Vie en montagne – Été/Automne 2023

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VIE EN MONTAGNE

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À L’AVANT-PLAN

P.13 Édito: Ralentir

p.14 Mécanique céleste

p.18 Descente pour tous

RUBRIQUES

p.30 Regard : Le Strava de la déconnexion

P.32 Gourmand : Des sentiers à la table

P.34 Voyage: Explorer les Açores

P.64 Pensées: L’effet badass

EN POINT DE MIRE

P.20 À vos pagaies et boucliers pour la rivière Magpie

P.40 Les sentiers de la réconciliation

SUR CETTE PAGE
PAGE COUVERTURE
Le grimpeur Benoit Thiffault s’attaque à la voie Moby Dick 5.11b à Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent. NELSON RIOUX
EN
DIONNE 9 TABLE DES MATIÈRES
Dernière descente de la journée au Mont-Sainte-Anne pour le cycliste Franck Kirscher. ETIENNE

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R A L E N T I R

Ralentir. Ralentir pour mieux regarder, pour mieux sentir, pour mieux vivre. Si l’action est une puissante génératrice d’adrénaline et de dopamine (l’hormone du plaisir), le fait de lever le pied est source de nombreux bienfaits encore plus profonds, dont celui de se reconnecter à soi-même ainsi qu’à la nature qui nous entoure.

Comment Deirdre Buryk concocterait-elle ses délicates recettes végétales si elle ne faisait pas une pause en randonnée afin de récolter les minuscules fruits de l’amélanchier ? Ou encore, comment Guillaume Rivest parviendrait-il à découvrir des coins encore secrets de l’Abitibi-Témiscamingue s’il restait les yeux fixés sur les records de segments Strava au lieu de laisser son canot se faire guider par les vents ?

Ralentir, ça signifie aussi trouver le temps d’embrasser des causes plus significatives que notre quête effrénée du bonheur instantané. C’est prendre le temps d’échanger, de s’ouvrir – et même, pourquoi pas, de partager un morceau de bannique après une sortie de vélo de montagne – pour mieux comprendre les cicatrices du passé des peuples autochtones, et ainsi ne plus jamais refaire les mêmes erreurs. Ralentir, c’est aussi contrer la consommation à tout prix, que ce soit de biens, d’électricité, de territoires, dans le but de préserver notre patrimoine naturel. Le seul qui prend, sans complexes, des centaines, voire des milliers d’années pour pousser et se renouveler.

Dans cette nouvelle édition estivale de Vie en montagne, nos collaborateurs vous invitent donc, avec leurs mots et leurs images, à passer de 100 à 10 km/h pour mieux voir ce qui défile dans la fenêtre de nos existences.

–Frédérique Sauvée, rédactrice en chef

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ÉDITORIAL
YAN KACZYNSKI

MÉCANIQUE CÉLESTE

Même à l’arrêt, nous vivons à une vitesse vertigineuse. La Terre sous nos pieds tourne sur son axe à environ 1 600 km/h et tourne autour du Soleil à plus de 100 000 km/h. Ce tour de manège à grande vitesse pourrait cependant être considéré comme inutile. Après tout, malgré toutes ces rotations à des vitesses insondables, la planète, et nous par la même occasion, finissons inévitablement par revenir à notre point de départ. Encore et encore et encore. En accélérant, nous n’allons finalement nulle part.

Cette mécanique céleste recèle peut-être une profonde leçon : nous n’allons pas loin en agissant dans la précipitation.

À L’AVANT-PLAN

Les êtres humains semblent pourtant penser qu’il vaut mieux aller plus vite. Nous sommes constamment à la recherche de la vitesse – que ce soit pour établir de nouveaux records du monde, des records personnels ou d’autres exploits liés à la célérité. À quelle vitesse pouvons-nous courir 1 km, pédaler 100 km, descendre une piste de slalom ou encore, nager 50 m ?

Bien sûr, la réalisation d’objectifs, qu’ils soient liés à la vitesse ou non, peut procurer une énorme satisfaction. Mais en nous concentrant exclusivement sur un objectif à réaliser le plus rapidement possible, nous pourrions devenir comme des chevaux de course avec des œillères, ne voyant que la piste devant nous et la ligne d’arrivée au loin. Nous perdons alors de vue un contexte plus large et plus riche : la beauté naturelle environnante, les autres personnes, les sentiments plus profonds.

Il faut donc accepter de lever le pied de l’accélérateur. Absorber. Contempler. Partager. Apprécier. Prêtez-vous à l’exercice pour voir : arrêtez-vous, regardez et écoutez. Contrairement à la Terre qui tourne, nous avons tendance à vivre notre vie sur une ligne de temps linéaire. Contrairement à la Terre qui tourne, nous ne retournons pas sans cesse d’où nous venons.

Nous nous déplaçons déjà à une vitesse astronomique. Prenez le temps de rétrograder et de tirer toute la valeur de chaque instant qui passe et qui ne reviendra jamais. –Peter Oliver

Vue sur le lac Tremblant, dans les Laurentides. NICHOLAS SPOONER-RODIE

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Grâce à un rare programme de vélo de montagne adapté, les Québécois en situation de handicap physique peuvent eux aussi se faufiler entre racines et trous de bouette.

mots :: Maxime Bilodeau

Négocier un virage incliné à pleine vitesse, survoler une piste pleine de flow et entendre ses roues retentir sur les planches d’une passerelle – braaaaaap ! – sont autant de privilèges dont peuvent jouir les bien portants. Mais depuis l’année dernière, les personnes à mobilité réduite peuvent elles aussi rouler dans les sentiers de vélo de montagne des massifs de Bromont, dans les Cantons-de-l’Est. Cette initiative a été rendue possible grâce aux Amis des sentiers de Bromont, organisme gestionnaire du Parc des sommets qui a fait l’acquisition de deux vélos de montagne à assistance électrique adaptés à cette clientèle.

« Ça me peine toujours de voir des personnes handicapées être mises à l’écart de la nature. Avec ces nouveaux vélos, elles ont maintenant la possibilité de profiter du réseau du mont Oak », se réjouit Alain Planchamp, directeur général des Amis des sentiers de Bromont. En tout, une dizaine de kilomètres (sur un total de 17) ont été retravaillés afin d’accommoder les besoins de cette clientèle.

« Nous avons élargi des pistes, modifié des courbes et adouci certaines descentes », résume celui qui a compté sur les conseils avisés de la Fondation des sports adaptés pour réaliser ce projet.

C’est justement cet organisme sans but lucratif qui chapeaute les sorties de vélo de montagne adapté proposées durant la belle saison. Trois fois par semaine, les participants partent à l’aventure au

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À L’AVANT-PLAN

guidon de vélos à trois roues – deux à l’avant, une à l’arrière. Le tout se déroule sous l’étroite supervision de bénévoles triés sur le volet ; ces bolides peuvent tout de même atteindre 20 km/h ! Les usagers ont beau ne pas pédaler, « cela leur permet tout de même de profiter d’un sport de plein air », affirme Audrey Larroquette, directrice adjointe de la Fondation des sports adaptés.

DE TROIS À DEUX ROUES

William Bourassa peut témoigner de cette nécessité de se raccrocher à ses passions, malgré son handicap. Ce Plessisvillois de 36 ans a perdu l’usage de ses jambes en 2015 à la suite d’un grave accident lors d’une compétition de vélo de descente. « J’ai atterri la tête la première sur le sol et ma colonne vertébrale s’est compressée », résume-t-il. Son diagnostic de paraplégie ne l’a pas empêché d’inaugurer les sentiers de downhill au début de la saison suivante, mais cette fois sur un vélo de montagne de marque Bowhead, une compagnie de l’Ouest canadien qui se spécialise dans ce type de produit.

« Avec lui, je pouvais passer partout, ou presque, raconte William Bourassa, en référence au tricycle adapté. Les passages étroits, comme ceux à flanc de montagne, pouvaient par exemple être problématiques. » Il s’ennuie par ailleurs des sensations grisantes que les deux-roues lui procuraient jadis, dans son ancienne vie. « On le tient pour acquis tellement c’est automatique, mais faire du vélo exige de jouer avec son équilibre et sa coordination », souligne celui dont le parcours a fait l’objet, en 2019, d’un documentaire aujourd’hui disponible en ligne : Free/Will.

On y voit le cycliste s’éclater en Colombie-Britannique, « le paradis du vélo de montagne », non pas sur trois, mais bien deux roues. « J’ai conçu un module qui me permet d’être à genoux sur un vélo de montagne à assistance électrique standard », s’enthousiasme-t-il. Sa création, une machine analogue à un motocross qui peut atteindre près de 40 km/h, choque-t-elle les puristes ? À vrai dire, William Bourassa s’en fiche. « Le quotidien d’un invalide à vie n’est pas toujours facile. C’est pourquoi je trouve ça le fun de voir mon sport se démocratiser ; il s’agit d’un pas dans la bonne direction. »

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L'athlète à mobilité réduite William Bourassa en action dans les sentiers de Bromont. MYRIAM LAROCHE

À vos pagaies et boucliers pour la rivière Magpie

Située en Minganie sur la Côte-Nord, la rivière

Magpie est dans la ligne de mire du gouvernement du Québec pour son potentiel hydroélectrique. Combien de temps encore pourrons-nous y pagayer ?

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mots :: Sophie Lachance photos :: Dylan Page
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Mathieu Bourdon se souvient que ses collègues parlaient de la rivière Magpie comme d’une légende. C’était en 1996. Celui qui guidait alors des sorties de rafting dans les Laurentides était loin de se douter qu’il y jetterait l’ancre l’année suivante en plus d’y fonder son entreprise de tourisme d’aventure, Noryak Aventures, une décennie plus tard.

L’entreprise offre aujourd’hui du soutien aux pagayeurs autonomes et des expéditions de rafting sur la basse rivière Magpie, entre autres. C’est sur le lac Magpie que l’aventure commence, après avoir fait le voyage en hydravion depuis Havre-Saint-Pierre. Le vol donne le ton : au-delà du hublot défilent la forêt boréale, des bancs de sable entrecoupés de parois vertigineuses, puis les rivières Romaine, Mingan, Saint-Jean et, enfin, Magpie. Son nom innu, Mutehekau Hipu, qui signifie « la rivière où l’eau passe entre des falaises rocheuses carrées », est fidèle à ses paysages. Des rapides de classes 3 et 4 valent d’ailleurs à la Magpie une place dans le classement des 10 meilleures rivières d’eau vive au monde du

National Geographic

Ce potentiel d’eau vive, la professeure en intervention plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi, Lorie Ouellet, l’a étudié en comparant la Magpie à d’autres rivières du continent américain. Elle a pris en compte différentes méthodes et critères, dont la longueur des rapides et leur degré de difficulté. Résultat : la Magpie arrive au premier rang, devant des rivières de renommée internationale comme Middle Fork of the Salmon en Idaho, Futaleufú au Chili ainsi que le prestigieux fleuve Colorado, qui arpente le Grand Canyon !

Lorie Ouellet est convaincue que si la Magpie déferlait chez nos voisins du Sud, où la pratique d’eau vive fait davantage partie de la culture qu’au Québec, un système de loterie y limiterait la quantité de pagayeurs.

Rassurez-vous, l’expérience n’est pas réservée qu’aux experts. Si la Magpie était autrefois prisée des sportifs aguerris, l’évolution du matériel technique propre aux sports d’eau vive a changé la donne. « Ce sont des rapides qui n’ont pas besoin d’être négociés beaucoup. C’est relativement facile, même si ça peut parfois être impressionnant », assure Mathieu.

Quand le repos s’impose, les pagaies sont troquées contre les cannes à pêche. Le campement est érigé sur les berges, dans un panorama si sauvage qu’« on a l’impression d’être les premiers humains à y planter leur tente », témoigne le guide. Autour, dans la vallée de la Magpie, le passage des glaciers se fait encore sentir. Ces instants durant lesquels le temps semble figé invitent à la connexion avec le territoire, ce précieux Nitassinan pour les Innus, et avec toute la vie qui y regorge.

« On ne va pas sur la rivière juste pour s’amuser dans les rapides. Se retrouver dans un panorama aussi sauvage, pouvoir y manger le poisson et se mettre la tête dans l’eau pour y boire directement, c’est ça, la Magpie. Et ça a de la valeur tellement c’est rare de nos jours. » – Mathieu Bourdon
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UN SORT INCERTAIN

Les glaciers ne sont pas les seuls à avoir modifié l’aspect du territoire. À 60 km à l’ouest de la Magpie, la rivière Romaine est passée sous le bistouri du fournisseur d’électricité HydroQuébec. Des tronçons autrefois empruntés par les pagayeurs ont été charcutés. Achevé en 2022, le complexe hydroélectrique de la Romaine compte quatre barrages qui fournissent environ 8 térawattheures (TWh) d’énergie sur les 200 que produit la société d’État annuellement, soit juste assez pour alimenter près de 500 000 foyers. L’acteur et cofondateur de l’organisme environnemental Fondation Rivières, Roy Dupuis, s’y est même rendu à l’aube des travaux, en 2009, pour tourner un documentaire sur ce projet controversé. En vain.

Plusieurs craignent que la Magpie ne soit la prochaine à y passer. Le gouvernement du Québec entend construire de nouveaux barrages pour augmenter sa production d’électricité d’ici 2050. L’objectif : répondre aux besoins estimés à 100 TWh, fortement amplifiés par l’abandon des combustibles fossiles, et ce, grâce à une énergie renouvelable… et fiable, notamment en période de froid intense, lorsque tous crinquent le chauffage ! Peu de formes d’énergie, encore moins de rivières, promettent d’abreuver le Québec de la sorte.

MISSION PROTECTION

Alors que les barrages ont un jour été une source de fierté nationale, force est de constater que les temps ont changé. Leurs impacts sont mieux documentés et de nouvelles technologies ont fait leur apparition. Primo, les barrages perturbent les écosystèmes et dénaturent un territoire particulièrement important pour les Premières Nations. Les grands réservoirs de la forêt boréale contribuent à l’émission de gaz à effet de serre (GES) et de méthane, en plus d’affecter l’habitat du caribou forestier – une espèce vulnérable aux yeux du Québec et menacée à ceux du Canada. Secundo, il existe des solutions de rechange à moindre coût sur les plans environnemental, social et financier : l’éolien, le solaire, l’amélioration de la capacité de production des barrages existants, ainsi que l’efficacité énergétique (isolation des immeubles, installation de thermopompes, etc.), entre autres. Bien que certaines offrent une énergie intermittente, leur combinaison reste une solution.

Pour éviter que la Magpie ne subisse le même sort que la Romaine, une coalition s’est formée : l’Alliance Mutehekaushipu regroupe le Conseil des Innus d’Eukanitshit, la Municipalité régionale de comté (MRC) de Minganie, la Société pour la nature et les parcs (SNAP) section Québec et l’Association Eaux-Vives

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Minganie, dont fait partie Mathieu. Ensemble, ils revendiquent la création d’une aire protégée auprès du gouvernement du Québec. Malheureusement, bien que le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur l’aménagement du complexe hydroélectrique de la Romaine recommandait en 2009 de protéger des milieux analogues à ceux de la Romaine, et que la Magpie soit ce qui s’en rapproche le plus, Québec fait la sourde oreille. Son potentiel énergétique, évalué à 3,8 TWh, est trop beau, semble-t-il. Les défenseurs de la rivière se tournent maintenant vers de plus hautes instances afin qu’elle apparaisse au registre mondial des aires protégées.

Le regroupement a néanmoins réussi un tour de force sans précédent au pays : en 2021, l’Alliance a conféré à la rivière le statut de personnalité juridique. Sans donner l’immunité à la Magpie contre tout projet hydroélectrique, l’octroi de ce droit symbolique prouve que l’acceptabilité sociale, que prend en compte Hydro-Québec dans le choix de ses projets, est loin d’être au rendez-vous.

ÉVEILLER LES FUTURES GÉNÉRATIONS

Il n’en fallait pas plus à Roy Dupuis pour reprendre la route 138 vers la Minganie l’été dernier. Cette fois, l’acteur et son équipe de production

ont débarqué avec une dizaine d’élèves du secondaire de Montréal – qui, pour la plupart, ne s’étaient jamais aventurés bien loin de la métropole – pour leur faire vivre l’expérience de la Magpie, la documenter et la partager sur les ondes télévisées (le documentaire Après la Romaine est disponible sur ICI Tou.tv).

Guidé par Mathieu, le groupe a pagayé les 55 km de la basse Magpie pendant cinq jours. L’excursion, rythmée par la cueillette, la pêche, le camping à la belle étoile – et quelques moustiques ! –,

a donné à ces jeunes urbains une toute nouvelle perspective sur la nature. Mathieu avoue que l’expérience a été extraordinaire pour lui aussi. « Ça m’a fait du bien de voir à quel point ça a transformé leur vie. Ça m’a ramené aux sources », confie-t-il. L’immersion a été somme toute efficace pour éveiller les jeunes à la valeur réelle d’une ressource naturelle comme la Magpie, qui représente plus que des kilowattheures, plus qu’un simple terrain de jeu. Et si vous ne savez toujours pas de quoi je parle, il est temps d’aller voir par vous-même.

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« On est privilégiés d’être responsables d’un territoire comme celui-là. » – Roy Dupuis - extrait du documentaire Après la Romaine.
30 REGARD

LE STRAVA DE LA DÉCONNEXION

Sur mon canot, j’ai l’impression de voler. En solo sur un lac miroir, je glisse dans un silence quasi absolu. Chaque coup de pagaie me propulse sur une eau complètement calme tel un patineur sur une glace complètement vierge. À ce moment, la seule chose qui existe pour moi est le présent. Le poids du passé s’est effacé tranquillement au fur et à mesure que je faisais aller ma pagaie. Celui du futur a disparu en même temps que le signal cellulaire qui m’a quitté depuis plusieurs dizaines de kilomètres.

Dans ces moments, je relaxe, je reconnecte avec quelque chose d’immensément plus grand que moi : la nature. Les expéditions en canot me permettent cela. Loin du bruit constant qui anime nos vies, loin des notifications incessantes qui polluent nos existences, je décroche totalement.

Je ne suis pas exempt des impératifs du monde moderne. Je suis aussi connecté que n’importe qui. J’ai aussi un compte Strava qui enregistre la quasi-totalité de mes entraînements et les diffuse à large échelle. Je pousse parfois plus fort sur mes pédales lorsque j’arrive sur un segment dont le record me semble atteignable. Pourtant, cet exercice me semble parfois d’une grande futilité, comme si chaque entraînement non enregistré était un entraînement qui n’avait jamais eu lieu. Les records, les statistiques, les likes comme autant de distractions qui m’empêchent de vivre le moment présent. Je m’amuse parfois, sur des rivières très éloignées, à démarrer mon GPS sur certains portages afin de créer des segments qui sont uniquement accessibles après plusieurs jours de canot. Pour y détenir un record ? Non, les autochtones, des centaines d’années auparavant, étaient sans doute beaucoup plus rapides. Je le fais simplement pour attirer l’attention vers ces endroits que personne ne regarde, dans l’espoir naïf peut-être d’y attirer un pagayeur curieux.

Dans ce monde où presque tout est cartographié, où l’on s’arrache des FKT (Fastest Known Time), où l’on court après les premières mondiales, j’ai la chance de vivre dans un endroit relativement anonyme aux possibilités d’aventures sans fin. Mon

pays, ce n’est pas un pays, c’est une gigantesque étendue d’eau. Avec ces 22 000 lacs et rivières, l’Abitibi-Témiscamingue me donne souvent l’impression d’être le seul humain sur la terre. Ce sentiment est rare de nos jours.

Par ailleurs, je mentirais si je vous disais que je n’ai pas d’idées de grandeur. Je rêve, comme plusieurs, aux grandes expéditions polaires ou à ces traversées épiques qui nous laissent des souvenirs indélébiles en tête. Pourtant, on oublie trop souvent que le plein air est beaucoup plus large que sa dimension sportive. Le plein air a aussi cet aspect introspectif, quasi spirituel, alors que le temps semble s’arrêter. L’espace d’une expédition de canot, les seules considérations sont : pagayer, manger, dormir. Bien sûr, j’aime me dépasser, mais j’aime aussi partir avec beaucoup trop de temps pour la distance à parcourir. J’aime m’arrêter en milieu de journée pour monter mon campement et apprécier la simple vue des silhouettes d’épinettes qui se détachent en contrejour du coucher de soleil et de ses couleurs flamboyantes. J’adore partir en canot à l’aube avec pour seul objectif d’écouter et d’observer. Après quelques heures, la nature s’anime tranquillement. Le castor retourne sur ses pas en quête de nourriture, le huard appelle son partenaire de vie au loin. Avec de la chance, j’entendrai peut-être un orignal et celui-ci viendra peut-être manger les plantes aquatiques au fond du lac devant moi. Parmi mes plus beaux moments : le cri d’une meute de loups au fin fond de nulle part dans le Témiscamingue profond.

La connexion avec la nature ne s’acquiert pas facilement. Elle prend du temps. Or, le temps est aujourd’hui de plus en plus rare. Les aspects sportifs et techniques du plein air empiètent malheureusement sur ceux de la relaxation et de la contemplation. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’on peut s’acheter une meilleure pagaie, mais on ne peut pas s’acheter une meilleure capacité d’introspection. Les équipes marketing font bien leur travail. Elles réussissent à nous vendre l’idée que la connexion avec la nature s’achète grâce à l’équipement approprié. Pourtant, les coureurs des bois et les autochtones expérimentaient ce lien avec leur environnement bien avant l’avènement des pagaies en carbone ou des voitures à traction intégrale. La connexion avec la nature se vit avec le temps, et le temps libre ne s’achète pas.

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L'aventurier et auteur de ces lignes, Guillaume Rivest.

DES SENTIERS À LA TABLE

Un garde-manger végétal insoupçonné se trouve sous nos pieds lorsque nous arpentons les sentiers de randonnée.

mots :: Deirdre Buryk

illustrations :: Asta Kovanen

Avez-vous déjà entendu parler d’une plante dont les feuilles ont un goût d’ail et les racines une saveur de moutarde ? Connaissez-vous cette alternative québécoise au citron qui se présente sous forme de baies ?

Ou encore cette racine qui a un goût fort de café (enfin, presque) ?

Combien d’entre nous passent quotidiennement à côté de

La chicorée sauvage

Si vous aimez votre café corsé, vous aimerez la chicorée. Tout comme le pissenlit, la racine de chicorée peut être récoltée et grillée afin de proposer une alternative au café sans caféine. Vous pouvez utiliser toutes les parties de la plante. Les feuilles vertes ainsi que les fleurs pourpres et bleues sont utilisées dans les salades. La racine peut être arrachée à l’automne (en laissant un centimètre de la partie supérieure de celle-ci, avant de l’enterrer à nouveau afin d’assurer une nouvelle croissance). On enlève la couche extérieure amère de la racine par frottement, puis une fois lavée et séchée, elle peut être infusée. C’est pour cette raison que la chicorée est parfois appelée « herbe à café ». La chicorée est connue pour aider à lutter contre l’hypertension artérielle, les maux d’estomac, la constipation, les troubles hépatiques et l’accélération du rythme cardiaque. Qui aurait pu croire qu’un tel superaliment se cachait dans le coin le plus reculé de votre parc voisin ?

ces délices de la nature et de bien d’autres, méconnus encore ? La forêt est une véritable corne d’abondance de biodiversité qui passe pratiquement inaperçue, en particulier en ville où l’on suppose encore trop souvent que la nourriture n’est disponible que dans les épiceries et les restaurants.

Nous reconnecter directement à notre environnement en cueillant nos propres aliments est une expérience plus que gratifiante. Et tout commence par les papilles, alors que les fluctuations des saisons et la variété d’écosystèmes se révèlent dans de subtils éclats de saveur. Il y a une telle biodiversité à découvrir dans notre terroir. Avec des trouvailles faciles à identifier, la cueillette locale peut commencer par une simple promenade, nous menant des sentiers à la table.

à l’ail

L’alliaire officinale, appelée aussi l’herbe à l’ail, est une des plantes les plus envahissantes au Canada et menace la biodiversité. Vous verrez ces grandes plantes vertes apparaître au printemps sur le bord des routes et sur les terrains vagues. Partout où il y a un peu de soleil et de terre, il y a de l’herbe à l’ail. Il ne faut donc pas hésiter à la récolter. La première année, elle ne produit qu’une grappe de feuilles en forme de rosette. Un système racinaire solide se développe et la plante qui survit à l’hiver produit, au cours de la deuxième année, des fleurs contenant des centaines de graines. Elle ressemble beaucoup à la famille des carottes, mais elle fait partie de la famille des brassicacées, comme le chou et la moutarde. Une manière infaillible pour l’identifier consiste à en arracher une feuille et la frotter dans vos mains. Si elle sent l’ail, il s’agit bel et bien d’un plant d’herbe à l’ail. La bonne nouvelle, c’est que cette plante est non seulement délicieuse, mais également riche en vitamines A et C. La racine peut être râpée comme du raifort, et les tiges et les feuilles dégagent une forte saveur d’ail, parfaite pour une sauce au pesto, par exemple.

GOURMAND 32
L’herbe

On trouve l’amélanchier dans les bois, le long de routes de campagne et dans les parcs urbains. Les taches violettes qui parsèment les trottoirs sont souvent une manière de repérer ses baies. Celles-ci poussent sur un arbuste grisâtre à l’écorce fine qui peut mesurer jusqu’à trois mètres de haut. Au printemps, les baies passent d’un rouge intense et mat à un bleu foncé. Charnues et juteuses, elles sont alors les plus sucrées et prêtes à être cueillies. Elles ressemblent à des myrtilles avec une peau plus épaisse, mais leur goût, provenant des graines de la baie, est plus proche de celui d’une cerise sucrée, avec un soupçon d’amande. Elles contiennent plus de vitamine C et d’antioxydants que les myrtilles.

L’amélanchier Le pissenlit

Le sumac vinaigrier*

Ces grappes de baies indigènes du Canada dressent leurs cônes rougeâtres tout au long de l’année. Les baies apportent une rare touche de couleur dans le voile blanc de l’hiver et se transforment en baies humides, collantes et prêtes à être récoltées à l’automne.

Le sumac a une saveur d’agrumes naturellement piquante. Quand j’étais enfant, nous en cueillions quelques baies et nous nous lancions le défi d’en sucer une sans faire une drôle de tête. Impossible ! C’était comme sucer un citron. En fait, le sumac était utilisé à la place des agrumes en Europe avant que les Romains n’introduisent les citrons. Lorsque vous récoltez votre propre sumac, faites-le tremper dans de l’eau pour en libérer l’acidité et ajoutez un peu de miel pour transformer vos baies en « sumac-ade » (vous devrez filtrer l’eau deux fois pour éliminer toute trace de saleté). Personnellement, j’aime faire sécher mon sumac et le moudre pour en faire une épice. Ses belles touches de rouge et sa pointe d’acidité sont une excellente façon de relever un plat.

* Ne pas confondre avec le sumac vénéneux (l’herbe à puce), qui ne ressemble en rien au sumac vinaigrier.

Deirdre Buryk, qui vit à Toronto, est l'autrice de Peak Season : 12 Months of Recipes Celebrating Ontario's Freshest Ingredients, publié par Penguin Random House Canada.

Sur les pelouses ou dans les stationnements, cette plante est immédiatement reconnaissable. La plupart des gens considèrent le pissenlit comme une mauvaise herbe puisqu’il pousse en abondance et qu’il est difficile de s’en débarrasser, mais une fois qu’on a pris conscience de ses bienfaits pour le corps et les papilles, on le voit différemment. Les pissenlits apparaissent au printemps, invitant les abeilles à sortir de leur hibernation grâce à leur floraison précoce. Les feuilles dentelées sont à leur mieux lorsqu’elles sont jeunes et tendres. À la fin du printemps, ils développent des fleurs jaunes et des tiges creuses (substitut naturel d’une paille en cas de besoin !). À l’automne, les plants qui ont survécu au désherbage du jardinier ont des feuilles amères et produisent une deuxième fleur qui peut être utilisée dans les thés, le vin et les salades. Les longues racines charnues, qu’il est préférable de récolter à l’automne, deviennent plus robustes au fil des saisons et peuvent être grillées avant d’être infusées en guise de substitut de café. Le pissenlit est utilisé pour faciliter la digestion, aider à traiter les infections urinaires et améliorer le fonctionnement des reins et du foie.

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EXPLORER LES AÇORES

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VOYAGE

mots :: Alain Denis, en collaboration avec Frédérique Sauvée photos :: Alain Denis

Perdu dans l’Atlantique Nord, l’archipel des Açores – une région autonome du Portugal – est un paradis de nature à explorer à vélo de montagne. Constitué de neuf îles aux caractères et aux paysages très distincts, l’archipel dessine une mosaïque de couleurs intenses, du noir des roches volcaniques à l’azur de l’océan en passant par l’émeraude d’une végétation particulièrement luxuriante. Notre collaborateur vous guide à travers les plus beaux sentiers de l’île de São Miguel.

FAJÃ DO ARAÚJO

Ancien chemin destiné aux pêcheurs qui habitaient à l’extrémité est de l’île de São Miguel, ce sentier de randonnée débute au village de Pedreira et mène, sur 4 km le long de la falaise, jusqu’à la Fajã do Araújo. En portugais, le terme fajã désigne une langue de terre qui s’avance dans l’océan. Aux Açores, les fajãs se sont généralement formées à la suite de l’écoulement de lave dans la mer ou en raison de glissements de terrain sur la rive escarpée. La descente raide zigzague dans une végétation dense composée de plantes côtières qui poussent sur une roche volcanique millénaire.

SETE CIDADES

S’agit-il d’un aqueduc romain envahi par la végétation ? En fait, c’est un vestige bien plus récent, puisque l’île n’a été explorée par les Européens qu’à partir de 1427. Mais les Portugais ont repris l’architecture propre à l’Antiquité pour ce bâtiment en pierre massive qui permettait alors de transporter l’eau des lacs de l’ouest de l’île jusqu’à Ponta Delgada, la plus grande ville de São Miguel encore à ce jour. Il est possible d’emprunter à vélo un sentier qui longe ce mur percé de neuf immenses fenêtres pour le moins spectaculaires, et de se replonger dans l’époque le temps d’un instant.

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PICO DOS BODES

Surnommée l’île verte, São Miguel est la plus grande et la plus verdoyante de tout l’archipel. Un épais gazon tapisse les versants conduisant à ses sommets, dont l’un est Pico de Bodes, site réputé pour l’observation des baleines. Une piste de vélo de 2 km serpente sur ses flancs, à travers les pâturages, avant de devenir une délicieuse single track comptant une série de virages serrés avec vue imprenable sur l’océan.

MOSTEIROS

Le vélo de montagne se développe rapidement dans les différentes îles des Açores, mais il est recommandé de faire appel aux services d’un.e guide pour connaître les meilleurs sentiers locaux. Carlos dos Santos, notre guide pour ce séjour, aime particulièrement un sentier panoramique qui slalome sur la côte près du village de Mosteiros, à l’extrême ouest de l’île cette fois. Ce sentier de type enduro réserve aux cyclistes un beau dénivelé technique ainsi que des points de vue livrant au regard un tableau mêlant les verts et les bleus de l’océan.

MAIA

Dotées d’un patrimoine historique vieux de quelque cinq siècles, les Açores offrent de nombreuses occasions d’étapes culturelles au cours d’une journée sportive. Après avoir pédalé sur le sentier littoral Atalho da Viola, Maia est un arrêt incontournable. Ce petit village pittoresque a été fondé au XVe siècle grâce au commerce du thé – il s’agit d’ailleurs de l’une des seules plantations de thé en Europe, cultivé dans les champs extrêmement fertiles alentour. Son église, Divino Espírito Santo, est certainement l’élément architectural le plus frappant de la localité.

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Le sentier de la réconciliation

Et si la pratique du vélo de montagne contribuait à aider les Premières Nations à panser leurs blessures ? En comblant le fossé entre les différentes cultures grâce au langage universel du plaisir. Reportage en Colombie-Britannique, au premier festival Allies, organisé par la Première Nation Simpcw.

mots :: Matt Coté

photos :: Reuben Krabbe

de bienveillance, cache un fait inéluctable : la réconciliation est un fardeau colonial, pas autochtone. Et pourtant, dès qu’il faut aborder ce sujet délicat, les Premières Nations continuent de se présenter à la table des discussions.

Dans le cas présent, il s’agit du symposium bisannuel de la Mountain Bike Tourism Association (MBTA) qui a lieu au SilverStar Mountain Resort, en Colombie-Britannique, auquel Tom Eustache a été convié. En tant que cycliste et concepteur de sentiers lui-même, il a trouvé un terrain d’entente avec toutes les personnes présentes dans la salle, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le cadre de la réconciliation canadienne. Pour les Simpcw et d’autres nations, les sentiers sont devenus un moyen de réoccuper leur territoire et de ramener la santé et le bonheur dans des lieux assombris par l’héritage du système des pensionnats – un régime brutal d’assimilation culturelle devenue génocide indigène, déployé par le gouvernement canadien jusqu’à la fin des années 1990.

Dans le but de favoriser la guérison de sa communauté natale de Chu Chua, à environ une heure au nord de Kamloops, en Colombie-Britannique, Tom, qui y est à la fois directeur des travaux publics et bénévole, a coordonné la construction et le développement d’un réseau de sentiers en collaboration avec le programme Indigenous Youth Mountain Bike et l’organisation First Journey Trails. Ici, le sol de la forêt est sablonneux et sec, l’espacement entre les sapins et les épinettes est idéal pour obtenir de belles vues, les collines s’élèvent en pente douce depuis la large rivière que les colons ont baptisée la Thompson Nord. C’est l’endroit parfait pour rouler avec de gros pneus, à michemin entre Kamloops et Williams Lake, épicentres du freeride en Colombie-Britannique. Mais, pour les Simpcw, les sentiers de vélo de montagne ne sont pas seulement une commodité, ils sont aussi une occasion à saisir.

Lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, quelques semaines seulement après le symposium de la MBTA, une centaine de cyclistes se sont réunis à Chu Chua pour le premier festival de vélo de montagne Allies. Il s’agit d’une belle invitation à venir célébrer et profiter des lignes fluides que les Simpcw ont sculptées sur leur territoire.

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Des cyclistes de quatre Premières Nations de la Colombie-Britannique – les Squamish, Musqueam, Ucluelet et Wet’suwet’en – ont répondu présents, aux côtés de membres des Premières Nations Waterhen Lake, de la Saskatchewan, et Navajo, du sud des États-Unis. Plusieurs amateurs de vélo de montagne non autochtones sont également venus des quatre coins de la Colombie-Britannique et même d’aussi loin que de l’Inde.

« Vous êtes les suivants », fait savoir Tina Donald, une conseillère simpcw qui dirige le cercle d’accueil. Elle demande systématiquement à chaque personne de se présenter. En ce jour si important, chacun doit prendre le temps de se rencontrer et de s’écouter. S’ensuit un chant de bienvenue au tambour, interprété par Leon Eustache, le neveu de Tom, puis il est temps d’aller rouler. Pour le reste de la journée, aucune autre formalité. Le but est simplement de s’amuser ensemble.

C’est quelque chose que je ressens de plus en plus ces derniers temps – être fier de qui je suis et d’où je viens.

La foule se disperse vers le point de départ du sentier et disparaît dans les bois. Certains montent dans des navettes, d’autres choisissent de pédaler sur le sentier d’ascension. Les boucles sont courtes et gratifiantes ; il est possible d’enchaîner plusieurs descentes sur des sentiers qui n’ont rien à envier aux meilleurs de la province.

Sentiers de fierté

Ce réseau de classe mondiale soulève une question simple : compte tenu de ce que les peuples autochtones ont perdu au profit des colons européens et de leurs descendants, pourquoi ont-ils invité des « Blancs » alors qu’ils pourraient garder « leur secret » pour eux seuls ? « Nous voulons montrer à tout le monde comment nous nous rassemblons et comment nous partageons, explique Tom Eustache. Peut-être que, parce que nous sommes ensemble ici dans un contexte décontracté, je peux vous parler, vous pouvez écouter, et vous êtes alors capables d’entendre. Parce que nous venons de faire une descente de vélo, nous avons l’occasion d’être calmes, de nous asseoir avec des gens qui partagent les mêmes idées. »

C’est une réponse si généreuse que nous avons un peu honte de la question. Tom Eustache poursuit en disant que lorsque vous construisez quelque chose dont vous êtes fier, vous voulez le montrer. « Il y a une grande satisfaction à voir des cyclistes venir des centres de vélo de montagne les plus connus de la province pour visiter nos sentiers et les adorer. »

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Rassemblés au point de départ du réseau Simpcw, Terrence Yazzie, Tom Eustache, MT Garcia et d'autres profitent du soleil et de l'amitié entre deux tours de roues. QUÉBEC 3930, boul. Hamel Québec (QC) G1P 2J2 MONT-SAINTE-ANNE 10 909, boul. Sainte-Anne, #12 SteAnne-de-Beaupré (QC) G0A 3C0 BROMONT 89, boul. Bromont Bromont (QC) J2L 2K5

« J’espère que vous vous amusez ici, ajoute-t-il en souriant. Je suis tellement fier de ce que nous sommes. C’est quelque chose que je ressens de plus en plus ces derniers temps – être fier de qui je suis et d’où je viens. Beaucoup de membres des Premières Nations n’ont pas l’occasion de ressentir cela. »

La fierté devient également un sentiment familier pour Jay Millar, de la Première Nation Ucluelet. Plusieurs membres de sa communauté et lui ont eux aussi tracé des sentiers sur leur territoire non cédé où, comme il le dit, « l’océan se heurte aux montagnes ». Faisant partie de l’équipe de construction des sentiers, Jay confesse être tiraillé par l’envie de les garder secrets, tout en voulant les utiliser pour toucher plus de gens. « Par l’éducation, avancet-il, nous pouvons espérer tourner la page sur le passé. Avec l’arrivée d’un plus grand nombre de cyclistes, créer des sentiers est une nécessité pour notre communauté – et un moyen d’amener les Autochtones sur le terrain. »

Agent de guérison

Jay Millar affirme que l’apprentissage du vélo et la construction de sentiers l’ont aidé à surmonter des moments difficiles et lui ont donné un but à atteindre. Il a grandi en faisant du surf, mais il économise aujourd’hui pour s’acheter un vélo de montagne en carbone afin de pouvoir explorer encore plus profondément son territoire ancestral. Cela lui donne l’impression d’être connecté, sans compter que c’est vraiment trippant.

Ce sentiment trouve écho chez Chelsie McCutcheon, une femme de la communauté wet’suwet’en de Smithers, dans le nord de la Colombie-Britannique, qui remarque que la notion même de bonheur autochtone s’est perdue dans le système des pensionnats, annihilée par l’écrasement rigide de l’absolutisme chrétien et remplacée par un traumatisme générationnel. « Le plaisir est un agent de guérison », affirme-t-elle. « Dans plusieurs communautés des Premières Nations, il y a un sentiment de désespoir – un ensemble qui a besoin d’être recousu. Cela semble si élémentaire, mais le fait de s’amuser contribue grandement à la réparation. »

Chelsie vit maintenant à Squamish, où elle collabore à la gestion du programme de vélo de montagne destiné aux jeunes autochtones de la région, et a également participé à l’Indigenous Life Sport Academy. La dépression est un fléau permanent dans les communautés autochtones, mais des sports comme le vélo de montagne et la planche à neige l’ont aidée à garder la tête hors de l’eau, confie-t-elle. Elle pense que cela peut servir de base à la guérison générationnelle. « Nous sommes dans une situation où, dans la société moderne, il n’est pas approprié de montrer sa souffrance. Or, quand vous devez la cacher, vous êtes bloqué. Mais souffrir [par l’exercice] supprime presque cette capacité à se dénigrer soi-même. »

S’il est vrai que le mouvement est un remède puissant pour la santé mentale et le bien-être physique, Chelsie reste consciente du fait que faire bouger les gens est une tâche bien complexe. Il faut des infrastructures, comme les sentiers de Chu Chua et d’Ucluelet, qui sont devenus des modèles de coopération. Alors que les gouvernements, de tous ordres, continuent à tâtonner dans cette mission, les adeptes de vélo de montagne développent leur expertise dans ce domaine. Le programme Indigenous Youth Mountain Bike et l’organisation First Journey Trails,

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Matt Coté, l'auteur de ce reportage, au départ des virages de la Section Zéro.

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entre autres groupes, ont aidé des douzaines de communautés du Nord et de la côte Ouest à construire des sentiers. Bien sûr, cela aide que la Colombie-Britannique soit la destination la plus prisée du monde pour le vélo de montagne, où ce sport constitue à la fois une passion populaire et un moteur économique important.

Au-delà des retombées économiques

Mais si la Colombie-Britannique est devenue le point de départ de l’aménagement de sentiers par les Autochtones, c’est probablement pour une raison parallèle : contrairement à la majeure partie du Canada, il n’y a ici pratiquement pas de droits fonciers issus de traités. Il en va de même à Carcross, au Yukon, où la Première Nation Tagish a entrepris une initiative similaire de création de sentiers en 2011, et dispose maintenant d’un aménagement touristique qui attire chaque été des milliers de personnes dans ses sentiers, ses boutiques et ses services de restauration. À mesure que les Premières Nations développent leurs propres réseaux, elles peuvent commencer à profiter de retombées économiques.

Selon la publication de la MBTA intitulée 2016 Sea to Sky Corridor Overall Economic Impact of Mountain Biking, qui résume les études portant sur l’axe de l’autoroute 99 entre North Vancouver et Pemberton, les sentiers de vélo de montagne ont généré cette année-là 70,6 millions de dollars en dépenses des visiteurs, soit le double des montants indiqués dans une étude réalisée en 2006.

Bien que la Colombie-Britannique soit l’une des plus grandes destinations de vélo de montagne de la planète, les avantages de ce sport ne se limitent pas à la province la plus occidentale du Canada. Aux États-Unis, la nation navajo accueille désormais l’impressionnant et populaire Rezduro, considérée comme la première course d’enduro en vélo de montagne dirigée par des Autochtones, dans un réseau toujours plus étoffé de sentiers qu’ils ont construits eux-mêmes.

Terence Yazzie et MT Garcia, de la communauté navajo, sont venus pour comparer leurs expériences. Leur importante réserve s’étend sur trois États : l’Arizona, l’Utah et le Nouveau-Mexique. MT Garcia s’efforce de faire connaître la pratique aux écoliers et, en l’espace de quelques années seulement, elle a vu plus de 40 jeunes navajos s’adonner à ce sport.

« Moi-même et d’autres concepteurs de sentiers, ainsi que les personnes de la communauté qui défendent le vélo, essayons de bâtir un espace sécuritaire », dit Terence Yazzie, en reconnaissant l’inconfort que peut créer le fait d’essayer quelque chose de nouveau.

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PAGE DE GAUCHE Theo Eustache en pleine descente. EN HAUT À GAUCHE Une navette transporte les jeunes au départ des sentiers. EN HAUT À DROITE Hailey Bickerton, dix ans, attaque une rampe sur le sentier Step It Up.
« Je pense qu’il s’agit simplement de partager l’importance culturelle de tous les peuples du monde, n’est-ce pas ?

Une communauté universelle

Bien que la « réconciliation », dans le contexte canadien, soit un nouveau mot pour lui, Terence comprend le concept. « Je pense qu’il s’agit simplement de partager l’importance culturelle de tous les peuples du monde, n’est-ce pas ? Par exemple, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas autochtone que vous n’avez pas de culture. Nous pouvons partager cela les uns avec les autres et bâtir une grande communauté. »

Lors de ce rassemblement, cette notion de partage est présente toute la journée sur les sentiers, mais aussi en soirée, près du feu de camp où Chelsie explique à l’assemblée la signification du potlatch, une cérémonie autochtone qui consiste à partager des repas – une tradition que le premier gouvernement colonial de la Colombie-Britannique avait interdite. De même, Tom Eustache fait savoir à Vinay Menon, venant de Pune, en Inde, que la langue autochtone au Canada était entièrement orale et qu’elle a presque été anéantie par les pensionnats. Vinay est stupéfait d’apprendre qu’il n’y ait aucune trace écrite de la langue, ajoutant que si la diversité culturelle de son pays natal subsiste, c’est en grande partie grâce aux documents papier.

Prendre part à ces échanges multiculturels est un vrai plaisir pour Sean Bickerton, un résident non autochtone de Squamish, qui participe au festival Allies avec ses deux jeunes enfants. Agent des ressources naturelles pour le gouvernement de la Colombie-Britannique, il travaille justement dans le domaine des relations avec les Autochtones. Sean admet pourtant que ce travail – qui vise à faire respecter la loi – est un héritage du colonialisme. À ce titre, il s’inquiète d’être perçu comme un ennemi, mais il est toujours très étonné de l’accueil qu’il reçoit lorsqu’il visite les Premières Nations. Avec ses enfants, il est devenu important pour lui de normaliser ce sentiment que nous appartenons à une même communauté. « Je voulais sortir du contexte du travail et venir présenter la personne que je suis vraiment. »

Pour les enfants de Sean, la partie immersive de l’expérience est la plus fascinante. C’est quelque chose qu’on ne peut pas apprendre à l’école, où les peuples autochtones ne sont trop souvent qu’un concept. « Nous aurions pu rester chez nous pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, mais j’ai préféré assister à cet événement et montrer à mes enfants comment fonctionne cette communauté des Premières Nations. Vivre et apprendre par l’entremise du vélo de montagne. Cela donne un repère auquel les enfants peuvent s’accrocher, un moyen de rencontrer des gens et d’absorber un tas de nouvelles informations. »

Weyt-kp

Le festival se clôture avec un dîner de bannique et une cérémonie d’adieu. Au lieu de s’entasser à l’intérieur d’un bâtiment, Terence Yazzie, Theo, le fils adolescent de Tom Eustache ainsi qu’une douzaine d’autres cyclistes s’amusent sur le sentier improvisé, tombant, riant et prenant du retard pour le dîner.

Le temps semble malléable, et chacun reconnecte à la simplicité de l’enfance et à ce qu’elle a de merveilleux. Pour chaque chose qui nous sépare, il y en a beaucoup plus qui nous rapprochent.

De retour à l’intérieur, des jeunes de la nation des Squamish prennent Tom Eustache à part pour lui offrir une sculpture en cadeau, alors que Leon joue une chanson d’adieu sur le tambour. Tom est en larmes au moment de dire au revoir au groupe de cyclistes, autochtones et non autochtones, leur avouant qu’il est ému de voir tout ce monde sur le territoire.

« Revenez parcourir les sentiers, les invite-t-il dans sa langue maternelle, le secwepemctsin, et quand vous le ferez, passez dire bonjour – weyt-kp. »

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Leon Eustache entonne un chant de bienvenue à un cercle de cyclistes nouvellement arrivés pour célébrer le vélo de montagne et la culture de Simpcw.

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13. Le chandail FREE RANGE DE PARMI est un essentiel de tous les jours conçu à partir d’un luxueux mélange de laine de mérinos doux, léger et respirant. Parfait pour suivre votre mode de vie actif. Il s’accorde à merveille avec le pantalon BRIDGE pour homme, Assez technique pour rouler, assez raffiné pour votre quotidien. Son tissu Ripstop de qualité supérieure est extensible dans deux sens, hydrofuge et résistant à l’abrasion avec un indice solaire FPS 50+. Un pantalon qui vous accompagnera partout. www.parmilifewear.com //

14. Le tabouret BTR DE HILLSOUND est le plus léger pour toutes les aventures extérieures. Pour cuisiner à votre campement, photographier un paysage ou vous asseoir autour du feu de camp, ce tabouret est certainement plus confortable qu’une roche! www.hillsound.ca //

15. Pesant moins de 100 g, le manteau CINDER PHANTOM DE RAB est ultra léger, peu encombrant, et offre une protection imperméable dans un tout petit format. Conçu pour répondre aux besoins des cyclistes qui roulent par tous les temps, il est assez léger pour être oublié une fois rangé, et assez résistant pour vous protéger contre les intempéries quand l'orage éclate. www.rab.equipment

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L’EFFET BADASS

Qui a besoin d’une bonne thérapie ? D’un petit remontant ? Je peux vous aider avec ça parce que ma vie a décidé de foutre le camp récemment. Ciao, bye. Elle a quitté l’aventure en me laissant dans un bordel d’émotions pas le fun. « Bonne chance, la grande ! » Mais j’ai trouvé une minifaille dans son plan… Je vous raconte.

Sans entrer dans les détails, disons que j’ai la vague impression que 2022 et 2023 se sont appelées en se disant que c’était à mon tour d’en baver. Au début de mes mésaventures, j’avais le cœur qui se prenait pour Usain Bolt en me brossant les dents, j’avais des vertiges en ouvrant la porte de la maison. C’était pas glorieux, mettons. Puis il m’est venu une idée toute simple. Pas un miracle, là. Juste un petit truc qui a permis de ralentir le hamster hyperactif dans mon cerveau et de relativiser.

Je me suis rappelée que j’étais badass. Ouep. C’est tout. Je me suis rappelée que je sais ce que c’est avoir le vertige parce que j’ai déjà fait du bungee déguisée en superhéroïne et sauté pour

la première fois en parachute quand j’avais 14 ans. Le vide et les palpitations cardiaques, je m’y connais. Alors, quand la chienne me pogne face à la vie, je fais une petite jambette à mon hamster en activant le bouton badass. Je me vois rebondir, atterrir ou planer, le sourire aux lèvres. Je me souviens de la sensation enivrante de faire entièrement confiance au vide et de savoir que si je l’ai fait une fois, je peux le refaire encore. J’accepte la vague d’émotions : je me prends pour Carissa Moore au sommet de sa forme et je surfe. Tu essaieras ça.

Quand tout me paraît insurmontable, que la chaîne de l’Himalaya des problèmes s’invite dans ma tête, je me rappelle que je suis endurante. J’ai déjà fait du pouce de Montréal à l’Alaska pour le trip de camper au cercle arctique. J’ai déjà marché les 650 km du Sentier international des Appalaches en Gaspésie. Ça m’a pris 40 jours. J’ai eu froid, j’ai eu peur. Mais je l’ai fait. Bouton badass Bref, ce n’est pas plus compliqué. Quand le feu est pris dans la maison, pèse sur le bouton badass. Va chercher les moments-de-tavie-qui-torchent, même les plus petits, et utilise toute leur force pour continuer d’avancer. You got this!

64 PENSÉES
mots :: Anne Marie Brassard illustration :: Marie Mainguy

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Photo : ©Louis Garnier
Îles de la Madeleine NICHOLAS SPOONER-RODIE 66 LE FIN MOT
Ralentis et tu marcheras à la même vitesse que le bonheur.

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Photo : RAB

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