Jean-Pierre Sautreau, lanceur d’alerte Victime d’agressions sexuelles enfant au sein de l’Église, Jean-Pierre Sautreau aura attendu près de soixante ans avant d’en parler. Depuis, il ne cesse de se battre pour que sa souffrance et celle de ses pairs soient reconnues.
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Par Bernadette Sauvaget
ean-Pierre Sautreau a le front dégarni et arbore une fine moustache blanche. Le plus souvent, il porte des chemises à carreaux qui lui donnent une allure campagnarde. À l’automne 2018, ce retraité du secteur bancaire de 72 ans est devenu un lanceur d’alerte. Son livre de témoignage, Une croix sur l’enfance (Nouvelles Sources/ La Geste), un bout d’autobiographie de son enfance sacrifiée à l’Église catholique, provoque, à sa parution, un séisme en Vendée. Sans l’avoir prémédité, il vient de briser l’omerta sur l’un des plus importants scandales de pédocriminalité connu à ce jour, celui du petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, où des centaines de jeunes garçons furent agressés par au moins une quinzaine de professeurs jusqu’à la fermeture de l’établissement au début des années 1970. « Longtemps, je n’ai rien raconté de cette histoire, ni même de mes années à Chavagnes », explique Jean-Pierre Sautreau. Pressé par ses proches, notamment par l’une de ses filles, qui est éditrice, il commence à dérouler son histoire fin 2016 au cours des fêtes de Noël. Suivra dans la foulée l’écriture d’Une Croix sur l’enfance. Moins médiatique que François Devaux, le fondateur, à Lyon, de l’ex-
Parole libérée, le Vendéen est devenu lui aussi, comme l’Aveyronnais Olivier Savignac, l’une des grandes figures de la lutte contre les abus sexuels dans l’Église catholique en France, notamment en participant aux travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).
Un avenir tout tracé
Né dans une famille de paysans, JeanPierre Sautreau, gamin doué et intelligent, est repéré, alors qu’il a à peine dix ans, par le curé du village et sélectionné, si l’on ose dire, pour entrer au petit séminaire. « Mes parents se voyaient vieillir vivant avec leur fils prêtre et entretenant le jardin du presbytère », racontet-il. Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la Vendée est ce qu’on appelle une « terre à prêtres », une fabrique à vocations. À la tête de ce système, un prêtre, Mgr Eugène Arnaud, qui domine de son ascendant le moindre recoin de cette terre catholique, écume le diocèse pour enlever à leurs familles de jeunes garçons. Avant d’entrer au petit séminaire, les « élus » suivent une retraite de trois jours. Et la plupart sont confessés, à la fin, par Arnaud, qui, les interrogeant sur LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - PRINTEMPS 2022 - 101