DOSSIER
Cinémathèque de Bretagne
LE PLUS VIEUX FILM BRETON
C’est une séquence qui dure 3 minutes et 15 secondes. On y voit quatre vieux gréements, voiles au vent, qui partent au large. Sur les rochers, face à une mer agitée, deux femmes qui portent la coiffe regardent l’horizon et tricotent. Et alors que les vagues se font de plus en plus fortes, elles vont se recueillir sur une croix, en attendant le retour des marins. L’ambiance y est mélancolique, contemplative, introspective. Intitulé Au Pays des pêcheurs, ce film muet est le plus ancien conservé à la Cinémathèque de Bretagne, basée à Brest. « Il date de 1910, éclaire Hervé Le Bris, le responsable du collectage. S’il existe des images tournées en Bretagne par des opérateurs des frères Lumière en 1900 (des séquences de quelques secondes représentant une sortie d’église à Auray, l’arrivée d’un bateau à Saint-Malo et quelques exercices militaires), Au Pays des pêcheurs demeure le plus vieux en notre possession, ce qui lui donne une place particulière dans nos collections. » 34
juin-juillet-août 2021 #52
Un film que la Cinémathèque de Bretagne (qui comptabilise plus de 30 000 séquences) a récupéré dans les greniers du Musée de l’école rurale de Trégarvan, dans le Finistère. « On a dû envoyer la bobine aux Archives françaises du film car la pellicule était en nitrate, un matériau hautement inflammable, donc dangereux. Elles ont pu restaurer la copie, avant de nous la retourner. »
« Un mythe »
« L’une des particularités du film, c’est qu’il a été colorié au pochoir. Je dis bien colorié et non colorisé : c’est-à-dire que ce sont des ouvrières d’usine qui à l’époque, avec de simples pinceaux, ont appliqué minutieusement des couleurs sur la pellicule : le bleu pour la mer, le vert pour la terre... Sachant qu’il y a 24 images par seconde, je vous laisse faire le calcul… Un travail de bénédictin, s’enthousiasme Hervé Le Bris. Le rendu est magique : on est proche du tableau, une esthétique qui rappelle les films de Méliès. »
Si le réalisateur d’Au Pays des pêcheurs demeure inconnu, son lieu de tournage a pu être identifié (« à Penmarc’h, dans le sud-Finistère. Plus précisément au niveau du rocher du préfet »), tout comme son utilisation. « Il s’agit très certainement d’un film pédagogique. Au début du 20e siècle, il était courant de projeter aux élèves des images montrant telle ou telle région ou tel ou tel pays. Ici, les cartons (textes apparaissant dans les films muets, ndlr) sont également traduits en néerlandais, ce qui nous fait dire que la bobine a aussi été vendue à des marchés étrangers. » Un film de nature documentaire qui n’a pas empêché son réalisateur de s’essayer à quelques mises en scène. « On imagine bien qu’il a demandé à ces deux femmes de venir se poser sur les rochers. Tricoter au bord de la mer, je ne suis pas sûr qu’elles faisaient ça tous les jours. On est là dans l’image classique d’un mythe : la femme qui attend le retour du marin. » J.M