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BLUE LINE NOVEMBRE 2020

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SOMMAIR

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NOVEMBRE 2020

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N°05

© NICKOLAY ALMAYEV/Shutterstock

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CARTE BLANCHE

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

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FRANCE POLITIQUE

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À quand un changement dans les méthodes d’enseignement universitaire ?

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PHILOSOPHIE LIBERTARISME

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Rencontre avec le professeur Jacques Brotchi

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/ DÉRISION /

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ASBL FEL

Les cercles de la FEL en pratique

DOSSIER

Vie étudiante 2.0 Les étudiants coulent Rencontre avec la Ministre Valérie Glatigny Trois dossiers qui nous tiennent à cœur D’autres fenêtres...

Le langage « inclusif » pour une société neutralisée ? Le déclin de la droite française Le libertarisme, c’est quoi ?

Enfin, « Les 4 saisons » de la Vivaldi dans la mélodie du bonheur à la belge !


ÉDITO Chères lectrices, chers lecteurs, C’est un plaisir de vous retrouver pour ce cinquième numéro du Blue Line malgré les circonstances tout à fait particulières que nous connaissons aujourd’hui. Nous avons tous dû faire des efforts et devons encore les maintenir. Le quotidien des étudiants a été chamboulé à la fois sur le plan pédagogique mais également sur un plan folklorique et social. Mais qu’à cela ne tienne, nos cercles sont plus que jamais actifs et dans un « zoom » sur les sections de la FEL, ils vous seront présentés. Dans ce numéro, nous nous concentrerons sur la thématique de l’enseignement supérieur. Nous constatons en effet que le confinement nous pousse à en revoir l’organisation : Faudrait-il nous inspirer de ce que nos voisins européens font ? Nous évoquerons ensuite la vie étudiante des mois à venir : Que faudrait-il mettre en place pour la préserver ? Vous trouverez les réponses à ces questions dans notre dossier central. Il est également important de penser aux jeunes dans les facultés de médecine ; c’est pourquoi, nous avons rencontré le Professeur Jacques Brotchi au sujet des numéros INAMI. Un dossier sur l’enseignement supérieur ne faisant pas intervenir la ministre de la Jeunesse serait incomplet, nous vous avons donc aussi concocté une interview avec la Ministre Valérie Glatigny. Les étudiants libéraux ont toujours été un think tank dans le milieu estudiantin. Une fois n’est pas coutume, dans un court article, nous reviendrons sur les difficultés financières que rencontrent certains étudiants et nous finirons par vous exposer quelques idées qui sont chères à la FEL. Après cette partie centrale consacrée à l’enseignement supérieur, vous découvrirez d’abord un article sur l’écriture inclusive, puis un autre sur le déclin de la droite française, pour terminer avec un sujet philosophique consacré au libertarisme. Je souhaite que ces lectures inspirent votre quotidien,

Adeline


{ ASBL FEL }

LES CERCLES DE LA FEL EN PRATIQUE PAR LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANTS LIBÉRAUX

LES CERCLES, C’EST QUOI ? De Bruxelles jusqu’à Liège, en passant par Mons et Namur, nos cercles sont présents sur les campus de l’enseignement supérieur. Avant toute chose, adhérer à un cercle de la Fédération des Étudiants Libéraux, c’est faire partie d’un groupe d’amis qui s’intéressent aux grands enjeux contemporains et défendent auprès de leurs pairs un libéralisme qui se veut progressiste. Mais ce n’est pas tout, car si se dire défenseurs libéraux, c’est bien ; le traduire par des actes, c’est mieux ! C’est pourquoi tout au long de l’année, les cercles organisent des activités – comme des conférences, des débats, des visites, mais aussi des drinks ou des rencontres moins formelles – qui leur permettent, tout en s’amusant, de réfléchir, dans une optique libérale, aux grandes questions de société et de chercher des solutions aux problèmes actuels.

LES CERCLES, CE SONT EUX ! ÖMER CANDAN, PRÉSIDENT DU CEL ULB « Décrire mon cercle et expliquer ce qu’il nous apporte est une tâche bien compliquée, je vais essayer de le faire qu’en quelques lignes. Étant en secondaire déjà intéressé par l’engagement politique, j’ai dû attendre d’être étudiant à l’université ainsi que de découvrir l’existence du CEL ULB pour faire mes premiers pas en tant que militant. J’ai d’abord commencé par aller aux events et par échanger avec les membres de l’époque. Petit à petit, j’ai pu voir que s’intéresser à la politique et faire entendre ses idées n’était pas quelque chose d’inaccessible. Je me suis investi davantage et je suis ensuite entré dans l’équipe du cercle jusqu’à en devenir le président. J’espère, d’ici là fin de mon mandat, pouvoir apporter au CEL ULB un nouveau dynamisme, un beau bilan et une meilleure présence sur notre campus. Pour cela, je peux compter sur une excellente équipe composée d’une dizaine de personnes toutes aussi motivées que moi. Notre objectif premier sera évidemment d’aller chercher tous ces étudiants ayant la fibre libérale mais qui n’osent pas faire le premier pas. Pour cela, nous leur préparons de nombreux événements comme des conférences, des débats ainsi que des activités plus ludiques. Dans le passé, certaines de nos conférences ont beaucoup fait parler d’elles comme celles sur la justice ou le cannabis. Aujourd’hui, avec la crise sanitaire provoquée par le covid-19, nous sommes contraints de migrer en partie vers le numérique. Au cours de ce quadrimestre, nous proposerons donc des interviews et des conférences sur l’Instagram du cercle (@cel_ulb, n’hésitez pas à nous suivre). Nous organiserons aussi des visites des différents parlements et

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{ ASBL FEL }

j’en passe... Même si nous sommes libéraux, nous sommes également des étudiants et un étudiant, ça sait s’amuser ! C’est pour cela que le cercle réserve à ses membres des visites nocturnes de l’ULB et ses symboles francs-maçons, ainsi qu’une présence (si les consignes sanitaires le permettent) aux différentes activités sur le campus comme le beach volley, les 6H cuistax… Nous tenterons peut-être même de redonner vie à notre pré-TD ! Je terminerai par remercier mon équipe et rappelle que c’est un honneur pour moi de présider la plus vieille organisation libérale toujours en activité de notre pays. Nous fêterons d’ailleurs nos 185 ans cette année ! Une bonne occasion pour les jeunes intéressés de venir juger notre capacité à faire la fête ! »

PAULINE LADOE, PRÉSIDENTE DU CEL MONS

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« Ça fait 4 ans que je suis entrée à la FEL. Alors pourquoi cet engagement ? Car y adhérer m’a tout de suite semblé être une bonne idée. Tout d’abord, parce que je me suis toujours intéressée à la politique. Ensuite, parce que via toutes ses activités, la FEL est un plus dans ma formation universitaire. Grâce à elle, nous avons l’occasion de découvrir des choses extraordinaires telles que les visites des différents parlements, de participer à des conférences, d’organiser des débats et d’assister à divers événements. Nous pouvons également nous essayer au travail journalistique en réalisant des articles pour le Blue Line. La FEL m’a aussi permis de rencontrer de nouvelles personnes et de me faire de nouveaux amis. Pour parler plus particulièrement de la section de Mons, nous regroupons deux universités différentes pour le moment, ce qui nous permet de toucher le plus de monde possible. Nous n’hésitons pas à nous voir en-dehors du cercle, à faire des activités ensemble, à s’entraider pour nos différents cours. Nous nous connaissons tous, le CEL MONS est une section assez familiale. »

DYLAN MARTIN N’KITA, PRÉSIDENT DE L’ADEL « Lorsque je suis devenu officiellement actif au sein du cercle de Saint-Louis, en première année de droit, nous n’étions que quatre membres et peu d’étudiants connaissaient l’existence de notre section. Aujourd’hui, nous sommes une vingtaine de membres. En un an, il y a eu un véritable changement. Nous avons renouvelé le nom de notre cercle, notre logo, mais aussi notre mode de fonctionnement en interne et notre communication externe. L’ADEL Saint-Louis s’est très vite agrandi et nous avons désormais sur notre campus une visibilité qui a payé grâce à cette volonté de changement et de modernisation. Nous sommes une section très active, nous réagissons énormément à l’actualité politique et universitaire. Il y a un lien fort entre les membres de notre section. Nous sommes véritablement un groupe d’amis. Nous nous considérons un peu comme une grande famille. Le plus drôle dans notre section, c’est que chacun porte un pseudo faisant référence à une personnalité politique. Moi, par exemple, on m’appelle Kennedy. Il y a vraiment une ambiance de folie ! » >>

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{ ASBL FEL }

ARTHUR WATILLON, PRÉSIDENT DU CELN

NAMUR

« Le Cercle des Étudiants libéraux de Namur est, à l’image du campus namurois, un cercle de proximité, chaleureux et, par-dessous tout, ouvert au débat des idées. Cette année, notre objectif principal est de dynamiser de plus belle le CELN. Cet effort passe notamment par l’organisation d’événements « hors monde politique », afin de toucher un public plus large au sein de la communauté étudiante. Parmi ceux-ci, je pense notamment à l’organisation d’un Green Walk dans le centre-ville de Namur, événement au cours duquel les participants ont pu échanger, poser leurs questions au comité, tout en menant une action verte, en nettoyant les rues de ses déchets. Nous pouvons également mentionner la visite prévue du Delta, l’Espace Culturel Provincial de Namur. Bien entendu, nous organiserons également certaines conférences en présence de personnalités politiques. Ce sera le cas de notre prochaine conférence sur l’Enseignement supérieur qui se fera en présence de la Ministre Valérie Glatigny, mais aussi de conférences ou de tables rondes liées à des sujets sociétaux comme la légalisation du cannabis, la parité homme-femme, etc. Évidemment (et heureusement), pour être à la hauteur de cette ambition, je peux compter sur un bureau particulièrement actif, pour lequel je profite de ces quelques lignes afin de les remercier chaleureusement. »

LISANDRA LA TERRA, DÉLÉGUÉE COMMUNICATION AU CEL LLN

cellln LOUVAIN-LA-NEUVE

« Au Cercle des Étudiants libéraux de Louvain-La-Neuve, on garde l’aspect convivial d’un cercle tout en ajoutant notre marque de fabrique : l’engagement politique. On débat de l’actualité, on s’informe, on rencontre des personnalités du monde politique, on organise des conférences, le tout dans un cadre dynamique et chaleureux. Le but de notre cercle n’est pas de faire de la propagande comme certains le pensent mais bien de cultiver l’intérêt des étudiants pour la politique et de leur permettre de s’exprimer. Après tout, les jeunes sont l’avenir, il est donc normal qu’ils aient leur mot à dire, non ? Le CEL LLN est longtemps resté en sommeil, mais grâce à notre nouvelle équipe, les choses changent et les affaires reprennent ! Une communication plus dynamique, de nouvelles idées ainsi qu’une véritable envie de proposer notre vision libérale au sein du campus feront partie de nos objectifs principaux pour cette année et celles à venir. »

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DOSSIER ÉCHEC(S) ET MAT(H) EN ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR L’enseignement supérieur… De l’absurdité de la saga INAMI en passant par le bouleversement de nos habitudes étudiantes à la suite de la crise sanitaire, cette vaste thématique n’en finit pas de nous étonner. Quoi de mieux dès lors qu’un sujet brulant d’actualité pour inaugurer le premier Blue Line de cette nouvelle année académique ? Qu’il s’agisse de l’obsolescence de nos pratiques universitaires ; de l’obstacle à la liberté que constitue le système de quota INAMI ; des difficultés que rencontre une part de notre communauté en ces temps de covid-19, du futur de la vie estudiantine sur les campus, ou bien des mesures que la FEL souhaiterait voir mises en place ; nos rédacteurs décortiquent pour vous l’actualité étudiante avec leur vision… libérale bien sûr !

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

À QUAND UN CHANGEMENT DANS LES MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE ? PAR CONSTANTIN DECHAMPS

L’année académique dernière, du fait de la crise du COVID-19, les universités durent basculer du jour au lendemain dans l’enseignement à distance. Cette petite révolution ne se fit pas sans heurts, en effet, beaucoup d’interrogations virent alors le jour : Quelle forme doivent prendre les examens, doiventils être formatifs ou non ? Faut-il alléger la matière ? Comment mettre en place les cours en ligne ? Faut-il accorder plus de poids aux travaux pratiques (TP) ? Les réponses apportées à l’époque par les autorités académiques ressemblaient plus à du bricolage qu’à une réponse mûrement pensée et réfléchie, ce qui était parfaitement compréhensible au vu du caractère sans précédent de la crise sanitaire. Pour autant, je suis convaincu que les questions soulevées par les deniers évènements ont mis en lumière l’aspect de plus en plus obsolète de l’enseignement universitaire. Sans doute est-il temps de remettre en cause certaines de nos pratiques actuelles et de reconstruire les méthodes d’apprentissage dans les universités en nous inspirant, pourquoi pas, de l’enseignement donné à Maastricht. 8

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Dans les universités francophones de Belgique, les cours et le rapport que l’on entretient au « savoir » n’ont pas fortement évolué depuis bien longtemps. Notre système universitaire est, et ce, quel que soit l’établissement, organisé plus ou moins de la même façon ; que ce soit pour les inscriptions, les cours ou les examens. Pour vous inscrire dans une université, il vous «  suffit  » d’envoyer un dossier reprenant des documents d’identité, votre CESS et bien sûr votre choix de cursus. Dès lors que vous êtes régulièrement inscrits et fraichement débarqués sur votre campus, vous pouvez commencer à suivre vos cours en fonction du cursus que vous avez choisi. Vous assistez alors principalement à des cours dits « en auditoire » où le professeur titulaire expose sa matière. Pour certains d’entre eux, vous participez également à des séances de TP – obligatoires ou facultatifs en fonction de votre cursus – lors desquels un assistant vérifie que vous avez bien assimilé la matière du cours en vous demandant d’en exposer certains points ou en vous faisant faire une série d’exercices. Cette alternance de cours et de TP se poursuit toute l’année jusqu’aux examens, qui, s’ils sont réussis, attesteront de votre compréhension et acquisition de la matière.


{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

Sur le papier, le système belge n’a apparemment rien à se reprocher, il semble même assez convaincant… Sauf que la réalité est tout autre. Rendez-vous compte, votre maitrise d’une matière est presque essentiellement évaluée au moyen du seul examen de fin d’année ! Car dans le calcul de la note finale d’une matière, le poids accordé au TP, associé au cours « en auditoire », oscille entre un sixième et un quart des points globalement obtenus, rarement plus. Or, il serait bénéfique pour les étudiants, ainsi que pour la qualité du diplôme, d’accorder plus d’importance à ces séances... Que se cache-t-il derrière cette méthode d’évaluation ? Une réussite qui se joue majoritairement, quoi qu’on en dise, sur les derniers jours précédant les examens. Ce système invite au « bachotage » qui consiste à réviser ses cours en quelques jours de façon intensive et jusqu’à pas d’heure afin d’espérer retenir un maximum d’informations à restituer le jour-j. Or, cette méthode d’apprentissage, si on peut l’appeler ainsi, n’est favorable ni à l’acquisition définitive des connaissances ni à la compréhension pleine et complète de la matière. Les sessions d’examens s’apparentent plus à un court laps de temps durant lequel l’étudiant ingurgite le plus de matière possible afin de la régurgiter par la suite, dans un ordre plus ou moins correct, sur sa copie d’examen avec le maigre espoir de s’en sortir avec un résultat « passable ». Cette réalité, cela fait un moment que nous la connaissons, sans pour autant que cela ait changé grand-chose à nos pratiques. Et à présent que la crise liée au coronavirus a permis d’étaler au grand jour une série de questions, mentionnées précédemment, n’est-il pas enfin temps de trouver de meilleurs modes de fonctionnement ? Aussi, pour y apporter des éléments de réponse, je vous propose de voir comment nos voisins néerlandais procèdent à l’université de Maastricht, reconnue pour ses méthodes d’enseignement. Avant d’aborder plus en profondeur les méthodes d’enseignement à Maastricht, je voudrais d’abord évoquer la façon dont les programmes d’études de chaque cursus sont élaborés. Là où en Belgique, l’étudiant est amené à faire un choix parmi des programmes préétablis, sans aucune alternative ; à l’UCM (University College Maastricht) – l’une des facultés – il est invité à créer lui-même son programme en choisissant les cours auxquels il souhaite assister. La création du programme se fait ainsi dès la première année d’études et au fur-et-à-mesure de l’avancement du cursus, ce dernier s’affine, se spécialise, en fonction de la volonté de l’étudiant. Ce système est assez intéressant car il vous permet d’une part, dès le début, de poser des choix afin de progresser dans les matières propres au métier que vous désirez, tout en vous permettant d’ajouter dans votre programme d’autres cours ouvrant ainsi la porte à des disruptions qui vous permettent de vous réorienter en connaissance de cause.

Bien sûr, un tel système ne conviendrait sans doute pas aux différents profils des étudiants, car tous ne savent pas se prononcer d’entrée de jeu sur leur futur métier. Néanmoins cette méthode de composition des programmes est assez atypique pour que je la mentionne afin de questionner nos méthodes belges. Une fois que les étudiants ont composé leurs programmes, ils peuvent assister aux cours. Contrairement à chez nous, quels que soient la faculté ou les cours choisis, les TP – qu’ils appellent là-bas, Tutorials – sont obligatoires et ont un poids considérable dans la note finale, cela s’explique par le fait que c’est lors de ces séances que la majorité de la matière est abordée. Les séances de Tutorials, se passent en deux temps. Lors de la première séance, le sujet (obligatoire) est d’abord posé. Ensuite, les étudiants l’abordent en disant ce qu’ils en savent, ce qu’ils n’en savent pas et ce qu’ils voudraient savoir à propos de ce sujet. Cette discussion entre étudiants est encadrée par un « modérateur » – l’équivalent de nos assistants – qui a moins un rôle de professeur que de « maitre de discussion » puisqu’il est là pour recadrer les étudiants s’ils dévient trop du sujet du jour. À la fin de la première séance, le modérateur fournit aux étudiants des lectures obligatoires, des vidéos de référence, des articles, etc., leur permettant de se renseigner sur le sujet abordé. Lors de la deuxième séance, les étudiants échangent à nouveau sur ce dernier, reviennent sur ce qu’ils ont appris grâce à leurs lectures, s’expliquent mutuellement les points encore incompris… Cette méthode d’enseignement, que l’on qualifie d’« apprentissage par problèmes », favorise le fait de découvrir des notions nouvelles de manière « active » étant donné que l’étudiant s’instruit lui-même. Les lectures obligatoires permettent ainsi à l’étudiant d’allier contenu et savoir-faire, en y étant poussé par les nécessités du problème soumis d’une part, et par l’intérêt pour le sujet discuté au préalable avec ses pairs d’autre part. Je suis personnellement convaincu que le Tutorial à la façon de Maastricht est une manière bien plus intelligente d’apprendre. En effet, avec cette méthode, en tant qu’étudiants, vous avez davantage envie de vous instruire, de vous renseigner, d’en savoir-plus ; car votre intérêt et votre curiosité à propos du sujet abordé ont été éveillés, ce qui favorise votre réflexion. Et de fait, vous retiendrez beaucoup mieux ce qu’on vous demande d’acquérir, il est notoirement connu que l’on retient mieux ce que l’on aime. En comparaison, le système belge tente de motiver l’étudiant à apprendre en TP par le seul fait d’obtenir une note qui lui permettrait de compenser l’échec, déjà envisagé, à l’examen de fin d’année. Caricaturalement l’on pourrait dire que les TP de Maastricht font appel à la curiosité, là où les TP de Belgique font appel à la peur. Bien sûr, je grossis le trait… Pour certains TP, on >>

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vous demande de réaliser des travaux de recherche qui fonctionnent justement sur le principe de l’« apprentissage par problèmes » et qui, de fait, sont bénéfiques. Mais lorsqu’on vous demande de venir à un TP en ayant préparé une partie de la matière afin de la présenter, cela n’évalue rien d’autre que vos connaissances à un instant T de votre cursus. En miroir des séances de Tutorial, les étudiants de Maastricht ont également des séances de Lectures – l’équivalent en Belgique de nos cours « en auditoire » – durant lesquels un professeur revient sur le sujet (obligatoire) de la semaine – évoqué lors des Tutorials – mais en l’abordant sous un angle différent, avec une perspective autre. La relation entre les Lectures et les Tutorials est différente de celle entre nos Cours et TP. Dans nos universités, les cours nous exposent toute la matière tandis que les TP reviennent sur celle-ci au moyen d’explications supplémentaires ou d’exercices. Alors qu’à Maastricht, les Tutorials donnent la majorité de la matière mais fonctionnent surtout en binôme avec les Lectures, ces dernières abordant le même sujet mais par d’autres fenêtres. Notons également qu’à Maastricht, l’année n’est pas découpée en deux quadrimestres mais en périodes de six semaines, s’étalant de fin août à début juillet. À chaque nouvelle période, l’étudiant est amené à ajuster son programme en fonction de ce qu’il souhaite approfondir ou arrêter. De plus, après deux périodes de six semaines de cours, la troisième est consacrée à un projet de recherche pour lequel l’étudiant est suivi et évalué au fil de l’évolution de ce dernier. Entre deux périodes, l’université prévoit également une semaine de repos permettant ainsi à l’étudiant de recharger ses batteries. L’organisation périodique de six semaines à l’université de Maastricht me semble être bénéfique pour l’apprentissage, contrairement au système belge qui fait travailler les étudiants de façon quasi constante au risque de leur faire aborder la nouvelle année académique complètement éreintés. Même si cela signifierait d’écourter légèrement les vacances d’été, il est sans doute temps de penser à une nouvelle répartition qui offrirait une meilleure récupération en cours d’année. Qu’en est-il des examens ? Alors qu’en Belgique, l’on évalue les étudiants uniquement à un instant T après une intense période de « bachotage » en sachant pertinemment qu’une semaine plus tard les trois quarts de la cohorte auront oublié les deux

tiers, si pas plus, de la matière ; l’Université de Maastricht a fait le choix de « l’évaluation continue ». Heureusement, cette forme d’évaluation commence à faire écho en Belgique et je me réjouis d’ailleurs que l’un de mes professeurs ait fait ce choix pour ce premier quadrimestre. Cette méthode permet d’obtenir une évaluation plus fine, plus pertinente et plus rigoureuse de chaque étudiant puisqu’elle est plus régulière et basée sur un large éventail de données. À Maastricht, cette évaluation continue est mise en place de la manière suivante : pour chaque période de six semaines, chaque cours fait l’objet de deux évaluations, ce qui donne lieu à une évaluation toutes les 3 semaines. Ces dernières peuvent prendre des formes variées : la plus courante est la dissertation, mais il peut aussi s’agir de projets de groupe, ou bien d’examens plus « classiques » avec des questions ouvertes ou très, mais alors très rarement, des QCM/QRM. Le choix de la dissertation comme méthode évaluative est assez intéressant car il relève pour partie de l’évaluation formative. Ce procédé permet à l’étudiant de piloter son propre processus d’apprentissage, il le responsabilise en l’incitant à détecter rapidement ses difficultés quant à sa méthode d’apprentissage ou son rythme de progression afin qu’il puisse y remédier. Loin de moi l’idée d’encenser l’Université de Maastricht ; tout n’y est sans doute pas parfait et de telles méthodes d’apprentissage peuvent ne pas convenir à tous les profils d’étudiants. Tout n’est pas non plus à jeter dans l’enseignement universitaire en Belgique ; les évaluations certificatives ont aussi leur intérêt, le problème étant qu’on leur accorde un poids beaucoup trop important dans la note finale alors qu’elles n’évaluent l’état de vos connaissances qu’à un instant de votre parcours universitaire. Et de fait, d’une part elles ne permettent pas de s’assurer que vous avez appris la matière, au sens où vous l’avez retenue ; et d’autre part elles ne permettent pas non plus de s’assurer que vous l’avez comprise, ce qui est sans doute l’aspect le plus important. La crise liée au covid-19 nous a conduits, en catastrophe certes, à questionner la manière dont nos universités fonctionnent, enseignent et évaluent l’état de nos connaissances en fin d’année. Et sans jeter ce qui « marche » chez nous mais tout en s’inspirant de ce qui se fait à l’étranger, je pense qu’il est grand temps d’adapter nos méthodes afin de permettre aux étudiants de sortir de l’université non seulement avec des têtes bien remplies, ce que tente actuellement de faire notre système universitaire, mais également avec des têtes bien faites. 

« Je suis toujours prêt à apprendre, bien que je

»

n’aime pas toujours qu’on me donne des leçons.  Winston Churchill

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RENCONTRE AVEC LE PROFESSEUR JACQUES BROTCHI PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIEN PIRONET

Depuis deux décennies, les étudiants en médecine ont eu des sueurs froides avant et durant leur cursus universitaire, et pour cause, la délivrance du fameux numéro INAMI. Ce précieux sésame pour accéder à la profession est pourtant aujourd’hui encore source de problèmes. C’est plus particulièrement la façon dont il est délivré qui peut parfois tourner au drame humain. C’est pourquoi nous sommes allés à la rencontre de Jacques Brotchi. Avant d’endosser le costume de Président du Sénat, cet homme hors du commun a débuté son parcours comme étudiant en médecine. Ce n’était que le commencement, puisqu’il s’est ensuite spécialisé dans la neurochirurgie, domaine qui fera sa renommée à travers le monde. Ce qui l’amènera, entre autres, à fonder le service de neurochirurgie de l’hôpital Erasme, qu’il va diriger jusqu’en 2007. Mais c’est seulement en 2004 qu’il entre au Sénat, pour y aborder notamment les thématiques médicales ou encore, les problèmes des étudiants en médecine.

  Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, pourquoi il a été décidé en 1997, de cadenasser l’accès à la profession ? Et de quelles professions parlonsnous exactement ?

En 1997, sous la pression des syndicats médicaux et probablement également sur la base du nombre de médecins en Belgique, on a considéré que l’on arrivait à un niveau critique et qu’il fallait restreindre la formation. Tout simplement pour garder la qualité des soins de santé et éviter qu’il n’y ait des médecins n’ayant qu’un ou deux patients par jour. Ceci a été décidé, je tiens à le préciser, sous le gouvernement Dehaene II, où les libéraux n’étaient pas représentés. Nous ne sommes donc pas intervenus dans l’élaboration du Numérus clausus. À cette époque, il a donc été décidé du nombre d’étudiants en médecine qui, terminant leurs études, auraient droit à un numéro INAMI. Ce numéro permet d’exercer et surtout de fournir au patient un remboursement par la sécurité sociale des actes pratiqués. Une répartition des numéros a été opérée en se basant sur le reflet de la société belge, soit avec 40% pour les francophones et 60% pour les néerlandophones. Au début, le nombre était très serré, avec toutefois une augmentation lente et progressive. On est passé en 1997, de 303 numéros pour arriver en 2014-2015, à 496 du côté francophone. Dès cette année, les Flamands ont mis en place un examen d’entrée opérant un certain filtre. Ce qui leur a permis de faire correspondre la quantité d’étudiants qui terminaient leurs études avec le nombre de numéros INAMI disponibles. Du côté francophone, on a pagayé dans tous les sens : d’abord rien n’a été fait, ensuite un filtre majeur après la 3e candidature a été mis avant d’être aboli, pour que finalement, il n’y ait plus rien.

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Chaque année, le nombre d’étudiants francophones augmente. Nous avons également des étudiants français qui viennent apprendre la médecine chez nous ; ils représentent 20% des étudiants totaux. Ils venaient en Belgique parce qu’en France, il y a avait un examen alors que chez nous il n’y en avait pas. La masse d’étudiants qui terminaient le cursus avait donc augmenté. Il faut savoir que le numéro INAMI est délivré par chaque faculté de médecine, ce qui signifie que tout étudiant proclamé médecin reçoit un numéro quelle que soit sa nationalité. Au fil des années, il y a eu un débordement majeur de notre côté, le nombre d’étudiants était en plein boom. Pour pallier cette situation, et ne surtout pas pénaliser les étudiants, les doyens de faculté sont allés « puiser dans la caisse » des années à venir pour offrir un numéro INAMI à tous ceux qui terminaient leurs études. On allait par exemple chercher jusqu’à 500 numéros dans l’année suivante. Ce qui nous a conduit en 2017 à une grave pénurie, puisque seulement 50% des étudiants sortants pouvaient avoir un numéro. C’était dramatique.

  À l’époque, pouvez-vous nous dire comment vous avez, en tant qu’homme politique, tenté d’inverser la tendance ? À ce moment-là, j’ai eu l’occasion de participer à toute une série de négociations pour obtenir de Maggie De Block [ancienne ministre de la Santé], la possibilité de donner un numéro INAMI à un maximum d’étudiants. D’un autre côté, j’ai aussi défendu leur cause dans la Commission de planification. Pour cause, il y avait un excédent de 3500 numéros délivrés par rapport à ce que la loi prévoyait. Les politiciens flamands n’étaient pas contents du tout et voulaient que nous remboursions ces numéros. La NVA fut particulièrement intransigeante à ce sujet. La demande du Nord était que nous remboursions ces 3500 numéros en 5 années. Avec une telle proposition, on pouvait fermer d’office nos facultés francophones. Malgré tout cela, nous assistions à une pénurie de médecins. Je me suis alors battu devant cette commission pour obtenir que l’on retire du calcul, les 20% de numéros INAMI que reçoivent les étudiants français. La plupart retournent en France car les médecins y sont mieux payés. Ensuite, nous avons tenu compte d’un certain nombre de spécialités médicales, qui ne requièrent pas forcément de numéro INAMI, comme par exemple un médecin légiste, du sport, d’assurance. Nous avons également retiré du calcul tous les médecins « inactifs », c’est-à-dire qui opèrent moins de 50 prestations par année. Après toutes ces négociations, nous sommes arrivés à devoir rembourser exactement 1531 numéros INAMI, alors que plus ou moins 3500 étaient demandés initialement. Mais en plus, nous avons obtenu un étalement, non plus sur 5 ans, mais sur 15 années, autrement dit jusqu’en 2024. Entre temps, en 2018, s’est produit un événement important que l’on appelle la double cohorte. C’est-à-dire que l’on avait d’un côté la dernière « cuvée » d’étudiants qui terminait les études en 7 ans et la nouvelle, qui selon la législation, devait désormais en faire 6 pour être diplômée. C’est donc le double de médecins qui allait être placé sur le marché de l’emploi. Au nouveau gouvernement, il a alors été décidé qu’on doublait le nombre de numéro INAMI.

  Avec le recul, pensez-vous que c’était une erreur au niveau francophone de ne pas faire un examen d’entrée aussi « millimétré » qu’en Flandre ? Maintenant, nous avons installé un examen d’entrée au niveau francophone. Il fonctionne bien, ce qui fait évidemment que moins d’étudiants sont en déperdition. En revanche, ce qui est interpellant, c’est qu’en 2000, il y avait un examen d’entrée en Flandre mais aucun du côté francophone. Nous avons remarqué que du côté flamand, 80% des étudiants qui avaient réussi l’examen d’entrée terminaient leurs études avec succès. Du côté francophone, nous n’obtenions seulement que 20% de réussite en bout de parcours. D’où l’intérêt d’un examen d’entrée pour éviter que des jeunes, qui n’ont pas été formés correctement dans le secondaire pour des matières essentielles, échouent. Une base de physique ou bien de chimie est très importante pour la compréhension du corps humain. De ce fait, les étudiants doublent, parfois triplent, et finissent par abandonner leurs études. Pour les familles qui ne sont pas aisées, c’est un énorme problème. Le fait de mettre un examen d’entrée a donc un caractère social, et non discriminatoire. Cela oblige également le réseau secondaire à améliorer sa formation. Tout cela se tient en fin de compte. Heureusement, depuis 2019-2020, nous remarquons que du côté flamand, il y a aussi un dépassement du quota fixé. Il est d’environ 400, et désormais ils sont dans une situation moins aisée pour négocier. Ma position personnelle est la suivante : je considère que dès le moment où il y a un examen d’entrée sérieux, solide et efficace, il n’y aucune raison d’en mettre encore un à la sortie des études ainsi que de conserver un quota. Pour la médecine, cela doit être exactement comme pour les ingénieurs : vous avez un examen d’entrée à réussir et après c’est tout, à la fin de votre cursus, vous terminez avec votre diplôme en poche.

« Je considère que dès le moment où il y a un examen d’entrée sérieux, solide et efficace, il n’y aucune raison d’en mettre encore un à la sortie des études ainsi que de conserver un quota [INAMI] » 12

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  Aujourd’hui, il n’y aurait dès lors plus de raison d’appliquer ce système de numéros « fermés » ?

Avec Charles Michel, lors de l’élaboration du programme du Mouvement Réformateur pour les élections du 26 mai 2019, nous étions d’accord pour dire qu’à terme il faudrait supprimer les quotas. Aucune date n’a été fixée, mais le principe de la suppression est acquis. Il faudra voir si, avec le nouveau gouvernement [Vivaldi], nous pourrons être plus précis à ce niveau-là. Tout doucement, il y a une ouverture politique qui existe vers certaines spécialités, où il n’y a plus de quota, comme en gériatrie, la médecine d’urgence ou bien la pédiatrie hospitalière. Je voudrais insister sur la gériatrie, qui est très importante aujourd’hui et qui prend une place centrale avec la crise que nous vivons et tout ce qui s’est passé dans les maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS). Il faut inciter les médecins à se diriger vers cette spécialité-là, d’autant plus que nous avons une augmentation de l’espérance de vie. On sait que chaque année, grosso modo, notre espérance de vie augmente de 3 mois. Cela va certainement se stabiliser à un moment. Mais lorsque l’on voit la moyenne de vie il y a 40 ans et celle de maintenant, on comprend mieux pourquoi l’âge de la pension était fixé à 65 ans. Il n’y avait pas de grand risque financier à payer les pensions ; or, aujourd’hui, la moyenne d’âge est de 80 ans. Elle a bondi et par conséquent, il était normal d’augmenter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans. Moi-même, j’ai 78 ans, et je ne me considère pas comme un retraité inactif. On peut encore volontairement se rendre actif dans la société. De plus, la qualité de la médecine nous permet de vivre certes plus vieux, mais avec également une bonne qualité de vie. Il ne s’agit pas seulement d’être vivant, mais aussi d’être en bonne santé. Dès ce moment-là, on peut encore être utile à la société. >>

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

 J’imagine qu’en tant qu’homme de science et de politique, vous devez avoir un regard tout à fait particulier sur la pénurie de médecins qui vient s’ajouter à la crise sanitaire actuelle ?

Il s’avère qu’en termes de population d’âge et d’âge moyen, nous avons, au niveau francophone, des médecins plus âgés qu’au niveau néerlandophone. Dès lors, nous sommes dans une phase où nos médecins reportent leur retraite en attendant la relève qui commence seulement à arriver. Je crois qu’avec la double cohorte et le fait que nous avons largement dépassé les quotas initialement prévus, de jeunes médecins vont très rapidement arriver. La pénurie va donc être compensée, elle va se régler. Il faudra que le politique veille à relancer une certaine attractivité pour la profession. Vous savez, aujourd’hui, on ne travaille plus seul comme avant. Désormais, on préfère travailler en équipe. Je cite l’exemple de François Bellot à Rochefort : avant d’être ministre, il a organisé dans sa commune des « maisons médicales libérales » et concrètement, il a mis à disposition de médecins généralistes de la localité, un bâtiment avec un secrétariat afin qu’ils puissent avoir un cabinet commun et s’organiser en équipe. Cela a attiré les jeunes, et au lieu d’avoir un seul médecin, 4 sont arrivés. Les responsabilités de gardes étaient divisées par 4, ce qui laissait davantage de temps pour la famille ; il y avait aussi un gain de temps de travail puisqu’une secrétaire prenait les rendez-vous ; et enfin, les frais étaient de même divisés par 4. Je pense qu’indépendamment des formules impulsées, comme des sommes d’argent incitantes, pour encourager des jeunes médecins à s’installer dans les communes en pénurie, il faut attirer en proposant une médecine qui allie vie familiale, vie privée et vie professionnelle. Lorsque vous vous êtes installé quelque part, rien ne dit que vous n’y resterez pas. Il faut également trouver une formule attractive pour que les jeunes médecins s’installent dans les zones défavorisées sur le plan de la qualité de vie. Je pense que les formules comme celle de François Bellot sont de bonnes formules, à l’inverse des « maisons médicales PTB ». En effet, ce que je nomme « maison médicale libérale » est un endroit où le patient garde sa liberté. Il peut consulter qui il veut, il consulte le spécialiste de son choix. Il n’est pas prisonnier du système. La liberté, celle que nous défendons chez les libéraux, je crois qu’il y a moyen de l’avoir en créant ce type de maison médicale.

  N’est-il pas paradoxal de limiter l’accès aux études de médecine pour les étudiants belges alors que dans le même temps, les services hospitaliers engagent, en masse, des médecins provenant de l’étranger ? En fait, c’est lié à plusieurs facteurs. Premièrement, il y a une obligation morale, déontologique, d’assurer la continuité des soins. Si vous n’avez pas de médecins locaux en suffisance, vous faites appel à une « main

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d’œuvre » étrangère. Il ne faut pas croire que parce ce sont des médecins issus d’ailleurs leur travail est mauvais. Par exemple, dans nos services d’urgences de Bruxelles, ces médecins sont très compétents. Ils ont été encadrés lors de leur arrivée, il ne faut pas croire qu’ils arrivent seul face à la tâche. Deuxièmement, la génération actuelle met l’accent sur l’importance de la vie familiale. Il y a donc un partage des tâches et des responsabilités dans l’éducation des enfants. On parle maintenant du congé parental pour les hommes. Dès l’instant où l’on entre dans une société qui envisage une autre forme de vie, il faut nécessairement penser qu’un certain nombre de médecins ne seront plus tout le temps à l’hôpital, mais aussi en famille chez eux. Ce style de vie rentre dans les mentalités. Dans ma jeunesse, j’ai connu des mois d’affilée de gardes et au bout de cela, je demandais à mon patron si je pouvais prendre un week-end pour souffler. Vous imaginez quelle vie de famille c’est ? Vous imaginez la vie que c’était pour mon épouse ? J’ai vraiment pu avoir des contacts avec ma fille lorsqu’elle est entrée à l’école secondaire. À mon époque, j’étais de garde, je rentrais à la maison et on me rappelait car nous n’étions pas assez nombreux. Aujourd’hui, on n’accepte plus ça. Il y a en plus des lois qui encadrent le nombre d’heures qu’un jeune peut prester. Beaucoup de paramètres ont donc changés. Cela explique pourquoi nous faisons appel à des médecins étrangers. Je crois tout de même que cela va diminuer dans les années à venir, avec la double cohorte et la suppression du quota INAMI. D’un autre côté, nous avons un devoir de formation envers les pays en voie de développement. Durant ma carrière, j’ai, par exemple, formé des médecins étrangers qui sont par après rentrés dans leur pays. Ça, c’est fort important, nous les formons pour renforcer le niveau sanitaire des autres pays. Cela passe par un contrat temporaire où ils séjournent en Belgique le temps de leur formation, pour ensuite retourner chez eux afin d’emporter ce bagage d’expérience dans leurs hôpitaux.

  Voulez-vous adresser un message à ces étudiants actuels ou futurs qui peuvent se sentir découragés face à cette situation ? Parce qu’après tout, on parle de 6 années d’études faites de dur labeur voire de sacrifices financiers… Je dirais qu’il est indispensable de garder le contact intergénérationnel. En ce qui me concerne, j’ai toujours formé des jeunes et je suis très fier de voir qu’ils sont devenus chefs de service, professeurs, etc. C’est comme en politique, il faut savoir former. Les anciens doivent pouvoir faire une sorte de coaching des jeunes, quelle que soit la profession. C’est très important que les jeunes puissent se raccrocher à un mentor. Je suis très partisan que l’on organise, au niveau de l’enseignement secondaire, des heures de conférence d’intérêt général où l’on pourrait inviter des médecins, des avocats, des informaticiens et tout plein d’autres professions. Ils exposeraient leur métier,


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« La crise sanitaire a

remis le doigt sur le fait que nous n’avions pas assez de médecins et que les équipes étaient sur les genoux. J’aimerais aussi parler des infirmières qui ont abattu un travail colossal pendant cette pandémie.

»

ce qu’ils pensent de l’avenir, etc. Je peux par exemple proposer toute une série de pistes sur la médecine du futur. C’est, à mon sens, le rôle des retraités ; expliquer leur vie. Quand on a 15-16 ans, on ne sait pas exactement quoi faire comme métier. On ne sait pas ce qu’est la vie d’un architecte, un décorateur, un entrepreneur. On devrait développer cet aspect dans la société de demain.

 Le Coronavirus est la plus grave crise sanitaire qu’ait connu la Belgique depuis des dizaines d’années. Quel regard portez-vous sur cette crise sanitaire et sur sa gestion par nos autorités ? La crise sanitaire a remis le doigt sur le fait que nous n’avions pas assez de médecins et que les équipes étaient sur les genoux. J’aimerais aussi parler des infirmières qui ont abattu un travail colossal pendant cette pandémie. Je pense que cela a révélé la pénibilité de la profession. Bien sûr, il y a eu le fond Blouses blanches, avec l’octroi d’un meilleur salaire, mais ce n’est pas tant ça qui est important. Ce n’est pas en apportant davantage d’argent que vous apportez une solution au problème. En Belgique, nous avons une infirmière pour 11 malades alors que la norme européenne est d’une pour 8 malades. Nous devons alors impérativement augmenter le staff infirmier dans nos hôpitaux et probablement aussi dans les maisons de repos et de soins. Il faut reconnaitre que cette profession est pénible. Le staff infirmier perd la dimension humaine de son travail puisque l’on renvoie les patients chez eux beaucoup

plus rapidement aujourd’hui qu’avant. Finalement, dès le moment où le malade commence à être en meilleure santé, il retourne chez lui. Les infirmières n’ont plus que des malades « lourds ». Ce n’est pas pour ça qu’il faut augmenter le séjour à l’hôpital - je suis pour une durée plus courte -, mais il faut en échange augmenter le staff infirmier. Cela passe aussi par une meilleure définition de leur travail, il ne faut pas forcément avoir un diplôme pour amener un plateau-repas dans la chambre du patient. Pour revenir à la pandémie et à la gestion de la crise par notre pays, je trouve que nous avons travaillé de manière remarquable. En comparaison à d’autres pays, nous avions un taux de 50% de lits aux soins intensifs par rapport à l’Allemagne qui en avait 100%. Cela ne fait que la moitié, mais nous avions davantage de lits que la France ou les Pays-Bas. Ce qui explique la différence de politique entre les pays durant la pandémie. En seulement 8 jours, les hôpitaux, quel que soit le réseau, se sont consultés et ont doublé la capacité de lits en soins intensifs. Ce qui veut dire qu’en Belgique, le nombre de malades admis n’a jamais été supérieur à 67% de la capacité totale. Bien sûr, certains hôpitaux étaient quasiment pleins, mais d’autres disposaient encore de beaucoup de lits disponibles. Nous n’avons donc jamais eu à faire de choix entre deux malades, il y avait assez de lits pour tout le monde. Je tiens à féliciter le corps médical et les directions d’hôpitaux pour cette adaptation. 

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR } Cet article a été rédigé avant l'annonce des nouvelles mesures sanitaires du 23 octobre dernier et donc avant que l'enseignement supérieur ne passe en code rouge ; espérons que les idées énoncées ci-dessous pourront bientôt être appliquées.

VIE ÉTUDIANTE 2.0 PAR ALEXANDRE SOMMA

Si la crise liée au covid-19 continue, que se passera-t-il ? Que deviendra la vie estudiantine sur les campus ? Bien malin celui qui saura prédire l’évolution de l’épidémie et de la situation sanitaire en Belgique. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que dans un premier temps, elle sera, comme pour le cursus académique, partagée entre le présentiel et le distanciel. Mais est-ce vraiment tenable à plus long terme ? Heureusement, des pistes se dessinent progressivement.

La crise sanitaire a obligé les universités à s’adapter, y compris par rapport à l’organisation de la vie estudiantine sur les campus. Les systèmes mis en place ont différé, allant de l’installation de chapiteaux permettant l’organisation d’activités à l’interdiction pure et simple de se réunir. C’est dans ce contexte que les étudiants et surtout les organisateurs d’évènements doivent se réinventer en fonction des protocoles locaux flous et inégaux des établissements universitaires. Cependant, voici environ deux mois que l’on a repris le chemin des campus, et force est de constater qu’interdire purement et simplement ne fonctionne pas. La population commence à se lasser des mesures restrictives de liberté. En effet, d’un côté, il est difficile d’interdire aux étudiants de profiter de leur vie estudiantine pendant une période non seulement longue mais aussi indéterminée ; et de l’autre, il faut apprendre à vivre avec le virus jusqu’à ce qu’un vaccin ou un traitement efficace soit disponible en Belgique. Un élément clé est probablement de miser sur la responsabilité et l’intelligence collective eu égard à la situation épidémiologique locale. Chacun doit comprendre qu’il en va de sa propre sécurité mais aussi de celle des autres de se protéger correctement et de respecter du mieux possible les règles afin de pouvoir continuer ses activités sans mettre des vies en danger. Les jeunes sont souvent les plus frileux à respecter les consignes parce qu’ils ne comprennent pas toujours les enjeux et surtout parce que, selon moi, ils ont connu une liberté que les générations précédentes n’ont pas connue, d’où la difficulté d’être privés de tout et de se conformer aux règles. Par ailleurs, les jeunes sont ceux qui ne sont pas les plus touchés en matière de gravité des symptômes de la maladie. La vie étudiante doit évoluer en tenant compte de

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ces deux paramètres : la situation épidémiologique locale et la responsabilisation des jeunes. Pour raviver la vie des étudiants, le distanciel apparait comme une option intéressante. Primo, son organisation se révèle être très peu couteuse ; ce qui renforce aussi l’accessibilité au dit événement. Deuxio, son organisation est assez simple : une connexion internet, un créneau horaire, et c’est parti ! Oubliés la location d’auditoire et les innombrables contacts avec les autorités universitaires pour s’assurer que tout est OK. Tertio, le distanciel garantit le risque zéro ; une aubaine ! Enfin, pour que ça soit un succès, encore faut-il trouver la bonne idée, le bon concept ; une chose loin d’être aisée. Mais pour cela il faut que les universités aident les organisations estudiantines notamment pour les facilités pratiques d’organisation d’événements. Car si souvent, l’organisation d’activités ne demande que peu de matériel, celui-ci est indispensable et n’est pas toujours facilement accessible pour les organisateurs d’activités. Les universités ont un véritable rôle à jouer dans le maintien d’une vie étudiante en ligne et sécurisée. Si le distanciel a bien des avantages, il ne peut pas être la seule et unique solution, surtout à long terme. De fait, si pour quelqu’un de déjà impliqué au sein d’une communauté étudiante, ce peut être satisfaisant, ce n’est pas le cas pour celui qui n’en fait pas encore partie. Le distanciel ne permet pas de créer une véritable relation avec une personne. Pour les nouveaux arrivants sur les campus étudiants (je pense tout particulièrement aux BAC1), il est très important d’entrer en contact physique avec un groupe pour adhérer par la suite à la vie étudiante 2.0. C’est pourquoi, il faut se réinventer en gardant toujours à l’esprit un équilibre entre convivialité


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Drink de rentrée du CEL ULB dans le respect des normes sanitaires

et sécurité. Ce n’est pas impossible, plusieurs exemples existent et cela fonctionne. De mon point de vue, les activités en extérieur, tout en respectant la distanciation sociale, sont à privilégier, car elles permettent de garantir une sécurité optimale. Les universités doivent tenir compte de la situation épidémiologique locale, c’est une nécessité car il serait injuste de pénaliser l’ensemble des étudiants belges alors que certains campus sont tout à fait « safe » mais surtout parce que l’évolution de l’épidémie varie très fort ponctuellement et géographiquement. L’Université Libre de Bruxelles (ULB) a bien compris cela et a tout de suite installé des chapiteaux à destination des cercles étudiants. D’ailleurs, le drink de rentrée de la section ulbéiste de la FEL s’est organisée de cette manière. Ensuite, je suis d’avis que les activités en intérieur doivent reprendre progressivement, en prenant en compte, bien évidemment, les différents protocoles en vigueur, qu’il s’agisse de celui relatif à l’enseignement supérieur, de celui propre à l’université au sein de laquelle se tient l’activité, de celui encadrant les activités des organisations de jeunesse (auquel la FEL et ses sections sont aussi soumises) ou encore du protocole du lieu d’accueil de l’activité (e.a. visite d’un Parlement). Vous l’aurez compris, je trouve regrettable que certaines universités tombent dans la caricature et rendent difficiles – voire impossibles

– l’organisation d’activités. D’une part, parce que c’est indispensable pour soutenir l’économie de notre pays et les différents secteurs qui ont eu difficiles comme l’Horeca, les musées, les théâtres et les infrastructures sportives. D’autre part, parce que ces différents lieux qui ont rouvert ont bien conscience de la situation et qu’ils mettent tout en place pour accueillir les clients dans la plus grande sécurité tout en gardant l’aspect convivial ou sportif de leurs infrastructures. En guise de conclusion, je dirais qu’il importe de trouver un juste milieu entre les activités virtuelles et celles en présentiel pour réinventer la vie estudiantine. Il faut proposer une offre innovante aux étudiants et ne pas attendre que l’épidémie passe tout simplement. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire, mais il est essentiel que la vie sur les campus et entre les étudiants reprenne. C’est le rôle de l’État, mais c’est aussi et surtout le rôle des universités et des organisations estudiantines d’assurer cette mission de responsabilisation des jeunes. Qu’ils prennent à cœur et assument avec sérieux cette tâche, car s’ils expliquent clairement les enjeux aux jeunes, ils pourront faire le pari mesuré et nécessaire de leur faire confiance afin que tous puissent profiter au mieux de leur vie estudiantine tout en respectant la sécurité des autres. Il s’agit ni plus ni moins de retrouver progressivement, en fonction de l’évolution sanitaire, les libertés de chaque étudiant. 

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LES ÉTUDIANTS COULENT PAR LOUIS D’EPENOUX

Le Covid a couté cher. « Non ? Sans déconner ? » me direz-vous. Mais c’est vrai, aux étudiants, le Covid a couté cher ! Je suis membre du Conseil Social de ma Haute École, j’y ai siégé durant le confinement et j’y siège encore. Je peux donc directement constater la détresse dont les étudiants nous font part depuis huit mois.

Les retours de cet organe témoignent des types de difficultés auxquelles les étudiants ont dû faire face. D’emblée, sur la même période, les demandes étaient non seulement plus nombreuses mais aussi plus importantes que les autres années. On s’y attendait, c’est pourquoi on a prévu une mesure d’aide supplémentaire mensuelle spécifique au confinement. Qu’on ne se le cache pas, en cette période, les jobs étudiants, c’est mort ! L’Horeca est sous perfusion et les étudiants, dont la plupart travaillent dans ce secteur d’activités, n’ont plus de job. Cela a été et reste un problème non seulement pour ceux qui travaillent pendant l’année, mais également pour ceux qui, en temps normal, le font durant les grandes vacances pour financer leur année d’études et qui n’ont pu le faire cet été. De plus, sur ces derniers mois, on observe une augmentation du cout des études ; suivre les cours en distanciel a entrainé des frais supplémentaires à cause du matériel informatique à acheter. Or, les étudiants qui n’avaient pas ce type d’équipements chez eux sont justement ceux qui sont les plus défavorisés. Cela s’explique notamment par le fait que les étudiants avec peu de moyens financiers ont l’habitude de travailler sur le campus et donc d’utiliser le matériel mis à disposition par l’établissement. En outre, la généralisation simultanée de l’enseignement à distance et du télétravail pendant la période de confinement a réduit les possibilités d’utilisation des outils informatiques déjà existants au domicile des familles.

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Je vous donne ici des exemples, mais ces pertes de ressources pour certains étudiants, couplées à celles qu’on également subies les parents, ont entrainé un nombre incalculable de problèmes comme des incapacités à payer un loyer ou un minerval… et donc un profond mal-être psychologique chez ces étudiants. Enfin, je voudrais souligner les récentes aberrations liées au système des bourses d’études. Certains étudiants, qui se trouvaient être boursiers, ont dû interrompre leur stage à l’étranger et rentrer à cause du confinement. La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) leur a alors demandé de rembourser intégralement leur bourse. « Bah, oui, monsieur, vous n’avez pas terminé le stage pour lequel vous avez reçu une bourse, vous devez donc la rembourser », s’entendaient dire les étudiants concernés. Et pour couronner le tout, la Direction des allocations et prêts d'études (DAPE) refuse aujourd’hui d’octroyer des bourses en disant aux étudiants de s’adresser à leur Conseil Social. C’est sans compter que le rôle du Conseil est d’ajouter une aide supplémentaire à des étudiants dont le cas est si désespéré que la bourse ne suffit plus, pas d’y suppléer ! Dieu sait que je ne suis pas un partisan de l’aide à outrance, bien au contraire. Mais je considère que si on veut une méritocratie, il faut s’en donner les moyens. Force est de constater que les moyens n’ont pas été donnés, et que c’est maintenant aux cellules locales d’aides d’essayer de sauver le navire avec des bouts de scotch… 


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QU’EST-CE QUE LE CONSEIL SOCIAL ? Le principe du Conseil Social d’un établissement d’enseignement supérieur est d’apporter aux étudiants en difficulté une aide supplémentaire à celles auxquelles ils ont déjà droit dans le but de leur permettre d’aborder sereinement leurs études. Cela peut se traduire par une aide directe à un étudiant en particulier ou par le financement de projets sociaux. Il existe par exemple une aide à la précarité menstruelle, avec des tampons gratuits laissés à la disposition des étudiantes qui en auraient besoin.

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RENCONTRE AVEC

LA MINISTRE VALÉRIE GLATIGNY PROPOS RECUEILLIS PAR ÖMER CANDAN

Après une fin d’année académique bien agitée pour les étudiants à la suite des décisions prises à cause du coronavirus, voilà que le début de ce premier quadrimestre s’annonce tout aussi tourmenté. Les étudiants libéraux ont donc contacté notre ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny pour une interview « COVID friendly » afin d’éclaircir les différents sujets qui ont fait couler (et continuent à faire couler) beaucoup d’encre chez les étudiants.

Ce fut LA surprise du casting du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Valérie Glatigny, 45 ans, est originaire de Marche-en-Famenne. Elle obtient d’abord un diplôme de philosophie, avant de poursuivre par la profession de journaliste. Par la suite, elle occupe la fonction de conseillère à la Présidence du Parlement européen. Aux dernières élections européennes, elle récolte près de 20.000 voix, en tant que première suppléante.

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  L’enseignement supérieur a cette particularité d’être financé en enveloppe fermée alors que le nombre d’étudiants entamant des études supérieures ne cesse de croitre. Comment maintenir la qualité des formations avec des moyens financiers par étudiant qui ne cessent dès lors de diminuer ? Dans un contexte où les comptes de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont dans le rouge, les pouvoirs publics sont-ils capables d’inverser la tendance ? Nous avons fait la promesse, au tout début de ce mandat, de refinancer l’enseignement supérieur. Cette promesse, nous sommes en train de l’honorer. Lors du dernier conclave, nous nous sommes engagés à refinancer l’enseignement supérieur à hauteur de 20 millions d’euros (5 millions que nous avions déjà obtenus, auxquels viendront se rajouter 15 millions). Cela signifie que, d’ici 2024, les établissements sont déjà assurés d’avoir 80 millions d’euros en plus que ce qu’ils avaient en 2019. Je souhaite également proposer un refinancement supplémentaire l’année prochaine, à hauteur de 10 millions. L’objectif est d’atteindre 50 millions de refinancement structurel progressif d’ici 2024, et nous sommes sur le bon chemin. C’est essentiel : la seule matière première dont nous disposons

en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est la matière grise de nos étudiants. C’est donc un investissement d’avenir que celui de vos cerveaux, les cerveaux des jeunes d’aujourd’hui et de demain.

  Concernant les quotas INAMI, la Flandre souhaite mettre en place sa propre commission de planification afin de déterminer ses besoins en soins de santé ; vous avez également annoncé vouloir faire de même en Fédération Wallonie-Bruxelles. Où en est-on dans ce dossier ? Quel regard portez-vous sur le dossier des quotas INAMI qui voient des étudiants être sacrifiés sur l’autel des quotas alors que la pénurie de médecins généralistes et de certaines spécialités est avérée. Je compte proposer un texte au gouvernement d’ici la fin de l’année. Le but est d’objectiver les besoins sur le terrain, de préciser où nous manquons de généralistes et/ ou de spécialistes, et de travailler sur les sous-quotas entre généralistes et spécialistes afin de rééquilibrer les différents besoins. L’engagement est encore une fois très clair, car nous savons combien il est important pour un étudiant en médecine ayant réussi son examen d’entrée, ayant réussi son parcours, d’avoir le droit d’exercer sa profession. Il est clair que nous serons plus forts en Fédération Wallonie Bruxelles si nous sommes capables d’objectiver la réalité et nos besoins sur le terrain.

 Et par rapport aux médecins étrangers qui viennent renforcer nos rangs, sommes-nous dans l’optique de les remplacer par nos propres médecins ? Non, l’idée n’est clairement pas de supprimer la présence d’étudiants étrangers en médecine. D’ailleurs, nous savons qu’ils sont déjà contingentés. Je suis convaincue qu’en offrant la possibilité à tous nos étudiants entamant des études de

médecine de terminer leurs parcours avec un numéro INAMI, les étudiants étrangers seront également mieux acceptés.

  Le décret Paysage, dont les effets pervers ont été dénoncés par nombre d’acteurs – y compris par la FEL –, est sur toutes les lèvres. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre projet de réforme du décret et notamment, sur votre souhait d’obliger la réussite de la Bac1 en deux années maximum ? Que répondez-vous à ceux qui disent que cette mesure a pour unique but de « responsabiliser l’étudiant face à ses échecs » ? Responsabiliser les étudiants n’est pas une mauvaise chose, pour autant que tout le monde politique prenne bien lui ses responsabilités à son niveau. J’ai pris la mienne, en refinançant l’enseignement supérieur. Les intentions du décret Paysage (permettre à un étudiant de progresser à son rythme au travers de l’accumulation de crédits) étaient louables, et je ne veux certainement pas le mettre à la poubelle. Mais nous avons constaté que le décret avait des limites, des « maladies de jeunesse » et des effets pervers. Je soulignerai notamment l’allongement évident du parcours académique, qui a pour conséquence une précarisation des étudiants. Il arrive parfois que certains se découvrent nonfinançables après plusieurs années, et qu’une porte se referme

définitivement devant eux. Ce que je veux, c’est avoir le plus grand nombre possible de diplômés dans le supérieur. Cela passe aussi par un balisage plus important au début du parcours, pour qu’un étudiant comprenne le plus rapidement possible s’il est ou non sur la voie de la réussite. En parallèle de ce qui a été annoncé, nous allons également travailler sur les aides à la réussite pour qu’elles soient plus importantes et efficaces.

  Notre organisation soutient l’instauration d’un test d’orientation obligatoire, mais non contraignant, au sortir du secondaire. Nous estimons qu’il s’agit, là aussi, d’une manière de responsabiliser l’étudiant dans le futur choix qu’il pose. Pour l’étudiant, les lacunes potentiellement décelées lors du test pourraient également faire l’objet d’un suivi personnalisé/ individualisé voire des cours de remise à niveau lors de la première année de baccalauréat. Qu’en pensezvous ? Je suis pour un outil d’évaluation, ou d’auto-évaluation. Cependant, je suis favorable à un test d’orientation strictement volontaire (et donc non obligatoire) et non contraignant. Même si l’étudiant échoue et qu’il a 5 sur 20, il pourra entamer les études de son choix. L’objectif n’est pas du tout de faire de la sélection très tôt dans le parcours - ça ne me correspond d’ailleurs pas philosophiquement - mais plutôt d’offrir un outil à l’étudiant qui sort de sixième secondaire et qui, parfois, n’a pas conscience de tous les prérequis nécessaires à la formation qu’il va suivre. Il doit pouvoir s’autoévaluer. Le problème avec l’aide à la réussite, c’est que ce sont les étudiants qui en ont le moins besoin qui y font appel. Il faut essayer de toucher ceux qui ne se rendent pas encore compte >>

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qu’ils auraient besoin d’une aide supplémentaire. Il faut savoir que ces aides peuvent porter sur de la matière, mais aussi sur les méthodes d’apprentissage et de prise de notes, dont la maîtrise manque parfois chez certains étudiants n’ayant pas eu une bonne préparation en secondaire.

  Dans notre proposition, nous sommes pour un test obligatoire à tous les étudiants à la sortie du secondaire. Vous défendez plutôt l’instauration d’un test non obligatoire. Pourquoi ? La déclaration de politique communautaire prévoit un test non obligatoire. Je comprends l’intérêt d’avoir un test obligatoire mais je pense que sur ce sujet, il faudra mettre sur la table une proposition équilibrée. Peut-être qu’on pourrait commencer par une auto-évaluation non obligatoire - sinon on rejoint assez vite l’idée d’un filtre. Je pense aussi qu’il faut renforcer les mécanismes d’information aux étudiants, car beaucoup d’entre eux ne sont pas conscients de l’immense offre de formations dont nous disposons en Fédération Wallonie-Bruxelles. Certains s’orientent vers telle ou telle filière parce qu’un ami fait telle ou telle étude, ou parce que leurs parents aimeraient qu’ils suivent telle ou telle formation. Inciter les futurs étudiants à mieux se renseigner est une bonne pratique à encourager.

  Il y a quelques semaines, avec deux autres organisations étudiantes (edH et Défi Jeunes), nous avons rédigé une lettre ouverte qui vous était destinée. Dans celle-ci, nous appelions à l’évaluation du décret Participation tout en déplorant la confiscation et le monopole de la représentation étudiante par une seule entité (la FEF, pour ne pas la citer). Où en est-on dans ce dossier ? Y a-t-il un espoir qu’une représentation étudiante plus démocratique, plus légitime et plus pluraliste puisse voir le jour ces prochaines années ? Je suis évidemment favorable à davantage de pluralisme. Je suis convaincue que c’est une condition importante en démocratie, et cela vaut aussi pour la représentation étudiante. Une évaluation du décret a été demandée à l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur) et aux administrations. Nous attendons les résultats d’ici la fin de l’année.

 Les derniers mois ont soumis à rude épreuve les étudiants. On doit d’ailleurs souligner l’incroyable résilience dont beaucoup ont fait preuve lors des dernières semaines de cours et lors des sessions d’examens. Malgré tout, chez certains, la crise sanitaire a engendré, voire accentué, la précarité, l’isolement et l’anxiété... En tant que ministre de l’Enseignement supérieur, quel est le message que vous avez envie de leur adresser ? Je sais que les derniers mois ont été éprouvants pour les étudiants et, malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée. Au contraire, elle est en train de s’empirer. Nous faisons encore une fois appel à la responsabilité des étudiants. Je vous avais adressé un message de félicitations à la fin de l’année académique. Nous avons pu constater un taux d’abandon inférieur aux autres années (environ 5%), et un taux de réussite légèrement supérieur. Les étudiants ont globalement réussi à rester accrochés à leurs apprentissages, ce qui est une prouesse vu les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la fin d’année académique.

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Évidemment, il est très difficile de passer à nouveau ce message ce message de responsabilité, mais je me dois de le passer, tout en leur demandant de respecter les règles mises en place et de continuer à fournir les mêmes efforts. J’aurais souhaité qu’ils puissent avoir la même jeunesse que j’ai pu avoir au temps de mes études. J’entends beaucoup parler des jeunes qui ne se soucieraient pas de la santé des plus âgés, du rôle important qu’ils jouent dans la propagation du virus mais, heureusement, ce n’est pas cette réalité-là que j’ai pu constater dans les auditoires.

  Les établissements d’enseignement supérieur ontils à leur disposition des moyens supplémentaires pour gérer l’angoisse psychologique potentiellement survenue chez certains étudiants ? Nous avons prévu des montants spécifiques pour les établissements pour toute une série de dépenses (gel hydroalcoolique, masques, etc.), ainsi que deux enveloppes de 2.285.000 euros pour venir renforcer les 50 millions de subsides sociaux déjà mis à disposition des établissements chaque année. Ces montants pourront servir aux étudiants qui ont un besoin particulier en termes de soutien psychologique ou en termes d’achat de matériel. Le message qu’il faut adresser aux étudiants est que, s’ils ont un problème spécifique, ils peuvent se tourner vers leurs établissements. Ils y trouveront des professionnels, comme des psychologues ou des assistants sociaux, qui sont là pour les aider.

  Après ces questions techniques, permettez-nous d’en savoir un peu plus sur la vie étudiante de notre ministre. Quel style d’étudiante étiez-vous ? Pouvezvous partager vos souvenirs, vos anecdotes quant à votre parcours dans le supérieur ? C’est avec beaucoup de nostalgie que j’y repense. J’ai adoré mes années dans le supérieur. Après deux années en langues, j’ai obtenu une licence en philosophie. J’ai ensuite obtenu un diplôme d’études complémentaires en éthique biomédicale. J’ai un groupe d’amis avec lequel je suis toujours en contact. Nous étions tous passionnés de philosophie, et nous passions des heures à discuter de philosophes, parfois jusqu’au petit matin. Je dois vous avouer que je suis assez émue d’en reparler. Ce sont d’excellents souvenirs.

  Étiez-vous engagée étant jeune ? Que ce soit dans un cercle ou même dans une organisation/mouvement de jeunesse ? J’ai eu la chance de pouvoir faire partie des mouvements de jeunesse. J’étais cheffe louveteaux, et j’ai fait les guides. J’ai également été baptisée à la LUX. Il est vrai que j’adorais faire la fête, et c’est également pour cette raison que je suis triste pour les étudiants de cette année, qui ne peuvent pas vivre de telles expériences. Car c’est aussi la vie à côté des cours qui rendent les années où nous sommes étudiants inoubliables.

  Le mot de la fin : Ayant fait des études de philosophie, pouvons-nous terminer cette interview par votre philosophe préféré ou votre citation préférée ? « Ouvrir une école, c’est fermer une prison », disait Victor Hugo. Je suis convaincue que c’est par la formation et l’éducation que l’on favorise l’insertion d’un être humain dans son environnement, et qu’on lui donne l’occasion de découvrir le sens de sa vie, tout simplement. 


{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

TROIS DOSSIERS QUI NOUS TIENNENT À CŒUR PAR LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANTS LIBÉRAUX

Même si elle n’est pas un syndicat étudiant, la Fédération des Étudiants Libéraux (FEL) a toujours eu à cœur de défendre les jeunes de l’enseignement supérieur. Dans le cadre de ce dossier, nous souhaitons rappeler plusieurs de nos propositions. Certaines d’entre elles traversent les années, mais n’ont pas pour autant pris une ride. D’autres, au contraire, font l’objet de consensus plus récents obtenus à la suite d’enrichissantes discussions en interne.

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

La représentation étudiante

En septembre dernier, la FEL, accompagnée d’autres organisations étudiantes, a rédigé une lettre ouverte à la ministre Valérie Glatigny. Dans celle-ci, nous demandions à la ministre de se saisir du dossier de la représentation étudiante et d’évaluer, dans un premier temps, le décret Participation. Si nous souhaitons remettre en question le modèle actuel, c’est que nous pensons qu’il expose au grand jour deux écueils. Premièrement, nous dénonçons un déficit de légitimité. N’est-il pas discutable qu’un groupe restreint d’étudiants (ici, le Conseil étudiant élu par les autres étudiants) soit considéré comme le seul et unique décisionnaire au moment du choix de l’affiliation d’un établissement d’enseignement supérieur à une Organisation Représentative Communautaire (ORC) ? Sans compter le fait que le système d’élection indirecte dépossède l’étudiant de son droit de participer à la prise de décision sur son propre campus. Du point de vue de la liberté de choix, on a déjà connu (beaucoup) mieux. Dans ces conditions, il est difficile de parler de « démocratie étudiante ». Deuxièmement, nous pointons le déficit de pluralisme. Avec le départ de l’Unécof, la FEF est le seul maitre à bord. Si d’aventure, le Conseil étudiant d’un campus x ou y refuse de rejoindre la FEF, il n’a d’autre choix que d’être indépendant… et de ne pas être représenté au niveau communautaire. Nous ne pouvons que contester la confiscation et le monopole de la représentation étudiante par une seule entité. Nous n’avons d’ailleurs pas peur de revendiquer l’existence d’une multitude d’idées et d’identités au sein du monde étudiant. Le pluralisme n’est pas un gros mot, mais en matière de représentation étudiante, il n’a jamais été aussi peu présent.

NOS PISTES POUR INVERSER LA TENDANCE : (1) Assouplir voire révoquer certains critères de reconnaissance d’une ORC. On peut penser aux critères du numérique et du pluralisme. Être pluraliste revient à défendre les mêmes revendications que le camp d’en face. Comment peut-on, dans ce cas, véritablement se différencier par rapport à une ORC adverse ? (2) Instaurer le principe d’élection directe de l’ORC par les étudiants en privilégiant, dès lors, un modèle de démocratie directe. Ceci éveillerait l’intérêt des étudiants et responsabiliserait d’avantage les ORC. (3) Permettre l’affiliation directe des étudiants à l’ORC de leur choix. Après tout, comme dans le monde du travail, chaque étudiant doit pouvoir choisir d’être représenté par qui il le souhaite, ou tout simplement de ne pas l’être.

Le financement de l’enseignement supérieur

En Belgique francophone, les années se suivent et se ressemblent. L’enseignement supérieur, toujours lui, souffre d’un sous-financement chronique qui, s’il n’est pas résorbé ces prochaines années, aura plusieurs conséquences néfastes. Comment dans pareilles conditions peut-on imaginer que nos établissements puissent poursuivre leur rôle d’ascenseur social ? D’ailleurs, alors que la situation était déjà au plus mal, la crise sanitaire a engendré 17 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour les universités francophones. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation, il ne faut pas remonter bien loin. Mis en place en 1997, le système de financement dit de «l’enveloppe fermée » dessert l’enseignement supérieur car il ne prend pas en compte l’évolution de la population étudiante. Dit autrement, le nombre de nouvelles inscriptions dans l’enseignement supérieur ne fait que croitre, mais les moyens par étudiant, eux, diminuent. À terme, une question se pose : comment maintenir la qualité des études dans un contexte où les établissements francophones doivent composer avec de moins en moins de ressources ? Rappelons que le Conseil des Recteurs des universités francophones a estimé que 150 millions d’euros seraient nécessaires pour refinancer les universités sous cette législature.

NOS PISTES POUR INVERSER LA TENDANCE : (1) Mettre fin au principe de l’enveloppe fermée. (2) Favoriser les partenariats public-privé en s’assurant que ceux-ci soient soigneusement encadrés et contrôlés par un ensemble de garde-fous pour ne pas mettre à mal l’indépendance et la liberté d’enseignement des établissements d’enseignement supérieur. (3) Imaginer des moyens alternatifs de financement tels que l’impôt dédicacé à l’éducation. L’individu aurait le libre choix, selon un prorata défini, de décider de la destination de nos contributions étatiques.

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

Le contingentement INAMI

Nous déplorons l’incertitude dans laquelle sont plongés les étudiants désirant entamer ou poursuivre leurs études de médecine. Ceux-ci risquent d’être sacrifiés, à la fin de leurs parcours, sur l’autel des quotas INAMI. À l’époque, lorsque le contingentement fut mis en place, il reposait sur le postulat, finalement erroné, qu’une hausse de médecins augmenterait le nombre d’actes médicaux posés et aboutirait, de ce fait, à une explosion des coûts de la sécurité sociale. Qu’une sélection s’opère avant l’entame des études, la FEL pouvait tout à fait l’entendre et l’avait même défendue ; en revanche, l’obstination qui consiste à priver un individu, après des années de dur labeur, de sacrifices et d’investissements, de l’accès à la profession, va à l’encontre des valeurs libérales de la FEL et ne constitue ni plus ni moins qu’un obstacle intolérable à la liberté de chacun d’entreprendre et de travailler. Et si ce raisonnement ne vous convainc pas, la réalité du terrain qui accuse une pénurie de généralistes et de certaines spécialités aura vite fait de le faire. La crise vécue ces derniers mois a mis en lumière la nécessité de ne pas détricoter notre système de soins de santé mais bien de le renforcer. Le besoin en personnel est criant, et il est fort à parier qu’avec le vieillissement de la population et le départ à la retraite de bon nombre de médecins, qui ne pourront pas tous être remplacés, cette demande ne fera que croitre. Le développement d’une politique de santé durable et de qualité, où le personnel soignant est en nombre suffisant et est formé dans les meilleures conditions, est la seule direction qui devrait être retenue dans ce dossier. 

NOS PISTES POUR INVERSER LA TENDANCE : (1) Supprimer purement et simplement le système des quotas INAMI qui apparait inadéquat et inconséquent au regard des chiffres régulièrement cités. (2) Garder uniquement la sélection à l’entrée des études de médecine qui est amplement suffisante.

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

D’AUTRES FENÊTRES… PAR LA FÉDÉRATION DES ÉTUDIANTS LIBÉRAUX

Les thématiques liées à l’enseignement supérieur sont vastes et les sujets qui touchent les étudiants sont nombreux. Voici d’autres fenêtres ouvertes sur des questions clés qui poussent à réfléchir et donnent envie de trouver les bonnes solutions.

Question 1 Faudrait-il développer les partenariats public-privé pour les infrastructures universitaires et étudiantes ?

Question 3 Comment rendre plus démocratique l’accès aux « Job day » pour les entreprises ?

Question 2 Serait-ce bénéfique d’obliger la réussite de la BAC1 en deux années maximum ?

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{ DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR }

Question 4 Devrait-on complètement repenser le système des bourses ?

Question 5 Que pourrait-on mettre en place afin d’aider les étudiants en situation d’échec ?

Question 6 Le système d’escorte pour prévenir l’insécurité féminine sur les campus est-il adéquat pour traiter ce problème ?

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{ CARTE BLANCHE }

LA CARTE BLANCHE

LE LANGAGE « INCLUSIF » POUR UNE SOCIÉTÉ NEUTRALISÉE ? PAR ADRIEN PIRONET

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{ CARTE BLANCHE }

« Cher.e.s étudiant.e.s »… Depuis quelques temps, il n’est pas rare de trouver dans les mails de nos professeurs cet usage assez singulier de la langue française. Cette nouvelle pratique pour le moins particulière, c’est l’écriture inclusive. Souvent divisés à son sujet, nous ne sommes pas toujours au fait qu’il s’agit d’un sujet capital de société qui cache en réalité une lutte plus profonde entre les genres. Tentons d’abord de comprendre la situation et les origines de cette pratique. Nous verrons ensuite si des alternatives sont possibles avant de terminer sur notre position. En juillet dernier, les députés de l’Assemblée nationale ont reçu une proposition de loi « visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par toute personne morale publique ou privée bénéficiant d’une subvention publique ». À la manœuvre, on retrouve Sébastien Chenu, député du Nord du Rassemblement national. Il est rejoint, entre autres, par le très controversé Joachim Son-Forget et Marine Le Pen qu’on ne présente plus. On remarque indéniablement que l’usage de la langue française n’est plus une question d’académie, mais bien de parlement.

L’écriture épicène et inclusive : la neutralité à tout prix…

Malgré ce terme farouche, le langage épicène n’a rien à voir avec Épictète ou d’autres consorts de la philosophie antique. Il s’agit en réalité du terme précis lorsque l’on veut désigner la pratique du langage neutre. C’est-à-dire que l’on remplace les mots au genre défini par une version neutre. Par exemple, en appliquant cette logique, «  les droits de l’Homme  » deviennent « les droits humains » ; ce qui, convenons-nous, n’est pas fondamentalement dérangeant. Il n’est pas à confondre avec l’écriture « inclusive ». Elle a pour objectif en effet de concilier l’usage des deux genres afin de se vouloir le plus accommodant. Pour en faire usage, il faut à la fois utiliser le genre féminin et masculin (lorsque c’est possible) en séparant chaque fin de mot d’un point médian. C’est en tout cas l’adaptation majeure que nécessite l’écriture inclusive. Nous avons tous déjà vu : « cher.e.s participant.e.s » sur les réseaux sociaux (plus rarement couché sur le papier). Son objectif principal est de réduire l’iniquité en vue d’obtenir un langage neutre. Ce nouveau procédé vient troubler l’usage de la langue de Molière. En effet, il se veut neutre, certains diront même « non sexiste », et vise donc à s’écarter de toute discrimination. Et pour cause, le français connait deux genres grammaticaux : le masculin et le féminin. Quid du genre neutre me direzvous ? Dans notre langue, il n’en existe pas à proprement parler, le masculin fait office de neutre. C’est bien cela qui peut faire défaut et qui est à l’origine de cette tension entre les genres dans la société contemporaine. Comme le souligne Cécile Philippe, docteur en économie, « cette pratique inclusive rend l’utilisation de langue française davantage compliquée ainsi qu’assez illisible ». Elle pointe

également un élément important : cette correction de la langue semble être un besoin irrépressible de lutter contre les discriminations. Or, la langue française n’est pas le problème. Certaines personnes convaincues prétextent que l’usage du masculin comme genre neutre est une agression contre la gent féminine. Toutefois, cette prétendue agression morale n’est rien face à une attaque physique et de surcroit sexiste, qu’il faut absolument combattre. En 2017, la prestigieuse Académie française s’est emparée du sujet. L’ensemble des académiciens ont voté à l’unanimité une déclaration qui, quoique courte, est pleine de bon sens : « En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures ». Dans la mesure où l’apprentissage de la langue française est déjà complexe et par le constat que sa maîtrise est par essence compliquée, on comprend les arguments avancés. On imagine difficilement la réédition de Victor Hugo en écriture inclusive. Cela ne veut pas non plus dire que les « 40 immortels » sont une assemblée de vieux conservateurs qui débâtent au comptoir du coin. En effet, rappelons sa légitimité en la matière. Elle fut créée par Richelieu en 1635 pour promouvoir et élever la langue française et se compose de personnalités de haut rang : historiens, poètes, scientifiques, romanciers, etc. Dernièrement, en 2019, une avancée dans la traque au sexisme a été opérée : les titres et métiers féminisés sont désormais autorisés. C’est avant tout une décision rationnelle tout à fait normale. Dans le fond, « la langue française a tout ce qu’il faut pour parler des femmes et des hommes à égalité » dit Eliane Viennot, historienne de la littérature. Il ne faut donc pas croire que ce récent mouvement inclusif est le combat de toutes les femmes.

La sanction étatique pour seule solution ?

Pour autant, l’usage de l’écriture inclusive doit-il être réprimé, comme le préconisent Marine Le Pen et consorts… ? Bien évidemment que non. Le recours à l’outil répressif, de surcroit étatique, n’est pas toujours la solution la plus adaptée. Dans ce cas précis, il constitue une réponse forte et certainement disproportionnée. Nos valeurs libérales préfèrent régler les situations là où se trouve l’origine du problème. La sanction n’est que la dernière solution, puis vient l’incitant, qui peut régler provisoirement un mécontentement, mais n’est >>

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{ CARTE BLANCHE }

que cosmétique. La meilleure idée étant de se pencher au cœur du disfonctionnement : le problème d’inégalité entre les femmes et les hommes. Pour ensuite en chercher les causes : l’éducation, la répétition sociale, et tant d’autres ; afin de panser la blessure à son origine. Imaginons un instant qu’un dentiste s’occupe de poser un plombage à son patient alors qu’il faudrait en réalité lui arracher la dent. L’exemple semble idiot mais le raisonnement décrit la situation où nous en sommes aujourd’hui avec des propositions législatives, dites « loi-spectacles ». Celles-ci ont tout simplement pour objectif de calmer tout le monde en montrant que l’on prend le problème à bras-le-corps alors qu’en réalité ce n’est pas du tout le cas. Le libéralisme, c’est réfléchir au contexte global avant d’ouvrir la boîte à outil législative. Albert Einstein n’a-t-il pas affirmé

que l’État était notre serviteur et que nous n’avions pas à en être les esclaves. N’importe quel bon législateur sait que s’il veut que sa loi soit respectée, il doit y mettre les formes. En l’espèce, la proposition législative de Sébastien Chenu se veut très lacunaire : on ne sait pas s’il faut imaginer une horde de fonctionnaires, renforçant la bureaucratie, qui travailleraient à repérer les personnes morales se rendant coupables d’usage de l’écriture inclusive, ou bien s’il faut s’attendre à ce que cela se fasse sous forme de dénonciation. Ensuite, une fois l’infraction constatée, est-il question de leur retirer leur subvention : ad vitam ou provisoirement ? Néanmoins nous avons contacté le député français, qui a renvoyé exactement le même texte que celui présent sur le site internet de l’Assemblée nationale. Bref, nous ne le saurons pas

D’AUTRES PISTES SONT POSSIBLES !  Une piste, tout à fait minoritaire, imagine la création d’un genre neutre. Il s’agirait

par exemple de créer le «  ie  », pronom personnel singulier neutre (parmi d’autres suggestions). Cette solution est en réalité proposée par les personnes ne se reconnaissant pas dans un genre binaire. Très concrètement, nous aurions le choix entre : « iel est grand » et « iel est grande », ce qui, ne le cachons pas, apparaît assez compliqué. Le fait de savoir comment accorder l’arsenal d’adjectifs de la langue française deviendrait alors un casse-tête. Derrière cette simple histoire d’accords, un réel problème, notamment pour les personnes transgenres, persiste puisque même si le pronom reste neutre, l’adjectif est, quant à lui, clairement orienté vers un genre en particulier. Même si cette parade a le mérite de solutionner la dualité entre les genres féminin et masculin, elle risquerait cependant de mettre à mal tout le fonctionnement de notre moyen de communication et d’échange culturel commun.

 Notre piste privilégiée : l’éducation scolaire et familiale. À défaut de s’amuser à créer un « Pacte

pour un Enseignement d’excellence », attaquons les maux de la société à l’endroit le plus opportun. Puisque l’enseignement est la place centrale de l’apprentissage de la langue, il faut l’organiser minutieusement. Pendant des générations, les enseignants ont eu pour coutume de dire à leurs élèves que le masculin l’emportait sur le féminin ; quoi de plus amer pour les petites filles qui étaient, dès leur plus jeune âge, diminuées face à leurs camarades du sexe opposé  ! On imagine tout à fait que cette parole « divine » du professeur venait renforcer un sentiment de force virile. Cette façon mnémotechnique permettait certes de retenir que le genre masculin fait office de neutre, mais on peut remettre son impact en doute. La période de l’enseignement obligatoire, de 5 à 16 ans, représente une période de construction fondamentale pour les jeunes élèves, c’est à ce moment-là qu’il faut empêcher la formation de stéréotypes et autres discriminations. Néanmoins, c’est aussi une question d’éducation intrafamiliale. Changeons les mentalités là où c’est possible.

La problématique de l’égalité des sexes, et à fortiori des genres, reste au centre des attentions. Même si l’utilisation de l’écriture inclusive reste une piste accommodante, elle n’est toutefois pas nécessaire. Il est inopportun d’aseptiser la langue française. C’est tout simplement inconcevable pour des raisons pratiques. L’usage du masculin comme genre neutre n’est pas une fatalité, le nœud de la question réside surtout dans la conception mentale d’une prétendue supériorité que l’on a pu enseigner. En définitive, l’écriture inclusive ne fait que maquiller le réel souci : les inégalités profondes de la société. On peut penser à l’écart salarial, les violences sexuelles, l’organisation du foyer, la présence des femmes dans les fonctions dirigeantes, etc. C’est donc d’abord dans nos mentalités qu’il faut opérer un changement afin que l’évolution puisse s’accompagner d’une façon normale et continue. 

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{ FRANCE POLITIQUE }

LE DÉCLIN DE LA DROITE FRANÇAISE PAR ARTHUR WATILLON

De Charles de Gaulle à Jacques Chirac, en passant par Georges Pompidou, Nicolas Sarkozy, ou encore Charles Pasqua, la droite française n’a cessé de façonner le paysage politique de l’Hexagone. Historiquement issue des événements politiques de la Révolution française, aux commandes de la Ve République pendant près de 40 ans, majoritaire à de nombreuses reprises au sein du Palais Bourbon, la droite semble permanente, voire éternelle. Pourtant, les récents insuccès électoraux et autres désappointements entraînent la remise en question de la place qu’occupe cette mouvance au sein de l’échiquier politique et, de facto, de son avenir.

La droite… des droites

Il ne faut pas se leurrer, la droite ne se limite pas à une masse homogène, mais à de nombreux courants politicophilosophiques. Selon l’historien et académicien René Rémond, on distingue trois droites historiques, nécessaires à la compréhension de son évolution politique : la droite orléaniste, la droite bonapartiste et la droite légitimiste. La droite orléaniste est caractérisée par le libéralisme, notamment sur les plans économique et social. Un de ses représentants phares n’est autre que Valéry Giscard d’Estaing. La droite bonapartiste, elle, se reconnaît dans un chef d’État fort, charismatique, situé au-dessus de la « mêlée ». C’est notamment de ce courant que provient le gaullisme. Enfin, la droite légitimiste regroupe les partisans de la monarchie favorable au retour du Roi. Aujourd’hui, ce dernier mouvement est davantage considéré comme une école de pensée et se trouve remplacé par la droite dite conservatrice − autant sur les valeurs que sur l’ordre social − dont l’électorat est plutôt catholique.

Les dangers de l’extérieur

Le paysage politique français a connu, au cours de ces dernières années, l’apparition de nouvelles formations

qui ne sont pas étrangères à la baisse de la droite dans les sondages. En effet, outre la gauche, traditionnellement opposée, soulignons la montée du Rassemblement National (ex-FN). Ce parti a très vite fait des thèmes sociaux (lutte contre le chômage, exclusion sociale…) et identitaires (Frexit, renforcement du contrôle de l’immigration…) son cheval de bataille. Or, ces thèmes plaisent aussi à une certaine frange de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), notamment au sein de l’électorat ouvrier de la droite, qui s’en détourne alors. Afin de contrer cette perte d’adhésion, Nicolas Sarkozy tente de reprendre les thèmes de Marine Le Pen à son compte. Grand mal pour lui, il commet une double erreur : D’un côté, une partie des électeurs − situés plus à droite et composant la base « populaire » − se rabat vers le FN, et une frange d’électeurs plus modérés se dirige vers l’autre menace, le mouvement En Marche (LREM) d’Emmanuel Macron. Tiraillée à tribord et sur son centre, la droite est désormais étriquée entre deux partis en vogue, sans parler des multiples petites factions (Debout La France, UPR…) qui en siphonnent d’autres électeurs.

Les années Sarkozy : l’âge d’or ?

Le 6 mai 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est élu président de >>

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{ FRANCE POLITIQUE }

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{ FRANCE POLITIQUE }

la République, celui-ci réussit non seulement à succéder à un président qui venait déjà de droite (J. Chirac), mais également à rassembler les droites dans un vaste mouvement qu’il hérite de son prédécesseur et dont il est le chef absolu, l’UMP. Cette formation, issue de l’union entre le RPR et l’UDF (les deux principales forces de droite), se révèle être une machine électorale. Cependant, cet organisme ne peut fonctionner correctement que si chaque membre de la famille y occupe un poste. Or, le gouvernement Fillon II se révèle majoritairement composé de ministres ex-RPR. Une première vague de départs se fait donc sentir parmi les cadres. Malgré cela, Nicolas Sarkozy reste le leader incontesté de la droite et se présente à sa réélection ; pari manqué en 2012. Désireux d’assumer sa défaite en tant que chef, Sarkozy décide de se retirer de la tête de l’UMP. Pour lui succéder, deux hommes vont se faire face : François Fillon, ancien Premier ministre, et Jean-François Copé, alors Secrétaire général du parti.

La lutte des chefs

Cette lutte marque une première grande fracture à droite. En effet, deux clans rivaux se forment et revendiquent la victoire. Finalement, la COCOE (Commission de contrôle des opérations électorales) de l’UMP déclare J.F. Copé gagnant avec une courte avance de 0,03 % sur son rival. Cependant, empêtré dans ce qui devient « l’affaire Bygmalion », son passage à la tête du parti est de courte durée ; il finit en effet remplacé par le retour de Nicolas Sarkozy en 2014. Ce dernier, estimant avoir échoué de justesse en 2012 (48, 36 %), décide de revenir sur le devant de la scène. Les militants, sarkozystes avant tout, retrouvent leur leader, et l’UMP est rebaptisé Les Républicains (LR). Avec ce retour, l’espoir de renaître de ses cendres a point chez LR. Or, la descente inéluctable aux enfers ne faisait que débuter.

La primaire de la droite et du centre

L’élection interne qui permit à la droite et au centre de se désigner un candidat à la présidentielle de 2017 est, selon de nombreux politologues, une erreur. En effet, la droite est un vaste mouvement, qui nécessite un rassemblement autour d’un homme providentiel, un chef dégageant des synergies entre les groupes. Or, cette primaire va constituer ce que le journaliste Charles Jaigu appelle des « écuries », divisant la droite. À la surprise de tous, c’est François Fillon qui en sortira grand vainqueur. Surprise ? Pas tellement. La droite étant donnée gagnante dans tous les cas de figure face à la gauche, les électeurs ont préférés voter pour le candidat le plus à droite. Candidat désigné par les électeurs, Fillon met du temps à rassembler − juppéistes et sarkozystes − les différents groupes d’électeurs, ce qui irrite et provoque une mise en retrait de leur part. Le 25 janvier 2017, déjà affaibli par une campagne peu dynamique, François Fillon subi les révélations du Canard enchaîné, qui relate des

soupçons d’emplois fictifs de Pénélope Fillon, son épouse. Or, le candidat s’était démarqué par sa rectitude, avec notamment cette phrase : « Qui imagine le général De Gaulle être mis en examen ? ». À l’initiative du Parquet national financier de la République, une vaste enquête est menée à son égard. Sur le plateau de TF1, il déclare qu’il se retirerait, « […] si mon honneur était atteint, si j’étais mis en examen ». Cependant, il ne tiendra pas sa parole, provoquant la perte de nombre de ses soutiens. Constamment questionné sur cette affaire, son temps de parole est dédié à sa défense. Galvanisé par l’important rassemblement du Trocadéro, le champion de la droite décide néanmoins d’aller jusqu’au bout. Le soir du premier tour de la présidentielle, c’est historique, la droite termine en troisième position et ne parvient pas à se qualifier au second tour de la présidentielle.

L’épisode Wauquiez : la droite de retour, vraiment ?

Après des législatives en demi-teinte, car perdant une partie de ses sympathisants au profit de la majorité présidentielle, la droite se doit de trouver un nouveau chef. Bien qu’élu confortablement à la tête des Républicains, Laurent Wauquiez et sa ligne très dure ne font pas l’unanimité chez LR. La droite se retrouve, une fois encore, fragmentée. Une division durement ressentie lors du scrutin européen de 2019. Malgré une bonne campagne, François-Xavier Bellamy, tête de liste LR à l’Europe, ne parvient pas à faire figure d’alternative. Encore une fois, le jeu des trois droites intervient, avec un électorat dispersé entre le Rassemblement National et LREM. Les conséquences sont lourdes, car la droite est de nouveau frappée par l’opprobre, avec un score historiquement bas de 8,2%.

Et maintenant ?

La droite française nécessite une vaste refonte, qui n’a plus été effectuée depuis la première apparition de Nicolas Sarkozy. Esquivant le débat d’idées, elle s’est centrée, malgré elle, sur une « guerre de chefs », de clans, incompatible avec l’ADN de la droite. En outre, la société évolue, et les mobilisations autour de slogans aussi tièdes que « la droite est de retour » ne semblent plus faire recette. Malgré cela, il est impératif qu’une droite solide retrouve ses couleurs, qu’elle puisse se distinguer comme une alternative crédible à la France Insoumise anti-tout et au populisme grossier du Rassemblement National. Pour reprendre le flambeau et redonner ses lettres d’or à la droite, plusieurs candidats sont généralement évoqués. Parmi ceux-ci, Rachida Dati, candidate lourdement défaite à la mairie de Paris ; Xavier Betrand, qui a claqué la porte du parti en 2017 ; et enfin François Baroin, considéré comme le successeur naturel du mouvement. Ce dernier, dont le politologue français Jérôme Sainte-Marie explique que « Chirac lui a tout transmis, sauf sa soif insatiable de conquêtes politiques. Baroin est un héritier. Mais pour déboulonner Macron à partir de la droite, il faut un hussard », le ton est donné. 

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{ PHILOSOPHIE LIBERTARISME }

LE LIBERTARISME, C’EST QUOI ? PAR LOUIS RIFAUT

Il y a un an de ça, je vous dépeignais le libéralisme sous différents angles. Aujourd’hui, je réécris un article sur un sujet moins connu : le libertarisme. Ce courant est en effet sans doute méconnu dans nos contrées car sa terre de prédilection se trouve notamment aux États-Unis où s’illustrent ses défenseurs les plus ardus. Cependant, le libertarisme réunit également quelques partisans chez nous, en Belgique. J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec certains d’entre eux de leur courant de pensée et tous prétendent défendre « le libéralisme» sous sa forme pure, c’est-à-dire un mode de fonctionnement qui exclut totalement l’intervention de l’État.

Le libertarisme est une conception philosophique qui découle de la vision de Locke et rassemble différents courants dont le néo-libéralisme et l’anarcho-capitalisme. Tout comme dans la pensée de Locke, le libertarisme s’intéresse au droit naturel à la propriété privée et à la propriété de soi. La place de l’individu est assurément centrale dans ce courant : celui-ci est le seul maitre de ses biens et de son corps et par conséquent, il prime sur le groupe social. C’est pourquoi, de manière générale, le libertarisme estime qu’il n’existe pas d’entité sociale plus large et que les personnes doivent être seulement considérées de façon individuelle. La vision philosophie de Nozick tient également une place de choix dans la pensée du libertarisme. Elle peut être synthétisée en trois grands principes : la propriété de soi, le principe de juste transfert et le principe d’appropriation originelle. La propriété de soi est le fondement même de la conception du libertarisme. Selon ce premier principe, et comme évoqué plus haut, les individus jouissent d’un droit de propriété sur leur corps et on ne peut rien leur imposer quant à celui-ci. Ce principe fait sens pour moi, car qui pourrait accepter qu’on lui ordonne de s’ôter la vie afin d’en sauver d’autres ? Sans cette propriété de soi, on pourrait statuer sur le sort du corps d’un individu

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au nom d’une entité sociale. Le deuxième fondement est celui de juste transfert. Le premier touchait à la propriété des individus sur leur corps, celui-ci touche à la propriété privée sur les biens matériels extérieurs à une personne : sa voiture, sa montre, etc. Selon ce principe, nous pouvons acquérir un bien de deux manières : en l’achetant volontairement à son ancien propriétaire ou en le fabriquant à l’aide de biens que l’on a achetés de son propre chef. Dès lors, les libertariens sont contre une imposition par un État ou une quelconque redistribution qui sont perçues comme une transaction involontaire. Qu’en est-il des ressources naturelles qui n’appartiennent à personne et comment justifier leur appropriation ? Les libertariens répondent à cette question en proposant un principe d’appropriation originelle qui repose sur trois aspects interdépendants : le premier arrivé est le premier servi, il faut en laisser en suffisance et d’assez bonne qualité pour autrui et personne ne doit être lésé par l’appropriation. C’est essentiellement sur cet aspect que va se créer le libertarisme « de gauche ». Je tiens à préciser cependant que le libertarisme se veut être à l’extérieur de l’échiquier politique et ne se voit donc pas sur un axe traditionnel gauche/droite. Ainsi, le libertarisme défend une conception tantôt plus à gauche,


{ PHILOSOPHIE LIBERTARISME }

© NICKOLAY ALMAYEV/Shutterstock

notamment sur les questions de l’égalité et de la proportion de la possession des ressources naturelles ; tantôt plus à droite, car il prône une diminution drastique de la fiscalité et la suppression d’une politique de redistribution. À titre personnel, je rejoins les libertariens sur le fait que la liberté est la valeur fondamentale qui doit guider notre société. Cependant, je reconnais le fait qu’une entité sociale plus large (c’est-à-dire un État) doit exister pour encadrer la vie en communauté. En outre, nous pouvons assez facilement imaginer que le radicalisme présent dans cette conception philosophique la rend quasiment inapplicable. En effet, surtout en période de crise, ne pas avoir d’État pour guider l’action des individus est un danger pour la vie des citoyens. Pour moi, il y a une corrélation entre le fait que c’est aux États-Unis que le libertarisme est le plus présent et que c’est également là-bas que la crise sanitaire fait le plus de dégâts au niveau des pertes humaines. 

© IV. Murat /Shutterstock

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{ DÉRISION }

/ DÉRISION / PAR CORALIE BOTERDAEL

Enfin, « Les 4 saisons » de la Vivaldi dans la mélodie du bonheur à la belge ! Début octobre, lors d’une cérémonie pleine d’émotion, les anciens ministres ont passé solennellement les clés de leurs cabinets à leurs successeurs non sans avoir soigneusement passé tous les dossiers restants à la déchiqueteuse. Eh bien oui, les placards doivent être vides, chaque nouvelle législature doit écrire une nouvelle page. C’est qu’en Belgique, cela doit aller vite ! Pour preuve, il n’a fallu que près de 16 mois de négociations, des contents et des mécontents ; seulement 649 jours de tergiversations et toujours des pas contents, pour obtenir un gouvernement. Ah, l’éternel compromis à la belge… On vit quand même dans un pays formidable où sur 15 ministres l’on parviendrait à en avoir 17 vice-premiers pour faire plaisir à tout le monde ! La Belgique est, on se complait à le dire, complexe. Et lente ! La démocratie a un prix certain, si l’on considère que le temps, c’est de l’argent. Mais heureusement, notre plat pays est plein de ressources ! Et pendant que certains se font tellement petits que pour sortir de leur bureau, ils n’en ouvrent même plus la porte ; pendant qu’un autre, voulant jouer un solo, a failli être mis à la porte ; notre nouveau gouvernement s’est composé non sans une certaine virtuosité. Puisque 4 obédiences politiques ont su enfin accorder leurs violons et faire naitre la Vivaldi. Alors, faisons un tour d’horizon des ministres qui constituent aujourd’hui notre gouvernement. Membre de l’Open VLD, Alexander De Croo devient le Loup de Wetstraat. En tant que Premier ministre, les crocs, il les lui faudra sérieusement pour reprendre cette Belgique rachitique meurtrie non seulement par le coronavirus, mais aussi par les nombreux louvoiements politiques creusant le fossé entre les élus et les citoyens. Il sera accompagné d’Eva De Bleeker dont la tâche risque d’être bien cornélienne… Difficile, en effet, d’assurer le Budget de l’État en se privant d’augmenter les impôts et impossible de protéger le Consommateur en grevant son pouvoir d’achat ! Quant à Vincent Van Quickenborne, après un premier « quicky » passage au gouvernement, il doit maintenant veiller à ne pas dépasser les bornes de la Justice ni perdre le Nord et sa Mer… Du côté du MR, Sophie Wilmès eut tant à faire avec les masques et les quarantaines en Belgique que pour changer d’air, on la déconfine aux Affaires étrangères. Elle suit la trajectoire de ses prédécesseurs du parti en s’apprêtant

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à bondir sur le tremplin de la rue des Petits Carmes qui mènent aux instances européennes comme l’ont fait Didier Reynders, et avant lui, Charles et Louis. À ce propos, la Mère Michel a encore perdu l’un de ses chats au gouvernement. Vous le retrouverez facilement, même s’il n’a pas encore fait preuve de la même agilité politique – voire Numérique – que le reste de la portée, le petit Mathieu a indéniablement des traits de famille. Mais si lui a la tête de l’emploi, un autre a la langue bien pendue… David Clarinval aime jouer avec les journalistes et lâcher quelques infos avant les conférences de presse du Conseil national de sécurité, par exemple. Chargé désormais des Indépendants, parviendra-t-il à ne pas l’être trop lui-même ? Pourra-t-il garder sa langue dans la poche du veston et ne pas gâcher les exclusivités des déclarations gouvernementales ? Chez Ecolo, afin de sauver notre monde, Zakia Khattabi va tenter de faire la pluie et le beau temps sur notre Environnement et Sarah Schlitz, de donner toutes ces chances à une Diversité égale. Pourvu qu’elles n’arrivent pas en poste la fleur au fusil mais qu’elles grandissent et s’épanouissent sans trop être arrosées. En ce qui le concerne, Georges Gilkinet aura fort à faire à la Mobilité. Parce que pour faire avancer le RER, cet écolo va devoir pédaler bien vite… Et on ne s’étonnera pas, si dans 5 ans, sort un dico intitulé « Le Petit Georges des excuses du train-train ». Dans les rangs de Groen, on retrouve Petra De Sutter et Tinne Van der Straeten. Alors on se questionne… Petra nous concoctera-t-elle une radicale transformation, dont elle a le secret, de la Fonction publique ? Et Tinne aura-t-elle l’Énergie d’en faire des tonnes pour tirer un coup de chevrotine sur la persistance du nucléaire qui n’étonne plus personne ? Au CD&V, quelqu’un Mahdi que Sammy était devenu secrétaire d’État à l’Asile et la Migration et qu’il était également en charge de la Loterie nationale, il pourra donc s’enorgueillir d’être responsable des infiniment pauvres et des infiniment riches… Par ailleurs, fils de réfugié irakien, sa nomination à ce poste est un réel changement de cap, lorsque l’on sait que le précédent capitaine de ce bateau était Theo Francken… À l’Intérieur du navire, Annelies Verlinden apparait aussi comme une surprise cachée… Et à la barre des Finances, Vincent Van Peteghem - encore un Vincent - devra faire fructifier les quelques vingt cents qui restent dans le fond des cales de l’État. La SPA… Pardon, le sp.a voit aussi de belles bêtes arriver au gouvernement. Meryame Kitir enfin la couverture à soi a obtenu la Coopération au développement et puis surtout ce Frank Vandenbroucke… Quelle carrière ! En grand cycliste, il gagne Liège-Bastogne-Liège en ’99, tombe ensuite dans les affres du dopage et de la toxicomanie, puis totalise en


{ DÉRISION }

même temps 35 ans de carrière politique en 2020 ! Heu… Il semblerait que ce n’est pas le même homme... Dans tous les cas, il rempile aujourd’hui pour au moins 5 ans au ministère de la Santé publique, on dirait qu’il est encore plus en forme que sa devancière.

Parti socialiste nous présente son nouvel épiderme : PierreYves Dermagne-toi au chevet de l’Économie si tu veux la sauver et Thomas Dermine qui ferait bien de ne pas se tromper en matière de Relance et d’Investissements stratégiques, car, c’est bien connu, quand « Dermine à tort », la race humaine est en grand danger.

OPEN VLD

PREMIER MINISTRE Cybersécurité

Affaires étrangères, Affaires européennes, Commerce extérieur et Institutions culturelles fédérales VICE-PREMIÈRE MINISTRE

OPEN VLD

MR

Et pour ce qui est des grands absents, la NVA ne doit pas s’étonner de ne pas faire partie du casting fédéral alors qu’elle est à l’origine du nouveau marasme des 649 jours sans gouvernement. Son « Vlaams Leeuw » et ses discours invariablement consacrés à la fin du pays ne feront donc pas partie du répertoire de la Vivaldi ! Mise sur le banc de touche, la NVA comprendra peut-être que si « on récolte ce que l’on sème », « on récolte bien mieux lorsque l’on s’aime ». 

ALEXANDER DE CROO

SOPHIE WILMÈS

Finances et Lutte contre la fraude fiscale | SFPI, FSMA VICE-PREMIER MINISTRE

PS

CD&V

VINCENT VAN PETEGHEM

GEORGES GILKINET

GROEN PS

Mobilité | Skeyes, SNCB, Infrabel VICE-PREMIER MINISTRE

ANNELIES VERLINDEN

Intérieur et Réformes institutionnelles

MR

TINNE VAN DER STRAETEN

KARINE LALIEUX

Pensions, Intégration sociale, Lutte contre la pauvreté et Personnes handicapées Beliris, FSMA

Classes moyennes, Indépendants, PME et Agriculture, réformes institutionnelles et Renouveau démocratique AFSCA, INAMI, SIRS, INASTI

PS

THOMAS DERMINE

Secrétaire d’État au Budget et à la Protection des consommateurs

Secrétaire d’État au Numérique, à la Simplification administrative et à la Régie des bâtiments

SAMMY MAHDI

SARAH SCHLITZ

Secrétaire d’État à l’Égalité des chances et des genres et à la Diversité

LUDIVINE DEDONDER

Défense - Victimes de la guerre, War Heritage Institute

Secrétaire d’État à la Relance et à la Politique scientifique, en charge du Plan national d’investissements stratégiques

Coopération au développement, chargée des Grandes villes

Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, chargé de la Loterie nationale

Fonction publique et Entreprises publiques, Télécommunications et la Poste | Proximus et bpost, système ferroviaire VICE-PREMIÈRE MINISTRE

sp.a

ÉNERGIE

MERYAME KITIR

PIERRE-YVES DERMAGNE

Économie et Travail | ONVA, ONEM, CAPAC, ONSS VICE-PREMIER MINISTRE

DAVID CLARINVAL

ZAKIA KHATTABI

Environnement, Climat, Développement durable et Green Deal

Justice et Mer du Nord VICE-PREMIER MINISTRE

PETRA DE SUTTER

PS

Santé et Affaires sociales | AFSCA, INAMI, Sciensano, SIRS, ONSS VICE-PREMIER MINISTRE

VINCENT VAN QUICKENBORNE

MR

CD&V

sp.a

GROEN

ECOLO

CD&V

ECOLO

sp.a

FRANK VANDENBROUCKE

ECOLO

L'ORCHESTRE DE LA VIVALDI AU GRAND COMPLET

Le PS n’est pas en reste ! Avec Ludivine Dedonder, voilà que pour l’armée, on annonce une ministre du « tonnerre », comme son nom l’indique en néerlandais. On souhaite pour sa Défense, qu’elle ne se croit pas pour autant sortie de la cuisse de Jupiter ! Quant à Karine Lalieux, avec les lettres de son patronyme, on peut écrire « aieux »… Seul un portefeuille pouvait donc lui être octroyé : celui des Pensions. On espère qu’elle aura toutefois un peu de boulot à la suite de l’hécatombe « covidienne ». Enfin, pour prouver qu’il a fait peau neuve, le

EVA DE BLEEKER

MATHIEU MICHEL

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© Fédération des Étudiants Libéraux


BLUE LINE PRÉSIDENT ET ÉDITEUR RESPONSABLE : Adrien PIRONET Avenue de la Toison d’or, 84 - 86 1060 Bruxelles

CONTACT  : Tél : +32 2 500 50 55 info@étudiantslibéraux.be

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ASSISTANTS DE RÉDACTION : Coralie BOTERDAEL - Antoine DUTRY

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DIRECTION ARTISTIQUE : Daphné ALGRAIN

AVEC LE SOUTIEN :


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