Paperjam avril 2022

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Ristretto #Politique

«Nous devons réapprendre à vivre avec une certaine instabilité» La guerre en Ukraine a fait voler en éclats l’ordre de sécurité en Europe, qui datait d’avant même la chute de l’URSS, selon Robert Harmsen, professeur de sciences politiques à l’Université du Luxembourg.

Quel sera l’impact de la guerre en Ukraine sur les principes de sécurité en Europe tels qu’ils existent depuis la chute de l’URSS ? La charte de Paris de 1990 avait proclamé l’idée d’une Europe basée sur des valeurs communes – la démocratie et les droits fondamentaux –, partagées également par la Russie. Cet ordre a définitivement volé en éclats. Mais c’est encore bien davantage… Comment cela ? Cela remet en question l’ordre de sécurité d’avant 1990, basé sur le processus d ­ ’Helsinki, dont l’acte final a été signé en 1975. Malgré la division de la guerre froide, un accord entre les Européens, les Soviétiques et les Américains existait sur un ensemble de règles – frontières, non-­agression, limitation des armes – garantissant un ordre de sécurité stable en Europe.

La nécessité de ne plus être dépendants du gaz russe va-t-elle imposer à certains pays, comme l’Allemagne ou le Luxembourg, de revoir leur position sur le nucléaire ? Les différentes perspectives concernant le nucléaire vont tout de même rester. Ce sont des choses désormais très ancrées culturellement, et cela ne va pas changer du jour au lendemain, surtout en ce qui concerne la transition à plus long terme.

Quelle leçon en tirer ? En tant qu’Européens, nous devons réapprendre à vivre avec une certaine instabilité structurelle. Car, quelle que soit l’issue de cette guerre, cela ne donnera pas lieu à une situation politique stable. Dès le début de la crise ukrainienne, les États-Unis ont annoncé ne pas vouloir engager des forces militaires. Est-ce un désengagement de l’Europe ? Il s’agit d’une décision collective de l’Otan pour éviter une escalade et une guerre nucléaire. Cela ne concerne donc pas que les Américains, mais aussi les Européens. Cette crise marque plutôt un réengagement des Américains en Europe, qui ne considèrent plus qu’il s’agit définitivement d’une région de paix où il n’est plus nécessaire de s’engager.

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AVRIL 2022

Doit-on craindre que les États-Unis n’interviennent pas en cas d’agression d’un membre européen de l’Otan ? La crédibilité de la garantie que les Américains défendront leurs alliés en Europe est très forte, avec une réelle volonté de faire respecter le fameux article 5 du traité de l’Otan, selon lequel une attaque contre un de ses membres est une attaque contre tous. Cette crise peut-elle relancer l’Europe de la défense ? Il existe désormais une plus grande probabilité que l’UE développe ses capacités de défense, avec un volet militaire plus soutenu. On l’observe avec le « tournant » (« Die Wende », ndlr) en Allemagne, d’une importance centrale. Encore faut-il que ces discours de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique deviennent réalité.

Cet accord a disparu de facto ? Lors des dernières tentatives de négociation avec Poutine, aucun accord n’a été trouvé sur ces sujets. Nous sommes donc dans une phase pré-90, et même pré-Helsinki : il n’existe plus de principes stables reconnus par tous les participants pour constituer un ordre de sécurité en Europe.

Cette crise renforce-t-elle le rôle de l’Otan ? L’absence d’engagement militaire a pour contrepartie de démarquer avec clarté les frontières de l’Otan. Il s’agit d’une réaffirmation

de l’Otan dans sa fonction initiale, en tant qu’alliance défensive de ses membres, et non plus comme pilier d’un ordre de sécurité plus général.

Le Luxembourg a, comme les autres pays, un rôle à jouer sur le plan humanitaire, notamment dans l’accueil des réfugiés. En joue-t-il d’autres ? Il joue en général un rôle de médiateur très utile pour les autres pays, avec un corps diplomatique chevronné, multilingue et une bonne connaissance des principaux acteurs européens. Un rôle bien plus important que ce que la taille de sa population peut laisser supposer.

Dans cette crise, le Luxembourg joue un rôle de médiateur très utile, selon Robert Harmsen.

Interview PIERRE PAILLER Photo MATIC ZORMAN


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