ENTRE MICHAEL HANEKE ET JEAN-MARIE POIRÉ
LE MAGAZINE DE L’ÉTÉ 2021 !
GARANTI SANS GUILLAUME CANET
LES CAHIERS DU CINÉMA
TÉLÉ 7 JOURS
LE MASQUE ET LA PLUME
un magazine réalisé par BIKINI avec PAULINE PARIGOT, SYLVAIN LABROSSE, DELPHINE DELOGET, PAUL CABON, MARIE LE FLOC'H, VINCENT LE PORT, JACQUES STIVAL, LA SALAMANDRE, L’ARVOR, LES STUDIOS, CINÉVILLE, FESTIVAL DE DOUARNENEZ, CINÉMA35 bande originale ELLIOTT ARMEN, MAD FOXES, ATTENTION LE TAPIS PREND FEU, ARNAUD LE GOUËFFLEC, GILLES GABRIEL imprimé par CLOITRE attachée de presse ODILE DERAY sur vos écrans en JUIN-JUILLET-AOÛT 2021
TEASING
À découvrir dans ce numéro...
«UNE GROSSE COLONIE DE VACANCES»
SEVENTIES
RAMBO SURFEUR ANIMATION
«LE DOCUMENTAIRE, C’EST BEAUCOUP DE DIY»
CÉSAR DOUARNENEZ
PINAULT
NETFLIX
«LE PLUS VIEUX FILM BRETON»
ÉDITO
TU SAIS QUE LE CINÉMA T’A MANQUÉ QUAND... … Le 19 mai dernier, tu étais à la séance de 11 h. … Tu ne connais plus par cœur le numéro de téléphone de Jean Mineur (« 01 47 20… zéro zéro zéro un ! »). … T’as hâte de retrouver le grand chevelu assis juste devant toi. … ainsi que le couple de vieux qui commentent tout. ... T’es tellement en manque que même les 15 bandes-annonces et les 18 pubs d’avant-film te font plaiz’. … Tu places des répliques de La Classe américaine ou des Trois Frères dans la vie de tous les jours. … T’as maté toutes les vidéos de Creustel, hilarant duo qui, lors du premier confinement, a détourné quotidiennement des scènes mythiques de films (mention spéciale pour celle de Jurassic Park). … T’en as marre du « TOU-DOUM ! » … Même Bad Buzz d’Éric et Quentin ou Le Baltringue de Lagaf’, finalement c'est pas si mal. … T’as laissé traîner exprès du pop-corn sur ton canap’. … T’as posé des RTT pour tous les mercredis de 2021. … Pendant les confinements, t’as regardé tous les films qui parlent de cinéma : La Cité de la peur, Last Action Hero, Ave César !, Be Kind Rewind, Les Clefs de bagnole, The Artist, Qui veut la peau de Roger Rabbit… … Les prochaines semaines, ça va être « du lourd, du très très lourd ». La rédaction
SOMMAIRE 6 à 11 12 à 17 18 à 23 24 & 25 26 à 31 32 & 33 34 & 35 36 à 41 42 à 45
WTF : expo vintage, pionniers du surf, photographie, festivals... « Le cinéma se vit de façon corporelle et collective » Espoirs, sensations, nouvelles têtes... le casting 2021 Les salles de ciné ont-elles (enfin) fini d’être moches ? La folle histoire du Rambo breton Mellionnec : une église, 400 habitants et... une école de ciné Le plus vieux film breton RDV : Amour, Elliott Armen, Attention le tapis prend feu, Mad Foxes, Arnaud Le Gouëfflec... Au bistro, le marin à bon port
46 BIKINI recommande 4
juin-juillet-août 2021 #52
Ce numéro a été bouclé le 19 mai. Si annulation ou report d’événements en raison de la crise sanitaire, consulter les sites des salles, musées et festivals.
Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Brice Miclet, Isabelle Jaffré / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2021.
WTF
QUELLE EXPO VINTAGE VOIR ?
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TOURNÉE GÉNÉRALE
À DÉFAUT DE PARTIR À L’ÉTRANGER CET ÉTÉ, ET SI ON VOYAGEAIT DANS LE TEMPS ? C’EST L’ ALLÉCHANTE PROMESSE TENUE PAR TROIS EXPOSITIONS QUI NOUS TRANSPORTENT PLUSIEURS DÉCENNIES EN ARRIÈRE. « NOM DE ZEUS ! »
MES ANNÉES 70
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AU POIL !
Tiens, revoilà Sébastien Tellier ! Contraint d’annuler son édition au printemps, le festival Mythos se déploie le temps d’une saison et investit son chapiteau permanent du MeM. L’occasion pour le génial auteur de La Ritournelle et de Pépito Bleu de présenter ses deux derniers albums, Domesticated et Simple Mind. Le 28 juin à Rennes.
HUITIÈME ART
collapso
Bonne nouvelle : le Fonds Leclerc pour la culture à Landerneau a décidé de prolonger l’expo consacrée à Enki Bilal. Une rétrospective de la carrière du dessinateur originaire de Belgrade, spécialiste d’une SF apocalyptique et classieuse. Jusqu’au 29 août. 6
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Paul Mahot
Née sous le nom de la “Fête des Cornemuses” en 1971, le Festival Interceltique de Lorient fait coïncider cette année ses 50 ans et sa 50e édition (initialement prévue l’été dernier). Malgré les restrictions sanitaires, la fête devrait être belle, avec toujours la même recette : concerts, parades et bonne ambiance ! Du 6 au 15 août.
Grandir à la campagne dans les seventies, c’était comment ? Il y a cinquante ans, le monde rural se transformait et opérait de profondes mutations : agriculture, consommation, loisirs, habitat, vie amoureuse… De quoi chambouler la vie d’une jeunesse alors en quête d’émancipation. Un changement de paysage à découvrir dans l’exposition Mes Années 70, clichés de campagne, à travers des objets, vidéos et photos aussi cool que vintage (photo). Quand et où ? Jusqu’au 19 septembre à l’Écomusée de la Bintinais à Rennes
FACE AU MUR
Si les affiches deviennent “le” support de l’expression politique dans les années 1960, elles continuent de s’affirmer dans les décennies suivantes. De 1970 à 1990, de nombreux artistes s’emparent alors de ce medium de la rue pour sensibiliser le grand public à de nombreuses causes et revendications. Et notamment en Bretagne où les mouvements antinucléaires, environnementaux et régionalistes ont su marquer les esprits avec des visuels devenus iconiques. Quand et où ? Jusqu’au 3 octobre au Musée de Bretagne à Rennes
L’ÉPOPÉE BIGOUDÈNE DU PRÊT-À-PORTER
De 1950 jusqu’aux années 1980, le Pays bigouden a connu une période faste dans l’industrie textile. Portés par la mode citadine mais aussi le renouveau de la broderie traditionnelle, les ateliers de prêt-à-porter (quasiment tous tenus par des femmes) se sont multipliés dans le sudFinistère : Plantade, Folgoas, Lorda… Des maisons dont les créations (le kabig notamment) se sont exportées dans toute la France. Une aventure esthétique qui a placé Pont-l’Abbé sur la carte de la mode. Quand et où ? Jusqu’au 7 novembre au Musée bigouden à Pont-l’Abbé
WTF
IL Y A 50 ANS, LE PREMIER SURFEUR EN BRETAGNE Ce serait donc en 1971 que quelqu’un aurait pour la première fois surfé en Bretagne… Parmi les souvenirs des pionniers, 1971 reste une année clairement établie avec Michel Noirrit (photo) qui, pour la première fois, surfe en presqu’île de Crozon, dans le Finistère. C’était à Kerloc’h à Camaret. Était-il réellement le tout premier ? Il est impossible de le savoir. Parmi les premiers surfeurs, beaucoup ne se souviennent plus du moment précis. Mais plutôt qu’une date unique, il est plus intéressant d’évoquer le tout début des années 1970. Car c’est à cette époque que des individus (dont Philippe Vercelletto, Gilles Romigou…) se sont mis à pratiquer ce sport à La Torche, Locquirec, Quiberon… Comment ont-ils découvert ce sport jusqu’alors inexistant dans la région ? Chacun de ces pionniers l’a découvert à sa manière. Certains étaient branchés musique californienne, d’autres se rendaient régulièrement ou occasionnellement à Biarritz, le sud-ouest était alors la Mecque du surf en France. D’autres étaient déjà dans la voile et ont basculé du windsurf vers le surf… Si chacun avait sa propre histoire, tous partageaient cette même envie de surf. Ils voulaient expérimenter l’eau d’une nouvelle manière. Ils avaient envie de tester quelque chose de nouveau dans un environnement à fort potentiel qu’est la Bretagne. À une époque où rien n’était fait pour ce sport dans la région, tous ont appris à surfer à force d’essayer. 8
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Michel Noirrit / Christian Roche
AU TOUT DÉBUT DES ANNÉES 1970, UN SPORT ÉTAIT PRATIQUÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS EN BZH : LE SURF. UNE GENÈSE QUE NOUS RACONTE CHRISTIAN ROCHE, RÉALISATEUR DU DOCU « LÉGENDAIRES », DÉDIÉ À CES PIONNIERS BRETONS.
Une communauté surf voit-elle alors le jour ? À la différence du Pays basque, il n’y a pas de communauté en Bretagne dans les années 1970. Ce sont d’abord des personnes isolées ou des petits groupes de copains qui vont à l’eau de façon confidentielle. Mais certains vont commencer à se croiser et des rencontres se font par hasard. Comme Michel Noirrit qui, un jour, voit quelqu’un se garer avec une planche sur le toit de sa voiture : c’était Philippe Vercelletto. C’est comme ça qu’ils ont commencé à surfer ensemble. Avaient-ils conscience d’initier un mouvement de fond ? Absolument pas. Ils n’ont rien calculé, ils n’avaient pas d’arrière-pensées ni de volonté de créer quelque chose. Cela ne les a pas empêché de contribuer à développer ce sport dans la région. On peut même dire que ces précurseurs ont participé à la mutation du territoire : ils ont initié quelque chose de différent qui a changé le paysage breton.
Quand le surf va-t-il commencer à se structurer en Bretagne ? Avec les premières compétitions au début des années 1980. Des événements qui permettent de fédérer. Parmi les principaux acteurs, on trouve Yannick Le Coz qui a créé la Ligue de Bretagne de surf en 1986. Les écoles de surf arriveront quant à elles dans la décennie suivante : la première à La Torche date de 1994. En s’institutionnalisant, le surf a-t-il perdu de son charme ? Je ne pense pas car la passion reste la même. Alors oui forcément, ce sport s’est organisé et a pu se lisser, mais comme n’importe quel mouvement un jour à la mode. Il peut aussi y avoir de la récupération de la part des marques ou des collectivités qui communiquent sur cette image. Mais cela permet de faire naître des vocations : les gamins d’aujourd’hui prennent le même plaisir dans l’eau que les pionniers ont pu prendre il y a 50 ans. Recueilli par J.M
CLIC CLAC, C’EST DANS L’EXPO DU LOINTAIN OU DU LOCAL, DES PAYSAGES OU DES PORTAITS, DU MONDE ANIMAL OU DE L’ HUMAIN : IL Y EN A POUR TOUS LES GOÛTS DANS LES EXPOSITIONS PHOTO PROGRAMMÉES CET ÉTÉ. YIHAAAA ! Direction « plein nord » pour la 18e édition du festival Photo La Gacilly, avec au programme 22 expositions en plein air disséminées dans ce village morbihannais : les monochromes du Finlandais Pentti Sammallahti, le reportage au Groenland de Tiina Itkonen, la photographie animalière de Sanna Kannisto, le travail sur la fonte des glaciers de Jonas Bendiksen… Quand ? Du 1er juillet au 31 octobre
Stéphane Lavoué
FESTIVAL PHOTO LA GACILLY
lienne Alessia Rollo, inspirés par les quartiers de la métropole rennaise en mutation et les bouleversements urbains qui s’opèrent. Quand ? Du 3 juin au 15 septembre
STÉPHANE LAVOUÉ
Après avoir plongé dans le monde des travailleurs de la mer au Guilvinec, le portraitiste Stéphane Lavoué s’est intéressé aux habitants les plus atypiques des monts d’Arrée, au cœur du Finistère (photo). Visible aux Champs RENCONTRES DE VIA SILVA Libres à Rennes, cette série photo PHOTO FESTIVAL Pour leur 4e édition, les Rencontres baptisée Les Enchanteurs revêt des Parmi les invités de la 9e édition du photographiques de ViaSilva, à airs de peinture flamande : lumière rendez-vous de la baie de Saint-Brieuc, Cesson-Sévigné, mettent en lumière diffuse, douceur de l’atmosphère et deux photographes en résidence : le travail de deux photographes : détails qui surgissent de l’ombre. Céline Alson, pour un projet basé le Breton François Lepage et l’Ita- Quand ? Jusqu’au 7 novembre sur la superposition de clichés, et Jean-Christophe Béchet, pour un portait du chef-lieu des Côtes d’Armor. Quand ? Du 5 juin au 29 août
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WTF
DES FESTIVALS MENACÉS ?
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NIGHTFALL
Le festival pluridisciplinaire Les Tombées de la Nuit revient avec quatre jours d’événements dans l’espace public. Performances atypiques, représentations in situ et concerts impromptus : une vingtaine d’artistes, groupes et compagnies éveilleront les rues et la curiosité de la capitale bretonne. Du 1er au 4 juillet.
G. Magre-Guiberteau
E BREZHONEG
Brieg Guerveno peut (enfin) défendre sur scène son excellent dernier album Vel ma vin. Un disque de folk ambiant qui permet à la langue bretonne de s’épanouir au-delà du répertoire traditionnel. Le 3 juillet à Gouel Broadel ar Brezhoneg à Langonnet, le 16 aux Vieilles Charrues à Carhaix et le 11 août au Festival Interceltique de Lorient.
ÎLE ÉTAIT UNE FOIS
tiersen
Le compositeur Yann Tiersen revient cet été avec Kerber. Un nouvel album, enregistré dans son studio L’Eskal à Ouessant, qui prend un virage électronique, à l’image du single Ker al Loch, où douceur du piano et pulsations digitales se rencontrent. Sortie le 27 août. 10
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L’indécision : voilà le mot qui revient le plus pour justifier une annulation de festival deux étés de suite, entre autres arguments. « L’absence de certitude sur les règles qui seraient imposées par les autorités, la difficulté de mobiliser des équipes bénévoles en un délai très court... », énumère ainsi Faustine Vasse du festival de Bobital, qui a décidé de faire l’impasse sur son édition 2021. « Il aurait fallu bricoler dans l’urgence et ce n’est pas dans notre ADN de le faire », estime aussi Gildas Rioualen d’Astropolis qui a pris la même décision. « Quand bien même le ministère a finalement autorisé l’organisation de festivals, il y a l’épée de Damoclès de l’interdiction préfectorale qui peut tomber au dernier moment », appuie le directeur du festival du Roi Arthur, Adrien Gaillard. « L’absence imposée de bars qui, pour tout festival, représente quasi 50 % des recettes globales constitue un frein trop important », ajoute Luc Donnard de Big Love à Rennes. « L’esprit du festival ne peut s’enfermer dans le cadre très contraint imaginé par le ministère de la Culture, justifie Pierre Morvan du Festival du Chant de Marin à Paimpol. L’obligation d’un pass sanitaire a achevé de nous convaincre. » D’autant plus que les aides financières, si elles ont tardé, permettent finalement de limiter la casse, calcule Baptiste Beauchamp de Fête du Bruit qui a jeté l’éponge pour son festival à Saint-Nolff : « Je pense aux mesures de chômage partiel, les exo-
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SI CERTAINS FESTIVALS ESTIVAUX ONT RÉUSSI À MAINTENIR UNE ÉDITION 2021, CE N’EST PAS LE CAS D’UNE MAJORITÉ. LES ORGANISATEURS CONCERNÉS SE VEULENT NÉANMOINS CONFIANTS POUR L’AVENIR.
nérations de cotisations, ou encore le prêt garanti par l’État. » « S’il y a matière à critique concernant la communication gouvernementale, le soutien économique a fini par être à la hauteur des attentes », reconnaît Adrien Gaillard. « Le fait de s’arrêter avant d’engager des frais autres que les frais fixes nous permet de garantir la pérennité de l’association qui organise le festival », juge également, pragmatique, Faustine Vasse. Tous les festivals concernés que nous avons interrogés se disent d’ailleurs confiants pour une reprise à la normale en 2022 sans trop de bobo. « D’ici l’été prochain, il est même possible d’imaginer des événements pour rattraper le coup », indique Gildas Rioualen, qui envisage de grossir exceptionnellement sa traditionnelle soirée Fortress, prévue cette année le week-end du 11 septembre. « La véritable interrogation concerne les envies du public, s’inquiète tout de même Luc Donnard. Auront-elles changé après cette longue période ? Un retour à la vie d’avant n’est pas si évident. » R.D
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ET T T T ACTION !
APRÈS 201 JOURS DE FERMETURE, LES SALLES OBSCURES ONT ROUVERT LEURS PORTES LE 19 MAI. « ENFIN ! », EXULTENT EXPLOITANTS ET CINÉPHILES POUR QUI LE GRAND ÉCRAN CONSTITUE LE LIEU D’EXPRESSION PRIVILÉGIÉ D’UN FILM.
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DOSSIER
« LE CINÉMA SE VIT DE FAÇON CORPORELLE ET Depuis le 19 mai, les salles de cinéma sont (enfin) de nouveau ouvertes. Si ces établissements doivent encore composer avec des jauges réduites et l’application d’un protocole sanitaire strict, tous se projettent sur une reprise qu’ils espèrent durable, après 201 jours de fermeture imposée au début du second confinement. Une mise à l’arrêt forcé et une période contrastée pour ces professionnels, navigant entre espoir, craintes et envie de se réinventer. Aujourd’hui, tous se veulent confiants pour leur activité, certains que la salle constitue le lieu naturel pour vivre « l’expérience cinéma ». Ils nous expliquent pourquoi.
LE GRAND ÉCRAN « ÉVIDEMMENT » Alors que la crise sanitaire a poussé de nombreux spectateurs à se tourner vers les plateformes, Netflix en tête (près de huit millions de Français sont abonnés), les exploitants de cinéma n’imaginent pas un désamour du public à leur égard. « Pour apprécier pleinement un film, rien ne vaut la salle et, évidemment, le grand écran, affirme sans sourciller Patrick Fretel, le président de l’Arvor à Rennes. Au-delà des conditions idéales en termes d’image et de confort, venir au cinéma permet de ne penser à rien d’autre qu’au film. Vous êtes uniquement concentré sur ce que vous regardez. Vous êtes dans une bulle pendant deux heures, ce qui est formidable ! » Pour Jean-Pierre Fonteneau, directeur du cinéma La
Garenne et du Cinéville de Vannes, « la fonction immersive » de la salle reste inégalable. « Un endroit où tout est intensifié. L’atout technologique constitue notre meilleur argument. C’est le lieu de l’expérience optimale de l’image et du son. » Critique ciné pour l’excellente émission Le Cinéma est mort sur la radio rennaise Canal B, Antonin Moreau confirme : « C’est dans une salle que tu peux avoir la plus grande fidélité de l’œuvre telle qu’elle a été voulue par ses créateurs. J’ai souvenir d’Impitoyable, de Clint Eastwood, qui se passe sur différentes saisons, avec une lumière changeante qui fait l’expression cinématographique du film. Sur un écran domestique, même avec le meilleur Blu-ray du monde, cela sera invisible. Cela replace la salle au centre de tout. »
« Un frisson impossible à avoir chez soi » 14
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« Face à un écran de 20 mètres et avec ce son qui vous enveloppe, les sensations sont toujours plus fortes qu’à la maison », embraye le boss du Cinéville vannetais. Un rapport au corps que partage aussi Mireille Le Ruyet, coordinatrice de la structure Cinéma35 qui fédère 35 salles associatives d’Ille-et-Vilaine. « Ce frisson qui vous traverse lorsque le film débute, il est impossible de l’avoir chez soi, même avec un bon équipement. Aller en salle, c’est donc se rappeler que le cinéma se vit de façon corporelle. »
UN SPECTACLE COLLECTIF Des sensations physiques qui passent également par le collectif. « Le cinéma est tout sauf une expérience individuelle, rappellent Virginie Pouchard et Christian Ryo, du festival de Douarnenez (fondé en 1978, plus vieux festoche de cinéma en Bretagne). Les réactions des gens dans la salle vont jouer sur ta façon de vivre le film. C’est un spectacle
COLLECTIVE » « Aller vers une œuvre
Photos : Bikini
qu’on ne soupçonnait pas »
qui se voit et se partage ensemble. » Jean-Pierre Fonteneau ajoute : « Quand une salle est pleine, il est facile de ressentir son âme. Que ce soit dans l’émotion ou le rire, cela va vous emporter. On vit ensemble une même expérience. Pendant les confinements, c’est ce qui m’a le plus manqué. »
UNE FONCTION SOCIALE
Dans chaque canton, on trouve au moins un cinéma. C’est un loisir de proximité, ouvert à tous. » Nouvellement installé au SEW, où il cohabitera avec le théâtre de l’Entresort et l’association Wart (organisatrice de Panoramas), le cinéma morlaisien La Salamandre passe désormais d’une à trois salles. Mais pas que. « Au sein du lieu, il y aura aussi un café et un restaurant, expose Véronique L’Allain, la directrice du cinéma art et essai qui fête ses 40 ans cette année. J’aime cette idée qu’on puisse passer la journée au cinéma pour y rencontrer du monde, retrouver des proches et passer du temps avec eux. C’est ce qui fait le sel de la vie : seul devant son ordi, on s’emmerde. » Des possibilités de rencontres qui, pour l’équipe du festival de Douarnenez, sont primordiales. « Notre modèle se rapproche plus d’un festival de musique, avec notamment cette grande place où le public se retrouve pour boire un verre et manger un morceau. Ces temps de convivialité ont leur importance : la parole circule, le bouche-à-oreille fonctionne, les infos se croisent... Cela permet de vivre le festival à l’improviste. Ça va dans le sens de notre travail : que les gens découvrent des choses qu’ils n’auraient pas découvert autrement. »
Un esprit de groupe qui se vit avant et après la projection. Rappelant ainsi la fonction sociale du cinéma et, plus largement, de la culture. « Ça vous oblige à sortir de chez vous et à rencontrer du monde : une salle, c’est un lieu de vie, un lieu de brassage, insiste Patrick Fretel à l’Arvor. Que ce soit dans les grandes villes mais aussi dans les petites communes où le cinéma constitue parfois le seul équipement culturel. Contrairement à nos voisins européens, la France a la chance d’afficher un réseau dense de salles SORTIR DE « S A ZONE DE CONFORT » sur tout le territoire (on dénombre En creux de ces arguments, se des121 établissements en Bretagne, ndlr). sine l’ombre des plateformes, Netflix
et Disney+ en tête. Pour l’ensemble des interlocuteurs contactés, la question n’est pas d’être pour ou contre. Mais plutôt de composer avec et de faire de la salle le lieu d’épanouissement naturel de tout cinéphile. Véronique L’Allain, pourtant « grande consommatrice » de plateformes, explique : « Aller dans un cinéma permet de découvrir la sélection d’un programmateur, cette idée lumineuse qu’on n’aurait pas eu tout seul chez soi. » Pour tous, le mot “diversité” revient systématiquement. L’équipe du festival de Douarnenez développe : « Le problème avec les algorithmes des plateformes, c’est que tu vas avoir tendance à regarder toujours le même genre de choses. Le but du cinéma, c’est de pouvoir s’écarter des esthétiques dont tu as l’habitude. Il est important de sortir de cette petite zone de confort qui, au bout d’un moment, devient ennuyeuse. Une salle, c’est comme une librairie finalement. Tu n’as pas besoin d’y aller pour acheter un livre, mais tout l’intérêt est d’y entrer : se confronter aux choix du libraire, être curieux et se laisser aller vers une œuvre qu’on ne soupçonnait pas. »
UNE CHANCE AUX « PETITS » FILMS Un accès à la diversité cinématographique qui constitue l’une des principales missions des cinémas art et essai. Et ce, quels que soient les chiffres d’entrées. Comme le confirme Sébastien 15
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Le Goffe, des Studios à Brest. « On passe 350 films à l’année, 93 % sont classés art et essai. Notre but, c’est de faire découvrir des premiers films et des réalisateurs émergents. Sur ces 350 films, quinze d’entre eux réalisent 50 % de notre chiffre d’affaires. Cela signifie que 335 films ont du mal à trouver leur public. Pour autant, il est important de leur donner une chance et de les diffuser. » Si un bon Ken Loach attire en moyenne 4 000 entrées en deux semaines d’exploitation dans le cinéma brestois de la rue Jean Jaurès, certains « petits films » n’en enregistrent qu’une centaine sur cette même période. « Mais notre politique est de les maintenir. Sur ces films, on ne gagne pas d’argent, mais c’est un équilibre qui s’opère avec ce qu’on appelle les “films porteurs” (ceux de Pedro Almodóvar, d’Abdellatif Kechiche…). Les premiers longs métrages de Ken Loach ne marchaient pas forcément, mais c’est grâce à des salles comme les nôtres qu’ils ont aujourd’hui réussi à trouver un large public. »
« R OBINET À IMAGES » Rencontres avec le réalisateur, débats, cycles thématiques, ateliers de pratique artistique, nuits spéciales… En plus des projections, tous les exploitants, aussi bien les généralistes que ceux en art et essai, proposent désormais une palette de rendez-vous annexes. Ce que ne peuvent offrir les plateformes. « Tous les cinémas en font depuis de nombreuses années mais c’est un
biais d’actions sur lequel nous travaillons pour inventer de nouvelles manières de valoriser les films », expose Véronique L’Allain qui promet par ailleurs des collaborations avec Panoramas sur la prochaine édition du festival. De l’événementiel jugé primordial par Antonin Moreau. « C’est absolument nécessaire pour un cinéma de ne pas être qu’un simple robinet à images. Il faut éditorialiser au maximum la programmation. Je pense notamment à un cycle autour du vélo qu’on avait organisé l’an passé à l’Arvor : ça avait super bien marché. Au-delà de rameuter du monde, cela permet de réinjecter de la cinéphilie, de créer des liens entre les films plus anciens et les nouveaux. On fait ainsi dialoguer les œuvres entre elles. »
dessus, veut croire Mirelle Le Ruyet de Cinéma35. En revanche, il est vrai qu’on peut perdre le public occasionnel, notamment les jeunes qui sont consommateurs de plateformes et qui ont d’autres pratiques culturelles, comme le jeu vidéo. La question du coût peut aussi entrer en jeu, même NETFLIX, PALLIATIF DURABLE ? si dans les cinémas associatifs, on OK tout ça c’est super, mais forts tourne autour de 5 euros la séance. de leurs bons scores et désormais Ce qui reste abordable. » incontournables dans tout débat sur l’avenir du cinéma, Netflix et « UN NOUVEAU SOUFFLE » consorts n’auraient-ils pas gagné « Le problème, note Antonin Mola bataille culturelle ? Aujourd’hui reau, c’est que la valeur du film habitués à consommer du cinéma a baissé. Aujourd’hui, cela paraît autrement, les spectateurs pour- inconcevable pour plein de gens raient-ils définitivement délaisser la de payer neuf ou dix balles un film salle ? « Je suis peut-être optimiste, qu’on peut trouver gratuitement en mais je pense le contraire, répond ligne ou via un abonnement NetChristian Ryo du festival de Douar- flix. » Un phénomène qui touche nenez. Face à de tels catalogues, davantage les jeunes, toutes les le phénomène de saturation peut structures interrogées faisant donner envie de retourner en salle part d’un vieillissement de leurs encore plus qu’avant. » spectateurs. « Les gens qui avaient l’habitude de « Ça met le doigt sur une crise qui venir de façon régulière ou assidue, n’a pas attendu le covid, poursuit vont revenir. Je ne m’inquiète pas là- l’animateur de Canal B. Pour être intervenant à la fac, je constate que même les étudiants en cinéma ne vont pas beaucoup en salles. Les raisons sont multiples. Depuis dix ans, les films sont concurrencés par
« Faire dialoguer les films et
réinjecter de la cinéphilie » 16
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Photos : Bikini
d’autres types d’œuvres audiovisuelles, comme la série qui est extrêmement chronophage. Et puis, il faut être réaliste : on sort d’une décennie, les années 2010, où le cinéma a perdu de sa superbe. Un art qui a été moins en accord avec son temps. À part quelques bons chocs (Mad Max: Fury Road…) et des bonnes surprises (Parasite, Les Misérables…), il y a une baisse de qualité générale, aussi bien à Hollywood avec une “Marvelisation” des films, que dans les grosses productions françaises – les comédies en tête – qui sont toutes très mauvaises. Mais tout cela est peut-être cyclique, on peut très bien repartir sur une bonne décennie, sur un nouveau souffle. » Dans le même état d’esprit, Véronique L’Allain de La Salamandre rappelle que l’ennemi du cinéma n’est pas les plateformes mais bien les mauvais films. « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Un mauvais film, ça coupe les pattes. S’il n’y a pas de bonnes choses à l’affiche, le public ne vient pas. Les gens ne sont pas bêtes. C’est donc à nous en tant qu’exploitants de faire en sorte que la proposition soit bonne. Car plus on voit de bons films, plus on a envie d’en voir. » Julien Marchand 17
DOSSIER
ESPOIRS, SENSATIONS, NOUVELLES TÊTES...
Bikini
PAULINE PARIGOT
PAUL CABON S’ils sont plusieurs milliers désormais en France à travailler dans le secteur de l’animation – grâce notamment à la révolution de la 3D qui a bouleversé le secteur sur la dernière décennie – Paul Cabon fait un peu figure d’OVNI. Déjà parce que, contrairement à pas mal de ses anciens collègues de promo (école Estienne à Paris, ESAAT à Roubaix, école La Poudrière à Valence), il ne s’est pas tourné vers un CDI stable dans un grand studio parisien. « J’ai fait le choix du retour en Bretagne en travaillant sous statut d’intermittent pour les studios rennais Vivement Lundi », explique le trentenaire originaire de Plouzané, né en 1985. Une voie plus « artisanale » donc, pour vivre de sa passion, le dessin. « Gamin, j’étais un petit rat de bibliothèque, toujours le nez fourré dans les BD et les mangas. Un univers qui fait partie intégrante de ma vie. » Mais ce qui rend le parcours de Paul Cabon atypique, c’est aussi et surtout qu’il a souhaité depuis la fin de ses études se tourner uniquement vers 18
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l’animation pour adulte. Un créneau qui, de son propre aveu, « n’existe pratiquement pas en France. Les rares films qui ne sont pas destinés à un jeune public et qui trouvent un distributeur délivrent un message social : Les Hirondelles de Kaboul, Funan… » Pas du tout le créneau de ce féru de SF et de fantastique, dont les trois courts métrages professionnels réalisés jusqu’ici (Tempête sur Anorak en 2014, primé au festival de Sundance, Le Futur sera chauve, nommé aux César 2018 et La Tête dans les orties, pour une deuxième nomination aux César cette année) balancent entre des univers tantôt oniriques, tantôt carrément déglingos. « J’aime l’animation pour son pouvoir d’évocation : il permet d’inventer tous les possibles et de voyager vers l’infini, pas forcément d’avoir une morale… » En pionnier, bien décidé à ce que « l’animation sorte de la case du mercredi après-midi », il travaille actuellement à l’écriture de son premier long métrage.
Contrairement à ce que son nom indique (uh uh), Pauline Parigot est Bretonne, née à Rennes en 1992 et prédestinée pour faire carrière dans le monde du spectacle. « Mon grandpère Guy Parigot était lui-même un comédien et un metteur en scène de renom (cofondateur du Théâtre national de Bretagne en 1989 et professeur au conservatoire de Rennes pendant quatorze ans, il est décédé en 2007, ndlr). C’est évident qu’il a beaucoup compté dans mes choix artistiques. À 16 ans, j’avais déjà dans l’idée de m’orienter vers le cinéma : une décision prise à la découverte des films de La Nouvelle Vague, de Maurice Pialat et de John Cassavetes qui restent, encore aujourd’hui, des références personnelles… » Pauline est révélée à 20 ans dès son premier rôle dans le remarqué film Les Lendemains de Bénédicte Pagnot, où elle campe une étudiante rennaise au militantisme radical. Un rôle de composition pour la jeune fille sage et appliquée, passée par le conservatoire de théâtre et une école de formation du métier d’acteur à Cannes (l’ERACM). « Contrairement à ce qu’on peut parfois penser, c’est un métier qui s’apprend, même s’il est artistique. Je dis souvent que la réussite tient dans le triptyque "travail, talent et chance". Le troisième critère est indispensable et malheureusement c’est le plus injuste : beaucoup de très bons comédiens restent sur la touche juste parce que la pièce ne tombe pas du bon côté. »
Alice Barbosa
LE CASTING 2021
Ce qui ne semble pas être le cas pour elle : présélectionnée deux fois pour le César du meilleur espoir féminin (en 2014 pour Les Lendemains et cette année pour Frères d’arme, du Rennais Sylvain Labrosse, lire son portrait page 22), Pauline Parigot était à l’affiche en 2017 de Sage Femme au côté de Catherine Deneuve et Olivier Gourmet (méga classe). Après quelques apparitions télé (notamment dans la saison 2 des Revenants sur Canal+), elle tourne actuellement au Maroc pour Les Sentinelles, prometteuse minisérie consacrée à l’opération Barkhane des troupes militaires françaises au Sahel. « J’y joue le rôle d’une lieutenante prise dans un guetapens de soldats djihadistes. » Les sept épisodes de 52 minutes, réalisés par Jean-Philippe Amar (Engrenages, Un Village français…), seront diffusés sur OCS à partir de janvier 2022. 19
DOSSIER
DELPHINE DELOGET
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De tous les talents émergents du cinéma breton, Delphine Deloget possède sans nul doute le plus beau CV. Avec, jusqu’à très récemment, une spécialité : le film documentaire. En 18 années d’expérience, la Paimpolaise de 46 ans a signé une dizaine de docus, tous primés et tous diffusés à la télé. « Cela a commencé en 2003 avec Qui se souvient de Minik, le fruit d’un voyage au Groenland. Dans la foulée, je suis partie quatre mois en Mongolie à la recherche des derniers chanteurs diphoniques des steppes. C’était culotté mais c’est comme ça qu’on se lance dans le métier : en quittant son bureau et en partant à l’aventure. » Les premières années, Delphine travaille en parallèle comme monteuse et cadreuse pour la télévision (« à Eurosport notamment en régie de matchs de basket et de baseball ! »). Du boulot alimentaire pour avoir l’intermittence et économiser assez pour repartir sur les routes. « J’ai aussi installé à mes frais chez moi un banc de montage pour être autonome. Le film docu, c’est beaucoup de DIY. » En 2015, c’est la consécra-
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tion avec l’obtention du prestigieux prix Albert Londres pour Voyage en barbarie, plongée de 72 minutes dans le Sinaï égyptien au plus près de réfugiés érythréens kidnappés et torturés. « Un reportage coup de poing empreint cependant de pudeur et de dignité », salue le jury. Si elle admet que cette reconnaissance lui a « ouvert des portes », l’intéressée a le triomphe modeste. « C’est un milieu trop précaire et fragile pour se reposer sur ses lauriers. Il faut persévérer, toujours. » Car l’année 2021 s’avère déterminante pour celle qui s’apprête cet été à tourner son premier long métrage de fiction : Rodéo. « Un tournage à Brest où se passe également l’action du film. L’histoire d’une femme qui, suite à un accident domestique dont est victime son fils, sombre. » Un drame social dont elle signe également le scénario. « C’est une autre forme d’aventure. Le docu et la fiction sont deux mondes différents. Cette fois, je dois apprendre à m’entourer, à déléguer aussi. Ce n’est pas non plus du tout les mêmes modèles économiques. »
VINCENT C’est à 14 ans que « l’envie de faire des films » est née chez Vincent Le Port. Vingt-et-un ans et un diplôme à la FEMIS (la prestigieuse école de cinéma parisienne) plus tard, il attend avec impatience d’officialiser la sortie de son tout premier long métrage : Bruno Reidal. L’histoire (inspirée d’un véritable fait-divers) d’un jeune séminariste de 17 ans arrêté en 1905 dans le Cantal pour le meurtre d’un enfant de cinq ans son cadet et qui lutta toute sa vie contre ses pulsions meurtrières. « Le film est prêt depuis l’été dernier, il a un diffuseur (Capricci Films, ndlr) et a bénéficié de pas mal de financements, dont Arte et Ciné+, ce qui lui garantit en plus une deuxième vie assurée sur le petit écran. Reste à espérer une sortie en salle bientôt, possiblement en septembre… » Difficile d’y voir clair pour lui comme pour ses confrères avec ce calendrier complètement chamboulé depuis la réouverture des cinés. « C’est l’embouteillage, rien n’est sûr. Ce que je sais c’est que je ne suis plus à quelques semaines près ! »
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LE PORT Pour ce drame historique, le jeune réalisateur rennais a pu bénéficier de 1,5 millions d’euros de budget. « Pour moi qui n’avais obtenu que des financements moindres pour mes précédents projets, c’est un gros bond en avant, même si ça reste très modeste (la moyenne française est de 4,4 millions d’euros, ndlr). » Impatient, Vincent Le Port l’est forcément, même si l’excitation s’est un peu émoussée avec l’attente. « Le cinéma, c’est l’école de la patience. J’ai commencé l’écriture en 2016, ce qui devrait donner un processus de cinq ans au total. Même s’il y a eu les conditions particulières liées au Covid, c’est long... » Pour patienter, le cofondateur du collectif d’auteursréalisateurs Stank a tourné il y a quelques mois un film expérimental de 7 minutes (La marche de Paris à Brest qui, comme son nom l’indique, est le fruit d’une rando réalisée entre son domicile parisien et sa Bretagne natale) et travaille actuellement sur d’autres projets, parmi lesquelles une nouvelle adaptation historique et une comédie contemporaine. 21
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MARIE LE FLOC’H Le prestige de l’Olympia de Paris, les blagues plus ou moins inspirées de la maîtresse de cérémonie Marine Foïs, le show ensanglanté de Corinne Masiero, le triomphe d’Albert Dupontel avec Adieu les cons : Marie Le Floc’h a connu les honneurs de l’invitation à participer à la 46e cérémonie des César organisée le 12 mars dernier. Je serai parmi les amandiers, son film de 21 minutes, figurait parmi la sélection des meilleurs courts métrages de l’année. S’il n’a finalement pas été lauréat, il a au moins eu le mérite de mettre en lumière le travail de Marie Le Floc’h, réalisatrice de 32 ans, qui n’a pas choisi le port de pêche de Lorient par hasard comme lieu de tournage pour ce drame sur un couple de migrants en plein questionnement identitaire (le pitch : Maysan et son mari Iyad, qui travaillent tous les deux dans une usine de transformation de pois-
sons, apprennent que leur situation administrative et celle de leur fille Nour est en passe d’être régularisée, mettant fin à leur exil syrien, mais le couple est en cours de séparation…). « J’ai grandi à Paris mais mes origines sont bretonnes par mon père. J’ai moi-même travaillé dans une pêcherie similaire à celle du film, sur le port de Keroman, pour m’imprégner de l’ambiance et la retranscrire avec le plus de réalisme possible », explique la jeune femme qui habite Bruxelles depuis qu’elle y a passé ses études de ciné (diplômée de l’Institut des arts de diffusion). Je serai parmi les amandiers est le troisième court métrage de Marie Le Floc’h et révèle un cinéma d’une grande sensibilité. « Mes inspirations principales sont à trouver du côté du cinéma iranien : Jafar Panahi, Abbas Kiarostami… » Sa présence aux César a été « une vraie belle surprise » et « un coup de boost » pour la suite de sa car-
rière, avec le projet d’un premier long métrage actuellement en cours d’écriture et dont elle ne peut encore rien révéler de l’histoire. « Passer du court au long est assez vertigineux, les défis sont nombreux : trouver des financements, un distributeur, une équipe de tournage… Je vais déjà
SYLVAIN LABROSSE
Bertrand Desprez
Comme son confrère Vincent Le Port, Sylvain Labrosse est dans l’attente. La sienne est même plus longue encore puisqu’il devrait s’écouler près de deux ans et demi entre l’avant-première de son premier long métrage Frères d’arme (à domicile à l’occasion du festival Travelling de Rennes en février 2019) et sa sortie en salle décalée par deux fois et finalement programmée le 14 juillet cet été ! « Il devait initialement sortir le 20 mai 2020, puis le 23 décembre. Chaque fois, un confinement l’en a empêché. On espère vraiment que 22
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ce nouveau report est le dernier », récapitule le réalisateur de 59 ans, installé à Rennes depuis 18 ans. Autodidacte, il a connu tous les métiers du cinéma, avant de finalement passer derrière la caméra. Frères d’arme est un film de débrouille (« Je devais obtenir 2 millions de budget, j’ai pu compter sur seulement un quart de ce financement initial »), mais un film dont il est « fier ». Parce qu’il n’a pas lâché son envie initiale de le voir sortir en salle alors que son distributeur, face au contexte, lui proposait l’an dernier d’envisager une diffusion TV. Parce qu’il a convaincu
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m’appliquer sur cette première phase très importante du scénario. » Pour ce faire, elle a été invitée en résidence pour participer aux ateliers d’écriture organisés par Le Groupe Ouest, la structure de création cinématographique basée à Plounéour-Trez dans le Finistère.
deux valeurs sûres du cinéma français, Vincent Rottiers et Kévin Azaïs, de jouer les rôles principaux de cette tragédie tournée en partie à Brest. Fier aussi que la troisième actrice à l’affiche, la prometteuse Pauline Parigot (lire page 19), soit présélectionnée pour l’occasion dans la catégorie espoirs féminins des César 2021. « Le chemin est semé d’embûches et la date prévue de sortie – cet été en plein festival de Cannes – est un vrai pari mais j’ai envie d’y croire. Qu’enfin les gens puissent le voir est une libération. Presque un soulagement ! » Régis Delanoë 23
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Une charpente en forme de bateau, des lustres en verre gravé, de belles tapisseries… Dire le contraire serait mentir : les nouvelles salles du cinéma La Salamandre ont de la gueule. Après plusieurs décennies passées en périphérie de Morlaix, l’établissement art et essai déménage en centre-ville, dans l’ancienne Manufacture des tabacs qui abrite aujourd’hui le SEW, ce nouveau pôle culturel réunissant Wart, le théâtre de l’Entresort et donc La Salamandre. Le cinéma passe ainsi d’une salle unique de 145 places à désormais trois salles de 150, 100 et 50 places. Trois nouveaux bébés à l’esthétique soignée. « On ne construit pas un cinéma tous les ans, alors autant qu’il soit beau et qu’il ait un look unique, justifie Véronique L’Allain, sa directrice. L’architecte avait carte blanche. La seule chose que je ne voulais pas, c’était une grande boîte noire, comme on en voit trop souvent. Aller au cinéma doit être une expérience totale : on y vient pour le film bien sûr, mais aussi pour sa localisation, 24
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LES SALLES DE CINÉ ONT-ELLES (ENFIN) FINI
son bâtiment, son ambiance… » À l’origine de ces salles, le cabinet Construire qui a piloté la réalisation du SEW. « En tout, cela représente 5000 m2. Si sur la majeure partie de cette surface, nous avons laissé apparentes les traces du passé ouvrier du lieu, la réflexion était tout autre avec le cinéma, explique l’architecte Loïc Julienne. Il s’agit de pièces indépendantes qu’on a voulu transformer en mondes merveilleux. On s’imagine qu’il s’agit de trois bateaux dont on aurait retourné la coque, avant de les habiller de leur propre univers : la salle bleue est inspirée de Moby Dick, la rouge de Vingt Mille Lieues sous les mers et la verte des aventures du commandant Cousteau. Cela permet de raconter une histoire avant le début du film. » Une esthétique qui tranche avec de nombreux cinémas (les multiplexes pour ne pas les citer) qui, il faut l’avouer, sont le plus souvent impersonnels et standardisés, réduits à de simples fonctions techniques. À l’opposé des salles du début du
20e siècle au style art déco. À l’image des arabesques sur la façade du Celtic à Brest qui, depuis 1933, sont toujours là. « Le cinéma a été rénové à plusieurs reprises, notamment l’intérieur des salles où il faut toujours être à la pointe du confort et de la technologie, mais il n’a jamais été question de modifier l’architecture extérieure. Cette façade atypique fait partie de l’identité du Celtic », justifie Nadine Cornette, la directrice adjointe.
« Coller à l’identité du cinéma »
Un héritage architectural auquel tient également de nombreux petits cinémas associatifs et municipaux qui essaiment la région. Comme Le Beaumanoir à Josselin. Un établissement au look gothique érigé en 1939 et « inspiré d’une ancienne maison à arcades du centre-ville », fait savoir Hervé Guyot, bénévole depuis 45 ans. Jusqu’à présent connu pour ses colonnes néoclassiques sur sa devanture, le cinéma Arvor à Rennes change radicalement d’esthétique en déménagement dans le quartier de la gare.
Pascal Léopold
D’ÊTRE MOCHES ?
Il s’est installé dans “Identity One”, un immeuble au look ultramoderne, orné d’une façade en aluminium aux motifs géométriques. Pas de quoi déstabiliser Mickaël Tanguy, architecte mandataire de l’aménagement intérieur. « J’ai voulu une dichotomie entre un extérieur très high-tech et un intérieur volontairement minimaliste et bricolé. C’est pour cette raison que je suis parti sur des matériaux bruts : du béton, du contreplaqué… Certaines gaines sont toujours apparentes. Ça remet de l’humain et permet de coller à l’identité du cinéma. » Un renouvellement du parc qui, selon Erwan Escoubet de la Fédération nationale des cinémas français, est primordiale. « Depuis le milieu des années 1990, on observe une modernisation constante des équipements, ainsi qu’une augmentation du nombre de salles qui, aujourd’hui, se situe à 2045. Ce dynamisme permet d’expliquer les bons scores nationaux de fréquentation, supérieurs à ceux des autres pays européens : un Français va en moyenne 3,2 fois au cinéma par an. En Italie, c’est 1,5 fois. En Allemagne, 1,3 fois. » J.M 25
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LA FOLLE HISTOIRE DU RAMBO BRETON
IL Y A DIX ANS ÉTAIT TOURNÉ EN CENTRE-BRETAGNE « L’ÉCHANGE », UN OVNI CENSÉ PROPULSER LA CARRIÈRE DE SON ACTEUR PRINCIPAL. SAUF QUE RIEN NE S’EST PASSÉ COMME PRÉVU ET L’ÉPHÉMÈRE STAR EST AUJOURD’HUI PORTÉE DISPARUE.
anrivain, son enclos paroissial, son ossuaire du 15e siècle (assez dingo, on recommande), sa forêt, son lac, son manoir et ses 450 habitants, moitié moins qu’il y a 50 ans. Parmi eux, Jérôme et Virginie, tenanciers du seul commerce de la petite commune en souffrance. Installés dans la cuisine de leur bar-resto autour d’un café en ce début d’après-midi, les restaurateurs soufflent sur leurs tasses. « Ici tu sais, il ne se passe pas grand-chose… La vie passe au 26
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ralenti, alors quand un truc sort de l’ordinaire c’est l’événement. » Comme il y a dix ans, lorsque le village costarmoricain a été secoué pendant un mois par les pétarades du tournage de L’Échange. À l’évocation du film, le visage de Jérôme s’illumine. « C’était extraordinaire. Enfin de l’action, chez nous ! » Virginie sa compagne, par ailleurs correspondante de presse pour Ouest-France, abonde : « J’avais écrit pas mal de papiers sur le sujet à l’époque, Lanrivain faisait les gros titres de la presse.
Rien que pour ça on peut remercier Jacques : il a amené de l’animation. Un sacré foutoir, même ! » Jacques, c’est Jacques Stival, un gars du coin. Agriculteur de métier, comme beaucoup ici. Sauf qu’il n’est pas vraiment comme tout le monde, le Jacques. « C’est un vrai phénomène, glousse Virginie. Dieu sait pourquoi mais il s’est rêvé en star alors il a eu l’idée un peu folle de monter un film à sa sauce, chez lui. En se donnant bien sûr le premier rôle ! » Le pitch de son film,
Mickaël Mongin
le voici : un groupe de terroristes au service d’une mystérieuse organisation russe kidnappe le fils de la ministre de la Défense dans sa salle de classe, un rapt organisé dans le but d’obtenir un dossier contenant le concept d’une nouvelle arme redoutable. En clair, un mauvais scénario de série Z d’action. Dans cette version cheap de James Bond, le héros providentiel n’est pas un agent 007 mais… exploitant agricole. Parfaitement. Un dénommé Jack (sic) – joué par Jacques Stival vous l’aurez deviné –, ancien des services secrets reconverti dans la culture du maïs, que la ministre éplorée vient chercher en hélico en plein ensilage (véridique) pour sauver son fils. Sans trop déflorer l’intrigue (assez mince), on apprend vite que Benjamin, le gamin enlevé, est aussi le fils de Jack. Car Jack et la ministre se sont connus intimement par le passé. Après tout, pourquoi pas. Par devoir mais surtout par amour des gros flingues et des EXPLOSIOOOOONS, Jack finit donc par accepter la mission et s’en va défourailler du Ruskov pour sauver l’héritier. « Franchement 27
Mickaël Mongin
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« Il disait connaître Stallone
et Sharon Stone... » le scénario n’est pas bon mais distoi que c’était pire encore dans sa version initiale, avoue en se marrant Mickaël Mongin, le réalisateur du nanar. Stival nous avait pondu un texte de quelques pages, très premier degré, avec de quoi tenir même pas vingt minutes. On a fait comme on a pu pour le gonfler de manière à ce que ça fasse un long métrage comme c’était prévu. » Rembobinage dix ans en arrière. Été 2011, Mickaël Mongin, cinéaste débutant originaire d’Aix-enProvence, se voit contacter par le fameux Jacques Stival qui lui parle de son projet de tourner un ambitieux film d’action. « Une histoire façon Rambo mais en Bretagne, la suite d’un premier court métrage qui s’appelait Le Missionnaire et dans lequel il jouait déjà une sorte de justicier à gros muscles. Un petit film amateur auquel j’avais participé comme assistant-cam’. Il faut croire que Jacques avait apprécié mon travail pour me solliciter de nouveau. J’avais 26 ans, je me suis dit que c’était 28
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une putain d’opportunité à saisir. » Pour s’entourer, Mongin sollicite des connaissances du milieu, membres d’un forum de vidéastes amateurs, tous inexpérimentés. « À la base, c’est une communauté Internet de passionnés de cinéma, la vingtaine, un peu geek. Mickaël nous parle de ce projet qui lui a été confié et voilà comment je débarque en Bretagne », raconte Thomas Duphil, embauché comme assistant effets spéciaux. Cadreur du film, Guillaume Pierret se souvient : « Ce tournage a été une grosse colonie de vacances. On ne posait pas trop de questions sur Jacques qui avait ce curieux double rôle de producteur et acteur principal. Pour nous, c’était surtout un passionné juste un peu plus âgé et avec un peu de thunes à dépenser. » Bien vite cependant, la petite bande comprend que le dénommé Jacques Stival est un drôle de coco. « Déjà, il ne s’appelle pas Jacques Stival mais Jacky Bouédo. Stival, c’est un nom d’emprunt pour faire l’acteur », corrigent Jérôme et Virginie, dont
le resto sert de cantine à l’équipe à l’automne 2011. S’il est bien agriculteur de profession, difficile de démêler le vrai de la légende qu’il s’est construit pour se faire mousser. Des articles d’époque parlent ainsi de lui comme d’un miraculé ayant survécu à pas moins de 28 opérations du cœur dans son enfance, d’un bodybuilder multi-médaillé, mais aussi d’un recordman du monde de labour (50 heures d’affilée à tracer des sillons dans un champ, oui ce genre de concours existe) et d’un entrepreneur ayant un temps monté des exploitations agricoles en Afrique. « Le coup de la chirurgie cardiaque, j’ai envie d’y croire car il a bien de grosses cicatrices au niveau du torse. Pour le reste… Impossible de savoir avec Stival ! », peine à décrypter Mickaël Mongin, qui a surtout bien galéré à financer le film qui lui avait été confié. « Stival parlait dans la presse d’un budget de 4 millions d’euros mais c’est du gros délire. Si j’ai bien calculé, ça a coûté 80 000 euros grand max, essentiellement en défraiement et location de matos. Et encore, il a fallu réclamer. L’argent était une question un peu taboue, de ce que j’en sais Stival payait de sa poche et tapait à droite à gauche. Il disait qu’il y avait des financiers derrière mais c’était du mytho, comme toujours. » Guillaume Pierret ajoute : « Perso j’ai touché 1 000 euros, dont 500 en cash, pour un mois de tournage. Mais c’est vrai que c’était très difficile de composer avec un gars qui racontait tout et surtout n’importe quoi. Un jour il disait connaître Stallone, un autre c’était Van Damme, le lendemain il était en contact avec Sharon Stone… » Yves-René Bonjour, comédien guingampais recruté sur
casting (« J’avais fait de la figuration pour Les Cordier juge et flic, ça a dû jouer en ma faveur »), confirme : « Il parlait aussi d’un caméo qu’allait faire Depardieu, puis Belmondo et même Yves Montand (mort en 1991, ndlr) ! C’était un entubeur de première, il a carotté tout le monde avec son film qui allait soi-disant tout casser au box-office. Et puis, faut voir ses talents d’acteur… Il jouait comme un cochon. Mais au moins, on a pris du bon temps et j’ai fini par toucher mes 120 euros pour trois jours de tournage. »
l’un des méchants Russes. « On a fait bloc autour de Mickaël qui a porté le film à bout de bras, salue Thomas Duphil aux effets spéciaux. On dormait dans un gîte pas loin, c’était chouette. Et tous les soirs on se retrouvait à manger chez Jérôme et Virginie. » Par manque d’acteurs disponibles, Jérôme est même sollicité à l’arrache pour jouer son propre rôle dans une scène tournée au resto. « On voyait que ces jeunes s’amusaient bien à faire leur film, c’était un jeu pour eux », se rappelle avec tendresse le barman-cuistot. Pendant trente jours, le tournage s’enchaîne « Jouer du biceps » dans le bourg de Lanrivain, mais Pour ce qui est de la rigolade, toute aussi dans une forêt voisine, sur la bande est unanime. « C’était une le site d’une ancienne imprimerie ambiance de copains, façon film de désaffectée ainsi qu’à la mairie de fin d’études, très cool », se remémore Guingamp reconvertie en ministère Stephen Scardicchio, qui joue Igor, de la Défense.
Clou du spectacle, un hélicoptère est loué pour quelques scènes d’action, dont la plus épique : Stival sautant dans la benne d’un camion en mouvement. « Tout ce qui pouvait lui permettre de se mettre en avant lui convenait. Ce qu’il voulait, c’était jouer du biceps. Il avait aussi des vraies armes avec lesquelles il tirait à blanc, ça avait l’air de le défouler. Pour le reste bizarrement il s’est assez vite désintéressé du tournage », indique Damien Leconte, acteur jouant le rôle de Jo, le garde du corps de la ministre et le bras droit de Jack. « Quand on le convoquait à 8 h du matin il se pointait à 11 h sans connaître son texte… Il était comme ailleurs. On s’est rendu compte que c’était moins un passionné de ciné qu’on ne pensait », confirme Mickaël Mongin.
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« Binious et mitraillettes : faut imaginer l’ambiance » Le tournage achevé, tout le monde quitte Lanrivain, au grand dam de Jérôme et Virginie qui auraient bien vu la fête continuer. « Entre les sandwichs du midi et les repas du soir pour une dizaine de convives, ça nous a fait gagner un an de compta. Même s’il a fallu lui réclamer, Jacques a fini par nous payer. » Bénévolement par contre, Mickaël Mongin se tape l’intégralité du montage du film. Cinq mois de travail de post-production pour rien ou presque, car le film ne trouvera pas de distributeur. Seules quelques avant-premières sont effectuées dans les cinémas du coin (Carhaix, Guingamp...) et surtout à Paris, où Stival parvient à organiser une projection au prestigieux Gaumont Opéra le 24 janvier 2013. « Un moment légendaire, se gondole Guillaume Pierret. Il nous a fait un délire narcissique en débarquant en Ferrari rouge dans un costard trop petit pour lui. » « C’était mon costard !, intervient Yves-René Bonjour. Un Yves-Saint-Laurent que je lui avais prêté au moment du casting et qu’il ne m’a jamais rendu, le salopard ! » Damien Leconte a un fourire en revoyant Stival « fier comme un pape, comme un enfant dans un JouéClub ». Quelques vedettes ont même répondu à l’invitation pour jouer les pique-assiettes, parmi lesquelles Cindy de Secret Story, Gérald Dahan, Benjamin Castaldi, Daniel Prévost, Laury Thilleman… Du lourd. « Il y avait aussi Bernard Menez qui m’a pris pour un vrai Russe, il pensait que je ne parlais pas français ! », rigole Stephen Scardicchio. 30
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Mais le plus fort est encore à venir : alors que dans la salle la projection s’apprête à débuter, de faux agents du GIGN cagoulés déboulent des coulisses pour simuler une prise d’otage et vont même jusqu’à tirer à blanc avec de vrais fusils. « Une idée de Jacques, évidemment, s’amusent Jérôme et Virginie, venus avec d’autres habitants de Lanrivain et des communes environnantes dans un car spécialement affrété pour l’occasion. Entre les binious et les mitraillettes, faut imaginer l’ambiance… Un truc pareil, jamais ça ne pourrait se faire aujourd’hui, c’était avant les attentats de 2015… » Passée cette épique présentation, le film en lui-même ne restera pas dans les mémoires de ceux qui l’ont vu. Même son réalisateur Mickaël Mongin reconnaît ses faiblesses. « Il souffre
de gros problèmes d’étalonnage, c’est assez faiblard comme rendu, niveau direct-to-DVD max… Je comprends qu’il n’ait pas trouvé de distributeur. »
« On est tous restés potes »
Plus indulgent avec son ami, Thomas Duphil estime le rendu final « plutôt honnête étant donné les moyens à disposition ». L’essentiel est ailleurs : depuis ce mois fou-fou-fou passé en centre-Bretagne, la fine équipe de L’Échange ne s’est jamais perdue de vue (« On est tous restés potes, c’est la belle morale de cette histoire », se félicite Stephen Scardicchio). Tous continuent d’ailleurs de travailler dans le milieu. L’an dernier, le film d’action Balle Perdue réalisé par l’ancien cadreur Guillaume Pierret a même été l’un des gros cartons de la plateforme Netflix, avec notamment Mickaël Mongin parmi l’équipe technique et de petits rôles tenus par Damien Leconte et Stephen Scardicchio… Quant à Jacques Stival, redevenu Jacky Bouédo, il a remisé
Mickaël Mongin
la Ferrari au garage et a complètement disparu de la circulation, non sans un dernier coup d’éclat en 2015 lorsque la presse people annonçait son mariage avec Natacha Amal, actrice de la série Femmes de loi dont il a divorcé quatre ans plus tard. Auparavant en 2014, il s’était également fait remarquer en écopant de trois mois de prison avec sursis et 18 850 euros d’amende pour de l’argent prêté jamais rendu malgré une reconnaissance de dettes. Des soucis financiers – encore – survenus alors qu’il s’était lancé à corps perdu dans le projet mort-né de Mercenaires, un deuxième long métrage qu’il comptait produire toujours en centre-Bretagne, avec évidemment lui-même en vedette. Malgré toute sa bonne volonté, un budget annoncé de 26 millions d’euros (!) et cette fois Salma Hayek en prétendue guest-star, pas une minute de ce film ne sera tournée. Conclusion de Mickaël Mongin : « S’il voulait faire du cinéma, il faut croire que le cinéma ne voulait pas de lui. » Régis Delanoë
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MELLIONNEC : UNE ÉGLISE, 400 HABITANTS ET... Devant son écran d’ordinateur, Lucile Coda visionne les images tournées la veille. On y voit une agricultrice, parcourant champs et chemins où elle guide son troupeau de vaches. « C’est Nathalie, une éleveuse de la commune, indique la réalisatrice de 27 ans qui depuis quatre jours l’accompagne dans son quotidien à la ferme. Dans nos échanges, la question de la transmission est souvent revenue : celle de ses parents envers elle, et aujourd’hui elle avec son fils. Je pense me concentrer sur cet axe pour mon film. » Comme Lucile, trois autres documentaristes sont présentes en cette semaine de mai à Mellionnec, au sud des Côtes d’Armor. Elles vont aller à la rencontre d’habitants de ce village pour réaliser une série de portraits. Une résidence artistique initiée par Ty Films, association spécialisée dans le cinéma documentaire qui, depuis 2007, ressuscite ce bourg de 400 âmes. « J’imagine que ta première question, ça va être : “mais qu’est-ce que vous foutez ici ?!” », attaque d’emblée Jean-Jacques Rault, 59 ans, le directeur de l’asso, avant de dérouler : « Je suis originaire du coin. Je suis un ancien paysan qui a changé de métier à l’âge de 42 ans. Je n’étais pas vraiment cinéphile, mais j’ai eu envie de devenir réalisateur. » Un cursus universitaire sur le tard et une révélation pour Jean-Jacques. « J’y ai découvert le documentaire de création. Une manière très personnelle de découvrir et de raconter le monde qui m’a tout de suite plu. Contrairement aux documentaires journalistiques, il y a là une part d’intime. » Après un premier film 32
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réalisé en 2005, le bonhomme revient donc sur ses terres avec la volonté de poursuivre sa carrière de cinéaste, mais pas que. « Avec des copains, on crée l’association Ty Films avant de lancer en 2007 le festival “Les Rencontres du film documentaire”. Une première édition qui a tout de suite bien fonctionné. C’est là qu’on s’est dit que ce serait bien de faire des choses toute l’année. » Lieu de résidence avec l’installation d’une “maison des artistes”, formations à destination des cinéastes professionnels, accueil d’étudiants en partenariat avec l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), ateliers pour le jeune public… Des actions qui depuis plus de dix ans ont contribué à dynamiser Mellionnec : la commune a arrêté de perdre des habitants, l’école maternelle et primaire a vu ses effectifs passer de 25 à 40, le fournil bio compte désormais huit boulangers (!), une librairie s’est même ouverte il y a près de trois ans…
« Faire venir du monde tout au long de l’année et attirer une nouvelle population, cela rejaillit forcément sur le bourg, se félicite le boss de l’asso qui compte aujourd’hui 11 salariés. Cela crée des synergies pour le développement du territoire. Quand des étudiants ou des réalisateurs viennent ici par exemple, il faut bien les loger. Alors, on loue des gîtes, des chambres chez l’habitant… Nous avons calculé que cela représente 1 000 nuitées par an. D’où le projet actuellement en cours de réhabiliter une auberge. » Un besoin d’hébergement qui, à partir de septembre 2022, va s’intensifier avec le lancement de Skol Doc, une école de ciné que Ty Films est en train de construire. « En plus des parcours déjà en place, on aimerait créer un diplôme de cinéma documentaire. On va essayer de décentraliser la fac, l’idée étant que tous les étudiants (entre 40 et 50) s’installent ici pendant deux ans, le temps de leur cursus », développe son directeur. De quoi renforcer la singularité de Mellionnec :
Photos : Bikini
UNE ÉCOLE DE CINÉ
quel autre bled de 400 habitants peut se vanter d’avoir une école de ciné ? « Et du coup, renréchit Jean-Jacques, la commune sera également dotée d’une salle de cinéma de 80 places puisque toutes les séances seront ouvertes au public et aux habitants. » Parmi ceux-ci, on comptera sans doute Aurélien, l’un des boulangers du village. À l’instar de Nathalie, ce garçon fait lui aussi l’objet d’un portrait qui sera diffusé lors de la prochaine édition du festival. « Ce qui m’a intéressé chez Aurélien, c’est son approche de la vie. Il la prend comme elle vient », éclaire Sabrina Daniel-Calonne qui, depuis près d’une semaine, le suit quotidiennement. Si cette réalisatrice de 39 ans a déjà réalisé deux courts métrages, ce film tourné à Mellionnec confirme son béguin pour le documentaire. « Un genre où on ne peut rien manipuler. Tu dois réussir à construire une relation de confiance avec ton sujet. C’est l’histoire d’une rencontre. Ce qui rend chaque film singulier. » Julien Marchand 33
DOSSIER
Cinémathèque de Bretagne
LE PLUS VIEUX FILM BRETON
C’est une séquence qui dure 3 minutes et 15 secondes. On y voit quatre vieux gréements, voiles au vent, qui partent au large. Sur les rochers, face à une mer agitée, deux femmes qui portent la coiffe regardent l’horizon et tricotent. Et alors que les vagues se font de plus en plus fortes, elles vont se recueillir sur une croix, en attendant le retour des marins. L’ambiance y est mélancolique, contemplative, introspective. Intitulé Au Pays des pêcheurs, ce film muet est le plus ancien conservé à la Cinémathèque de Bretagne, basée à Brest. « Il date de 1910, éclaire Hervé Le Bris, le responsable du collectage. S’il existe des images tournées en Bretagne par des opérateurs des frères Lumière en 1900 (des séquences de quelques secondes représentant une sortie d’église à Auray, l’arrivée d’un bateau à Saint-Malo et quelques exercices militaires), Au Pays des pêcheurs demeure le plus vieux en notre possession, ce qui lui donne une place particulière dans nos collections. » 34
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Un film que la Cinémathèque de Bretagne (qui comptabilise plus de 30 000 séquences) a récupéré dans les greniers du Musée de l’école rurale de Trégarvan, dans le Finistère. « On a dû envoyer la bobine aux Archives françaises du film car la pellicule était en nitrate, un matériau hautement inflammable, donc dangereux. Elles ont pu restaurer la copie, avant de nous la retourner. »
« Un mythe »
« L’une des particularités du film, c’est qu’il a été colorié au pochoir. Je dis bien colorié et non colorisé : c’est-à-dire que ce sont des ouvrières d’usine qui à l’époque, avec de simples pinceaux, ont appliqué minutieusement des couleurs sur la pellicule : le bleu pour la mer, le vert pour la terre... Sachant qu’il y a 24 images par seconde, je vous laisse faire le calcul… Un travail de bénédictin, s’enthousiasme Hervé Le Bris. Le rendu est magique : on est proche du tableau, une esthétique qui rappelle les films de Méliès. »
Si le réalisateur d’Au Pays des pêcheurs demeure inconnu, son lieu de tournage a pu être identifié (« à Penmarc’h, dans le sud-Finistère. Plus précisément au niveau du rocher du préfet »), tout comme son utilisation. « Il s’agit très certainement d’un film pédagogique. Au début du 20e siècle, il était courant de projeter aux élèves des images montrant telle ou telle région ou tel ou tel pays. Ici, les cartons (textes apparaissant dans les films muets, ndlr) sont également traduits en néerlandais, ce qui nous fait dire que la bobine a aussi été vendue à des marchés étrangers. » Un film de nature documentaire qui n’a pas empêché son réalisateur de s’essayer à quelques mises en scène. « On imagine bien qu’il a demandé à ces deux femmes de venir se poser sur les rochers. Tricoter au bord de la mer, je ne suis pas sûr qu’elles faisaient ça tous les jours. On est là dans l’image classique d’un mythe : la femme qui attend le retour du marin. » J.M
RDV
« PÉCHERESSES ET FEMMES FORTES »
ADAM ET ÈVE, SHÉHÉRAZADE, MAJNOUN ET LEILA... CES RÉCITS MYTHIQUES PERMETTENT DE COMPRENDRE LES FAÇONS D’AIMER EN ORIENT ET OCCIDENT, DÉCRYPTE ÉDITH JOSEPH, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION « AMOUR » À DAOULAS. onde chrétien et monde musulman ont toujours dialogué et se sont influencés. Une relation qui s’observe notamment par le prisme de l’amour… Les récits mythologiques et religieux permettent de lier Orient et Occident. Par ce biais, il est possible de se demander comment ces cultures ont pu se croiser pour mâtiner la relation amoureuse. Et lorsque l’on s’intéresse aux écrits, on en vient forcément à parler de la Bible, de la Torah et du Coran. C’est dans ces textes que l’on raconte pour la première fois ceux qui s’aiment, comment et qui aimer…
L’enlevement de Yamina par Abdallah Ibn Jaafar
Forcément, Adam et Ève forment le premier couple auquel on pense... Oui, car cette image de la femme pécheresse, qui doit enfanter dans la douleur pour se repentir, a régi les relations amoureuses en Occident durant des siècles. Ce qui est intéressant, c’est que tout n’est pas si manichéen : l’homme a également souffert de cette idée, de ce carcan judéo-chrétien, où l’acte amoureux était uniquement encouragé dans un but de reproduction. Ce qui n’enjoint pas au plaisir charnel. 36
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L’exposition traite ce sujet par l’art : une façon de montrer comment les artistes ont contourné ces contraintes ? Tout ce qui touche au corps a longtemps été un tabou absolu. Mais la nature humaine a toujours trouvé des subterfuges pour contrecarrer les interdits expressifs. On voit notamment aux 16e et 17e siècles des représentations de jouissance. Des tableaux et des dessins qui représentent l’extase de Sainte-Thérèse, de Saint-Antoine... Certes, il s’agit d’une extase spirituelle, mais il est intéressant de noter que les artistes se sont appropriés quelque chose de religieux pour représenter leurs envies de corps qui exultent. En Occident, les clichés sur l’amour en Orient sont tenaces… L’Occident pense avoir révolutionné l’idée de romantisme avec Roméo et Juliette, de William Shakespeare, en 1597. Mais dès le 11e siècle, le monde arabo-musulman a déjà produit des histoires semblables : Majnoun et Leila notamment, ou encore Shirin et Farhad. Sans oublier les contes des Mille et Une Nuits avec Shéhérazade qui ont influencé le romantisme occidental à partir du 17e siècle. Souvent, les Occidentaux pensent à l’amour oriental par le fantasme du harem qui est certes une réalité historique, un espace où la parole des femmes était bridée et où les unions contraintes. Mais la littérature arabe et persane regorge de personnages féminins qui refusent les codes. Citons aussi Salomé qui réclame la tête de Saint-Jean-Baptiste, Dalila qui coupe les cheveux de Samson, Cléopâtre qui affaiblit l’énamouré Marc-Antoine… Des récits mythiques de femmes fortes qui se sont invités dans l’art. Recueilli par Brice Miclet Du 4 juin au 5 décembre à l’abbaye de Daoulas 37
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BÉBÉ FOLK Tremplin de la scène française organisé par Le Printemps de Bourges, Les iNOUïS a sélectionné 33 groupes et artistes pour son édition 2021, parmi lesquels deux représentants bretons : Barbara Rivage (lire Bikini n° septembreoctobre 2020) et Elliott Armen, tout jeune folkeux de 21 ans, originaire de Saint-Malo. « Elliott est mon vrai prénom, un hommage de mon père fan de musique et qui a beaucoup contribué à mon éducation musicale. Elliott Smith a d’ailleurs été le premier artiste qu’il m’a fait écouter quand j’étais tout bébé, très précisément le morceau Waltz #2, de l’album XO. J’ai été biberonné de folk ! »
DR
LAURÉAT DES INOUÏS, LE MALOUIN ELLIOTT ARMEN FAIT FIGURE DE BELLE PROMESSE LOCALE.
Le daron doit être particulièrement fier de son rejeton aux influences “elliottsmithienne” : Sufjan Stevens, Andy Shauf ou Adrienne Lenker, la leader de Big Thief dont il voue une grande admiration. « Armen en revanche est un nom d’emprunt pour marquer mon côté breton dont je suis pas mal fier. J’ai sillonné l’Europe plus de deux ans en woofing avec mon ukulélé et ma guitare sèche mais mes inspirations principales sont à trouver chez moi sur les bords de Rance où je me suis réinstallé. »
S’il n’a pour l’instant révélé que deux prometteuses compositions (Hide your pain et Helium balloons), Elliott Armen est déjà bien entouré. En plus de l’accompagnement précieux du manager Guillaume Depagne, ancien de Universal et Pias (« l’album est prévu pour cet été si tout va bien »), il s’est attaché les services du tourneur parisien Super et est soutenu localement par La Nouvelle Vague à Saint-Malo. Belle dream team pour un projet solo. R.D Le 10 juillet à Jardin d’été à Saint-Malo
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SCOTCHANT
Trois années après L’Oiseleur, le quintet parisien Feu! Chatterton est revenu cette année avec Palais d’argile. Un troisième album, produit par Arnaud Rebotini, qui fait la part belle aux synthésiteurs rétro et vieilles machines, comme sur l’entêtant single Un Monde nouveau. En live le 14 juillet aux Vieilles Charrues à Carhaix, le 1er août au festival Au Pont du Rock à Malestroit, le 11 novembre aux RendezVous Soniques à Saint-Lô. 38
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ARTY CHAUD
ATTENTION LE TAPIS PREND FEU : ON TIENT LÀ LE NOM DE GROUPE LE PLUS IMPROBABLE DE L’ANNÉE. « C’est un délire, une private joke qui date d’une résidence musicale au cours de laquelle il y a vraiment eu je crois un départ de feu – mais tout petit, hein – sur un tapis. On cherchait un nom de groupe à ce moment-là et… paf, Attention le tapis prend feu était né. » Voilà pour le brainstorming lexical improbable de ce duo non moins improbable psycho-rigolo (ou débilorégressif, c’est selon) composé de Clara Descazals et Martin Mahieu, amoureux dans la vraie vie et complices musicaux depuis le premier confinement. Elle, originaire de Châteauroux, est étudiante aux Beaux-arts à Rennes et a monté en parallèle un projet de « théâtre d’objets musicaux » (Maison Carton). Lui, étudiant parisien en musicologie, évolue par ailleurs dans un groupe garage obscur (Dégat Déso). Un combo arty avec à peine plus d’an d’expérience mais déjà un EP et un album (Potion Vadrouille), sorti il y a quelques semaines et entièrement clipé sur fond vert et en DIY. Tout à l’arrache mais avec un état d’esprit bien jouissif. « On joue un peu comme j’aime dessiner : avec des formes rondes et des couleurs vives, analyse Clara. Sur scène on se déguise, on a des synthés à gogo et des jouets en plastique. » À la croisée des chemins entre Salut c’est cool, Hot Chip et le spectacle de Noël de ta nièce. Parce que la vie est une fête ! R.D 39
RDV
CHENAPANS ! Jusqu’au 8 mai dernier, les Mad Foxes étaient un groupe local un peu coté mais pas trop, connu seulement des initiés de la scène post-punk. Le trio nanto-angevin (Lucas le frontman et Elie le bassiste habitent à Nantes, Arnaud le batteur vient du Maineet-Loire) n’avait certainement pas le profil a priori pour être programmé dans le fameux The Tonight Show, l’émission de Jimmy Fallon. Et pourtant, l’incontournable présentateur US a bien fait la promo du deuxième album du groupe, Ashamed, sorti en avril dernier, avant que les trois petits
Yohan Gerard
DE L’ANONYMAT DE LA SCÈNE POST-PUNK NANTAISE AU SHOW DE JIMMY FALLON, L’IMPROBABLE TRAJECTOIRE DES MAD FOXES.
Français ne jouent leur titre phare, Crystal Glass, en live (ou presque : un clip réalisé à l’arrache pour l’occasion a remplacé l’enregistrement sur le plateau de l’émission). « On avait déjà eu le grand bonheur que ce morceau soit diffusé à la radio de Seattle KEXP. De ce qu’on a compris, Fallon nous a écoutés par hasard, a adoré, a shazamé et a demandé à sa production de nous contacter. Quand on a eu ce coup de fil nous indiquant que Fallon nous voulait
dans son show, on a vraiment cru à une blague ! » C’est pourtant bien réel pour ces “renards fous”, groupe voisin musicalement d’Idles, Shame et Fontaines D.C, fondé en 2016 et qui voit sa trajectoire décoller de manière inattendue. « On a été programmé dans la foulée pour une session live KEXP qui sera diffusée en août. Une reconnaissance encore plus grande que Jimmy Fallon ! » R.D Le 3 juillet à l’Échonova à Saint-Avé
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« C’ÉTAIT MIEUX APRÈS »
Rendez-vous théâtral (mais pas que), le festival Lyncéus déboule cet été pour sa 7e édition. Avec comme thème « c’était mieux après », un fil rouge que cinq dramaturges émergents (Théophile Dubus, Laurène Marx, Béatrice Bienville, Ella Benoit et Adèle Gascuel, photo) ont suivi pour leur création. Parmi celles-ci : Pour un temps sois peu, pièce sur le quotidien d’une femme trans ; Sirène et son pitch surréaliste (l’histoire d’Ariel, mi-femme micabillaud) ; ou encore le road-trip sous LCD Alors, la Forêt. À cette prog’ qui dépote, conférences, concerts et ateliers viennent compléter les réjouissances. Du 18 au 27 juin à Binic-Étables-sur-Mer. 40
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Jérôme Sevrette
À L’ABORDAGE
LE BRESTOIS ARNAUD LE GOUËFFLEC PASSE À L’ATTAQUE AVEC TROIS ACTUS À SON AGENDA. L’ORAGE Artiste multidisciplinaire, Arnaud Le Gouëfflec a sorti il y a un an L’Orage, un album qui, définit-il, « relie la chanson en français et le rock, avec des éléments de krautrock et un soupçon de black métal ». Les musiciens l’ayant accompagné (Régis Boulard, John Trap, Olivier Mellano et Thomas Poli, photo) vont poursuivre l’aventure sur scène le temps de quelques concerts. Le 2 juillet à Hydrophone à Lorient
UNDERGROUND Compilation de ses chroniques publiées avec Nicolas Moog dans La Revue Dessinée et enrichie d’une centaine de planches inédites, Underground est une BD qui « raconte la vie et l’œuvre de grandes figures de l’histoire du rock : le jazzman cosmique Sun Ra, le compositeur SDF Moondog, la déesse de la mort Nico… Notre panthéon personnel. »
PIRATE PATATE L’artiste brestois participe aussi au spectacle jeune public Pirate Patate avec notamment Delgado Jones, John Trap et Chapi Chapo. « Sur scène, on est tout un équipage et on joue la comédie pour les 4-10 ans. Je suis le second de la capitaine, j’ai le cuir épais et je parle fort ! Le spectacle mélange théâtre, musique, vidéo, dessin et jeux d’ombres. C’est un projet parti pour durer jusqu’en 2022. » Le 9 juin à La Carène à Brest 41
FOCUS
AU BISTRO AU DÉBUT DU 20E SIÈCLE, DOUARNENEZ COMPTAIT PRÈS DE 500 BARS. DES ÉTABLISSEMENTS QUI, DANS CETTE VILLE ENTIÈREMENT TOURNÉE VERS LA PÊCHE, CONSTITUAIENT PLUS QU’UN SIMPLE DÉBIT DE BOISSONS : BUREAU DE L’ÉQUIPAGE, BANQUE, SOUTIEN MORAL… UN UNIVERS DANS LEQUEL S’EST PLONGÉ KELIG-YANN COTTO, CONSERVATEUR DU PORT-MUSÉE ET AUTEUR DE L’OUVRAGE « BISTRO, L’AUTRE ABRI DU MARIN ».
« PÊCHE ET CONSERVERIE » « À Douarnenez, en 1956, il existait 267 bistros. Ce nombre grimpe jusqu’à 500 quand on remonte aux années 1920. Ce qui était énorme pour une ville qui comptait alors 20 000 habitants. Cette concentration de débits de boissons, on la retrouve dans de nombreuses sociétés maritimes, notamment en Bretagne. Mais cette spécificité est plus poussée à Douarnenez, un territoire d’un demi kilomètre carré, qui présente à cette époque une des densités de population les plus fortes d’Europe. Au début du 20e siècle, Douarnenez est une cité entièrement tournée vers la pêche et l’industrie de la conserve : 4 000 inscrits maritimes, 800 chaloupes exerçant dans la baie… Dans la plupart des familles populaires, le père était marin, la femme et la fille travaillaient à l’usine de transformation de poissons, et le fiston était mousse sur un bateau. » 42
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« LE QG DE L’ÉQUIPAGE » « Dans un tel paysage, ces bistros racontent autre chose qu’une simple histoire de boisson. Le bar remplit en effet un nombre important de fonctions liées à l’activité halieutique. Chaque équipage a son propre bistro (d’où le nombre !) qui fait office de QG. Le matin, on s’y retrouve avant d’embarquer, on s’approvisionne en ravitaillement aussi bien solide que liquide (rires). Et au retour, en fin de journée, quand on a vendu la cargaison, on s’y retrouve pour débriefer et partager la paye. Car le bistro joue aussi le rôle de banque. C’est là que les comptes sont faits et que les recettes sont conservées. Une sorte d’assurance sociale se met aussi en place avec la “caisse de secours” : une trésorerie alimentée tout au long de l’année qui, en cas de coups durs, permet de palier les années de disette. Et c’est la bistrotière qui en est la garante. »
« Sur un plan plus intime, le bistro constitue une interface terre-mer. Il est perçu comme un sas : il permet de conclure le fait d’avoir passé plusieurs heures, plusieurs jours ou plusieurs mois en mer (c’était le cas notamment pour la pêche à la langouste en Mauritanie) et de préparer le retour à terre. Dans de nombreux établissements, la bistrotière joue ce rôle d’accompagnement et “d’acclimatation” auprès de chaque marin : elle l’informe des nouvelles si jamais des choses difficiles se sont passées en son absence, elle l’avertit de problèmes que traverse sa famille… Il faut savoir que la plupart des bistros (environ 80 %) étaient tenus par des femmes, souvent des veuves de marinspêcheurs. »
Photos : DR, Port-musée de Douarnenez et Michel Cariou
« TERRE-MER »
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FOCUS
« 130 LITRES DE VIN » « Si les bistros de marins constituent un fait social majeur qui dépasse la question de la consommation d’alcool, on ne peut pas pour autant l’évacuer. Au début du 20e siècle, le Finistère est une région où on boit surtout de l’eau, du lait et un peu cidre. La consommation d’alcool est en moyenne plus élevée dans le reste de la France. Mais au sortir de la Première Guerre mondiale, la consommation de vin en Bretagne va s’accroître progressivement et durablement avec le retour des mobilisés qui ont découvert cette boisson dans les tranchées. On passe alors d’une consommation modérée à une consommation qui va aboutir à 130 litres de vin par an et par personne.
« LES BARS S’ADAPTENT » « Tout au long de la seconde moitié du 20e siècle, on va assister au déclin de ces bistros. Cela s’explique par différentes raisons. C’est indirectement lié à la diminution de l’activité pêche à Douarnenez et au développement de la pêche industrielle. Il y a de moins en moins de marins et de moins en moins d’équipages. À cela s’ajoutent différentes évolutions : l’apparition du carnet de chèques rend caduque le partage de la paye au bar, la démocratisation de la voiture fait qu’on vient chercher les marins directement au pied du bateau… Le rôle social que tient alors le bistro s’effondre. Et les bars doivent s’adapter pour survivre : ouverture le soir, diversification des boissons, pluralité de la clientèle, transformation en lieu festif… » 44
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Cette nouvelle appétence bretonne permet de trouver un débouché aux vins d’Algérie. Une production initiée par l’État à la fin du 19e siècle pour répondre à la crise du phylloxéra qu’ont traversée les vignes françaises. Quand celle-ci s’est terminée, il a fallu trouver de nouveaux marchés d’exportation. Les flux vinicoles sont alors orientés vers la Bretagne, en passant par les ports de Quimper, Lorient et Brest. Des anciens pétroliers sont transformés en pinardiers qui transportent le vin en vrac jusque dans la région, où il est mis en bouteilles. C’est bien évidemment le même vin partout, mais les marques et les étiquettes diffèrent : le Père Jos, le Roy d’Ys… »
« TOUJOURS DANS SON JUS » « Aujourd’hui, on compte une trentaine de bars à Douarnenez. Des bistros de marins, ouvriers ou populaires, il n’en reste qu’une poignée, comme Le Filmiou au Rosmeur. Si la plupart de ces établissements ont disparu, reste leur héritage dans l’architecture de la ville. Notamment leur façade particulière que l’on retrouve dans de nombreuses rues : la porte vitrée, la large fenêtre ornée d’un rideau qui permettait aux clients de scruter l’extérieur sans être vus. Il s’agissait de petits lieux, une pièce avec un comptoir, une table ou deux uniquement, quelques chaises. Une configuration typique que certains lieux ont conservée. Comme Le Baromètre, un bistro des années 1920 qui n’est plus en fonction, mais qui existe encore aujourd’hui. Il est toujours dans son jus avec ses couleurs vertes et marron. Une esthétique dont on s’est inspiré pour notre décor de l’exposition. »
Recueilli par Julien Marchand Sortie le 18 juin de l’ouvrage Bistro, l’autre abri du marin, aux éditions Locus Solus. Exposition visible au Port-musée de Douarnenez 45
@bikinimagazine @bikinimag @bikini_mag
AGENDA
DR
A. Abdessemed
Goledzinowski
D. Thébert-Filliger
RECOMMANDE
BONUS
MOLÉCULE
EXPO PINAULT
VICTOR SOLF
À Hédé-Bazouges Du 24 au 29 août
À Hydrophone à Lorient le 17 juin Au MeM à Rennes le 18 juin
Au Couvent des Jacobins à Rennes Du 12 juin au 29 août
À La Carène à Brest Le 12 juin
« Le noir et le blanc dans la collection Pinault » : tel est le thème de la deuxième expo rennaise du grand argentier, qui a par ailleurs ouvert son musée parisien à la Bourse de Commerce. 106 œuvres au total (dont Coup de tête d’Abdel Abdessemed, photo) confiées au public breton par ce grand fan d’art contemporain.
DR
Celia Gondol
Après la tragique disparition de Simon Carpentier, son binôme de Her, Victor Solf s’aventure en solo avec un premier album, le bien nommé Still. There’s hope, enregistré en plein confinement à LampaulPloudalmézeau et sorti le 30 avril. Il y est question de lumière, de solitude et de mélancolie.
DR
Le musicien électro Molécule (Romain Delahaye) invente le concert du futur. Avec son projet Acousmatic 360°, cet aventurier sonore adepte du field-recording invite aujourd’hui les spectateurs dans un voyage multisensoriel, plongés dans le noir, dans une bulle immersive de musique en 3D. Dépaysant.
Tout Reste à Faire
Concocté par l’équipe du Théâtre de Poche à Hédé, le festival Bonus revient pour une 8e édition. Avec toujours une prog’ pas piquée des hannetons : Merlin (près de six heures de spectacle !), Palm, Park, Ruins (sur l’urgence climatique, photo), Zoo (discussion avec un robot sur le rapport au numérique)… Encore, encore !
ANIMA (EX) MUSICA
EXTENSION SAUVAGE
CHASSOL
LE TOUR DE FRANCE
Aux Capucins à Brest Du 1er juin au 5 septembre
À Combourg et Bazouges Du 25 juin au 4 juillet
À La Passerelle à Saint-Brieuc Le 30 juin
Sur les routes bretonnes Du 26 au 29 juin
Attention, grosses bêbêtes ! Imaginés par le collectif rennais Tout Reste à Faire, douze insectes géants créés avec des morceaux d’anciens instruments (harmonium, piano, accordéon…) forment ici un bestiaire utopique. Des créatures animées et musicales qui donnent à voir l’invisible.
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Et de 10 pour ce festival de danse ! Un rendez-vous où paysage et chorégraphie se questionnent et se répondent. Dans des parcs, en forêt ou dans les jardins du château de La Ballue, les représentations (dont Nebula de Vania Vaneau, photo) puisent leur force in situ.
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L’inclassable pianiste protégé de Bertrand Burgalat chez Tricatel a sorti l’an dernier Ludi, son quatrième album inspiré du roman Le Jeu des perles de verre du prix Nobel Hermann Hesse. Un mécanisme ludique mêlant le documentaire et la composition.
De Brest à Fougères en passant par le Trégor et Lorient, la 108e édition de la grande boucle fait honneur à la Bretagne en démarrant par quatre étapes en région. Wouhou ! Avec David Gaudu et Wawa Barguil (photo) en têtes d’affiche locales pour chercher le jaune. Go go go !