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BOOKS

DEUX PETITES BOURGEOISES de Colombe Schneck - Entre amertume et belles espérances Journaliste radio et romancière, Colombe Schneck livre avec Deux petites bourgeoises la chronique d’une amitié féminine au cœur de la bourgeoisie parisienne. Ce treizième roman, traité sur un rythme calendaire et effréné, explore avec une touche d’ironie et une pointe d’amertume les lumières et les ombres, celles d’un milieu, celles d’une amitié indéfectible même au-delà d’une mort imprononçable.

TEXTE : JEAN-JACQUES VALES, LIBRAIRIE ALINEA

N°225

se confronteront ensemble aux désillusions, aux « plafonds de verre » de leur milieu, à la maladie qui touche Héloïse, à l’annonce de sa mort inéluctable.

Éditions Stock

L’une des singularités de ce roman tient dans ses cinq premières pages. Une innocente mais poignante scène autour de profiteroles ©Patrice Normand dans une brasserie près du Luxembourg – qui condense, avec une concision et une intensité rarement croisée à l’entame d’un récit, les parcours d’Héloïse et Esther, les déceptions abyssales, les espoirs forcenés, et la folle envie d’aimer encore, quand bien même la maladie étend son emprise. Même si la mort cueille Héloïse au seuil de la narration, l’auteur vient ainsi la conjurer. L’essentiel de ce bref roman se déroule dans un périmètre qui à lui seul définit le territoire d’une certaine bourgeoisie parisienne, entre la rue d’Assas, le boulevard Saint-Michel et l’École alsacienne, établissement qui attirait dans les années 70 la jeunesse de ce milieu. Esther, la narratrice, et Héloïse son amie s’y sont rencontrées en sixième. Issues, pour l’une, d’une vieille famille catholique libérale, pour l’autre, d’une lignée juive ashkénaze décimée par l’Holocauste, elles feront chemin parallèle, connaîtront ensemble leurs premières sorties, premiers amours, chemineront dans leurs études et leurs vies professionnelles, épouseront des hommes aussi brillants qu’elles, auront des enfants, divorceront, aimeront encore,

64 | JUILLET / AOÛT 2021

Cela pourrait sembler une étude de mœurs, année après année : les deux jeunes filles sont élevées selon les critères propres à leur rang – enserrée dans les traditions familiales pour Héloïse, plus libérales pour Esther – et éduquées telles que leur classe l’exige, vêtues comme il le faut : certains passages sonnent comme une litanie enivrante de marques qu’il faut porter, de comportements qu’il faut adopter pour cocher les cases (ou afficher une rébellion convenue). Leurs vacances et leurs loisirs même sont marqués par les contingences de leur milieu, que Colombe Schneck décrit sans en être dupe. On voit apparaître à deux reprises, comme témoin extérieur, le personnage fantasmé d’une enquêtrice « observatrice affûtée, à qui l’on aurait commandé une peinture sociale de la bourgeoisie parisienne dans les années soixante-dix qui aurait été placée en situation simultanément chez les parents d’Héloïse et chez ceux d’Esther ». Mais au vrai, le mérite revient à Colombe Schneck de porter le regard le plus critique : choyées par leur milieu, brillantes, les deux amies se seront malgré tout cognées à un monde de désillusions mis en coupe réglée par les hommes : « (…) elle est embauchée à des postes pour lesquels elle est surqualifiée et sous-payée, (…) ce n’est pas à elle que l’on va confier la mission mais à la fille « au culot monstre ». Avec ce roman à l’écriture nerveuse et sans leurres, Colombe Schneck rend un délicat hommage à l’Amie perdue, traversé par la volonté de vivre et la quête de l’amour et de la dignité. ●


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