Bus & Car Connexion

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INTERVIEW Cahier Connexion

STÉPHANE AMANT, SENIOR MANAGER CHEZ CARBONE 4, CABINET DE CONSEIL SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Hydrogène vert : « À court terme,

privilégier les applications industrielles »

Bus&Car Connexion : Quel regard portez-vous sur le plan de verdissement de la production hydrogène annoncé par le Gouvernement en septembre ? Stéphane Amant : Aujourd’hui, l’hydrogène est très majoritairement produit par vaporeformage de méthane fossile, ce qui relâche environ 1 milliard de tonnes de CO2 chaque année dans l’atmosphère, soit 2,5 % des émissions totales de CO2. C’est l’équivalent de l’ensemble du trafic maritime ou du trafic aérien. Le plan gouvernemental destiné à produire de l’hydrogène par électrolyse permettra d’obtenir de substantielles réductions d’émissions de CO2, puisque la production d’électricité française, qu’elle soit d’origine nucléaire ou obtenue à partir d’énergies renouvelables, présente un très faible bilan carbone. La question se pose davantage à l’étranger, en Allemagne ou au Benelux, où le charbon représente une bonne part du mix électrique, et, dans ce cas, le remède sera pire que le mal, avec un bilan carbone plus mauvais que celui des véhicules thermiques. BCC : Le développement des véhicules à hydrogène va-t-il contribuer à soutenir la production d’hydrogène « vert » ? S. A. : À court terme, jusqu’en 2030, il nous semble préférable de privilégier la production d’hydrogène décarboné pour les applications industrielles. En effet, l’hydrogène produit actuellement est avant tout utilisé comme matière première (et pas comme vecteur énergétique) pour désulfurer les carburants pétroliers, produire les engrais de synthèse (par réaction avec l’azote de l’air), ainsi qu’en métallurgie (réduction du minerai de fer). Le volet industriel est d’ailleurs le premier objectif

du plan gouvernemental. En effet, tant que l’offre d’hydrogène « vert » n’existe pas sur le marché, ou reste embryonnaire, il est contreproductif de pousser à tous crins aujourd’hui les applications de l’hydrogène dans les transports (surtout la mobilité légère), puisqu’il existe déjà des alternatives matures, disponibles et au moins aussi efficaces du point de vue de leur bilan carbone, comme les batteries pour les petites distances et le bioGNV, avec une large offre véhicules économiquement rentable. Ensuite, le temps que la filière se mette en place, en termes d’offre de véhicules et de réseau d’avitaillement, l’hydrogène pourra trouver sa place, surtout pour la mobilité lourde qui constitue le second axe stratégique du plan hydrogène. BCC : Pourquoi insister sur la mobilité lourde ? S. A. : L’utilisation de l’hydrogène pour la mobilité (avec pile à combustible) présente un très faible rendement du puits à la roue, de l’ordre de 25 %, ce qui ne permet pas de généraliser cet usage et le réserve à certaines applications, comme les flottes avec une forte fréquence d’utilisation et un besoin de grande autonomie : typiquement, la mobilité lourde (trains, avions, bus, camions, navires). En termes de bilan carbone, les véhicules à hydrogène peuvent présenter une empreinte carbone très intéressante par rapport aux carburants fossiles, à condition que l’hydrogène soit produit à partir d’un mix énergétique 100 % bas carbone. BCC : Vous avez travaillé sur l’analyse du cycle de vie de l’hydrogène, notamment en termes d’émissions CO2, quel bilan

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Expert des politiques énergétiques, Stéphane Amant analyse les orientations du plan gouvernemental de l’hydrogène, adopté début septembre. Propos recueillis par Grégoire Hamon

en tirez-vous pour les flottes de véhicules routiers à hydrogène ? S. A. : En France, avec un hydrogène bas carbone, nos calculs montrent que le bilan CO2 en cycle de vie des véhicules hydrogènes légers, bien que largement meilleur que celui des véhicules thermiques, reste un peu moins bon que celui des véhicules électriques à batterie ou au bioGNV. En revanche, pour les véhicules lourds (autobus et poids lourds), l’hydrogène trouve toute sa pertinence, avec des performances carbone meilleures que celles du bioGNV, et très proches de celles de la technologie batteries. Les véhicules hydrogène lourds permettent de s’affranchir des limites auxquelles sont confrontées les véhicules à batteries, en termes de perte de chargement utile et de contraintes opérationnelles de chargement. De même, ils permettent d’apporter une solution complémentaire au bioGNV, car le biométhane ne sera sans doute pas produit en quantité suffisante pour l’ensemble des besoins de transport lourd. L’hydrogène pourra aussi se révéler pertinent pour le ferroviaire, dans les cas où l’électrification, même frugale (à l’aide de batteries), est disqualifiée économiquement ou techniquement. Il en va de même pour la marine et même l’aviation. ■ 13 au 26 novembre 2020 - Bus  &  Car - Connexion

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