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Chapitre II : Mes Parents .............................................................................................................. 12

Chapitre II : Mes Parents

Félix. C'était le nom qu'ils m'avaient donné. Félix Switz.

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Mon Père, Picco, et ma Mère, Gretta, s'étaient enfin mis d'accord après quelques instants à se disputer sur leur choix. Il faut dire que l'on ne tient pas tête à ma Mère très longtemps au sujet de ce qui touche de près ou de loin à ses enfants. Ce nom leur plaisait. Je l'ai très vite assimilé.

Mon Père, Picco Switz, est un grand gaillard de plus de deux mètres de haut pour une bonne centaine de kilos de muscles. Cela ne cache pas pour autant, aux yeux de ceux qui le connaissent un minimum, une petite brioche du fait des quelques verres par jour qu'il avait l'habitude de prendre fut un temps, malgré les commentaires de ma Mère à ce sujet. Si ses parents lui avait donné un tout autre prénom à la naissance, il commencera à l'abandonner au fil du temps pour le surnom affectif "Picco" que lui donnait sa mère, signifiant en vieux patois Costerborosien "Petit" ou "Enfant". Même moi, j'ignore encore quel fut son véritable prénom, n'ayant jamais pu poser directement la question à mes grands-parents, décédés bien avant ma naissance. Élevé dans une famille de fermiers plus que modestes, mon Père n'eut jamais l'occasion de recevoir une bonne éducation. Il passa son enfance entière à labourer les champs, à couper du bois et à plumer les volailles, sans jamais s'intéresser un seul instant à l'écriture ou à la lecture. Il n'en avait ni les moyens, ni la volonté, ni la chance. Comment voulez-vous trouver le temps de vous cultiver lorsque votre Famille compte sur votre travail acharné pour manger le soir ? Je respecte énormément celles et ceux dont le vécu a entraîné l'adoption de cet état d'esprit.

Un homme qui ne prend pas soin de sa Famille, ne sera jamais vraiment un Homme. Et un homme qui n'est pas prêt à se sacrifier ou à tout donner pour elle, ne sera jamais vraiment digne d'en faire partie.

Mon Père avait un seul frère. Il était plus jeune et plus frêle que lui. Par conséquent, ce fut à lui de se charger des tâches les plus rudes et les plus intensives. Si mon Père et mon oncle n'étaient pas spécialement proches, l'affection toute particulière qu'ils éprouvaient tous deux envers leur chien était des plus notables. C'était, de ce qu'il m'en a raconté, un molosse parfaitement dressé qui n'a jamais laissé le moindre renard ou le moindre loup s'approcher des troupeaux. Une telle loyauté plaisait beaucoup à mon Père et à son frère qui considéraient cet animal comme un membre à part entière de leur Famille. Cette idée ne me viendrait personnellement jamais en tête. Un animal reste un animal. On peut l'aimer, ce n'est pas pour

autant qu'on peut le considérer comme faisant partie de quelque chose d'aussi important

qu'une Famille. Enfin, peut-être dis-je cela du fait que j'ai toujours préféré les chats.

Quoiqu'il en soit, ce genre de travaux exténuant qui étaient la routine de mon Père, cumulés à son grand appétit lui avaient permis d'acquérir très jeune déjà : une corpulence plus que massive. La facilité qu'il avait à couper les grands arbres et à chasser les bêtes qui se rapprochaient trop des champs étaient telles qu'elles attirèrent l'attention d'autres paysans, prêts à louer ses services en échange de dons de nourriture tous les jours pour sa Famille. J'ai toujours

eu beaucoup de respect pour les travailleurs manuels. Leur dévotion et le sacrifice de leur santé pour leur famille m'a toujours ému. Mon Père incarnait cet esprit avant même de fonder la sienne. Ce n'est qu'une raison parmi tant d'autres expliquant mon éternel respect envers lui. Passant de travail en travail, il était devenu une sorte d'homme à tout faire, sollicité même par de petits nobliaux trop fainéants pour faire la moindre tâche ingrate tout seuls. Quoiqu'il en soit, mon Père ne rechignait jamais face à cette dernière. Alternant entre fermier, chasseur, bûcheron, jardinier et maçon, il apporta tout l'argent nécessaires à ses proches pour leur assurer une vie sans manques trop importants.

Cependant, la vie de mon Père changea drastiquement dès le mois d'octobre 1174, où, au vu de son physique plus qu'imposant, on l’enrôla de force dans l'Armée de Costerboros. En effet, le Royaume de Vérandrie, appartenant jusque là à Costerboros, commençait de plus en plus à virer du côté de "l'ennemi de toujours" : l'Île des Miracles, du fait d'un fort taux de population provenant de cette dernière, insistant pour que son contrôle leur revienne. Ce climat anxiogène provoqua de premières altercations entre Costerboros et la Vérandrie, soutenue par l'Île des Miracles. Et ces premières altercations emmèneront à la Guerre de Dépendance de 1175, où Costerboros tentera de faire d'une pierre deux coups, en matant l'insurrection de Vérandrie tout en envahissant en même temps l'Île des Miracles.

Mon Père fut ainsi, au vu de sa force et de sa taille, muté au service d'un grand noble, un certain Sir. Alexander de la Vérandrie, en charge de la protection d'un des plus importants Bastions de la Vérandrie : Garaluena. C'est là où se déroulera la dernière bataille de la Guerre. Je ne referais pas l'Histoire ici. Tout le monde sait aujourd'hui comment cette bataille s'est terminée. La défaite cuisante de Costerboros leur fera perdre le contrôle de la Vérandrie, passant entre les mains de l'Île des Miracles, et marquera aussi une longue série de défaites qui sapera leur image de plus grande puissance militaire, au profit de son ennemi de toujours. Cependant, ce que vous ignorez peut-être, c'est que Sir. Alexander, ayant décidé de prendre la fuite plutôt que d'être prit pour responsable de cette débandade, sera sauvé in extremis par mon Père, après que ce dernier, faisant fi de l'ordre donné par son capitaine de maintenir sa position, n'eut projeté un canon dans la direction des assaillants de son supérieur hiérarchique. Le dit canon lui sera d'ailleurs plus tard offert, et il le placera devant le pas de sa porte en guise de souvenir. La capitulation fut proclamée quelques secondes après que mon Père n'eut plaqué au sol le Sir de Vérandrie pour le protéger des projectiles tirés dans sa direction pour l'abattre.

Outre le renvoi de mon Père de l'Armée pour "désobéissance volontaire aux ordres sous prétexte d'assistance à personne en danger", ce sauvetage lui permettra d'obtenir un service de la part de Sir. Alexander. Le noble de Vérandrie, avait en effet une dette envers mon Père, et il saura la payer quand vingt-six ans plus tard, il reviendra pour lui demander refuge. Fort heureusement, après la Bataille, ne souhaitant pas qu'une nouvelle guerre n'éclate avec Costerboros, le Parlement de Vérandrie prit la décision d'inclure Sir. Alexander parmi leur membre, en tant que porte-parole des "Natifs de Vérandrie". Beaucoup d'historiens pensent d'ailleurs aujourd'hui que sa présence relevait plus de l'humiliation pour Costerboros que d'une réelle volonté de rapprochement. Quoiqu'il en soit, un pont bâti par Garriban lui-même fut tout de même érigé entre Costerboros et la Vérandrie. Belle façon de montrer qu'ils souhaitaient maintenir des relations cordiales avec ces derniers. Principalement pour des raisons commerciales, bien entendu.

Ainsi, après la Guerre, mon Père fut rapatrié sur Costerboros. Sa désobéissance qui aurait pu lui valoir le cachot, voire l’exécution, fut graciée sous motif : "d'acte de bravoure". Pour autant, il fut bel et bien expulsé de l'Armée, ce qui n'était pas pour lui déplaire, bien au contraire. Les camarades qu'ils s'étaient fait étaient pratiquement tous tombés sur le champ de bataille. Des têtes réduites en charpies, des corps en lambeaux, des hommes au sol qui supplient d'être achevés... Ce sont des choses qui hantent les hommes qui n'étaient pas fait pour cette vie. Mon Père connaissait la vue du sang, mais jamais à cette échelle. Je pense même qu'il ne s'est en réalité jamais vraiment remit de cette expérience, malgré tout ce qu'il a bien pu me dire. Ce genre d'horreurs appartiennent à la catégorie des choses que l'on oublie pas. Mais mon Père voulait oublier. Boire pour oublier. C'est pourquoi, au lieu de rentrer tout de suite chez lui, ne se sentant pas encore prêt pour retourner auprès des siens dans cet état, il se mit en tête de rester quelques temps à Port-Perché. C'était, en effet, ici que le navire chargé de rameuter les troupes sur le continent avait fait escale. À l'époque, c'était un endroit sans grande prétention. Beaucoup de navires, certes, mais pas grand chose d'autres à côté. Heureusement pour mon Père, il y avait des tavernes. Les marins et les soldats avaient pour habitude de se rendre au "Bigorneau Cornu". Apparemment, on y trouvait les plus belles filles et la bière la moins chère des environs. Si cette idée n'était pas pour déranger mon Père, c'était davantage la compagnie qui lui posait problème. Il avait besoin d'être seul. De boire seul. Il ne voulait nullement entendre le vacarme des matelots avinés. Pas plus que les exclamations d'ivresse de ses anciens compagnons d'armes.

Aussi, choisit-il une autre taverne. Plus éloignée du port, peut-être plus coûteuse mais débarrassée de la présence nocives des pauvres hères qui troubleraient à coup sûr le repos et le calme dont il avait besoin pour se reconstruire. Son dévolu se jeta sur un modeste bâtiment à la toiture verte foncée et aux murs blancs. "L'Ange des Mers" semblait en être le nom. La carte avait l'air satisfaisante et elle proposaient des chambres à bas coûts. Un simple regard rapide à l'intérieur confirma ses seules attentes : pas le moindre client. Juste un vieil homme de petite taille à la calvitie marquée et à la moustache blanche qui attendait à moitié endormi au niveau du comptoir. Mon Père expira profondément et passa le seuil de la porte. Il s'assit près du comptoir et demanda au vieil homme une simple corne de Bière de Pandarens. Le gérant, amical et souriant, lui proposa de s'installer le temps qu'il la lui prépare. Les Maîtres Brasseurs Pandarens sont reconnus mondialement pour la qualité de leur breuvage. Le simple fait que cette taverne en propose était suffisant pour assurer à mon Père qu'au moins son argent ne partirait pas dans de la tambouille. Il s'assit ainsi près du comptoir. Puis, après quelques secondes d'attente, une jeune femme de très petite taille aux grands yeux bleus et aux cheveux blonds mi-longs et bouclés, un tablier blanc par dessus une robe noire et marron vint la lui apporter sur un plateau, un grand sourire aux lèvres. Mon Père venait alors tout juste de rencontrer ma Mère.

Ma Mère, Gretta Switz, ou Müeller de son nom de jeune fille, travaillait alors en tant que serveuse dans la taverne de son vieux père. Malgré sa petite taille, elle débordait d'énergie et ne se laissait jamais abattre par quoi que ce soit. Sa simple présence suffisait à redonner le sourire à autrui. Ceci dit, elle n'était pas seulement serveuse dans cette taverne. En effet, si il y a bien un principal point commun qu'elle partage avec mon Père, c'est sa capacité à pouvoir être multitâches. En outre, elle se chargeait également de la cuisine, du ménage, de l'accueil et même de la préparation des chambres de "l'Ange des Mers". Ce nom proviendrait d'ailleurs de la façon

qu'avait mon grand-père maternel d'appeler son épouse. En effet, son rêve fut de vivre ses derniers instants avec lui dans une taverne près de la mer. Hélas, cette dernière mourut en donnant vie à ma sixième tante, ne laissant à mon grand-père, Karloff Müeller, que la volonté de réaliser ce rêve en l'honneur de sa mémoire. Tel est le fardeau des Semi-gnomes, celui de vivre plus longtemps que leur dulcinée. J'en ai moi-même fait les frais... Troisième née dans une famille de sept sœurs, ma Mère fut toujours très protectrice avec sa Famille. Elle n'hésitait jamais à donner de son temps et de son énergie quand le moindre de ses proches était dans le besoin. Ayant d'abord grandit dans un village forestier Semi-Gnome du Sud-Est de Costerboros, elle et ses sœurs eurent le droit à une véritable éducation. Contrairement à mon Père, ce ne fut pas dans le monde paysan que naquit ma Mère mais dans celui du commerce. Aussi était-il préférable aux yeux de mes grands-parents d'apprendre à leurs enfants à aussi bien se débrouiller qu'eux en société. Et pour se faire, apprendre à lire, à écrire et à compter est en général un bon début. Ma Mère s'entendait parfaitement avec cinq de ses six sœurs. Elle nourrissait un amour profond pour ses parents ainsi que pour sa plus grande sœur tout en s'occupant de ses cadettes comme une mère s'occuperait de ses enfants. Ce fut d'ailleurs lorsque ma Grand-Mère quitta ce monde qu'elle fut plus présente que jamais dans la vie de sa fratrie. Proposant toujours une épaule sur laquelle pleurer ou, à défaut, une oreille attentive, se désignant à chaque fois pour effectuer les tâches ménagères et trouvant presque toujours des solutions aux problèmes de ses sœurs, notamment amoureux, elle voulait combler au maximum le vide que laissa ma Grand-Mère derrière elle. Et surtout pour la petite dernière, ma tante Jenny, qui n'eut jamais la chance de vraiment la connaître. Elle comprit alors, elle qui cherchait encore ce qu'elle voulait faire dans la vie, que son vœu le plus cher était celui de devenir mère de famille. Je pense d'ailleurs que c'est cet entraînement avec ses sœurs qui lui permettra d'aussi bien s'en sortir lorsque c'est le nombre de ses enfants qui se mettra à grandir brusquement.

En revanche, il était une sœur, la deuxième, avec qui les relations étaient plus complexes, surtout lorsque ma grand-mère trépassa. Ma tante Michelle blâmait constamment ma Mère pour tout et pour rien. Elle la jugeait responsable de tous ses maux. N'ayant pas le courage de s'en prendre à son aînée et ayant prit l'habitude de prendre sa cadette pour bouc émissaire avant même la naissance de ses autres sœurs, elle développa un profond sentiment d'infériorité. D'après ma Mère, elle était persuadée que leurs parents l'aimaient moins que leur troisième fille. Lorsque mon Grand-Père perdit sa femme, ma tante Michelle devint encore plus dure envers ma Mère, l'accusant à demi-mot d'être la raison de ce triste décès. Les années passèrent et, quand mes tantes furent en âge soit de quitter le village forestier, soit d'y résider toutes seules, il ne resta plus que deux filles aux côtés de mon grand-père : ma Mère et ma tante Michelle. Toutes deux désireuses de voir le rêve de feu leur mère devenir réalité, elles firent fi de leurs mésentente pour l'accompagner dans un port près de la mer où donner naissance à la taverne dont elle parlait tant à son mari. Elles espéraient toutes deux que cette épreuve allait les rapprocher.

Depuis toute petite, ma Mère a toujours été très débrouillarde. Que ce soit en commerce comme dans la vie, elle réussissait toujours à trouver des réponses à ses soucis. En outre, pour attirer un peu de clientèle, elle engagea une petite troupe de bardes itinérante pour en faire la publicité dans les autres taverne de Port-Perché. De plus, pour apporter plus de diversité à sa carte, elle usa de ses contacts avec d'anciens amis Pandarens de sa mère pour pouvoir proposer des breuvages provenant de Maîtres Brasseurs. On ne peut pas pour autant dire que ce don profitait à tout le monde.

Une fois la taverne créée, ma tante n'avait aucune idée de ce qu'elle allait bien pouvoir faire. Pour elle, c'était avant tout symbolique. Elle ne comprenait pas que pour que le bâtiment puisse subsister, au moins du vivant de leur vieux père, il fallait le faire tourner. Michelle était trop maladroite pour cuisiner, trop antipathique pour faire le service et trop fainéante pour le ménage. Mon grand-père la chargea donc de surveiller la caisse pendant que ma Mère se chargerait de tout le reste tout en y prenant plaisir et en hésitant pas à faire du zèle. Fatiguée dès les premiers jours de ce travail lassant, ma tante commença alors à se servir elle-même dans les quelques revenus de la caisse, faussant les comptes. Elle se permettait même quelquefois de sortir pendant ses heures de travail pour se remplir la panse ou s'acheter des bijoux aux profits de "l'Ange des Mers". Pour elle, de toute façon, ce bâtiment n'était là que pour faire plaisir à son père. Qu'il fonctionne bien ou non, ça n'avait pas d'importance. Ainsi, cette situation dura pendant quelques mois. Hélas, les sommes dérobées par Michelle étant de plus en plus importantes avec le temps, il était impossible pour ma Mère et mon grand-père de s'occuper à la fois de l'entretien de la taverne, du service et des partenariats. Dans l'incapacité d'embaucher, les clients se firent de moins en moins nombreux et lorsque ma Mère comprit où était passé tout l'argent en découvrant, pendant le ménage, les robes chics que ma tante cachait sous son lit, elle préféra taire la chose pour ne pas alimenter à nouveau les conflits et permettre à leur père de ne pas voir le rêve de sa femme brisé par l'une de ses filles. Cependant, il ne manqua pas de lui échapper que si les choses continuaient de la sorte, ils allaient très vite devoir mettre la clé sous la porte.

Et c'est quelques jours seulement après les premières demandes de rachats de l'établissement par des marchands Oyvey que mon Père fit son apparition dans la vie de ma Mère. Je me rappelle écrire cette question sur mon petit carnet et la faire lire à ma Mère : "Comment vous êtes vous rencontrés et qu'est-ce qui t'as plu chez lui ?" Elle ne manquait jamais de sourire lorsqu'elle me racontait qu'étrangement c'était son humour qui avait fait chavirer son cœur. Moi-même j'avoue n'avoir jamais considéré mon Père comme un bouffon. Mais semblerait-il qu'en voyant ma Mère lui apporter sa corne de Bière Pandaren et lui faire la conversation tout en passant un coup de chiffon sur le comptoir, mon Père aurait fini par lui raconter une plaisanterie graveleuse qui ne l'aurait probablement pas faite autant rire si la chute n'avait pas été prononcée avec un tel désintérêt et de façon aussi sérieuse. Malgré les soucis d'argent, ma Mère n'est pas du genre à mentir sur qui elle est et sur ce qu'elle apprécie pour parvenir à ses fins. Telle est probablement notre différence la plus évidente. Et concernant mon Père qui ne voulait être dérangé pour rien au monde, il se rendit vite compte que si il espérait à présent passer ses journée dans cette taverne, il valait mieux s'entendre avec celle qui semblait être en charge d'à peu près tout ici. Et de fil en aiguille, cette simple volonté de briser la glace se transforma en longue discussion passionnée. Une parfaite alchimie était alors née entre eux.

Mon Père commença dès le lendemain de sa rencontre avec ma Mère à passer plus de temps à lui parler plutôt qu'à boire ou qu'à repenser à la bataille. Il ne se rendit compte que très tard que c'était une Semi-Gnome. En vérité, il n'en avait encore jamais vu. Il est chose courante de haïr son ennemi au retour d'une guerre. Mon Père n'a jamais haït le moindre nain, le moindre elf ou le moindre gnome. Il avait une façon très simple et pourtant très juste de qualifier la guerre : "Ce sont des hommes qui ne se connaissent pas mais qui se battent, commandés par des hommes qui se connaissent mais qui ne se battent pas." Mon Père se fichait éperdument de la

race d'autrui. Seuls les actes l'intéressaient. Pourquoi en vouloir à une race toute entière quand on a déjà des noms précis à maudire ? Il aimait ma Mère telle qu'elle était et ne la voyait pas moins humaine après cette révélation qu'avant. Avec elle, il se sentait bien. C'était justement ce qu'il recherchait. Il finit bien par lui proposer de se balader avec lui dans les rues de Port-Perché mais, elle fut forcée de décliner son offre à cause de son travail harassant. Et c'est précisément à ce moment que ma tante Michelle fit à nouveau son apparition. Ce fut la première fois que mon Père découvrit sa future belle-sœur. Et le portrait n'était pas glorieux. Elle était complètement ivre, portait de travers une élégante robe couleur jade cernée de bijoux et empestait l'alcool de bas étage à plein nez. Ses longs cheveux noirs étaient complètement ébouriffés, du maquillage lui coulait sous les yeux et elle avançait pieds nus en titubant tout en tenant ses chaussures à talons noirs dans les mains. Ma mère savait mais préférait ne rien dire, elle se retourna simplement pour s'assurer que son père ne la voit pas dans cet état. Mon Père proposa alors d'aider à lui faire monter les escaliers, ce qu'elle accepta immédiatement. Installée par mes parents sur l'un des lits réservés aux clients, elle aurait tout de même finit par lancer à ma Mère entre deux renvois et juste avant de s'endormir qu'elle ferait mieux de laisser tomber, que mon Père était trop bien pour elle et que de toute façon qui voudrait finir en couple avec une fille comme elle ? Le sujet n'avait jusqu'alors été mit sur la table à aucun instant. Mes parents rougirent tous deux, une fois ces dires prononcés. Pas forcément pour les mêmes raisons. Mon Père fut le premier à se remettre de ses émotions et proposa une nouvelle fois à ma Mère de prendre l'air pour se changer les idées. Elle accepta. Ce fut leur premier vrai rendez-vous. À partir de cet instant, leur situation changea. Ma mère laissa pour la première fois mon grand-père seul avec ma tante pendant qu'elle s'accordait un petit temps de répit. Cette sortie lui plut tellement qu'il renouvelèrent l'expérience le lendemain, puis le sur-lendemain, jusqu'à ce que mon Père ne lui propose une bonne fois pour toute de s'installer avec lui. De ses propres aveux, avouer ses sentiments à ma Mère fut la chose la plus difficile à réaliser de toute sa vie. Leur premier baiser eut lieu quelques secondes après cette proposition.

Lorsque ma Mère demanda à son vieux père sa bénédiction, celle-ci lui fut accordée pratiquement instantanément. Mon grand-père aimait sa fille, elle était restée à ses côtés toute sa vie. Elle allait devoir voler de ses propres ailes à présent. Ma tante, au contraire, ne fut pas du même avis. De nouveau sobre, elle lui adressa ses quatre vérités en face avant de se faire recadrer par mon grand-père. Le pauvre homme savait qu'il ne lui resterait plus longtemps à vivre. Aussi, voulait-il que ces dernières retrouvailles se fassent dans la joie et l'allégresse. Mon Père et ma Mère embarquèrent alors en direction du village de ce dernier, afin qu'il la présente à ses parents. Il comptait, en réalité, surtout leur annoncer leur futur mariage. Ma tante Michelle fut laissée seule à Port-Perché et, à la mort de mon grand-père, fut la dernière à s'occuper de "l'Ange des Mers". Celle qui fut le moins intéressé par le projet devint celle qui reprit les rennes en l'honneur de la mémoire de ses parents. Malgré tout ce que je peux reprocher à cette dernière et en dépit de toutes les insultes proférées à l'égard de ma Mère, le fait d'être le dernier membre de sa Famille à s'accrocher à un rêve, cette impression de solitude, cette idée d'une personne seule et abandonnée qui se dresse contre l'adversité me rappelle également les choix que j'ai fait et force ma sympathie.

De retour sur sa terre natale, mon Père souhaita présenter sa future femme à ses parents. Ils étaient tous les deux encore en vie, bien qu'au bord du trépas. Mon Oncle, lui, n'était pas là, parti faire sa vie ailleurs depuis quelques temps. Leur molosse avait eu des chiots entre-temps.

Pour fêter ce retour triomphal, ils décidèrent de lui offrir le plus jeune de ces derniers. Mon Père commença en le nommant sombrement : "le chien". Il était assez mauvais pour trouver des noms. Ma Mère insistera pour qu'on lui en trouve un autre, mais aucune de ses propositions ne plus à son mari. Il préférait "le chien". C'est finalement moi qui lui trouverait son nouveau nom. Au départ, je voulais le renommer "Licorne", une espèce de cheval cornu légendaire que j'avais inventé en la dessinant sur mon petit carnet. Néanmoins, je finis par jeter mon dévolu sur un autre nom, en l'honneur à cette créature de légende que j'aimais tant : Dragon.

Hélas, les présentations se passèrent très mal. Mes Grands-Parents tenaient les autres races d'un très mauvais œil et ne pouvaient pas concevoir un seul instant que ce fils qui leur avait tout donné puisse épouser une non-humaine. Ils refusèrent catégoriquement leur union et furent odieux envers ma Mère. Ils la traitèrent de "maudit gnome", dirent qu'elle allait leur "enlever leur fils", ou encore que "c'était contre des gens comme elle que mon Père était parti en guerre". En bref, voyant que mon Père s'accrochait encore à elle, ils lui fixèrent un ultimatum. Si il choisissait de continuer sa vie avec elle, alors il serait bannit à tout jamais de chez eux. En somme, cela revenait à choisir entre sa Famille biologique et celle que l'on souhaite créer. Mon Père accepta le bannissement. La famille pour laquelle il avait tant donné se refusait à lui laisser en bâtir une nouvelle. Abandonner l'ancienne qui ne nous reconnaît pas pour en reformer une parfaite. Tel est le choix que mon Père et moi avons pris. La Famille n'est pas une question de

sang, c'est une question de loyauté. Ce qui compte n'est pas ce que la vie vous donne, mais ce que vous voulez en faire.

Leur mariage se concrétisa donc quelques années plus tard, où outre leurs grands amis, seuls furent présents le frère de mon Père et les sœurs de ma Mère, à l'exception de ma tante Michelle. La réception eut lieu le 11 mai 1193 dans un petit village champêtre du nom de Kürsk. Mes parents avaient trouvé cet endroit parfait pour s'installer. À vrai dire, il cochait plus ou moins toutes les cases qu'ils souhaitaient voir remplies. L'environnement contrastait avec beaucoup de choses qu'ils avaient déjà perçu par le passé, sans pour autant s'écarter de la sphère d'influence de Ragnor, divinité auquel mon Père adressait ses prières. Ma Mère n'était pas vraiment religieuse, ses parents ne lui ont jamais vraiment inculqué la valeur de ces rites. Mais le simple fait de savoir son mari malheureux ailleurs qu'ici la forçait également à être pour s'installer dans un lieu où était vénéré ce faux dieu. Quelques mois leur suffirent pour trouver leurs repères. Mon Père socialisa très vite avec le reste des hommes du village, au point de devenir après quelques années l'un des habitants les plus appréciés. Il aidait quiconque venait le solliciter pour le moindre problème manuel. Les chasseurs étant ceux qui venaient le plus le voir, il devint très vite un très bon ami à eux, retirant à merveille la fourrure des bêtes et coupant tout aussi bien la viande. Complimenté pour ses talents, il prit très vite goût à cette activité et, afin de gagner sa vie, devint le boucher du village. Sa complicité avec les chasseurs était telle que l'un d'entre eux, Lars Ziegler, devint son meilleur ami et vint s'installer dans la maison à côté de la notre. De la même façon, ma Mère quant à elle devint la figure de référence des femmes du village. Toujours charmante et bien attentionnée, elle prenait tous les jours des nouvelles de tout le monde. Et si quelqu'un avait besoin de conseils ou d'un avis sur tel ou tel sujet, elle prenait toujours sur son temps libre pour aider. Il restait cependant en suspend la question de l'intérêt concret qu'elle pouvait apporter à la collectivité. Bien sûr, les femmes au foyer étaient monnaie courante à Kürsk, tout comme dans n'importe quel autre village d'ailleurs. Mais ma Mère tenait à se rendre utile, véritablement utile. Elle se rappela alors de l'offre que lui fit son beau-frère, un

certain Gontrand de Milletiers, lors de son mariage. Cet homme, propriétaire terrien et détenteur d'un vaste empire poudrier, était un homme avide qui ne cherchait qu'à étendre son commerce. C'est pourquoi il enchaînait les mariages avec des femmes de différentes races : pour exporter ses produits au maximum de contrées. Ainsi, il proposa à ma Mère de lui fournir quotidiennement des caisses entières de poudre qu'elle pourrait vendre sur le marché de Kürsk afin d'étendre sa clientèle, chose qu'il présentait comme du gagnant-gagnant. Ma Mère, ayant grandit dans une famille de marchands, accepta l'offre, percevant la chose comme un acte de générosité familial. Il ne surprendra personne de savoir que cet homme cherchera, quatre ans plus tard, à faire tuer son épouse, ma tante, pour pouvoir se remarier une fois de plus et ainsi continuer ses petites affaires. Et il sera encore moins surprenant de révéler que je finis par apprendre ce qu'il comptait faire et qu'il fut exécuté pour cela. Il sera déclaré dans son testament que la moitié de ses biens reviendront de droit à ma tante, et que l'autre moitié sera légué à une organisation fantoche créée par moi-même sensée alimenter les soldats de Costerboros en poudre à canon. Un bon patriote doublé d'un bon mari quitte ce monde cruel en assurant la relève derrière lui. Qui chercherait à faire valoir l'inverse ? Ce subterfuge me permettra malgré tout d'avoir en ma possession toute la poudre nécessaire pour équiper mes hommes en fumigènes et en somnifères. Les bombes de poudres que je demanderai à mettre au point permettront d'ailleurs à plusieurs reprises à un certain Leborgne de se sortir de situation à première vue désespérée. En outre, même les

hommes les plus détestables peuvent vous rendre service. Il est malheureux de constater que cela arrive néanmoins la plupart du temps surtout une fois qu'ils sont morts.

Et c'est ainsi, au cœur d'un village aux habitants accueillants et amicaux que mes Parents s'installèrent et me permirent de grandir. Seulement, la réalité n'est jamais vraiment aussi belle que ce que l'on souhaiterait qu'elle soit. Il est courant de tomber de haut lorsque la réalité nous rattrape. L'histoire de mes Parents, d'avant leur rencontre jusqu'à leur arrivée à Kürsk a été pour moi à la fois un moteur et une immense source de compréhension sur le monde qui m'entourait. Et maintenant que j'étais là, maintenant que j'étais né et qu'il m'était demandé de faire quelque chose de cette vie, je me devais de rendre fiers ceux qui me l'avaient offerte. Pour comprendre ce monde nouveau qui s'offrait à moi, je devais d'abord comprendre leur histoire. Et maintenant que vous connaissez également leur histoire, le temps est venu de raconter la mienne.

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