La Ronde # La revue d’art contemporain des musées de la Métropole Rouen Normandie

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82 Partenariat Galerie Almine Rech

Claire Tabouret Corps-à-corps Retour sur La Ronde 2020 présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen du 11 juillet 2020 - 15 novembre 2020

Portrait de Claire Tabouret Photographie de Logan White

au travers du regard de Philippe Piguet Des corps qui s’empoignent, qui s’attirent et se repoussent, qui cherchent réciproquement à se déstabiliser, bref des corps qui luttent. Parfois même dans la fange. Depuis les temps les plus anciens, le thème de la lutte n’a pas manqué d’interroger les artistes et son iconographie est riche de toutes sortes de formulations peintes, dessinées ou sculptées qui explorent un éventail très varié de sentiments. De la lutte sportive ou biblique aux tensions de la relation amoureuse, l’histoire de l’art s’est ainsi enrichie de propositions dont le vecteur commun relève de la tentation d’exprimer une énergie vitale. L’expression courante qui proclame que « la vie est une lutte » en dit long de cette dimension existentielle que suppose le thème. Parce qu’elle est fondée sur la mise en jeu d’un corps-à-corps avec l’autre - sinon avec soi-même, si l’on en croit le poète -, la lutte est la figure emblématique d’un rapport au monde. D’un être-au-monde. Du moins est-ce dans cette qualité-là que s’offrent à voir les œuvres de Claire Tabouret qui en déclinent le motif. Sitôt leur découverte, reviennent en mémoire toute une cohorte d’images qui traversent le temps, de ce bas-relief antique de lutte à main plate au couple de Jacob et de l’Ange du tableau de Gauguin, La Vision après le sermon (1888), luttant sur le sol vermillon rutilant d’une fabuleuse colline, voire toutes sortes de scènes érotiques des civilisations les plus diverses. Selon ses propres dires et avant toute chose, c’est « l’envie de peindre des corps dans un mouvement

de forces contraires » qui a conduit Claire Tabouret à se saisir de ce sujet, intéressée par ce qui le détermine tant d’un point de vue physique que sensuel. Elle s’est alors documentée pour en savoir plus sur la façon dont les différentes cultures abordaient le thème. Au fil de ses recherches, son attention a été plus particulièrement retenue par la lutte telle qu’elle se pratique en Turquie, à tous les âges, les corps recouverts d’huile, lui offrant notamment toutes sortes d’exemples de postures. Conçues comme une métaphore de la relation amoureuse à travers la représentation de corps aux différentes étapes d’un exercice de lutte, les scènes dépeintes par Claire Tabouret renvoient aux notions antinomiques de l’attirance et de la répulsion, de la fusion et de la séparation, de la ressemblance et de la différence. Tout s’y mesure à l’ordre de l’ambivalence d’une iconographie qui fait la part belle à l’idée de jeu. Un jeu d’une relative gravité pour ce que le corps y est à l’épreuve d’un effort, d’une dépense, et finalement d’un duel dont rien n’est dit sur l’issue. L’artiste en parle comme de « l’instant déchirant de deux destins qui se séparent ». Si elle s’appuie sur une documentation glanée sur Internet, elle ne s’en sert que pour déplacer dans le champ de la peinture les images de corps qu’elle a retenues, sans aucun souci de transfert réaliste mais bien plus pour leur faire dire autre chose. D’une œuvre à l’autre, Claire Tabouret ne raconte aucune histoire et rien n’est inscrit dans le corpus d’un scenario préétabli. Ses peintures et monotypes se donnent à voir comme

des arrêts sur image et procèdent du concept de one-shot, dans un suspens non référencé de l’espace et du temps. Entre attraction et rupture, les figures de Tabouret sont au bord d’un extrême dont la construction symétrique, façon test de Rorschach suggérant un effet de miroir, contribue à accentuer la dynamique dans une architecture d’arcs-boutants. Elles se silhouettent sur fond de jeux chromatiques remués et stridents qui les propulsent au-devant de l’image pour créer un semblant de relief virtuel. Le thème de l’affrontement, sinon du dédoublement joue de toutes les contradictions entre passion et déchirement, fragilité et résistance, l’un et son double. En cela, Claire Tabouret conforte ce qui détermine l’essence même de sa démarche, à savoir la question du corps, par-delà celle du genre. Il en est du moins ainsi de cette série où ses figures, anonymes, pour ce que son art est avant tout requis par l’humain. En se saisissant de ce thème, elle transforme l’anecdote documentaire de référence en entité abstraite, la faisant basculer de la sorte dans l’universel. Comme elle a pu, par le passé, traiter pareillement de l’identité, de l’ubiquité ou de l’apparence. Étrangement intitulé « I Am Crying Because You Are Not Crying », cet ensemble d’œuvres doit son titre au tableau de La Femme qui pleure de Picasso (1938). Dans un glissement sémantique de l’idée de relation amoureuse entre tension érotique du couple et tragédie de la rupture - telle qu’elle abonde en matière de littérature, de musique et de chanson-,


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