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SERGE - YASMINA REZA Comédie fraternelle
Dans son nouvel opus paru aux Ă©ditions Flammarion, la romanciĂšre et dramaturge Yasmina Reza dĂ©peint la vie de deux frĂšres et leur soeur, issus dâune famille juive. Son gĂ©nie des dialogues au cordeau, sa maĂźtrise de lâhumour aigre-doux transforment ces chroniques du quotidien en une comĂ©die en trois Ă©poques, Ă la fois tendre, dĂ©licieusement irrespectueuse, et fort bien rythmĂ©e.
TEXTE : JEAN-JACQUES VALES, LIBRAIRIE ALINEA | PHOTOGRAPHIE : PASCAL VICTOR / ARTCOMPRESS VIA LEEMAGE
N°221
une comédie familiale profonde et efficace
Flammarion
DrĂŽle de fratrie, les Popper, dont Serge lâaĂźnĂ©, entrepreneur interlope, sĂ©ducteur, hĂąbleur, infidĂšle est le pivot. Autour de lui gravitent sa soeur cadette, Nana, quâon imagine avoir dĂ©veloppĂ© - pour survivre dans lâombre de ses frĂšres - un caractĂšre fantasque, la seule dont le mĂ©nage un peu bohĂšme parvient Ă rester indĂ©fectiblement soudĂ©. Jean, le second, ingĂ©nieur terne, sĂ©parĂ© de sa femme Marion, dĂ©sarmĂ© par ses devoirs de paternitĂ©, qui empoigne la narration dĂšs les premiĂšres pages. Ă lui de dresser les portraits du trio, et de nous emmener, le jour des obsĂšques de leur mĂšre, dans la haute enfance de cette famille au verbe haut et truculent, oĂč lâon nâest que trĂšs rarement « raccord » avec la raison ou la solennitĂ© de lâinstant, puis en pĂšlerinage presque forcĂ© Ă Auschwitz. Descendants de juifs viennois, par le pĂšre et hongrois du cĂŽtĂ© maternel, la perte des parents est prĂ©texte Ă se confronter aux non-dits qui courent dans la famille, marquĂ©e par lâinnommable et les destins brisĂ©s. Mais ici, rien de policĂ©, rien de politiquement correct :
38 | MARS 2021
lâidĂ©e mĂȘme dâun pĂšlerinage, Ă©trangĂšre aux trois adultes et particuliĂšrement Ă Serge, est imposĂ©e par sa fille JosĂ©phine, qui sâefforce dâaller chercher les rĂ©ponses que son pĂšre, son oncle et sa tante nâont jamais su ni osĂ© rĂ©clamer. SoudĂ©s par leur lien fraternel, Jean, Serge et Nana semblent enjamber ce qui les entoure, enfants, compagnes et maĂźtresses, jusquâĂ avoir laissĂ© se poser un voile de dĂ©sintĂ©rĂȘt sur la mĂ©moire de leurs aĂŻeux. DĂšs lâouverture du roman, une banale baignade Ă la piscine municipale de BĂšgues, Yasmina Reza vient nous rappeler quâelle est avant tout une femme de théùtre, prompte en quelques rĂ©pliques cinglantes Ă faire surgir lâhumour devant lâabsurditĂ© ou la gravitĂ© des situations. « â J'aurais dĂ» attendre c'est vrai. â Et me faire un signe gentil. â Oui, te faire un signe gentil, oui. â Reviens, je ne peux pas monter me coucher comme ça. â Marion, c'est puĂ©ril. â Ăa m'est Ă©gal. â Marion, je viens de perdre ma mĂšre⊠â Et voilĂ ! Bravo, je l'attendais ! Qu'est-ce que ça a Ă voir ? » Les rĂ©parties sont brĂšves, claquent et mordent, et si certains passages, presque hilarants, supporteraient sans rougir dâĂȘtre portĂ©s Ă la scĂšne ou Ă lâĂ©cran, le roman garde jusquâĂ son dĂ©nouement une grande justesse de ton et sâavĂšre, avec un mĂ©lange rigoureusement dosĂ© dâhumour, de tendresse, et de transgression, une comĂ©die familiale profonde et efficace. â