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ÉPOQUE
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MARY ANN BEVAN LA PIONNIÈRE OUBLIÉE
Née à la fin du XIXe siècle, cette ancienne infirmière anglaise a affronté avec courage les rires et les moqueries en faisant spectacle de son infirmité dans des “freak shows” pour assurer un avenir à ses enfants. Par Françoise-Marie Santucci À LA SOIRÉE DES OSCARS, Jada Pinkett Smith n’a pas été la première femme moquée pour son apparence. C’est même une sorte de passage obligé dans l’histoire. Au début du XXe siècle, le cas de Mary Ann Bevan en est un tragique exemple. « On recherche la femme la plus moche qui soit. Mais rien de repoussant, de mutilé ni de défiguré » : la petite annonce attire l’attention de cette infirmière londonienne. Veuve, elle doit subvenir aux besoins de ses quatre enfants en bas âge ainsi qu’aux siens. Car de travail, elle n’en a plus. Très jolie dans sa jeunesse, Mary Ann est atteinte d’acromégalie, une maladie alors incurable : la multiplication anarchique des hormones de croissance provoque de terribles souffrances et s’attaque au squelette. La mâchoire s’allonge, les mains et les pieds grossissent et se déforment. Qui voudrait d’un être pareil comme infirmière ? Contre toute attente, Mary Ann décroche la palme de la « plus moche ». À l’initiative de cet improbable concours, un intermédiaire dont le métier est de fournir aux cirques et autres « freak shows » des personnes souffrant d’infirmités physiques ou mentales, des nains savants… Le succès est énorme, notamment aux États-Unis où ces spectacles deviennent l’un des ingrédients de la culture populaire naissante. De fait, Mary Ann Bevan triomphe à Coney Island, où elle se produit des années. Les rires sont gras, la curiosité outrancière, les moqueries permanentes. Mais grâce à son salaire, elle envoie ses enfants en pension et leur assure un avenir. Elle a même assez d’argent pour envisager une retraite tranquille. Mais Mary Ann s’enfonce dans l’alcool et finit par remonter sur scène. Sa mort survient en 1933, avant ses 60 ans. Seule.
L’infirmière devenue bête de foire, en 1919.
La mode est politique*, une affirmation qui n’a pas toujours été une évidence. La journaliste Mélody Thomas, qui analyse d’un point de vue sociétal la mode pour notre site, a conçu un lexiqu e inclusif, très instructif, à l’usage des femmes qui, comme elle, « ont appris à se définir sans jamais se voir
représentées ». En décryptant vingt-sept mots – âgisme, body positive, handies, Kim Kardashian… –, elle pointe du doigt, non sans humour, « tous les moments où la mode a été plus un carcan qu’un objet de libération », ainsi que les enjeux d’une industrie bousculée par de nouvelles mutations. « La mode a com-
mencé à changer les règles de son jeu, les nouvelles générations défendent une représentation plus juste de la société, avec tous types de corps, de genre, d’identités. La majorité des jeunes marques qui se lancent aujourd’hui portent ces ques tions dans leur ADN. » Catherine Durand (*) Éd. Hachette.
GETTY IMAGES. PRESSE.
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