projet sont la médiation, la création de matière première recyclée (copeaux de plastique), l’expertise et le développement de produit durable et issu d’un recyclage sourcé local. Une démarche appréciée mais qui a ses limites car le recyclage n’est pas chose facile, elle entraîne de nombreux coûts, énergétique, budgétaire, humain, et écologique. Il ne doit pas être un prétexte de production, toujours plus intensive de cette matière.

Avant même de réfléchir au recyclage, certains designers ré-emploient les déchets plastiques. Pour rester en provence, Stéphanie Dick, designer produit réutilise, sans transformer l’objet, les tuyaux d’arrosage agricole usagés. Par un moyen de tressage, elle réalise des cabas. Dans une approche d’économie circulaire le produit reste finalement à l’état de déchets. En effet, les kilomètres de tuyaux d’irrigation laissés pour compte par les agriculteurs sont simplement récupérés, lavés puis tissés.

La source de déchets plastique est si impressionnante qu’elle pourrait en décourager certains. Plusieurs choix s’offrent à nous, certains valorisent, recyclent, réutilisent quand cela est possible, d’autres enfouissent sous terre ou incinèrent. Beaucoup tentent de récupérer les déchets partis à la dérive dans nos océans, mais la tâche est longue et fastidieuse. On ne manque ni d’accords ni d’initiatives pour gérer la crise du plastique, mais toutes les mesures ou presque concernent uniquement l’élimination des déchets. D’autres essayent de trouver des alternatives à la source. Le but étant d’essayer de régler le problème à la source. Ainsi nous pourrions remplacer le plastique produit traditionnellement par de nouveaux plastiques, les bioplastiques. Entre mythe et réalité, est-ce que leur préfixe est un gage de propriété plus respectueuses de l’environnement ?

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nouvelles
(7) Thiberge, C. 2017, Depuis 1950, l’homme a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plastiques, Le Monde

Mobilier de scénographie du stand Creno, au salon SIRHA, 2023, matériaux plastique, PP (5), recyclé. Une création de l’association Milvi en collaboration avec Precious Plastic Provence.

Le design événementiel étant l’un des secteurs les plus polluants du design, il semble intéressant de proposer des solutions plus durables. Le mobilier une fois utilisé fera office de bar dans les bâtiments du groupe Creno.

II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques

b) Le bioplastique - Une hybridation entre l’artificiel et le naturel

Dès 1974, nous avions conscience que certains polymères étaient plus rapidement dégradés que d’autres. La recherche se penche davantage sur le sujet depuis plus de 20 ans pour pouvoir proposer des solutions de plastiques plus “respectueuses de l’environnement”. L’un des avantages des plastiques mais aussi l’un des défauts dans le cas présent c’est leur solidité et leur durée de vie presque infinie. Selon le matériau dont il s’agit, il peut falloir plusieurs centaines d’années à un morceau de plastique pour se décomposer naturellement.

Les bioplastiques sont une large catégorie de matériaux englobant les plastiques biosourcés, biodégradables ou les deux à la fois. Ils peuvent être fabriqués à partir de diverses sources, y compris des cultures comme le maïs, la canne à sucre, le coton, mais aussi le bois, les champignons et d’autres matières premières biologiques produites à l’aide de microbes ou d’algues. Certains plastiques biosourcés, tels que les PHA ou le PLA, sont biodégradables. Attention, il le sont dans des conditions environnementales spécifiques, il ne s’agit pas de les jeter dans la forêt et la nature fera le reste. D’autres, tels que le bio-PP ou le bio-PET, sont bio-basés mais restent chimiquement équivalents au PP et au PET. Les substituts biosourcés subissent

un procédé de fabrication similaire à celui des plastiques classiques, dans des usines à grande échelle qui les transforment en intermédiaires chimiques. Le bioplastique finit, contient entre 20 et 100 % de matières renouvelables, le reste est constitué de matières fossiles ou de matières recyclées.

Dans les emballages, des plastiques constitués de sucre de canne sont couramment utilisés, à la place du PET et du PE. Cette source cultivée en monoculture provient principalement du Brésil. L’usage de pesticides pour sa grande production a des conséquences directes sur les populations et l’écosystème. Certains de ces produits chimiques sont par ailleurs interdits en Europe afin de protéger les individus et les animaux de leurs effets toxiques. C’est dû à une forte pression monétaire internationale et à la suprématie d’entreprises au Brésil que la canne à sucre génétiquement modifié est employée dans ce type de bioplastique. D’autres matières agricoles sont utilisées pour les fabriquer, comme le maïs ou la pomme de terre. Eux aussi, relèvent d’une agriculture intensive. Nous reproduisons donc une industrie de surproduction, qui est celle du plastique, afin d’en créer une nouvelle, même si celle-ci est biologique (4).

ECTOPLASTIQUE - II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques b) Le bioplastique

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Fabrication de la chaise Kuskoa Bi en bioplastique de Alki designé par Iratzoki Lizaso, 2015 © Photo Iratzoki Lisaso (4) Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020, page 36

Le plastique biosourcé représente environ 1 % de la production totale du plastique, en 2017, soit 0,02 % des surfaces agricoles mondiales nécessaires à sa fabrication. En soit, une infime partie, seulement aux vu des prévisions de croissance de la production de plastiques, ce chiffre devrait augmenter. Nous savons que cela provoque déjà, dans certaines régions du monde, l’extinction d’espèces, la disparition des habitats naturels, des pénuries d’eau et beaucoup d’autres conséquences non viables. Est-ce envisageable d’étendre les cultures de matières premières agricoles pour produire du bioplastique ?

La biodégradabilité est la capacité d’un matériau à subir une dégradation sous l’action d’éléments vivants, microorganismes, notamment bactéries. Tous les éléments doivent être pris en compte, organiques, minéraux et climatiques etc. Pour rappel, dans de nombreux cas, le plastique est choisi en raison de la sécurité apportée par sa non-dégradabilité, notamment dans la protection alimentaire, la construction, le transport, etc. Dans les emballages biodégradables, les aliments peuvent être protégés pendant un temps limité, mais dans les tuyaux biodégradables, l’eau serait d’abord polluée puis perdue. Il faut donc penser à des applications intelligentes des plastiques biodégradables, il existe déjà les sacs pour déchets compostables, des emballages de produits frais à durée de vie limitée, des films pour l’agriculture. (2)

Pour exemple, Alki, une entreprise française de mobilier conçut dans une démarche de développement durable, a créé le Kuskoa Bi. Designé par Iratzoki Lizaso, cette chaise dont la coque est fabriquée en plastique biosourcé biodégradable est soit disant plus respectueuse de l’environnement. Le bioplastique utilisé est entièrement fabriqué à partir de ressources renouvelables d’origine végétale telles que l’amidon de maïs, la canne à sucre et la betterave. Elle serait donc entièrement biodégradable, pourtant en fin de vie du produit, il est recommandé de la confier à une déchetterie, en lien avec un composteur industriel. En effet, la résistance de la coque empêche de laisser la chaise à l’abandon dans un espace vert.

Ces bioplastiques biodégradables sont normés. Il est certifié mondialement qu’il peuvent être compostés, car le plastique doit être à 90 % dégradé au bout de 12 semaines à 60°C. Seulement la plupart des usines de compostage, qui accélèrent le processus, laissent les déchets se décomposer environ quatre semaines. Trop court pour ces nouvelles matières. La raison est que prolonger cette période perd son sens économique. En effet, puisqu’à la fin des 12 semaines, il ne reste rien qui puisse donner de l’humus. Il s’agit donc de simple élimination des déchets et non pas de valorisation de la matière afin d’en faire du compost. C’est pourquoi la majorité des plastiques biodégradables en Europe finissent par être incinérés (4).

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Vieux plastiques, nouvelles pratiques b) Le bioplastique

Nous pourrions prendre en compte l’ensemble du cycle de vie des plastiques biosourcés et biodégradables pour affirmer qu’ils ont un plus faible impact sur le climat que les plastiques dits “classiques”. Cependant, les modes de cultures conventionnels des substituts biosourcés provoquent ou contribuent à l’extrême acidification et surfertilisation des sols et de l’eau. Nous supposons les effets délétères des changements directs et indirects d’exploitation des terres ainsi que des organismes génétiquement modifiés. Ces alternatives sont encore en cours de recherche. Mais si ces problèmes se posent à cause d’une agriculture intensive dû aux pressions du marché et de la quantité de plastique à produire, n’est-ce-pas notre consommation qui est à ré-envisager ? Il s’agit d’abord de repenser notre usage du plastique avant de le substituer par un nouveau matériau ou un procédé miracle.

(2) Messika, L. et Couette, P. 2004, Plastic no plastic. Paris: L’Archipel, page 7

(4) Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020, page 36.

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ECTOPLASTIQUE

II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques

c) Le prastique - C’est un changement de pratique qui s’impose. Mais comment réduire la production et notre consommation de plastique ?

La production de matières plastiques ainsi que l’économie mondiale sont toutes deux liées au secteur pétrolier. Et le marché est détenu par des multinationales. Bien entendu, les gérants du pétrole ne souhaitent pas une limitation de la production, bien au contraire. Ils visent une croissance encore plus rapide du plastique. Les entreprises du secteur mettent tout en œuvre pour agrandir les unités de production et en construire davantage. L’objectif serait qu’en 2025, il y ait 40% de matière en plus commercialisée. Pour exemple, en 2019, la production de plastique atteignait, à l’échelle mondiale, 368 millions de tonnes. Alors même que la surproduction de cette dernière est l’une des principales causes de la pollution plastique (4). Par conséquent, lutter contre la pollution plastique implique nécessairement la réduction de la consommation mais aussi de la production de ce matériau. Ainsi nous nous attaquerions à la source du problème. Si, nous l’avons vu dans la première partie, beaucoup de secteur utilise le plastique pour des raisons de sécurité (médicale, électricité etc), nous pouvons classifier ces utilisations des plus ou moins utilisées. Alors nous nous apercevons qu’une grande part du problème réside dans le plastique jetable issu de l’emballage. En effet, 40 % des déchets plastique retrouvés abandonnés dans la nature sont issus de l’emploie d’emballage jetable dans notre mode de (sur)consommation. Les solutions

supposent donc en réalité d’abandonner le tout-jetable. Elles impliquent ainsi de nouveaux modèles économiques et d’autres habitudes de consommation. Face à une liste des usages des ustensiles plastiques qui s’allonge : pailles, couverts, plateaux-repas, boîtes et bâtonnets mélangeurs pour boissons, etc. ; les règles durcissent avec le premier volet d’une loi issue des États généraux de l’alimentation (EGalim) et qui interdit les éléments cités plus haut dès 2020 en France. Les barquettes de cuisson et les bouteilles d’eau en plastique sont également interdites dans la restauration scolaire à cette occasion.

Le premier janvier 2023, avec la loi anti gaspillage pour une économie circulaire, nous avons connu un changement dans tous les établissements de restauration rapide servant plus de 20 couverts simultanément. En effet, la vaisselle lavable et réutilisable y est devenue obligatoire pour la consommation sur place. Notons la réussite de quelques chaînes de fast food tel que Mac Donald’s à mettre en place un dispositif qui fera parler de l’interdiction, sans pour autant rencontrer l’enjeux du réutilisable (vols de la vaisselle mise en place). Dans cet exemple, l’expérience consommateur est biaisée par le fait de jeter les contenants réutilisables dans les mêmes poubelles destinées auparavant aux emballages jetables.

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II - Vieux plastiques, nouvelles pratiques c) Le prastique

De nombreuses associations se multiplient pour développer des alternatives.

L’organisme zéro waste sensibilise le public et les particuliers, par le biais d’associations dans le monde entier. Les principaux gestes à adopter sont par exemple la vaisselle réutilisable, l’achat en vrac pour l’alimentaire, les cosmétiques sans emballages etc.

De manière plus pragmatique, des initiatives tentent de répondre aux enjeux législatifs et environnementaux en proposant des alternatives aux emballages jetables. En Provence, notons deux projets innovants mais répandus sur le reste du territoire français. Afin de limiter la consommation de plastique à usage unique, l’initiative Dinette.app propose aux restaurateurs de vente à emporter mais aussi à la restauration collective, la mise à disposition de contenants en verre consignés grâce à une application. Le service est donc gratuit pour les consommateurs et moins onéreux que du jetable pour les commerçants.

À mesure que les citoyens adoptent ces habitudes et ces pratiques, des acteurs locaux se développent. Si les initiatives doivent désormais s’étendre, elles doivent être soutenues et accompagnées de mesures structurantes à toutes les échelles. C’est-à-dire des lois, réparties de manière mondiale, nationale et plus locale. Afin de continuer en ce sens pour réduire puis interdire les emballages à usage unique. Pour exemple, il faudrait durcir les taxes des multinationales, les obliger à réduire leur déchets, multiplier les contrôles etc. Le plastique n’est pas jetable, donc arrêtons de le jeter. Sans changer de paradigme sur l’utilisation et la fin de vie des plastiques, des conséquences, déjà modélisées, nous attendent.

Création anonyme d’un utilisateur de twitter, qui salut le design de la vaisselle Mcdonald’s, 2022.
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(4) Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020, page 32. Vieux plastiques, nouvelles pratiques c) Le prastique

III- Les archéologues du futur

a) La plastologie - Une prospection scientifique pour des estimations d’avenir

(8) Les perspectives mondiales des plastiques de l’OCDE sont une étude réalisée avec des scientifiques et des politiques afin de déterminer au mieux les futurs possibles de cette matière et d’en dégager des scénarios d’action. Elle permet de comparer deux scénarios pour déterminer les politiques nécessaires et les implications économiques de la réduction drastique des plastiques. L’OCDE est une Organisation de Coopération et de Développement Économiques, autrement dit une organisation d’études dont les pays membres sont des pays développés qui tentent de trouver une meilleure économie de marché. Le document pourrait être destiné à servir les intérêts des producteurs de plastique. Nous ne décortiquons pas les solutions politiques proposées. D’autant plus que nous en avons évoqué un bon nombre dans le chapitre précédent. Cette étude se base sur des simulations incluant des données

actuelles sur la production de plastique. D’ici 2060, poussé par la croissance démographique et économique, l’utilisation des plastiques au niveau mondial pourrait presque tripler. Si les pays les plus riches vont devoir doubler leur utilisation de plastiques c’est en Asie et en Afrique subsaharienne que les augmentations attendues seraient le plus remarquables. En conséquence, les déchets plastiques devraient également augmenter. Et leur traitement reste au même pourcentage. Les plastiques dits premiers continueront de dominer la matière première, et les plastiques recyclés dits secondaires ne représenteront que 12 % de tous les plastiques.

Les macros et microplastiques répandus dans l’environnement atteindraient 44 millions de tonnes par an, tandis que l’accumulation de plastiques dans l’océan va plus que tripler, aggravant davantage les incidences sur la santé et l’environnement. Nous pourrions donc

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futur a) La plastologie
du

facilement imaginer des crises sanitaires et écologiques de plus en plus fortes. Toujours dû à la phase de production des plastiques, les multiples impacts environnementaux cités plus haut devraient s’accentuer. Les émissions de gaz à effet de serre du cycle de vie des plastiques vont plus que doubler, passant de 1,8 gigatonnes d’équivalent dioxyde de carbone à 4,3. Si nous ne prenons pas en compte la suite du rapport c’est qu’il décrit seulement deux solutions politiques à ces multiples effets. La première étant la promesse de réduction des fuites de plastique dans l’environnement, la seconde étant de limiter les déchets plastiques. Or il n’est jamais souligné dans le rapport l’arrêt total ou partiel de la production et de la consommation de plastique.

(9) En Indonésie, Muhammad Reza

Cordova prévoit de cultiver des organismes qui pourraient se nourrir de plastique. Dans une démarche de future gestion des plastiques, le biologiste marin pense que les enzymes de certains microbes pourraient aider à recycler certains types de plastique. Plus communément, ce sont des produits chimiques industriels qui sont parfois utilisés pour décomposer les plastiques. Mais l’utilisation d’enzymes, protéines qui accélèrent les réactions chimiques, serait potentiellement une approche nécessitant moins d’énergie, donc plus verte. Le biologiste structurel de l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni, John McGeehan, déclare même que «La nature est le recycleur le plus étonnant car elle ne gaspille rien». Nous pourrions donc imaginer que, dans le futur, il existera des

bactéries capables de se développer en se nourrissant de plastique.

Si les prospections scientifiques sont un bon moyen d’imaginer notre monde futur, les solutions décrites dans le chapitre précédent sont d’autant plus à envisager. L’être humain s’adapte, notamment face à la pénurie de pétrole, qui pourrait engendrer une difficulté et une augmentation de production des plastiques. Pour faire réagir le monde et influer une prise de conscience collective, certains artistes, designers et architectes ont projeté, et ce au cours de l’ère du plastique, des scénarios résultant des comportements de l’homme face au plastique.

(8) Global Plastics Outlook : Policy Scenarios to 2060, OECD iLibrary, 2020 (9) Science, 2021, The plastic eaters, Vol 373, Numéro 6550, pages 36-39

41 ECTOPLASTIQUE - III- Les archéologues du futur a) La plastologie

III- Les archéologues du futur

b) Le plasticien - Lorsque les artistes, les designers et les architectes imagine le futur du plastique

La maison du futur de monsanto, était une attraction de Tomorrowland à Disneyland en Californie. Elle fut ouverte au public de 1957 à 1967. Monsanto était une entreprise active dans le secteur chimique et des biotechnologies du secteur agricole très controversé dont le domaine d’activité principal était alors la production de plastique. Alors même que nous découvrions les avancées techniques du plastique à l’époque, cette attraction a su être avant-gardiste. En effet, l’intégralité de l’ossature de la maison, en forme de croix, était en plastique. A l’intérieur, y était présenté une multitude d’objets ménagers en plastique. Le sol, les murs, les meubles... tout représentait le futur des années 2000.

A partir de ce domicile individuel imaginé dans les années 50, nous pouvons faire un parallèle avec l’un des pavillons de l’exposition universelle de Shanghai de 2010. Le pavillon Urbain est composé de cinq présentation décrivant chaque aspect important de la vie dans la ville.

Les thèmes abordés sont le travail, le domicile, la connexion, l’apprentissage et la santé. Nous noterons l’omniprésence du plastique dans l’usage et la construction de certaines œuvres. La plus marquante étant l’étalage de caisse en plastique pour le transport de bouteille qui forme le grand ensemble d’une zone résidentielle. Ces immeubles “cage à lapin” font écho à la dérive et l’accumulation de plastique dans notre ville.

Autofossiles, une création du collectif Lucie Lom, 1999, © Photo Jef Rabillon Trente cinq voitures fossilisées surgissent en une nuit du sous sol d’une ville. Poussée tellurique ? Fuite de gaz ? Les habitants s’interrogent, tandis que les archéologues balisent les lieux.

42 ECTOPLASTIQUE - III-
Les archéologues du futur b) Le plasticien

(10) L’épopée plastique du XXe et du XXIe siècle a donc su stimuler l’imagination des designers et des architectes. Dans une de ses expositions, le Vitra Design Museum à Weil-am-Rhein retrace ces heures de gloire, s’interroge quant à l’avenir de ce matériau et montre la nouvelle impulsion des designers face aux controverses. Jochen Eisenbrand, commissaire de l’événement « Plastic : Remaking Our World » tente de “redorer l’image de cette matière coupable de nos malheurs”. La déambulation est simple, nous passons de ses débuts à son expansion, de son impact environnemental aux solutions apportées.

Dès le départ de l’exposition nous tombons nez à nez avec installation vidéo qui montre les nombreux conflits liés à la production et à l’utilisation du plastique. Les ressources fossiles comme le charbon et le pétrole ont pris plus de deux cents millions d’années à se former, tandis que les plastiques ont mis un peu plus d’un siècle pour devenir un problème à l’échelle planétaire. Cette matière à d’une part, démocratisé la consommation, d’autre part, donné naissance à une frénésie du jetable.

De cette introduction alarmiste, découle l’évolution des polymères jusqu’à nos jours. Dans le secteur du meuble, l’exposition présente la Ball Chair (1963)

d’Eero Aarnio et la Moon Lamp (1969) de Gino Sarfatti.

Plastic : Remaking Our World, nous pousse ensuite à nous demander comment surmonter la crise mondiale des déchets plastiques. Ainsi, le troisième volet de l’exposition présente l’apport de solutions concrètes par les designers. Dans cette section, nous y retrouvons des projets tels que Everwave, The Ocean Clean Up, The Great Bubble Barrier. Ces derniers ont développé des filtres pour les déchets plastiques des rivières et des océans. Nous trouvons des objets également comme la chaise Rex conçue par Ineke Hans. Elle peut être retournée au fabricant pour réparation ou recyclage. Quant à la bouteille en plastique, elle sert d’étude de cas afin de démontrer que la réduction de plastique à usage unique nécessite une multitude d’infrastructures. Pour ce cas, des systèmes de consigne ainsi que des fontaines à eau et d’autres alternatives existent.

L’exposition du Vitra Design Museum met l’accent sur les avancées du recyclage du plastique, mais aussi des bioplastiques. Plastic : Remaking Our World aborde l’ensemble du plastique et son rôle dans notre monde ; en analysant comment nous sommes devenus si dépendants d’eux.

44 ECTOPLASTIQUE - III- Les archéologues
du futur b) Le plasticien

Ainsi nous pouvons imaginer de nouveau un avenir possible pour ce matériau controversé.

Les artistes de la Plastic Art Fair vont encore plus loin en proposant des œuvres plastique entre artéfact, mystique, primitivisme et fossiles toxiques. Ce collectif sensibilise sur la pollution des plastiques et collabore avec plusieurs artistes en créant des œuvres plurimédia. L’artiste James Shaw explore les propriétés matérielles du plastique sauvage récolté sur les bords de mer. En invoquant des formes primitives issues de l’antiquité. Il créent des artefacts obsolètes et précieux qu’on associe aux rituels du passé. Ces objets ressemblant à des chandeliers et des vases sont une tentative, presque mystique, qui nous interroge sur le rôle du plastique dans notre civilisation. Charlotte Gautier Van Tour compose quant à elle avec des filets de pêches qu’elle fige comme des sculptures inquiétantes. “En chauffant, les fils se rétractent, se tordent, presque comme une danse”. Le plastique se métamorphose sous l’effet de la température. Il est désormais momifié, comme sédimenté par une soudaine accélération du temps.

Si les prospectives artistiques rendent hommage mais dénonce également le plastique, nous constatons que les méthodes de projections divergent. Dans une utopie ou une dystopie d’un monde en cours de transition, nous constatons que nous sommes aux croisement d’une nouvelle ère. Qu’adviendra-t-il après cette traversé de la folle aventure du plastique ?

(10) Opening of the vitra exhibition «plastic: Remaking our world», 2022, Professur Nachhaltiges Bauen

45 ECTOPLASTIQUE - III- Les archéologues du futur b) Le plasticien
Oeuvre de James Shaw © Plastic Art Fair

III- Les archéologues du futur

c) L’ectoplastique - Et si on allait encore plus loin ?

L’homme se fait servir par l’aveugle matière.

Il pense, il cherche, il crée ! A son souffle vivant les germes dispersés dans la nature entière. Tremblent comme frissonne une forêt au vent !

Le plastique nous a rendu tant de service que nous en sommes devenus des consommateurs frénétiques. L’amour rendant aveugle, l’être humain a su se surpasser pour créer ce matériau et en faire une substance incontournable, comme existentielle. Mais les débris que le plastique a laissé font désormais défaut à tout un écosystème. Nous tremblons face à son expansion, ne sachant comment cela va se terminer. Cette interprétation d’un extrait de texte écrit par Victor Hugo est l’une des premières images du chant du styrène.

C’est le groupe français Péchiney qui en 1958 a commandé et financé ce court métrage. L’usine de plastique filmé par Alain Resnais s’offre une œuvre à la gloire de leur noble matériau. Seulement, le titre semble révéler une critique, un chant mortellement envoûtant. En effet, si le chant des sirènes permet d’attirer puis de faire échouer les marins contre les rochers, le plastique en a tout autant le pouvoir. Sur un fond de propagande, le plastique est esthétisé comme un être

vivant qui s’élève et pousse partout. Cette interprétation métamorphique du plastique peut être extrapolée. Dans ce contexte catastrophe nous pourrions très bien imaginer ce dernier scénario dans un projet de design événement, légitime pour faire choc. A la frontière avec le design fiction, ce projet jalonné d’exagérations rendrait compte d’un avenir plastique dystopique. Une matière qui aurait bel est bien, au sens propre, envahit la planète. Puiser dans les informations précédentes et concrètes du mémoire nous permet d’envisager un futur possible. Afin de dénoncer la négativité de son utilisation actuelle. C’est une prospective imaginée et appuyée sur une rétrospective des modes de vie passés et présents.

Pratique plastique, recherche de forme pour une collection de luminaire nommé fossile, 2022, avec Elouan Tran Ba Tho, Chloé Tran-duc et Quentin Wattebled.

50 ECTOPLASTIQUE - III- Les archéologues du futur c) L’ectoplastique

Les avancées de la santé et du médical pourraient permettre d’implanter au sein même des êtres vivants de nombreuses matières synthétiques. Et puisqu’au début du XXIe siècle nous faisions déjà des valves cardiaques artificielles en polyester (plastique), cette substance s’est retrouvée de plus en plus dans le corps des humains. Si fière de sa création, il a fini par devenir en quelque sorte un être plastique. Cela étant accéléré par les aliments emplis de microplastique et ingérés par l’humanité toute entière. L’hybridation homme-plastique est une prospective envisageable et cohérente d’un point de vue sanitaire. Le plastique pourrait également muter avec l’aide des microbes trouvés par le biologiste Muhammad Reza Cordova. A force de nourrir ses derniers de polymères, il se serait transformé comme une dégénérescence ou une évolution en un être semi artificiel. L’idée que l’on devient ce que l’on mange prend sens, c’est alors que l’artificiel deviendrait en quelque sorte naturel.

Ces deux exagérations permettent de faire le lien ou tout du moins d’amorcer les problèmes d’ordre sanitaire qu’engendre déjà à l’heure actuelle le plastique.

De même que les conflits pourraient s’accentuer entre les pays dans lesquels sont déversés les déchets plastiques entre autres. Une guerre pourrait éclater entre les deux hémisphères et provoquer des oppositions irréversibles. Ainsi nous pourrions assister à un exode conséquent des êtres humains. Pour aller où ? Le plastique sera accumulé sur toutes les surfaces terrestres. Rendant difficile les déplacements, les premières sources d’amas plastique étaient le 7ème continent et les énormes décharges à ciel ouvert.

Ce fait fictionnel, appuie sur l’énorme impact de ces déchets et donc du plastique sur l’économie, la vie et l’environnement de notre monde. Si il y a conflits, jusqu’à l’exode et dû à une seule matière, c’est bien qu’elle a pris une part trop importante dans notre quotidien. De plus, la planète étant un espace fini contrairement à la production et à la durée de vie du plastique, rendre compte de sa quantité est un moyen de nous en faire prendre conscience. Car si les chiffres sont alarmants, et qu’à l’heure actuelle nous voyons quelques plastiques s’accrocher aux arbres, imaginer un monde dans lequel il sera difficile de nous déplacer à cause de la place qu’occupe physiquement le plastique, nous pousse à nous interroger.

52 ECTOPLASTIQUE - III-
Les archéologues du futur c) L’ectoplastique

Ce scénario tient peut-être de la fantasmagorie mais il pourrait, par le biais d’une dystopie, dénoncer l’action des hommes sur le plastique, ou plutôt son inaction. L’espoir de jours meilleurs, serait une dernière partie du projet et un parallèle à ce qui est préférable pour l’avenir de nous même et de ce matériau. Un dénouement heureux est donc envisagé dans l’événement pour donner à voir des perspectives positives. Les réponses aux problèmes soulevés dans la première partie de ce mémoire et décrites dans la deuxième, pourront être exposés ainsi que les acteurs de ses solutions. Le visiteur pourra prendre part au changement en s’informant ou se dirigeant vers des structures locales qui résolvent l’épineux problème du plastique.

53 ECTOPLASTIQUE - III- Les archéologues du futur c) L’ectoplastique

Pratique plastique, expérimentation de la matière, 2022, stage chez Precious Plastique Provence, avec Elouan Tran Ba Tho, Chloé Tran-duc et Quentin Wattebled.

Nous avons pu le constater tout au long de ce mémoire, le plastique est ancré dans le temps et dans les esprits. Si ses débuts suscitent l’enthousiasme, il n’a pas fallu longtemps pour découvrir les contreparties de ce matériau innovant. Et puisqu’il est si pratique et peu coûteux, nous avons du mal à nous en débarrasser. En effet les points de vue divergent et ce qui sert les intérêts des uns, dessert l’intérêt de tous. Les lobbies qui défendent les industries du plastique affrontent ceux qui défendent l’environnement. Grâce à ces oppositions, des solutions émergent. Recycler permet d’atténuer le problème, mais ce n’est pas une solution suffisante à long terme si nous considérons produire toujours plus de plastique. De même, substituer un produit plastique jetable par un autre produit à usage unique dont la composition serait différente (bioplastiques), ne signifie pas nécessairement un impact

environnemental réduit. Il peut même entraîner l’effet inverse et causer d’autres problèmes d’ordre écologiques. Pour endiguer la production croissante du plastique, il faut avant tout cesser de le consommer. Notre surconsommation est souvent liée aux types de pollutions, et si nous attaquons majoritairement les emballages plastiques c’est qu’ils sont principalement à usage unique. Afin de conduire à une prise de conscience puis de décision, les domaines scientifiques mais aussi artistiques mettent en œuvre des prospections plus ou moins alarmistes. De telle manière, imaginant le monde de demain, nous sommes plus aptes à décrire ce que nous voulons qu’il advienne ou non. Ainsi le projet de design fiction que nous proposons, entre dans ce cadre prospectif et dénonciateur d’un monde non souhaitable.

Pré(sur)face

Demain, c’est aujourd’hui. Nous avons dû quitter cette terre qui était autrefois la nôtre. Nos ancêtres vivaient dans un monde dans lequel la production de plastique n’a fait que croître, et où cette matière les a bel et bien envahi. Il y a eu de graves problèmes écologiques et sanitaires, rendant la vie sur terre impossible au fil des siècles. Il paraît que les modes de vie, de consommation et de production seraient la cause de cette désertification humaine. Le plastique comme grande invention mais aussi grande désillusion, a eu raison de la folie des hommes. Il a fini par prendre trop de place et a engendré bon nombre de maladies mais aussi de conflits. Des archéologues ont trouvé une substance qu’ils ont nommée ectoplastique. Nous sommes dans l’après « ère du plastique ». Quel est donc cet artefact venu du futur présent ?

57 ECTOPLASTIQUE - Conclusion et pré(sur)face

Sources et références

Livres :

Thommeret, R. 2014, Plastiques & Design, page 1 - 92. Paris: Eyrolles

Messika, L. et Couette, P. 2004, Plastic no plastic. Paris: L’Archipel

Guidot, R. 2006, Industrial Design Techniques and Materials, page. 214 - 263. Paris: Flammarion.

Documents :

Résumé du bilan de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2020

Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020

Global Plastics Outlook : Policy Scenarios to 2060, OECD iLibrary, 2020

Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relative à la réduction de l’incidence sur l’environnement de certains produits en plastique, COM/2018, Lex - 52018PC0340 - en - EUR-lex

Dossier de presse :

Opening of the vitra exhibition «plastic: Remaking our world», 2022, Professur

Nachhaltiges Bauen

Journaux :

Science, 2015, Evaluating scénarios toward zero plastic pollution, Vol 347 , Numéro 6223, pages 768 - 771

Science, 2021, The plastic eaters, Vol 373, Numéro 6550, pages 36-39

Sites internet :

Thiberge, C. 2017, Depuis 1950, l’homme a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plastiques, Le Monde

AFP, L.M, 2022, Un enjeu pour l’afrique : Ne Pas devenir « la poubelle du Monde

« Des déchets plastiques, Le Monde

Documentaires/ Films :

Le Chant du Styrène, 1958, Alain Resnais

L’ina éclaire l’actu, INA, les années 80, ina.fr

L’île aux fleurs, 1989, Jorge Furtado

Waste Land, 2010, Lucy Walker

Cash investigation, (2018), Plastique : la grande intox

Musiques :

Le plastique c’est fantastique, Elmer Food Beat, 1990

Le plastique c’est dramatique, Elmer Food Beat, 2019

Mémoire de Diplôme supérieur d’arts appliqués, spécialité design mention espace - événement Promotion 2021-2023

ECTOPLASTIQUE - Par l’histoire des usages et en tenant compte de ses changements de valeurs, quel sera l’avenir du plastique ?

Maïwenn Humbert Chevalier Février 2023

REMERCIEMENTS

Merci aux membres du jury pour leur attention et leur lecture. Merci à mes professeurs de l’esdm de marseille pour leur soutien au cours de ces deux années de master. Un merci particulier à monsieur Muller qui a toujours montré beaucoup d’enthousiasme et d’intérêt dans mes projets. Je remercie également mes camarades de classe (les produits, les graphistes et les espaces) et surtout mon amie Chloris Jourden qui me pousse sans cesse à faire de mon mieux. Un grand merci à mes anciennes camarades de licence, Firdaws, Sara et Eva qui sont devenues bien plus que des amies. Un merci chaleureux à Miki pour son soutien, son expertise, sa motivation et pour m’avoir nourri quand je n’en avais pas le temps. Je remercie enfin ma famille pour leur relecture mais aussi pour avoir attendu de mes nouvelles pendant de longues semaines.

MOTS CLÉS

matières plastiques, ectoplastique, paradigme, histoire, innovation, techniques, pollution, déchets, écologie, santé, microplastique, recyclage, réemploi, valorisation, alternatives, bioplastiques, biosourcé, biodégradable, usages, surconsommation, réduction, futur, sciences, design, prospectives, utopie, dystopie, artefact

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