Graffiti et expressions de la contestation dans la ville contemporaine - Mémoire de Master

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Graffiti et expressions de la noitatsetnoc dans la ville contemporaine « Graffiti et expressions de la contestation dans la ville contemporaine » Arnaud DELVIT Mémoire d’initiation à la recherche Master 2 ENSAL 2020-2021 Directrice d’études: Chantal DUGAVE



REMERCIEMENTS Je remercie toutes les personnes impliquées dans la production de ce mémoire. Quelques mentions à Nadine pour sa traduction, Coline et Sonia pour les nombreux débats que nous avons eu tout au long de la rédaction, Nina pour toutes ses relectures et Allan pour ne jamais avoir hésité à donner son avis. Merci également à Claire Delvit et Allan Mensah pour m’avoir laissé utiliser les photos qu’ils m’ont envoyées. Une place spéciale pour les universitaires contactées au cours de mes recherches, parmi lesquelles Marie-Kenza Bouhaddou et Clotilde Kullmann qui a bien voulu m’envoyer sa thèse. Je remercie bien évidemment Chantal Dugave qui m’a accompagné tout au long de cet exercice, et qui a su me faire explorer des sujets que je n’aurais pas cru aborder. Enfin, je salue la revue Polygone et toute son équipe qui, bien qu’elle ne le sache pas, a très fortement inspiré la mise en page de ce travail.

s/o à tous les gens que je n’ai pas cité, vous êtes au top. 3.


SOMMAIRE


INTRODUCTION..............................................................................................6

PARTIE 01: DÉFINITIONS............................................................................12 Une brève définition du graffiti...........................................................14 Langage, contestation et politiques urbaines.....................................22

PARTIE 02: MÉTHODE.................................................................................30 Les variations du graffiti aux échelles urbaine et spatiale..................32 Les trois démarches du graffiti...........................................................38 Site et critères sélectionnés...............................................................44

PARTIE 03: ANALYSE..................................................................................50 Étude typologique du graffiti lyonnais................................................52 Le graffiti, une contestation par le geste.............................................64

CONCLUSION...............................................................................................70

ANNEXES......................................................................................................76

SOURCES...................................................................................................114


INTRODUCTION

GLOSSAIRE Délaissé urbain : élément architectural non exploité par les politiques de la ville et dont l’appropriation n’est pas encadrée. Graffiti : élément non utilitaire occupant un espace visuellement accessible aux usagers de la ville Graffiti-signature : élément graphique personnel à un graffeur constitué de chiffres et/ou de lettres stylisés d’une façon qui leur est propre. Le graffiti-signature constitue l’identité visuelle du graffeur. Tag : voir Graffiti-signature


Le graffiti est un sujet avec lequel je suis entré en contact lors de la forte médiatisation de certains de ses artistes dans les années 2000. Je pense notamment à Banksy, artiste britannique dont les nombreux coups d’éclat ont attiré le regard du grand public sur ce moyen d’expression particulier que l’on a vite appelé street-art. Terme fourretout, ce-dernier rassemble des artistes d’horizons culturels et créatifs multiples qui partagent tous le même support d’origine: la rue. Je parle bien ici de support d’origine, car le street-art s’est institutionnalisé et de nombreux artistes ont délaissé les interventions risquées et illicites dans l’espace public pour leur préférer le confort créatif de l’atelier, allant de pair avec la reconnaissance critique de l’exposition en galerie. Une dissociation s’effectue alors au niveau perceptif entre street-art et graffiti, le premier devenant une branche à part entière de l’art contemporain et le second restant lié à l’idée d’un vandalisme sans qualité propre. Les deux viennent pourtant d’un milieu ayant la particularité d’être accessible à tout public, en tout temps, et de toucher ainsi un auditoire anonyme mais autrement plus massif que celui qui fréquente les musées Les conséquences de l’intégration du street-art au circuit culturel traditionnel se traduisent assez bien par la valeur attribuée aux œuvres issues de cet univers. Les « street-artistes » sont aujourd’hui particulièrement prisés sur le marché de l’art, ce qui peut entraîner des réactions extrêmes. Les œuvres s’arrachent chez les collectionneurs, au point que les murs peints par des artistes

en pleine rue sont souvent rachetés, prélevés et reconstruits à l’identique pour permettre la vente de l’œuvre en question. Cette pratique se fait indépendamment de la volonté des créateurs, mais elle témoigne indéniablement de leur popularité auprès d’un certain public. Ce qui peut (ou ne pas) étonner cependant, c’est que ce traitement est rarement appliqué à d’autres œuvres similaires que l’on peut trouver dans le même milieu : on ne rachète pas un mur couvert de graffitis pour le vendre aux enchères, on se contente de le repeindre. Le public a donc décidé de traiter différemment graffiti et street-art, sans que l’on puisse trouver de différence tangible entre les deux. Ils occupent tous deux de façon parasitaire un espace qui ne leur est pas dédié, l’espace public, et s’appuient sur les mêmes techniques et outils. Il paraît donc ardu de les dissocier. Cet appétit des collectionneurs, puis des institutions culturelles et du public pour ces nouveaux muralismes s’est traduit par leur intégration aux politiques de la ville, au travers de festivals temporaires ou d’interventions pérennes comme on peut en voir à côté de la fontaine Stravinski à Paris. En 2012 le pignon Nord-Ouest de la place où elle se situe s’est vu orné d’une fresque de 350 mètres carrés réalisée par le pochoiriste français Jef Aérosol (Jean-François Perroy de son vrai nom) qui s’est vue complétée en 2019 d’une restauration et de l’ajout de deux autres fresques de même échelle réalisées par Shepard Fairey et Franck Slama (Invader de son nom d’artiste). Pourtant, la ville de Paris combat toujours le graffiti, qu’elle considère comme une incivilité et une dégradation. Il y a donc une différence entre le graffiti approuvé et celui contre lequel on lutte, bien que ceux-ci utilisent 7.


les mêmes outils. Pire, si l’on prend l’exemple de l’artiste Wenc à Lyon, on peut voir certaines de ses œuvres encouragées par la ville et ses habitants (les escaliers du passage Mermet) alors que d’autres sont considérées comme des nuisances contre lesquelles il faudrait lutter (écritures sur mobilier urbain). Ce n’est donc pas l’auteur qui détermine le traitement mais bien le graffiti lui-même, qui perd de sa dimension alternative dès lors qu’il est intégré aux sphères de décisions des politiques de la ville. Pour revenir sur mes affinités personnelles avec le sujet, l’intégration de l’art à notre environnement et plus particulièrement celui de la rue a déjà guidé un rapport d’études que j’ai mené en troisième année de Licence. L’avoir effectué m’a conforté dans l’idée que l’art urbain s’exprime par les monuments et les événements, mais également par des interventions souvent illicites effectuées sur les murs de la ville. Pour partager ce constat j’ai commencé un travail d’édition autour du graffiti sous la forme d’un magazine bimensuel rassemblant à chaque parution une série d’œuvres autour d’un thème choisi. Intitulé La graffithèque, ce magazine a pour but de sensibiliser le regard de son lectorat au graffiti, une expression artistique riche et notable par sa diversité. Chaque publication est centrée sur un thème particulier et rassemble une quinzaine de photos montrant différentes formes et techniques y étant reliées en mettant l’accent sur la multiplicité des approches et des lieux. Une base de données en perpétuel enrichissement a été créée pour nourrir les publications, ces dernières s’appuyant sur des photos personnelles ou sur des envois de tierces personnes. .8

ont été et sont encore très positifs. La majorité des lecteurs m’ont fait part de l’intérêt de découverte lié à chaque publication, ont salué leur variété (bien que l’appréciation des contenus fluctue d’un numéro à l’autre) et ont parfois fait part de leur façon nouvelle d’appréhender leur environnement urbain, avec un regard plus attentif porté à ce dernier. J’en tire également des bénéfices à titre personnel. Cette expérience m’a permis de découvrir de nouvelles formes d’art urbain par les photos que l’on m’a envoyé et m’a fait prendre conscience de la diversité des thèmes que l’on peut aborder par ce biais. Elle m’a également fait remarquer en menant des reportages dans différents milieux que les graffitis changent de façon similaire selon leur contexte architectural proche même dans des villes différentes. J’en ai donc conclu que le graffiti, en plus d’exister dans plusieurs villes différentes, y existe de façon similaire et comparable, que ce soit pour ceux qui sont valorisés par la ville ou pour le reste de la production.

L’immense majorité des œuvres partagent le fait d’être le fruit d’un travail illicite de son ou ses auteurs, par leur simple présence dans l’espace public. Si certaines municipalités laissent des espaces de libre peinture à disposition ou organisent des collaborations avec des artistes autour d’éléments cadrés (exemple de la place Stravinski citée plus haut), cela n’empêche pas la plupart des acteurs et actrices de ce milieu de préférer s’exprimer sans avoir à passer par ces interfaces. Ils peuvent ainsi s’affranchir de toute règle imposée puisqu’ils n’en respectent aucune. Ils choisissent alors de s’exprimer sur d’autres mediums, des éléments présents dans la ville mais dont l’appropriation n’est pas particulièrement Les retours sur cette démarche encadrée. La démarche est alors


contestataire par essence puisqu’une œuvre est déposée dans un espace qui ne lui est pas dédié, cependant elle ne perturbe pas le fonctionnement de la ville puisque ces éléments restent utilisables dans leur fonction première (une barrière, repeinte ou non, est toujours capable de remplir sa fonction). C’est alors le propos que l’œuvre porte qui peut avoir une portée humoristique, invoquer un imaginaire poétique ou revendiquer cette expression libre et être explicitement revendicatif. Le graffiti peut ainsi enrichir ces espaces non exploités de la ville et parfois les politiser pour en faire des vecteurs d’interpellation du passant. Nous allons dans ce mémoire étudier le graffiti comme une expression de la contestation, cet élément étant intrinsèquement lié au graffiti et en particulier au graffiti contemporain, par essence plus facile à documenter dans sa diversité. Cette étude soulève un paradoxe, puisque le graffiti est également employé par les services de la ville en tant qu’atout, notamment dans les stratégies de revitalisation d’espaces délaissés. L’intégration à de telles politiques dénue la production impliquée d’une dimension contestataire, puisqu’elle est alors approuvée et encouragée par les institutions et le pouvoir en place. Ceux-ci mettent même en certaines occasions des moyens à sa disposition. Il semble intéressant de se pencher sur ce qui différencie une œuvre approuvée d’une œuvre dérangeante contre laquelle il faut lutter, les deux utilisant pourtant a priori les mêmes outils et étant placées dans les mêmes espaces. On peut alors se poser la question suivante : s’il fait partie des politiques urbaines, en quoi le graffiti incarne-t-il une expression contestataire dans la ville contemporaine ?

Le graffiti étant une forme d’expression, nous allons l’étudier sous le prisme du langage comme étant constitué d’un signifiant et d’un signifié. Comme tout langage il peut aborder de nombreux sujets et exprimer autant de notions, c’est pourquoi nous allons nous intéresser spécifiquement à la contestation comme signifié unique, et sur une large variété de graffitis en tant que signifiants. Cependant, chaque graffiti est constitué d’une multitude d’éléments qu’il convient d’étudier précisément pour en avoir une lecture claire. Parmi eux nous avons distingué les critères formels de l’œuvre en tant que telle, son support spatial, son contexte urbain et la démarche dans laquelle elle semble s’insérer. C’est une fois chaque élément analysé précisément que nous pourrons déterminer si les graffitis explicitement contestataires sont impactés par la forme, le support, le contexte ou la démarche qui les porte. On s’attend à ce que les graffitis les plus engagés soient ainsi présent sur les délaissés urbains les plus manifestes, des éléments non exploités par les politiques de la ville ou par les codes régissant l’espace public. Les enjeux de ce mémoire sont multiples. Parmi eux on trouve la volonté de prouver la multiplicité des expressions par le bais du graffiti. Nous souhaitons également mettre en avant l’hétérogénéité de ces expressions dans les espaces de la ville et les surfaces de la rue, définissant ainsi le graffiti comme une pratique hyper contextualisée. On désire aussi déterminer si le graffiti constitue ou non un langage contestataire, spécifiquement quand il est intégré aux politiques urbaines. Il est également possible qu’il existe désormais plusieurs langages du graffiti ayant chacun développé ses propres codes et grilles de lecture, et que 9.


tous les langages ne soient pas utilisés pour aborder les mêmes thématiques. Nous n’aborderons pas ici la dimension poétique ou humoristique du graffiti afin de restreindre le champ d’étude de ce sujet. Nous étudierons le cas de Lyon à travers une archive photographique constituée de prises de vues personnelles et sur des envois de contributeurs tiers, faits pour le magazine La graffithèque. Cette archive sera passée par plusieurs filtres pour en extraire quarante pièces constituant un corpus représentatif de cinq zones urbaines différentes, toutes situées dans le centre-ville lyonnais. Ce corpus sera ensuite étudié pièce par pièce au moyen d’un tableau typologique et d’une analyse détaillée de chaque œuvre. Nous ne nous fondons pas sur des échanges avec des artistes mais bien sur leurs productions, captées dans leur milieu de réalisation et sans autre biais que les outils d’analyse que nous avons défini pour ce mémoire. Cette archive n’est pas exhaustive et représente de façon partiale et partielle la production graffiti lyonnaise, c’est pourquoi nous ferons un tour d’horizon des pratiques du graffiti en début de ce mémoire. Nous verrons ainsi que le graffiti est présent dans de nombreuses unités urbaines qui, bien qu’elles soient très différentes les unes des autres, montrent des similarités notables quant aux œuvres figurant sur leurs parois. L’état de l’art sur le sujet est inégal. Le graffiti est le sujet de recherches de plus en plus nombreuses depuis les années 1980, notamment pour aider les municipalités à la lutte contre ce dernier. Au tournant des années 2000 et surtout 2010 cependant une nouvelle tendance se dégage avec la généralisation de sa .10

valorisation dans les politiques urbaines. Les sources scientifiques utilisées pour la rédaction de ce mémoire varient donc en forme et en substance avec des articles de sociologie, des ouvrages de recherche traitant de la valorisation de projets urbains par le biais de la dimension artistique, que ce soit par le prisme institutionnel ou par celui des contrecultures. Enfin, ce mémoire s’appuie sur les expériences et points de vues de nombreux acteurs du graffiti, issus pour la plupart de documentaires, films, entretiens, conversations et expériences personnelles. Une attention particulière a été portée au fait de rendre audible le point de vue des personnes à l’origine des graffitis, personnellement convaincues de l’intérêt de leur démarche même quand elle semble obscure à un regard extérieur. En structurant le propos autour de cette analyse typologique nous étudierons la relation entre graffiti et expression contestataire selon trois axes. Tout d’abord, une définition des termes permettra de cadrer la notion de graffiti telle qu’elle sera abordée ici en précisant son historique, ses figures, ses outils et ses techniques. On définira également les notions de langage et de culture contestataire, en s’appuyant sur les théories de Ferdinand de Saussure et sur l’analyse des contre-cultures menée par Luca Pattaroni. Dans une deuxième partie, nous décrirons le corpus et sa constitution en faisant un tour d’horizon des variations du graffiti selon les espaces urbains. Nous nous appuierons pour cela sur des enquêtes de terrain menées dans diverses villes d’Europe et d’ailleurs. Nous définirons ensuite les trois démarches distinctes que l’on a identifiées comme étant motrices de l’action des acteurs de ce milieu, avant de revenir sur l’étude de


Lyon afin d’expliciter les critères utilisés pour cette analyse. Enfin dans le troisième axe nous exploiterons les données issues du tableau typologique en nous appuyant sur de multiples clefs de lecture pour déterminer quel paramètre influe le plus sur la dimension contestataire du graffiti étudié. Nous ne ferons pas cas d’une différenciation entre graffiti et streetart, qui sont souvent considérés pour le premier comme une dégradation et pour le second comme une plus-value pour les lieux qui les accueillent. Nous considérons ces éléments comme confondus et rassemblons les deux sous le terme de “graffiti”, considéré alors comme un élément non utilitaire occupant un espace visuellement accessible aux usagers de la ville. Le graffiti peut aborder des thèmes variés, il peut donc être perçu comme un moyen d’expression utilisant un langage qui lui est propre. Il se superpose à un milieu urbain qu’il parasite, il occupe donc préférentiellement des espaces résiduels de la ville sans les priver de leur fonction quand ils en ont une. Ce thème de recherche gravitant autour de l’expression vient d’une volonté de mieux comprendre le graffiti, une manifestation de la vie urbaine perçue comme une expression libre de ses usagers. En tant qu’étudiant en architecture, je pense que mieux comprendre le graffiti pourrait aider à mieux comprendre ce qui fait l’espace urbain, et donc ce qui fait la ville en ellemême.

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PARTIE 01: DÉFINITIONS


Pour fournir les clefs de lecture nécessaires à l’immersion dans le sujet que nous allons aborder, il est nécessaire d’en définir les termes. Nous nous attarderons d’abord sur celui de graffiti, sujet central de ce mémoire qui doit donc être appréhendé au mieux et que nous avons tâché de définir aussi précisément que possible. Après avoir étudié la notion du graffiti et son évolution jusqu’à la pratique telle que nous la connaissons aujourd’hui, nous nous focaliserons sur les thèmes du langage, de la contestation et des politiques urbaines en nous appuyant sur des sources bibliographiques diverses et propres à chaque sujet. Cette définition des termes nous permettra d’aborder la suite du mémoire en nous rapprochant d’échelles d’analyse auxquelles le cursus en école d’architecture nous a mieux habitué, à savoir les contextes spatiaux et urbains de chaque élément étudié. Afin de focaliser l’attention du lecteur sur le corpus que nous avons dressé pour ce mémoire, nous avons fait le choix de ne pas utiliser d’images autres que celles le composant, et qui seront regroupées en annexe de ce mémoire. 13.


UNE BRÈVE DÉFINITION DU GRAFFITI

Le graffiti a des origines floues, dues notamment au manque de définition du terme lui-même. Si l’on considère le graffiti comme l’expression de l’Homme sur ce qui forme son habitat alors on peut remonter jusqu’aux grottes préhistoriques et les scènes de chasse figurant sur leurs parois, en considérant les mains visibles à même la pierre comme les premiers pochoirs. On pourrait également parler des nombreux graffitis sauvegardés par l’éruption du Vésuve à Pompeii, témoignages légers d’une histoire qui n’est pas transmise jusque dans les livres. La pratique qui nous intéresse ici est cependant beaucoup plus récente, puisque nous étudierons dans ce mémoire le graffiti sous sa forme contemporaine, née autour des années 1960 de l’accession du grand public à un outil toujours aussi emblématique : la bombe aérosol. Comme nous le verrons plus loin, elle n’est pas et n’a jamais été le seul outil utilisé par les graffeurs pour recouvrir les villes, cependant elle a su devenir un symbole de cette pratique en alliant portabilité, accessibilité et polyvalence pour celles et ceux qui l’utilisent. LES ORIGINES DU GRAFFITI ACTUEL Avant toute chose il convient d’établir les limites de l’étude menée ici. On l’a vu, le graffiti a des origines anciennes. Nous n’étudierons dans cette partie qu’une fraction de son histoire au travers de deux prismes : un territoire l’ayant particulièrement influencé, les villes du Nord-Est des États-Unis dans


la seconde moitié du vingtième siècle ; et un autre qui nous est plus proche, la France sur une temporalité allant de la même période jusqu’à nos jours. Il va sans dire que le graffiti a déjà existé endehors de ces lieux spécifiques et qu’il a une histoire fournie que nous n’allons pas documenter ici. On peut toutefois noter l’utilisation de codes modernes du graffiti pour la réalisation de fresques monumentales avec le mouvement du muralisme mexicain, né dans les années 1920 avec la volonté de d’apporter l’art à tous par des œuvres publiques et monumentales. Rapidement le fruit de commandes d’État, les fresques qui en résultent illustrent l’histoire officielle du pays en la rendant accessible à tous sans distinction. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres, c’est pourquoi afin de restreindre le propos nous n’évoquerons que la fraction citée plus haut de la production existante, sans nier l’intérêt des éléments que nous ne citerons pas.

LA PRATIQUE DU GRAFFITI AUX ÉTATS-UNIS

La bombe de peinture utilisée en tant qu’outil du graffiti est un détournement : à l’origine, elle était destinée aux carrossiers et devait leur permettre d’appliquer une couche de peinture de façon uniforme très rapidement et à bas coût, tout en autorisant une large gamme de déclinaisons de couleurs. Aux États-Unis, cet outil s’est vite vu attribuer un second usage, notamment dans les banlieues des grandes villes du NordEst comme New-York ou Philadelphie où des phénomènes de gangs sévissaient à cette époque. Pour trouver un autre moyen d’intégration sociale, de jeunes états-uniens ont alors utilisé des bombes de peinture pour écrire des pseudonymes

correspondant à leur identité, par exemple en associant un surnom et un numéro correspondant à une rue précise indiquant leur provenance.1. Rapidement, cette pratique s’est répandue et codifiée en donnant de la valeur à certaines performances. Plus le territoire couvert par un graffeur était étendu, et plus son alter-ego était identifiable et respecté. Les tags, terme anglais signifiant « étiquette » et utilisé tout autour du monde pour désigner ces graffitissignature, ont évolué en se complexifiant pour augmenter d’autant la dangerosité de l’action effectuée et la gloire retirée de sa réalisation.2. Une pièce dont les lettres sont tracées d’un simple trait prend par exemple moins de temps à être réalisée qu’une autre dont les pièces présentent un contour défini et un remplissage. Multiplicité des couleurs, agrandissement des surfaces, complexification des dessins, ajout de fioritures diverses ont mené les graffeurs à mettre au point des crews (« équipage ») pour pouvoir travailler à plusieurs simultanément sur les mêmes éléments. Ce faisant, ils pouvaient non seulement apposer leur marque dans des lieux de plus en plus risqués (et donc, prestigieux dans la communauté d’initiés) mais aussi s’intégrer à des groupes sociaux dès le début de l’adolescence et ainsi constituer leur identité. Pratique accessible au plus

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Musée des Beaux-Arts de Calais. Conquête urbaine, Street Art au musée. Catalogue d’exposition. Paris : LIENART éditions, 2019. 152p.

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WACŁAWEK, Anna. Street art et graffiti. Paris : Thames & Hudson, 2012. 208p. (Collection l’univers de l’art). Tout au long de cette partie nous nous appuierons grandement sur ce livre dont nous ne pouvons que conseiller la lecture.

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grand nombre par son prix, elle reste un véritable rocher de Sisyphe puisque les tags sont aussi nombreux que leur durée de vie est brève. Le meilleur moyen d’exposer ses œuvres au plus grand nombre a rapidement été identifié comme étant le réseau du métro. Bien que sécurisés, les zone de dépôt des voitures se sont ainsi vues devenir la cible de graffeurs avides de faire leurs preuves, avec encore une fois la codification allant de paire avec la pratique. Si un groupe pouvait accéder à une rame de métro, il pouvait alors tenter de faire un top to bottom (allant du haut au bas de la voiture), un side to side (allant d’un côté à l’autre dans le sens longitudinal), un whole car recouvrant l’intégralité d’une voiture ou, dans les cas extrêmes, un whole train. Ces défis sont encore valorisés aujourd’hui et il existe des collectifs de graffeurs spécialisés dans l’entrée par effraction dans les dépôts afin de recouvrir de cette façon des trains de marchandises entiers. Bien que particulièrement dangereuse, une action de ce type garantit la reconnaissance par le milieu puisqu’elle est suivie d’une véritable parade des graffitis tout autour de la ville, introduisant cette pratique jusque dans les centres huppés.

de tout antécédent tout en montrant aux récidivistes les meilleurs murs de la ville. Cela a généré un climat de rejet du graffiti qui culmine de façon assez curieuse avec la théorie de la vitre cassée, citée par de nombreux graffeurs et tirée d’un article paru dans l’édition de Mars 1982 du journal The Atlantic. Intitulé Broken Windows et rédigé par George L. Kelling et James Q. Wilson, ce billet.3 décrit le lien qu’il y a à faire entre incivilités manifestes dans un quartier et hausses de la criminalité. Le graffiti est alors identifié comme un élément qui, si on le laisse perdurer dans l’environnement urbain, causera un sentiment général d’insécurité et ouvrira la porte à des délits plus graves par la suite.

Selon une notion que l’on retrouve dans Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville, publié en 2001 par Stéphanie Busquets et MarieLine Felonneau chez l’Harmattan.4, ce fantasme de la dangerosité du graffiti est entretenu par son caractère hautement visible mais incompréhensible. Un tag est une signature, il témoigne du passage d’un individu, étranger à soi puisqu’on ne comprend pas ce qu’il a communiqué. L’invisibilité de l’auteur devient alors menaçante puisqu’elle contraint le passant à accepter le fait indéniable qu’il Si l’on prend le cas de New-York navigue dans un environnement qu’il ne où le phénomène a été particulièrement peut contrôler. Pour revenir à la théorie virulent, cette arrivée du graffiti dans les centre a eu au moins deux effets notables. D’une part, on a assisté à la KELLING, George et WILSON, James. mise au point d’une politique anti-graffiti .3 Broken Windows, the police and aussi virulente qu’inefficace de la part neighborhood safety. The Atlantic [en des autorités de la ville, puisque les ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.theatlantic.com/magazine/ graffeurs arrêtés étaient condamnés à archive/1982/03/broken-windows/304465/ effectuer des services d’intérêts généraux BUSQUETS, Stéphanie et FELONNEAU sous forme d’un recouvrement de leurs .4 Marie-Line. Tags et graffs : les jeunes à la œuvres. Ce faisant, la ville ne faisait que conquête de la ville. Paris : L’harmattan, leur fournir de nouvelles surfaces vierges 2001. 205p. (Collection Psychologiques). .16


de la vitre brisée, celle-ci indique que si un immeuble montre un signe visible de dégradation comme un graffiti et que celui-ci n’est pas rapidement corrigé, cela agira comme un indicateur du faible niveau de préoccupation pour le maintien de l’ordre existant dans cet immeuble et le quartier l’environnant. Suivant cette idée, lutter contre les dégradations matérielles devient primordial afin d’offrir un cadre sécurisant et maîtrisé aux usagers de la ville. C’est pendant longtemps cette doctrine qui a guidé le rapport des politiques publiques au graffiti sous toutes ses formes. Un autre effet notable de l’arrivée du graffiti dans le centre New-Yorkais a été sa popularisation auprès d’un tout autre public, celui de la scène artistique vibrante des milieux alternatifs de la ville. C’est au tournant des années 1970 qu’ont eu lieu les premières expositions en galeries réalisées par des graffeurs, mais c’est véritablement au début de la décennie suivante que le graffiti commença à être perçu comme une expression artistique et leurs auteurs de véritables artistes.5. Le point marquant de cette période est souvent identifié comme étant le Times Square Show, une exposition qui a rassemblé en Juin 1980 des noms comme Jean-Michel Basquiat, Kiki Smith ou Keith Haring dans un ancien institut de massage abandonné. Le lieu, investi le temps de l’exposition, a rassemblé plus d’une centaine d’artistes des domaines de la danse, de la musique, de la vidéo et du graffiti, qui n’était alors que l’un des mediums présentés par le lieu. D’autres expositions ont suivi durant les années 1980, qui ont favorisé le contact des graffeurs entre eux, les faisant se voir eux-mêmes comme de véritables artistes, et entraînant l’apparition de nouveaux noms.

Parmi ceux-ci on compte celui de Keith Haring, dessinateur prolifique qui se sera fait remarquer au moyen des œuvres au style clairement identifiable qu’il a disséminées dans le métro New-Yorkais. Utilisant les panneaux d’affichage comme supports et la craie sur fond noir comme outil, il s’assurait ainsi une identification assurée dans le paysage urbain de la ville, reprenant les codes du graffiti signature (utilisation de l’espace public, répétition d’un style reconnaissable à divers endroits) sans toutefois être motivé par la même démarche identitaire. Son travail sera rapidement repéré par les galeristes qui le feront intégrer le circuit culturel traditionnel pour lui donner la renommée qu’il a atteint aujourd’hui. D’autres noms semblables ont émergé de la scène graffiti, comme celui de Jean-Michel Basquiat qui avait signé ses premières œuvres du sigle SAMO (correspondant à Same Old Shit). Ces deux créateurs sont un exemple parmi d’autres qu’après cette période, le graffiti s’est vu accepté par les institutions et a commencé à être dédiabolisé auprès d’un public auparavant très peu réceptif.

LA PRATIQUE DU GRAFFITI EN FRANCE

Si aux États-Unis le graffiti a suivi une trajectoire allant de l’extérieur des villes jusqu’à leur centre où il a trouvé une certaine légitimité artistique, en Europe et plus spécifiquement en France son

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MARTINIQUE, Elana. Times Square Show 1980. Widewalls [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.widewalls.ch/magazine/timessquare-show-1980

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évolution est assez différente. Dès 1963, un détournement de la bombe aérosol dans l’espace public apparaît avec les Éphémères de Gérard Zlotykamien.6, silhouettes éthérées apparaissant sur les barrières de chantier du trou des Halles à Paris. Ces formes humanoïdes, dessinées par un trait matérialisant un contour sans remplissage, sont formellement très simples et présentent une suggestion, un gabarit de corps surmonté par une tête à l’expression triste. L’ensemble de cette série effectuée dans les années 1960 a été inspiré par les fantômes d’Hiroshima, des silhouettes laissées dans la ville par les corps vaporisés par l’explosion atomique de 1945. On retrouve la même démarche chez une autre tête de file de l’art urbain français, Ernest Pignon-Ernest, qui choisit de représenter ce même traumatisme nucléaire directement dans la rue, sans passer par le cadre policé d’une galerie d’exposition.7. Zlotykamien et Ernest PignonErnest développent alors un rapport autre avec la rue en la considérant comme un medium signifiant en lui même. Le propos n’est pas identitaire comme celui du tag et de la culture graffiti telle qu’elle est en train de voir le jour aux États-Unis, il témoigne ici d’un geste artistique prémédité et conscient de lui-même. Quand Ernest Pignon-Ernest choisit, dès 1966, de couvrir le Vaucluse de pochoirs faisant voir ces silhouettes, volontairement qu’il décide de « stigmatiser » l’espace urbain afin de faire ressentir la menace qu’il éprouve à la vision des images du bombardement. Il poursuivra dans cette visée d’interpellation du passant avec le reste de son œuvre, notamment avec son intervention sur la commune de Paris qui verra en 1971 des centaines de gisants se matérialiser sur les espaces investis par le passé.8. La technique change ici, .18

avec un emploi de la sérigraphie qui crée une véritable surépaisseur dans l’espace de la rue contrairement au pochoir jugé comme créateur d’un rapport trop binaire. Les années 1960 ont vu naître en France cette manière autre de s’approprier la ville en la considérant comme un support d’expression artistique. Elles ont aussi été le théâtre d’une appropriation par la contestation qui a marqué les mémoires : les manifestations de mai 1968. Ce mouvement initialement étudiant s’inscrit dans une remise en question de l’autorité présente tout autour du globe. En France, elle atteint son paroxysme lors de la nuit des barricades qui opposa entre le 10 et le 11 mai étudiants et forces de l’ordre dans un affrontement violent et ravageur qui donnera une toute autre échelle à ces revendications.9. En parallèle de ces affrontements directs on voit fleurir sur les murs une autre forme de rébellion avec la généralisation des slogans et autres diatribes revendicatrices. L’occupation de la Sorbonne ou d’autres université françaises en témoigne, avec la répétition de slogans tels que « Le pouvoir est dans la rue, pas dans les urnes » ou encore « La police vous surveille, surveillez la police » relevé dans le quartier latin de la capitale. .6

PUJAS, Sophie. Gérard Zlotykamien, pionnier du street art. Le Point [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.lepoint.fr/pop-culture/lifestyle/ gerard-zlotykamien-pionner-du-streetart-21-03-2017-2113506_2944.php

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PIGNON-ERNEST, Ernest. L’origine. Ernest Pignon-Ernest [en ligne]. Disponible à l’adresse : http://pignon-ernest.com/

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Ibid.

.9

WOLIN, Richard. Events of May 1968. Encyclopedia Britannica [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.britannica.com/event/eventsof-May-1968


L’absence de pérennité de ces éléments rend difficile son archivage. On peut toutefois difficilement nier l’héritage qu’ils ont suscité, le slogan bien connu « Sous les pavés, la plage » ayant par exemple largement dépassé en portée la devanture sur laquelle il a été initialement bombé. Cette appropriation de la rue, utilisant toujours l’aérosol comme outil, a ici pour but de transmettre et diffuser un message de façon claire, de ne pas uniquement faire état d’une présence mais aussi de transmettre un propos identifiable. Ce ne sont évidemment pas les premiers graffitis de ce type identifiables dans un milieu urbain, cependant il semble pertinent d’identifier les actions de mai 68 comme ayant impacté leur perception dans l’imaginaire collectif en leur donnant une véritable épaisseur en tant qu’outil de contestation. Signal d’un procédé où l’individu est mis en retrait par rapport à son propos, très peu des inscriptions citées ci-dessus sont signées, rendant leurs auteurs anonymes dès lors qu’ils ont fini leur travail d’écriture. La pratique du graffiti français est donc dès ses débuts le fait de sachants, qu’ils soient des artistes assumés et conscients de leur geste ou des individus effectuant cette action dans une volonté de transgression qui se retrouve dans leur propos. Les galeries n’ont alors pas joué le rôle de légitimisatrices du graffiti auprès du grand public, puisque les acteurs de ce milieu revendiquaient dès l’origine de leur pratique une démarche artistique la motivant. Ce n’est que par imitation du modèle étatsunien que l’on a vu l’émergence de pratiques proches du graffiti-signature en France, touchant alors les mêmes milieux qu’outre Atlantique et suivant un parcours d’acceptation comparable dans les mentalités. Le tag français n’a

tout de même pas eu exactement les mêmes codifications que son modèle, basé entre autres sur la numérotation des rues à l’américaine. Le plus ancien writer répertorié est par exemple Taki183.10, qui tire son nom de la 183e rue dans laquelle il habitait (Washington Heights, au Nord de Manhattan). En France un tel exercice est impossible et c’est plutôt la graphie des lettres elles mêmes ou leur sonorité (les graffeurs s’interpellent par leurs pseudonymes) qui représente un critère signifiant. Si l’on a parlé des premiers artistes français utilisant la rue comme medium, bien d’autres ont suivi par la suite.11. Dès les années 1970-1980 mais avec une pratique qui s’étale jusqu’à nos jours on peut citer Blek le Rat ou Miss Tic qui ont attiré le regard sur les habitants de la rue (respectivement les sans-abris et les travailleuses du sexe). On note que contrairement à Zlotykamien et Pignon-Ernest, ces artistes emploient un pseudonyme dissimulant leur véritable identité et les protégeant sommairement dans leurs interventions illicites. Plus tard on peut citer des noms comme ZEVS, habitué des détournements publicitaires ambitieux et des recherches plastiques comme il en a fait preuve avec ses « graffitis propres ».. Ces derniers

.10

Musée des Beaux-Arts de Calais. Conquête urbaine, Street Art au musée. Catalogue d’exposition. Paris : LIENART éditions, 2019. 152p.

.11

AZIMI, Roxana. Avant Banksy ou JR, Ernest Pignon-Ernest, Pionnier du StreetArt. M, le magazine du Monde [en ligne]. Disponible à l’adresse : h t t p s : / / w w w. l e m o n d e . f r / m - l e - m a g / article/2019/06/28/avant-banksy-ou-jrernest-pignon-ernest-pionnier-du-streetart_5482616_4500055.html

19.


renversent le code usuel du graffiti en impliquant non pas une addition mais une soustraction de matière sur le mur visé, l’intervention nettoyant le mur plutôt que de le repeindre. On peut également citer JR dont le travail de photograffeur basé sur des portraits plaqués dans l’espace public à une échelle monumentale questionne d’autant notre rapport à la rue et à ses usagers. Concernant la popularisation du graffiti auprès d’un grand public, on peut également noter sa correspondance avec la vie culturelle lui étant contemporaine, notamment en terme de scène musicale. Le tag tel qu’il est né dans les banlieues New-Yorkaises a par exemple rapidement trouvé son pendant musical avec le rap.12, élément fondateur d’une culture hip-hop encore balbutiante. Ce type de graffiti, dont les acteurs utilisent un langage stylisé par leurs soins pour se démarquer les uns des autres, incarne alors une expression visuelle de ce mouvement jeune et contribue à le rendre identifiable hors des cercles où il est popularisé habituellement. En Europe, c’est à une autre mouvance musicale contestataire que le graffiti se rattache dans les années 1970 avec l’esprit punk et son imaginaire do it yourself.13. Ce n’est pas le tag qui est utilisé ici mais plutôt le pochoir. Facile à réaliser et ne nécessitant pas de connaissances particulières au préalable (se rattachant ainsi aux réalités de certains groupes qui apprenaient parfois à jouer une fois sur scène), il est un moyen de diffuser une idée en mobilisant .12 un minimum de moyens. Il illustre ainsi non seulement l’esthétique mais aussi l’esprit punk et ses détournements de .13 certains codes tirés du monde militaire (comme le pochoir ou les crânes rasés).

.20

Gary 1983. Italian anti fascist rap music (#15). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 10 juillet 2020. Durée : 1h10min47s. ABARCA, Javier. Punk graffiti : stencils en tags since 1977. Urbanario [en ligne]. Publié le 22 octobre 2008 [Consulté le 10 janvier 2021 à 11h51]. Disponible à l’adresse : https://urbanario.es/en/articulo/ punk-graffiti-stencils-and-tags-since-1977/


Le graffiti tel qu’on l’aborde dans ce mémoire a donc des origines multiples liées à ses contextes spatiaux, sociaux, culturels et politiques. Toutes ont pour point commun d’avoir utilisé en priorité la bombe de peinture, un outil polyvalent dont l’industrialisation a permis l’accès en masse à un équipement peu cher et surtout intuitif dans son utilisation et ne demandant pas de savoir-faire au préalable. Dans les banlieues New-Yorkaises il a autorisé des individus en quête d’intégration sociale à développer leurs propres codes, qui ont ultérieurement été reconnus en tant que démarche artistique. En France, des artistes s’en sont emparé et l’ont utilisé pour sa lisibilité dans un espace urbain qu’ils voulaient marquer d’une empreinte autre. Partout, la bombe aérosol a permis une expression libérée par sa simplicité d’usage et sa couvrance exceptionnelle des surfaces, quelle que soit la technique derrière son utilisation. Cela s’est notoirement traduit par les événements de mai 68 sur notre sol, mais la contestation étudiante était généralisée et existait également dès 1964 dans la faculté de Berkeley par exemple. Les pratiques ont par la suite évolué et ont progressivement été acceptées par les critiques, le public et les institutions pour faire aujourd’hui partie intégrante de l’imaginaire de la ville. 21.


LANGAGE, CONTESTATION ET POLITIQUES URBAINES : DÉFINITIONS ET RAPPORTS AU GRAFFITI

Pour cadrer les recherches entreprises dans ce mémoire il convient d’en préciser les termes. Si le graffiti contemporain a déjà fait l’objet d’une description fournie dans la partie précédente, nous allons maintenant aborder plus précisément les notions de langage, de contestation et de politiques urbaines. Pour notre définition du langage nous nous appuierons sur les théories de Ferdinand de Saussure, linguiste suisse considéré comme l’un des pères fondateurs de son domaine et qui a transformé par son approche innovante l’étude des langages. Bien qu’il n’ait pas publié d’écrit regroupant ses théories de son vivant, nous nous appuierons sur son Cours de linguistique générale.14 publié après sa mort par deux de ses étudiants désireux d’effectuer un devoir de transmission du savoir. Concernant les politiques urbaines et les pratiques contestataires, nous utiliserons principalement les études menées par Luca Pattaroni sur la domestication des pratiques artistiques dans la ville gentrifiée.15. Nous rattacherons ces notions au monde du graffiti en définissant systématiquement en quoi elles peuvent s’appliquer à lui. LE LANGAGE SELON SAUSSURE Né en 1857, Ferdinand de Saussure a bouleversé les sciences du langage. Avant qu’il introduise ses nouvelles méthodes d’analyse, la linguistique se basait sur une approche historique et comparative de chaque langue en essayant de déterminer son


origine, son histoire, ses évolutions et ses liens de parenté avec d’autres langages pour pouvoir la comprendre. Il est le premier à formaliser une théorie jugeant ces critères comme extérieurs au phénomène linguistique en lui-même et donc non déterminants pour définir l’évolution d’un langage. Selon son analyse, toute langue peut apparaître comme une structure ayant sa cohérence interne et composée d’une multitude de signes dont les relations définissent le système global dans lequel ils s’insèrent. L’étude d’une langue doit alors être menée à l’échelle des éléments qui la constituent, à savoir des signes qui n’ont de sens que lorsqu’ils sont comparés à d’autres signes de leur système propre. Fort de cette analyse générale, Saussure pose ainsi les bases de la sémiologie, « une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale », et qui perçoit le langage comme un système de signes parmi d’autres en soulignant le fait que ce soit le système de signes le plus développé puisque présent dans toutes les cultures humaines. Toujours suivant cette théorie, les signes constitutifs d’un langage sont des éléments à deux facettes, le signifiant et le signifié. Ces notions rattachent un concept (le signifié, représentation mentale d’une idée ou d’une chose) à une image acoustique (le signifiant, représentation mentale d’une suite sonore) qui peut ne pas être vocalisée, puisque l’on peut se parler à soi-même sans faire de bruit. Ces deux aspects sont indissociablement liés dans la conscience du locuteur, donnant ses deux caractères fondamentaux à cet élément de langage qu’est le signe linguistique : un aspect arbitraire et un aspect linéaire. L’aspect arbitraire vient de la relation entretenue entre signifiant et signifié. Si les signifiés

sont partagés par tous, les signifiants varient d’un locuteur à l’autre pour peu qu’ils n’utilisent pas le même système linguistique. L’aspect linéaire quant à lui vient de la nature auditive du signifiant, qui prend place dans un contexte temporel qui n’est mesurable que dans une seule dimension, la durée. Délivrer un signifiant est alors un processus linéaire, chose qui apparaît immédiatement lorsqu’on transpose par écrit une image acoustique puisque changer l’ordre de lecture des caractères impacte la compréhension du signe dans sa globalité en transformant son signifiant. Les relations entretenues par les signes les uns envers les autres sont structurantes du système linguistique dont ils font partie, mais ces relations ne sont valables que pour une période temporelle définie. Saussure établit en effet deux façons d’étudier la langue, d’une part l’étude synchronique qui se place dans la perspective du locuteur, et d’autre part l’étude diachronique qui a pour temporalité l’échelle du langage étudié en lui-même. La perspective diachronique est nécessairement postérieure à l’étude synchronique puisqu’elle nécessite une connaissance précise des différents systèmes ayant constitué l’évolution de la langue. Étudier un état de la langue dans un espace temporel limité permet de faire abstraction des phénomènes historiques et sociaux l’impactant, en partant du principe que les évolutions provoquant une

.14

DE SAUSSURE Ferdinand. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1971. 327p.

.15

PATTARONI, Luca. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, la contre-culture domestiquée. Genève : MetisPresses, 2020. 296p. (Collection vuesDensemble).

23.


transformation du système linguistique ne s’opèrent qu’assez lentement. L’individu n’a pas le pouvoir d’impacter à lui seul l’usage d’un nouveau signifiant pour désigner un signifié particulier, l’inertie du système linguistique lui garantit donc une évolution lente sans transformations soudaines. Il nous semble que cette définition du langage peut s’appliquer au monde du graffiti. Il serait alors possible d’utiliser l’approche synchronique de Ferdinand de Saussure pour étudier ce système particulier tel qu’il existe dans son état actuel (nous nous plaçons alors dans la temporalité d’un locuteur de ce langage, et non pas dans celle de l’analyse d’une succession de systèmes retraçant l’évolution de cette forme d’expression). Afin de restreindre le champ d’études nous prendrons pour seul signifié l’expression de la contestation, ce qui nous permettra de varier les signifiants qui seront les différents types de graffitis définis par leurs formes, leurs supports, leurs contextes urbains ou leurs démarches. Cette démarche permettra de définir quel élément constitue le signifiant dans l’expression de la contestation par le graffiti. Tous les éléments de la théorie de Saussure ne seront toutefois pas transposables ; on pense en particulier à la notion d’image acoustique du signifiant qui n’est pas toujours applicable au langage visuel que constitue le graffiti. L’image ne correspond pas ici à la représentation mentale d’une suite sonore mais est interprétée selon un système de valeurs propre à la perception de l’usager de la ville qui entre en contact avec le graffiti.

.24

CULTURE CONTESTATAIRE ET MILIEU URBAIN

Le dictionnaire du Larousse définit la contestation comme l’action de remise en cause d’un ordre social, politique, économique établi et de critique systématique des institutions existantes et de l’idéologie dominante. La contestation se manifeste à divers degrés dans la majorité des systèmes existants, notamment dans celui de la ville. Selon Luca Pattaroni, elle est visible dans le milieu urbain par le biais des contre-cultures qui se placent dans des territoires en marge (friches, squats et terrains vagues) selon un imaginaire de l’artiste créateur, innovateur et transgressif tel qu’il a vu le jour avec le romantisme de la fin du XIXème siècle. Cette vision s’enrichit d’une dimension subversive et émancipée rejoignant les idéologies révolutionnaires avec les avant-gardes du début du siècle suivant, jusqu’à transformer les espaces de contre-culture en organismes étrangers au système ville, qui les contraignent à la rentabilité financière en les soumettant à des pressions foncières toujours plus importantes. La ville effectue alors une récupération de ces lieux en s’efforçant de les intégrer à sa politique culturelle globale. Pour décrire cette mécanique de récupération il convient tout d’abord d’analyser ce qui fait une contre-culture en milieu urbain selon Pattaroni. Ces expressions contestataires s’appuieraient sur quatre piliers distincts : - l’unitaire (vecteur existentiel) correspond à une volonté commune de créer des contre-espaces en réaction aux normes établies pour offrir une alternative à ces dernières.


- l’esthétique (vecteur formel) est manifeste d’une perturbation du milieu qui l’entoure et entretient un effet de contraste à un espace connu puisque pratiqué au quotidien

d’être interactif et de pouvoir retracer des conversations) et recherchaient largement plus l’expression libre que le profit.

Ces quatre axes ont toutefois été neutralisés voire même retournés pour voir émerger un régime de postcontre-culture valorisé par le système du capitalisme urbain. Axe par axe, le processus de déconstruction s’opère de - l’œuvre elle-même (vecteur la façon suivante : valuatif) qui est générée sans recherche - l’unitaire se désagrège dès le de profit mais vise plutôt à s’insérer dans le « régime intensif de rencontres » de la processus de reconnaissance spatiale et politique des contre-cultures dans ville en en ralentissant les flux. les années 1980. Chaque branche Dans les années 1960 et 1970 trouve alors ses noms, ses budgets, ses ces axes ont fonctionné de concert pour lieux dédiés selon une dynamique qui soutenir des démarches alternatives s’accélère dans les années 2010. et subversives. Reprenons pour le - l’esthétique est banalisée et démontrer les exemples de la culture hip-hop dans les banlieues de New-York séparée de ses modes de diffusion et les contestations européennes citées alternatifs pour devenir un élément attendu plus haut. Dans le cas du graffiti-signature de la ville touristique contemporaine. lié au hip-hop, il a investi des espaces - l’éphémère est renversé et se ignorés de la ville, comme par exemple les dépôts de trains. Ils ont présenté une transforme en « temporaire », avec une esthétique nouvelle et reconnaissable stratégie d’occupation des lieux laissés bien qu’éphémère puisque destinée à être en vacance permettant, par l’organisation recouverte rapidement (les graffeurs eux- d’événements, d’accueillir l’exceptionnel mêmes n’hésitent pas à repeindre par- sans en perdre le contrôle. dessus les fresques de leurs collègues - l’œuvre est dénaturée de sa pour augmenter leur notoriété).16. Leurs œuvres ne sont pas destinées à générer puissance subversive. Elle est mise au du profit mais sont des marqueurs de cœur de mécaniques de production de leur identité disséminés dans la ville. valeur économique, ce qui complique le Au niveau européen, on peut s’axer maintien de sa gratuité d’accès. sur les graffitis soixante-huitards. De fait ils ont créé des contre-espaces par l’occupation des université et même des rues du Marais. Leur esthétique était .16 WACŁAWEK, Anna. Street art et graffiti. Paris : Thames & Hudson, 2012. 208p. dépendante d’un matériau du quotidien (Collection l’univers de l’art). puisqu’ils avaient les bâtiments comme Tout au long de cette partie nous nous toiles ; ils étaient éphémères puisqu’en appuierons grandement sur ce livre dont constante évolution (le tag a l’avantage nous ne pouvons que conseiller la lecture. - l’éphémère (vecteur temporel) joue avec la durée d’existence des œuvres pour ébranler les institutions et leur capitalisation sur l’œuvre matérielle.

25.


Le mécanisme de l’appropriation de la contre-culture tel qu’il est décrit par Pattaroni paraît plausible et applicable au monde du graffiti. On a décrit plus tôt comment il répondait aux critères définissant une expression subversive dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, on peut dire qu’une grande partie de la production graffiti visible dans les villes a intégré les institutions contre lesquelles elles se sont initialement élevées. Ce phénomène débute dès les années 1980 lorsque le graffiti intègre pour la première fois des galeries. Il perd alors à la fois les notions de contre-espace, d’esthétique liée à un contraste avec le matériau du quotidien, d’éphémérité et surtout de valeur de l’œuvre puisqu’elle en a gagné une mettant en lumière l’artiste à son origine, comme le montre les cas de Banksy ou JR pour ne citer que les plus côtés sur le marché de l’art actuel.17. On pourra alors évaluer le caractère subversif d’un graffiti en déterminant s’il respecte un ou plusieurs des axes définis par cette méthode. S’il ne respecte aucun des quatre axes alors le graffiti aura perdu sa portée contestataire et sera considéré comme faisant partie intégrante des politiques de la ville.18.

LE GRAFFITI DANS LES POLITIQUES CULTURELLES DE LA VILLE

Après avoir défini en quoi les sciences du langages et la notion d’expression contestataire sont applicables au milieu du graffiti, nous allons spécifier plus précisément son insertion dans les politiques urbaines. Ces dernières correspondent à l’ensemble des choix définissant le système ville au cours de son évolution. La ville est une conséquence de la fin du nomadisme chez .26

l’Homme. Elle a une définition formelle sur laquelle nous ne nous appuierons pas ici pour préférer la considérer comme un ensemble complexe qui demeure dans un état de mutation perpétuelle. Sa gestion demande la prise en compte de critères aussi différents les uns des autres que le logement, l’alimentation, le transport, la génération de ressources, le tout pour orienter de telle ou telle façon le cadre de vie de ses habitants. Dans les dynamiques de compétitivité urbaines citées plus haut, la ville tendra à se distinguer de ses consœurs par des aspects qu’elle favorisera au détriment d’autres. Si l’on prend l’exemple de la piétonnisation des berges de Seine à Paris par exemple, c’est une démarche favorable aux piétons qui se fait au détriment des automobilistes, avec les conséquences que cela implique sur l’image que la ville veut véhiculer sur la vie en son sein. L’un des nombreux critères de cette compétitivité urbaine est celui de la politique culturelle. On peut citer comme exemple le fameux « effet Bilbao » correspondant à la redynamisation de la ville éponyme après l’implantation du musée Guggenheim dessiné par Frank Gehry sur ses berges. Anciennement

.17

MITMAN, Tyson. Banksy : graffiti has become more valuable for what it is than for what it says. The Conversation [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/banksygraffiti-has-become-more-valuable-forwhat-it-is-than-what-it-says-116031

.18

PARKER, Alexandra. Graffiti is an eyecatching way to create lively spaces in cities. The Conversation [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/graffiti-is-aneye-catching-way-to-create-lively-spacesin-cities-114522


perçue comme une cité industrielle sur le déclin, Bilbao est alors devenue une capitale culturelle à la prospérité économique renouvelée. De nombreuses villes ont désiré suivre cet exemple en finançant des projets phares signés par des grands noms de l’architecture à-même de les positionner dans l’imaginaire collectif. Si le musée de Bilbao a été inauguré en 1997, cela n’empêche pas les décideurs de s’en servir comme exemple pour commander des réalisations qui seront inaugurées jusque dans les années 2010 avec le Centre Pompidou de Metz en 2012, le Mucem de Marseille en 2013 ou le Musée des Confluences de Lyon en 2014. Répliqué avec plus ou moins de succès, l’effet Bilbao reste un exemple dans les politiques culturelles de la ville et est souvent mis à contribution pour donner une légitimité à la ville désireuse de prouver la sienne.

démolition, périodiques avec la création des premiers festivals officiels de graffiti ou même pérennes avec la réalisation de fresques considérées comme un véritable art public, telles qu’on peut en voir sur le pignon Nord-Ouest de la Place Stravinsky à Paris. C’est ainsi qu’on a vu la naissance d’un processus d’intrications entre le graffiti et les politiques de la ville qui a été théorisé par Clotilde Kullmann en tant qu’artification du graffiti.19. On distingue dans ce processus le graffiti et le street art comme deux entités distinctes mais non excluantes l’une de l’autre. Lorsqu’il est réalisé de façon licite, le graffiti est considéré comme du street art car il est approuvé par les autorités décisionnaires. Lorsqu’il est pratiqué de façon illicite, il peut être soumis à deux traitements. Le premier considère le graffiti comme sans valeur artistique et le traite comme une nuisance en l’effaçant. Le second le valorise et décide, en le tolérant, de le considérer comme un élément des politiques culturelles de la ville où il figure. Le graffiti a alors subi un processus d’artification qui est le fruit d’une action conjointe du public (dont l’engouement peut avoir un rôle dans ce processus), d’individus reconnus comme experts et surtout des décisionnaires de la ville. On souligne que l’artiste, qu’il le souhaite ou non, peut être complètement exclu de ce processus qui dépend de la perception de ses œuvres.

Cet effet a toutefois ses limites. Sans compter les questionnements quant à son impact véritable sur les communes accueillant ces architectures signal, il dénote d’une inertie forte et s’inscrit dans un temps long qui ne saurait répondre à lui seul aux évolutions rapides de la ville contemporaine. Afin d’augmenter son dynamisme, celle-ci ne peut plus se baser uniquement sur des projets figés mais doit également montrer ses capacités d’adaptation en ne laissant pas d’espace en repos visible. Pour répondre à cet impératif de réactivité le street art est apparu au tournant des années 2010 Là où Luca Pattaroni parle d’une comme un argument de choix, de par institutionnalisation de la contre-culture son adaptabilité à toutes les surfaces et Clotilde Kullmann d’une artification du de l’espace urbain et son acceptation par un public de plus en plus large. Les villes ont alors commencé à encourager KULLMANN, Clotilde. La valorisation du diverses initiatives. Celles ci peuvent être .19 projet urbain par la dimension artistique, éphémères comme l’appropriation d’un quelles perspectives ? Thèse. Géographie. immeuble par des graffeurs juste avant sa Paris : Sorbonne, 2017. 394p. 27.


graffiti, on peut voir un double processus d’acceptation et de refus du graffiti dans l’espace urbain. Acceptation par l’intégration pérenne du graffiti comme élément des politiques culturelles de la ville, et refus puisque si le processus d’acceptation du graffiti existe cela sousentend que le graffiti est initialement refusé dans l’espace urbain. Quoi qu’il en soit, que ce soit à travers des appropriations temporaires d’espaces en sursis, des manifestations périodiques dans des lieux dédiés ou de façon pérenne pour l’inscrire comme un marqueur urbain, on peut dire que le graffiti est de plus en plus fréquemment pris en compte par les décisionnaires de l’espace public. Pratique contextuelle s’il en est, il est amusant de voir que le street art uniformise désormais les villes occidentales dont nombreuses ont fait appel à des artistes à la renommée internationale pour décorer leurs murs, à l’image de Shepard Fairey dont on peut trouver les œuvres monumentales de Grenoble à Detroit sans que la différence entre ces villes transparaisse dans ces dernières à première vue, suivant la banalisation de l’esthétique contestataire telle qu’elle a été décrite plus haut.

.28


Nous avons défini le graffiti tel qu’il sera étudié dans ce mémoire comme une pratique née dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Son essor a suivi celui de la démocratisation d’un outil détourné de sa fonction première, la bombe de peinture. Nous rappelons n’avoir étudié ici qu’une fraction de la production graffiti en nous concentrant sur les villes de New-York et Paris, épicentres culturels exposés massivement et de façons très différentes à cette forme d’expression. Nous avons pu souligner l’évolution du regard du public dessus, que l’on parle de spécialistes instruits sur l’art ou d’usagers de la ville se sentant peu concernés par ces questions. Nous avons ensuite défini les termes de langage et de contestation puis justifié la notion d’intégration du graffiti aux politiques de la ville. Le sujet étant maintenant mieux cadré, nous étudierons le graffiti en tant que langage de la contestation à-travers l’exemple de la ville de Lyon, en essayant de comprendre les mécanismes qui feraient du graffiti un langage encore contestataire malgré son intégration aux politiques urbaines. 29.


PARTIE 02: MÉTHODE


Dans cette partie nous expliciterons la méthode employée pour répondre à la problématique posée par ce mémoire. Celle-ci se base sur des observations de terrain menées dans différents milieux urbains européens dans le cadre d’un exercice personnel de recherche. Dans un premier temps nous expliquerons en quoi le graffiti varie selon les milieux dans lesquels il est réalisé, que ce soit au niveau des variations spatiales de son implantation ou du contexte urbain global dans lequel il s’insère. Nous dégagerons ensuite les différentes démarches motivant la création de graffitis avant d’argumenter notre choix de Lyon comme site de l’étude. Nous établirons enfin un corpus représentatif de la production graffiti lyonnaise telle qu’elle a été documentée dans le cadre de la recherche citée précédemment, corpus que nous analyserons selon des critères typologique choisis afin de dresser une description précise des caractéristiques formelles, spatiales et urbaines des graffitis. Nous pourrons ensuite pointer quels graffitis du corpus formulent une forme d’expression contestataire et déterminer s’il existe une corrélation avec l’un ou plusieurs de ces critères. 31.


LES VARIATIONS DU GRAFFITI AUX ÉCHELLES URBAINE ET SPATIALE : ENQUÊTES DE TERRAIN

Nous avons pu parler auparavant d’un projet personnel mené depuis mai 2019 intitulé La graffithèque, une revue ayant pour but de signifier la diversité des formes que peut prendre le graffiti et des thèmes qu’il peut aborder. Pour nourrir ce mémoire nous avons décidé de mettre à contribution le travail fourni tout au long de ce projet en utilisant la banque d’images qui a été constituée pour le mener à bien. Celui-ci a en effet nécessité de nombreuses explorations urbaines qui ont été menées tout au long de sa gestation et qui ont donné naissance à plusieurs théories concernant la qualification du graffiti et ses variations selon son contexte. Au fil de la découverte de nouvelles villes on a ainsi pu se rendre compte de la similarité formelle des graffitis selon certaines zones urbaines, avec par exemple des réalisations semblables repérées dans les centres historiques de villes aussi éloignées que Rome, Londres et Lyon. Nous étudierons ici les variations urbaines puis spatiales du graffiti que nous avons pu relever au fil de ces recherches.

LES VARIATIONS DU GRAFFITI À L’ÉCHELLE URBAINE

Les villes dont on a pu mener l’exploration la plus assidue sont celles de Toulouse, Lyon et Bratislava, de par leur qualité de lieux de résidence successifs. Au sein de leurs centres, plusieurs types de graffitis se manifestent. Au-delà de la production usuelle que nous décrirons plus en détail par le biais du corpus, on constate la présence de graffitis monumentaux, fresques de plusieurs


centaines de mètre carrés visibles dans des points stratégiques concentrant de nombreux flux : la place Saint-Pierre à Toulouse, le boulevard de la Croix-Rousse à Lyon et la place Kamenné à Bratislava. Ces fresques jouent le rôle d’attractions touristiques et manifestent le gain d’intérêt des décideurs de l’espace public autour du graffiti, suivant l’engouement populaire pour cette discipline. Présentes dans de nombreuses villes, de telles œuvres sont souvent réalisées dans le cadre de manifestations dédiées. C’est le cas dans nos exemples avec respectivement le produit d’une biennale d’art contemporain, de l’action d’une association et d’un festival du graffiti annuel. On note que toutes les réalisations citées ci-dessus sont postérieures à 2016, signe d’une stratégie culturelle encore récente.

des ambassadrices d’une idéologie néolibérale tant les moyens nécessaires à leur réalisation sont hors de portée d’un artiste solitaire.20. Cet état de fait les place d’office du côté licite de la barrière et brise le caractère contestataire qu’elles auraient pu véhiculer. Nous allons maintenant nous éloigner des centre-villes pour nous placer de l’autre côté du spectre touristique, dans les espaces que la ville n’exploite pas ou laisse en attente. C’est le cas notamment des friches industrielles et des terrains résiduels où l’appropriation par de tierces personnes, si elle est légalement interdite, reste tolérée tant qu’elle ne nuit pas au fonctionnement de la ville. Ces espaces que l’on peut nommer délaissés urbains ne sont pas impliqués activement dans les politiques de la ville, ils sont généralement en attente d’un programme qui viendra les requalifier dans un temps ultérieur. Ils peuvent également être des lieux peu valorisés par les politiques urbaines du fait de leur difficulté d’accès, de leur faible intérêt stratégique ou du coût que nécessiterait leur défense constante contre les appropriations sauvages tant que celles-ci ne sont pas problématiques pour la ville en elle-même. Nous avons pu en explorer plusieurs, parmi lesquels deux bâtiments abandonnés aux alentours de Toulouse et de nombreuses infrastructures à Bratislava, vestiges de la mémoire communiste de la ville.

La majorité des villes européennes disposent aujourd’hui de telles fresques au point qu’elles sont devenues un attendu lors de leur visite. Cela peut s’appliquer à des quartiers entiers comme celui de Tøyen à Oslo (Norvège) voire créer de véritables parcours urbains comme c’est le cas pour Łódź (Pologne). Ces deux villes sont dans une stratégie de réhabilitation du cadre urbain dans la perception des habitants ; on peut d’ailleurs remarquer qu’elles présentent des travaux réalisés par les mêmes artistes. Ces fresques sont symptomatiques d’un phénomène de communication autour du graffiti que la ville a décidé d’approuver. Elles entretiennent au niveau spatial un rapport Dans le cas de Toulouse ce d’écrasement vis-à-vis des graffitis situés sont un ancien bâtiment universitaire autour d’elles, leur différence d’échelle les excluant de la possibilité d’un rapport autre. Martyn Reed, l’un des acteurs à .20 BORHES, Kristina et TYMOSHCHUK, Naza. Imaginary city, visual essay on Nuart l’origine du festival de graffiti Nuart qui se Festival [en ligne]. Disponible à l’adresse : tient à Stavanger (Norvège) depuis 2001 https://inspiringcity.com/2020/02/10/ parle d’un « muralisme autoritaire » pour imaginary-city-a-visual-essay-of-the-nuartdésigner ces œuvres, qui deviendraient festival/ 33.


et une maison de retraite abandonnée qui ont été explorés. Dans les deux cas l’accès y était interdit, probablement pour garantir la sécurité du public étant donné le mauvais état des bâtiments dont de nombreux murs avaient été démolis. Sur les deux sites on a relevé la présence du même type de graffiti, un dérivé des pratiques décrites plus haut comme étant nées dans les banlieues de NewYork. Les œuvres y sont complexes et colorées, leur surface varie du simple tag à la pièce de plusieurs mètres de large, tout en respectant une hauteur d’environ deux mètres cinquante, soit la hauteur d’une bombe de peinture tenue à bout de bras quand son possesseur se perche sur un support improvisé. On reste donc à échelle humaine, au contraire des fresques monumentales citées précédemment. Les constatations faites à Bratislava nous ramènent à une production similaire, prenant place cette fois dans un tunnel de métro abandonné et un complexe militaire désaffecté. Ayant pu nous rendre sur les lieux avec un graffeur, on a pu noter que les graffitis réalisés dans ces endroits ne s’adresse pas à un public d’usagers de la ville mais bien à des sachants ayant déjà intériorisé des codes spécifiques à leur pratique. Ces mêmes graffeurs se manifestent également dans les centralités urbaines, mais d’une façon plus discrète et ne mobilisant pas les mêmes ressources, que ce soit en terme d’outil ou de temps. Si une fresque constitue une démonstration de la technique de son auteur et demande plusieurs heures de travail avant d’être finalisée, un graffeur préférera utiliser le marqueur ou l’autocollant (sticker) pour apposer son nom sur les espaces qu’il traverse au quotidien, rejoignant une démarche de marquage du territoire. Ce sont, avec les .34

écrits revendicatifs que l’on peut trouver après le passage des manifestations, les formes du graffitis les moins pérennes car les moins susceptibles d’êtres soumises à un processus d’artification. En résumé, on trouve les formes de graffiti cherchant à interpeller le passant, dont les fresques monumentales ne sont qu’un exemple parmi d’autres, dans les lieux stratégiques qui les mettront en contact avec autant de flux que possible. Les héritiers de l’école New-Yorkaise ne cherchent pas à se distinguer auprès d’un large public mais en priorité auprès de leur propre communauté, ils s’implantent donc dans des lieux spécifiques quasiment dédiés à cette pratique. Les graffitis qui ne font qu’attester d’un passage peuvent quant à eux se trouver n’importe où, sans qu’une tendance nette ne paraisse définir leur implantation.

LES VARIATIONS DU GRAFFITI À L’ÉCHELLE SPATIALE

Cette constatation est plus discutable au niveau spatial. Si on a vu que le milieu urbain impacte la production graffiti qui y figure, une nette différence formelle semble apparaître dès lors que l’on étudie le support spatial sur lequel il est apposé. Les écritures que l’on vient de citer, allant du tag à la revendication en passant par la banalité d’un message sans conséquences apparaissent par exemple très fréquemment sur des éléments de mobilier urbain. Cela correspond aux barrières, poteaux, plots et bancs qui servent à délimiter des espaces. Étant donné que leur usage initial peut passer par une appropriation (s’asseoir sur un banc, s’appuyer sur une barrière) il ne paraît pas incohérent qu’il soient le support d’une trace qui perdure après celle-ci. En utilisant un espace


que l’on a occupé en tant que support d’écriture, on ne fait que prolonger notre présence dans ce lieu après notre départ. La même logique n’est toutefois pas valable au même titre pour tous les éléments constitutifs du mobilier urbain. On peut par exemple citer les objets nécessaires au bon fonctionnement de la ville sur un plan purement technique, comme les lampadaires, boîtiers électriques ou bouches d’aération qui sont dédiés à un public et un usage spécifique. Lorsqu’ils sont supports de graffiti on a souvent affaire à des incongruités qui proposent un effet de décalage par rapport à leur implantation en leur donnant une lecture autre. Les outils utilisés peuvent alors varier entre textes, collages, pochoirs, sculptures ou autres démarches de recherche plastique. La situation est différente pour un autre élément intrinsèquement lié à la navigation dans la ville, sa signalétique. Sur ces éléments le rajout d’un graffiti pose la question du détournement de la fonction première de l’objet mais aussi de la bonne compréhension de l’information qu’il véhicule. La superposition peut être faite avec une préservation du caractère informatif du support ou au contraire présenter un détournement volontaire de celui-ci. On peut aller d’un simple détournement lexical jusqu’au masquage complet de la surface du panneau au profit du ou des graffitis lui étant apposé. Les mêmes méthodes peuvent s’appliquer au détournement de supports publicitaires. Si l’on a pointé précédemment le cas du mobilier urbain comme support de graffitis écrits ou de détournements réfléchis, ces derniers restent de relative petite échelle. C’est en effet sur les surfaces de l’environnement urbain que le graffiti s’exprime avec le plus de facilité,

qu’il s’agisse de parois horizontales ou verticales (avec une préférence pour ces dernières toutefois). Se pose alors encore une distinction signifiée à la fois par l’échelle du graffiti et sa hauteur par rapport au spectateur. Plus ces deux critères vont vers le haut, plus le graffiti est capable d’assumer une fonction de signal, passant dans la perception qu’en a le passant du statut de rencontre impromptue à celui de repère que l’on va chercher à atteindre en se déplaçant volontairement. La technique est alors lourde et nécessite la mise ne place d’une logistique au préalable. Cela ne veut pas dire que tous les graffitis de grande portée soient approuvés par les autorités décisionnaires, mais plutôt que leur présence dénote d’un geste prémédité et significatif d’une démarche forte. Même sans prendre en compte ces gestes qui relèvent de l’exceptionnel une fois mis face à la quantité de graffitis présents dans l’espace urbain, on peut toutefois affirmer que ce sont bien les murs qui servent de support principal au graffiti dans la ville, plus spécifiquement pour les formes de graffiti les plus susceptibles d’artification. Le simple support du mur, qui place souvent le graffiti à hauteur d’œil pour le passant, est parfois souligné par certains artistes pour sa ressemblance à une galerie. Non contents de signer leurs œuvres, ceux-ci les encadrent parfois pour signifier l’appartenance à un parcours artistique à ciel ouvert prenant place dans les rues de la ville. D’autres travaux se passent toutefois de ces symboles pour leur préférer des libertés qu’une muséification ne leur offrirait pas, comme des possibilités d’interaction avec l’environnement, le public ou d’autres artistes. Il est ainsi fréquent de trouver des graffitis jouant avec leur contexte direct pour souligner un caractère humoristique, 35.


politique ou encore poétique dans leur création. De la même façon un graffiti peut être support de nombreuses modifications une fois apposé sur un mur, puisqu’il devient alors une potentielle toile de fond pour de nouveaux travaux.21.

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.36

Plusieurs exemples sont visibles en annexes de ce mémoire aux pages 87, 88, 97, 98, 106, 107, 108, 109 et 110.


Des explorations dans plusieurs milieux urbains européens nous ont permis de distinguer une transversalité des pratiques du graffiti entre ces derniers. Les œuvres les plus visibles dans les centre-villes sont celles qui sont les plus plébiscitées par le public, que ce soit celui des usagers de la ville ou des spécialistes de l’art contemporain. Elles s’inscrivent dans une démarche de recherche plastique qui peut faire mieux accepter d’autres formes de graffiti présentes sur les mêmes murs. Les délaissés urbains présentent une production fort différente, dédié à un entre-soi de praticiens et non à un regard extérieur. Les écritures véhiculant un propos intelligible quant à elles existent virtuellement partout, leur large diffusion étant inversement proportionnelle à leur pérennité. Ces graffitis ne ciblent toutefois pas les mêmes surfaces, puisqu’on peut voir une différence de la production selon le support ciblé. On a différencié ici les éléments de mobilier urbain des surfaces de la ville, en notant que ces dernières sont beaucoup plus à même d’accueillir les travaux de grande échelle. 37.


LES TROIS DÉMARCHES DU GRAFFITI

Cette analyse empirique a dégagé la perception de différentes pratiques du graffiti, reflétées dans leurs lieux ou dans leurs formes. L’une semble être héritière de l’école de New-York, basée sur un ensemble de règles codifiées et intégrées par ses représentants. Elle est formellement très définie et nécessite un temps d’exécution assez long pour les pièces les plus complexes, qui la fait prospérer dans les espaces interstitiels de la ville comme les délaissés urbains. Une autre de ces pratique est celle qui est la plus sujette à une valorisation de la part des pouvoirs publics et qui se retrouve fréquemment dans les quartiers dits « alternatifs ». Ils forment alors de nouveaux pôles d’attraction touristique en créant des parcours urbains potentiellement capables d’évoluer selon la production de nouveaux graffitis. La troisième pratique identifiée est celle d’une communication brute d’informations utilisant des biais non pas graphiques ou spécifiques au graffiti mais bien dépendants de la langue du locuteur qui s’exprime. Nous essaierons ici de mieux définir ces trois démarches.

LA QUÊTE D’AFFIRMATION DE LA DÉMARCHE IDENTITAIRE

Nous commencerons par définir la démarche qui a le plus longtemps été liée dans l’imaginaire collectif contemporain au mot graffiti, et qui est encore largement considérée comme une dégradation de biens publics. Nous parlons ici de la pratique telle qu’elle est née dans les banlieues New-Yorkaises, que nous qualifierons de démarche identitaire, et


ce pour plusieurs raisons. Formellement, le graffiti qui est effectué dans cette démarche est très codifié, que ce soit dans son esthétique, sa signification ou les espaces dans lesquels il s’insère. Il existe un ensemble de règles tacites ou explicitées par la communauté en interne que les acteurs du milieu ont tous intégré afin de reproduire des schémas s’inscrivant dans la continuité de ceux qui les ont précédé. Ces éléments participent à la création d’une notion de communauté, qui est intégrée dès le plus jeune âge puisque les graffeurs de ce mouvement commencent généralement au début de leur adolescence, comme le montre l’enquête menée par Stéphanie Busquets et Marie-Line Felonneau dans leur ouvrage Tags et grafs, les jeunes à la conquête de la ville publié en 2001.22. Cette codification formelle repose sur plusieurs notions. Tout d’abord, celle d’une hiérarchie définie à la fois par la technique et l’audace des acteurs impliqués, reconnaissables par le surnom qu’ils décident d’adopter. Ce surnom constitue leur identité de graffeur et il est primordial d’en choisir un qui n’ai pas été pris auparavant. L’identité n’est pas définie seulement par la suite de lettre choisies mais aussi par leur graphie, qui rendra chaque tag effectué par son auteur reconnaissable au premier coup d’œil. Ce graphisme impacte forcément la lisibilité de l’ensemble, ce qui n’est pas important car c’est une identité que l’on veut transmettre et non un message.23. On distingue alors le tag de la pièce, le premier étant effectué avec des lettre tracées sans remplissage et le second présentant un travail en au moins deux couleurs, une correspondant au contour et l’autre marquant une différence entre l’intérieur et l’extérieur de la lettre. La pièce est alors d’office plus complexe à

réaliser et donc plus prestigieuse une fois placée dans un environnement difficile d’accès, protégé ou encore surveillé. La pratique du graffiti correspond alors à un désir de se manifester, d’indiquer sa présence et son passage sans chercher à communiquer un propos autre que celui-là.24. Il apporte un message différent selon le public qui entre en contact avec lui. D’une part on a la perception des membres de la communauté du graffiti, qui reconnaissent au moins par son pseudonyme l’auteur du graffiti et qui peuvent ainsi apprécier ses efforts. D’autre part, la réaction des personnes externes à la communauté du graffiti perçoivent ces éléments comme nuisibles, puisqu’ils occasionnent de façon visible des dégâts matériels sur un environnement partagé par tous. Ils ne font alors pas de différence entre les différents auteurs de ces exactions et catégorisent cette expression comme une incivilité contre laquelle il faut lutter. Par essence intrusive et contestataire, nous choisissons de qualifier cette pratique d’identitaire puisqu’elle permet à ses acteurs de se forger une image d’eux-mêmes au sein d’un groupe social partageant les mêmes codes et pratiques. .22

BUSQUETS, Stéphanie et FELONNEAU Marie-Line. Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville. Paris : L’harmattan, 2001. 205p. (Collection Psychologiques).

.23

Thepodcollective. “Your heart is your greatest possession, don’t let it get taken from you”. Thepodcollective [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://thepodcollective.wordpress. com/2010/05/17/your-heart-is-yourgreatest-possession-don%e2%80%99tlet-it-get-taken-from-you/

.24

REMY, Cathy. Le tag au pied du mur. Le Monde [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www. lemonde.fr/arts/article/2015/10/01/le-tagau-pied-du-mur_4779895_1655012.html

39.


LA RECHERCHE PLASTIQUE artiste qui utilise le medium de la rue DE LA DÉMARCHE ARTISTIQUE pour augmenter l’impact de ses œuvres et placer l’art dans un espace où on ne Bien qu’initialement non motivée l’attend pas. Ce travail ne nécessite pas par une volonté artistique propre, cette la maîtrise de codes spécifiques pour pratique a été soumise au processus être apprécié et véhicule visuellement d’artification que nous avons décrit plus un propos propre à la vision de l’auteur. tôt, et ce dès les années 1980 chez les Il en va de même pour les créations galeristes New-Yorkais en quête de d’Ernest Pignon-Ernest qui suivront et, nouveautés. On peut toutefois nuancer dans une certaine mesure, pour tous les ce propos en constatant que si des artistes décidant d’utiliser ce lieu comme pièces réalisées sur toile ont pu trouver support de leurs travaux. La plupart le leur place dans les collections artistiques, voient comme un moyen de toucher un ce n’est pas le cas des tags, vides d’une public plus large que celui qui fréquente signification autre que celle qu’apporte habituellement les musées, tout en alliant leur premier degré de lectures, et pas à ce geste le frisson de l’interdit. formellement aussi développées que les œuvres précédemment citées. C’est là Toute apposition du graffiti dans ce qui les protège de toute récupération l’espace urbain est en effet interdite économique, puisque leur présence dans d’office, ce qui implique une pratique illicite un lieu signifie une unique chose : leur demandant préparatifs et réflexion en auteur est passé par là. On comprend amont. Certains artistes jouent avec ces donc qu’ils ne puissent pas être valorisés interdits pour s’afficher en dénonciateurs dans un cadre autre que celui de leur d’un système dont ils réfutent les codes par contexte de découverte, la rue. Bien qu’il la simple action de tracer un graffiti. Cette utilise une technique similaire (un trait prise de position peut être exacerbée par sans remplissage tracé à la bombe de leurs œuvres, qui seront pourtant parfois peinture sur de mobilier urbain), ce n’est récupérées par la ville du fait du prestige par exemple pas le cas des œuvres de de leur auteur. D’autres entretiennent un Gérard Zlotykamien qui sont sujettes à rapport plus apaisé avec l’espace qui leur une introduction sur le marché de l’art sert de support, plaçant leurs œuvres de puisqu’elles s’inscrivent dès leur origine manière à susciter l’intérêt du passant dans un geste artistique. sans afficher un message politique clair ou une revendication contestataire.25. Ils Lorsqu’il décide de tracer ses utilisent alors l’espace de la rue comme silhouettes fantomatiques sur les celui d’une galerie à ciel ouvert, terme palissades du chantier des Halles, fréquemment repris par les comités Zlotykamien ne cherche pas à signifier organisateurs de manifestations d’art sa présence en tant qu’individu. Il évoque par ce travail le traumatisme que lui inspire le bombardement nucléaire d’Hiroshima survenu vingt ans plus tôt, .25 VAN ESSCHE, Eric. L’art urbain, de la subversion à la subvention. The en mettant le passant dans une position Conversation [en ligne]. Disponible à de témoin de l’effacement d’un corps qui l’adresse : ne fait perdurer que son contour. Nous https://theconversation.com/lart-urbain-desommes ici mis face à la démarche d’un la-subversion-a-la-subvention-105693 .40


urbain et qui ôte toute la dimension parasitaire et invasive que peut avoir le graffiti dans d’autres contextes. Lorsqu’il est réalisé dans le cadre d’une démarche de recherche plastique et qu’il ne dénote pas d’une simple présence ou d’un propos particulièrement clivant, le graffiti a tendance a être mieux accepté par les populations qui le voient.

LES INTERVENTIONS TEXTUELLES DE LA DÉMARCHE ASSERTIVE

La troisième démarche que l’on a pu identifier est faite dans un pur souci de communication avec le passant. Elle peut être particulièrement libre et spontanée ou au contraire porter des messages réfléchis et lourds de sens mais garde formellement un point commun qui est le désir de transmission d’un message clair. Contrairement à la démarche identitaire que l’on a qualifiée auparavant, elle ne nécessite pas la maîtrise d’un code de lecture spécifique à une communauté définie, si ce n’est celui de la langue. De même elle ne s’inscrit pas dans une démarche de recherche plastique telle qu’on la trouve dans la démarche artistique, qui se veut innovante dans la perception que l’usager de la ville a des espaces qu’il fréquente. Nous qualifierons donc cette dernière démarche d’assertive, puisqu’elle propose au passant une vérité personnelle à l’auteur sans chercher à l’étayer d’une quelconque façon. Techniquement très simple, les travaux produits dans le cadre de cette démarche sont ceux qui nécessitent le moins de connaissances au préalable, de préparation et de matériel puisqu’ils se matérialisent souvent par une simple phrase tracée sur un mur.26.

On peut citer l’emblématique « Sous les pavés, la plage » que l’on a déjà évoqué dans ces lignes et qui a une portée politique indéniable, mais aussi les très classiques graffitis amoureux que l’on peut trouver sur de nombreux arbres, barrières et autres lieux de rendez-vous tout autour du monde. Si le passage des manifestations laisse souvent fleurir les florilèges protestataires dans leur traînée cela n’empêche donc pas la ville d’être le support de messages bien plus légers. Souvent réalisés à l’improviste pour signifier un événement qui peut relever du banal, ces graffitis sont particulièrement interactifs dans le sens où l’on voit souvent de véritables conversations avoir lieu par écritures interposées. Ces écritures allant du simple mot à la rédaction d’un paragraphe entier ne demandent pour être comprises que la maîtrise de la langue dans laquelle elles sont rédigées, dans la plupart des cas celle du pays où l’œuvre est trouvée ou l’anglais lorsque le message vise une diffusion facilitée de son propos auprès d’un public international. Si elle peut être spontanée et sans être effectuée sans réflexion au préalable, la démarche assertive peut aussi être le vecteur de revendications qui s’assurent ainsi de toucher un nombre important de cibles venant de tous les milieux fréquentant l’espace servant de cadre au graffiti. On ne parle pas ici des traces laissées par les cortèges des manifestations, dont les graffitis sont souvent l’une des conséquences, mais d’interventions planifiées dans des

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De nombreux exemples sont visibles dans l’ouvrage suivant: PAGÈS, Yves. Tiens, ils ont repeint ! Paris : La Découverte, 2018. 216p.

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lieux stratégiques de l’espace public pensées pour toucher un grand nombre de personnes. La lettre n’est alors pas prise pour sa graphie comme c’est le cas pour le graffiti-signature mais bien considérée pour sa capacité à former des mots qui véhiculent un sens. La lisibilité et la rapidité d’action étant de mise on préférera des propos courts, souvent sous la forme de slogans ou de phrases choc, avec pour but la compréhension rapide du message communiqué. Bien que cette démarche puisse être le vecteur de propos sans conséquences et de témoignages spontanés, elle peut donc également être un vecteur de protestation.

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Les observations menées au cours de nombreuses enquêtes de terrain complétées d’échanges avec des acteurs du milieu ont pu mener à l’identification de trois démarches distinguées comme pouvant être à l’origine de la création d’un graffiti. La démarche identitaire suit une logique d’affirmation de soi au sein d’une communauté de spécialistes. Elle permet l’intégration à un groupe social par la maîtrise technique des outils et l’audace des implantations, contestant ainsi l’autorité des personnes extérieures à ce groupe. La démarche artistique correspond à une recherche plastique inscrivant le graffiti dans une continuité avec l’art contemporain. L’utilisation de la rue comme support est une provocation vis-à-vis d’institutions qui seraient jugées inaptes à recevoir cette expression artistique spécifique, qui devrait donc en sortir. La démarche assertive enfin s’adresse au passant dans une expression à lire au premier degré utilisant le langage comme biais de communication. Les inscriptions laissées sur les surfaces de la villes témoignent d’un passage de leur auteur et d’un désir d’en laisser trace, même de façon anonyme, en portant une part de son discours au regard d’autres personnes. 43.


SITE ET CRITÈRES SÉLECTIONNÉS

Après avoir décrit les variations du graffiti selon ses contextes urbain et spatial et dégagé les trois démarches pouvant mener à sa production, nous allons expliciter les méthodes qui ont mené à la création du corpus utilisé dans ce mémoire. Tout d’abord, nous justifierons le choix de Lyon en tant que ville d’étude avant de préciser comment les prises de vue constitutives du corpus ont été sélectionnées. Enfin, nous aborderons la question des critères qui ont été retenus comme discriminants dans la réalisation du tableau typologique qui sera utilisé pour analyser la banque d’images constituée précédemment. On rappelle que cette étude cherche à comprendre ce qui fait du graffiti un langage contestataire malgré son intégration aux politiques urbaines. Nous déterminerons donc le degré de contestation de chaque graffiti en nous appuyant sur les définitions tirées des recherches de Luca Pattaroni.27 en début de ce mémoire, et sur la relation entre signifiant et signifié telle que décrite par Ferdinand de Saussure dans ses écrits.28. Le signifié étant la notion de contestation, nous partirons à la recherche du signifiant à travers l’étude typologique autorisée par nos critères. Nous croiserons enfin ces analyse avec celle de la démarche que nous venons de définir pour comprendre au mieux chaque graffiti.

LE CHOIX DU SITE ET LA SÉLECTION DES PHOTOS

L’utilisation de la base de données réalisée pour La graffithèque a rapidement posé la question du tri de cette dernière. Composée au moment de la rédaction de


ce mémoire de 3356 photographies (dont 1199 venant de contributeurs extérieurs), elle constituait une bibliothèque d’images trop importante pour pouvoir être analysée dans le temps imparti. Heureusement les photos y sont classées selon des critères géographiques, ce qui a permis d’orienter la sélection sur la ville étant la plus représentée, à savoir Lyon avec un total de 508 prises de vue. Une étude rapide des images liées à une certaine connaissance du terrain a permis de se rendre compte de l’hétérogénéité de la représentation des quartiers de la ville dans les photos disponibles. Il a alors semblé approprié de trier ces images selon leur provenance, ce qui a dégagé cinq zones principales, toutes assez centrales. On note dans ce corpus l’absence de délaissés urbains tels qu’on les a qualifié précédemment, les mesures de restriction de déplacement des individus ayant compliqué l’exploration urbaine pendant la rédaction de ce mémoire. Une fois le site choisi, il restait à déterminer les critères de sélection des photos qui seraient étudiées. La première étape a été celle du tri géographique. En recherchant le lieu de prise de vue approximatif de chaque photo on a pu déterminer que cinq quartiers de Lyon regroupaient 482 des photos étudiées. Ces quartiers sont la Presqu’île, sur une zone allant de la place des Terreaux à l’échangeur de Perrache, le quartier des Pentes de Croix-Rousse, la zone touristique du Vieux Lyon entourant la cathédrale Saint-Jean, le côté occidental du septième arrondissement et enfin les pourtours de la Saône et du Rhône. Ces zones ont été délimitées arbitrairement suivant une expérience d’habitant lyonnais de la perception de la ville et ne s’appuient pas sur des données statistiques précises

ou des délimitations administratives. On peut dès cette distinction faite remarquer de forte disparités de la production graffiti dans ces différents espaces, avec une moyenne de 96 photos par zone identifiée mais une amplitude allant de 227 prises de vue pour le quartier des Pentes à 26 images seulement dans le vieux Lyon. Traiter la question du critère géographique revient à déterminer le contexte urbain propre aux œuvres étudiées. Nous allons maintenant aborder celle du support spatial propre à chaque graffiti. Les photos de ce corpus ont donc été réparties dans plusieurs catégories de supports, à savoir les surfaces, les ouvertures et le mobilier urbain. Si les termes de surfaces et de mobilier urbain ont été explicités auparavant il n’en est pas de même pour celui des ouvertures, que l’on va qualifier de percements réalisés dans le support bâti. Cela peut donc s’appliquer aux portes, rideaux métalliques, vitrines, volets ou dans certains cas aux ouvertures condamnées, mesure initialement temporaire empêchant l’appropriation sauvage d’un local non occupé. Ces trois catégories s’affinent avec un critère de hauteur pour les surfaces (le graffiti peut être placé sur le sol, en bas de mur, à hauteur d’œil ou en haut de mur) et un déterminant typologique pour le mobilier urbain permettant de désigner la famille d’éléments qui tient lieu de support au graffiti.

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PATTARONI, Luca. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, la contre-culture domestiquée. Genève : MetisPresses, 2020. 296p. (Collection vuesDensemble).

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DE SAUSSURE Ferdinand. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1971. 327p.

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Le croisement de ces données a autorisé la création d’un tableau renseignant sur la proportion de graffitis selon les supports dans chaque quartier étudié. Nous avons pu de cette façon constater que la grande majorité (72%) de la production graffiti apparaît sur les surfaces de la rue, à savoir ses murs et son sol. Plus encore, c’est au niveau du regard du passant que sont placées la plupart des œuvres avec une part de 39% de l’intégralité du corpus, soit un total de 189 prises de vue. Le mobilier urbain arrive second avec 18% des prises de vue, suivi par les ouvertures qui en totalisent environ 10%. Une fois ce tableau effectué on a pu constater les différences existant entre les différentes zones concernant les supports de graffiti majoritaires. Nous avons ensuite pu procéder à la constitution d’un corpus de quarante images en en choisissant huit par aire géographique. Ce choix s’est fait d’une façon qui s’est voulue représentative de la production existant dans chaque quartier en respectant les proportions de présence sur chaque type de support listé précédemment.

corpus prenant également en compte ces éléments. De plus, les prises de vues utilisées ici ne témoignent certes pas de l’entièreté de la production graffiti mais au moins de celle que l’on remarque le plus, et donc celle qui est le plus perçue par les usagers de la ville. Nous considérons donc pouvoir exploiter les résultats fournis par cette étude au moins pour dégager une tendance générale de la représentation du graffiti dans chaque quartier.

Une fois le corpus d’images réduit à quarante éléments, il est devenu exploitable dans le cadre d’une étude typologique précise. Dans ce but on a réalisé un tableau dont les critères permettent de mener une étude précise de chaque type de graffiti, notamment dans leur définition formelle. En premier lieu nous nous intéresserons à l’identification de chaque œuvre en qualifiant les techniques mobilisées dans leur création (pochoir, dessin à main levée, collage), les outil utilisés dans leur création (bombe aérosol, papier, autres) et enfin en déterminant si le graffiti présente une signature identifiable. Dans le cas des tags, le graffiti lui-même est une signature, il sera donc considéré en tant que telle. De même, la graphie de ces travaux peut être difficilement lisible, c’est pourquoi nous n’écrirons pas tous les pseudonymes que nous pourrons relever. Certains travaux portent des signes caractéristiques permettant d’identifier leur auteur pour ceux qui les connaissent déjà mais ne portent pas de signature en tant que telle, nous les classerons donc comme non signés.

On rappelle que cette étude de terrain n’est pas exhaustive. Elle repose sur une base de données constituée dans le but d’une publication en magazine et n’est donc pas représentative de l’intégralité de la production graffiti existant à l’instant T dans les lieux cités. Les œuvres les moins esthétisées, notamment les tags, y sont donc probablement sous-représentés par rapport à leur nombre véritable. Nous pensons toutefois que le nombre de photographies global permet d’avancer des premières conclusions quant à une tendance générale, et que les méthodes d’analyse appliquées à cette base de donnée seraient reconductible sur un .46

LES CRITÈRES DU TABLEAU

Le deuxième élément étudié par


le tableau est celui de l’insertion du graffiti dans son milieu. Cet aspect joue sur deux registres, la relation qu’il entretient avec son support physique et celle qu’il a avec les autres graffitis potentiellement présent sur le mur. Dans le cas du support physique on a déterminé deux cas de figure, celui d’une apposition et celui d’une valorisation. L’apposition correspond à un dépôt du graffiti sans relation particulière à son contexte direct ; la compréhension de ce dernier ne serait pas impactée par un changement de cadre spatial. Si un graffiti entretient une relation de valorisation avec son support alors le cas est différent, puisqu’il a été conçu spécialement pour le site où il est placé. Au niveau de l’interaction avec d’autres graffitis encore une fois plusieurs cas de figure existent. D’une part il est possible que le support ne présente qu’un seul graffiti sur la surface photographiée, dans ce cas la relation est d’office inexistante. S’il y a cohabitation toutefois, elle peut se faire dans une dynamique de superposition, de juxtaposition ou même d’interaction.

une inscription. La tranche allant de dix minutes à une heure est nécessaire pour les pochoirs et collages plus complexes ainsi que pour les pièces de petite taille nécessitant un remplissage à la bombe aérosol. Le palier suivant est celui allant d’une à dix heures de réalisation, tandis que le dernier qui correspond aux œuvres ayant demandé plus de dix heures de travail sur site est quasiment réservé aux fresques monumentales assumant leur fonction de signal dans le quartier. Cette notion sera étudiée plus précisément par la définition du degré de visibilité des œuvres, reposant lui aussi sur trois critères. Le premier est sa hauteur par rapport à l’observateur, à savoir son positionnement par rapport à une ligne d’horizon représentant le regard du public. Le second est la surface occupée par l’œuvre, avec encore une fois des paliers définis arbitrairement selon des critères nous paraissant pertinents. Le premier palier est celui de la surface d’une feuille A4, relativement discrète dans l’environnement urbain. Le deuxième, avec une surface de moins de trois mètres carré, correspond grossièrement à la surface atteignable par un artiste sans qu’il ait à se déplacer pour effectuer son œuvre. Le palier des dix mètres carrés est celui atteint généralement par les grandes pièces de graffiti-signature, et les œuvres qui le dépassent sont celles qui nécessitent de prendre du recul pour pouvoir être appréciées. Dans cette lignée on a défini un critère de portée de l’œuvre, selon qu’on la distingue depuis le trottoir, accolé au mur concerné, depuis l’autre côté de la rue ou à l’échelle de l’îlot.

Nous nous pencherons ensuite sur le degré de complexité de l’œuvre, quantifié par plusieurs critères. D’une part nous pourrons déduire selon les techniques employées si une préparation préalable est nécessaire à sa réalisation. Nous examinerons ensuite si le graffiti étudié est monochrome, utilise trois couleurs ou moins ou s’il est polychromatique. Nous nous pencherons enfin sur le temps de pose estimé en nous basant sur des observations faites au préalables quant aux différentes techniques employées. Quatre niveaux de temporalité ont été retenus. Le temps inférieur à dix minutes correspond au Le dernier axe d’étude du graffiti temps court généralement nécessaire n’est pas formel et cherche à déterminer pour effectuer un pochoir, un collage ou le degré du caractère contestataire

47.


du graffiti étudié. Nous nous baserons pour cela sur quatre critères dont trois nous viennent de l’analyse des contrecultures menée précédemment. Le premier sera celui du support, qui dans le cadre de l’expression d’une contreculture génère un contre-espace. On considérera donc que l’apposition d’un graffiti sur un support qui ne lui est pas dédié est par essence contestataire. De la même façon, si l’œuvre présente une esthétique tranchant avec le paysage urbain l’environnant elle sera considérée comme alternative. Le critère suivant est le vecteur valuatif de l’œuvre, pour lequel nous considérons que si une œuvre peut générer un profit personnel pour son auteur alors elle n’exprimera pas une contestation. Le dernier critère est celui du propos, qui s’il peut être jugé explicitement revendicatif pourra être considéré comme contestataire. L’addition de ces réponses nous permettra de juger du degré de contestation exprimé par le graffiti étudié. On souligne que le critère temporel pointé comme pilier de la contre-culture dans l’étude menée précédemment n’a pas été pris en compte. Étant donné le corpus d’études tel qu’il est défini ici nous n’avons pas les moyens de déterminer précisément la pérennité de chaque œuvre étudiée, c’est pourquoi nous l’avons écarté.

.48


Des observations menées dans des milieux urbains distincts nous ont permis de distinguer une hétérogénéité de la production graffiti selon leur contexte et leur support qui se retrouve dans de multiples villes. Nous avons pu dégager de ces observations trois démarches que nous avons qualifiées d’identitaire, d’artistique et d’assertive et qui sont selon nous motrices de la création de graffitis dans le milieu urbain. En piochant dans une archive photographique centrée sur Lyon nous avons pu dégager un corpus représentatif de la production graffiti telle qu’elle existe dans cinq quartiers centraux de la ville en prenant en compte ses variations selon le support étudié. Nous avons ensuite développé un outil d’analyse sous forme de tableau typologique qui nous permettra d’étudier précisément chaque graffiti afin de déterminer quel élément impacte son caractère contestataire. Nous pourrons de la sorte établir si le graffiti constitue dans son entièreté une expression de contestation ou si c’est lorsqu’il mobilise certains outils ou est placé sur certains supports qu’il ne sera pas 49.


PARTIE 03: ANALYSE


Nous allons dans cette partie décrire et analyser précisément chacune des œuvres constituant notre corpus au moyen des outils que nous avons développés tout au long de ce mémoire. Nous avons précédemment explicité les critères ayant mené à leur sélection comme éléments représentatifs de la production graffiti lyonnaise. Nous allons maintenant les passer au crible d’une grille d’analyse commune qualifiant précisément les critères d’identification (technique, outil, auteur), d’insertion (rapports au support physique et au milieu urbain) et enfin les degrés de complexité, de visibilité et de caractère contestataire. Après avoir effectué cette analyse nous pourrons procéder à des recoupements pour déterminer quels critères font d’un graffiti un signe de contestation dans le langage de la ville. Si certains des critères que nous avons retenu sont facilement discernables (technique et nombre de couleurs par exemple), d’autres nous viennent de la connaissance que nous avons du sujet après avoir mené son étude (temps de « pose » du graffiti notamment). 51.


ÉTUDE TYPOLOGIQUE DU GRAFFITI LYONNAIS

Cette étude est basée sur des observations de terrain et vise à créer des catégories de graffiti permettant de distinguer les œuvres les plus contestataires parmi celles qui sont à notre disposition, puis de déterminer s’il existe des liens entre elles. Puisqu’elle s’appuie sur l’analyse et la description de formes existant dans une réalité complexe que nous cherchons à classifier, nous parlerons d’étude typologique. Nous chercherons donc à établir un système de classement adapté aux données empiriques dont nous disposons dans le cadre de cette étude. Les documents graphiques présentés dans les pages suivantes constituent deux portes d’entrée pour cette étude. La première est une carte de Lyon représentant la zone de prise de vue de chaque élément du corpus. D’office on peut constater la centralité des prises de vue dans la ville et l’hétérogénéité de la répartition de ces dernières selon les quartiers. Si cette carte permet de se faire une représentation du contexte urbain de chaque graffiti, l’axonométrie présentée sur la double page suivante a quant à elle pour but d’offrir une spatialisation de ces derniers. Tous les graffitis sont ici représentés dans un îlot fictif présentant les différents supports des graffitis du corpus, allant du mur aux éléments de mobilier urbain en passant par les artefacts temporaires nécessaires au bon fonctionnement de la ville. Le croisement de ces deux documents est à même d’offrir une grille de lecture plus complète des graffitis étudiés dans le tableau typologique présenté dans les pages suivantes.


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3 .6 22. 16 .38 .27 18 .17 32 21 .2 .10 40. .4 25. .1 30 .7 9. .15 13 .

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5

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23

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17. 10 21

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.7 .20

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.2 55.


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.12 .11

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.3

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.9

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.17

57.


.18

.21 .19 .20 .19

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.25

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.23 .22

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.33

.31

.30

.31

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.34

.34

59.


.35

.35

.38 .36

.36

BILAN DE L’ÉTUDE TYPOLOGIQUE Note : les confrontations au graffiti se font habituellement en milieu urbain, et leur contexte impacte grandement à la fois leur création et leur perception. Nous avons donné précédemment les localisations urbaines et spatiales des éléments constituant notre corpus afin d’aider le lecteur à se représenter les conditions de « rencontre » avec chaque œuvre. Par la suite, nous avons utilisé le tableau typologique pour décortiquer chaque élément en le séparant de son visuel. Pour continuer dans cette démarche, nous avons fait le choix de regrouper tous les éléments du corpus en annexe, entre les pages 78 et 113 de ce document. Peu des exemples de graffitis relevés répondent positivement à tous les .60

.37

.37

.38

critères d’incarnation de la contre-culture que nous avons ciblés précédemment. D’après le tableau, nous pouvons en citer cinq, à savoir les numéros 2, 14, 18, 23 et 36. Nous allons maintenant déterminer s’ils ont des points communs en pointant tout d’abord les démarches semblant les motiver. Nous nous appuierons pour cela sur les définitions que nous avons établies précédemment. On rappelle que ces démarches sont identifiées comme suit : identitaire, artistique et assertive. La démarche identitaire est reconnaissable par une volonté de l’auteur de manifester sa trace en tant qu’individu, et requiert donc la présence d’un signe plus ou moins explicite et facilement reproductible permettant son identification. La pratique artistique dénote d’un propos global dépassant dans sa portée l’œuvre telle qu’elle est perçue en tant que telle. En plus de voir l’œuvre telle qu’elle apparaît plastiquement, sa compréhension


.40 .39

.39

.40

demande donc de la relier à des notions abstraites et à une multiplicité de niveaux de lecture. La démarche assertive enfin est celle qui fait primer la lisibilité de son propos en cherchant à atteindre un public aussi large que possible. Elle se sépare de la graphie pour privilégier des lettrages clairs et intelligibles, exprimés dans la langue pratiquée par le locuteur. Après consultation du corpus, il apparaît rapidement qu’aucune des œuvres mises en avant pour leur qualité contestataire n’a été faite dans une optique dite identitaire. Le seul signe distinctif permettant d’identifier clairement un auteur est la mention du collectif « Collages féministes Lyon » pour l’œuvre numéro 18, qui utilise clairement ce nom pour renforcer la portée de ses messages politiques en renseignant son lectorat. Cette façon de véhiculer un propos de façon radicalement intelligible

et sans ambiguïté dénote une démarche assertive, comme c’est le cas pour les éléments numéros 23 et 36. On note d’ailleurs une véritable similarité formelle entre les numéros 18 et 23 qui utilisent la même technique, bien que la signature soit absente dans le deuxième cas. Les numéros 2 et 14 présentent également une technique similaire puisqu’ils s’appuient sur une palette de couleurs restreinte et sont tous deux des pochoirs réalisés à la bombe aérosol. Leur communication est graphique et témoigne d’une démarche artistique dont ces œuvres ne seraient qu’un exemple ou un extrait. Si les démarches et les techniques diffèrent, c’est également le cas pour les outils utilisés ou l’insertion dans leur contexte spatial et urbain. Ces œuvres identifiées comme contestataire ont cependant un autre critère les reliant, celui du degré de complexité. Si les 61.


pochoirs et les collages ont en commun le fait de nécessiter une préparation en amont, ils sont également choisis par les graffeurs pour la rapidité de leur mise en œuvre une fois sur le terrain. Les palettes de couleurs sont réduites dans les cas présents, et le temps de pose reste de l’ordre de la dizaine de minutes. De même façon et bien que cela puisse être moins flagrant on note que toutes ces œuvres se placent à hauteur d’œil ou à un niveau approchant (ce qui sous-entend un travail « à taille humaine » sans nécessité de structure d’appui), qu’elles sont de tailles assez réduites et qu’elles touchent donc leur public à l’échelle de la rue ou du trottoir, nous ramenant au niveau du corps évoluant dans l’espace plutôt que celui de la fresque monumentale typique du graffiti valorisé par les politiques de la ville.

.62


Dans le corpus que nous avons réuni, seul cinq graffitis remplissent tous les critères de la contre-culture que nous avons défini en amont dans notre étude. Ces cinq œuvres partagent le fait d’être apposées sur des surfaces qui ne leur sont pas initialement dédiées, d’avoir une esthétique perturbant le milieu dans lequel elles s’insèrent en contrastant avec ce dernier, d’être générées sans volonté de valorisation du lieu ou de l’auteur et enfin de porter des propos explicitement revendicatifs. Ce qu’elles partagent aussi, c’est une simplicité dans la technique, une urgence dans le geste. Toutes ces œuvres pourraient avoir été réalisées rapidement étant donné leur palette chromatique restreinte ou les outils qu’elles mobilisent. Étant donné que ces œuvres sont réalisées dans des zones urbaines différentes, sur des supports différents et en utilisant des techniques différentes alors on peut penser que c’est aujourd’hui le geste à l’origine du graffiti qui incarne mieux la contestation que l’élément formel lui-même. Plus que la forme que le graffiti prend, c’est l’action de le tracer qui importe, et dans ce cas de le tracer vite. 63.


LE GRAFFITI, UNE CONTESTATION PAR LE GESTE

Nous avons déterminé à l’aide du tableau typologique un lien entre la rapidité du geste à l’origine du graffiti et sa dimension contestataire. Pour rappel, notre recherche s’interroge sur la valeur subversive du graffiti à l’heure où il fait partie intégrante des politiques de la ville. D’après les conclusions que nous avons tirées de notre étude il semblerait que la valeur de contre-culture du graffiti passe moins par le propos exprimé par les œuvres que par leur existence même. Faire passer un message en l’inscrivant sur les murs de la ville, que ce soit par le biais du pochoir, du collage, de dessins à main levée ou de toute autre expression plastique est plus provoquant pour le geste ayant rendu possible cette expression non contrôlée dans l’espace public que pour les propos tenus en euxmêmes. Nous avons pourtant délimité plus tôt une catégorie de graffitis dont l’essence même repose sur leur manque de signification autre que leur simple présence. Nous parlons ici des graffitissignatures, aussi appelés tags et qui s’inscrivent dans la démarche identitaire selon le modèle des writers états-uniens. Notre corpus en comporte trois, les graffitis numéros 10, 31 et 32 qui sont par ailleurs les seuls à ne remplir qu’un seul des quatre critères de la contre-culture.

LE CAS DU TAG IDENTITAIRE

Ces trois travaux ont pour point commun d’avoir été réalisés dans un environnement surchargé d’éléments similaires. Contrairement à la plupart des œuvres constituant ce corpus qui tâchent de se démarquer de leur environnement


proche, les tags cherchent un effet de groupe avec leurs semblables, se juxtaposant dans des espaces restreints jusqu’à les coloniser de façon quasiment totale. Ils s’intègrent donc dans un lieu où leur esthétique, loin de proposer un contraste, est tolérée et peut offrir une perspective de longévité pour chaque tag. Dans le cas numéro 10 c’est un morceau de mur couvert à hauteur de piéton (du sol jusqu’à une hauteur avoisinant les deux mètres environ) qui sert de support. Pour les photos 31 et 32 le support est une porte, ce qui donne un cadre tangible aux graffitis qui y sont apposés. Ce respect implicite de la limite est assez flagrant si l’on compare le nombre de graffitis au centimètre carré sur la porte elle-même et sur le cadre l’entourant. Les tags entretiennent en ce cas une relation dynamique de juxtaposition, s’inscrivant dans les interstices et comblant les vides sur ce qui leur sert de fond. L’effet de grouillement presque organique visible sur la porte de la photo 32 montre de nombreux recouvrements obturant les tags réalisés en arrière-plan. Cependant, la démarche identitaire du graffiti est portée sur la reconnaissance d’un sigle bien précis, et on constate que de très nombreuses signatures restent identifiables (bien que pas toujours déchiffrables) sur une surface relativement restreinte. Un autre élément d’intérêt est l’aspect invasif et répétitif de cette pratique. Sur cette même photo ce n’est pas moins de quatre fois qu’on voit apparaître le nom Nalide, trois fois Clinte, deux fois chacun pour Wecc et Aes parmi bien d’autres répétitions. Nalide, que l’on souhaitait étudier sur cette image, apparaît par ailleurs sur la photo 10, sur le dessus d’un boîtier technique. Cela rappelle dans une certaine mesure que la communauté des graffeurs rassemble

relativement peu d’acteurs à l’échelle de la population de la ville. Ainsi, elle permet à ses membres de tisser un lien par la simple apposition de leurs pseudonymes dans leur environnement. Le fait qu’un graffiti-signature n’apparaisse que très rarement seul n’est pas anodin. Particulièrement rapide à faire il est aussi très facile à effacer, et doit être inscrit dans un lieu « discret » s’il veut perdurer un tant soit peu. Il serait cependant faux de penser que ce type de graffiti n’existe que dans des cadres spatiaux très définis comme la porte technique de la photo 31. Le tag étant une pratique de marquage du territoire.29, il existe dans de multiples lieux de la ville mais sera rapidement considéré comme inesthétique ou témoignant d’un manque d’entretien s’il existe dans un lieu trop visible (on rejoint la théorie de la vitre cassée citée plus tôt). Les éléments le plus recouverts de graffiti sont donc les éléments dont l’entretien visuel importe le moins, ceux que l’on pourrait qualifier dans une certaine mesure de délaissés.30. On pense ici à des éléments .29

WACŁAWEK, Anna. Street art et graffiti. Paris : Thames & Hudson, 2012. 208p. (Collection l’univers de l’art).

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La notion de délaissé urbain peut également s’appliquer à des bâtiments entiers, qui sont souvent des lieux de choix pour les graffeurs. L’article suivant aborde la question sous le biais de l’écologie en pointant des caractéristiques propres à ces espaces qui les rendent valorisables de par leur inactivité. BRUN, Marion, DI PIETRO, Francesca, MARTOUZET, Denis et VASEUX, Lucy. Usages et représentations des délaissés urbains, supports de services écosystémiques culturels en ville. Les espaces verts urbains : éclairages sur les services écosystémiques culturels [en ligne]. Disponible à l’adresse : https:// journals.openedition.org/eue/1906

65.


de mobilier urbain comme les poteaux ou les barrières, les accès techniques, les boîtiers électriques, gouttières ou toute autre conséquence inesthétique de l’habitat en ville. Le tag rend simplement visible ces éléments et, étant donné qu’il ne gêne pas leur utilisation, il est accepté qu’il perdure sur eux. En conséquence, bien que les tags existent virtuellement partout, ils sont tracés en majorité sur des éléments où leur présence est implicitement tolérée et c’est en tous cas sur ces derniers qu’ils perdurent le mieux. Le tag est la facette du graffiti que l’on associe le plus facilement à la dégradation et au vandalisme. Il est une forme d’expression qui paraît d’une rare résilience par rapport au processus d’artification tant son sens profond est inexistant une fois qu’on le sépare de son contexte de perception – la ville, la rue, le dialogue avec le passant. Dénuée de tout propos autre que l’appropriation d’un espace pour servir des intérêts personnels (la renommée de son auteur).31, cette facette du graffiti est étonnamment « sage » dans les idées qu’elle véhicule et dans les espaces où l’on constate sa présence. Chaque tag n’est rien d’autre qu’une trace nous disant « J’étais là » de la part d’un ancien usager de l’espace que l’on occupe à l’instant présent. On a vu précédemment que les tags se groupent pour survivre plus longtemps, acceptant des cadres physiques comme la bordure d’une porte par exemple. Pas de message subversif ou de discours contestataire dans cette pratique, qui est pourtant celle contre qui luttent le plus ardemment les politiques anti-graffiti dans l’espace urbain, les considérant comme des nuisances. Une telle perception du tag pourtant vide de sens propre comme d’un élément qui dérange dans le paysage urbain confirme .66

que la dimension contestataire du graffiti vient non pas du propos mais du geste lui-même.

QUELLE GRILLE DE LECTURE POUR LA QUESTION DU LANGAGE ?

Si tous les graffitis du corpus ne sont pas contestataires de la même façon, ils le sont tout de même à un certain degré correspondant à la création d’un contre-espace par l’apposition sur une surface non dédiée à cet usage. Cette pratique est intrinsèquement liée à la notion de l’habiter et correspond à une appropriation d’éléments de la ville par une frange de ses usagers.32. Les graffitis s’inscrivant dans une démarche artistique vont souvent plus loin que la simple appropriation en proposant un détournement des objets leur servant de supports, comme les cas 1 et 13 pour ne citer qu’eux. Respectivement, ces derniers transforment une protection de façade en tutu de ballerine et une rampe d’escalier en support de glissade pour pingouins. Ces détournements jouent souvent sur le ton de l’humour ou de la poésie pour interagir avec l’environnement construit, ce qui conduit les autres usagers de l’espace à mieux les accepter. Ces derniers peuvent interpréter l’œuvre à leur manière plutôt que d’être mis face à un élément étrange

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REMY, Cathy. Le tag au pied du mur. Le Monde [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www. lemonde.fr/arts/article/2015/10/01/le-tagau-pied-du-mur_4779895_1655012.html

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BUSQUETS, Stéphanie et FELONNEAU Marie-Line. Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville. Paris : L’harmattan, 2001. 205p. (Collection Psychologiques).


et illisible qui les ramènent à se focaliser sur la personne à l’origine de ces traces, personne à la présence menaçante puisqu’on ne comprend pas ce qu’elle transmet. Cela vient souvent du fait qu’il n’y ait rien à comprendre. Les graffitis textuels s’adressent toujours à des communautés d’initiés, que celles-ci soient restreintes (cas des tags qui demandent un certain entraînement ou au moins un effort avant d’être déchiffrés) ou au contraire aussi larges que possible (les collages féministes lyonnais sont compréhensibles pour toute personne maîtrisant le français, même approximativement). Les travaux ayant recours au visuel sont ceux qui sont le mieux acceptés par le public, et plus largement, la ville, puisqu’ils ne demandent pas de connaissances préalables. Ils peuvent s’adresser directement à tous et chacun peut développer une relation d’intimité avec les œuvres, l’intégrant dans son univers personnel en y accédant par des clefs de lecture propres à chaque individu. Tous les graffitis dénotent pourtant d’une appropriation de l’espace public par des des individus et véhiculent dans leur réalisation même un propos contestataire qui se retrouve parfois dans d’autres aspects de l’élément étudié.

ces éléments viennent perturber le régime de flux tendus de la ville en soumettant le passant à un ralentissement, en le détournant lui-même de ses occupations. Ces perturbations réfutent l’optimisation des espaces pour un usage unique et contestent la ville du rendement sous-entendue par les logiques de compétitivité urbaine citées plus tôt. Le graffiti est à considérer non pas comme le signe unique de la contestation urbaine, mais comme un signe parmi d’autres qui expriment à eux tous le langage de la ville.

On pointe toutefois une différence majeure entre le graffiti et les autres appropriations de la ville citées plus haut. Comme dit précédemment, la contestation par le graffiti passe principalement par le geste. Tout comme les manifestations, spectacles de rue ou autres appropriations de l’espace public, c’est un processus actif. Le graffiti est cependant le seul de ces éléments à persister après que le geste ait été effectué, présentant donc une appropriation qui dure au risque de se dévoyer et de devenir un élément de langage des institutions de la ville plutôt qu’une expression spontanée de ses habitants.33. De plus, en étant l’expression de la contestation ayant le plus facilement accès à la pérennité, le graffiti est capable de toucher un plus On s’est interrogé précédemment large public et de décliner son propos sur la qualité du graffiti comme signifiant de la contestation en milieu urbain, en se rapprochant des définitions de .33 Parfois, les institutions elles mêmes Ferdinand de Saussure évoquées plus utilisent le graffiti comme un moyen de contestation contre des instances plus haut. Après étude, il apparaît que cette importantes, comme dans l’exemple cité forme d’expression ne soit qu’une facette dans cet article: des signifiants de la contestation. Les MODRAK, Rebekah. How DC Mayor Bowser used graffiti to protect public space. autres seraient tous les autres processus The Conversation [en ligne]. Disponible d’appropriation libre de l’espace public, à l’adresse : https://theconversation.com/ allant de l’art de rue à la manifestation, des how-dc-mayor-bowser-used-graffiti-torassemblements aux occupations. Tous protect-public-space-140580 67.


selon un éventail de possibilités qui lui est propre. On peut le voir dans notre corpus qui présente des œuvres qui sont toutes contestataires à un certain niveau mais qui diffèrent tant plastiquement que dans leur propos ou leur relation à l’espace. Le graffiti n’est donc qu’un des signes de la contestation mais il est probablement l’un des plus polyvalents.

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Le graffiti incarne une appropriation des espaces. Il n’est pas la seule pratique liée à cette notion dans le milieu urbain, puisqu’il en va de même pour les manifestations qui détournent l’usage d’une rue le temps d’un défilé, ou même pour prendre le cas de Lyon pour les danseurs utilisant les arcades de l’Opéra comme lieu d’entraînement. Selon ce critère, c’est bien dans son geste qu’il incarne un refus de suivre les codes et les règles établies, bien plus que dans son propos qui devient secondaire. La forme de graffiti correspondant le plus à cette définition est paradoxalement celle que nos critères ont identifié comme la moins contestataire, le graffiti signature. Le vide du propos de ces œuvres les rend irrécupérables par une quelconque élite culturelle, rendant impossible toute capitalisation sur ces éléments par les politiques de la ville. Élément le moins apprécié du grand public parmi la production globale, le tag rappelle à chacun la perception qu’il aurait du graffiti s’il ne pouvait pas y projeter sa propre grille de lecture. On pensait initialement pouvoir qualifier plusieurs types de graffiti au cours de cette étude, en créant par exemple une grille de lecture propre au tag qui aurait été différente de celle applicable à d’autres formalisations comme le pochoir. Nous les aurions ensuite considérés comme des signes différenciés dans la notion de langage de la contestation. Il apparaît finalement que le graffiti constitue un signe en soi et que les autres à prendre en compte soient d’autres pratiques d’appropriation des espaces publics. 69.


CONCLUSION


Ce mémoire questionnait le paradoxe entretenu entre le graffiti et les politiques de la ville, en posant la question suivante : s’il fait partie des politiques urbaines, en quoi le graffiti incarne-t-il une expression contestataire dans la ville contemporaine ? Nous avons établi au fil de nos recherches l’existence d’une large variété de graffitis tant dans la forme, le fond, les sujets abordés ou les supports sur lesquels ils sont apposés. Nous avons établi un corpus que nous avons voulu représentatif de la production graffiti lyonnaise telle qu’elle existe dans les archives utilisées pour ce mémoire, puis avons dressé un tableau typologique dont les critères ont décortiqué formellement chaque œuvre étudiée. Cette démarche a mis en avant cinq graffitis qualifiés comme les plus contestataires de notre corpus d’étude. Nous avons cherché les liens à établir entre ces derniers, et il est apparu que la dimension contestataire du graffiti apparaît bien plus dans le geste que dans tout autre aspect de sa composition. Cela paraît pourtant entrer en contradiction avec l’étude menée précédemment. Dans le tableau typologique que nous avons défini plus tôt, les graffitis reposant uniquement sur le geste ont été reconnus comme les moins contestataires de tous. Il s’agit des tags, ou graffitis-signatures. S’ils sont les éléments les moins subversifs du corpus que nous avons étudié, comment pourraient-ils correspondre aussi bien à une incarnation de la contestation ? Il est en tout cas notoirement reconnu que ces graffitis sont les moins bien intégrés aux politiques de la ville, cette dernière

cherchant invariablement à éliminer toute trace de ces incivilités qui sont indiscutablement des dégradations de propriétés. On constate cependant la qualité similaire du reste de la production graffiti au regard de la loi, qu’une recherche plastique plus aboutie soit impliquée dans le processus de création ou non. On dirait donc que ce qui rend certains graffitis contestataires, c’est tout simplement le fait qu’ils ne puissent pas être récupérés à son avantage par le support sur lequel ils sont apposé, que ce soit à l’échelle de l’objet ou à celle de la ville. Nous allons revenir sur la méthodologie employée et sur le bilan à dresser de chaque partie avant de poursuivre ce propos. La rédaction de ce travail de recherche s’est déroulée dans un temps particulier, celui d’une pandémie dont l’impact s’est fait fortement ressentir sur les pratiques de l’habiter, notamment chez les urbains. Les mesures sanitaires successives ont induit une restriction des libertés de déplacement en imposant des limites spatiales et temporelles ressenties à chaque sortie pendant de longs mois. Considérant que ce contexte allait impacter la production graffiti, nous avons fait le choix de baser les observations non pas sur des éléments relevés au moment de l’étude du sujet mais plutôt sur une archive constituée sur un temps plus long. Nous souhaitions ainsi refléter une production graffiti non impactée par la crise sanitaire du coronavirus, qui pourrait constituer un sujet d’étude en soi mais que nous ne souhaitions pas traiter ici. En basant notre réflexion sur un corpus non pas exhaustif mais du moins conséquent, il nous a de surcroît été possible de réemployer un travail fourni depuis plus d’un an et de prolonger les recherches entreprises depuis le rapport 71.


d’études de troisième année. La première partie de ce mémoire s’est centrée sur la définition des termes que nous allions employer tout au long de notre réflexion. En premier lieu c’est la notion de graffiti dont nous avons précisé les contours en dressant une contextualisation historique de cette pratique. Nous avons tout d’abord choisi de dater la naissance du graffiti contemporain à la moitié du vingtième siècle, période à laquelle le grand public a eu un accès facilité à un outil à la fois peu cher et polyvalent : la bombe aérosol. Initialement destinée à la peinture de carrosserie automobile, cet outil a fait l’objet d’un détournement jusqu’à devenir emblématique du graffiti jusqu’à nos jours. Nous avons ensuite retracé ses évolutions simultanées à travers les exemples de deux épicentres culturels mondiaux, Paris et New-York. Étudier en parallèle ces deux lieux nous a permis de mettre en exergue la multiplicité des démarches liées au graffiti contemporain, traduisant des intentions variées qui coexistent depuis les débuts de cette pratique et qui ont toujours dépassé le vandalisme qu’on lui a longtemps attribué. Nous avons ensuite abordé les termes de la problématique en nous intéressant particulièrement à trois notions. La première était celle du langage, pour laquelle nous nous sommes appuyés sur les définitions qu’en donnait Ferdinand de Saussure dans son cours de linguistique. Cet étude nous a permis d’intégrer à notre réflexion les notions de signifiant et de signifié, que nous avons ensuite transposé à notre objet d’étude en considérant le graffiti comme le premier et la contestation comme le second. Il nous a ensuite été nécessaire de définir ce qu’est un élément contestataire, .72

notion étudiée par Luca Pattaroni dans une étude des contre-cultures parue chez MetisPresses. Nous nous sommes ensuite penchés sur l’intrication du graffiti et des politiques urbaines en nous appuyant sur la thèse de Clotilde Kullmann centrée sur la valorisation du projet urbain par la dimension artistique. Nous en avons notamment tiré le terme d’artification du graffiti, ou le processus d’intégration du graffiti à la culture valorisée par la ville. La constitution de ce socle théorique nous a autorisé à poursuivre notre étude en évitant les approximations dans le propos comme dans les termes employés. Une fois la définition des termes menée à bien, la deuxième partie avait pour rôle de définir la méthodologie de la recherche effectuée. Tout d’abord, nous avons dressé un tour d’horizon des pratiques du graffiti que nous avons pu voir au cours de diverses enquêtes de terrain. Ces dernières, étendues à différentes villes d’Europe et d’ailleurs, ont été faites dans le cadre de recherches personnelles et ont mis en valeur la variété de la production mais aussi une certaine transversalité dans les pratiques. On note par exemple la présence de fresques monumentales servant d’argument touristique à des quartiers entiers réalisées de façon similaire dans des villes pouvant pourtant être très éloignées les unes des autres. Cela nous a fait prendre conscience des deux échelles de mise en contexte du graffiti, celle de l’élément servant de support (contexte spatial) et celle du quartier servant d’écrin (contexte urbain). Ces deux notions ont été reprises dans la suite de l’étude que nous avons menée. Nous souhaitions toutefois développer d’autres outils d’analyse, parmi lesquels la définition des démarches à l’origine de la création de graffitis.


Nous en avons distingué trois différentes. La démarche identitaire est motivée par une volonté d’intégration d’un groupe social précis en intégrant des codes qui lui sont propres. La démarche artistique correspond à une recherche plastique dans la droite lignée des expérimentations de l’art contemporain. Enfin, la dernière que nous ayons identifiée est la démarche assertive, correspondant avant tout à une volonté de transmission d’un message au plus grand nombre de la façon la plus efficace qui soit, utilisant le langage comme vecteur de communication et l’espace public comme medium. Une fois cet élément de qualification du graffiti établi, nous avons procédé à la constitution du corpus en nous efforçant de faire une sélection représentative de la variété du graffiti lyonnais selon ses quartiers et ses supports. Nous sommes ainsi passés d’un total de 508 prises de vues à un corpus composé de quarante éléments visuels, bien plus aisé à étudier précisément. Nous avons ensuite pu dresser une liste de critères applicables à toutes les œuvres étudiées et servant à les qualifier à la fois formellement et dans leur aspect contestataire.

Après recoupement des informations il est apparu que peu des graffitis du corpus étaient considérés comme pleinement contestataires par les critères que nous avions définis précédemment. De plus, cette subversivité impliquait des travaux pour lesquels les techniques, lieux, supports, outils différaient. C’est finalement le geste qui est apparu comme point commun, plus que le propos véhiculé par le graffiti lui-même ou que d’autres critères. Cela soulevait une interrogation puisque la pratique du graffiti que l’on lie le plus au geste et que l’on a identifiée comme le graffiti-signature est considérée par ces mêmes critères comme étant la moins contestataire de toutes. Les trois graffitis-signature faisant partie de notre corpus ne remplissent effectivement qu’un seul des critères de la contre-culture, celui de la création d’un contre-espace par l’apposition du graffiti sur un support ne lui étant pas initialement dédié. Or, ce critère a la particularité d’être partagé par tous les éléments du corpus. Il nous apparaît donc que le tag, considéré comme le graffiti vandale par excellence, a pour défaut de ne pas être plus que ce qu’il est. Il n’offre pas d’autre niveau de lecture, il n’informe pas si l’on n’est pas familier avec cette pratique, le seul imaginaire qu’il évoque est celui du danger puisqu’il est trop indéchiffrable pour que l’on puisse s’y projeter avec une intention de compréhension. Il ne fait qu’agir comme un rappel que l’espace dans lequel on navigue tous les jours et que l’on pense s’approprier en nous y déplaçant est à partager avec d’autres présences que l’on peut ressentir comme étranges et menaçantes. En ce sens, il incarne finalement une parfaite réponse à notre problématique.

Cette analyse a été effectuée en troisième partie de ce mémoire au moyen d’un tableau typologique constituant le centre de notre méthodologie. Avant de le consulter toutefois le lecteur est invité à prendre mesure des contextes urbain et spatial de chaque œuvre, permettant de se figurer le cadre de chaque élément présenté par la suite. Le tableau en luimême étant un document particulièrement riche d’informations, il a été décidé de le présenter d’un seul bloc et de le séparer de l’analyse formelle des graffitis qui ont été regroupés en annexe du mémoire.

Le graffiti n’est plus contestataire 73.


dans la ville contemporaine, il existe depuis bien trop longtemps pour cela. Il s’est banalisé et est devenu un élément attendu du tourisme culturel. La plupart des « grandes » destinations européennes proposent aujourd’hui de véritables promenades centrées sur cette pratique quand elles ne financent pas elles-même la création de nouvelles œuvres monumentales. Les travaux contestataires d’hier sont devenus un élément supplémentaire dans les perspectives de compétition globalisée de la ville de demain. Tout ce qui reste au graffiti pour se séparer de cet état de fait est sa facette active, sa naissance, le moment où son auteur décide de laisser sa trace sur un mur ne lui appartenant pas e la rendant ainsi visible à tous. Ce faisant, il détourne de son usage initial l’espace public, il perturbe sa lisibilité et son uniformisation en y intégrant un parasite qui viendra gêner l’écoulement des flux l’environnant, ne serait-ce qu’en provoquant l’arrêt des passants essayant de comprendre ce qu’est cette marque sur le mur. Le graffiti incarne bien une expression contestataire dans la ville contemporaine, mais il n’en est qu’une manifestation parmi d’autres. Le véritable biais d’une telle expression dans le milieu urbain, milieu partagé s’il en est, passe par l’appropriation. Cette appropriation peut être le fait d’un groupe lors d’une occupation ou d’une manifestation, d’un individu lors d’un discours ou d’une performance, mais également de n’importe qui lorsque c’est le medium du graffiti qui est choisi. Ce type de contestation a la particularité d’être déphasée dans le temps et de permettre ainsi non pas l’anonymat mais le couvert du pseudonyme à son auteur. L’identité mise en avant peut alors être séparée .74

d’une personne physique, autorisant chacun à exprimer sa propre contestation en effectuant un détournement qui reflétera ses convictions. Cela peut se traduire par l’humour ou la poésie, qui pourront parfois rendre l’oeuvre cible de récupérations. Elles pourront être effectuées par les entités mêmes ciblées par le graffiti. Ces entités s’appuieront pour cela sur une appréciation particulière de la part du public ou un aval de figures du circuit culturel établi qui leur permettra de tirer profit d’un élément qui initialement les dénonçaient. C’est à notre sens pourquoi le tag est l’irréductible cible des politiques anti-graffitis des villes qui peuvent simultanément valoriser d’autres aspects de la production. Un graffiti-signature n’a rien d’autre à offrir qu’un nom, une identité dans un milieu qui en regorge. Rien n’est récupérable, rien n’est marchandable ou susceptible d’être valorisé à l’échelle de la cité. Détournement de l’espace urbain effectué pour la simple gloire de pouvoir dire « J’y étais », le tag incarne la liberté de l’inutile dans un monde où tout est mesuré par sa valeur ajoutée, un refus des règles ne servant à rien d’autre qu’à leur transgression. On l’a vu en début de ce mémoire, le mot graffiti tire ses origines à la fois de l’outil servant à écrire (graffio) et de la notion de griffure, d’égratignure (graffito). Égratigner le vernis de la ville uniformisée pour y inscrire sa marque individuée, une pratique intrinsèquement contestataire ou un besoin d’expression rendu possible par le pseudonymat ?


75.


ANNEXES

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Les pages suivantes regroupent les quarante photos sélectionnées pour constituer le corpus que nous avons étudié dans ce mémoire. Les prises de vues sont majoritairement issues d’archives personnelles mais on compte également quelques contributions extérieures. Chaque contributeur est identifié sur la photo qu’il ou elle a fourni. Certaines photos sont accompagnées d’une brève description renseignant sur son le graffiti étudié si l’image en comporte plusieurs ou sur son message s’il est écrit dans une langue autre que le français. 77.


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Photo Arnaud DELVIT


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Photo Arnaud DELVIT

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Photo Arnaud DELVIT


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Photo Arnaud DELVIT

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Photo Arnaud DELVIT


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Photo Arnaud DELVIT

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Photo Arnaud DELVIT


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Photo Claire DELVIT

Ici nous étudions le graffiti occupant le pignon en fond de l’image, distant de son spectateur par sa simple échelle, incomparable aux autres graffitis de l’image. 85.


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Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions le graffiti de caméléon bleu, au centre de l’image. Nous ne prenons pas en compte les deux éléments visibles à sa gauche. .86


.10

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions le tag «eagle», visible au moins trois fois sur l’image (deux fois en rouge sur le mur central, une avec une écriture en colonne sur la droite de l’image). 87.


.11

Photo Arnaud DELVIT

Traduit de l’anglais: «La terre sans art n’est que ee». Le jeu de mot fonctionne mieux dans sa langue originale. .88


.12

Photo Arnaud DELVIT

Cette œuvre est en grande partie arrachée, mais on remarque la signature de l’artiste (Big Ben) qui a persisté en bas à droite. 89.


.13

Photo Arnaud DELVIT

.14

Photo Arnaud DELVIT

Dans la photo .13, nous étudions les pingouins sans prendre en compte le visage audessus. Dans la photo 14, nous étudions le pochoir de l’enfant au mégaphone. .90


.15

Photo Arnaud DELVIT

91.


.16

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Photo Arnaud DELVIT


.17

Photo Arnaud DELVIT

93.


.18

Photo Arnaud DELVIT

Peu visible sur cette photo, ce collage comporte à sa droite une feuille indiquant le collectif à son origine et des liens permettant de les suivre sur les réseaux sociaux. .94


.19

Photo Arnaud DELVIT

Traduit de l’arabe: «La mafia de Lekjaa», nom d’un groupe de supporters sportifs marocain. 95.


.20

.96

Photo Arnaud DELVIT


.21

Photo Arnaud DELVIT

Traduit de l’anglais: «Si le système crée et nécessite l’aliénation, comment le combattre ? / Répondez ici : ! / En mangeant des chattes :) / En prenant des drogues» 97.


.22

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions le graffiti central dans l’image, composé d’un enfant «debout» sur un relief de mur et une vue en pied de Donald Trump située au niveau du sol. .98


.23

Photo Allan MENSAH

Ici nous étudions le collage central de l’image, indiquant en noir sur blanc sans considérer les éléments l’entourant. 99.


.24

.100

Photo Arnaud DELVIT


.25

Photo Arnaud DELVIT

101.


.26

.102

Photo Claire DELVIT


.27

Photo Allan MENSAH

103.


.28

Photo Arnaud DELVIT

.29

Photo Arnaud DELVIT

Dans la photo .28 nous étudions l’inscription orange indiquant : «c’est quoi ton rêve ?». .104


.30

Photo Arnaud DELVIT

105.


.31

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions le tag rouge-orangé visible en milieu d’image. Il est difficilement lisible, nous pensons qu’il pourrait indiquer «Soac». .106


.32

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions le tag indiquant «Nalide», tracé sur cette image au moins trois fois au marqueur blanc et une fois à la bombe de peinture blanche. 107.


.33

Photo Arnaud DELVIT

Ici on constate des graffitis à demi effacés dans le fond de l’image, indiquant que ce support est fréquemment utilisé en tant que tel par les usagers des lieux. .108


.34

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions la silhouette noire dessinée en directement sur le mobilier urbain sans prendre en compte les graffitis l’entourant. 109.


.35

Photo Arnaud DELVIT

.36

Photo Arnaud DELVIT

Dans la photo .35 nous étudions la première phrase. La différence de trait et d’écriture fait penser qu’une autre personne est intervenue pour écrire la seconde. .110


.37

Photo Arnaud DELVIT

.38

Photo Arnaud DELVIT

Dans la photo .38, nous étudions une œuvre réalisée en diptyque sur un élément de mobilier urbain et qui implique donc activement son spectateur dans sa perception. 111.


.39

.112

Photo Arnaud DELVIT


.40

Photo Arnaud DELVIT

Ici nous étudions l’inscription au centre de l’image sans prendre en compte le tag ou les autocollants l’entourant. 113.


SOURCES


RESSOURCES TEXTUELLES

BANKSY. Guerre et Spray. Paris : Gallimard, 2010. 240p. (Collection Alternatives). BRIAND, Denis. V.L.D.D.P. - Vive la dictariat du prolétature. Rennes : Incertain Sens, 2011. 16p. BUSQUETS, Stéphanie et FELONNEAU Marie-Line. Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville. Paris : L’harmattan, 2001. 205p. (Collection Psychologiques). DE SAUSSURE Ferdinand. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1971. 327p. KULLMANN, Clotilde. La valorisation du projet urbain par la dimension artistique, quelles perspectives ? Thèse. Géographie. Paris : Sorbonne, 2017. 394p. PAGÈS, Yves. Tiens, ils ont repeint !. Paris : La Découverte, 2018. 216p. PATTARONI, Luca. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, la contre-culture domestiquée. Genève : MetisPresses, 2020. 296p. (Collection vuesDensemble). Musée des Beaux-Arts de Calais. Conquête urbaine, Street Art au musée. Catalogue d’exposition. Paris : LIENART éditions, 2019. 152p. WACŁAWEK, Anna. Street art et graffiti. Paris : Thames & Hudson, 2012. 208p. (Collection l’univers de l’art).

RESSOURCES INTERNET

The Conversation : MITMAN, Tyson. Banksy : graffiti has become more valuable for what it is than for what it says. The Conversation [en ligne]. Publié le 24 mai 2019. [Consulté le 18 novembre 2020 à 14h32]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/ banksy-graffiti-has-become-more-valuable-for-what-it-is-than-what-it-says-116031 MODRAK, Rebekah. How DC Mayor Bowser used graffiti to protect public space. The Conversation [en ligne]. Publié le 12 juin 2020. [Consulté le 25 août 2020 à 19h36]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/how-dc-mayor-bowserused-graffiti-to-protect-public-space-140580 115.


PARKER, Alexandra. Graffiti is an eye-catching way to create lively spaces in cities. The Conversation [en ligne]. Publié le 8 avril 2019. [Consulté le 25 octobre 2020 à 19h01]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/graffiti-is-an-eyecatching-way-to-create-lively-spaces-in-cities-114522 VAN ESSCHE, Eric. L’art urbain, de la subversion à la subvention. The Conversation [en ligne]. Publié le 12 novembre 2018. [Consulté le 28 octobre 2020 à 11h17]. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/lart-urbain-de-lasubversion-a-la-subvention-105693 Le Monde : AZIMI, Roxana. Avant Banksy ou JR, Ernest Pignon-Ernest, Pionnier du StreetArt. M, le magazine du Monde [en ligne]. Publié le 29 juin 2019. [Consulté le 11 janvier 2021, à 09h21]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/ article/2019/06/28/avant-banksy-ou-jr-ernest-pignon-ernest-pionnier-du-streetart_5482616_4500055.html AZIMI, Roxana. Le street art n’est plus à la rue. Le Monde [en ligne]. Publié le 26 mars 2015 [Consulté le 10 janvier 2021, à 15h45]. Disponible à l’adresse : https:// www.lemonde.fr/marche-de-l-art/article/2015/03/30/le-street-art-n-est-plus-a-larue_4606087_1764999.html REMY, Cathy. Le tag au pied du mur. Le Monde [en ligne]. Publié le 14 septembre 2015 [Consulté le 10 janvier 2021, à 15h19]. Disponible à l’adresse : https://www. lemonde.fr/arts/article/2015/10/01/le-tag-au-pied-du-mur_4779895_1655012.html Autres sources : ABARCA, Javier. Punk graffiti : stencils en tags since 1977. Urbanario [en ligne]. Publié le 22 octobre 2008 [Consulté le 10 janvier 2021 à 11h51]. Disponible à l’adresse : https://urbanario.es/en/articulo/punk-graffiti-stencils-and-tags-since-1977/ BOUHADDOU, Marie Kenza et KULLMANN, Clotilde. In-between new figures of art and urban transformation projects, a french perspective. Articulo – Journal of Urban Research [en ligne]. Publié le 7 mai 2018. [Consulté le 19 novembre 2020 à 09h48]. Disponible à l’adresse : https://journals.openedition.org/articulo/3420 BRUN, Marion, DI PIETRO, Francesca, MARTOUZET, Denis et VASEUX, Lucy. Usages et représentations des délaissés urbains, supports de services écosystémiques culturels en ville. Les espaces verts urbains : éclairages sur les services écosystémiques culturels [en ligne]. Publié le 27 juillet 2017. [Consulté le 05 janvier 2021 à 08h38]. Disponible à l’adresse : https://journals.openedition.org/ eue/1906 KELLING, George et WILSON, James. Broken Windows, the police and .116


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117.


RESSOURCES AUDIOVISUELLES

BANKSY. Exit Through The Gift Shop [DVD]. Londres : Paranoid Pictures, diffusé le 05 mars 2010. Durée : 87min. BORHES, Kristina et TYMOSHCHUK Naza. Imaginary city, visual essay on Nuart Festival [en ligne]. Diffusé le 10 février 2020 [Consulté le 18 mai 2020]. Disponible à l’adresse : https://inspiringcity.com/2020/02/10/imaginary-city-a-visual-essay-of-thenuart-festival/ Gary 1983. Italian anti fascist rap music (#15). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 10 juillet 2020. Durée : 1h10min47s. Gary 1983. Walking long distances to get flicks of old pieces (#17). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 23 juillet 2020. Durée : 38min58s. Gary 1983. No Mum it’s for Wharhammer ! (#21). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 17 août 2020. Durée : 51min58s. Gary 1983. Youth centre panel flick syndicate (#30). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 21 septembre 2021. Durée : 1h09min40s. Gary 1983. Check out those puppies (#41). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 28 octobre 2020. Durée : 2min42s. Gary 1983. Chewing writers ears off (#49). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 7 janvier 2021. Durée : 1h01min46s.

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MOTS-CLEFS

graffiti / expression / contestation / ville / art / espace public

RÉSUMÉ Le graffiti fait aujourd’hui partie intégrante de l’environnement urbain où il existe de deux façons, esthétique et valorisée par les usagers de la ville ou illisible et combattue par la majorité de ces derniers. Ce mémoire s’interroge sur cette dichotomie et pose la question de la valeur contestataire du graffiti lorsqu’il fait partie intégrante des politiques culturelles de la ville. Pour répondre à cette question nous avons mené une étude typologique du graffiti lyonnais en nous basant sur un corpus photographique représentatif de la production globale. Nous avons cherché à déterminer les caractéristiques d’une expression contestataire puis à trouver quels graffitis correspondaient le mieux à ces critères, avant de les comparer pour rechercher d’autres similarités reliant ces graffitis. Cette étude nous a montré que les graffitis les plus contestataires étaient également ceux qui étaient réalisés le plus rapidement. Nous en avons conclu que le l’expression de la contestation passe plus par le geste effectué lors du traçage du graffiti que par son propos. Cela interroge sur la pratique du tag, considérée comme la moins contestataire par nos critères mais qui incarne au mieux cette notion. Le fait que cette facette du graffiti soit celle contre laquelle lutte avec le plus d’acharnement les politiques de la ville nous conforte dans l’idée qu’elle incarne bien une contestation de ces dernières.

KEYWORDS

graffiti / expression / contestation / city / art / public space

SUMMARY Today graffiti is an integral part of the urban environment where it exists in two ways, aesthetic and valued by the users of the city or illegible and fought against by the majority of the latter. This dissertation questions this dichotomy and raises the question of the value of graffiti as a protest medium when it is an integral part of the cultural policies of the city. To answer this question, we conducted a typological study of graffiti in Lyon based on a photographic corpus representative of the overall production. We sought to determine the characteristics of a protestant expression and then to find out which graffiti best met these criteria, before comparing them to look for other similarities linking these graffiti. This study showed us that the most protestant graffiti was also the most quickly produced. We concluded that the expression of protest is more through the gesture of drawing the graffiti than in what it says. This raises questions about the practice of tagging, which is considered to be the least contentious by our criterias but which best embodies this notion. The fact that this facet of graffiti is the facet of graffiti against which the city’s policies are fighting most fiercely reinforces our idea that it does indeed embody a protest against them.


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