IA Pourquoi l’intelligence artificielle accélère les découvertes La vision de D. Hassabis cofondateur de DeepMind
PREMIERS OUTILS ET SI C’ÉTAIT LUI…
Paranthropus, tailleur de pierre avant les humains ?
cofondateur de DeepMind
Les voix de la nature
COMMENT LA BIOA C OUSTIQUE RÉVÈLE LA SOPHISTI C ATION DES C OMMUNI C ATIONS ANIMALES
M ERCREDI 31 MAI 19 H
Auditorium Fondation
François S ommer
60 rue des Archives Paris 3 e
Conférence gratuite sur réservation Programme et inscriptions sur : www.fondationfrancoissommer.org
Directrice des rédactions : Cécile Lestienne
MENSUEL POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : François Lassagne
Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
Stagiaire : Pierre Giraudeau
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Community manager et partenariats : Aëla Keryhuel aela.keryhuel@pourlascience.fr
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande
Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery
Assistant administratif : Bilal El Bohtori
Responsable marketing : Frédéric-Alexandre Talec
Direction du personnel : Olivia Le Prévost
Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho
Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon
Ont également participé à ce numéro :
Pascale Besse, Elsa Couderc, Emmanuel Fort, Sophie Godin-Beekmann, Cédric Lorcé, Andrea Pazmino, Franck Perez, Hervé Watier
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Reste du monde : 85,25 euros
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DISTRIBUTION
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ISSN 0 153-4092
Commission paritaire n° 0927K82079
Dépôt légal : 5636 – Mai 2023
N° d’édition : M0770547-01
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SCIENTIFIC AMERICAN
Editor in chief : Laura Helmut
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Origine du papier : Autriche
Taux de fibres recyclées : 30 %
« Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne
DE L’USAGE DES HÉRITAGES
Ils ne nous ont pas légué notre capacité à inventer – ils ne font pas partie de nos ancêtres directs. Mais ils nous transmettent, par-delà les âges, une leçon précieuse de modestie. Car cela semble clair désormais, la lignée dont descend sapiens n’est pas la seule à pouvoir revendiquer d’être « celle qui fait ».
La très longue histoire qui conduit à l’humain, et que jalonne la confection d’outils, doit désormais compter avec ces lointains cousins disparus : les paranthropes. Les paléoanthropologues ne savent dire qui a inspiré qui. Au moins sait-on que « Paranthropus faber » comme « Homo faber » arpentèrent les mêmes savanes…
Ce que nous cède le passé n’est pas toujours un bienfait. À l’échelle bien plus modeste des générations qui nous précèdent d’un ou deux rangs, nous héritons les modifications « épigénétiques » de l’ADN liées aux traumatismes vécus par nos parents et grands-parents. Les enfants adultes des survivants de la Shoah sont plus susceptibles de souffrir de troubles de l’humeur et d’anxiété, a montré la professeuse de psychiatrie et neurosciences Rachel Yehuda.
Rapprochons-nous encore du temps présent… et de nos assiettes. L’incontournable baguette française a rejoint il y a quelques mois la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Preuve du caractère admirable de savoir-faire ancestraux ? Pas si simple : cet héritage culinaire a suscité de vives controverses sur ce qui fait qu’un pain est bon ou non, comme l’explique l’historien des sciences et des techniques Maxime Guesnon.
Considérons enfin « l’héritage en cours » que constitue l’imposante production de déchets plastiques de notre civilisation industrielle : le défi est immense qui consiste à en réduire le fardeau pour les générations futures.
Imprimé en France
Maury Imprimeur SA Malesherbes
N° d’imprimeur : 269 524
Les héritages marquent le présent de leur empreinte et conditionnent l’avenir, pour le pire et le meilleur. À nous d’en faire bon usage. Cela commence par en comprendre l’origine. Comme le souligne le paléoanthropologue Bernard A. Wood, spécialiste des paranthropes, « pour bien comprendre l’évolution de notre lignée, résoudre l’énigme de Paranthropus boisei compte autant que déterminer l’origine d’Homo ».
Qu’il s’agisse de se libérer de legs problématiques ou, au contraire, de prendre appui sur nos héritages constructeurs, la science est un outil d’interprétation irremplaçable, que nous serions bien inspirés de transmettre aux générations suivantes. n
s
N° 547 / Mai 2023 OMMAIRE
ACTUALITÉS GRANDS FORMATS
P. 6
ÉCHOS DES LABOS
• L’anatomie du proton, plus complexe que prévu
• Pourquoi la sclérose en plaques progresse plus vite chez les hommes
• Un soliton jongleur
• Un pavage non périodique avec une tuile unique
• L’impact des feux de forêt sur la couche d’ozone
• Moins d’affinité pour les anticorps
P. 16
LES LIVRES DU MOIS
P. 18
DISPUTES ENVIRONNEMENTALES
La baleine, la haute mer et l’ADN
Catherine Aubertin
P. 20
LES SCIENCES À LA LOUPE Postdoctorants en grève !
Yves Gingras
P. 34
CHIMIE
QUEL AVENIR
POUR LE RECYCLAGE DU PLASTIQUE ?
Sarah DeWeerdt
Automates de tri, gammes simplifiées, traitements fondés sur des microorganismes… Chercheurs et entreprises explorent différentes voies d’amélioration du recyclage des matières plastiques, encore très insuffisant
P. 52
ASTROPHYSIQUE
ALCHIMIE COSMIQUE
Sanjana Curtis
De nouvelles observations mettent en évidence la façon dont les cataclysmes cosmiques donnent naissance aux éléments lourds du tableau périodique comme l’or, le strontium ou le platine
P. 42
NEUROBIOLOGIE
LE TRAUMA À TRAVERS LES GÉNÉRATIONS
P. 62
BIO-INFORMATIQUE
LETTRE D’INFORMATION
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En couverture : © Photo Sylvain Entressangle, Reconstitution Élisabeth Daynès / LookatSciences Médaillon : © The Royal Society, Duncan.Hull, Wikimedia commons (CC BY-SA 4.0)
Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot
Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.
Rachel Yehuda
Chez les personnes traversant des épreuves psychologiques intenses, l’ADN subit parfois des modifications dites
« épigénétiques », qui se transmettent à leurs enfants, les rendant plus vulnérables à divers troubles psychiques.
« L’IA VA ACCÉLÉRER LES AVANCÉES SCIENTIFIQUES »
Entretien avec Demis Hassabis
Le succès d’AlphaFold n’est qu’un début pour les intelligences artificielles dans le champ scientifique, explique Demis Hassabis, directeur général de DeepMind, à l’origine du programme d’IA qui révolutionne la biologie structurale.
P. 66
SCIENCE ET FICTION
JUSQU’OÙ VA
LA PENSÉE ALIEN ?
Laurent Vercueil
Les Martiens décrits par H G Wells dans La Guerre des mondes manifestaient une intelligence « vaste, calme et impitoyable », pas si éloignée de la nôtre D’autres œuvres poussent bien plus loin l’exploration de l’altérité cognitive.
P. 72
HISTOIRE DES SCIENCES
LES ZONES GRISES DU PAIN BLANC
Maxime Guesnon
La baguette de pain, héritage d’un passé lointain dont les savoir-faire artisanaux se transmettent depuis des générations ?
Pas si sûr…
P.
RENDEZ-VOUS
80
LOGIQUE & CALCUL
LES DURES LOIS DES COLLECTIONS
Jean-Paul Delahaye
Compléter sa collection de vignettes est loin d’être simple Les mathématiques apportent des explications inattendues !
P.
86
ART & SCIENCE
Des archives de calcaire
Loïc Mangin
P. 22 PALÉONTOLOGIE
PREMIERS OUTILS, ET SI C’ÉTAIT LUI…
François Savatier
Il y a quelque 2,8 millions d’années, des paranthropes sont vraisemblablement venus exploiter des carcasses d’animaux semi-aquatiques sur une rive du lac Victoria Les fragments de pierre retrouvés suggèrent qu’ils taillaient fort habilement des outils…
P. 26 PALÉOANTHROPOLOGIE
PARANTHROPUS BOISEI, SI PROCHE ET SI DIFFÉRENT
Bernard A Wood et Alexis Williams
Pendant 1 million d’années, nos ancêtres africains ont côtoyé un être à la forme s’approchant de celle de l’humain, mais si particulière que les paléoanthropologues peinent encore à l’appréhender.
P. 88
IDÉES DE PHYSIQUE
Tout feu, tout flamme dans l’« ISS »
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 92
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
L’énigme des œufs géants de Madagascar
Hervé Le Guyader
P. 96
SCIENCE & GASTRONOMIE
L’atout phénol des oléogels d’olive
Hervé This
P. 98
À PICORER
PHYSIQUE DES PARTICULES
L’ANATOMIE DU PROTON, PLUS COMPLEXE QUE PRÉVU
Vue d’artiste de l’intérieur d’un proton. Les trois quarks de valence sont représentés en plus gros (deux u et un d) tandis que ceux de la mer de quarks virtuels sont plus petits. Les gluons sont représentés par les boucles.
Comment se répartit la masse à l’intérieur du proton ? En sondant cette particule, des scientifiques ont mis en évidence une structure à trois couches.
Dans ses premiers instants après le Big Bang, l’Univers était une soupe chaude de particules élémentaires. En se refroidissant, les quarks se sont combinés pour former les protons et les neutrons, qui se sont à leur tour associés pour donner les premiers noyaux atomiques. Si la plupart de la masse visible de l’Univers est contenue aujourd’hui dans les protons et les neutrons des atomes, une énigme demeure. La masse des trois quarks du proton ne représente qu’environ 1 % de la masse de ce dernier. Au cours des décennies passées, l’image de l’intérieur du proton s’est affinée : les trois quarks baignent dans une mer agitée, remplie de gluons et de paires quark-antiquark qui surgissent du
vide et disparaissent aussitôt. L’essentiel de la masse du proton provient ainsi, en vertu de la célèbre formule E = mc2, de l’énergie cinétique des particules et de
laboratoire américain d’Argonne, et ses collègues ont levé le voile sur cette question Ils en ont déduit une première idée du rayon moyen de la distribution de la masse du proton, ou « rayon de masse »
Jusqu’à présent, les physiciens utilisaient une autre grandeur pour définir la taille du proton : le rayon moyen de la distribution de la charge électrique du proton, ou « rayon de charge ». En effet, les quarks ont une charge électrique et, en s’agitant dans le proton, ils forment une sphère, chargée et aux bords flous, pour laquelle on détermine un rayon moyen. Par exemple, en bombardant des protons avec des électrons, les spécialistes ont mesuré un rayon de charge de l’ordre de 0,88 femtomètre (10 – 15 mètre).
celle associée à l’interaction forte, qui assure la cohésion du proton et dont les gluons sont les messagers.
Mais comment la masse se répartitelle au sein du proton ? Burcu Duran, du
Qu’en est-il du rayon de masse ? Les électrons ne sont pas une bonne sonde pour étudier cette caractéristique du proton, car ils ne sont pas sensibles à l’interaction forte et donc aux gluons En revanche , les quarks , porteurs d’une charge de « couleur » (l’équivalent de la charge électrique pour l’interaction
Les quarks, sensibles aux gluons, sont une bonne sonde pour étudier le rayon de masse du proton
forte), sont sensibles aux gluons L’idée est alors d’utiliser le méson J/Psi comme sonde Cette particule est composée d’un quark et d’un antiquark c (il existe six saveurs de quarks, le proton est constitué des deux saveurs les plus légères avec deux u et un d, les quatre quarks plus lourds sont le c, le s, le t et le b). Les physiciens sont d’abord partis d’un faisceau d’électrons qui, en percutant une cible de cuivre, produit des photons En s’approchant d’un proton dans de l’hydrogène liquide, le photon se convertit en un J/Psi, dont les quarks interagissent avec les gluons du proton Le méson a une durée de vie très courte et se désintègre au final en une paire électron-positron.
Les physiciens n’ont accès qu’à ces deux dernières particules. À partir des mesures sur les électrons et les positrons menées au Jefferson Lab pendant un mois en 2019, ils ont déterminé deux grandeurs nécessaires pour calculer le rayon de masse du proton Pour estimer ce rayon, les chercheurs ont utilisé plusieurs modèles théoriques différents liés à la chromodynamique quantique ou QCD (la théorie quantique des champs qui décrit l’interaction forte). Puis, ils ont comparé leurs résultats à une technique numérique, la QCD sur réseau. Ils ont constaté qu’un des modèles et la QCD sur réseau donnaient des résultats très similaires, avec un rayon de masse de l’ordre de 0,75 femtomètre.
Le rayon de masse associé aux gluons est plus petit que le rayon de charge Ce résultat est surprenant et signifie que l’essentiel de la masse venant du contenu en gluons est concentré dans une sphère au centre, mais que les quarks circulent au-delà et forment la sphère de charge Plus étonnant, l’étude des gluons permet de définir également un autre rayon, le « rayon scalaire », qui serait de l’ordre de 1 femtomètre. Les gluons étendraient ainsi leur rôle dans le confinement des quarks un peu plus loin que le rayon de charge
Constituant essentiel de la matière, le proton se dévoile sous la forme d’une structure complexe à trois couches. Cette représentation reste à confirmer et à affiner. De futures expériences, plus précises, avec le J/Psi, sont à l’étude, ou avec un autre méson, plus lourd, le Y, constitué d’une paire quark-antiquark b n
Sean BaillyMÉDECINE
SCLÉROSE EN PLAQUES
Pourquoi elle progresse plus vite chez les hommes
La sclérose en plaques touche près de 3 millions de personnes dans le monde, dont 115 000 en France. Grâce à l’étude du rôle des hormones sexuelles dans la maladie, on comprend mieux pourquoi elle évolue di éremment selon le sexe. Explications d’Élisabeth Trai ort, qui a dirigé ces travaux à l’université Paris-Saclay.
Propos recueillis par Marie-Neige Cordonnier
Ces di érences aident-elles à comprendre pourquoi les femmes sont plus touchées que les hommes ?
Pourquoi vous être intéressée au rôle des hormones sexuelles dans la maladie ?
La sclérose en plaques (SEP) n’a ecte pas les hommes et les femmes de la même façon. D’une part, elle touche trois fois plus de femmes que d’hommes. D’autre part, chez ces derniers, la maladie se déclare souvent plus tardivement et s’aggrave plus vite. Ces di érences nous ont incités à explorer comment les hormones sexuelles influent sur la maladie.
Qu’avez-vous observé ?
Chez des souris atteintes d’un modèle de la maladie, nous avons montré que, malgré leur faible production, les hormones mâles – les androgènes –protègent les femelles contre la maladie, et ce par un mécanisme di érent de celui décrit chez les mâles. La SEP est une maladie auto-immune. Des cellules immunitaires attaquent le système nerveux central en détruisant la gaine de myéline qui entoure les prolongements neuronaux – les axones. Chez les mâles, les androgènes interviennent dans le thymus en y empêchant la production de cellules immunitaires dirigées contre les propres cellules de l’organisme. Ces hormones ont en quelque sorte un e et neuroprotecteur et anti-inflammatoire à distance. Elles induisent aussi la régénération de la myéline au niveau des lésions, mais leur récepteur (la protéine qui transmet leur signal aux cellules) reste très rare dans les tissus atteints. En revanche, nous avons découvert que chez les femelles – et les femmes malades –, ce récepteur est fortement exprimé dans les cellules immunitaires présentes dans le tissu nerveux lésé. Comme chez les souris mâles, l’administration d’androgènes a eu un e et remyélinisant chez les femelles. Mais elle a aussi eu un puissant e et anti-inflammatoire local au niveau des lésions, absent chez les mâles.
Elles permettent plutôt d’émettre des hypothèses concernant la progression plus rapide de la maladie chez les hommes que chez les femmes. La SEP commence sous une forme récurrente-rémittente, où les lésions causées par des poussées inflammatoires sont réversibles. Mais, avec le temps, elle progresse vers une forme secondaire avec une aggravation des symptômes sans aucune rémission. Selon une hypothèse actuelle, cette progression serait liée à un environnement inflammatoire hostile à la régénération de la myéline. Or chez les souris femelles traitées par des androgènes, cet environnement semble nettement plus favorable à la réparation que celui des mâles recevant le même traitement. Ce maintien d’un environnement hostile chez les mâles, même en présence d’androgènes, pourrait contribuer à accélérer l’évolution de la maladie vers la forme secondaire en empêchant la remyélinisation.
Vos travaux ouvrent-ils de nouvelles pistes thérapeutiques ?
Les di érences observées montrent qu’il pourrait être bénéfique d’adapter les traitements selon le sexe de la personne malade. Les thérapies actuelles visent à ralentir la progression de la maladie en limitant la fréquence et la sévérité des poussées inflammatoires. Maintenir aussi un taux d’androgènes approprié chez les femmes atteintes de SEP aiderait à ralentir encore la maladie. Mais avant de songer à un essai clinique, il s’agit de travailler sur la formulation médicamenteuse qui évitera les e ets périphériques indésirables tout en normalisant la concentration d’androgènes dans le système nerveux central. n
A. Zahaf et al., Nat. Commun., 2023. Source des chiffres : www.arsep.org
PALÉOGÉNÉTIQUE
L’ATLAS GÉNÉTIQUE DES EUROPÉENS DU PALÉOLITHIQUE RÉVÉLÉ
Le séquençage partiel de 356 génomes de chasseurs-cueilleurs sapiens européens confirme certains chapitres du Paléolithique supérieur et en révèle de nouveaux, jusque-là inconnus.
L’atlas génétique de l’Europe paléolithique se précise. L’équipe de Johannes Krause, de l’institut MaxPlanck pour l’anthropologie évolutive à Leipzig, a rassemblé les séquençages de 1,24 million de sites de l’ADN de 356 chasseurs-cueilleurs sapiens provenant de plusieurs dizaines d’habitats paléolithiques européens occupés au cours des 35 000 dernières années. Après avoir comparé ces profils, les chercheurs ont défini plusieurs bassins génétiques – les groupes de « Věstonice », « Fournol », etc. –, qu’ils ont reliés aux cultures matérielles pratiquées par leurs membres.
Les données des chercheurs ne concernent pas la première culture matérielle paneuropéenne – l’Aurignacien (de 43 000 à 33 000 ans avant le présent) –, mais montrent que celle du Gravettien (33 000-26 000 ans), qui lui succède, était pratiquée non pas par une seule, mais par les deux populations qui se partageaient l’Europe avant le dernier maximum glaciaire (DMG, de 26 000 à 19 000 ans) : le groupe de Věstonice peuplait les territoires des actuelles Italie, République tchèque et Autriche et celui de Fournol était répandu dans le sudouest de l’Europe (France et Espagne).
Au cours du DMG, les populations humaines se sont réfugiées au sud : à l’ouest du Rhône et dans la péninsule ibérique, Fournol a développé la culture matérielle du Solutréen (23 00019 000 ans) ; à l’est, la tradition gravettienne a persisté jusqu’à ce que, vers 17 000 ans, des groupes en provenance du Proche - Orient entrent en Italie, y fondant le groupe nommé Villabruna Progressant vers le sud de la botte italienne, leur culture matérielle – l’Épigravettien (17 000-10 000 ans) – s’est aussi étendue au-delà de l’Italie, puisque les chercheurs en ont trouvé des traces en Espagne : nous apprenons ainsi que l’Épigravettien, que l’on pensait issu du Gravettien oriental, est d’importation
Les chercheurs ont aussi montré qu’après le DMG, les populations réfugiées au sud se sont redéployées vers le nord, en mélangeant les gènes Villabruna et Fournol En France, en Belgique , en Allemagne et en Pologne
Ces Vénus gravettienne (à gauche), magdalénienne (au centre) et épigravettienne (à droite) illustrent certaines des plus importantes cultures matérielles qui se sont succédé chez les chasseurs-cueilleurs sapiens du Paléolithique supérieur en Europe.
actuelles, ces groupes ont donné la population « Goyet Q2 », associée à la culture matérielle magdalénienne, connue pour son art pariétal à couper le souffle Vers 14 000 ans, la fusion complète entre Villabruna et Goyet Q 2 a donné le groupe Oberkassel – homogène de la Pologne au Royaume-Uni !
Plus à l’est, c’est une autre population dont les membres avaient une peau plus claire que ceux d’Oberkassel et des yeux sombres que l’on retrouve – la population Sidelkino Enfin , même si la démographie des paysans nouveaux venus d’Anatolie était plus forte que celle des chasseurs-cueilleurs qu’ils rencontraient alors qu’ils pénétraient en Europe, les chercheurs ont constaté que des individus dotés d’une ascendance principalement Oberkassel ont persisté jusqu’en plein Néolithique il y a environ 5 200 ans Adoptant le mode de vie agricole, ils nous ont transmis certains de leurs gènes de chasseurs-cueilleurs n
François SavatierAbel 2023 : Luis Ca arelli
L’étude de la nature conduit parfois à poser des questions qui paraissent très simples : quelle forme prend un glaçon quand il fond, comment un fluide s’écoule-t-il ? Mais les équations qui décrivent ces systèmes peuvent devenir un terrain de jeu très ardu pour les mathématiciens. De nombreux chercheurs s’attachent à s’assurer que ces équations dites « aux dérivées partielles » se comportent de façon « sage ». C’est l’un des grands spécialistes de ce domaine, Luis Ca arelli, de l’université du Texas, à Austin, que l’Académie norvégienne des sciences a décidé de récompenser pour sa contribution fondamentale à la théorie de la régularité pour les équations aux dérivées partielles non linéaires. https ://abelprize.no/
PHYSIQUE
UN SOLITON JONGLEUR
Dans un réservoir rempli d’eau, très étroit et soumis à des vibrations verticales, Camila Sandivari, de l’université du Chili, à Santiago, et ses collègues ont créé une vague d’un type particulier, un soliton. Les solitons sont des ondes uniques à l’image des tsunamis. Le soliton étudié ici est localisé dans l’espace, c’est-à-dire qu’il ne se déplace pas sur toute la longueur de la cuve, mais il oscille entre les deux parois. Ainsi, au milieu de la cuve, la vague semble s’élever le long d’une paroi, y atteindre une hauteur maximale avant de redescendre et remonter sur la paroi juste en face. Jusque-là rien de très surprenant. Les physiciens ont alors lâché une goutte d’eau au milieu du soliton Si la goutte arrive au bon moment, elle se met à rebondir sur le soliton comme si ce dernier jonglait avec la particule de fluide. Le système est très stable : dans certaines conditions, les chercheurs ont observé une goutte vivre pendant près de quatre-vingt-dix minutes (ce qui correspond à près de 10 000 rebonds) avant de fusionner
La goutte rebondit sur un type particulier de vague, un soliton. Ce dernier oscille sur place et semble jongler avec la goutte, qui peut atteindre une durée de vie de quatre-vingt-dix
avec le bain. Ils ont aussi constaté que si la goutte s’écarte du centre, le soliton la ramène à sa position centrale. Ce comportement est l’analogue hydrodynamique du fonctionnement des pinces optiques, où l’onde d’un laser est capable de piéger de petites particules n
S. B.La chronique de YVES GINGRAS professeur d’histoire et sociologie des sciences à l’université du Québec à Montréal, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies, au Canada
POSTDOCTORANTS EN GRÈVE !
Aux États-Unis, les chercheurs postdoctorants s’organisent en syndicats et luttent pour de meilleures conditions de travail. Inattendu ? Pas tant que cela…
En novembre 2022, des milliers de postdoctorants répartis sur les différents campus de l’université de Californie ont fait grève pendant deux semaines pour obtenir un nouveau contrat améliorant leurs conditions de travail. Cet événement m’a rappelé la belle expression de Gaston Bachelard pour décrire la dynamique de la recherche scientifique à son époque : « L’union des travailleurs de la preuve. » Il avait bien compris que la science est une entreprise essentiellement collective, donc sociale, mais il en présentait dans son ouvrage Le Rationalisme appliqué (1949) une version quelque peu désincarnée, les savants ne semblant pas avoir besoin d’argent pour vivre.
Il est probable que s’il portait aujourd’hui son regard sur ce que sont et font les « travailleurs de la preuve », le philosophe noterait que leur « union » s’est matérialisée en un véritable syndicat de chercheurs en raison même d’un processus d’industrialisation de la recherche scientifique Cette syndicalisation des « postdocs » est survenue près
de cinquante ans après celle des professeurs, démarrée dans les années 1960, car le rôle des postdoctorants dans le système de production des connaissances n’a pris de l’importance qu’à compter des années 1980, d’abord aux États-Unis, puis ailleurs Aux États-Unis, leur nombre a plus que triplé entre 1980
La prise de conscience progressive des conditions de vie et de travail précaires des postdoctorants a stimulé la fondation en 2002 d’une Association américaine de postdoctorants Cette organisation , comme son homologue canadienne fondée en 2011, misait sur le dialogue et la discussion avec les universités. Ne parvenant pas à des résultats notables, elle fut vite doublée à sa gauche par des chercheurs qui prônaient plutôt la syndicalisation, seule façon juridiquement contraignante de négocier dans le cadre des lois du code du travail, comme le font la plupart des autres travailleurs. Un premier syndicat de postdocs, affilié au centre de santé de l’université du Connecticut, obtint ainsi une accréditation en 2003 et réussit dès l’année suivante à signer une première convention collective améliorant les salaires et les conditions de travail (congés de maladie, vacances payées, etc.). Les postdoctorants de l’université de Californie, les plus nombreux aux ÉtatsUnis, les suivirent à partir de 2008, non sans parfois devoir faire grève pour créer un véritable rapport de force
Il est significatif que plusieurs syndicats de postdoctorants aient choisi de s’affilier au puissant syndicat de l’United Auto Workers (« les travailleurs unis de l’automobile » ). Les conditions de la recherche contemporaine ( forte division du travail, pression à publier, postes précaires…) ne leur permettaient probablement plus de se considérer comme des artisans de la science se préparant à succéder un jour à des patrons « mentors » – dans un climat où le bel idéal du progrès de la science faisait oublier la précarité –, mais comme de simples cols bleus de la recherche.
et 2018, passant de 18 000 à 65 000, alors même que celui des postes de professeurs-chercheurs stagnait et ne pouvait plus absorber les nouveaux docteurs Selon des données américaines, alors que 55 % de diplômés en biologie obtenaient, en 1973, un poste universitaire au plus tard six ans après la fin de leur thèse, ils n’étaient plus que 15 % en 2006.
En somme, pour le meilleur ou pour le pire , la syndicalisation grandissante de tous les acteurs du système de la recherche (doctorant, postdoc, professeur, chercheur, ingénieur de recherche) n’est qu’une réponse rationnelle à un nouvel état de ce système , de plus en plus géré comme une entreprise qui doit être efficiente et faire toujours plus avec toujours moins de ressources n
Les postdoctorants se considèrent comme de simples cols bleus de la recherche
DOMAINE DE CHAUMONT- SUR - LOIRE CONVERSATIONS SOUS L’ARBRE
Venez écouter et discuter avec des personnalités de la culture, des arts et des sciences autour d’un thème. Une immersion de 2 jours, dans le confort vert d’un hôtel d’arts et de nature, pour une pensée ouverte aux autres et au monde.
25 et 26 mai : La résilience de la nature
29 et 30 juin :
L’hi oire de l’eau
28 et 29 septembre : Le merveilleux au cœur de la nature
26 et 27 o obre :
L’unité du vivant
23 et 24 novembre : De l’importance des arbres
L’ESSENTIEL
> Tenir des galets dans les deux mains et les débiter en les frappant l’un contre l’autre est un art que l’on attribuait jusqu’ici au seul genre Homo.
> Un site kényan datant de 2,8 millions d’années a cependant livré des dents de paranthropes mêlées à des outils ainsi fabriqués.
> Ainsi, selon toutes les apparences, le genre disparu Paranthropus, cousin du nôtre, utilisait de tels outils pour débiter chair et végétaux. Des paranthropes furent-ils les premiers tailleurs de pierre ?
L’AUTEUR
FRANÇOIS SAVATIER journaliste à Pour la Science
© Photo Sylvain Entressangle, Reconstitution Elisabeth Daynes / LookatSciencesPREMIERS OUTILS Et si c’était lui…
Il y a quelque 2,8 millions d’années, des paranthropes sont vraisemblablement venus exploiter des carcasses d’animaux semi-aquatiques sur une rive du lac Victoria. Les fragments de pierre retrouvés suggèrent qu’ils taillaient fort habilement des outils…
Paranthropus boisei est l’une des espèces du genre Paranthropus. Apparue en Afrique il y a environ 2,3 millions d’années, cette espèce bipède et omnivore à tendance herbivore a côtoyé les humains pendant plus de 1 million d’années.
En 2015, à Ledi-Geraru, dans les Afars, en Éthiopie, on met au jour un fossile vieux de 2,8 millions d’années : LD 350-1. Cette demimandibule est hominine, c’est-àdire qu’elle appartient à la lignée regroupant ardipithèques, australopithèques et humains divers, bref toutes les formes préhumaines ou humaines issues, avec les chimpanzés, de notre ancêtre commun il y a quelque
8 millions d’années Certaines des caractéristiques de cette demi-mandibule sont archaïques, mais d’autres sont si humaines qu’elles la placent hors de la lignée australopithèque, donc au sein du genre Homo Or Ledi-Geraru a aussi livré des galets aménagés et autres éclats coupants, ce qu’on qualifie d’outils « de mode 1 », ou « oldowayens », parce qu’on les associait à l’origine seulement aux membres de l’espèce H habilis, qui ont vécu dans les gorges d’Olduvai vers 1,8 million d’années (lire l’article page 26). Comme leur âge de 2,6 millions d’années en faisait alors les plus anciens outils oldowayens connus, on les a naturellement attribués à l’espèce humaine de LD 350-1. Toutefois, l’équipe de Thomas Plummer, de l’université de New York, vient d’en découvrir d’autres à Nyayanga, au Kenya, taillés par des paranthropes il y a quelque 2,8 millions d’années, soit un million d’années plus tôt qu’à Ledi-Geraru… Comment concilier les découvertes de Ledi-Geraru et de Nyayanga ?
Situé sur une berge de la péninsule de Homa, sur les rives nord-est du lac Victoria, au Kenya, le site de Nyayanga, est extrêmement ancien. L’ancrage dans le temps de sa pile sédimentaire à l’aide de datations paléomagnétique et radiochronologique suggère un horizon archéologique compris entre 3,032 et 2,595 millions d’années , intervalle dont la valeur médiane est 2,8 millions d’années Quand les chercheurs y mirent au jour de premiers outils oldowayens, leur premier réflexe fut de les attribuer à Homo C’est pourquoi deux des membres de l’équipe – la paléoanthropologue Emma Finestone et le préparateur des musées nationaux du Kenya Blasto Onyango – vécurent un véritable choc lorsque, sous des os d’hippopotame, ils aperçurent une première molaire énorme mêlée à des outils oldowayens La découverte d’une autre grosse molaire partielle ajouta à leur étonnement : tant l’énorme taille de ces deux dents que leurs traits fins prouvaient leur appartenance à un paranthrope
Le genre Paranthropus rassemble ce qu’on nomme des « australopithèques robustes » bipèdes, qui ont vécu en Afrique entre 2,9 et 1,2 millions d’années Son espèce la plus connue est P. boisei (lire l’article page 26). Les paranthropes étonnent les paléoanthropologues par le grand contraste existant entre leurs petites dents de devant et leurs énormes prémolaires et molaires Une telle dentition
Le site de Nyayanga, situé près d’une rive du lac Victoria, était un véritable paradis pour paranthropes : riche en graminées – leur nourriture préférée – pendant la saison humide, il offrait aussi les carcasses d’animaux aquatiques qu’il était possible de charogner pendant la saison sèche, alors que manquaient les végétaux consommables.
suggère qu’ils se servaient souvent de leurs molaires pour broyer des graminées , des graines, des racines et des tubercules, voire des insectes qui s’en nourrissent, comme les termites, mais pouvaient aussi à l’occasion cisailler de la viande avec leurs dents de devant. Il s’agissait donc avant tout d’herbivores, très aptes à consommer des graminées en saison humide, des végétaux coriaces en saison sèche, mais aussi, quand ces végétaux manquaient –capables de charogner
De fait, sur le site, les chercheurs ont mis au jour 1 176 os provenant de tortues, d’hippopotames, de crocodiles et d’autres animaux de bord d’eau , morts sur place sans doute Plusieurs de ces os portent des traces d’activités de boucherie. L’usure observée sur 30 outils confirme la transformation par pilonnage non seulement de restes de faune, mais aussi de tissus végétaux, ce qui apparaît caractéristique de paranthropes avant tout herbivores, dont la carnivorie n’était sans doute qu’opportuniste. Leurs énormes prémolaires et molaires servant prioritairement à mastiquer des végétaux, les paranthropes semblent avoir pratiqué une sorte de « prémastication outillée » de la viande. Les essais pratiqués par les chercheurs induisent que seules plusieurs heures d’utilisation des outils sont à même d’expliquer les
macro- et microtraces observées Les marques de coupure et autres dommages par percussion montrent que l’on consommait tant la viande encore attachée aux os que la moelle conservée en leur sein Une côte striée par un éclat coupant et les os de deux hippopotames disposés en tas, près desquels on retrouve des outils, indiquent qu’ils ont été équarris, activité que l’on imagine mal s’être produite après une chasse…
La qualité des 330 outils taillés à Nyayanga est remarquable Le mode 1, l’Oldowayen, fut précédé par le Lomekwien, qui date de 3,3 millions d’années, une technique de taille consistant à choquer des pierres sur une « enclume ». Pour sa part, l’Oldowayen est une technique à mains libres : il consiste à frapper un « galet » tenu dans une main – c’est-à-dire une pierre –avec un percuteur (une autre pierre) tenu par l’autre main, soit pour le doter d’un tranchant sur une face ou deux, soit pour en tirer des éclats. La pierre choquée est un « nucléus ». À Nyayanga, plus de 20 % des outils sont des nucléus. Les autres sont soit les éclats qui en furent débités , soit des percuteurs durs (pierre) portant des traces de chocs répétés. Les roches taillées – quartz, quartzite, rhyolite et carbonatite –, toutes volcaniques étant donné le substrat géologique du site, illustrent le comportement opportuniste de tailleurs de pierre qui savaient transformer des roches diverses en outils, bref d’artisans expérimentés pratiquant une tradition technique bien installée
PARADIS POUR PARANTHROPES
S’agit - il vraiment de paranthropes ?
L’emplacement de la molaire au milieu d’ossements et d’éclats tranchants ainsi que la découverte du fragment d’une autre dent rend très invraisemblable une présence seulement fortuite de ces australopithèques robustes Argument supplémentaire : la restitution de l’environnement à partir d’une analyse des rapports isotopiques du carbone dans les carbonates mêlés au sol et des dents de bovidés trouvées sur le site indique que les occupants de Nyayanga vivaient dans un habitat mésique – à humidité moyenne – fait de brousses, de savanes arborées et de zones arbustives de bord de l’eau Bref, il s’agissait d’un paradis pour paranthropes, très riche en graminées et en plantes herbacées pendant la saison humide, mais doté aussi de carcasses à exploiter quand régnait la disette Ainsi, l’hypothèse la plus probable est qu’à Nyayanga , des paranthropes ont exploité des animaux semiaquatiques morts au bord de l’eau à l’aide de leurs propres outils
Il s’agit là d’un comportement opportuniste, s’inscrivant dans une stratégie alimentaire sans doute pratiquée aussi à des nuances près par d’autres hominines De fait, les tailles de la canine, de la grosse prémolaire et des trois
10 millimètres
4 centimètres
En haut, le fragment d’une molaire inférieure (à gauche) et la molaire supérieure de paranthrope (à droite) trouvés au milieu d’outils abandonnés parmi les os d’un hippopotame, dont la carcasse fut exploitée. En dessous, quelques-uns des outils oldowayens trouvés à Nyayanga : (de gauche à droite) un percuteur portant des traces de choc, un nucléus dans la masse duquel manquent plusieurs éclats, puis quelques exemples d’éclats tranchants.
grosses molaires attachées à LD 350-1 coïncident avec celles des mêmes dents du très herbivore Australopithecus afarensis Étant donné que l’on sait que la consommation accrue de viande a joué un rôle crucial dans l’hominisation, cela montre que la forme humaine de LD 350-1 était encore assez herbivore Cela semble indiquer qu’elle était transitionnelle entre les australopithèques et les humains et date d’un temps pendant lequel tous les hominines d’écologies comparables – les paranthropes, des australopithèques graciles (Aus. garhi ?) et de premiers humains proches de ces derniers – fabriquaient des outils similaires pour mieux tirer parti des ressources disponibles Cette époque de généralisation de la mastication outillée est aussi celle de l’hominisation Quand commencet- elle ? Avant trois millions d’années, suggèrent les découvertes faites à Nyayanga, car, d’après sa datation, le site pourrait avoir cet âge. Survivant par des stratégies proches dans les mêmes milieux , paranthropes et premiers humains ne pouvaient que se croiser Peut-être échangeaient-ils ? Qui a imité qui ? n
BIBLIOGRAPHIE
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B.Villmoare et al., Early Homo at 2.8 Ma from Ledi-Geraru, Afar, Ethiopia, Science, 2015.
Paranthropus boisei Si proche et si di ff érent
Pendant 1 million d’années, nos ancêtres africains ont côtoyé un être à la forme s’approchant de celle de l’humain, mais si particulière que les paléoanthropologues peinent encore à l’appréhender.
Aucune famille n’est à l’abri de se découvrir un parent inconnu. Peut- être était- il pirate ou chercheur d’or ? Si , en tant qu’Homo sapiens, nous nous interrogeons à ce propos, force est de constater que nous possédons bien un parent inconnu, et un vrai original : Paranthropus boisei ! Ce « para-humain » fait partie de notre lignée, la lignée humaine, dont les membres – les ardipithèques , australopithèques et humains divers désignés ensemble par le terme « hominines » – comprennent toutes les formes qui ont coexisté et se sont succédé jusqu’à nous depuis la séparation d’avec le chimpanzé, il y a
quelque 8 millions d’années Assez petit , P. boisei se tenait droit, avait un petit cerveau, d’énormes prémolaires et molaires Les traces qu’il nous a laissées dans les archives fossiles remontent jusque vers 2,3 millions d’années et disparaissent vers 1,3 million d’années, peu avant qu’apparaissent de premiers indices de l’utilisation contrôlée du feu.
En Afrique, nombre de sites à vestiges de P. boisei ont aussi livré des signes de la présence d’autres hominines, notamment de premiers membres du genre Homo, ce qui implique que nos ancêtres ont probablement partagé leurs milieux de vie avec des paranthropes pendant plus de 1 million d’années Cette longue
L’ESSENTIEL LES AUTEURS
> Paranthropus boisei, un étrange australopithèque robuste doté d’énormes dents masticatrices, a vécu dans les mêmes écosystèmes que les premiers humains.
> Découvert d’abord dans les gorges d’Olduvai, comme son contemporain H. habilis, il semble avoir été, comme ce dernier, intégralement bipède et omnivore, mais bien plus herbivore que carnivore.
> P. boisei nous renseigne sur les conditions de l’hominisation. Pendant 1 million d’années, sans que des changements notables le marquent, il a côtoyé des humains, dont la cognition, le comportement et le régime alimentaire évoluaient, au contraire, rapidement.
BERNARD A. WOOD paléoanthropologue, professeur à l’université George-Washington, directeur du Centre pour l’étude avancée de la paléobiologie humaine
ALEXIS WILLIAMS
paléoanthropologue, doctorante au Centre pour l’étude avancée de la paléobiologie humaine de l’université George-Washington
coexistence constitue une chance scientifique de taille, puisque tout ce que l’on apprend sur le mode de vie paranthrope nous renseigne aussi sur les conditions de vie et les pressions sélectives qu’affrontaient nos ancêtres
LES GORGES D’OLDUVAI, UN VRAI CASSE-TÊTE
Dans la plaine du Serengeti – 60000 kilomètres carrés de savanes partagées entre Tanzanie et Kenya –, des rivières et des ruisseaux ont creusé un ravin abrupt long de 48 kilomètres : les gorges d’Olduvai C’est ce segment de la branche orientale de la vallée du Grand Rift africain qui nous a livré les premiers fossiles de P boisei Là, des
strates géologiques mises au jour par le ravinement contiennent un riche trésor de fossiles et d’outils en pierre datant des deux derniers millions d’années. Dans les années 1930, Louis et Mary Leakey commencèrent à ramasser des centaines de ces outils lithiques dans les niveaux inférieurs des gorges Mais au bout de vingt ans de récolte, le fameux couple de paléoanthropologues n’était toujours pas parvenu à identifier l’auteur des outils. En 1955, enfin, ils finirent par tomber sur une molaire et sur une canine supérieure hominines. Cependant, elles ne pouvaient guère avoir appartenu à un humain, car la couronne de la molaire était énorme par rapport à celle de la canine
L’espèce Paranthropus boisei frappe par son dimorphisme sexuel : tandis que les mâles ont une énorme articulation temporomandibulaire et une crête sur le sommet du crâne (dite « crête sagittale »), les femelles apparaissent beaucoup plus graciles et sont dénuées de cette crête (la différence de couleurs entre les photos des crânes n’est pas liée à ce dimorphisme).
Deux étoiles à neutrons s’effondrent l’une sur l’autre. Des observations récentes étayent la théorie selon laquelle de nombreux éléments lourds du tableau périodique se forment lors de tels événements cosmiques.
Alchimie cosmique
De nouvelles observations mettent en évidence la façon dont les cataclysmes cosmiques donnent naissance aux éléments lourds du tableau périodique comme l’or, le strontium ou le platine.
L’ESSENTIEL
> On connaît bien les conditions de formation des éléments chimiques : juste après le Big Bang, pour les plus légers ; lors de la fusion nucléaire au cœur des étoiles jusqu’au fer avec ses 26 protons.
> L’origine des éléments lourds du tableau périodique, comme l’or et le platine, se limitait cependant jusqu’à récemment à des spéculations théoriques.
> En observant simultanément des ondes gravitationnelles et de la lumière émises lors de la fusion de deux étoiles à neutrons, les scientifiques ont montré que du strontium était présent. Lors de ces collisions cosmiques, les noyaux atomiques captureraient de nombreux neutrons très rapidement et seraient ainsi convertis en noyaux lourds.
L’AUTRICE
Ce texte est une adaptation de l’article Cosmic Alchemy, publié par Scientific American en janvier 2023.
SANJANA CURTIS astrophysicienne nucléaire au département d’astronomie et d’astrophysique de l’université de Chicago, aux États-Unis
Nous sommes entourés de poussières d’étoiles . Nous sommes aussi faits de poussières d’étoiles . Environ la moitié des atomes lourds
plus lourds que le fer
proviennent de certaines des explosions les plus violentes du cosmos. Alors que l’Univers s’agite , que de nouvelles étoiles et de nouvelles planètes se forment à partir de gaz et de poussières, ces éléments lourds finissent par atteindre la Terre et d’autres mondes Une évolution de 3,7 milliards d’années sur notre planète nous a rendus dépendants de ces éléments, nous les humains, ainsi que de nombreuses autres espèces L’iode , par exemple, entre dans la composition chimique des hormones dont nous avons besoin pour contrôler le développement de notre cerveau et réguler notre métabolisme Le microplancton océanique Acantharea utilise le strontium pour créer un squelette minéral complexe Le gallium est indispensable pour fabriquer des puces électroniques pour nos smartphones et des écrans pour nos ordinateurs portables .
Les miroirs du télescope spatial James-Webb sont couverts d’or, un élément très utile car il est inerte chimiquement et réfléchit la lumière infrarouge… sans parler de son succès en bijouterie
Les scientifiques connaissent depuis longtemps , dans ses grandes lignes , le processus à l’origine de ces éléments. Mais les détails sont restés très débattus pendant des années Jusqu’à ce que , récemment , des astronomes
observent directement la synthèse d’éléments lourds. D’après ces nouveaux indices , il semblerait que les choses se déroulent à peu près de la manière suivante.
Il y a bien longtemps, une étoile plus de dix fois plus massive que notre Soleil est morte dans une explosion spectaculaire, donnant naissance à l’un des objets les plus étranges de l’Univers : une étoile à neutrons Cette nouvelle étoile n’était autre qu’un vestige du noyau stellaire initial , comprimé jusqu’à des densités extrêmes – la nature de la matière dans ces conditions n’est pas encore comprise L’étoile à neutrons aurait pu refroidir pour toujours dans les profondeurs de l’espace, et son histoire se serait arrêtée là Mais la plupart des étoiles massives font partie de systèmes binaires, avec une jumelle Le sort de la première étoile finit par s’abattre sur sa partenaire Les deux étoiles à neutrons se mirent alors à danser durant des millénaires, d’abord l’une autour de l’autre, puis en spirale , de plus en plus rapidement . Alors qu’elles se rapprochaient, des forces de marée les déchirèrent, projetant dans l’espace de la matière riche en neutrons , à des vitesses proches d’un tiers de la vitesse de la lumière. Enfin, les étoiles fusionnèrent, ce qui émit des ondulations de l’espace-temps et déclencha un feu d’artifice cosmique dans tout le spectre électromagnétique.
FUSION AU CRÉTACÉ
Au moment de la fusion, dans une partie tranquille d’une galaxie lointaine, à environ
130 millions d’années-lumières, notre planète bleue abritait des dinosaures. Les ondulations de l’espace-temps, appelées « ondes gravitationnelles » , se frayèrent un chemin à travers le cosmos et, le temps qu’elles parcourent l’immense distance vers la Terre, la vie sur la planète changea drastiquement De nouvelles espèces évoluèrent et s’éteignirent, des civilisations se développèrent et disparurent, et des humains curieux observèrent le ciel, puis développèrent des instruments capables de faire des choses incroyables, comme mesurer d’infimes distorsions de l’espace - temps Finalement, les ondes gravitationnelles – qui se déplacent à la vitesse de la lumière – et la lumière émise lors de la fusion des deux étoiles à neutrons atteignirent la Terre en même temps Les astrophysiciens détectèrent un signal indiquant la présence de nouveaux éléments chimiques C’est ainsi que l’humanité assista à la production d’éléments lourds pour la première fois
En tant que spécialiste des cataclysmes cosmiques, je suis captivée à la fois par la science et par le romantisme de cette histoire – la création de quelque chose de nouveau et de durable, voire de précieux, à partir des vestiges d’une étoile Que nous puissions enfin voir ce qui se passe m’enthousiasme. Cette découverte a répondu à des questions que les astrophysiciens se posent depuis longtemps, mais elle soulève aussi des questions entièrement nouvelles Comme de nombreux scientifiques, je suis stimulée par le fait que, depuis récemment, nous pouvons détecter à la fois la lumière et les ondes gravitationnelles d’une même source cosmique Ceci va nous aider à comprendre les explosions cosmiques et la synthèse des éléments comme jamais auparavant
NOUS SOMMES DE LA POUSSIÈRE D’ÉTOILE
La recherche sur la formation des éléments lourds fait partie d’un effort scientifique plus vaste, qui cherche la réponse à une question fondamentale : d’où vient tout – tout ce qui existe ? L’histoire cosmique des éléments du tableau périodique s’étend de quelques minutes après le Big Bang jusqu’à nos jours La synthèse des premiers éléments, les plus légers (hydrogène, hélium et lithium), s’est produite environ trois minutes après la naissance de l’Univers. Les premières étoiles, très brillantes, se sont formées avec ces ingrédients. Elles ont fusionné en leur cœur de nouveaux éléments, d’abord au cours de leur vie, puis lors de leur mort explosive La génération suivante d’étoiles est née des débris de ces explosions, enrichie des éléments chimiques créés par les premières étoiles. Ce processus est toujours en cours aujourd’hui : il donne naissance à tous les éléments, de l’hélium (deux protons par atome)
jusqu’au fer (26 protons). À l’autre bout du spectre, les éléments les plus lourds comme le tennesse (117 protons) ne sont pas créés par la nature – ce sont les physiciens qui les forcent à exister dans les accélérateurs de particules, pendant seulement quelques millièmes de seconde, avant qu’ils ne se désintègrent Il y a plusieurs dizaines d’années, des théoriciens ont émis l’hypothèse qu’environ la moitié des éléments plus lourds que le fer étaient produits par un processus appelé « capture neutronique rapide » ou « processus r » (pour « rapide »). Le reste proviendrait de la capture lente des neutrons, ou « processus s » (pour slow, « lent » en anglais) : une séquence de réactions relativement bien comprise qui se produit dans les étoiles de faible masse et de longue durée de vie
L’histoire cosmique des éléments s’étend de quelques minutes après le Big Bang à nos jours £
Le processus r et le processus s impliquent tous deux l’ajout d’un ou plusieurs neutrons à un noyau atomique. Mais l’ajout de neutrons ne suffit pas à produire un nouvel élément chimique, car les éléments sont définis par le nombre de protons dans leur noyau : ce que nous obtenons avec les processus r ou s, c’est un isotope plus lourd du même élément, c’està-dire un noyau contenant le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons Cet isotope lourd est souvent instable et radioactif ; lors d’une « désintégration bêta moins », un neutron se transforme en proton, crachant au passage un électron et une autre particule subatomique, appelée « neutrino ».
Ainsi, le nombre de protons dans le noyau de l’atome augmente et un nouvel élément chimique naît
La principale différence entre le processus s et le processus r est la vitesse de réaction nucléaire Dans le processus s, les atomes capturent les neutrons lentement, et le neutron nouvellement ajouté a largement le temps de
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COMMENT SE FORMENT LES ÉLÉMENTS LOURDS
La bague en platine ou en or que vous portez au doigt recèle un secret sur un mystère cosmique. Les scientifiques ont passé la galaxie au peigne fin pour découvrir l’origine des éléments chimiques dits « lourds ». Les éléments plus légers – de l’hélium, avec ses deux protons par atome, jusqu’au fer, qui compte 26 protons dans chaque noyau – sont les mieux connus : la plupart d’entre eux se forment lors de la fusion nucléaire, à l’intérieur des étoiles. Mais nos connaissances deviennent plus floues pour les éléments plus lourds que le fer. L’or, dont chaque atome compte 79 protons, ne peut être fabriqué de cette façon, et il en va de même pour le platine, le xénon, le radon et de nombreuses terres rares. Pendant des décennies, les scientifiques ont débattu des mécanismes de formation de ces métaux lourds, et de la manière dont ils sont arrivés jusqu’à notre planète. L’idée principale est décrite ci-dessous – il s’agit du processus dit de « capture rapide de neutrons », déclenché par un événement cosmique extrêmement violent. Jusqu’à récemment, il s’agissait d’une théorie sans observations pour l’étayer ; mais la détection conjointe de lumière et d’ondes gravitationnelles provenant de la collision d’étoiles à neutrons a changé la donne il y a quelques années. La lumière contenait la signature chimique d’éléments lourds – o rant ainsi la première indication expérimentale soutenant cette théorie ; les mesures ont également aidé les scientifiques à préciser le mécanisme de capture rapide de neutrons.
Le processus r nécessite des noyaux d’amorçage, comme celui du fer, qui est l’élément le plus lourd qui puisse être formé par fusion à l’intérieur des étoiles. Le noyau de fer commence avec 26 protons et possède généralement une trentaine de neutrons. Lorsqu’il est bombardé par des neutrons libres, le noyau de fer en capture un grand nombre en quelques millisecondes.
Noyau d’un atome de fer (26 protons, 30 neutrons)
Les étoiles à neutrons sont les éléments les plus denses de l’Univers, à l’exception des trous noirs. Elles naissent lorsque des étoiles lourdes meurent et que leurs noyaux s’e ondrent. La pression gravitationnelle est extrêmement forte et écrase les atomes les uns contre les autres : les protons et les électrons fusionnent, laissant derrière eux une étoile composée presque entièrement de neutrons.
La collision de deux étoiles à neutrons émet de la lumière, des ondes gravitationnelles et beaucoup de neutrons libres – jusqu’à 1 gramme de neutrons par centimètre cube. Ces conditions rares déclenchent ce que l’on appelle le « processus de capture rapide de neutrons », également connu sous le nom de « processus r ».
Le nouveau noyau est extrêmement radioactif en raison de son nombre disproportionné de neutrons.
Noyau de fer radioactif avec un grand nombre de neutrons surnuméraires
Pensez-y : chaque fois que vous portez cette bague en or ou en platine, vous détenez un morceau du cosmos autour du doigt.
Noyau d’un atome d’or (79 protons, 118 neutrons)
Particules bêta
Particules bêta
Le résultat est un nouvel élément – ici, de l’or avec 79 protons.
Certains des neutrons vont se désintégrer en protons. Il s’agit d’un processus habituel, la désintégration bêta, qui permet à un neutron de se transformer en proton en changeant la saveur d’un de ses quarks constitutifs (un quark down devient up) et en libérant un électron et un antineutrino en même temps. Le cycle de captures de neutrons et de désintégrations bêta se poursuit, produisant des noyaux de plus en plus lourds.
DES PREUVES DIRECTES
Les scientifiques ont recueilli les premières données concrètes étayant la théorie du processus r lorsque des ondes gravitationnelles et la lumière provenant de la collision d’étoiles à neutrons ont été détectées sur Terre simultanément. Le spectre lumineux contenait la signature chimique du strontium – un autre élément lourd –confirmant qu’un élément lourd était bien présent et lié à l’événement ayant déclenché les ondes gravitationnelles.
* Certaines longueurs d’onde, et notamment les bandes à droite du graphique repérées par une étoile, sont sujettes à des problèmes connus de calibration d’instruments ou d’interférences atmosphériques.
Courbe attendue d’après la température (ligne blanche)
Ce creux, déviation par rapport à la courbe attendue, suggère que du strontium est présent.
Longueur d’onde de la lumière incidente (en nanomètres)
Jusqu’où va la pensée alien ?
Les Martiens décrits par H. G. Wells dans « La Guerre des mondes » manifestaient une intelligence « vaste, calme et impitoyable », pas si éloignée de la nôtre. D’autres œuvres poussent bien plus loin l’exploration de l’altérité cognitive.
Même si un extraterrestre dispose d’un organe apparenté à un cerveau, il est possible que la cognition qui en émane soit radicalement différente de la nôtre.
L’ESSENTIEL
> Imaginer d’autres formes de cognition que la nôtre suppose de s’éloigner de notre propre expérience cognitive. Les auteurs de science-fiction s’y essaient dans de nombreuses œuvres.
> Concevoir une cognition radicalement étrangère implique d’interroger les fondements de la cognition,
la manière dont est saisie et traitée l’information, les liens entre cognition et comportements, ou encore le rôle joué par les émotions.
> C’est d’ailleurs sur le terrain des émotions qu’une cognition extraterrestre pourrait trouver à se rapprocher de la nôtre, en dépit de son éventuelle étrangeté.
L’AUTEUR
LAURENT VERCUEIL neurologue, CHU Grenoble-Alpes, Laboratoire de psychologie et neurocognition (université Grenoble-Alpes)
Qu’est- ce qui passe par la tête d’un extraterrestre ? Ou plutôt : que se passe-t-il dans sa tête, si jamais il s’en trouvait une ? Probablement quelque chose de radicalement différent de ce qui se passe dans la nôtre. Pourquoi ? Parce que les conditions physiques qui lui ont permis de développer ses aptitudes, ses facultés souvent remarquables, si l’on en croit les auteurs de science - fiction , sont différentes de celles – notre environnement – qui ont conduit aux capacités des humains Cependant, les lois de la physique, et celles de l’évolution, qui soumet la diversité du vivant à la pression sélective des écosystèmes, opèrent indifféremment partout dans l’Univers De quoi espérer concevoir une pensée résolument alien. Le philosophe des Lumières Emmanuel Kant l’avait relevé à sa façon dans un bref opuscule consacré à la cognition des habitants des autres planètes du Système solaire. Naturellement, il n’utilisait pas le terme de cognition Celui-ci désigne, sur Terre, l’ensemble des facultés permettant à un être doté d’un système nerveux central de prendre connaissance de son environnement (et de lui-même) et d’en construire une représentation manipulable. Elle repose d’abord sur un équipement sensoriel qui conditionne la forme donnée à cette connaissance . Les
informations collectées par ces canaux sensoriels sont traitées de manière à adapter l’attitude et la conduite aux situations. Ce traitement cognitif repose sur les propriétés du cerveau, ainsi que sur la façon dont l’expérience (les apprentissages et les événements de l’existence) a modelé ses réseaux neuronaux et leur environnement de cellules gliales Il existe évidemment une cognition proprement humaine, différente des autres cognitions animales, mais également diverse au sein de l’espèce . Cette diversité provient soit de propriétés singulières du cerveau ( comme dans l’autisme, ou chez des personnes souffrant de lésions cérébrales), soit de l’exposition à des circonstances particulières (comme dans le syndrome de stress post-traumatique). Ces différentes cognitions donnent lieu à une appréhension différente des trois mondes – des êtres, des objets et des événements – et, conséquemment, à des comportements différents. Ainsi, avons-nous pris l’habitude d’interpréter l’état des connaissances d’un individu à partir de sa façon de se comporter. Les connaissances en question englobent le « su » (ce que le sujet sait du monde, c’est-à-dire un contenu de nature sémantique) et l’« éprouvé » (ce que le sujet est en train d’éprouver dans une situation, c’est-à-dire une émotion). Nous savons que le monde intérieur d’autrui est
© Phillip Tefertiller/Shutterstockdifférent du nôtre, mais nous nous attendons à une certaine communauté de connaissances et d’émotions, et c’est la raison pour laquelle nous parvenons à communiquer, le plus souvent de façon satisfaisante
ALTÉRITÉ COGNITIVE RADICALE
Quid, donc, d’une cognition qui serait vraiment différente ? Nous nous trouvons prisonniers de nos propres conceptions théoriques élaborées à partir de notre expérience cognitive
Est-il possible de concevoir l’existence d’une pensée autre ? L’imagination des auteurs de science-fiction vient, là, à notre secours. La science-fiction est une littérature de l’imaginaire qui se plie à une contrainte, à la différence de la fantasy ou du fantastique : une apparence de possible doit être maintenue, témoin du souci de « scientificité » Appliquée à la cognition extraterrestre, leur capacité de projection consiste à faire dériver ce que nous savons de la cognition humaine pour aboutir à une étrangeté plausible : du plus simple, un cerveau similaire au cerveau humain mais plus volumineux, jusqu’au plus complexe, comme une sorte d’intelligence disséminée, matérialisée sous une forme radicalement étrangère et difficile à saisir
À ce stade, on relève que la créativité des auteurs de SF, romanciers, dessinateurs ou réalisateurs de film, s’est d’abord exercée sur le plan morphologique : l’entité extraterrestre est avant tout xénomorphe Du petit E T du film de Spielberg à Alien, le huitième passager, en passant par les créatures diverses rencontrées sur Tatooine dans la saga Star-Wars ou les pénibles Martiens de Mars Attacks !, de Tim Burton, les morphotypes s’éloignent des caractéristiques terrestres , quoiqu’elles en reprennent souvent des éléments pratiques (extrémité céphalique dotée de capteurs et d’orifices, plan de symétrie, etc.) en les combinant à leur façon Leur cognition cependant, telle qu’elle se reflète dans leur comportement, ne se révèle pas particulièrement originale : il existe des prédateurs qui se comportent comme tels (Alien), et des proies potentielles qui développent d’autres aptitudes – la sagesse et le contrôle de la matière, comme le maître Jedi, Yoda. En quelque sorte, il s’agit souvent de l’habillage exotique de comportements terrestres assez conventionnels, quoique agrémentés de certaines dispositions innovantes, comme la télépathie ou la psychokinésie. Voici la description par Kurt Vonnegut, dans Abattoir 5 (1969), des Tralfamadoriens ( habitant la planète Tralfamadore) : « Ils mesurent soixante centimètres, ils sont verts, en forme de siphon Leurs
ventouses reposent sur le sol et leurs tiges, d’une grande souplesse, pointent généralement vers le ciel Chaque tige porte à son extrémité une petite main à la paume ornée d’un œil vert. » Des créatures pour le moins originales, douées de télépathie puisque dépourvues de larynx, mais dont la cognition se montre finalement assez basique : lorsqu’ils procèdent à l’enlèvement des Terriens Billy Pilgrim et Montana Wildhack, la vedette de cinéma, et les installent dans un zoo à ciel ouvert sur leur planète, c’est dans l’unique but de les regarder s’accoupler Un voyeurisme bien humain, finalement… Les Martiens de Fredric Brown dans Martiens, Go Home !, qui viennent tourmenter stupidement l’espèce humaine, ou ceux de Ray Bradbury, dans Chroniques martiennes , qui prennent leurs visiteurs terriens pour des fous et les internent, délivrent aussi des comportements qui nous sont familiers. Nous ferions probablement la même chose à leur place…
FLUX D’INFORMATIONS
En somme, xénomorphisme n’est pas nécessairement xénocognition Alors, comment réussir à construire des cognitions authentiquement différentes ? L’écrivain américain Jack Vance, dans la nouvelle Un destin de Phalid, use d’une propriété essentielle de la cognition humaine : elle se situe à l’interface de deux flux d’informations. Le premier, dit bottom-up (de bas en haut, de la périphérie vers le cerveau) transmet les informations collectées au niveau des organes sensoriels. Progressant le long des voies afférentes du système nerveux, et après plusieurs relais, ce flux détermine des motifs corticaux d’activation se propageant ensuite dans les différentes aires corticales Dans le second faisceau, dit top-down, concurrent du premier, l’information circule de haut en bas, des structures hiérarchiquement les plus élevées, essentiellement du lobe préfrontal, mais aussi au niveau de l’ensemble des relais corticaux, vers les structures de plus bas niveau. Ce second flux témoigne notamment du poids des attentes, des préconceptions et des apprentissages. Or, ce flux descendant peut interférer avec les informations afférentes pour imposer son propre motif d’activation Ainsi, de nombreux biais cognitifs et illusions bien connus reposent sur cette déformation imposée à la réalité du traitement physique sensoriel pour produire une représentation consciente altérée Il ne s’agit évidemment pas d’un défaut de notre cognition, mais plutôt d’ajuster au mieux la cognition aux besoins de notre intervention dans le monde. Pour prendre un seul exemple, dans le fameux « effet Gorille », observé en laboratoire, l’incongruité de la
présence d’un gorille dans une partie de ballons (flux ascendant) conduit à l’ignorer (flux descendant) au profit de la performance (compter les échanges de ballons).
Dans la nouvelle de Jack Vance, le cerveau d’un soldat grièvement blessé est prélevé par l’armée et raccordé aux capteurs sensoriels céphaliques d’un Alien insectoïde Le but des militaires est de lui permettre d’infiltrer cette espèce belliqueuse qui menace l’humanité
Dans un premier temps, notre protagoniste est désorienté par un flux d’informations sensorielles dont la nature lui échappe De fait, il est possible de traduire en termes neuronaux (par un codage électrique et chimique) n’importe quel type d’information physique, du moment que l’on dispose d’un moyen de transduction
Une fois que l’information est transformée en volée de potentiels d’action le long d’un axone, la représentation mentale suscitée va déprendre de la nature du cortex dans lequel elle sera traitée. Par exemple, un agent physique X, inconnu, capté par un récepteur Y, extraterrestre, peut produire une image visuelle si le signal afférent est transporté par des neurones aboutissant dans le cortex visuel primaire. Néanmoins, comprendre cette information peut s’avérer une autre paire de manches. Le soldat est le sujet d’hallucinations, qui ne sont pourtant que des perceptions « ascendantes » totalement étrangères à son flux « descendant » La chimère neuronale est déroutante
Le xénomorphisme n’implique pas la xénocognition £
Lorsque notre cobaye parvient à s’acclimater à ce nouvel environnement sensoriel, il comprend que, tout comme les Solariens de Liu Cixin dans Le Problème à trois corps, ses pairs aliens ne connaissent pas le concept du mensonge
L’absence de mensonge dans la cognition extraterrestre semble peut-être très abstraite Son influence est en réalité aussi concrète qu’importante pour les êtres doués de pensée Le mensonge est en effet une faculté cognitive plus complexe qu’il n’y paraît ( bien qu’elle puisse être maîtrisée tôt dans l’existence ). Mentir nécessite en effet de se représenter le contenu mental d’autrui comme distinct du sien (c’est la théorie de l’esprit), ainsi que de disposer d’un contrôle cognitif et émotionnel permettant de maintenir la cohérence externe du récit fabulatoire Dès lors, ne pas connaître
le mensonge, à l’échelle d’une espèce et non seulement de l’individu, pourrait témoigner d’un déficit , assez paradoxal , d’une forme d’empathie cognitive, la capacité à manipuler des représentations que l’on reconnaît comme distinctes des siennes L’encouragement , la suggestion sont des versions « bénignes » de cette faculté manipulatrice , et il existe des mensonges altruistes. La cognition humaine est particulièrement adroite dans la détection des intentions, au point d’avoir une tendance à la surinterprétation Une espèce alien qui ne serait pas – au moins un peu – paranoïaque pourrait-elle prospérer ? Mais une hypothèse plus radicale encore pourrait rendre compte d’une éventuelle di ffi culté à interpréter les comportements d’autrui de manière
appropriée : un défaut complet d’émotion Il est remarquable qu’à l’aube de la science-fiction américaine , au cours de ce que l’on a appelé l’« âge d’or », avec Isaac Asimov, Robert Heinlein, Ray Bradbury et d’autres, les extraterrestres aient été souvent campés en « reptiliens » , impassibles calculateurs d’une formidable intelligence, dont la ressemblance est allée parfois jusqu’aux écailles et à la couleur Monsieur Spock , aux célèbres oreilles pointues, de la saga télévisuelle Star Trek, à demi-vulcain par son père, ne se départissait jamais de son calme. L’émotivité est un trait humain perçu comme une tare , à ses yeux , malheureuse , et les deux hérédités se disputent chez le métis La peur ou la colère peuvent conduire à des décisions inappropriées, qu’une cognition « froide » saura éviter Il s’agit là cependant d’une conception dualiste qui n’est pas sans rappeler, on y revient, le cerveau « reptilien » de Paul McLean, dont la fortune médiatique a été à l’opposé du discrédit scientifique . Dans ce modèle s’empilent un cerveau archaïque, dit « reptilien », un cerveau limbique, ou paléomammalien, et un cerveau néomammalien, le néocortex Mais opposer émotion et raison, et faire des Aliens des calculateurs prodiges dénués d’affects – en somme, des intelligences artificielles – revient à oublier que la cognition s’est édifiée sur la base biologique des émotions. L’émotion est ce qui fait se mouvoir l’individu, soit en avançant vers le stimulus , soit en s’y dérobant :
Si l’Alien est mobile, qu’il vient nous visiter, c’est qu’il est mû par des émotions £
comportement d’approche , dans la perspective d’une récompense, d’un plaisir, ou, à l’inverse, comportement d’évitement ou de fuite . Le reste , c’est proprement de la littérature : ce qui se dit de ce qui arrive, les sentiments Autrement dit, si l’Alien est mobile, s’il est attiré par notre planète, s’il vient nous visiter, c’est qu’il est curieux, en colère ou affamé, et, donc, qu’il est mû par des émotions La biologie repose sur des lois physiques et la pression de sélection évolutionnaire, dont il n’existe aucune raison de penser qu’elles s’appliquent différemment dans l’Univers Ou alors, ce n’est pas de la biologie, ce n’est pas du vivant
D’autres cognitions extraordinairement différentes, à la frontière de ce qui relève de la vie, apparaissent dans la SF Elles semblent se passer de cerveau ou de système nerveux. Leur étrangeté rend difficile tout contact et , partant , toute représentation d’une cognition trop hétérogène à la nôtre Il existe pourtant une apparence de dispositif de traitement de l’information, quelque chose qui construit une représentation de l’environnement et qui est alors susceptible d’intervenir dessus. Prenons le cas de la planète océan Solaris, dans le roman éponyme de Stanislas Lem. Solaris est-elle vivante ? Communiquet-elle avec les Terriens venus l’explorer ?
VIVANT OU NON ?
Les humains ont été jusqu’à créer une discipline scientifique, la solaristique, dont l’objet consiste précisément à résoudre ces questions Dans le roman Le Nuage noir (1957), de l’astrophysicien Fred Hoyle (1945-2001), père de l’expression « Big Bang » (forgée afin de ridiculiser un modèle qu’il critiquait farouchement), l’entité extraterrestre prend la forme d’un nuage interstellaire dont le comportement échappe à l’analyse des scientifiques. C’est justement parce qu’il ne se comporte pas comme on l’attendrait d’un ensemble de particules ordinaires que la nature vivante de l’objet est suspectée. Mais comment accéder à cette forme de cognition ? C’est l’exploit qu’accomplissent les humains confrontés aux Cheelas, qui vivent à la surface d’une étoile à neutrons dans L’Œuf du Dragon, de Robert Forward (1980). Ces êtres minuscules de quelques centaines de micromètres vivent dans des conditions gravitaires et magnétiques extraordinaires, qui réduisent drastiquement toute croissance, limitent leurs déplacements et modifient l’écoulement du temps (plusieurs millénaires s’écoulent pour les Cheelas pendant une journée humaine). Depuis leur orbite, les humains parviennent à
Les Catarkhiens ne ressentent aucune souffrance, leur cerveau ne dispose pas de centre de la douleur. Ces êtres sont aveugles et sourds. Sont-ils doués de conscience ? (Adam Troy-Castro, Émissaire des morts, Albin Michel Imaginaire, 2021).
entrer en contact avec eux et leur transmettent leurs connaissances . Mais comment communiquer avec une entité incompréhensible ? C’est la question posée par le linguiste Frédéric Landragin dans Comment parler à un Alien ? (Le Bélial, 2022), en s’appuyant, entre autres, sur la nouvelle de Ted Chiang, transposée par Denis Villeneuve sur grand écran dans Premier contact (2016). Des heptapodes extraterrestres s’expriment dans une forme linguistique inconnue sur Terre Le mystère est levé par une linguiste ouverte à des hypothèses originales De l’ouverture d’esprit devant les Aliens, il faudra en avoir…
Mais l’altérité cognitive radicale peut également soulever des questions morales : comment juger un comportement dont les ressorts nous échappent totalement ? La procureure Andréa Cort , dans les ouvrages de l’écrivain américain Adam TroyCastro, enquête sur des planètes où évoluent des peuples étranges (Émissaire des morts, 2021). Une espèce est particulièrement déroutante : comment juger d’un crime si la victime semble totalement indifférente à son sort, n’exprime aucune sorte de souffrance, et se dévoue à des routines dont le sens reste obscur ? Car le cerveau des Catarkhiens « ne dispose pas de centre de la douleur », apprend-on, et, aveugles et sourds, ils ne perçoivent le toucher qu’avec les cils qui garnissent leurs six membres, sous les genoux Les Catarkhiens sont-ils sentients ? s’interroge Cort Disposentils d’une représentation mentale de leur univers étriqué, coupé de la réalité commune ?
BIBLIOGRAPHIE
L. Vercueil, Neuro-ScienceFiction, Le Bélial, 2022.
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X. Seron, Mensonges ! Une nouvelle approche psychologique et neuroscientifique, Odile Jacob, 2019.
A. Miralles et al., Empathy and compassion toward other species decrease with evolutionary divergence time, Scientific Reports, 2019.
F. Landragrin, Comment parler à un alien ?, Le Bélial, 2018.
On le voit, une cognition radicalement différente est difficile à concevoir, même pour les auteurs les plus talentueux et imaginatifs. Depuis la conception originale de l’intellect martien, dans La Guerre des mondes (1896), de H. G. Wells, qui la décrivait comme « vaste, calme et impitoyable » (« vast, cool and unsympathetic », dans la version originale), la figure qui a traversé la littérature et le cinéma SF ressemble singulièrement à un simple dépassement des facultés humaines : une superintelligence (qui rend compte de l’avance technologique de nos visiteurs), un contrôle optimal des émotions (à défaut, on l’a vu, d’en être totalement dépourvu) et un défaut d’empathie nous concernant, que la distance phylogénétique incommensurable pourrait expliquer. Pourtant, il n’est pas certain que le registre émotionnel soit si différent du nôtre, avec des émotions positives qui nous entraînent vers le stimulus et d’autres qui nous en éloignent Cette communauté des émotions pourrait alors permettre de dépasser les différences cognitives n
L’AUTEUR
LES DURES LOIS DES COLLECTIONS
Compléter sa collection de vigne es est loin d’être simple. Les mathématiques apportent des explications ina endues !
JEAN-PAUL DELAHAYE professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au laboratoire Cristal (Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille)
Vous lancez un dé jusqu’à ce que chacune des faces apparaisse au moins une fois. Combien vous faut-il, en moyenne, de lancés ? Si le dé est truqué, faudra-t-il plus de temps ?
Vous examinez les premières décimales de π = 3,14159265358979323846264338327950…
Est-il étonnant que, pour avoir vu chacune des décimales au moins une fois, il soit nécessaire d’attendre jusqu’à la 32e décimale, première occurrence d’un zéro ?
Ces questions sont équivalentes à celles que se pose le collectionneur d’une série de vignettes, par exemple les onze cartes des joueurs de son équipe nationale de foot qu’il trouve une par une dans les paquets de céréales achetés pour son petit déjeuner Ce problème se nomme « problème du collectionneur de vignettes », en anglais « coupon collector’s problem »
Dans sa formulation générale , il y a N vignettes acquises les unes après les autres lors d’un tirage au hasard. Le but est d’avoir au moins un exemplaire de chacune, ce qui est difficile, car on tire généralement plusieurs fois les mêmes vignettes et que, plus on s’approche du but, plus la probabilité de tirer celles qui manquent se réduit
physicien français Pierre-Simon de Laplace l’a traité page 195 de sa Théorie analytique des probabilités de 1812. Dans ces solutions, les probabilités de sortie de chaque vignette sont égales. En 1954, le mathématicien américain Herman von Schelling a étudié le cas plus difficile avec des probabilités inégales Six ans plus tard, Donald Newman et Lawrence Shepp ont calculé le temps d’attente pour compléter deux collections de coupons dans le cas des probabilités égales Plus récemment, d’autres chercheurs ont poursuivi le travail en résolvant de nouvelles questions : si les vignettes arrivent par paquets de k vignettes, si les collectionneurs opèrent des échanges, etc.
DES APPLICATIONS DANS DE NOMBREUX DOMAINES
Jean-Paul Delahaye a récemment publié : Au-delà du Bitcoin (Dunod, 2022).
Le problème a été mentionné pour la première fois en 1708 dans l’ouvrage De Mensura Sortis (Sur la mesure du hasard), écrit par le mathématicien français Abraham de Moivre Puis le grand mathématicien, astronome et
Le problème du collectionneur de vignettes intervient dans de nombreux domaines, en particulier en biologie, où il est utilisé pour estimer le nombre d’espèces animales sachant qu’un grand nombre d’entre elles restent encore inconnues, et modéliser la diffusion d’infections ; il sert aussi en chimie combinatoire, ou dans l’industrie pour les dispositifs de contrôle de qualité. En démographie, le souhait de certains couples d’avoir un enfant de chaque sexe (une forme de collection de vignettes !) a un effet mesurable prouvé récemment (voir l’encadré 3) . Nous verrons aussi que les
LES COLLECTIONNEURS ET LES DÉCIMALES DE π
Quiconque se procure un par un au hasard des objets d’une série de N objets (timbres, images de footballeurs, cartes Pokémon comme ci-contre, etc.) tombe malheureusement plusieurs fois sur les mêmes, ce qui l’oblige à acheter plus que N objets pour obtenir la collection complète. Combien doit-il en acheter en moyenne ? Ce problème intéresse les mathématiciens depuis trois siècles. Si on suppose qu’à chaque nouvel achat la probabilité de chaque vignette est 1/N (cas équiprobable), la théorie nous indique que le temps d’attente moyen est donné par la formule :
TN = N × (1 + 1/2 + 1/3 + 1/4 + + 1/N)
Ainsi : T2 = 3 ; T3 = 5,5 ; T4 = 8,333 ;
T5 = 11,42 ; T6 = 14,7 ; T7 = 18,15 ;
T8 = 21,74 ; T9 = 25,46 ; T10 = 29,29
D’autre part, on pense, sans savoir le démontrer, que les chi res du nombre π dans n’importe quelle base de numération se comportent comme des chi res tirés au hasard (donc comme des vignettes tirées au hasard). Si c’est le cas, le temps d’attente pour que chaque chi re apparaisse au moins une fois ne doit pas di érer sensiblement de ce que la théorie indique. Les résultats sont donnés dans le tableau ci-contre. Cette petite expérience est concluante, car les écarts avec la théorie sont limités. Ce résultat ne prouve pas que π est un nombre dit « normal », c’est-à-dire que dans sa suite infinie de décimales, les chi res et les séquences finies de chi res de ses décimales apparaissent avec la même fréquence, mais il en renforce l’hypothèse.
calculateurs quantiques sont utiles pour diminuer le temps de calcul de certains algorithmes d’apprentissage directement liés au problème du collectionneur de vignettes.
LE CAS DE DEUX VIGNETTES
Commençons par le cas de deux vignettes en nous demandant combien de tirages en moyenne il faut faire pour avoir les deux vignettes de la collection. Nous allons voir que ce temps d’attente moyen est 3. Cela signifie que les parents qui veulent avoir au moins un fils et une fille doivent en moyenne attendre d’avoir trois enfants pour réussir, et que le coût moyen d’acquisition d’une collection de deux vignettes qui sont vendues au hasard équitablement 1 euro chacune, est de 3 euros
Le raisonnement est assez simple dans le cas où les deux vignettes A et B sont équiprobables. Si on tire deux vignettes : une fois sur
deux, on en aura deux différentes car les quatre tirages possibles de deux vignettes, AA , AB, BA et BB, ont chacun une probabilité de 1/4. Lorsqu’on n’a pas réussi avec les deux premiers tirages, cas AA et BB, en tirant une vignette de plus on obtiendra ce qu’on attend dans un cas sur deux, car si on avait AA , on a une chance sur deux d’avoir le B qui manque, et si on avait BB, on a une chance sur deux d’avoir le A qui manque. Lorsqu’on n’a toujours pas réussi avec les trois premiers tirages, cas AAA et BBB, on a encore une chance sur deux de réussir au quatrième tirage, et c’est la même chose pour chaque tirage supplémentaire.
Le temps d’attente est donc 2 avec une probabilité de 1/2 ; 3 avec une probabilité de 1/4 ; 4 avec une probabilité de 1/8, etc Le temps d’attente moyen pour avoir deux vignettes différentes est la moyenne des temps d’attente en prenant les pondérations données par les
probabilités de chaque cas Il est donc donné par la formule
problème des couples qui veulent absolument avoir un enfant de chaque sexe.
de la somme
., dans un
Dans le cas général avec N vignettes équiprobables, la théorie des probabilités indique que le temps d’attente moyen d’un collectionneur désirant une collection des N vignettes est TN = N(1 + 1/2 + 1/3 + 1/4 + + 1/N). Cette valeur TN est aussi le coût moyen de la collection lorsque chaque vignette achetée au hasard coûte 1 euro.
La somme des termes de la première ligne du tableau est donc 1, celle de la seconde est encore 1, celle de la troisième est 1/2, car c’est la ligne au-dessus privée de 1/2 ; celle de la quatrième est 1/4, etc En tout, la somme des termes du tableau est donc
Une « preuve sans mots » de la formule est proposée dans l’encadré 3 où l’on précise le
Il existe une formule approchée de T N : TN ≈ Nlog(N) + γN où γ est la constante d’EulerMascheroni dont la valeur est 0,5772156649 Bien que beaucoup moins populaire que π ou le nombre d’or, cette constante fait l’objet d’un livre entier du mathématicien britannique Julian Havil ( Gamma : Exploring Euler’s Constant, Princeton University Press, 2003). On trouvera par exemple dans cet ouvrage l’information que même s’il n’a pas été possible jusqu’à aujourd’hui de savoir si γ est ou non un quotient de deux nombres entiers, on a cependant démontré que si γ est le quotient de deux entiers a/b , alors b comporte plus de 242 080 chiffres !
La série 1 + 1/2 + 1/3 + 1/4 + + 1/N (dénommée « série harmonique ») tend vers l’infini.
L’ATTENTE POUR COMPLÉTER UNE COLLECTION
Supposons que chacune des N vignettes d’une collection qu’on cherche à constituer possède la même probabilité d’être obtenue à chaque fois qu’on s’en procure une de plus. Plus on a de vignettes, plus grande est la quantité de vignettes di érentes qu’on possède.
Cependant, plus on approche du but qui est d’avoir N vignettes di érentes, plus il devient di cile d’en trouver une que l’on n’a pas déjà obtenue. C’est vrai, même si l’organisateur du jeu met en circulation des quantités égales de chaque sorte de vignette et qu’elles sont donc équiprobables à chaque nouvelle acquisition.
Le nombre de vignettes T qu’il faut acquérir pour en avoir M di érentes, même quand M < N, augmente donc plus que linéairement en fonction de M.
C’est ce que montre la courbe ci-dessous calculée pour une collection de N = 50 vignettes.
On voit que pour réussir à avoir 20 vignettes di érentes parmi les 50, il faut en moyenne en acquérir 25,3 ; que pour en avoir 30 di érentes, il en faut en moyenne 45,2 ; que pour 40 di érentes, il en faut en moyenne 78,7 ; que pour 45 di érentes, il en faut en moyenne 110. Pour les avoir toutes, il faut en moyenne en avoir acquis 225
Une autre question naturelle est : combien faut-il de vignettes en moyenne pour avoir la moitié de la collection (coût de la première moitié) et alors combien, en moyenne, en faudra-t-il en plus pour avoir la seconde moitié (coût de la seconde moitié) ?
Le tableau donne les réponses, et indique aussi dans la dernière colonne le nombre de vignettes qu’il faut encore se procurer quand il n’en manque que trois.
En conséquence , pour obtenir la collection complète de vignettes, il faut, pour certaines collections , en moyenne acheter au moins deux fois plus de vignettes qu’il y en a de différentes (c’est vrai dès que N dépasse 3) ; pour certaines collections, il faut en moyenne acheter trois fois plus de vignettes qu’il y en a de différentes (c’est vrai dès que N dépasse 10), etc. Cette propriété explique sans doute pourquoi les collectionneurs ont souvent l’impression qu’ils ont beaucoup de mal à arriver au bout ; ils soupçonnent, même quand c’est faux, que l’organisateur du jeu met volontairement en circulation moins d’exemplaires de certaines vignettes. Soyez rassuré, la série 1 + 1/2 + 1/3 + 1/4 + + 1/N va vers l’infini assez lentement et ce n’est, par exemple, que pour les collections de plus de 12 367 vignettes différentes qu’il faut en moyenne en acheter dix fois plus (donc 123 670) pour compléter la collection
La variance des valeurs qui donnent TN est une mesure de la dispersion autour la moyenne Elle a été calculée et elle est inférieure à 2N2 .
La connaissance de TN permet de répondre à certaines des questions posées au début de l’article Quand on lance un dé (non truqué) à six faces , le temps d’attente moyen avant d’avoir vu chaque face au moins une fois est de 14,7 lancés. Sachant que T10 = 29,3, il n’est pas vraiment étonnant de devoir attendre la décimale 32 du nombre π pour avoir vu chaque chiffre au moins une fois (voir l’encadré 1) . Le collectionneur des vignettes des 11 joueurs de son équipe de football préférée doit s’attendre à collecter en moyenne 33,2 vignettes avant d’avoir les 11 vignettes différentes de l’équipe au complet.
SUIS-JE BIENTÔT ARRIVÉ ?
Une fois qu’on a acquis la moitié des vignettes que l’on recherche , on est assez satisfait même si on se dit qu’on va mettre un peu plus de temps pour la seconde moitié que pour la première moitié . On soupçonne cependant rarement qu’en réalité cette seconde moitié sera vraiment beaucoup plus difficile à acquérir que la première Le tableau proposé dans l’encadré 2 nous fait comprendre à quel point le surcoût de la seconde moitié est important comparé au coût de la première moitié Par exemple , les 10 premières vignettes d’une collection de 20 ont un coût moyen de 13,4 vignettes alors que les 10 dernières coûtent 58,5 vignettes en moyenne Pour une collection de 100 vignettes , on passe d’un coût moyen de 68 pour la première moitié à un coût moyen de 449 pour la seconde moitié , soit une multiplication par presque 7. Plus la collection est grande plus le surcoût de la seconde moitié par rapport à la première moitié est important !
L’EFFET SUR LES FAMILLES
Les couples qui souhaitent avoir au moins un garçon et au moins une fille, et qui s’arrêtent dès qu’ils ont réussi, ont en moyenne trois enfants, car 3 est le temps d’attente moyen pour le collectionneur de vignettes quand la collection en comporte deux (voir l’encadré 1) Un raisonnement direct, conduisant au nombre 3, est expliqué dans l’article principal. Il conduit à la formule qu’il faut alors simplifier :
T2 = 2 × (1/2) + 3 × (1/4) + 4 × (1/8) + 5 × (1/16) + + (k+1) × (1/2k) + On trouve aussi que T2 = 3 en regardant le dessin ci-dessous qui constitue une « preuve sans mots » de l’égalité. Si vous avez besoin d’une petite aide : le grand carré a une aire de 4 ; quand on enlève le carré noir qui a une aire de 1, ce qui reste a une aire de 3. Or ce reste contient exactement 2 rectangles d’aire 1/2, 3 rectangles d’aire 1/4, 4 rectangles d’aire 1/8, etc. CQFD. Les démographes se sont posé la question : est-ce que le souhait de certains couples d’avoir un enfant de chaque sexe en continuant à en avoir tant qu’ils ne réussissent pas peut s’observer dans les statistiques ? La réponse est oui. Dans l’article « The coupon collection behavior in human reproduction » (Current Biology, 2020), Erping Long et Jianzhi Zhang, de l’université du Michigan, à Ann Harbor, aux États-Unis, ont étudié soigneusement la question à partir des fratries de 300 000 personnes. Ils ont observé qu’un nombre significativement plus élevé que prévu de familles ont tous les enfants du même sexe, à l’exception de l’enfant né en dernier. Il y a, par exemple, plus de familles du type garçon-garçon-fille que de famille garçon-fille-garçon. Cette tendance est plus prononcée dans les données correspondant à des enfants nés dans la décennie 1970 que pour ceux nés dans la décennie 1940, ce qui suggère que la volonté d’avoir au moins un enfant de chaque sexe devient de plus en plus fréquente.
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LE CAS DE PROBABILITÉS INÉGALES
On cherche de nouveau une collection complète de N vignettes qu’on achète une à une, mais l’organisateur du jeu ne les rend pas disponibles avec la même probabilité. On a mené des simulations dans deux cas particuliers. Dans un cas, on a imaginé que l’une des vignettes est 10 fois moins fréquente que les autres qui sont équiprobables. Dans un second cas, on a supposé que l’une des vignettes est 10 fois plus fréquente que les autres. On observe sans trop de surprise qu’à chaque fois cette inégalité de fréquence augmente le nombre de vignettes qu’il faut se procurer en moyenne pour avoir la collection complète. Le cas d’une vignette 10 fois plus fréquente retarde toujours la constitution de la collection complète, mais il retarde moins le succès que la présence d’une vignette 10 fois plus rare que les autres. Ces résultats sont conformes à ce qui a été démontré : toute inégalité dans la fréquence des vignettes ralentit l’aboutissement de la collection.
COÛT DE LA COLLECTION
Vignettes équiprobables Nombre de vignettes
Une vignette est 10 fois moins fréquente
Une vignette est 10 fois plus fréquente
Il se peut cependant que les probabilités de tomber sur les différentes vignettes soient inégales Quelle que soit cette inégalité entre vignettes, on démontre qu’elle aura pour effet d’allonger le temps moyen nécessaire à l’acquisition de la collection complète. Cela répond à la question posée dans le premier paragraphe de l’article : quelle que soit la façon de truquer un dé, le nombre moyen de lancés nécessaire pour faire apparaître les six faces augmente et dépasse alors 14,7 lancés
Un programme de calcul m’a permis de comparer deux répartitions inégales des probabilités entre vignettes J’ai d’abord testé le cas où l’une des vignettes est 10 fois plus rare que les autres qui, elles, ont la même probabilité d’être tirées J’ai ensuite testé l’idée que l’une des vignettes avait 10 fois plus de chance d’être tirée que les autres, et donc qu’un collectionneur serait encombré par cette vignette surreprésentée. Dans les deux cas, le temps moyen pour compléter la collection augmente, mais c’est le premier cas, une vignette rare, qui est le pire (voir l’encadré 4)
LA RARETÉ PÉNALISE DAVANTAGE
Si, par exemple, il y a 10 vignettes dont l’une est 10 fois plus rare que les autres, le coût (ou temps moyen pour avoir la collection) est de 95,3 (contre 29,3 pour 10 vignettes équiprobables), alors que si, parmi les 10 vignettes, il y en a une qui est 10 fois plus fréquente que les autres, le coût de la collection est de 53,7. Les vignettes rares sont plus pénalisantes que les vignettes fréquentes, mais les vignettes surreprésentées le sont aussi.
Une formule simple indique le nombre moyen de vignettes différentes qu’on obtient
après en avoir acheté m quand il y a N vignettes dont les probabilités de tirages sont respectivement p(1), p(2), , p(N).
∑ N k = 1 (1 – (1 – p(k))m)
Cette formule est utile même quand les vignettes ont la même probabilité : elle se simplifie alors en N(1 – (1 – 1/N)m). Par exemple, au bout de 50 achats, quand il y a 100 vignettes équiprobables , on a en moyenne obtenu 50 × (1 – (99/100)100) = 39,5 vignettes différentes.
LE COLLECTIONNEUR QUANTIQUE DE VIGNETTES
Depuis 2020, plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’avantage que donneraient des calculateurs quantiques dans la situation où un collectionneur classique d’informations se confronte à un collectionneur quantique d’informations. Nous allons examiner ce que cela signifie
L’un des acteurs clés de cette nouvelle recherche se nomme Srinivasan Arunachalam Il travaille au centre de recherche IBM Thomas Watson, aux États-Unis On remarquera qu’il porte le même prénom que le génie mathématique indien universellement admiré , Srinivasan Ramanuja (1887-1920).
Voyons d’abord le cas du collectionneur classique d’informations. On imagine une situation où est fixé un sous-ensemble S de k éléments pris dans un ensemble E de n éléments qu’on supposera être l’ensemble des entiers de 1 à n. Le collectionneur classique d’informations connaît k et n, et cherche à identifier S On crée k vignettes portant chacune un élément de S Elles sont mises dans un chapeau Le collectionneur classique d’informations choisit au
hasard une vignette dans le chapeau Il en prend connaissance et la remet en place. Il recommence un certain nombre de fois ce tirage au sort équiprobable, comme quand un collectionneur de vignettes en achète de nouvelles jusqu’à avoir la collection complète. Son but est de réussir à connaître quels sont les k éléments de l’ensemble S. Il cherche donc à tirer au moins une fois chacune des k vignettes du chapeau
Imaginons que n = 10, E = {1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10}, k = 3 et S = {3, 5, 10}. Le collectionneur classique d’informations tire d’abord, par exemple, le 3, puis le 10, puis le 10, puis le 10, puis le 5. Puisqu’il sait que k = 3, et qu’il a trouvé 3 vignettes différentes, il connaît maintenant la « collection complète » correspondant à S Il s’arrête
Le temps moyen pour connaître l’ensemble S de k éléments est approximativement k log(k). En effet, le problème est équivalent à celui d’un collectionneur de vignettes qui les achète une à une, chacune ayant la probabilité 1 / k d’être tirée à chaque nouvel achat , jusqu’à avoir la collection complète des k vignettes, et nous avons vu plus haut que, dans ce cas , le collectionneur réussit en moyenne au bout de k.log(k) (en ordre de grandeur) vignettes On exprime ce résultat en disant qu’apprendre S exige en moyenne k log(k) tirages pour le collectionneur classique d’informations.
Dans le cas du collectionneur quantique d’informations, un état quantique noté |S〉 est créé qui superpose chaque élément |i〉 avec le même poids, ce qui est l’équivalent quantique de mettre k vignettes avec les numéros correspondant à S dans un chapeau
MANIPULER L’INFORMATION AVEC PRÉCAUTION
Le monde quantique ne permet pas à celui qui dispose de |S〉 de connaître chacune des composantes |i〉 de l’état superposé En effet, en manipulant l’état superposé et en cherchant à en tirer des informations sur les |i〉 qui le composent, cela détruit |S〉, ce qui empêche alors d’accéder aux informations que l’on n’a pas réussi à tirer de la manipulation. Le collectionneur quantique d’informations peut néanmoins exploiter l’état superposé |S〉 de sorte à en extraire une certaine information, sans que cela lui donne complètement |S〉 ; la situation est parallèle à celle du cas classique où prendre une vignette dans le chapeau ne donne pas accès à la connaissance complète de S En recommençant des manipulations à partir de nouvelles copies de l’état superposé |S〉, le collectionneur quantique d’informations en déduit une connaissance de plus en plus précise de |S〉. Là encore, la situation est analogue au cas classique ; celui qui tire des vignettes du chapeau plusieurs fois et les remet connaît
progressivement de mieux en mieux |S〉 malgré les tirages en double.
La question est de savoir s’il existe des façons quantiques de procéder, c’est-à-dire de manipuler le vecteur |S〉, permettant au collectionneur quantique d’informations de connaître |S〉 en un nombre d’étapes plus petit que les k . log ( k ) qui sont nécessaires en moyenne au collectionneur classique d’informations.
La réponse étonnante qui a été proposée est oui. Srinivasan Arunachalam et ses collègues ont conçu une façon quantique de manipuler |S〉 qui donne accès à la connaissance complète de |S〉 en opérant en moyenne un nombre de manipulations de l’ordre de n log(n – k + 1). C’est tout à fait remarquable, car si n – k est petit et fixé, n log(n – k + 1) est, en ordre de grandeur, égal à k.log(n – k), ce qui est beaucoup mieux que k log(k) puisque le facteur croissant log(k) est remplacé par le facteur constant log(n – k). À notre demande, le physicien Jean Dalibard a accepté d’expliquer la situation particulière k = n – 1. Le document qu’il a rédigé et dont nous le remercions se trouve sous le lien suivant : bit ly/PLS547_Dalibard Grâce à l’algorithme quantique de Peter Shor découvert en 1994, on sait factoriser un entier n (c’est-à-dire trouver ses facteurs) en un temps polynomial en fonction de la taille de n, alors qu’on ne sait pas le faire avec un algorithme classique Le résultat de Srinivasan Arunachalam montre que non seulement le monde quantique est plus performant que le monde classique pour la factorisation, mais qu’il l’est aussi pour le problème de l’acquisition d’informations
En 2022, Min-Gang Zhou, de l’université de Nankin, en Chine, et une équipe autour de lui ont réalisé des expériences confirmant l’efficacité du protocole théorique de Srinivasan Arunachalam. Cela prouve qu’un collectionneur quantique d’informations peut apprendre plus rapidement des données qu’un collectionneur classique d’informations. C’est une nouvelle démonstration de l’intérêt qu’il y a à faire intervenir la mécanique quantique en informatique. Ces résultats signifient en particulier que les algorithmes d’apprentissage si importants en intelligence artificielle peuvent fonctionner plus efficacement en utilisant des dispositifs quantiques qu’avec nos bons vieux ordinateurs classiques. C’est assez troublant !
L’activité des collectionneurs n’est apparemment qu’un simple jeu de peu d’intérêt, pourtant, quand on l’examine avec le regard d’un mathématicien, elle suggère une quantité considérable de questions qui, plus de trois siècles après les premiers travaux d’Abraham de Moivre , semblent devoir se renouveler encore longtemps n
BIBLIOGRAPHIE
Min-Gang Zhou et al., Experimental quantum advantage with quantum coupon collector, Research, 2022.
S. Arunachalam et al., Quantum coupon collector, 15th Conference on the Theory of Quantum Computation, Communication and Cryptography, 2020.
S. Sardy et Y. Velenik, Petite collection d’informations utiles pour les collectionneurs compulsifs, Images des mathématiques, 2020.
P. Flajolet et al., Birthday paradox, coupon collectors, caching algorithms and self-organizing search, Discrete Appl. Math., 1992.
D. Newman et L. Shepp, The double dixie cup problem, The American Mathematical Monthly, 1960.
H. von Schelling, Coupon collecting for unequal probabilities, The American Mathematical Monthly, 1954.
À gauche, un fragment de la stalagmite Clam-stm7, de la grotte de Clamouse, dans l’Hérault (longueur : 25 centimètres). À droite, la stalagmite GLD-stm2 (longueur : 35 centimètres), extraite de la grotte de Gueldaman, en Algérie.
DES ARCHIVES DE CALCAIRE
À l’instar des glaces polaires, les stalagmites et les stalactites sont des enregistreurs naturels du climat terrestre. Une exposition photographique rend hommage à ces témoins du temps qui passe.
Stalagmite ? Stalactite ? Vous avez toujours hésité, ne sachant bien faire la différence . La solution est de les regrouper sous le terme de spéléothèmes, c’est-à-dire les concrétions de calcaire qui ornent de nombreuses grottes Schématiquement, elles se forment ainsi : riche en dioxyde de carbone, de l’eau de surface dissout le carbonate de calcium (sous la forme de bicarbonate) qu’elle croise à mesure qu’elle percole dans le sol ; une fois dans une grotte, le CO2 est relargué, tandis que le carbonate de calcium, ou calcite, précipite à la pointe d’une stalactite et au sommet d’une stalagmite Au gré des siècles et des millénaires, ces cristaux s’accumulent et constituent les concrétions Ce scénario sous-tend toute la variété des spéléothèmes et la diversité des formes qu’ils peuvent prendre.
Mais il y a plus. Inscrit dans le temps long (les stalagmites croissent au mieux d’un millimètre par an), le mécanisme de fabrication de ces édifices en fait les témoins des conditions atmosphériques qui se sont succédé sur de longues périodes. Ils sont comparables en cela aux carottes de glace forées en Antarctique, et dans une moindre mesure, aux cernes de croissance des arbres.
Dominique Genty, directeur de recherches CNRS au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (Epoc), à l’université de Bordeaux, porte sur ces spéléothèmes un double regard, à la fois esthétique et scientifique. Avec son collègue Ludovic Devaux, ils ont conçu
une exposition qui donne à voir la beauté de ces concrétions à travers des photographies tout en transparence de coupes fines de stalagmites (voir page ci-contre), mais aussi la richesse des informations sur les climats du passé que l’on peut en tirer. Plus besoin d’aller au pôle Sud, les grottes du sud de la France suffisent !
Les indicateurs sont les différents isotopes des atomes de la calcite (CaCO3). Par exemple, dans les précipitations, la proportion d’oxygène lourd 18O, en comparaison avec l’isotope le plus fréquent (16O), est d’autant plus faible qu’il fait froid. Ainsi la mesure à un niveau donné d’une stalagmite du rapport 18O/16O renseigne-t-elle sur la température à une époque précise.
Comment déterminer celle-ci ? Grâce à d’autres isotopes, en l’occurrence ceux de l’uranium et de thorium dont la désintégration radioactive de l’un en l’autre est métronomique. Le rapport isotopique des deux est une mesure du temps écoulé.
Ainsi équipé, un paléo-spéléo-climatologue est à même de reconstituer l’évolution du climat des millénaires passés, les grands cycles climatiques liés aux variations de l’orbite terrestre, les refroidissements abrupts liés aux changements de la circulation océanique, le réchauffement dû aux activités anthropiques… D’autres activités humaines ont aussi laissé leur empreinte dans les stalagmites, comme les feux préhistoriques, ceux des premiers touristes dans les grottes, quand l’électricité n’y avait pas encore pénétré et, plus surprenant, les essais nucléaires atmosphériques des années 1950 et 1960 !
Démonstration avec les deux échantillons montrés page ci-contre. La stalagmite Clam-stm7 (seuls 25 centimètres sont montrés sur une longueur totale de 1,5 mètre) a été trouvée, brisée naturellement, dans la grotte de Clamouse, dans l’Hérault. Entre 377 000 et 240 000 ans, elle a enregistré les variations liées à plusieurs grands cycles climatiques et à des périodes interglaciaires chaudes et humides (notamment entre 340 000 et 335 000 ans), en parfaite adéquation avec les informations tirées de l’analyse des carottes de glace prélevées en Antarctique dans le cadre du programme Epica, et remontant jusqu’à 800 000 ans.
La stalagmite GLD-stm2 (de 35 centimètres de hauteur), datée de 6 200 à 4 000 ans, vient de la grotte de Gueldaman, en Algérie. Les zones noires, dues à de la cendre, de la suie… trahissent les périodes d’occupation humaine.
Rendez-vous dans quelques milliers d’années pour voir de quelle façon notre société actuelle et ses particularités se seront inscrites dans les spéléothèmes ! n
D. Genty, Spéléothèmes, Archives du climat, Hartpon, 2022. Exposition « Spéléothèmes et paléoclimats », jusqu’au 12 juin 2023, à la Maison écocitoyenne de Bordeaux Métropole. https://bit.ly/Bord-speleo
L’auteur a publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science… (Belin, 2018)
La simulation multiphysique favorise l’innovation
Pour innover, les ingénieurs ont besoin de prédire avec précision le comportement réel de leurs designs, dispositifs et procédés. Comment ? En prenant en compte simultanément les multiples phénomènes physiques en jeu.
» comsol.fr/feature/multiphysics-innovation