AUTO ACS | 302
PAGE BLANCHE À...
Les routes de la passion Il y a ces routes qui sont une invitation à nous isoler du monde. On les trouve à l’écart des grands axes routiers de chaque pays, elles sont presque cachées. Ce sont des routes sans bande médiane, avec un minimum de signalisations et sans feux. Par Michael Bahnerth
C
e sont les plus belles routes du monde, elles relient le Tout au Rien, et ceux qui les empruntent s’éloignent et s’approchent simultanément d’eux-mêmes. À chaque fois que je suis bloqué dans un embouteillage ou dans ma vie, je pense à ces routes qui m’ont marqué pour toujours. Je visualise leurs virages et leurs lignes droites, je pense pouvoir les sentir dans ma chair, me fonds en elles et dans le paysage sur lequel elles sont posées comme sur un tableau. Peu importe si l’on les parcourt à cinquante kilomètres à l’heure ou à plus de cent, car le temps semble s’être arrêté de toute façon – comme toujours, quand on avance dans l’extase d’une passion. Seul existe le bruit croissant ou décroissant du moteur, la mélodie du vent à travers les vitres ouvertes. Il n’y a pas de silence, juste de la tranquillité. On se fond dans tout, dans soi-même et dans l’univers, et avant chaque virage apparaît la certitude que la route se poursuit sur ces «chemins du ciel». On finit par arriver : au sommet d’un col, au bord d’une mer, dans un village. On s’arrête, on coupe le moteur – le monde
Michael Bahnerth
N
é en 1964 à Bâle. Pilote et copilote de l’équipe Oris Classic Rall Team, il est aussi auteur, a écrit et travaillé en qualité de rédacteur en chef pour la Basler Zeitung, entre autres. Pour Die Zeit, il a fait le tour du monde et il écrit actuellement pour la Weltwoche sur L’art, le déséquilibre omniprésent du périple cosmique et les difficultés de l’homme à ne pas perdre pied dans ce contexte. Bahnerth est l’auteur des livres Marieli Colomb – eine biografische Reise (2015) und Männer-Maladien (2017).
devient silencieux et bourdonne à l’intérieur de soi. On sort de la voiture et on a ce sentiment étrange d’être debout sur ses pieds, mais de continuer à rouler. On regarde en arrière, aperçoit les méandres de la route se transformant en un souvenir qui ne sera jamais à court de carburant. Et en même temps, apparaît le désir ardent de rouler sur une autre des plus belles routes du monde – et l’envie de connaître à nouveau le sentiment d’accélération et, parallèlement, de ralentissement de son propre être sur ces routes.
PREMIERS RÊVES Ma première voiture était une Ferrari 308 GTS Quattrovalvole, 240 CV, cette déesse parmi les automobiles, avec laquelle Magnum, plus tard, empruntait les routes d’Hawaï dans la série du même nom. Nous étions des amis inséparables, nous découvrions le monde ensemble, nous le parcourions à toute vitesse. J’avais quatre ans, cinq peut-être, la 380 était un jouet – qui pourtant a lancé pour toujours mon moteur, de cette sincérité ludique pour l’automobile. Il est probable que la raison en soit ma certitude qu’une voiture est et sera toujours un moyen de locomotion pour une exploration aventureuse du monde. Un précieux ami donc. Aujourd’hui encore, comme il y a cinquante ans, quand, petit garçon, je m’échappais des quatre murs du salon parental avec ma Ferrari, je conduis toujours de la même façon, découvre parfois ou toujours les bons côtés du monde et de la vie. Rouler, tout simplement, partir et arriver, et jouir de cette vie sur roues dans l’entre-deux, accélérer et freiner en même temps.