PREMIER PLAN
L’actu vue par…
« La France a ouvert la porte à l’éléphant russe » Pris entre les groupes armés et le gouvernement,le cardinal centrafricain espère parvenir à dépasser les intérêts politiques et à contrer l’égoïsme des puissants. Jeune Afrique : Les derniers accords de paix datent de 2019. Comment la violence a-t-elle pu revenir si rapidement? Dieudonné Nzapalainga : Il y a eu un manque de sincérité. Certains sont venus dialoguer avec des intentions cachées. Ils ont signé pour la paix, mais le cœur n’y était pas. Récemment, Hassan Bouba, ministre suspecté de crimes par la Cour pénale spéciale, a été arrêté puis relâché sans avoir été jugé. N’est-ce pas un mauvais message? Dès 2015, au Forum de Bangui, nous avons dit : « Non à l’impunité. » Le président Touadéra tenait le même discours. Pourtant, dans cette affaire, ce n’est pas cette justice que nous avons vue. Bien sûr, le ministre est présumé innocent. Mais pourquoi n’est-il pas resté en détention le temps que la justice détermine s’il est coupable ou non? À la tête de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) se trouve François Bozizé, ancien président et fervent chrétien. Vous a-t-il déçu? Il a choisi le chaos. Il est désormais face à sa conscience. Comment le vit-il? Aucune idée. Ce que je sais, c’est que la Bible dit : « Tu ne tueras point. » Elle dit aussi de s’aimer les uns les autres. Aujourd’hui, en Centrafrique, nous en sommes loin. Votre pays est au cœur des interrogations sur la place prise
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JEUNE AFRIQUE – N° 3108 – JANVIER 2022
par la Russie en Afrique. Qu’en pensez-vous? Il faut revenir un peu aux origines : les Russes se sont engouffrés dans une ouverture faite par la France. Quand la France a passé un accord à l’ONU avec Moscou pour permettre de livrer en Centrafrique des armes saisies en Somalie, elle a entrouvert une porte pour que l’éléphant russe entre dans notre maison. Maintenant, il s’est installé. Ce ne devait être que quelques armes et des instructeurs, mais, quand ils sont arrivés, ils ont vu l’état dans lequel était notre pays. Et ils se sont dit qu’ils pouvaient aussi faire des affaires, implanter des entreprises, exploiter des matières premières… Ils sont venus. Ils ont vu. Ils ont profité. Comment l’Église doit-elle réagir? Nous devons tout faire pour empêcher les exactions contre les civils. En réalité, la question qui se pose en Centrafrique avec Wagner, c’est celle de la guerre privée. Nous avons aujourd’hui des mercenaires envoyés avec l’aval de la Russie. Oui, ils ont sauvé le gouvernement et ont rétabli un semblant de libre circulation à certains endroits. Mais cessons de dire qu’ils se battent pour protéger le peuple. C’est faux : ils se battent pour des intérêts économiques égoïstes. Le pays n’est pas une jungle pour les grandes puissances. Les droits de l’homme sont aussi faits pour nous. Propos recueillis par Mathieu Olivier
ISSOUF SANOGO/AFP
Dieudonné Nzapalainga