Paperjam août-septembre 2021

Page 38

Conversation Serge Allegrezza

« Un effet de rattrapage de la croissance » Dans ses dernières perspectives économiques, l’OCDE évoque une reprise « hors du commun » après plus d’un an de crise sanitaire. Pour le directeur du Statec, Serge Allegrezza, les pays qui s’en sortent sont ceux qui ont beaucoup soutenu l’économie, à l’instar du Luxembourg. Interview IOANNA SCHIMIZZI

L’OCDE a publié, à la fin du mois de mai, ses dernières perspectives économiques. L’organisation internationale prévoit que dans la plupart des pays, le PIB pourra retrouver ses niveaux d’avant-pandémie d’ici la fin de l’année 2022. Mais pour Laurence Boone, cheffe économiste à l’OCDE, cela est loin d’être suffisant, car la trajectoire de croissance de l’économie mondiale reste inférieure à ce qu’elle était avant l’arrivée du Covid-19, et tous les pays ne sont pas égaux face à la reprise. Le titre de l’éditorial de Laurence Boone évoque une reprise « hors du commun ». Êtes-vous d’accord avec ces termes ? Disons qu’il y a une reprise de l’activité qui est tout à fait foudroyante. Mais, selon moi, il s’agit plutôt d’un rattrapage du retard pris à cause de la pandémie. Je n’aime pas parler de retour à la normale parce que c’est un peu tôt, et nous avons un peu mis de côté tous les problèmes que l’on avait avant la crise sanitaire. On en a moins parlé parce qu’on ne parlait que du Covid-19, mais ces problèmes-là reviennent au galop. À quels problèmes pensez-vous ? Je pense notamment au problème du logement qui, au Luxembourg en l’occurrence, est la rançon du succès, et la conséquence du développement très rapide de la population, de l’emploi et des perspectives économiques. Mais ce problème du logement ne fera que s’accentuer. Il a été un peu amoindri parce que les entreprises ont préféré recourir au télétravail. Nous sommes par exemple montés à 60-70 % de personnes en télétravail, donc cela a permis de montrer de nouvelles méthodes qui, probablement, vont rester. Avant la crise, on était à 20 %. Mais le télétravail n’a pas que des avantages, tous les emplois ne sont pas réalisables en home office, donc il va à nouveau y avoir du monde sur les 38

AOÛT / SEPTEMBRE 2021

Photo ANDRÉS LEJONA

routes, des embouteillages, etc. Tous ces problèmes-là, que l’on connaissait, vont revenir. À la fin du dernier trimestre 2020, le PIB en volume du pays avait déjà retrouvé son niveau d’avant-crise – c’est le seul de la zone euro qui a réussi cela. Comment l’expliquez-vous ? On a effectivement eu un bon quatrième trimestre. La deuxième vague a été gérée de façon tout à fait différente et moins incisive, puisqu’on ne nous a plus dit de rester chez nous. Il y a donc eu une approche beaucoup plus souple, et toutes les études nous montrent actuellement que les pays qui ont été moins restrictifs ont des résultats économiques meilleurs, c’est ce que l’on sait pour l’instant.

BIO Naissance Serge Allegrezza est né en 1959 à Luxembourg-ville. Une carrière remplie Docteur en sciences économiques appliquées, Serge Allegrezza a été nommé directeur du Statec en avril 2003, après avoir été notamment responsable de la politique du marché intérieur et de la politique économique générale au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur. Son cursus professionnel s’orne aussi de mandats divers, comme la présidence du conseil d’administration de Post Luxembourg, de P&T Capital ou de Luxtrust. Il est aussi, notamment, chargé de la DG 4 Compétitivité au sein du ministère de l’Économie et, à ce titre, directeur de l’Observatoire de la compétitivité.

Quel est le secret du Luxembourg pour être sorti plus tôt de la crise ? Je pense que c’est le fait d’avoir une spécialisation de notre appareil de production qui est largement basé sur des services exportés, par exemple les services financiers. Ces derniers ont eu la grande chance que les bourses ne se soient pas effondrées. Il y a eu quelques mouvements de baisse parce que tout le monde a eu peur. Mais, après, c’est remonté et reparti, comme avant. Et on sait tous que beaucoup d’activités financières sont fortement liées à la bourse. Le secteur financier y a quand même perdu des plumes et a reculé en valeur ajoutée et en volume – mais moins que dans d’autres pays. C’est un secteur qui a pu travailler à distance aussi, donc c’était la formule gagnante. Ce qu’explique également Laurence Boone, c’est que les pays qui s’en sortent sont ceux où les gouvernements ont beaucoup soutenu l’économie… Oui, c’est la deuxième clé, selon moi. Je pense que ce sont les aides mises en place par le gouvernement qui ont fait en sorte que le reste du tissu économique de notre pays, qui n’a pas pu travailler normalement, ne s’effondre pas. Nous avons eu des aides assez substantielles. Il faut voir cela aussi de façon macroéconomique, en donnant de l’argent, par exemple, pour le chômage partiel. Cela permet aux entreprises de réduire leurs frais, étant donné que le chiffre d’affaires s’est effondré pour beaucoup de secteurs, notamment dans l’horeca, où cela est malheureusement flagrant. Donc on reprend une partie des frais et, en même temps, cela veut dire que les salariés n’ont pas été licenciés, donc ils continuent à percevoir un salaire. Ainsi, on a largement soutenu l’économie tout en ayant des secteurs qui ont pu continuer à fonctionner de manière efficace.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.