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Chapitre V : Le Trésor de Subario ............................................................................................. 38

Chapitre V : Le Trésor de Subario

Le soleil venait tout juste de se lever. Cette nouvelle journée allait être d'une importance capitale pour moi. Je me devais d'innover compte tenu de la situation dans laquelle je m'étais immiscé la veille.

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Cette nuit encore, je devais retrouver les cinq gnomes de la dernière fois et renforcer notre relation de confiance mutuelle. Aussi, je passai toute ma matinée, ainsi qu'une bonne partie de mon après-midi, à peser le pour et le contre, à calculer mentalement quelles seraient les façons les plus avantageuses de procéder, quels seraient les bénéfices les plus importants que je pouvais en tirer.

J'en vins finalement à ce verdict : il me fallait continuer à aider ce groupe de malfrats dans leurs braquages et augmenter graduellement le montant des sommes à dérober, pendant encore quelques temps. Cette première étape n'était pas pour me plaire, mais elle était indispensable. Sans elle, impossible de passer à la suivante. Et sans la suivante, impossible d'atteindre mon but ultime. Je ne pouvais cependant pas me contenter de vendre la position des convois des simples petits marchands de Kürsk. Si je voulais faire de ces cinq là ma porte d'entrée pour le monde des puissants, il me fallait m'assurer qu'ils finissent par s'en prendre à ces derniers. Tout le but de la manœuvre était de faire en sorte que ce groupe finisse par entrer en contact avec l'une des grandes figures locales. Peu importait laquelle, du moment qu'ils réussissaient à acquérir ses faveurs. Comme je l'ai déjà expliqué, le simple fait de tendre l'oreille à ce que les autres racontent, sans laisser deviner qu'on y crédite de l'intérêt, est la meilleure façon d'agrandir son savoir. Et le savoir, c'est le pouvoir. Entendre les histoires de querelles entre les nobles, d'héritages, de successions, ... C'était en réalité monnaie courante, à l'époque. Même pour les gens de peu. Ils avaient tout à gagner à révéler l'étendue de leur puissance ou de leur importance à nos yeux. Suivre leurs aventures était en quelque sorte un moyen d'occuper les masses en dehors du travail. Seules leurs petites manigances demeuraient cachées. Elles n'étaient révélées par la suite que par le vainqueur, et ne concernaient bien évidemment que le vaincu. Le point positif lorsque l'on grandit entouré de marchands, c'est que les informations circulent très vite et atteignent tout aussi rapidement les oreilles de qui sait entendre. Les inspirations me vinrent par milliers lorsque les complots, les manigances et les conspirations qu'ils menaient les uns envers les autres m'étaient indirectement narrées. Je pouvais m'inspirer de la base, sans pour autant commettre les mêmes erreurs qu'eux. Ils étaient, après tout, bien plus disposés que moi à innover dans ce monde d'intrigues et de vices dans lequel ils avaient grandi. Mêler les deux regards me permettraient ainsi de très vite trouver ma place. Une fois le contact établi, il me faudrait simplement gravir les échelons puis, une fois assez haut dans la hiérarchie, mettre en

place ma Nouvelle Famille.

Pour ce faire, j'avais déjà réussi la première étape : entrer en contact avec de petits bandits et gagner leur confiance. Le plus complexe restait, bien évidemment, à faire mais il fallait bien commencer quelque part. La suite consisterait à faire remonter leur existence dans les hautes sphères de cette partie du Royaume. Les Comtes et Barons se devaient après tout de garantir la sécurité des villageois en échange d'impôts, de travail, et de vivres. Et ils réagiraient encore plus rapidement si jamais ils devenaient eux-mêmes les victimes. Aussi, savais-je déjà lequel d'entre eux deviendrait notre prochaine cible. Pour être encore plus précis, j'étais déjà sûr de comment j'allais procéder, de comment m'en sortir, avec quoi, et de la façon dont j'allais convaincre ces nouveaux "alliés".

Comme énoncé précédemment, chacun d'entre nous savait qu'il était des oppositions entre nobles. Les Barons obéissaient aux Comtes qui obéissaient eux-mêmes aux Ducs, ces derniers n'étant au service que du Roi lui-même. Or, dans notre contrée du Grand Ouest de Costerboros, il était deux Ducs. L'un était régent de la partie nord, et l'autre de la partie sud. Kürsk se situait dans la partie nord. Nous apprîmes cependant que, dix ans avant ma naissance, leurs relations mutuelles devinrent extrêmement conflictuelles. Si la guerre entre eux n'avait jamais été directement déclarée, évitant ainsi une intervention du Roi ou de Kal'Drik, Prophète de Ragnor, les règlements de comptes furent pourtant nombreux. Je ne compris les raisons de tout cela que plus tard. Aussi, Barons et Comtes furent forcés de choisir un camp.

En nous en prenant directement à celui que j'avais désigné, et en ne répétant la chose qu'avec ceux de son côté, nous finirions par nous attirer, en plus de la colère de ces derniers, la sympathie de leurs opposants. L'ennemi de mon ennemi est mon ami, comme on dit. Il reste néanmoins plus juste de parler d'alliés temporaires, ou de circonstances, plutôt que d'amis. Il faut dire que si il commençait à s'ébruiter, dans leur tour d'ivoire, qu'un groupuscule de petits bandits ridicules commençait à poser problème à de grands nobles, l'un d'entre eux nous ferait très vite disparaître sans trop d'efforts. Cependant, si nous nous focalisions sur certains en particulier, en laissant les autres tranquilles, nous pouvions alors jouer un rôle direct en tant que partenaires secrets dans les conflits personnels des puissants, et ainsi nous faire des alliés qui nous couvriraient. Cependant, nous nous devions de ne pas justifier ces actes par des motifs purement intéressés de petits voleurs indépendants. Non, il nous fallait leur faire croire à une plus grande organisation. Une organisation secrète, dont personne n'avait encore entendu parler jusque là et capable de s'en prendre aux puissants, sans craindre de représailles à un seul instant. Voilà ce qui susciterait l'intérêt du camp ennemi. Voilà ce qui permettrait de passer aux prochaines étapes. Gagner la confiance des bandits était déjà chose faite. Il était alors temps de se mettre l'un des Ducs dans la poche.

Néanmoins, une question restait en suspend. Comment allais-je faire pour maintenir une relation de confiance avec ces cinq-là, si je continuais à me cacher à eux ? Il ne fut pas chose aisée de trouver une solution. En me dévoilant à eux tel quel, je risquais à ce qu'ils me

reconnaissent plus tard. En trouvant un intermédiaire, je leur donnais un moyen de remonter jusqu'à moi. En me fournissant un déguisement, je mettais en péril la confiance qu'ils pouvaient m'accorder. Je devais trouver un autre moyen. Un moyen qui me permettrait de conserver cette dite relation de confiance et d'interagir directement avec eux, sans trop me mouiller pour autant. Et c'est en resongeant à ces trois impossibilités que je trouvai la solution. À savoir : cumuler les trois à la fois. Présenté de la sorte, il serait bien légitime de votre part de vous demander si je n'avais pas perdu la raison. Pour vous détromper, laissez-moi vous présenter la chose autrement. Il me faudrait dans tous les cas me présenter frontalement à eux. Que ce soit pour instaurer un climat de confiance ou les guider dans la marche à suivre, je serais contraint de leur faire fatalement face, à un moment ou à un autre. Par conséquent, je devais me dévoiler à eux. Cependant, je ne pouvais leur donner ma véritable identité ou même prétendre être Monsieur S. Ce nom devait être celui d'une figure intouchable, inatteignable, imperceptible. Pour faire croire à son importance, à sa puissance, à son omniprésence, il lui fallait des sous-fifres. Pour le mettre en valeur, je devais être son porteur de messages. En outre, il me fallait devenir l'intermédiaire de Monsieur S. Et enfin, il était inconcevable que je me présente comme tel devant eux sans porter le moindre camouflage. Qui aurait cru qu'un simple Semi-Gnome de trois ans pouvait être au service d'un homme comme Monsieur S ? Absolument personne, même les plus idiots. Je devais donc me trouver de quoi laisser croire que j'étais quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus vieux, de plus expérimenté. Je devais me trouver un déguisement. Et je devais le faire moi-même, avec les moyens du bord, et sans l'aide de personne, au risque de susciter la méfiance et le doute. J'aurais aimé hériter des talents de couturière de ma Mère, mais, à défaut de les avoir, je me contentai de la débrouillardise de mon Père. Aussi, mon dévolu se tourna vers une apparence de vieux gnome rabougri. Je profitai du départ de mes Parents vers leur lieu de travail pour consacrer ma fin d'après-midi à l'élaboration de mon costume. Je pris, dans un premier temps, le couteau de boucher de mon Père et j'ouvris une à une les peluches que j'aimais le moins pour en extraire la laine à l'intérieur. Puis, après m'être débarrassé des restes de ces dernières, je retrouvai la malle dans laquelle était pliée le long manteau noir que ma Mère m'avait cousu pour mon troisième anniversaire. Le problème, qui se révéla finalement ne pas en être un, c'est que les proportions étaient en réalité trop larges pour moi. Aussi, pensa-t-elle que je pourrais le porter lorsque "je serais plus grand". Pas besoin d'attendre si longtemps, en réalité. Je rembourrai le dit manteau avec la laine blanche préalablement récupérée. Puis, je me mis à fouiller dans ses affaires de maquillage et je finis par trouver de quoi fixer la laine restante au niveau de mes sourcils, sous mon nez, et sur mon menton. Je récupérai également les moufles blanches, les grosses bottines noires et le bonnet rouge que m'avait offert ma Mère lors de l'hiver dernier. Ainsi, mon apparence frêle et juvénile laissa place à celle d'un vieil homme à la barbe blanche et au corps entier recouvert de vêtements chauds. Sur le chemin vers la forêt, je trouvai même une courte mais solide branche de bois que j'ajoutai à ma panoplie en tant que canne. Je considérais que cela renforçait encore davantage la crédibilité de ma couverture. Cependant, la pièce maîtresse de cette dernière résidait dans mon arme secrète. Il aurait été beaucoup trop risqué d'emporter un couteau avec moi. Mais je n'étais pas fou. Je n'allais pas

risquer ma vie pour cinq malheureux imbéciles en me contentant de croiser les doigts pour que cela fonctionne. Il me fallait quelque chose pour me défendre ou à défaut, pour me permettre de m'échapper si jamais les choses tournaient mal pour moi. Néanmoins, il me fallait à la fois quelque chose d'assez léger pour ne pas rendre mes "nouveaux amis" méfiants, et à la fois d'assez dangereux pour me débarrasser des cinq à la fois, en cas de problème. Il va sans dire que je n'avais pas de telles choses chez moi. Cependant, il était toujours possible de faire croire que j'en possédais bel et bien. Aussi, trouvais-je, en fouillant dans les affaires de ma Mère, un collier que mon Père lui avait offert des années auparavant. C'était une monture argentée entourant en son cœur un magnifique bijou. Il s'agissait d'une ambre : une pierre précieuse de couleur orange. Fut un temps, il était devenu l'accessoire préféré de ma Mère. Seulement, un jour, alors qu'elle se rendait sur le marché, elle entendit non loin d'elle un homme paniquer. Il s'agissait de Stewart, le collectionneur de gemmes. Aussitôt cette dernière se rapprocha de sa direction pour comprendre ce qui n'allait pas, aussitôt il reprit ses esprits et s'excusa auprès d'elle pour sa méprise. Trop absorbé dans son travail, il avait confondu l'ambre que ma Mère portait au cou avec ce qu'il appelait : une Gemme explosive. Ma Mère, qui n'y connaissait rien en gemme, fut surprise d'apprendre qu'il existait des objets qui pouvaient s'apparenter de loin à ce genre de pierres précieuses. Seulement, elles étaient très dangereuses et pouvaient, au moindre contact, libérer une véritable déflagration, pouvant emporter tout ce qui se trouvait dans son périmètre. Si un homme comme lui avait fait cette erreur, alors n'importe qui ayant un jour entendu parler de ces petites choses pouvait être piégé. Pour limiter les risques de faire peur aux amateurs de gemmes à nouveau, ma Mère déposa donc ce collier dans sa penderie et n'y retoucha plus ensuite. Mon Père lui en trouva d'autres pour compenser ce délais. Et le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je retirai délicatement la dite pierre précieuse de sa monture. Si ma Mère ne comptait plus le porter, autant valait-il mieux qu'il me serve. Cette petite ambre me permettrait, si jamais les choses n'étaient pas à mon avantage, de retourner la balance en ma faveur. Peu de monde prendrait le risque de s'en prendre à quelqu'un équipé d'un objet pouvant désintégrer dans un souffle violent ses ennemis. Aussi, même si il existait un monde dans lequel au moins l'un d'entre eux était un grand amateur de gemmes, la nuit noire les empêcherait de faire la distinction entre un simple bijou et une arme destructrice. Seule la couleur orange leur viendrait à l'esprit. Jamais une couleur ne fut aussi représentative de la mort que le orange, pas même le noir. Ainsi, je déposai cette ambre dans l'une des poches avant de mon manteau. C'était bien là mon seul moyen de faire jeu égal avec eux qui seraient armés, réellement armés. Moi, je basais toute ma stratégie défensive sur un coup de bluff. Restait-il encore seulement à savoir si nous finirions par en arriver là ou non.

Le repas du soir s'était davantage apparenté à un festin. Nous mangeâmes en effet les bouts les plus tendre de notre chasse de la veille, découpés au préalable par mon Père. Si mes Parents se remplirent tout deux la panse jusqu'à plus soif, faisant honneur à notre petite traque, je restais, de mon côté, plus réservé. Il me fallait avoir les idées claires et l'esprit vif si je voulais réussir ma sortie du soir. Aussi me fallait-il prendre les forces suffisantes sans pour autant laisser la fatigue me rattraper après coup. Nous nous couchâmes finalement assez tôt, ce qui ne fut pas

pour me déplaire. Je devenais de plus en plus impatient à l'idée de retrouver ces cinq brigands. C'était comme si une sorte d'excitation malsaine s'était emparée de mon corps. Je voulais définitivement savoir si ce costume que je venais de concevoir remplirait sa mission ou non. Ainsi, à l'instant même où j'entendis les premiers ronflements de mon Père, je bondais hors de mes draps et me faufilai discrètement hors de ma chambre, en direction du grand sac où j'avais déposé toutes mes affaires. Ce dernier m'attendait bien sagement, rangé derrière la petite commode qui bordait mon couloir à la fenêtre entrouverte. Je me changeai très vite, coupant net le moindre de mes mouvements aussitôt que le plus léger des bruits de corps se retournant dans un lit me parvenait. Finalement, je quittai une nouvelle fois ma demeure, espérant que tout se passe pour le mieux. Mes parents avaient eu une nouvelle journée harassante doublée d'un bon repas. J'étais certain qu'ils dormiraient comme des loirs, cette nuit. J'avais raison. Paradoxalement, je ne craignais pas un seul instant d'être suivi par les cinq gnomes, aussitôt je serais partit. Ces derniers préserveraient une distance d'écart pour ne pas que je me doute de leur présence. Mais, arrivé dans les derniers mètres me menant au village, ils seraient dans l'incapacité de retracer mon chemin. Les raccourcis que je prenais, les petites embouchures par lesquelles je passais, les passage étroits où je me faufilais... Il y avait de quoi être rassuré à l'idée que seul quelqu'un d'aussi petit et svelte que moi pouvait passer sans rester coincé jusqu'au petit matin. Même eux, qui appartenaient pourtant à la race des Gnomes, seraient trop gros et trop empotés pour me suivre dans les minces dédales que j'empruntais. Même un chien au flair affûté n'y serait pas parvenu. Cette combinaison avait beau me grossir, elle n'en était pas pour autant vraiment handicapante pour mes déplacements. Certes, elle n'était pas parfaite. En pleine lumière, quiconque verrait aisément que je n'étais en réalité qu'un enfant déguisé en personne âgée. Mais, lors de nuit de pleine lune, à l'abri des torches et des éclaircis, qui pouvait bien le deviner ? Les nyctalopes, peut-être. Ce n'était pas leur cas. Aussi, savais-je parfaitement où me placer pour que l'ombre des arbres environnants recouvre le côté exposé de mon visage d'un mystérieux voile noir. Ils étaient là avant moi. Me changer m'avait pris plus de temps que prévu. J'entendais l'un d'entre eux se plaindre du temps que je prenais, avant de se faire reprendre par un autre lui disant que je devais sûrement travailler mon entrée. Le balafré était en train de scruter les environs tout en astiquant ses carreaux d'arbalètes. Leur chef était posé au centre du sentier, les deux mains sur les côtes et semblait également m'attendre en regardant dans la direction opposée à celle de laquelle je venais. Enfin, je vis l'un d'entre eux poser la tranche de sa main au dessus de ses yeux et me pointer du doigt, annonçant ma venue à ses petits amis. J'avançais lentement, boitant légèrement, un bâton dans la main gauche, ma main droite dans le dos. Je courbais légèrement ce dernier tout en les fixant tout les cinq, les uns après les autres, d'un regard à la fois sérieux et enjoué. Lorsque je fus arrivé à leur niveau, je maintenais une distance d'écart de quelques mètres, me laissant recouvrir par les ombres environnantes. Les cinq délinquants se rapprochèrent de moi. "Alors c'est toi, Monsieur S ?" furent les premières paroles que j'entendis. Avant de me présenter à eux, j'avais profité d'un petit temps passer à l'abri des regards pour rédiger sur quelques unes des pages de mon carnet les messages que j'aurais de toute façon du leur partager

à un moment ou à un autre. Cette question là faisait bien évidemment partie du lot. Je me présentai comme l'émissaire et confident muet de Monsieur S, n'ayant comme seul moyen d'expression que ces modestes pages. Si je ne pouvais leur révéler mon véritable nom, je leur affirmais qu'ils pouvaient m'appeler "Grand-Père", "Papi", "l'Ancien", qu'importe. Je les sentis un peu dubitatifs, au début. Et puis, certainement désireux d'établir un premier contact cordial, leur chef s'avança dans ma direction afin de me serrer la main. Celle que je gardais dans le dos se tenait prête à tout instant à foncer vers ma poche pour en sortir l'ambre. Seulement, il me fallait jouer le jeu et ne laisser présager à aucun moment d'intentions hostiles. Aussi, j'acceptai de lui serrer la main, tout en conservant mon bâton dans l'autre. Il se présenta comme étant Randy Maksharm, chef de cette petite troupe de bandits. Il s'agissait d'un gnome de taille moyenne, dans la force de l'âge. Ses cheveux étaient châtains grisonnants. Ses yeux marron-vert. Il portait un chapeau brun doublé d'un long manteau de la même couleur. Un léger air espiègle pouvait être remarqué sur son visage bordé à la fois d'une petite moustache et d'une petite barbichette des mêmes teintes que sa crinière. Rangés autour de sa ceinture, je remarquais que se trouvaient divers moyens d'ouverture. Des clés, des crics, des aiguilles, des crochets,... Bref, tout l'attirail du parfait cambrioleur. Évidemment, deux petites dagues étaient également dissimulées dans ses bottes de cuir. Une dans chaque. Vraisemblablement, en plus d'être chef, son rôle dans le groupe était celui de désactiver les pièges, d'ouvrir les serrures des portes et des coffres, ainsi que de se débarrasser discrètement des gêneurs. Je le regardais avec des yeux froids pendant qu'il se présentait à moi. Quelques secondes après m'avoir lâché la main, je me mis à écrire. Malgré mes moufles, je n'avais pas vraiment de difficulté à rédiger. Je lui expliquai que Monsieur S était admiratif de son travail et que ses talents de voleurs commençaient à lui octroyer une certaine réputation auprès des puissants. Ces compliments eurent l'air de lui faire plaisir. Je savais donc que, le concernant, c'était sur le terrain de la flatterie qu'il me fallait jouer. Voyant leur chef satisfait de ces premières formalités, trois autres gnomes vinrent également dans ma direction pour me serrer la main à leur tour. Randy me les présenta les uns après les autres, aussi bien dans leur caractère que dans leur rôle au sein du groupe. Le premier d'entre eux se nommait Gürbak. Ce gnome à la barbe noire comme l'onyx et au crâne rasé sur les côtés semblait jovial et robuste. Un léger sourire amical aux lèvres, il portait dans son dos un large et long fourreau dans lequel s'entrecroisaient une épée, une hache et une lance. Elles étaient cependant toutes les trois bien plus courtes que celles des humains. Pourtant, elles n'en étaient pas moins aussi tranchantes et affûtées. On ne pouvait pas dire que son esprit l'était tout autant, en revanche. Sa principale utilité au sein du groupe était de pouvoir porter sur son dos un poids qu'aucun des autres voleurs ne pouvait porter. Quand il fallait vite donner des armes à ses alliés, c'était lui qui s'en chargeait. Quand il fallait décamper en vitesse en emportant la marchandise dans un sac lourd, c'était lui qui la portait. Il était en quelques sortes : les muscles du groupe. Je ne m'abaisserai pas à renouveler l'expression : "tout dans les bras, rien dans la tête", mais dans son cas, elle semblait tout particulièrement appropriée. Je n'étais pas loin de me demander si de la bave finirait par lui couler des lèvres. Concrètement, ce malfrat là n'avait rejoint ce groupe que parce qu'il était un ami d'enfance de Randy et qu'il souhaitait le suivre où qu'il aille et quoi qu'il

fasse. Il n'était pas vraiment un mauvais bougre en somme, mais il avait fait des choix. Et certains choix sont impardonnables. Quoiqu'il en soit, il se contentait simplement d'obéir aux ordres et ne jurait que par ceux de son chef. En l'entendant parler, je compris d'ailleurs que c'était certainement lui qui avait insisté tout ce temps pour abandonner leur embuscade. Il semblait bien m'apprécier. J'avais fait bonne figure auprès de son chef, après tout. Et si je parvenais à tenir en laisse le chef , il en serait de même pour Gürbak. Le troisième gnome qui vint me saluer se présentait sous le nom de Tryphon. Si il ne semblait pas être une lumière lui non plus, son équipement en restait pour le moins intéressant. Seul le haut de son visage m'était révélé laissant apparaît des cheveux blancs,courts et mal coiffés ainsi que deux yeux noirs. En effet, une sorte de haut col bleu marine venait lui dissimuler le menton, la bouche, ainsi que le bas du nez. Il ne laissait dépasser de derrière son crâne qu'un étui remplit de flèches et un arc posé dans son dos. Je devais me fier à son simple regard pour m'imaginer qui il était vraiment. Et de ce que je pouvais en déduire, il n'y avait pas grand chose à sauver. Néanmoins, des propres dires de Randy, Tryphon était un expert dans l'art de la concoction de potions. Aussi, fabriquait-il lui même les multiples fioles colorées qu'il avait en bandoulière. Poisons en tout genre, somnifères, hallucinogènes, gaz toxiques, ... Bien des choses en somme lui permettaient d'assurer à son groupe une attaque réussie, à condition de bien s'y préparer. Il n'en avait pas des stocks illimités mais assez à chaque fois pour faire réussir leurs petites missions. C'est d'ailleurs sa fiole qui, une fois projetée au sol, libérait un épais nuage de fumée provoquant toux et brûlure aux yeux qui, en plus de leur permettre à chaque fois de s'échapper à temps, m'inspira l'idée de mes futures bombes de fumée. Il n'avait pas l'air spécialement méfiant vis-à-vis de moi. Il me disait que si Monsieur S voulait profiter de ses mixtures, il était disposé à lui en vendre pour une somme raisonnable. Je lui fis alors comprendre que je lui en parlerai moi-même. Ça sembla assez pour lui faire plaisir. Quoique je pouvais penser de la personne qui me faisait face et des raisons purement matérielles qui l'ont poussé à rejoindre ce groupe, je ne pouvais retirer à Tryphon ses qualités de chimistes. Il allait s'avérer extrêmement utile lors des missions qui allaient suivre.

Le dernier d'entre eux qui vint de son plein grès me passer le bonjour était un certain Jörgen. Celui-là était plus grand et semblait à peine plus malin que ses deux compères. Plusieurs sacs étaient accrochés à sa tenue. C'était apparemment lui qui se chargeait de les garder sur lui. Il avait les cheveux bruns, comme moi, mais sa coiffure contrastait complètement avec la mienne. L'on pouvait la décrire comme une sorte de coupe au bol, identique à celles des moines, mais avec des trous par-ci, par-là. Nous n'avions aucune idée de comment il s'était débrouillé pour rater quelque chose d'aussi simple, mais cet imbécile avait pourtant réussi. Maintenant souvent ses yeux marrons fermés, il laissait apparaître une croix de feu en pendentif sur son torse. Je la remarquai au premier coup d’œil. Un adepte de Ragnor, lui aussi... En vérité, le vœu le plus cher de Jörgen était, en fervent croyant, d'accumuler assez d'argent pour ériger sa propre église en l'honneur de son Dieu. Aussi, se moquait-il éperdument de si les moyens mis en œuvre étaient justes ou non. Pour lui, tant que c'était pour Ragnor, alors peu importait. Il serait pardonné dans

tous les cas, si c'était pour lui. Il voulait simplement accomplir son rêve le plus tôt possible, et pour se faire, il a jugé que c'était en rejoignant ces voleurs qu'il y arriverait. Soit. À défaut de partager quoique ce soit avec lui, je pouvais au moins lui reconnaître que je comprenais sa démarche. Qui serais-je pour critiquer un homme désirant plus que tout au monde voir son plus grand rêve s'accomplir au plus vite ? Quoiqu'il en soit, l'un de ses sacs semblait rempli, là où les autres paraissaient vides. En réalité, Randy m'expliqua que c'était bien Jörgen qui était en charge des soins, si jamais il y avait des blessés. D'ailleurs, lorsqu'ils tombaient à cours de bandages, ce dernier canalisait son énergie pour générer sur eux le seul sort magique qu'il avait apprit de ses années à vénérer Ragnor : un sort de soin. Ce dernier refermait les plaies et pouvait être réutilisé à plusieurs reprises sur une même personne, jusqu'à ce qu'il soit parfaitement rétabli. Voilà qui pouvait s'avérer également utile. Je n'irais pas très loin si jamais ils venaient tous à mourir dès la première mission. Jörgen portait également dans ses mains une lourde masse d'arme, qui, à défaut d'être simple à transporter, pouvait souvent donner envie aux victimes de se rendre sans combattre. Celui-ci fut le plus facile de tous à convaincre. Je n'eus qu'à lui écrire que Monsieur S était disposé à lui permettre d'obtenir tout l'argent nécessaire pour les projets qu'il aurait, en échange de cette simple collaboration. Il accepta sur-le-champs sans poser la moindre question. Je l'aimais déjà bien, celui-là. Certes, je ne partageais aucune valeur avec lui, mais sa docilité me plaisait. Seulement, il y en avait un autre. Un dernier. Qui restait, posé sur son rocher, à nettoyer ses carreaux, encore et encore. Regardant d'un œil méfiant ma première rencontre avec ses collègues, il comprit quand ce fut à son tour de se lever, qu'il n'y échapperait pas. Il roula des yeux puis s'avança vers moi. Il fut le seul à ne pas me serrer la main, préférant un simple signe de tête en guise de bonjour. Je le lui rendis, sans manifester un quelconque agacement envers sa personne. Randy se chargea de faire les présentations. Mölk. Mölk Sengoria. Tel était le patronyme de celui qui fut le plus proche de me découvrir la veille. Une vilaine cicatrice lui parsemait le visage. Son regard méfiant et dur s'était posé sur moi, et ne trouvait en réponse qu'un retour indifférent. L'état de sa tenue, de sa peau et de ses yeux étaient de parfaites preuves d'une bosse roulée depuis plusieurs années déjà. Présenté comme grincheux, zélé et légèrement paranoïaque par son chef, il occupait le rôle essentiel de tireur d'élite du groupe, ainsi que de bras droit. Il ne quittait jamais son arbalète, préférant subir les critiques et les moqueries de ses collègues plutôt que d'être en situation de faiblesse. Ses sourcils restaient continuellement froncés. Sa confiance allait être difficile à gagner. Je savais pourtant déjà comment l'acquérir. Je devais m'assurer qu'ils réussissent leurs coups. Chacun de leurs coups. Si je me montrais utile, il me le rendrait bien. Je me rappelle encore de ses habits gris et noirs, de son épiderme couleur bronze, du bout crasseux de ses doigts et de son odeur fétide. Après quelques secondes à s'entreobserver, il finit par lever un sourcil. Il me fit alors part de grandes questions qu'il avait en tête depuis hier et à auxquelles il n'avait toujours pas trouvé de réponses. Pourquoi Monsieur S les avait-il aidé ? Qu'avait-il à gagné en faisant cela ? Qu'espérait-il accomplir ? Et pensait-il sincèrement que cette simple aide suffirait à les motiver à partager les gains ? Je lui écrivis que Monsieur S comprenait son inquiétude. Qu'il était un homme puissant avec des ennemis et que,

par conséquent, il avait besoin de petites mains inconnues au bataillon pour affaiblir ces derniers. Je partageai qu'il avait entendu parler d'eux du fait de la réputation de leur chef et qu'il désirait leur donner une chance. Également, l'argent ne l'intéressait pas. Il les enjoignait à tout garder, sans partage. Ce qu'il désirait c'était simplement faire du gagnant-gagnant. J'insistai sur le fait que Monsieur S ne les forçait à rien, et qu'ils étaient en droit de refuser son offre. Mais que si tel était le cas, alors ils devraient continuer à se débrouiller tous seuls à présent et donc faire une croix sur les sommes astronomique à dérober qui leur pendaient au nez. Ces réponses ne semblèrent pas convaincre Mölk. Cependant, le reste de son groupe me regardait avec des étoiles plein les yeux. Y compris Randy. Ce dernier prit alors parole au nom du groupe et confirma à nouveau que ce partenariat leur convenait parfaitement. J'entendis alors Mölk soupirer lourdement puis se rasseoir.

Ce fut bien plus facile que prévu. Mais le plus difficile était encore à venir. J'allais à présent leur faire part de la mission qui les attendait, et j'espérais sincèrement que l'appât du gain soit assez puissant en eux pour contre-balancer avec le risque qu'ils prenaient à m'écouter. Ils allaient devoir pénétrer dans le palais du Comte Subario de Gondria, vassal du Duc Klaussman de Costerboros, Seigneur de la partie nord du Grand Ouest du Royaume. Cette idée ne me vint pas de nulle part. Durant la jeunesse de mon Père, il n'était pas rare que de petits nobliaux fassent appel à ses services. Il se débrouillait dans à peu près tout et n'importe quoi qui touchait au travail manuel. Aussi, sa versatilité finit par monter à l'oreille de l'écuyer du Comte Subario. Lors du dernier orage ayant éclaté dans la région, leur écurie fut réduite à néant. Il fut ainsi mobilisé par ce dernier pour la réparer. C'est d'ailleurs en se rendant dans la région qu'il eu par la suite envie de s'y installer pour de bon. Dans l'une des histoires qu'il me contait pour m'endormir, mon Père me raconta comment s'était passé son travail là-bas. Du chemin qu'il avait parcouru pour atteindre le palais, jusqu'à l'architecture de ce dernier qui avait tout particulièrement retenu son attention. Mon Père n'avait pas été avare avec moi concernant les détails. C'était, en réalité, la première fois qu'il mettait les pieds dans un château. Et quand, après avoir découvert le résultat, le Baron lui-même invita mon Père à sa table pour festoyer avec lui, subjugué par ces nouvelles écuries, plus encore de choses que nécessaires vinrent aux yeux de mon paternel. Chaque information qu'il mentionnait se gravait automatiquement dans mon esprit. Je me faisais un plan mental du château au point de le visualiser dans ses moindres détails. Aussi, inondais-je mon Père d'interrogations concernant ce Palais durant son récit. Mon intérêt envers ce dernier était tel qu'il me promit un jour qu'il m'emmènerait le visiter. Cela pouvait attendre, mais ce grand coup, lui, devait advenir le plus tôt possible. Cependant, il me parut trop risqué de leur présenter la chose dès notre première rencontre en face à face. Il me fallait les mettre tous en confiance pour réussir ce tour de force. Nous venions tout juste de nous croiser en vrai, je n'allais pas leur demander de se dresser face à l'une des plus grandes figures de la région tout de suite, après tout. Néanmoins, je savais déjà ce qu'il fallait voler pour parvenir à mes fins. Quand mon Père était en direction de la salle des festins, il aperçut une entrée dans le couloir y conduisant. Probablement celle qui menait à la chambre du Comte. Cette dernière était

solidement gardée. Rien ni personne, hormis le Comte lui même n'avait droit d'y pénétrer. Enfin, personne à part sa femme, bien entendu. Cependant, il parvint tout de même à plusieurs reprises aux oreilles de mon Père : une question concernant un coffre. Toujours la même. Il demandait à la Comtesse si elle avait touché au coffre. De ce que m'en disais mon Père, il était très pâle quand il posait la question. Il semblait vraiment beaucoup y tenir. Et même quand sa dulcinée lui assurait qu'elle n'y avait pas touché et qu'il était toujours à son emplacement initial, Subario insistait. Il lui demandait si elle en était vraiment sûre. Mon Père ne se risqua évidemment pas à demander au Lord ce qui demeurait en ce coffre, bien qu'il en mourrait d'envie. Il n'était là que pour avoir réparé l'écurie après tout. Cependant, je ne comptais pas me contenter de ce mystère. Si le Comte, grand soutien et ami du Duc Klaussman, venait à perdre ce à quoi il semblait tenir le plus au monde : ce serait ses ennemis de toujours qu'il accuserait en priorité, pas de simples voleurs. Lequel d'entre eux serait assez fou pour s'en prendre à un homme aussi puissant que lui ? D'ailleurs, lequel d'entre eux aurait apprit pour le coffre ? C'était le moyen le plus évident pour relancer les hostilités entre les deux Ducs et ainsi en profiter pour s'attirer les faveurs de l'un d'entre eux. Cependant, si il fallait nous en prendre à Subario, il nous faudrait trois choses. Premièrement : du temps, pour répéter les étapes que j'avais en tête. Deuxièmement : des moyens. Les convois marchands dont je connaissais le chemin et les horaires seraient parfaits pour s'équiper comme il se doit. Seuls ceux encadrés par Klaussman étaient pris pour cible. Il ne fallait pas nous attirer les foudres des deux Ducs en même temps. Et enfin, troisièmement : un plan détaillé du palais, figurant sur papier chaque parcelle le composant, des écuries au donjon. Ainsi, voilà ce qui fut convenu : pendant trois jours consécutifs, je fournissais à mes nouveaux compères de quoi se préparer pour le grand coup qui allait suivre. J'en profitais d'ailleurs pour attiser la flamme en eux, leur promettant monts et merveilles en cas de réussite. De retour chez moi, après avoir récupérer de mes heures de sommeil perdues, je mobilisais chacun de mes souvenirs concernant les histoires de mon Père sur ce palais afin d'en dresser un plan parfait. Certes, du temps s'était écoulé depuis et des modifications avaient du être apportées. Mais, on ne modifie pas les fondations d'un château comme celui-là du jour au lendemain. Les grands murs, les escaliers, les entrées, les sorties, ... Elles ne changent pas du tout au tout en quelques années.

Au départ, Mölk insista pour que je les accompagne lors de leur mission. Il disait que si c'était un piège, il valait mieux garder un œil sur moi. Si l'idée de me garder à ses côtés, si jamais les choses prenaient une mauvaise tournure, ne semblait pas déranger Randy, je fus catégorique dans ma réponse. Monsieur S m'attendait. Je ne pouvais pas me permettre de rester avec eux. C'était un homme qui n'aimait pas attendre et qui avait un bon nombre d'autres affaires à gérer nécessitant ma présence. Aussi insistais-je sur le fait que c'était à eux de voler. Mon rôle n'était que de leur faire passer les messages de Monsieur S. Je pris même un malin plaisir à rédiger face à eux une phrase que j'avais jusqu'alors toujours rêvé de prononcer : "Ce n'est pas vous qui êtes en position pour fixer vos conditions." J'ignore sincèrement pourquoi j'aimais autant cette affirmation. Peut-être était-ce la sensation de puissance qui en découlait une fois l'avoir

annoncée. En tout cas, elle eut son petit effet. Ils cessèrent presque immédiatement d'insister après l'avoir lu. Et de toute façon, si jamais les choses ne leur plaisaient pas ainsi, alors ils pouvaient être certains que Monsieur S trouveraient bien d'autres voleurs tout aussi, si ce n'est plus, compétents qu'eux pour les remplacer. Cette simple idée ne plut pas du tout au chef, et ce dernier en vint même à s'excuser pour la demande grossière et malvenue de son camarade. Demande qu'il approuvait quelques instants plus tôt, rappelons-le. En réalité, j'aurais véritablement souhaité veiller directement sur eux et ainsi m'assurer qu'ils réussissent leur mission. Mais, mes Parents se levaient tôt, le matin. Je ne pouvais donc pas me permettre de ne pas être dans mon lit à l'heure où ils émergeraient. D'autant plus qu'il me faudrait ranger mon costume, enfiler à nouveau ma grenouillère et esquiver quiconque pouvait croiser mon regard sur le chemin du retour. Et bien évidemment, tout cela sans faire le moindre bruit.

Ainsi, trois jours durant, nous nous donnions rendez-vous à la même heure et au même lieu. À l'issu de ces trois jours, le verdict était sans appel. Chacune de leurs embuscade avait réussie. Leur réserve d'équipements était au beau fixe et le plan du château était terminé. Une si belle synchronisation aurait presque pu faire chaud au cœur. Néanmoins, après trois jours, l'heure de vérité fut venue : je leur présentai la mission du jour. Les réactions furent au départ mitigée. Mölk pensait, bien évidemment à un piège. Il pensait que j'étais un agent double travaillant secrètement pour un groupe de bandits rivaux et que je tentais de gagner leur confiance pour les envoyer à la mort. Jörgen, au contraire, exprima toute la confiance qu'il avait envers moi. Ce trésor que je leur promettais, il en aurait besoin pour réaliser son rêve. Aussi, j'avais vu juste à quatre reprises déjà. Alors, pourquoi pas une cinquième ? Tryphon était d'accord avec lui. Il disait que de toute façon, c'était pour l'argent qu'ils faisaient ce travail et que ce qu'il y avait dans ce coffre devait valoir une vraie petite fortune. Gürbak attendait simplement de savoir ce qu'en pensait son chef. Le choix de ce dernier serait également le sien. Randy prêta l'oreille aux avis de chacun, puis énonça que tout dépendrait de la qualité de mon plan. Si il jugeait la chose réalisable, alors il accepterait de prendre le risque, même si cela signifiait de voler un grand noble. Derrière ma fausse barbe, un léger sourire en coin était dissimulé. C'était la première fois que j'allais mener à bien une stratégie, donner des indications à des hommes et encadrer leurs moindres faits et gestes. Je déposai au sol chacune des pages que j'avais griffonné au préalable. Chacune d'entre elle représentait une salle, une porte, un escalier, ... Très vite le sentier fut pratiquement intégralement parsemé de dessins. Une telle mise en scène n'était pas vraiment nécessaire, mais je savais que pour les motiver, il me faudrait réussir ma présentation. Ils semblaient d'ailleurs tous agréablement surpris du soin apporté à cette dernière. Même Mölk. Il faut dire que j'y avais tout de même consacré du temps. Quoiqu'il en soit, je les fis tous s'installer devant la page sensée représentée l'entrée du palais. C'était là que tout le plan allait commencer de toute façon. Ne pouvant être présent lors du coup, autant fallait-il qu'ils sachent déjà parfaitement quoi faire. Pour les rassurer, je leur expliquai que Monsieur S avait déjà fait infiltrer l'un de ses espions à l'intérieur et que c'était grâce à ce dernier qu'ils avaient ces informations. Aussi, ajoutais-je que si jamais ils avaient besoin d'aide à un moment, alors ce dernier se chargerait de leur porter main forte, mais que je ne pouvais en dire plus pour ne pas faire tomber

sa couverture. En vérité, j'espérais surtout qu'ils réussissent leur coup tous seuls et qu'ils oublient cette histoire, une fois sur place. Pour établir mon plan, je me rappelais des petits détails figurant dans les histoires de mon Père concernant ce château. Le Comte Subario n'était pas présent à l'intérieur lorsque mon Père commença les réparations de l'écurie. Il ne revint que plus tard, dans l'après-midi, avec son gibier de chasse et ses chiens, pour admirer le résultat lui-même. C'était un dimanche, "jour du seigneur". Ainsi, en partant du principe qu'il ne changerait pas d'habitude du jour au lendemain, tout portait à croire qu'il quitterait son palais dans l'après-midi afin de retourner pratiquer sa chasse à courre. Il emporterait également ses chiens avec lui. Ainsi, si ils attendaient la pleine après-midi pour agir, ils seraient débarrassés des principales menaces. L'entrée menant à la cour extérieure était solidement gardée. Le pont-levis permettant d'y accéder était constamment surveillé par des unités à pied et des archers. Et même une fois franchit, la grande porte menant à l'entrée de la partie intérieure du palais voyait s'enchaîner les gardiens. Pour ainsi dire, il était impossible de passer par aucune des entrées principales. C'est pourquoi tout l'intérêt était de s'en créer une nouvelle. Lors de son récit, mon Père évoqua très vite que l'orage avait également fragilisé, en plus des écuries, une partie des murs extérieurs du château. Si, évidemment, le Comte fit appel à des bâtisseurs afin de renforcer et de réparer ces derniers, il subsistait que les premières pierres étaient effrités. D'ailleurs, aucun garde ne s'occupait de cet endroit là puisque la grande majorité était positionnée au niveau de l'entrée, et que les autres se chargeaient de l'intérieur. Tryphon allait ainsi pouvoir entrer en scène. Je le fis avancer vers une page positionnée à droite de celle sur laquelle figurée le pont-levis. Il allait devoir appliquer l'une de ses mixtures sur ce mur abîmé afin de creuser un trou à l'intérieur, et ainsi leur permettre de pénétrer dans le palais, sans risquer d'être repéré. Je leur demandai alors à tous d'approcher afin de se placer au niveau de la page représentant la cour. Gürbak serait chargé de garder l'entrée et de discrètement se débarrasser de quiconque s'approcherait de trop près du trou. Un simple coup de hache derrière le crâne serait certainement suffisant. Les quatre autres devaient alors continuer en direction de la chambre du comte. Mon Père avait fait mention d'escaliers montés ainsi que d'un étage. Il leur fallait par conséquent trouver ces derniers afin d'y accéder. Cependant, l'endroit était rempli de monde. Passer sans susciter la curiosité des gardes et servantes était peine perdue. Cependant, je les fis se déplacer tous les quatre au niveau d'une page située encore plus à droite. Sur cette dernière figuraient les écuries. Le Comte Subario précisa à mon Père, lors de leur banquet, qu'il y aurait toujours un garde pour protéger son travail. Il était envisageable qu'il lui prononça ces mots au premier degré, et ainsi qu'il n'y ait à se charger que d'un seul gêneur potentiel. Les talents de Mölk pour l'élimination à distance seraient alors tout trouvés. Cependant, cela ne garantissait pas un passage vers la chambre de Subario. En revanche, la porte menant directement aux cuisines, elle, le permettrait bien. Et voilà qui tombait à pic : cette dernière se trouvait à quelques pas des écuries. Alors, bien sûr, elle était réservée aux cuisiniers et eux seuls avaient la clé pour y accéder. Mais qui a besoin de clé lorsqu'on a un crocheteur de serrure ? Randy devait ainsi se charger d'ouvrir discrètement la porte. De toute façon, il n'y avait aucun risque de croiser qui que ce soit en cuisine à cette heure-ci de l'après-midi. Mon Père

m'avait lui même assuré que si il voyait en entrer des dizaines dans la matinée, c'était tout aussi nombreux qu'ils en sortaient lorsque l'après-midi battait de son plein. Il était bien entendu toujours possible qu'une servante s'y trouve malgré tout. Mais les gens tiennent en général trop à leur vie pour sonner l'alerte quand des personnes armés font irruption devant eux. Aussi, les autorisais-je à éliminer quiconque risquerait d'ébruiter leur présence. Cependant, je leur précisais tout de même que Monsieur S n'aimait pas les bains de sang d'innocents et qu'il restait préférable de simplement les assommer, les attacher et les enfermer autre part à la place. Quoiqu'il en soit, une fois entrés dans les cuisines, mes quatre gnomes n'auraient plus qu'à en sortir en direction des escaliers menant à l'étage et continuer leur chemin jusqu'à arriver au long couloir menant à la salle des festins, mais surtout à la chambre du comte. Elle ne serait pas difficile à trouver, ce serait la seule gardée par plusieurs hommes en armure. Ainsi, l'un d'entre eux devait sécuriser les escaliers afin de s'assurer que personne ne monte ou ne descende tant que le butin n'avait pas été dérobé. De préférence quelqu'un qui pouvait abattre à distance ceux qui lui faisait face, ne leur laissant même pas le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Mölk fut tout désigné pour accomplir cette mission. Il laissa deviner que c'était bel et bien dans ses cordes mais qu'il ne ferait preuve d'aucune pitié. Vieillard, femme, enfant, animal... Quiconque le croiserait dans ces escaliers serait abattu sans préavis. Cette idée ne m'enchantait guère, mais je l'acceptai faute de mieux. Ainsi, une fois Randy, Tryphon et Jörgen arrivés dans le long couloir, il ne manquerait plus que d'avancer discrètement jusqu'à arriver à la chambre. Je demandai à ces trois là de marcher jusqu'au niveau de sa représentation papier, puis de se stopper net. Je leur expliquai que si ils s'avançaient trop et entraient dans le champ de vision des gardes, ce serait la fin de la mission et tout serait perdu. Aussi, leur conseillais-je de se poser quelques instants dans l'angle mort des gardes afin de laisser Tryphon préparer un petit mélange soporifique qu'il projetterait à leurs pieds. Une fois la fiole brisée, un gaz somnolant s'emparerait des environs. Les soldats s'effondreront et, afin de ne pas être touchés aussi, Randy, Tryphon et Jörgen enfermeront leur tête dans les sacs de ce dernier et avanceront jusqu'à la chambre. Le chef se chargera d'ouvrir la porte, et alors : il ne restera plus qu' à trouver ce coffre, à crocheter sa serrure, à mettre son contenu dans l'un des sacs de Jörgen, et enfin à s'enfuir. Seulement, deux problèmes subsistaient. Le premier : que faire si jamais il y avait plusieurs coffres ? Tout l'intérêt de la mission était de dérober le bon coffre. Or, jamais il ne me fut narré à quoi ce dernier pouvait bien ressembler. Je savais juste qu'il se trouvait ici. Aussi, leur donnais-je pour indications d'ouvrir chacun des coffres qu'ils trouvaient et d'en vider le contenu dans les sacs de Jörgen. Nous ferions l'inventaire une fois en sécurité. Cependant, ils n'avaient pas beaucoup de temps pour leurs recherches. Plus vite ils auraient quitté le palais, mieux ce serait. La solution fut donc de s'emparer du maximum de coffres sur lesquels ils pouvaient mettre la main en l'espace d'une minute, et de repartir aussitôt cette dernière écoulée. Le second problème, en revanche, était celui de la comtesse. Que faire si jamais la femme de Subario était dans cette pièce à ce moment-là ? C'était une possibilité à prendre en compte au vu de ce que mon Père m'avait raconté tantôt. Si ils la tuaient, son meurtre cumulé au vol du coffre pouvait avoir des conséquences terribles. En mon esprit, Subario n'avait pas mérité de perdre également

sa chère et tendre dans l'équation. Cependant, je ne pouvais laisser qui que ce soit être témoin de ce cambriolage. Personne ne devait être capable de reconnaître le visage de mes collaborateurs. Et si jamais elle les apercevait, ne serait-ce qu'un instant, alors le comte serait en mesure de les retrouver. Je ne pouvais pas laisser ça passer. Cela m'attrista, mais je les autorisais à également exécuter la comtesse si jamais cette dernière se trouvait dans la salle au moment où ils y entraient. Cependant, je leur précisai une fois encore que Monsieur S le leur revaudrais un jour si jamais ils employaient une méthode moins sanglante. Si jamais l'épouse de Subario se trouvait dans la salle du coffre, mieux encore valait-il qu'elle n'entende pas un seul instant la porte s'ouvrir. Randy pouvait toujours essayer d'ouvrir la porte le plus discrètement possible, puis pousser cette dernière le plus légèrement du monde afin d'entrapercevoir si la comtesse était là où non. Et si jamais elle y était, veillant sur le coffre, alors il ne manquait plus qu'à l'assommer, voire même qu'à l'endormir en utilisant un mouchoir rempli de chloroforme. En réalité, tout dépendait de la quantité de personnes que mes cinq malfrats allaient bien pouvoir croiser sur leur chemin. J'espérais vraiment qu'ils allaient éviter le massacre. Je le souhaitais réellement. Mais je préférais encore les voir exécuter quiconque croisera leur chemin plutôt que de voir cette mission échouer. Ce fut alors la toute première fois que je me mis à raisonner de la sorte. Et ce ne fut certainement pas la dernière.

Quoiqu'il en soit, le plan était fixé. Il ne restait qu'à eux de décider de la manière dont ils quitteraient les lieux par la suite. Là-dessus, je pouvais leur faire confiance. Si un voleur fait de vieux os dans ce milieu, c'est bien parce qu'il sait courir. Randy sembla convaincu par ma petite démonstration. "Nous acceptons." Cette phrase, la façon dont il l'a prononcé, l'écho qu'elle a eu dans ma tête... Ce fut l'une des rares fois dans ma vie où il me fut aussi difficile de maintenir mon visage stoïque et imperturbable compte tenu de cette quantité de bonheur qui remontait en moi. Même Mölk n'avait pas l'air si dépité que ça une fois ces paroles prononcées. Après tout, son chef avait parlé. Il ne tenait qu'à lui de faire la différence, à présent. Je les regardais les uns après les autres. Ils avaient l'air confiants. Envers eux-mêmes, envers le plan, ... envers moi. Nos routes se séparèrent donc vers trois heures du matin. Je rentrai tout seul chez moi, en m'assurant de ne pas avoir été suivi. Je ne l'étais pas. De retour à Kürsk, je me faufilai à nouveau chez moi, je retirai ce costume ridicule et le rangea dans mon sac. Puis, j'enfilai ma petite grenouillère couleur ciel, m'assurai que mes deux parents étaient toujours couchés puis me remis au lit. Malgré la fatigue, le sommeil fut difficile à trouver. Je commençais véritablement à craindre pour la vie de mes hommes. Allaient-ils s'en sortir ? Parviendraient-ils à ne pas être repérés ? Réussiraient-ils à voler le coffre ? Leur serait-il possible de ne pas tuer d'innocents ? Ces questions me taraudèrent toute la nuit. Et puisque le plan ne prendrait place que dans l'aprèsmidi, je n'aurais les réponses à toutes ces interrogations que la nuit prochaine.

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