Architecture prospective - S'engager pour un avenir durable

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ARCHITECTURE PROSPECTIVE S’ENGAGER POUR UN AVENIR DURABLE BAJARD Maxence

Enseignement sous la direction de Théa Manola Rapport encadré par Hengameh AMINI PIRHOSSEINLOO Année 2018 - 2019


I AVANT-PROPOS

Illustration de couverture : Croquis réalisé spécialement pour la couverture de cet ouvrage.


On considère souvent la curiosité comme un vilain défaut, mais je pense que bien au

contraire, la curiosité nous pousse à connaître, comprendre, observer et à nous ouvrir au monde. C’est cette perpétuelle soif de savoir qui m’a guidé toute au long de ma formation et plus généralement tout au long de ma vie. L’architecture n’a pas toujours été au centre de mes préoccupations, mon parcours est marqué par certaines expériences complémentaires qui m’ont permis de grandir et façonner ma vision actuelle. Porté sur les sciences de l’ingénierie et le domaine de la construction plus que sur le domaine de l’architecture mon Baccalauréat des Sciences et Technologies de l’Industrie et du Développement Durable (STI2D) option Architecture et Construction fini par me formater aux métiers de la construction. C’est pour cette raison que je poursuivis mes études vers un Brevet de Technicien Supérieure en Bâtiment. Cet enseignement très technique, proche de la réalité du chantier fit germer en moi une certaine maturité. Le travail d’équipe, la rigueur, la prise de responsabilités, la planification ou encore l’expertise technique sont des qualités nécessaires pour exercer dans un domaine comme la construction. Bien que le monde du bâtiment semble se résumer au domaine du gros œuvre, cette formation m’a permis de me sensibiliser à divers domaines comme la mécanique structure, la topographie, l’économie du bâtiment, la gestion de chantier ou le dessin technique. Malgré tout, je me sentais enraciné dans un univers qui manquait cruellement de créativité et qui à terme finirais par endormir ma curiosité. Cherchant un métier me permettant de m’exprimer tout en restant dans ce domaine qui me fascine. Je vois en l’architecture la parfaite conciliation entre technique et artistique. Fort d’une expérience professionnelle dans un cabinet d’architecture comme dessinateur projeteur. Je me passionne peu à peu pour le métier d’architecte et trouve-en cette profession un réel engouement. A la fois artiste, historien, sociologue, commercial ou même technicien, l’architecte cumule les connaissances et ne cesse de nourrir sa curiosité. J’ai tout de suite été très sensible à ce potentiel et c’est pour cette raison que j’ai voulu en faire ma vocation et que j’ai intégré l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble.

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II SOMMAIRE

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ARCHITECTURE PROSPECTIVE

S’ENGAGER POUR UN AVENIR DURABLE

I AVANT-PROPOS

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II SOMMAIRE

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II I

INTRODUCTION

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IV

LE CONTEXTE POUR FAÇONNER L’ARCHITECTURE

• ANALYSER, EXPÉRIMENTER, ET COMPRENDRE LE SITE 10 • S’ADAPTER ET EXPLOITER L’ENVIRONNEMENT 12

V

ÉDIFIER ET ASSEMBLER DE MANIÈRE RAISONNÉE

• CHOISIR AVEC APPLICATION LA MATIÈRE À TRAVAILLER 18 • PENSER PUIS PLANIFIER LA MISE EN ŒUVRE DE LA MATIÈRE 20

VI

PROJETER L’ARCHITECTURE DANS LE TEMPS

• PRODUIRE UNE ARCHITECTURE PÉRENNE 26 • DEVANCER LE DÉCLIN ARCHITECTURAL 28

VII

CONCLUSION :

VIII BIBLIOGRAPHIE

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III INTRODUCTION

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Ma fascination pour l’architecture réside depuis toujours dans sa capacité à transcender les époques, s’offrant ainsi d’une génération à une autre. Grecque, romaine, moyenâgeuse, classique ou moderne, les différentes ères architecturales perdurent et forment aujourd’hui notre patrimoine. A mes yeux, l’architecture est comparable à un livre dans lequel les civilisations ont inscrits leurs réalisations et leurs réflexions passées. A travers les vestiges, les monuments et les villes, nous pouvons imaginer quelles étaient les relations sociales, le contexte économique, les avancées technologiques des générations qui nous ont précédés. Lecteur et auteur de cet ouvrage, l’architecte doit prendre note de ce savoir et en faire une véritable source d’inspiration pour continuer à écrire l’histoire architecturale. Ces trois années de formation au sein de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, m’ont permis de développer une vision personnelle de l’architecture. Je souhaite continuer à écrire l’histoire de l’architecture en adoptant une position qui préserve notre environnement pour nous assurer un développement durable. Le réchauffement de la planète, la croissance de la population et la diminution des ressources naturelles sont des problèmes qui menacent notre évolution. Problèmes incontestablement lies aux modes de vie humains actuels qui nous poussent à la consommation. Le changement doit se traduire par une approche orientée vers l’avenir qui vise à modifier notre manière de consommer et trouver un équilibre avec notre environnement. Il est donc nécessaire de trouver de nouvelles identités architecturales pour nous permettre de faire plus avec moins. C’est pour cette raison que je souhaite développer une ‘‘ architecture prospective ’’ , qui a pour objectif de préserver notre environnement et notre avenir, mais aussi de produire des édifices qui puissent perdurer. Selon moi, l’architecture doit trouver sa place dans le cycle contextuel existant. L’histoire, la culture, la politique et l’environnement, vont servir de support à la pensée du projet. Elle doit s’ancrer dans son milieu en intégrant toutes ces dynamiques pour imaginer des œuvres sensibles au lieu dont la forme réponde à sa fonction et à son besoin. L’architecture n’est alors pas créée, mais tout naturellement découverte au fur et à mesure que l’on fait l’expérience du lieu. Pour poursuivre cette architecture, il est essentiel d’adopter une approche constructive qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Une architecture rationnelle dont chaque geste est mesuré de sa mise en œuvre à son développement future. Considérer d’une part la minimisation de la consommation d’énergie en s’attachant aux détails, aux matériaux et aux espaces pour créer une structure claire sans superflu. Et d’autre part construire des bâtiments dans une optique d’évolutivité pour privilégier une pensée écologique et durable au détriment d’une perspective énergivore et non économe de démolition. A l’aube d’un déclin environnemental, il est vital de réviser notre manière de vivre et de bâtir avant qu’il ne soit trop tard. Il faut réussir à conjuguer éco-conception avec qualité architecturale. C’est pourquoi, en tant qu’étudiant en école d’architecture, je m’intéresse à comprendre comment établir une architecture orientée vers l’avenir ? Pour définir cette vision personnelle de l’architecture et mon positionnement concernant une ‘’architecture prospective‘’, je vais me concentrer sur une approche qui s’est construite durant mes trois années de licence, la décrire et l’analyser. Mon propos sera étayé par certaines références ou expériences théoriques, pratiques et projectives. Premièrement, j’expliquerai comment l’architecture est conditionnée par son contexte. Puis, je développerai les raisons pour lesquelles je pense que l’architecture durable doit être conçue de manière raisonnée. Pour finir nous verrons comment cette architecture peut évoluer dans le temps.

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IV LE CONTEXTE POUR FAÇONNER L’ARCHITECTURE

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ANALYSER, EXPÉRIMENTER, ET COMPRENDRE LE SITE Ma véritable rencontre avec l’architecture eu lieu durant la semaine d’immersion intensive d’entrée à l’école d’architecture de Grenoble encadré par Pascal Rollet. Cette découverte a bouleversé mon approche personnelle de l’architecture et m’a permis de poser les bases des enjeux auxquels j’ai choisi de faire face en m’engagent dans la profession d’architecte. En effet, pensant que le métier d’architecte était tout d’abord destiné à bâtir selon une simple approche fonctionnelle, j’ai commencé à développer un esprit critique vis-à-vis de cette discipline. Ce déclic m’a fait prendre conscience de notre rôle dans la société et l’importance de comprendre le contexte pour ne pas créer une architecture vide de sens. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à accorder beaucoup d’importance à la lecture du contexte dans lequel on est amené à produire une architecture. Je tente de développer une approche architecturale ou ma production est conditionnée de manière presque intuitive par cette lecture. Faire l’expérience du lieu est pour moi la toute première étape du projet d’architecture. Elle permet de développer des connaissances par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde 1. Ce recensement de matière à projet est source d’inspiration, il peut être sensible, culturel, environnemental et même historique. Travailler avec le contexte permet d’aller plus loin qu’une simple approche fonctionnelle de l’architecture. L’architecture habite le paysage est c’est pour cela qu’elle doit être en lien avec ce qui l’entoure. J’ai découvert cette notion d’habiter durant les cours de sciences humaines et sociales menés par Céline Bonicco sur les enjeux philosophiques et sociologiques de la notion d’habiter (S3SS1). Ce concept qui me semblait simple à comprendre, est en réalité beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Il est même fondamental car il permet de comprendre le parallèle entre notre stabilité dans l’espace et notre stabilité mentale. Cette approche existentielle de l’habiter est étudiée dans la phénoménologie du philosophe allemand Martin Heidegger lors de sa conférence ‘’ Bâtir, Habiter, Penser ‘’ 2 prononcé en août 1951. Il considère que bâtir et habiter renvoient à notre manière d’être au monde. Un habitat doit nous permettre de nous réconcilier avec le monde et ce qui nous entoure. Cela nous donne la possibilité d’apprivoiser le monde en le rendant plus familier et c’est pourquoi l’habitat ce doit d’être en lien avec ce qui l’entoure. Des habitats indifférents au site souffrent d’une perte d’intégration dans leur contexte, ils sont simplement posés et accentuent la rupture avec notre monde. La prise en compte du contexte est donc primordiale, c’est le pont qui articule l’homme avec le monde. C’est pour cette raison qu’un bâtiment ne doit pas avoir l’air d’être posé sur un site mais en faire partie. Cette idée de découvrir le projet d’architecture à travers le prisme du contexte, était au début de mes enseignements qu’une ébauche de pensé purement théorique. Mais au fur et à mesure de ma formation, j’ai développé cette réflexion pour en faire une véritable source de production architecturale. Ma première réelle confrontation avec un site me permettant de mettre en pratique cette démarche, c’est fait durant un studio de projet de licence 2. C’est dans le cadre du studio de Paul-Emmanuel Loiret (S4AA) que j’ai été amené à expérimenter une parcelle située dans la commune de Seyssinet-Pariset. Ce village de l’agglomération grenobloise est situé sur les premières pentes du massif du Vercors. L’objectif de ce projet était d’intégrer à son environnement paysager proche et lointain un lieu de dispersion des cendres. A travers cet exercice, nous avons du nous rendre sur place pour mesurer et ressentir les différents phénomènes naturels, c’était aussi l’occasion de relever les monuments et les différentes relations

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1

https://www. cnrtl.fr/definition/ expérience, [Site consulté le 02/05/2019].

2

HEIDEGGER Martin, Essais et conférences, 1980, p. 170-193.


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(fig. 1) Organigramme du projet de dispersion des cendres tenant compte des analyses du site, S4_CMAU_G.

au paysage qu’offrais cette parcelle. Couplée à une réelle enquête historique et sociologique, j’ai pu saisir l’évolution subi par le site et son fonctionnement actuel. Cette compréhension de la composition du territoire, de son fonctionnement et de son histoire m’a permis de proposer des intentions de projet qualitatives (rapport au paysage, à la lumière, aux saisons, à la pente, ...) mais aussi psychologiques (isoler, abriter, protéger, ...) en rapport avec le site. De plus, le terrain étudié se situe sur un groupe de parcelles agricoles et boisées dans le massif du Vercors, son positionnement fait qu’il est visible depuis la ville de Grenoble et nous a permis de développer une notion de parcours depuis la ville de Grenoble jusqu’à l’édifice. Chose qui confère une symbolique toute particulière au projet et qui détermine certaines formes architecturales par une confrontation entre le déplacement des usagers et l’environnement. Toute ces démarches d’analyses, d’observations et de compréhensions m’ont permis de découvrir peu à peu, toute la richesse d’un contexte et de ce que l’on peut en extraire pour nourrir son architecture. Pour créer un projet d’architecture qui a du sens, je pense que l’architecte doit tout d’abord cultiver le site. Il cultive ce qui est déjà là pour établir un dialogue avec son contexte et s’en servir pour concevoir une architecture qui soit en harmonie avec son milieu. Ainsi, observer, ressentir et analyser le contexte sont une des qualités qui permettent à l’architecte de se familiariser avec le site. Cette quantité incroyable d’informations va venir enrichir et façonner le projet. Faire l’expérience du lieu est donc un paramètre fondamental pour encrer un édifice dans son environnement et faire sens, mais ce n’est pas suffisant. La nature n’est pas immuable, c’est un organisme vivant qui suit le cycle parfois très contrasté des saisons et des climats. Ainsi il n’est pas suffisant de faire corps avec le contexte pour s’intégrer, il faut aussi accepter de vivre suivant le rythme imposé par le milieu.

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S’ADAPTER ET EXPLOITER L’ENVIRONNEMENT La conception bioclimatique d’un bâtiment tient compte des phénomènes naturels qui agissent sur l’édifice et auxquels il doit s’adapter pour s’installer durablement. C’est parce que l’architecture habite le paysage qu’elle doit mettre en œuvre des dispositifs pour se protéger ou au contraire exploiter les éléments contextuels qui l’impacte. Après avoir pris connaissance des caractéristiques naturelles du lieu, l’architecte va pouvoir exploiter les possibilités, les contraintes, les interdis pour y intervenir de manière rationnelle et continuer à façonner son projet. La nature a beaucoup à nous apprendre et doit nous servir d’exemple pour établir des qualités d’usages telles que la ventilation, l’ensoleillement, l’apport de chaleur, l’isolation... Très souvent la végétation est propre à son environnement et met en place une sorte de connivence vis-à-vis des phénomènes naturels pour vivre en corrélation avec le milieu. On peut donc largement s’inspirer des vertus pédagogiques de la nature et de l’environnement pour se soustraire des nouvelles technologies énergivores au profit de stratégies passives tout en conservant des qualités d’ambiances et de confort. Pour adopter une stratégie bioclimatique, il faut tout d’abord connaître puis comprendre les grands principes liés à la qualité de vie d’un intérieur : isolation, ventilation, lumière, orientation... C’est à travers mes cours sur la maitrise des ambiances que j’ai été formé aux différentes stratégies sensibles, spatiales et climatiques dans l’architecture. Cela m’a permis d’acquérir une certaine expertise dans le domaine et le pouvoir d’imaginer des solutions en fonction des programmes et des contextes pour articuler les climats intérieurs et maîtriser les consommations énergétiques. A travers des travaux dirigés par l’enseignant Nicolas Rémy dans le cadre des cours d’énergie, de thermique, de bio-climatisme (S4EA) et de fluides (S5EA), j’ai pu expérimenter et asseoir les bases de cette discipline. Faire l’analyse critique de projets existants m’a permis de mesurer toute l’importance d’établir une bonne stratégie bioclimatique dans un projet. Avant même de travailler sur le choix des matériaux ou sur le type d’équipements, la prise en compte du climat, du confort recherché et de l’environnement va permettre à l’architecte de penser à des dispositifs passifs. Le positionnement des ouvertures, l’orientation des pièces, la compacité de l’habitat, l’inertie, les protections solaires et bien d’autres dispositifs permettent d’apporter du chaud en hiver ou du froid en été sans avoir recours aux technologies modernes. Cela m’a permis de donner une nouvelle dimension à ma pensée architecturale et à ma manière d’aborder mes projets pour abolir définitivement cette dépendance aux nouvelles technologies et à la consommation qui frappe notre société actuelle. Compte tenu des bouleversements climatiques en cours et d’une volonté grandissante de réduire la consommation d’énergie. Les conceptions bioclimatiques deviennent de plus en plus d’actualités. A l’occasion de mon travail de rédaction d’un article (S5SA) qui servait à la préparation de ce rapport d’étude, j’ai eu l’occasion d’étudier l’œuvre de l’architecte australien Glenn Murcutt que j’admire tout particulièrement. Reconnu pour son idéal architectural et la qualité de sa production 3. Il cherche à construire des œuvres sensibles au lieu et réfléchit aux dispositifs nécessaires aux besoins écologiques de ses édifices : « Je m’intéresse beaucoup aux bâtiments qui s’adaptent aux changements de conditions climatiques en fonction des saisons, des bâtiments capables de répondre à nos besoins physiques et psychologiques de la même manière que les vêtements. Nous n’allumons pas la climatisation car nous marchons dans les rues en plein été. Au lieu de cela, nous changeons le caractère du vêtement par lequel nous sommes

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3

https://www. pritzkerprize.com/ laureates/2002, [Site consulté le 02/05/2019], MURCUTT Glenn, Pritzker Prize, 2002.


(fig. 2) Croquis d’analyse de la maison Marika-Alderton pour la réalisation de concepts bioclimatiques, Glenn Murcutt. Source : FOMONOT Françoise, Glenn Murcutt : projets et réalisations 1962-2002, Paris, Gallimard, 2003.

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protégés. Superposition et possibilité de changement : c’est la clé. » 4. Avec cette philosophie, Glenn Murcutt semble avoir trouvé une parade contre la surconsommation de nos richesses et réussi à conjuguer éco-conception avec qualité architecturale. Étudier sa manière de procéder et comprendre sa pensée m’ont permis de puiser dans le paysage, les arguments nécessaires à la conception d’un habitat bioclimatique et d’en faire un véritable outil de projet. Ainsi les vents dominants, la végétation, le relief du terrain peuvent décider de l’emplacement et de la porosité du bâtiment pour élaborer une ventilation naturelle. Tout comme la trajectoire du soleil en fonction des saisons, les masques solaires, le temps d’ensoleillement de la parcelle vont déterminer le type d’orientation, la dimension des ouvertures et même le type de toiture pour apporter luminosité et confort thermique. Construire comme le fait Glenn Murcutt fait appel à des notions ordinaires et extrêmement simplistes mais qui sont en réalités extraordinairement complexes dans leurs pensées. La force d’une architecture qui dessine des dispositifs suivants les éléments naturels du site réside dans sa faculté à être renouvelable offrant tout naturellement une pérennité énergétique. Cela permet aussi de rendre perceptible et de transmettre les propriétés sensibles de l’environnement à l’intérieur de l’édifice pour connecter encore un peu plus l’habitant au lieu auquel il appartient. L’usage du type de dispositif varie bien évidemment d’un lieu à un autre car les climats et les paysages changent, ils ne peuvent donc résulter que d’une rigoureuse analyse du contexte. Mais pour que ces dispositifs deviennent réellement efficaces l’architecte doit réfléchir de manière intelligente et raisonnée à la matérialité et à la mise en œuvre de ces concepts.

(fig. 3) Coupe de la maison Marika-Alderton, Glenn Murcutt. Source : FOMONOT Françoise, Glenn Murcutt : projets et réalisations 1962-2002, Paris, Gallimard, 2003.

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MURCUTT Glenn, Conférence, Université libre, Bruxelles, 19/11/2012.


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V ÉDIFIER ET ASSEMBLER DE MANIÈRE RAISONNÉE

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CHOISIR AVEC APPLICATION LA MATIÈRE À TRAVAILLER Cultiver le site me permet de planter mes premiers concepts architecturaux et dispositifs bioclimatiques. Mais pour faire germer et valider ces concepts, il est indispensable de penser à la matérialité de son architecture. Les choix des matériaux à mettre en œuvre permettront ainsi d’inscrire physiquement le bâtiment dans son contexte, d’assurer la performance et la durabilité de l’édifice. En choisissant certains matériaux et certaines techniques de fabrication, l’architecte va dans un premier temps valoriser l’ambiance et la qualité de son architecture, mais devra dans un second temps évaluer l’impact de ses choix sur l’environnement. Il n’existe aucun matériau dont l’impact environnemental soit nul, ils ont tous besoins de matière première, doivent tous être transformés puis transportés pour être utilisés lors de la construction et finissent tous par être recyclés ou démontés. L’enjeu est donc d’identifier tous ces facteurs pour guider de manière raisonnée nos choix de matière à architecturer. Bien entendu la réalisation d’un projet d’architecture découle d’un concept fondateur qui ne doit pas être remis en cause, les choix matériels du projet s’opèrent donc par un consensus complexe entre l’expression d’un concept et l’atténuation de l’impact environnemental. Les études d’architecture cherchent à développer notre potentiel sensible et créatif à travers l’art et la technique. Que ce soit au cours des séances d’arts plastiques ou de matériaux et mise en œuvre, j’ai pu expérimenter et découvrir la capacité de la matière à générer des émotions ou des sensations de par sa composition, sa forme, ses dimensions, son façonnage ou ses propriétés physiques. Chaque matériau est donc doté de sa propre charge émotionnelle et sensible. L’enseignement de Jean-Christophe Grosso sur la matière en architecture (S5C1) encourage cette réflexion grâce à des études détaillées de mise en œuvre des matériaux dans des édifices existants. Ce travail d’étude et de redessin m’a permis de comprendre comment les architectes matérialisent leurs intentions architecturales et manipulent certains matériaux pour générer des qualités spatiales, lumineuses, sonores, thermiques, esthétiques... Saisir le travail de ces architectes m’a fait découvrir comment et pourquoi tel matériau prend place dans le projet plutôt qu’un autre et comment il intervient dans l’édification du projet. Cette idée rejoint la pensée de l’architecte Peter Zumthor, qui voit dans la diversité de ces détails la formation d’un tout qui donne vie à l’idée fondatrice du projet : « Là où des matériaux concrets sont assemblés et édifiés, l’architecture imaginée devient une part du monde réel. » 5. Avec cette citation, Peter Zumthor n’oublie pas de nous rappeler que l’architecture n’est pas uniquement sur le papier, mais que c’est bien la matière qui la fait exister. Le processus décisionnel lié au choix des matériaux est donc influencé par nos intentions de projet, aux ambiances et à la philosophie que l’on veut mettre en place. Mais l’affaiblissement de nos ressources naturelles et l’augmentation de la pollution nous contraignent à développer une nouvelle approche plus conservatrice de notre environnement. Une approche plus locale qui ferait écho aux méthodes ancestrales que j’ai pu étudier lors de mes premiers cours sur l’histoire et la critique de l’architecture (S1SH). Avec des choix de matériaux qui émane de la compréhension du contexte, de l’expérience du lieu et de tout autres analyses permettant de faire un état des lieux de la matière première à disposition pouvant être utilisée dans le projet. A la manière de l’architecture vernaculaire, ce choix d’opter pour des matières premières de proximité va permettre de créer des circuits courts et ainsi minimiser l’impact environnemental. C’est aussi un moyen de valoriser le site comme richesse constructive et d’ancrer encore

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5

ZUMTHOR Peter, Penser L’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, p. 10-11.


un peu plus l’édifice dans son environnement. C’est à travers différentes références que j’ai pu développer cette réflexion autour de la matière locale, par exemple avec l’architecture écologique du Vorarlberg. Cet ensemble d’architectes et de constructeurs autrichiens des années 80 ont misés sur des constructions qui exploitent astucieusement les ressources du land de Vorarlberg (État fédéré de la république d’Autriche). Véritable laboratoire architectural, ils réussissent ensemble à valoriser les savoir-faire locaux et à réinterpréter les codes architecturaux ancestraux pour produire une nouvelle architecture plus contemporaine et respectueuse de son environnement. Matériau principal de leurs constructions, le bois est aussi la matière la plus abondante de la région et la plus encré dans l’artisanat local. C’est pour cette raison que je cherche presque systématiquement à définir le type de ressources disponibles à proximité de mon site de projet mais aussi à ne pas faire de raccourcis en associant trop vite une matière locale comme quelque chose de forcément écologique. En effet chaque région est attachée à certaines ressources plutôt qu’à d’autres et les travaillent plus efficacement, il faut savoir puiser dans les traditions locales pour construire un édifice avec un faible impact environnemental qui fasse partie de l’identité de la région. Les matériaux ont chacun leurs propre potentiel physique et sensible, c’est pourquoi il faut savoir les choisir avec soin afin que le concept architectural prenne tout son sens. Le contexte, le site et les traditions, sont autant de pistes à exploiter pour guider judicieusement ses choix et ainsi proposer des projets qui se marient avec l’identité des régions, des habitants et des paysages. Puiser dans les ressources et les savoir-faire locaux, fait écho à la pensée des architectures traditionnelles et permet de minimiser l’impact environnementale de la construction tout ayant la possibilité de réinventer leurs mises en œuvre pour proposer une écriture architecturale plus contemporaine.

(fig. 4) Photos de l’Illwerke Center Montafon, Vandans, Hermann Kaufmann + Partner ZT GmbH - L’un des plus grands immeubles de bureaux à ossature de bois du monde, symbole du savoir faire des architectes du Vorarlberg . Source : www.hkarchitekten.at

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PENSER PUIS PLANIFIER LA MISE EN ŒUVRE DE LA MATIÈRE Si la matière permet de matérialiser le concept architectural, c’est bien l’association et la composition des matériaux qui vont permettre sa conception. Penser au matériau idéal à employer pour son projet est une chose, penser à comment l’employer lors de la construction en est une autre. C’est pourquoi l’architecte doit réfléchir en amont à la façon dont les matériaux vont se comporter lors de la conception et comment les entreprises vont réaliser l’ouvrage. Cette démarche architecturale nécessite une certaine culture de la construction et une prise de conscience des conséquences constructives que génère un simple trait dans un projet. Chaque assemblage doit être étudier en détail pour optimiser sa production, sa manutention, son comportement mécanique et sa durabilité. Il faut donc être capable d’anticiper les actions qui vont être générées sur les matériaux pour les dimensionner, mais aussi d’évaluer les aptitudes des entreprises à réaliser ces ouvrages, se servir de leurs compétences pour élaborer des détails techniques qui soient en accord avec leur savoir-faire. J’ai très vite compris que cette notion de culture constructive et de mise en œuvre des matériaux était une pensée fondamentale au sein de l’école nationale supérieure d’architecture. Ce constat tient notamment dans le fait que nos premières approches du projet et des théories de conceptions architecturales (S2AA) nous ont étés enseignées par Pascal Rollet, architecte représentant l’unité de recherche Architecture, Environnement & Cultures constructives (AE&CC). Sa pédagogie consiste à nous initier aux différentes étapes de l’élaboration d’un projet, en nous imposant une thématique (masse ou ossature) et une matière de référence (pierre ou bois). La première étape de cet exercice m’a permis d’élaborer un concept de base par le biais de croquis et d’études de références, c’est la genèse du projet. La seconde étape fait face à la difficulté de la réalisation de ce concept et à l’expérimentation d’assemblage des éléments par la maquette et le dessin technique. Le travail de maquette est fondamental car il est riche d’informations et m’a permis de définir les caractéristiques spécifiques des comportements de la matière et des matériaux employés. Le dessin technique complète cette recherche en ajoutant une attention toute particulière au détail. C’est une démarche qui a constitué les fondements de mon approche du projet et de ma culture constructive. En me confrontant directement aux phénomènes physiques, aux éléments de construction et aux systèmes constructifs, j’ai développé une sensibilité aux détails qui me pousse à enrichir mes connaissances de la construction pour concevoir et imaginer le bâtiment au préalable dans les moindres détails : « Tandis que je trace les plans d’exécution, j’empile les briques [...] tout est conçu est pensé en préalable à l’appel d’offre » 6. C’est cette qualité de concepteur qui pousse certains architectes aux limites de l’ingénierie et qui leurs permet d’optimiser, de solutionner ou de réinventer certains systèmes constructifs pour mener à bien leur projet. A la fin de ma deuxième année de licence, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage au sein de l’agence d’architecture RBC Architecture (S2AS). Malgré un parcours professionnel qui m’avais permis de travailler en tant que dessinateur projeteur dans un cabinet d’architecture. Je débutais ce stage avec un nouveau statut, celui d’un futur architecte. La pression et les attentes ne sont naturellement pas les mêmes car le métier d’architecte requière une certaine pluridisciplinarité. Tantôt médiateur entre les entreprises et le maître d’ouvrage, tantôt concepteur, l’architecte doit jongler avec de nombreuses responsabilités. C’est pour cette raison que je me demandais si ces deux premières années à étudier l’architecture pouvaient suffire

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6

MURCUTT Glenn, L’Australie de Glenn Murcutt, Avivre Architecture, 2004, p. 37.


BAJARD Maxence Projet Ossature ENSAG - L1 2016 - 2017

GRANGE

Coupe A - A 1:50

Platine à clouer

1:50

Axonométrie

Poutre Moisée

Marche d’escalier

Coupe B - B 1:50

Détails BAJARD Maxence Projet Ossature ENSAG - L1 2016 - 2017

(fig. 5) Planche du projet et des théories de conceptions architecturales, thème ossature (S2AA), coupes et détails d’assemblages de la structure.

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(fig. 6) Photos de la maquette du projet et des théories de conceptions architecturales, thème ossature (S2AA).

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à répondre aux missions qui m’allaient être confiées. Bien entendu l’ensemble des savoirs que j’ai acquis lors de mes premières années m’ont été d’une aide précieuse notamment lors de mes missions en phase d’esquisse ou d’avant-projet. Mais ce qui a fait de ce stage l’une des expériences les plus enrichissantes auxquelles j’ai pu participer, c’est le fait d’avoir découvert le métier de l’architecte lors des phases de conception, de planification, de suivi du projet et de livraison du projet. En effet ces phases demandent une véritable expertise de la construction. Cette partie du métier prend aujourd’hui le dessus sur la partie créative. C’est en me confrontant à cet aspect du métier que je pense avoir le plus appris. Cela s’explique par le fait que ce sont des compétences qui s’acquièrent principalement par l’expérience vécue mais aussi par le fait qu’il s’agisse de choses très peu évoquées en licence d’architecture. Les réunions de chantier, les réunions avec les clients et les entreprises m’ont permis d’observer toute la dimension sociale et technique du métier d’architecte. Ces expériences m’ont ouvert les yeux sur les réalités économiques, réglementaires et constructives du métier. Ainsi j’ai tout de suite assimilé l’importance de l’agencement, du dimensionnement et du choix des matériaux. En effet la réglementation va exiger certaines choses qui vont modifier considérablement notre projet. L’optimisation des surfaces ou le choix des matériaux peuvent faire baisser le prix de conception d’un édifice et donc permettre d’être compétitif. Toutes ces prises en considération m’ont donc permis d’avoir une approche du projet beaucoup plus réaliste. J’ai maintenant conscience des efforts nécessaires pour qu’une simple esquisse devienne architecture et je projette beaucoup plus mes projets dans une optique d’architecture construite. Conjuguer la matière n’est pas une mince affaire car cela implique de nombreuses conséquences sur la conception d’un édifice. C’est cette culture constructive et cette attention portée aux détails qui donne toute la pertinence au projet, mais aussi son existence. C’est pourquoi il ne faut pas négliger leurs importances en amont lors de la conception d’un projet et lors de la réalisation sur le chantier. C’est cette attention portée à l’intelligence constructive et à la mise en œuvre de son architecture qui fait la différent entre un édifice suffisant et un édifice de qualité capable de résister aux temps qui passe.

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VI PROJETER L’ARCHITECTURE DANS LE TEMPS

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PRODUIRE UNE ARCHITECTURE PÉRENNE Les étapes précédentes de mon développement sont là pour traduire l’importance de nos analyses, de nos choix et de notre intelligence architecturale dans l’élaboration d’un projet d’architecture qui prend place au sein d’une société, d’un patrimoine, d’un environnement et d’un climat. Produire de l’architecture impacte non seulement nos modes de vie mais bouleverse aussi totalement l’environnement dans lequel elle s’inscrit. C’est pourquoi j’ai cherché à développer une pensée qui fasse preuve de responsabilité à l’égard de cet environnement afin d’assurer sa durabilité et sa préservation compte tenu des enjeux écologiques actuels. Mais cette pensée architecturale ne doit pas être réduite à une seule conscience environnementale, je suis persuadé qu’il faut aussi penser l’architecture comme la production d’une construction pérenne. En effet il est préférable de miser sur des conceptions qualitatives qui résultent d’une réelle réflexion sur la vie de son bâtiment plutôt que de miser sur une production quantitative et précipitée qui tend à devenir désuète. Le facteur temps est donc à intégrer dans la pensée d’un projet au même titre que le concept, la matérialité, les ambiances ou la mise en œuvre. Avant mes études d’architecture, j’ai longtemps pensé que la qualité d’une production architecturale provenait de sa valeur esthétique, d’un formalisme ‘‘ bling bling ’’ que l’on retrouve souvent sur les couvertures de magazines par exemple. Mais au fur et à mesure de ma formation, j’ai développé une réflexion beaucoup plus critique et pertinente sur l’ensemble des productions architecturales. C’est à travers l’enseignement de Patrick Thépot sur l’histoire et la critique de l’architecture (S2SH1) et les différents travaux dirigés que j’ai pu mesurer ce qui faisait la véritable valeur d’une architecture. Étudier, lire et comprendre le travail des architectes qui ont marqués les différentes époques m’a permis de comprendre que le bon sens, l’expérience, la réflexion, la passion et le travail sont des valeurs qui doivent exalter notre production. C’est la clé de voûte d’une construction de qualité qui fonctionne et continue à exister malgré le temps qui passe. Mon ambition de privilégier la qualité plutôt que la quantité vient en réaction aux mouvements d’après guerres qui renvoie à une société de consommation qui pousse la population à acheter au-delà de leurs besoins, tandis que les biens sont conçus pour avoir une courte durée de vie, de sorte à renouveler régulièrement la production 7. On retrouve aussi cette conception en architecture par exemple avec la loi Spinetta du 4 janvier 1978 8 qui instaure une garantie décennale et responsabilise les constructeurs à l’égard des maîtres d’ouvrage sur un laps de temps définit sur une durée de 10 ans. Cette loi bienveillante pour le client couvre certains dommages pouvant affecter sa construction pendant 10 ans mais elle a aussi la fâcheuse tendance de brider les constructeurs sur la longévité de leurs édifices. En effet les charges étant abandonnées après ce laps de temps les constructeurs n’ont plus de raisons qui les obligent à générer des édifices qui nécessitent aucunes rénovations durant de très longues années. Je ne conçois pas qu’on puisse livrer des architectures avec une date de péremption qui se dégradent induit des réparations, des rénovations ou parfois des reconstructions. Une telle prise de position est un véritable non-sens envers le maître d’ouvrage et notre planète, c’est un gaspillage économique et environnemental qui peut être évité si l’on raisonne de manière durable. A travers tous les enseignements proposés à l’ENSAG, que ce soit pour les cours d’histoire, de sciences humaines et sociales ou de construction, l’analyse et la critique du passé sont les principales sources de connaissances. Ainsi les théories, les courants, les mouvements, les

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https:// fr.wikipedia.org/ wiki/Obsolescence_ programmée, [Site consulté le 02/05/2019].

8

Loi n° 7812, relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, du 4 janvier 1978.


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RABHI Pierre, Vers la sobriété heureuse, 2013, p. 45.

savoir-faire, s’expliquent grâce à ces legs, qui a chaque année qui passe témoignent de leurs qualités ou de leurs faiblesses. On peut donc en déduire que la durabilité d’une architecture est un outil essentiel à la transmission d’un héritage. Tout comme l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi, je vois dans la pérennité d’un bâtiment l’occasion de transmettre certaines valeurs auprès des générations futures : « Il ne suffit pas de se demander : ‘‘ Quelle planète laisseronsnous à nos enfants ? ’’ ; il faut également se poser la question : ‘‘ Quels enfants laisserons-nous à notre planète ? ’’ » 9. Il est donc de notre devoir de produire une architecture qui préserve notre environnement et l’avenir des générations futures, mais aussi de produire des édifices qui puissent perdurer pour témoigner de leurs caractères architecturaux et ainsi transmettre un savoir pour ne pas réitérer les erreurs du passé. C’est pour cette raison que je vois dans chaque projet la possibilité de révéler ou de perpétuer certaines idées pour entretenir notre patrimoine et continuer à bonifier la pratique de l’architecture. Chaque édifice s’inscrit dans un cycle de vie plus ou moins long. C’est l’architecte par la qualité de son architecture et sa volonté d’ancrer sa production dans le temps qui va décider de la durabilité de cette boucle. Il faut alors anticiper et regarder vers l’avenir à chaque étape du projet pour concevoir un édifice qui garde toutes ses qualités au fur et à mesure que le temps passe. La durabilité d’un édifice est un moyen d’éviter la démolition ou la reconstruction de l’édifice, mais c’est aussi un moyen formidable de léguer un héritage architectural aux générations futures. Bien que l’architecture mise en place soit de très bonne qualité, elle ne peut résister indéfiniment et finit inévitablement par décliner, c’est pourquoi son devenir doit être anticipé. Construire durable c’est aussi et surtout anticiper l’avenir de son bâtiment a posteriori en pensant à son évolution et à sa possible requalification.

(fig. 7) Photo du Colisée, Rome, construit à partir de 70 après JC il continue de traverser les siècles. Source : Photo de voyage.

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DEVANCER LE DÉCLIN ARCHITECTURAL Rien n’est éternel, le temps passe et les architectures finissent par s’essouffler, perdre leurs utilités ou même sombrer face à certaines catastrophes. C’est pourquoi le rôle d’un concepteur est aussi de d’anticiper la façon dont va être recyclé ou réutilisé son édifice avant même que celui-ci soit édifié. Théorie déjà énoncée par la revue d’architecture avant-gardiste britannique Archigram, l’architecture peut être imaginée comme un produit de consommation 10. Très en vogue actuellement, les questions du réemploi et du recyclage sont au cœur des nouveaux mouvements pour lutter contre l’appauvrissement de nos ressources. Mais pour faciliter et optimiser ces intentions, il est nécessaire de les prendre en considération dès la phase de conception du projet quel que soit la durabilité de l’édifice. C’est sans aucun doute l’une des nouvelles charges qui incombent le métier d’architecte, d’évaluer et de proposer des solutions de réversibilité ou de recyclage de sa propre architecture pour s’approcher au maximum d’un bâtiment zéro déchet. Le fameux : ‘’ rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ‘’ 11, met en évidence que la nature n’a pas de poubelle et qu’elle a le gaspillage en horreur. De plus en plus d’architecte sou d’agences d’architecture, voient en cette évidence les prémices d’une nouvelle manière de penser l’architecture. Les secteurs du bâtiment et de la construction font partie des activités économiques les plus polluantes de la planète, ils génèrent près de 260 millions de tonnes de déchets par an soit 73% des déchets annuels 12.Une grande partie des déchets actuels dans le bâtiment proviennent des opérations de démolition de bâtiment qui n’ont pas été construits dans une optique de réemploi des matériaux. C’est au travers des cours complémentaires au studio de projet de licence 3 (S5AT) que j’ai pu faire la découverte de concepts et de références architecturales qui prônent le réemploi. J’ai notamment découvert certaines productions de Shigeru Ban avec ses constructions en carton, du Studio Mumbai et leurs Copper Houses I et II, ou encore Glenn Murcutt pour ses productions en acier. Leurs connaissances des matériaux et leurs réflexions concernant le futur de leurs œuvres les conduiront à utiliser une structure en acier plutôt qu’une structure en bois par exemple pour minimiser l’empreinte écologique de leurs projets. L’acier n’est pas un matériau renouvelable ou local mais il présente des qualités mécaniques et durables beaucoup plus performantes. En effet, l’acier permet de réaliser des structures à la fois très légères, résistantes aux intempéries et recyclables à l’infini. Un raisonnement qui implique parfois des choix écologiques inattendus mais pertinents. C’est pour ces raisons que je m’inspire de ces types d’architecte qui ont prouvé au monde entier par leurs productions qu’il est possible de réduire la facture écologique d’un bâtiment en le rendant facilement recyclable, modifiable ou extensible et donc ne plus nuire à l’environnement de manière irrémédiable. Même s’il est entendu qu’un édifice et ses matériaux peuvent être rénovés ou recyclés, l’effort pour y parvenir reste considérable tant le désassemblage des matériaux est long et fastidieux ou que la multiplication des nouvelles normes réduise le champ des possibles. Contrairement à la reconversion d’un bien existant, la «réversibilité» est une solution anticipée qui consiste à programmer un ouvrage dès l’élaboration du projet pour qu’il puisse indifféremment accueillir aussi bien des logements que des bureaux par exemple, au moyen de modifications minimes 13 . Patrick Rubin de l’agence Canal Architecture est l’un des pionner de cette nouvelle façon de construire. Ce principe pourrait devenir une des réponses efficaces à notre contexte social,

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10

GUIHEUX Alain, Archigram: Monographie, 1994, p.108-109.

11

DE LAVOISIER Antoine Laurent, Citation.

12

1http://www. dechets-chantier. ffbati- ment.fr, [site consulté le 23/03/2018].

13

RUBIN, Patrick, Construire réversible, Canal architecture, 2017, p. 1.


(fig. 8) Photo de la La Maison Pour Tous, Four, projet des Master 1 AECC 2018 de l’Ecole d’architecture de Grenoble, sous la direction de Marie et Keith Zawistowski. Elle est entièrement réalisée en matériaux bio et géosourcés écologiques dans la philosophie se la construction en terre du laboratoire CRAterre. Source : www.timurersen.com, http://craterre.org/

économique et immobilier actuel, avec une société toujours plus changeante et des édifices qui perdent leurs fonctions premières peu de temps après leurs conceptions. Découverte récemment, cette idée de penser un projet qui propose en un seul ouvrage un large panel de fonctions possibles pouvant ainsi muter au même rythme que notre société semble une piste ambitieuse mais cohérente. Je pense qu’imaginer des bâtiments ou l’on pourrait aussi bien habiter, travailler ou se divertir mérite d’être étudier mais cela engage à réfléchir aux différents programmes et procédés constructifs dès la conception et ainsi trouver un consensus qui permet une souplesse de l’édifice pour ses différents usages. Penser réversible, devient alors au même titre que le recyclage une anticipation de l’évolution d’un édifice avant même sa construction, pour alléger au maximum les adaptations et leur coût, lors de sa transformation. L’architecture contemporaine, pour des raisons de préservation de notre planète, se doit d’adopter une vision à long terme. Architecturer sans concevoir que son architecture devra, un jour ou l’autre, être reconstruit ou détruit revient à gaspiller nos ressources naturelles avant même leurs mises en œuvre. Prévoir l’évolution et la durabilité de son architecture se traduit aussi par une réflexion du devenir de ce qui la compose ou de ce qui fait sa fonction. Ainsi, avoir conscience de ce concept permet de mettre sa culture de la construction et des matériaux au service d’une solution anticipée concernant la fin de vie de son édifice pour optimiser et minimiser la perte de nos richesses. Cette capacité à juger clairement et sainement chaque étape d’une réalisation architecturale nous permettra de préserver à la fois notre environnement et notre avenir. C’est une vision orientée vers l’avenir, c’est ça l’architecture prospective.

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VII CONCLUSION

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En m’inspirant d’architectes contemporains et avant-gardiste en matière d’écologie, j’ai tenté d’énoncer une notice pour composer une architecture qui se veut prospective. Une première approche qui s’appuie sur les principes du développement durable telles que l’éco-conception, le bio-climatisme ou encore la résilience. Ce positionnement s’est construit durant mes trois années de licence et fut influencé par certains architectes qui développent une nouvelle approche de l’architecture. J’ai cherché, à mon tour, d’exposer des intentions qui reflètent ma pensée concernant une architecture pérenne et ce, à diverses étapes d’intervention. Mon objectif est de proposer une nouvelle manière de penser l’architecture, plus pertinente et prospective, dans le but de changer nos habitudes et nos modes de vie pour ainsi léguer une planète plus propre aux générations futures. J’ai choisi de développer l’architecture que je souhaite mener autour de trois étapes. Dans un premier temps adopter une attitude consciente pour observer, comprendre et exploiter le potentiel du contexte, ensuite développer une intelligence constructive et ainsi penser la mise en œuvre de manière raisonnée, et enfin projeter l’architecture dans le temps afin d’anticiper sa pérennité et ainsi que son déclin. Ces étapes ne sont pas indépendantes, elles se nourrissent les unes des autres et s’unissent pour faire germer un projet d’architecture cohérent. Bien entendu, cette manière d’aborder le projet n’est pas universelle, elle est à doser et régler en fonction du site d’intervention avec lequel nous tissons des liens au fur et à mesure qu’on cherche à le connaître. Aussi je suis conscient qu’il n’y a pas une unique manière d’agir pour penser une architecture pérenne, c’est pourquoi je pense que les architectes doivent travailler avec cet intérêt commun et se nourrir des expérimentations de chacun pour optimiser cette approche architecturale. C’est une vision possible qui oriente à sa manière l’environnement dans lequel nous allons nous mouvoir dans le futur, et possède par conséquent le pouvoir de changer une partie de nos modes de vie. Ce n’est plus l’homme qui doit se tenir au centre de nos préoccupations mais l’ensemble de notre écosystème afin d’inverser cette tendance de dégradation sur une Terre qui atteint aujourd’hui ses limites. Cependant, tout au long de notre histoire et plus particulièrement ces dernières années, une énergie considérable a été fournie pour concevoir le monde dans lequel nous vivons actuellement. On ne peut donc pas uniquement se contenter de tout détruire pour reconstruire de nouveaux édifices qui suivraient la philosophie d’une architecture prospective. Cela reviendrait à un gaspillage démesuré qui irait à l’encontre même du principe de développement durable. C’est pourquoi il faut penser à revaloriser de manière tout aussi durable et raisonnée les bâtiments existants, même s’ils ne sont pas issus d’une pensée écologique. Ainsi mon souhait serait tout d’abord d’approfondir ma formation et enrichir cette pensée architecturale au sein d’un Master qui partage mon approche. Il me reste encore énormément de choses à découvrir avant de pouvoir m’engager dans le métier d’architecte. C’est pour cette raison que mon choix est porté sur le Master Architecture, Environnement et Cultures Constructives (AECC) enseigné par l’ENSAG. Cet enseignement vise à former des spécialistes de la conception éco-responsable d’architectures et techniques intégrées dans un milieu de vie et sur un territoire donné . Il enseigne une démarche qui me permettrais de développer les notions que j’ai abordé dans ce travail d’écriture. Au-delà de mes objectifs de poursuite d’études pour parfaire mes connaissances, je compte puiser dans chaque expérience, chaque épreuve, chaque découverte, le pouvoir de me renouveler et de devenir meilleur. C’est en cela que l’on tire maturité et sagesse, face aux responsabilités qui incombent l’architecte.

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VIII BIBLIOGRAPHIE

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LIVRES : HEIDEGGER Martin, Essais et conférences , Gallimard, « Tel n° 52 », 1980, 378 p. FOMONOT Françoise, Glenn Murcutt : projets et réalisations 1962-2002, Paris, Gallimard, 2003, 326 p, [1ère ed. Paris, Gallimard/Electa, 1995]. ZUMTHOR Peter, Penser L’architecture, Basel, Birkhäuser, 2010, 112 p. ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Basel, Birkhäuser, 2008, 75 p. FERNANDEZ Pierre, LAVIGNE Pierre, Concevoir des bâtiments bioclimatiques, Paris, Le Moniteur, 2009, 430 p. GAUZIN-MÜLLER Dominique, L’architecture écologique du Vorarlberg, Paris, Le Moniteur, 2009, 405 p. PROUVÉ Jean, La poétique de l’objet technique, Vitra Design Museum, 2006, 384 p. RABHI Pierre, Vers la sobriété heureuse, Actes Sud Éditions, « Babel », 2013, 163 p. HOYET Nadia, Matériaux et architecture durable, Dunod, 2017, 224 p. BOUCHAIN Patrick, Construire autrement : comment faire ?, Actes Sud Éditions, « L’impensé », 2006, 192 p. HUYGEN Jean-Marc, La poubelle et l’architecte : vers le réemploi des matériaux, Actes Sud Éditions, « L’impensé », 2008, 183 p. CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière grise : Matériaux, réemploi, architecture , Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, 365 p. RUBIN, Patrick, Construire réversible, Paris, Canal architecture, 2017, 96 p. REVUES : DUCA Laurence, « L’australie de Glenn Murcutt », Avivre, n° 21, Novembre - Décembre 2004, pp. 28 - 41. FOMONOT Françoise, « Nous devons apprendre de la force du paysage », D’Architecture, n° 132, Octobre 2003, pp. 50 - 55. GAUZIN-MÜLLER Dominique, « L’exception culturelle du Vorarlberg », D’Architecture, n° 130, Juin - Juillet 2003, pp. 7 - 32. CHESSA Milena, « Le bâtiment réversible, programmé pour muter », Le moniteur, n° 5966, mars 2018, pp. 44 - 47. MIALET Frédéric, « Vers une architecture réversible ? », AMC, n° 262, Septembre 2017, pp. 44 - 47.

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