JA3108 JANVIER

Page 16

PREMIER PLAN

Le jour où…

JEAN-MARC PAU POUR JA

« J’ai vu Papa Wemba mourir sur scène » A’Salfo Le 24 avril 2016, l’icône de la musique congolaise s’effondre en plein concert, à Abidjan. Organisateur du festival où il se produisait, Salif Traoré, du groupe Magic System, était aux premières loges.

Q

uelques heures avant qu’il monte sur scène, je suis passé voir Papa Wemba dans sa loge. J’avais l’impression d’un footballeur qui s’apprêtait à entrer sur le terrain. Il s’échauffait, alternant étirements et mouvements de fitness. Il était en pleine forme et me l’avait dit : il était très heureux d’être à l’affiche du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua). Quand je le lui avais proposé quelques mois plus tôt, il n’avait pas hésité. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas chanté à Abidjan! Papa, c’était notre idole, la superstar de cette édition. Alors ce 24 avril, il a bien sûr été le dernier à monter sur scène. La nuit était avancée quand il a commencé à chanter, avec sa grande veste blanche et noire et son haut chapeau rouge. Un supershow avec ses danseuses, comme toujours. Moi, j’étais juste derrière la scène, dans une loge, j’entendais tout. La rumba, sa voix incroyable, la clameur du public. On était heureux.

16

JEUNE AFRIQUE – N° 3108 – JANVIER 2022

Il était près de 5h30 du matin, j’étais avec un journaliste qui venait de me demander quel bilan je tirais de cette édition du Femua. Était-ce prémonitoire? Je lui ai dit : « Je ne peux pas répondre tant que ce n’est pas fini. » Quelques instants plus tard, la musique s’est arrêtée. Un étrange silence s’est installé. Il y avait 10000 personnes, des techniciens, des danseurs, un chanteur, mais c’est comme si, tout à coup, il n’y avait plus personne. Rien, sinon le silence. Quelqu’un – je ne sais même plus qui tant ces instants sont confus – m’a dit : « Il y a un problème. » J’ai accouru sur scène. J’ai vu Papa Wemba allongé par terre, l’équipe médicale autour de lui. Le médecin m’a dit qu’ils l’évacuaient vers l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Treichville. L’attente a débuté. C’était dur, mais je pensais que c’était un petit malaise, un coup de fatigue. Je ne pouvais pas imaginer que quelque chose de grave était en train de se passer. Dans le hall de l’hôpital, j’étais avec Cornely Malongi, le manager de Papa Wemba, et Bazoumana Coulibaly, un collaborateur du ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, qui était ce soir-là au concert, quand un médecin est

Le médecin m’a dit : « C’est fini. Le Vieux a décidé de quitter cette terre à Abidjan. »

arrivé. Il était 6h30 du matin. Il a insisté : il voulait me voir seul. Une fois à l’écart, il a glissé la main dans la poche de sa blouse blanche et il en a sorti la montre de Papa Wemba. J’entends encore ses mots. Il m’a dit : « C’est fini. Le Vieux a décidé de quitter cette terre à Abidjan. » Tout s’est effondré autour de moi, j’ai eu l’impression de chavirer. La demi-heure qui a suivi a été très longue. Je ne pouvais rien dire à personne, il fallait que je prévienne les autorités et la famille. J’ai essayé d’appeler le ministre de la Culture, Maurice Bandaman, mais il n’a pas répondu. J’ai tenté de joindre Hamed Bakayoko, qui était un fan de musique, il n’a pas décroché. Tout le monde dormait.

Chair de poule « Hamed » a été le premier à me rappeler, quelques minutes plus tard. Il m’a rassuré, m’a dit que le président Ouattara allait prévenir Joseph Kabila, le chef de l’État congolais. On a appelé les proches de Papa Wemba, et puis, très vite, il a fallu préparer un communiqué. C’était un dimanche matin, les gens allaient se réveiller et tout le monde allait s’interroger. Avec Aby Raoul, le maire de la commune de Marcory, le journaliste Claudy Siar et Serge Fattoh, l’animateur du Femua, on a pesé chaque mot. À 11 heures pile, on l’a annoncé : « Papa Wemba, le baobab de la rumba, est mort. » À y repenser, j’en ai encore la chair de poule. Propos recueillis par Anna Sylvestre-Treiner


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
JA3108 JANVIER by The Africa Report - Issuu