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«L’inflation très forte va durer» Julien Thibault-Liger, directeur général de Lazard Frères Gestion Luxembourg, nous explique comment sa société a réagi aux chocs économiques et boursiers de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Début 2022, tous les analystes pariaient sur une année de croissance, certes ralentie ou normalisée, mais de croissance tout de même. Étiez-vous sur ce scénario ? 2021 a été une année porteuse pour les marchés actions, dans la foulée de la deuxième moitié de l’année 2020. Mais une petite musique dissonante s’est progressivement fait entendre sur le thème de l’inflation. Prévues comme temporaires au début de l’année, les pressions inflationnistes se sont révélées plus durables et fortes. Mais cela n’a pas empêché les marchés actions de finir l’année de manière très forte. Comment avez-vous traduit cela dans vos portefeuilles ? Depuis novembre 2021, nous avons substantiellement réduit notre exposition aux actions. Vous revendiquez une gestion active orientée vers le long terme. Comment gérez-vous un événement aussi disruptif qu’une guerre en Europe ? Comme à chaque crise, nous faisons d’abord un grand travail pour essayer de comprendre de quoi il retourne, pour cerner les enjeux et pour appréhender les impacts sur le cycle économique. Va-t-on vers une récession ou non ? L’inflation va-t-elle s’installer ? Autant de questions fondamentales. Et quelles sont vos réponses ? Le déclenchement de la guerre en Ukraine crée un risque pour l’économie mondiale en faisant bondir les prix de multiples matières premières. De la durée du conflit et de son issue vont dépendre l’ampleur et la pérennité de cette hausse, et donc l’ampleur du choc négatif pour l’économie mondiale. Une récession – voire pire, une stagflation – est-elle inévitable ? Le point positif est que ce choc intervient dans une phase très favorable pour la croissance. De plus, on ne constate pas de déséquilibre macro économique. Le choc paraît donc absorbable. Bien sûr, une aggravation des tensions sur l’énergie changerait la donne. Si l’impact sur la croissance doit encore être quantifié, il est beaucoup plus évident sur l’inflation. La période d’inflation très forte va durer encore plus longtemps, renforçant le risque de dérapage des anticipations. Les banques centrales vont donc devoir durcir leur politique monétaire.
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AVRIL 2022
Mais à quel rythme ? Et jusqu’à quel niveau de taux ? L’inflation et la politique monétaire vont probablement continuer à dominer l’année 2022 pour les marchés. Comment avez-vous adapté vos portefeuilles pour faire face à cette nouvelle donne ? Aujourd’hui, nous ne renforçons pas notre expo sition aux marchés actions. On aurait plutôt tendance à la réduire... mais d’une manière opportuniste. Nous ne donnerons pas de grands coups de barre. La réduction sera progressive. On explique pourtant qu’il faut acheter au son du canon. Ce n’est pas votre analyse ? Cette question revient souvent dans la bouche de nos clients, j’y réponds par cet exemple : en mars 2020, le titre Hermès était en solde. Pas les cravates. On pouvait acquérir le titre avec une remise de 30 %. C’était une bonne affaire. La donne est aujourd’hui différente. Comment réagissent vos clients ? Ont-ils besoin d’être conseillés, d’être rassurés ? Nous les appelons pour leur expliquer la crise et ses conséquences sur leurs investis sements. Nous leur avons expliqué, durant une visioconférence, que depuis novembre, nous avions désensibilisé nos portefeuilles en réduisant notre allocation actions de 20 %. Vous aviez anticipé la guerre ? Non. Mais 2021 était une année euphorique qui a entraîné des niveaux de valorisation « extraordinaires ». Une première correction s’était produite. La crise en Ukraine aura été le catalyseur des problèmes économiques que nous avons anticipés. Comment voyez-vous la suite des événements ? On ne sait pas quand, mais ce conflit va se résoudre. On assistera alors à un petit rebond. Nos craintes sont plus liées à l’inflation et à la conduite de la politique monétaire. La remontée des taux sera-t-elle bien faite ? Va-t-on réussir à absorber cette hausse dans le cycle économique, ou est-ce que l’on va entrer dans un cycle économique plus défavorable ?
Interview MARC FASSONE Une crise nécessite Photo GUY WOLFF d’abord un travail d’analyse, indique Julien Thibault-Liger.