Problématique
Des architectes dépossédés ? Dans l’ouvrage Profession d’architecte, il est remis en avant par citation à l’article 2 du Code déontologie des architectes la vocation de l’architecte (à) participer à tout ce qui concerne l’acte de bâtir14. Cependant, le sentiment de dépossession de cet acte est présent dans les jeunes générations d’architectes et leur volonté de faire questionnent les mutations de la profession. En effet, l’opposition évoquée précédemment entre intellectuel et manuel est au cœur des origines de ce ressenti, et il ne se limite pas à notre profession mais s’étend à l’évolution sociétale des dernières générations, comme l’exposent Philippe Bihouix et Thibault Faucon, ingénieurs et invités de l’émission De cause à effets15 sur le Low-tech16. Eugénie Baillet développe dans son mémoire, en s’appuyant sur l’œuvre de Richard Sennett, un comparatif entre la nécessité du synchronisme de l’action et de la réflexion chez l’artisan avec celle de la souffrance de l’être quand la tête et la main sont dissociées suivant le modèle de distinction science/technique17. La souffrance qu’évoque Eugénie Baillet peut être attribuée avec précaution à la catégorie d’architectes qui expriment cette dépossession. Alphonse Sarthout, membre fondateur de l’agence Cigüe à Paris, agence hybride composée d’une structure d’architecture et d’un atelier où exerce leur entreprise de menuiserie, explique dans une conférence durant la FIAC 2018 au sein de l’école nomade conçue par Jean Prouvé, le rapport qu’entretenait Jean Prouvé avec l’atelier et la technique, qui pour lui, était la vérité autant que poétique18. Il explique que le jour où Jean Prouvé a dû laisser son atelier pour revenir à une pratique plus ‘traditionnelle’ de l’agence d’architecture où l’on dessine (son projet) sur un bout de papier, que l’on envoie à une entreprise qui le chiffre, c’est là que commence la dépossession de la fabrication de la conception19, non dans le sens que ce processus appartienne uniquement à l’architecte mais que la scission physique entre le dessin et la construction ne génère pas un dialogue constructif et immédiat (ou presque). Eugénie Baillet, en s’intéressant au sentiment de dépossession éprouvé par certains architectes contemporains, explique l’émergence de néo-artisans. Ces « néo » sont en quête d’un retour de sens, d’utilité, de savoir ou encore de faire dans leur travail. Cependant, elle met en garde l’émergence d’une autre dépossession, comme l’évoque son titre ‘gentrification d’une profession’, celle des artisans.
b. Une quête de sens généralisée de la pratique L’identité d’une profession : reflet d’une recherche sociétale A la lecture des premières pages de « l ‘incontournable » Profession d’architecte20, il existe un sentiment de manque identitaire généralisé à la profession, en particulier chez les jeunes architectes. Ce constat s’inscrit dans une macro échelle générationnelle : de nombreux écrits sur les thématiques du sens au travail émergent depuis plusieurs années. Sans faire une liste exhaustive, nous pouvons citer l’œuvre de Mathew B.Crawford à l’intitulé explicite Eloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, et autres écrits, émissions radiophoniques, podcasts sur le travail et son sens se multiplient. Ils reflètent une quête sociétale qui englobe au passage la profession d’architecte. Les réflexions et les témoignages se rejoignent tous autour de la remise en question d’une forme de travail actuelle dépourvue de ‘sens’ et où, considérant l’évolution incessante de la société et les mutations importantes à venir, la problématique centrale est d’y trouver sa place et de savoir quoi faire et comment. La multiplication de jeunes agences d’architecture « alternatives » illustre cette recherche de forme de pratiquer et de se structurer au sein de la profession.
Le sens et l’utilité publique Caroline Klein est co-gérante de l’agence Gris Bois, avec Guillaume Colinmaire. Leur agence regroupe deux structures, une d’architecture et une entreprise de menuiserie. Ils ont choisi de travailler le bois, local des forêts Chesneau, Isabelle et al., 2021, Profession architecte, 2ème éd, Paris : Ed. Eyrolles, p.19 Luneau, A, Op.cit. 16 Ibid. 17 Baillet E., Op cit., p.22 18 Sarthout, A., Op.cit 19 Ibid. 20 Chesneau I. (2021), Op.cit. 14 15
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