Ces échanges qui remuent le monde
invité
On vous présente nos voisins à la Maison de la Paix : une personne d’« Agir pour la Paix » nous raconte sa vision du pacifisme
partenaires du sci Discussions avec la branche finlandaise du SCI et nos partenaires du Nigeria et de Tunisie
témoignages
Retours d’expériences de volontaires parti·es en France, au Togo, en Thaïlande et en Espagne
autre façon de lire le monde Bureau de dépôt : 1050 Bruxelles, 5 Agrément P006706 n°98
une
Éditeur responsable Pascal DutermeSiège : Rue van Elewyck, 351050 Bruxellesn°BCE (0)410 661 673RPM Tribunal du commerce de Bruxelles / Illustration © Clémentine Lenelle Printemps 2023
Abonnez-vous au scilophone !
Devenez membre SCI pour 15 €/an et recevez votre
trimestriel :
Compte Triodos : BE09 5230 8029 4857
Communication : cotisation annuelle
Ont participé à ce numéro : Isabel Lethé, Luis Tinoco Torrejon, Médéric Gauthier, Clémentine Tasiaux, Joëlle Mignon, Caroline Franzen, Rodrigo Gómez Aranda, Agathe Danon, Emilie Lavender, Francis Bongo, Guillaume Collard, Joachim-Emmanuel Baudhuin
L'écriture inclusive au SCI
L’idée que le masculin représenterait l’universel est une des formes de la domination patriarcale dans la langue française. Le SCI encourageant et luttant pour l’égalité de genre, et le SCIlophone se voulant être un espace d’expérimentation de la langue, les rédacteurs·trices et le comité de rédaction prônent les règles d’écriture inclusive et les appliquent au sein de chaque numéro. Cette écriture inclusive se traduit par l’utilisation de termes épicènes (équipe pédagogique au lieu de professeurs), des points médians (certain·es), des contractions (iel, iels), des doublets (ils et elles, résidentes et résidents) et par l’application de la règle de proximité selon laquelle l’accord de l’adjectif ou du participe passé se fait avec le nom le plus proche (mes doutes et mes joies sont ancrées).
Coordination de publication : Joëlle Mignon / Mise en page : Pauline Averty / Comité de rédaction : Joëlle Mignon, Isabel Lethé, Sabina Jaworek, Sergio Raimundo, Clémentine Tasiaux, Emmanuel Toussaint / Illustration originale : Clémentine Lenelle / Photos
sans © : SCI – Projets Internationaux
Service Civil International (branche belge)
SCI – Projets Internationaux asbl / Bruxelles
Rue Van Elewyck, 35 · 1050 Bruxelles
T 02 / 649.07.38
SCI – Projets Internationaux asbl / Liège
Rue des Steppes 20 · 4000 Liège
WWW.SCIBELGIUM.BE
Le SCI – Projets internationaux asbl est reconnu comme : ONG d’éducation au développement par la Direction
générale de la coopération au développement (DGD)
• Organisation de Jeunesse par la Fédération WallonieBruxelles
Ce qui nous remue
Àchaque fois que je retourne à la ferme, que j’arrive sur le chemin bordé d’une rivière et d’une réserve naturelle, les mêmes émotions montent en moi : une joie débordante et une anticipation du plaisir du travail qui va être accompli dans la journée ! Je dépose mon vélo, de loin je vois Jelle, le fermier, déjà occupé à récolter quelques légumes dans le champ, sa maman Veerle et d’autres volontaires qui préparent le magasin, les poules qui caquètent, les cigognes à la recherche de quelques verts et Roseta la chatte qui vient à ma rencontre. Pour moi, c’est ça le volontariat.
En ce nouveau printemps, les projets de volontariat sortent de terre, éclosent sur Workcamps, les volontaires sont prêt·es à ensemencer le monde qui les entourent. Que nous prépare la saison de volontariat pour 2023 ? Bien que la rencontre avec d’autres cultures, travailler pour la paix et la solidarité reste notre fondement, le SCI et ses projets s’adaptent aux évolutions continues de la société.
Dans ce numéro, c’est le principe même du volontariat au SCI, à savoir construire la paix, qui est défendu avec cœur par Luis (page 5), rêvé par Virpi à travers plus de diversité (page 9) et cultivé par la bienveillance et l’écoute active avec Rodrigo et les animateur·ices du SCI (page 18). Partir en volontariat, c’est aussi se réapproprier notre pouvoir d’agir et l’utiliser de façon consciente dans des actions qui font sens.
Pour moi, c’est les mains et les genoux dans la terre, pour Guillaume ce sont des rencontres transformantes en Thaïlande (page 28), pour Agathe en France (page 21) ou JoachimEmmanuel en Espagne (page 32) c’est sortir de leur zone de confort, c’est aussi construire des ponts de compréhension entre volontaires d’ici et d’ailleurs (voir l’article d’Émilie et Francis page 24). Toutes ces alternatives et rencontres, chaque jour plus nombreuses, fortes et interconnectées, sont nos réseaux pour affronter les tempêtes de demain.
La volonté toujours présente de décoloniser le volontariat, notamment en augmentant les échanges du « sud » vers le « nord » et les échanges « sud-sud », peut se lire chez notre partenaire du Nigeria avec Philip et Femi (page 12). La lutte contre le dérèglement climatique et la protection du Vivant reste et restera une priorité dans nos activités, comme on peut l’observer en Tunisie avec l’association de Naïm, qui protège cet écosystème unique que forment les oasis et les semences autochtones (page 16).
Toutes ces rencontres sont des échanges qui nous remuent, nous donnent envie de bouger de diverses manières : en construisant des alternatives qui nous permettent de retrouver de l’espoir, en s’éduquant et en transmettant aux prochaines générations, par l’action militante qui nous apprend la puissance du collectif... En cette saison du renouveau, trouvons ce qui nous remue, faisons-le bourgeonner pour que nos projets fleurissent sous la chaleur de l’été.
Isabel Lethé Permanente au SCI
PRINTEMPS 2023 3 ÉDITO
ÉDITO
Ce qui nous remue
page 3
PARTENAIRES DU SCI
Finlande Et le SCI en finnois, ça donne quoi ?
page 9
Nigeria
« Le volontariat doit s’adapter à la société »
page 12
Un futur pacifiste Utopie ou réalité ?
page 5
TÉMOIGNAGES
Tunisie
Concilier éducation, volontariat, culture et protection de l’oasis de Chenini : l’engagement de Naïm
page 16
LE SCI EN ACTION
La communication Clé de voûte de l’animation
page 18
SCILOTHÈQUE
France
L’apprentissage Montessori, au pied des montages
page 21
Togo
Togo Akpé Kaka : récits croisés entre le Togo et la Belgique
page 24
Espagne
Thaïlande « Nulle part » se trouve en Thaïlande
page 28
Au revoir Bruxelles, bon dia Barcelona ! Mon CES en Catalogne
page 32
SCIlothèque
page 35
4 LE SCILOPHONE N°98 SOMMAIRE
L’INVITÉ
Un futur pacifiste : utopie ou réalité ?
Je suis allé à la rencontre de Luis, volontaire et ancien permanent chez Agir pour la Paix, une des nombreuses ASBL de la Maison de la Paix, qui accueille les locaux du SCI. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui et d’explorer les activités d’APLP, son rôle dans l’association, sa vision du pacifisme et ses inspirations dans cette lutte. Voici un aperçu des pensées qui se cachent derrière ce militant pour la paix.
Bonjour Luis, peux-tu te présenter brièvement ?
Je m’appelle Luis, je suis belgo-péruvien et volontaire à Agir Pour La Paix. Je suis un ancien permanent, donc j’ai aussi fait partie de l’équipe.
Peux-tu nous expliquer quelle est la mission d’APLP ?
La mission d’APLP est, comme son nom l’indique, de contribuer à la paix. C’est un mouvement pacifiste qui travaille sur ces questions-là à travers une approche non-violente. Nos missions sont essentiellement de la sensibilisation et de la mobilisation, dans un cadre pacifiste. APLP s’est rattaché à l’action directe non-violente et la désobéissance civile comme levier pour promouvoir la paix, en portant des valeurs démocratiques, puisqu’on défend un état de droit avec une justice correcte et pertinente.
Comment as-tu découvert APLP ?
J’ai découvert APLP en 2011 en participant à une formation, qui existe encore aujourd’hui, mise en place par Quinoa et APLP : « Think & do it yourself ». C’était une formation d’un weekend : Quinoa s’attardait à décrypter le système (donc
L'INVITÉ PRINTEMPS 2023 5
le capitalisme libéral) et APLP apportait des réponses à « comment s’organiser pour mettre en place des actions directes non-violentes ». Après cette formation, je me suis impliqué à APLP et j’ai fait mon bout de chemin en tant qu’activiste, et puis comme personne facilitatrice. J’ai commencé comme volontaire et j’ai travaillé à 3 reprises à APLP à partir de 2015. J’ai définitivement intégré l’équipe en 2019 et je l’ai quittée en 2022.
Quel était ton rôle en tant qu’activiste ?
J’ai participé, de façon conséquente, à des actions en Belgique ou ailleurs en Europe : principalement en Angleterre, puisqu’on fait partie d’un réseau international d’antimilitaristes, « l’Internationale des résistant(e)s à la guerre ». Le rôle que j’ai surtout assumé, c’est au niveau des formations, en tant que personne facilitatrice. Le parcours m’a permis d’acquérir beaucoup d’outils et d’expérience et mon rôle n’est plus uniquement de donner des formations sur l’action directe non violente et la désobéissance civile. Je donne aussi maintenant des formations pour former des personnes qui seraient intéressées de pouvoir justement faciliter, animer, partager et changer ces outils qu’on utilise à APLP.
Qu’est-ce qui t’a tenu à cœur à APLP ?
D’abord, le projet politique. Quand je dis politique, je me réfère à la position antimilitariste, principalement sur les questions des armes nucléaires. Le sujet a été porté premièrement par APLP, et c’est devenu un de ses sujets principaux. Ensuite, la facilitation, qui est essentiellement
basée sur l’éducation populaire. Ça permet de construire une intelligence collective et ça encourage à beaucoup plus de collectivité. Le plus grand apprentissage est celui des visions que les personnes qui participent à nos formations apportent. En tant que facilitateur, je ne suis pas là pour transmettre une connaissance d’une façon académique, mais plutôt dans une approche d’échange et de construction, d’intelligence collective. Je transmets des outils auxquels je crois, mais les différentes interventions et réactions sont toujours enrichissantes. L’apprentissage ne s’arrête pas, il faut l’encourager, le stimuler, et ces formations sont des espaces pour cela.
L'INVITÉ 6 LE SCILOPHONE N°98
Qu’est-ce qui t’a marqué le plus à propos de la problématique du nucléaire ?
La première chose qui a attiré mon attention, c’est qu’il existe sur le sol belge 20 têtes nucléaires qui appartiennent aux Etats-Unis, qui sont là depuis les années 60, et une seule tête nucléaire a une capacité 10 fois plus grande que celles d’Hiroshima ou Nagasaki. Il suffit qu’il y en ait une qui explose, ça fait exploser les 19 autres et la Belgique n’est plus là. Comme on a lancé à APLP une campagne contre les armes nucléaires, j’ai beaucoup lu, et j’ai compris à quel point le nucléaire militaire est un gaspillage d’argent qu’on maintient encore aujourd’hui. On dépense
un ou deux millions de dollars par heure rien que pour les armes nucléaires, or c’est un milieu qui correspond à 60% de la corruption mondiale. On a beaucoup de littérature à APLP à ce sujet, car il n’est pas évident de trouver ces infos et de connaître l’impact que pourraient avoir ces explosions. De nos jours, les bombes ont de plus grandes capacités que celles de l’époque d’Hiroshima. La guerre avec l’Ukraine fait revenir sur le devant de la scène l’usage de la peur à travers la menace du nucléaire. Il faut pourtant être conscient·es qu’il serait très difficile d’envisager une guerre nucléaire : je crois que ça serait la fin de la planète.
Quelle est ta vision du pacifisme ?
Ma vision du pacifisme sera certainement un peu en désaccord avec certaines positions d’APLP, dans le sens où je considère que l’approche non-violente est une approche stratégique. La nonviolence est un outil auquel je vais donner une priorité mais, pour moi, la violence pour éviter une plus grande violence peut être nécessaire. Dans ce sens-là, je cite les zapatistes1, qui sont justement prêt·es à prendre les armes pour défendre leur vie (mettant en avant la question de la vie, car une fois qu’on est mort, on ne sait plus continuer les combats). Pour moi, le pacifisme c’est dire « oui je vais donner une priorité à l’approche non-violente, mais ce n’est pas pour autant que je vais nier la contrepartie violente si jamais besoin il y a de l’utiliser ».
1 L’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) est un mouvement révolutionnaire mexicain qui défend l’autodétermination des peuples indigènes de la région du Chiapas. Symboles de l’altermondialisme, ils et elles vivent dans une communauté autonome et luttent contre les exploitations, les persécutions et la destruction de la planète.
L'INVITÉ PRINTEMPS 2023 7
Lors de la formation
?
Dans l’idéal oui, ce serait bien qu’ils disparaissent. C’est bien d’avoir une vision utopique, de rêver, mais en même temps il faut garder les pieds sur terre. Pour atteindre la paix, une des démarches est de s’attaquer à ces systèmes d’oppression, de domination même. En sachant que ça vient d’une construction continue de comment les relations entre les personnes s’établissent dans une société. La paix n’est pas un arrêt de bus auquel tu arrives, ça se travaille continuellement, et je crois que c’est un peu illusoire de penser qu’on va abattre ces systèmes de dominations. Je crois que la vision la plus réaliste serait plutôt : « comment est-ce qu’on les transforme ? », « comment est-ce qu’on les adapte en quelque chose de beaucoup plus respectueux vis-à-vis des personnes, de leur intégrité et de leur dignité ? ».
Qu’est-ce qui t’inspire dans cette lutte pour la paix ?
Ce qui m’inspire essentiellement, c’est le fait de se dire qu’il faut créer du lien entre les personnes, les découvrir. Le pacifisme et la non-violence passent par là. Parce que découvrir d’autres personnes et sortir de la méconnaissance, ça contribue à la paix. C’est ça qui est inspirant : c’est simplement l’humanité que chaque personne porte en ellemême.
Propos recueillis par Médéric Gauthier Stagiaire en mobilisation au SCI
2 « Changement de système… en cours : comprendre, déconstruire et agir collectivement » : week-end de formation participative organisé par APLP et le SCI en novembre 2022 pour appréhender les différents systèmes de domination et réfléchir à nos représentation sur le « pouvoir ».
L'INVITÉ 8 LE SCILOPHONE N°98
« Changement de système »2, on a parlé de 3 systèmes (patriarcat, capitalisme, racisme) qui dominent notre société. Faut-il absolument les abolir pour obtenir la paix
Et le SCI en finnois, ça donne quoi ?
Lors de l’EPM1, nous avons eu l’occasion de parler de volontariat et d’inclusion au sein du mouvement SCI. Dans les lignes qui suivent, nous partons à la rencontre de Virpi, membre du comité d’administration de KVT Finlande. Elle nous présente l'organisation de l'intérieur, son fonctionnement et ses volontaires
ô combien précieux·ses, ainsi que des leviers pour favoriser l'inclusion dans leurs activités.
PARTENAIRES DU SCI PRINTEMPS 2023 9
1 « Exchange Platform Meeting », la
annuelle de toutes les
du mouvement SCI International
réunion
branches
Bonjour Virpi, comment vas-tu? Peux-tu nous parler de KVT Finland ?
Bonjour ! Je vais très bien, merci ! Alors, commençons par un peu de traduction ! KVT est l’acronyme de Kansainvälinen Vapaaehtoistyöry, qui signifie « Association Internationale des Volontaires », et c’est une branche du SCI international. Un peu comme au SCI Belgique, le volontariat est au cœur de nos activités. Pendant l’été, on accueille des volontaires venu·es des quatre coins du monde pour des projets à court terme et on envoie des volontaires finnois·es sur des projets de nos branches partenaires. Par contre, nous sommes une plus petite équipe qu’en Belgique et pour faire vivre l’association, on peut compter sur les volontaires qui portent les activités de KVT tout au long de l’année : ce sont eux et elles qui prennent contact avec les partenaires locaux, s’occupent du placement, etc… KVT ne serait rien sans ses volontaires !
Et toi, quel est ton rôle au sein de KVT ?
Je fais partie du comité d’administration et je prends part aux réflexions stratégiques et financières de l’association. Je suis aussi volontaire, puisque je suis investie dans un groupe de travail qui s’occupe de l’envoi de volontaires pour des projets long terme à l’étranger. Et ce n’est pas un hasard, car je suis moi-même partie en projet long terme il y a 3 ans !
Pour moi, l’inclusion est au cœur du mouvement pacifiste et de la citoyenneté mondiale. L’inclusion doit être le reflet de toutes les valeurs que le SCI promeut. Sinon, il n’y a pas d’intérêt à rassembler autant de personnes avec des
PARTENAIRES DU SCI 10 LE SCILOPHONE N°98
La thématique de l’EPM cette année, c’est l’inclusion. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
© KVT Finlande
© KVT Finlande
backgrounds différents. Ce qu’on souhaite, c’est créer des espaces où les volontaires peuvent venir et travailler ensemble à la réalisation d’un but commun ou d’une cause commune. L’idée, c’est justement de pouvoir briser les stéréotypes et développer de la compréhension mutuelle dans des espaces safes. En cela, la mission du SCI n’a pas de sens sans ce concept d’inclusion.
Comment implémentez-vous cette inclusion dans votre réalité chez KVT ?
Au travers de notre expérience, nous avons réalisé que, pour avoir des groupes réellement inclusifs et hétérogènes, il faut du temps afin d’aller vers des publics qui se sentent peut-être moins concernés par nos activités. Et cela nécessite des ressources humaines. Dans le cadre du projet européen « Green Diversity », un projet qui a pour objectif de favoriser les échanges et la réflexion sur les enjeux climatiques, nous avons pu recruter une personne spécialement en charge de la coordination dont une des tâches à part entière était de faire en sorte que le groupe soit divers et inclusif.
Le temps et l’effort consacrés à cette tâche ont porté leurs fruits et on a pu constater une réelle diversité dans le groupe de participant·es ! Nous avons aussi un programme d’inclusion pour les personnes résidant dans des centres de demande de protection internationale. Ce programme permet de rendre les projets d’été plus accessibles financièrement, notamment en prenant en charge les couts de transport et les couts d’inscription. Le programme comprend aussi un accompagnement des participant·es, pour leur permettre de continuer à s’investir tout au long de l’année.
Si tu avais un rêve pour ton association, ce serait quoi ?
Pour le moment, on pense l’inclusion au fil des besoins des participant·es. Par exemple, l’an dernier une personne porteuse d'un handicap a souhaité participer à un projet d’été. Nous avons fait en sorte de le rendre accessible, mais je crois qu’on pourrait aller encore plus loin. Idéalement, j’aimerais qu’il y ait de l’inclusion à tous les niveaux d’action de KVT. Par exemple, j’aimerais qu’il y ait un maximum de diversité sur les projets, tant dans leur accessibilité que dans leurs thématiques, et bien sûr au sein même des groupes de participant·es. J’aimerais aussi que cette diversité se reflète au sein du comité d’administration, mais c’est encore difficile. On pourrait trouver des activités autour des thèmes de la paix et de l’environnement. On pourrait même travailler ensemble, de manière à ce que les différentes voix et perspectives soient aussi entendues, reconnues et portées.
Propos recueillis par Clémentine Tasiaux Permanente au SCI
PARTENAIRES DU SCI PRINTEMPS 2023 11
Philip Adiroju et Femi Aganran font tous les deux partie de VWAN – Voluntary Workcamps Association of Nigeria, une branche du mouvement SCI qui existe depuis 1963. Ils étaient en Belgique pour quelques jours cet été, l’un pour rendre visite, l’autre pour participer au projet « Grassroots ». Nous les recevons dans nos bureaux et profitons de ces instants pour leur poser quelques questions sur le volontariat au Nigéria et leur expérience en Europe.
PARTENAIRES DU SCI 12 LE SCILOPHONE N°98
« Le volontariat doit s’adapter à la société »
L’objet de l’association dans laquelle ils s’engagent est assez similaire à celui du SCI, à savoir organiser des projets de volontariat qui réunissent des personnes de milieux, d’âge et de cultures différentes, dans un but de promotion de la paix et du développement durable. Chez eux, ça se matérialise entre autres par l’organisation de workshops de renforcement de compétences à destination des jeunes. VWAN organise aussi des projets internationaux, un peu partout au Nigeria, sur des thématiques qui vont de l’agriculture dans des communautés rurales à la restauration de biens culturels nationaux.
Lors de leurs séminaires, ils et elles utilisent des techniques de l’éducation non-formelle, comme des mises en situation, des jeux ou du théâtre, pour permettre aux jeunes de développer leurs compétences en passant par l’expérience, et non par de la théorie uniquement. Les projets de VWAN étaient à l’origine principalement destinés
aux jeunes, mais il y a de plus en plus de diversité dans les profils de volontaires avec le temps, notamment en termes d’âge. Leur envie est d’ouvrir la porte à une plus large démographie de volontaires, qui correspondrait davantage à la population, assez jeune, du Nigeria (plus de diversité en termes de genre, inclusion de volontaires venant de zones plus reculées, etc.).
Avant le Covid, la base de volontaires comptait beaucoup de volontaires internationaux·ales, mais les arrivées au Nigeria sont restées moins importantes depuis la réouverture des frontières.
C’est donc devenu un défi que de se baser davantage sur les volontaires locaux·ales et sur des échanges « Sud-Sud ». VWAN accueille de plus en plus de volontaires du Togo, du Ghana, d’Afrique du Sud ou du Cameroun. En termes de sécurité également, le Nigeria n’est pas le même qu’il y a 15 ans, il faut tenir compte de nouveaux challenges. La situation sécuritaire s’améliore, mais les projets restent difficiles à promouvoir dans les pays du Nord global.
PARTENAIRES DU SCI PRINTEMPS 2023 13
Une association basée sur ses volontaires
Femi fait partie du steering comittee et a toujours été un volontaire actif chez VWAN (il n’y a pas de staff, tout le monde est volontaire). Philip, quant à lui, est volontaire depuis 2020 et assistant coordinateur d’une branche locale. Il est aussi coordinateur de projets.
Philip est venu en Belgique dans le cadre du projet « Grassroots », un projet Erasmus+ qui a pour objectif le renforcement de la collaboration entre des associations européennes et africaines. Des coordinateur·ices de projet du Nord et du Sud globaux participent ensemble à des activités en Europe et en Afrique afin de partager des bonnes pratiques et réfléchir ensemble à des thématiques telles que le genre, la justice climatique ou la décolonisation.
Ici, Philip a co-coordonné « Na Fir Bolg », un projet de volontariat dans un festival de musique folk pas très loin d’Anvers. Il raconte que cette première expérience en Europe lui a beaucoup plu. Selon lui, il n’y a pas beaucoup de différences fondamentales entre les projets en Belgique et au Nigeria, hormis un plus petit nombre de volontaires, ce qui a rendu son rôle de coordinateur plus facile pour tenir compte de tout le monde. Ce qu’il voudrait emporter avec lui, c’est un peu de l’esprit et du travail d’équipe qui l’ont impressionné pendant son projet : malgré un travail parfois très physique, les volontaires restaient motivé·es et gardaient une attitude positive.
Pour Femi, la grande différence entre les projets en Europe et en Afrique est qu’ici le travail est clair et les ressources accessibles pour y arriver. Au Nigeria, le travail est clair, mais il n’y a pas assez de ressources. Souvent, il faut trouver des solutions pendant les projets, il y a beaucoup plus d’improvisation. Les projets sont faits avec les communautés locales mais sans financements. Les ressources sont donc trouvées au sein même des communautés. VWAN aimerait être plus structuré dans son organisation, plus efficace, et cela a aussi à voir avec le financement. Il y a un apprentissage à tirer de l’expérience européenne : comprendre comment se saisir des opportunités pour recevoir des fonds localement. C’est une étape importante qui pourrait leur permettre d’employer du staff et de ne pas compter uniquement sur des volontaires.
PARTENAIRES DU SCI 14 LE SCILOPHONE N°98
À la question inverse, « qu’est-ce que nous pourrions apprendre, en tant qu’association de volontariat, de la manière de faire au Nigeria », Philip mentionne le lien avec les communautés locales. Chez eux, les projets ne sont jamais isolés, les communautés font intégralement partie du processus. Il n’y a pas de « eux » et « nous ». Cela crée beaucoup d’opportunités pour échanger, pour en apprendre davantage sur les communautés. Des membres des communautés avec lesquelles ils travaillent sont parfois même intéressé·es par le volontariat à leur tour. Un dernier apprentissage significatif de la manière de faire nigériane est l’idée de toujours s’amuser en travaillant. Au Nigeria, même lorsque le travail est dur, on chante. Tout est question d’amusement.
Plus d’égalité des genres, plus de travail communautaire
À la question « qu’est-ce que vous avez appris en Europe que vous pourriez mettre en place chez vous ? », Femi et Philip me répondent par la conviction qu’il y a encore beaucoup de travail à faire en termes d’égalité de genres. Il faut créer des environnements positifs pour les femmes, dans les projets de volontariat comme au sein de leur organisation. Pour le moment, il y a 80% d’hommes. Cela relève, entre autres, de la tradition. Mais ils disent avoir besoin d’être plus affirmés, de reconnaître que ce n’est pas naturellement facile pour les femmes d’être audibles et visibles dans les espaces sociaux. Et il faut travailler, de manière plus générale, à l’étendue des possibilités de voyager, au-delà des barrières socialement construites. Ce sont des défis qui nécessitent des stratégies claires.
Le volontariat évolue, et il y a aujourd’hui beaucoup d’opportunités d’échanges, qu’ils soient professionnels ou non. Le volontariat a un peu perdu de sa poigne sur les jeunes. Beaucoup de questions se posent sur les intentions, afin de ne pas rentrer dans certains stéréotypes. Il faut réfléchir à la manière dont le volontariat s’adapte à la société actuelle. Il ne faut pas en changer la substance, l’idée de faire se rencontrer des cultures différentes, de travailler pour la paix et la solidarité, mais il faut par contre réfléchir à comment incorporer les nouveaux défis sociétaux dans ce que l’on fait déjà. Il faut sortir des propositions habituelles, des échanges principalement Nord-Sud, trouver de nouvelles manières de faire : évoluer avec la société pour continuer à donner du sens à notre travail.
PARTENAIRES DU SCI PRINTEMPS 2023 15
Le volontariat doit s’adapter aux évolutions de la société
Propos recueillis par Joëlle Mignon Permanente au SCI
Concilier éducation, volontariat, culture et protection de l’oasis de Chenini : l’engagement de Naïm
J’ai rencontré Naïm lors de l’Exchange Plateforme Meeting (EPM) de 2022, organisé par le SCI Belgique. Le but de l’EPM est d’offrir un espace d’échanges entre les membres du mouvement SCI, à savoir les branches et les partenaires du monde entier. C’est également un lieu d’inspiration et de créativité autour de nos valeurs communes.
Bonjour Naïm. Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Naïm et je suis président de Volontariat sans Frontières (VSF), une association de volontariat tunisienne. Je suis aussi le directeur exécutif de l’ASOC (Association de Sauvegarde de l’Oasis Chenini) et l’ancien directeur du festival de Chenini, un festival sur le henné. Je fais de la coordination de projets par rapport à des problématiques liées à l’écologie.
Quel est ton lien avec le SCI ?
VSF propose du volontariat à des jeunes et accueille des volontaires qui viennent grâce au service civique et au SCI. Notre but, c’est de concilier volontariat et environnement et d’essayer de susciter l’intérêt des gens envers la protection de l’écosystème oasien. Notre association se trouve à Chenini, une petite oasis dans le sud-est de la Tunisie, dans l’ouest du gouvernorat de Gabès. On y retrouve un écosystème unique : une oasis maritime. En effet, c’est l’une des rares oasis dans le monde qui se trouve au bord de la mer !
PARTENAIRES DU SCI 16 LE SCILOPHONE N°98
© VSF
C’est quoi, une oasis ?
Une oasis est caractérisée par la superposition de 3 étages :
• La strate arborée avec le palmier dattier qui culmine de 15 à 30 m et dont les feuilles filtrent les rayons du soleil (la tête au soleil, les pieds dans l’eau), évitant une trop forte évapotranspiration liée aux fortes chaleurs et à l'air très sec.
• La strate arbustive où l’on retrouve des vignes accrochées aux palmiers et des arbres fruitiers (comme des pommiers, orangers, abricotiers, pêchers…)
• La strate herbacée avec des plantes basses et du maraîchage.
C’est donc un écosystème autonome où l’on trouve de tout, des fruits et légumes aux palmiers.
Quelles sont les activités que vous organisez avec ton association ?
On travaille sur le thème du développement durable de l’Oasis, ce qui inclut la valorisation des produits de notre territoire, mais aussi l’employabilité des femmes rurales et jeunes. Dans ce sens, on vise à renforcer les activités vertes, c’est-à-dire l’artisanat, le tressage, le travail de roseau et l’élevage de produits oasiens, entre autres. Ce sont des activités traditionnelles de notre écosystème que l’on veut mettre en avant.
On a un partenariat avec l’Association de Sauvegarde de l’Oasis de Chenini pour travailler le compost et les déchets des palmiers, dans le but de préserver la propreté de l’Oasis. On ne veut pas brûler les déchets, on a un objectif « zéro déchet ». On participe aussi à la création de parcelles de biodiversité qui rassemblent en majorité des palmiers et des arbres fruitiers menacés de disparaître. Ces lieux sont des fermes touristiques écologiques et des jardins pédagogiques qui permettent d’apprendre aux jeunes la variété, la diversité et le fonctionnement de l’Oasis. Enfin, on a créé un livre de bonnes pratiques oasiennes, disponible sur le site de la FAO
Quelle est l’importance de l’oasis de Chenini dans la région ?
Chenini est caractérisée par la présence de palmiers dattiers, de grenadiers, de henné naturel. C’est une oasis riche en ressources et donc une source économique, productrice de légumes et de fruits, qui finance toute la région de Gabès, et même les environs. La production de légumes de la région est assurée par Chenini. En plus de ça, à Chenini sont produites des semences autochtones, qui sont très importantes afin de conserver le savoir ancestral et pour ne pas perdre cette partie de notre héritage culturel.
Que font les volontaires qui viennent chez vous ?
Le thème principal de leur volontariat est bien évidemment l’environnement. Les volontaires apprennent le fonctionnement des stations de compostage, du recyclage. Ils et elles travaillent dans les parcelles et participent à l’activité agricole. Il y a aussi la participation aux stratégies qui visent à intégrer les associations de travail artisanal, en incluant les femmes rurales.
Le dernier aspect est plutôt culturel et linguistique, car les volontaires participent à des ateliers de cuisine locale et peuvent apprendre la langue arabe, selon leur volonté. Il y a aussi la possibilité d’être intégré·e dans les programmes éducatifs des jeunes, pour les aider à apprendre la langue française. À Chenini, presque toutes les associations travaillent ensemble, c’est pour cela que les volontaires peuvent être intégré·es dans les activités culturelles qu’ils ou elles souhaitent.
PARTENAIRES DU SCI PRINTEMPS 2023 17
1
1 Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
Propos recueillis par Caroline Franzen Volontaire au SCI
La communication, clé de voûte de l’animation
Le deuxième week-end de mars, j'ai eu l'occasion de participer à une formation organisée par le SCI, à Tilff, qui visait à fournir des outils et des techniques à toutes les personnes qui font partie du réseau animation du SCI (permanent·es, stagiaires et volontaires). L’idée était de réfléchir aux aspects les plus compliqués de l'animation et de perfectionner ce qu’on pourrait appeler « l'art de communiquer avec le public ».
Le SCI dispose d'une grande équipe d'animateur·ices, qui s'engage à développer l'esprit critique et à porter les valeurs de notre organisation. Le bon déroulement des animations et le développement pédagogique des outils qu'on utilise ne seraient pas possibles sans des formations telles que celle mentionnée ici. L'objectif de cette formation était d’apprendre à dépasser les aspects les plus difficiles qui peuvent survenir lors d'une animation, et de réfléchir à la relation entre co-animateur·ices. Bien qu'une grande partie des connaissances acquises au cours de cette formation viennent de la pratique active, trois blocs principaux peuvent être mis en évidence, qui constituent en quelque sorte « l'abc » de l'animation.
LE SCI EN ACTION 18
Bienveillance
La première étape pour faire face aux difficultés de l'animation et pour se connecter avec le public et avec ses collègues est la générosité, envers soi-même et envers les autres (co-animateur·ices et public). La générosité envers les autres, dans notre façon de parler, dans nos gestes et dans notre position corporelle, semble évidente. Mais une chose qui passe souvent inaperçue est la générosité envers soi-même : la générosité de se permettre de se tromper, la générosité d'apprécier ses propres opinions et expériences. Pour pouvoir mener une animation fructueuse, nous devons partir d'un « moi » disposé à apprendre, à écouter et à partager, pour pouvoir ensuite entrer en contact avec les autres.
Écoute
Écouter est un verbe couramment utilisé dans notre vie quotidienne, mais on peut se demander si nous savons vraiment ce qu'est l'écoute, et plus encore, ce qu'est « l'écoute active ». L'écoute active permet une meilleure compréhension de l'autre et donc une meilleure interaction entre l'orateur·ice et le(s) destinataire(s) du message. Lorsque nous écoutons quelqu'un, surtout s'il s'agit d'un sujet sur lequel il peut y avoir un désaccord, il est très important que nous écoutions pour comprendre et non pour répondre. C'està-dire que nous devons d'abord comprendre les arguments de l'autre et, une fois que nous les avons intériorisés, nous pouvons intervenir dans la conversation. Répondre sans ce processus revient
LE SCI EN ACTION
à avoir une conversation avec soi-même. Une fois qu’on a compris qu'une conversation se fait, au moins, à deux, il faut donc faire attention à la façon dont on apparaît à l'autre, aussi bien quand on parle que quand on écoute. Nous devons créer pour l'auditeur·ice et pour notre public un espace sûr pour la libre expression et le respect mutuel. Au cours de la formation, une question m'est cependant venue en tête : que doit-on faire quand on entend des opinions avec lesquelles on est fortement en désaccord ou, pire, qui vont à l’encontre des droits humains ? C'est une situation qui peut se produire assez souvent au cours d'une animation/formation. J'y ai trouvé la réponse pendant le week-end : l'écoute active n'est pas incompatible avec le désaccord. Même si les idées avancées par notre interlocuteur·ice ne correspondent pas à notre pensée, nous devons respecter son droit à s'exprimer. Une fois que nous avons écouté l'argument, nous pouvons répondre, ou simplement reconnaître qu'il s'agit d'une opinion que nous ne partageons pas, sans qu'il ne soit pour autant toujours nécessaire d'approfondir le sujet.
Assertivité et retour d'information
Enfin, au cours de la formation, l'accent a été mis sur la relation entre les co-animateur·ices et sur l'importance de se donner mutuellement un feed-back après avoir travaillé ensemble. Il est très important d'analyser et de voir ce qui n'a pas marché et, encore davantage, ce qui a fonctionné après une journée d'animation. Souvent, nous nous concentrons sur l'annonce des points négatifs et des choses à changer, sans prêter attention à ce qui fonctionne vraiment bien. On apprend toujours aussi de l'exemple de son ou sa coanimateur·ice : autant il est évident qu'observer ce qu'il ne faut pas faire nous aide, autant il est encore plus utile d'être spectateur·ice et complice de ce qui fonctionne. Le retour d'information est crucial, mais il est nécessaire de savoir comment le communiquer.
L'assertivité est un outil de communication, ou plutôt une manière de communiquer, qui est utile dans tous les domaines de notre vie quotidienne. Elle nous permet d'exprimer nos idées et nos opinions de manière claire et ferme, tout en tenant compte de notre interlocuteur·ice, de ses sentiments et de sa situation. Il semble évident que l'assertivité est un excellent moyen de donner du feedback et de pouvoir exprimer nos idées, les points à améliorer pour notre partenaire, ce que nous avons ressenti au cours d’une animation, nos suggestions... sans qu'aucun·e partenaire ne se sente blessé·e.
Avec ces trois petits conseils, j'ai essayé de résumer une formation qui couvrait évidemment beaucoup plus d’aspects, mais j’espère que ceux-ci aideront toustes les volontaires animateur·ices qui lisent cet extrait. J'aimerais terminer par une réflexion personnelle : l'animation avec un public est un art qui peut s'apprendre par la lecture et l'information, mais c'est sans aucun doute en y jouant que l'on apprend le plus. L'apprentissage vient de l'expérience !
LE SCI EN ACTION 20 LE SCILOPHONE N°98
Rodrigo Gómez Aranda Stagiaire CES1 au SCI
1 Corps Européen de Solidarité, programme de volontariat financé par la Commission Européenne dont le SCI est organisme d’envoi et d’accueil.
L’apprentissage Montessori, au pied des montagnes
Je suis Agathe Danon, j’ai 26 ans et je suis volontaire depuis septembre et pour un an à l’École Créative à Benqué-Molère (Midi-Pyrénees) en France, dans le cadre du Corps Européen de Solidarité1.
1. Programme de volontariat financé par la commission européenne, dont le SCI est organisme d’accueil et d’envoi.
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 21
FRANCE
© Agathe Danon
À la fin de l'année dernière, je me suis rendu compte que j'aimerais faire quelque chose de différent de ma vie. En tant que jeune femme de classe moyenne d'une vingtaine d'années, je faisais les choses comme prévu : j’ai fait des études et été diplômée, je suis passée d'un emploi temporaire à un autre avant d'être finalement employée sous contrat permanent. Je vivais avec des ami·es à Gand, qui étaient toustes au début de leur carrière professionnelle, et j’avais des plans pour aller vivre avec mon amoureux. La "vraie" vie d'adulte me souriait, mais je voulais découvrir d'autres choses qu’elle avait encore à m’offrir.
J'avais envie de voyager en m'investissant dans un projet, alors j'ai commencé à chercher et, par le biais du site du Corps Européen de Solidarité, j'ai trouvé le projet d'École Créative. C'est une école alternative au pied des Pyrénées, dans un tout petit village (Benqué-Molère).
L’équipe pédagogique travaille selon les idées de Montessori, Freinet et Steiner. Il s'agit d'une école tournée vers la nature, qui organise des excursions en forêt et où les enfants apprennent beaucoup sur la terre, les animaux et les plantes. En tant que volontaires, nous aidons un peu partout dans la vie scolaire, par exemple dans des tâches pratiques telles que la vidange des toilettes sèches, la préparation du déjeuner, la gestion de l'Instagram de l'école, etc.
Apprendre autrement, entourée de nature
Les moments que j’aime le plus, ce sont les matins où j’ai la chance de contribuer à soutenir les activités Montessori. Ici, les enfants apprennent de manière indépendante et autonome. J'aime beaucoup pouvoir les suivre jour après jour, voir de près comment fonctionne un processus d'apprentissage et constater les différences entre les enfants. L'approche de l'école est très individuelle, les élèves ont vraiment leur mot à dire et l'accent est mis sur la motivation plutôt que sur les résultats. Un système scolaire que je soutiens et dont j'apprends beaucoup !
D’une part, je trouve le contenu du projet intéressant et ça me plait d’aller à l'école tous les jours, de l’autre j'aime beaucoup le cadre environnant. L'école est située dans un petit village au pied des Pyrénées. Avec l'autre volontaire, je vis dans un village voisin, à environ deux kilomètres de l'école. Dans notre vie de tous les jours, nous sommes entourées de nature, loin de la grande ville, loin du bruit et des foules. Pour aller à l'école, on va généralement à pied. La promenade dure environ une demi-heure et nous conduit à travers une forêt, le long de prairies, de moutons et de vaches, avec la vue sur les hautes montagnes des Pyrénées au loin. Ça m’émerveille encore chaque jour.
TÉMOIGNAGE 22 LE SCILOPHONE N°98
© Agathe Danon
Cette vie dans un village me permet de ralentir. Il n’y a pas grand-chose à faire, alors j’ai beaucoup de temps pour lire et vivre lentement. C’est beau de voir qu’il existe plus d’amitiés intergénérationnelles dans le coin, que les gens sont moins pressés que dans les villes. J'ai aussi l'impression qu'en général, les gens ici sont plus authentiques et qu'ils accordent beaucoup moins d'importance aux apparences extérieures. Et ça, c’est très libérateur ! De plus, j’ai déjà bien appris à m’organiser. Vu que tout est loin, on ne peut pas aller faire des courses en vitesse en rentrant de l’école ou commander quelque chose à manger si on n’a pas envie de cuisiner. Pour aller au cours de violon, ou partir visiter quelque chose, il faut trouver quelqu’un qui veuille bien nous prêter sa voiture. La vie en isolation dans la nature est belle est romantique, mais pas toujours facile.
La cohabitation, aussi source d’enseignements
Habiter avec une autre volontaire est parfois un défi. Nous vivons ensemble dans un petit gîte où on partage une chambre. Bien que j’ai vécu en cohabitation toute ma vie et que nous nous entendons bien, vivre si près l’une de l’autre représente un gros challenge. Nous partageons actuellement la quasi-totalité de nos vies et, même dans notre temps libre, il n’y a pas beaucoup de possibilités pour se faire d’autres ami·es. De plus, le concept de barrière linguistique n’a jamais été aussi concret pour moi. Ma colocataire est espagnole et ne parle pas (encore) beaucoup français ni anglais. Et moi, je ne parle pas du tout espagnol.
C’est intéressant d’expérimenter deux choses : le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer complètement comme on veut et la prise en compte de l’importance de la langue dans la vie de tous les jours. Même si, parfois, cette manière de vivre ensemble est difficile, je crois que cela m’apprend beaucoup de choses. C’est quand même beau de constater comment, toutes les deux, on essaye de respecter les habitudes de l'autre et de trouver un terrain d'entente.
J'espère passer une belle année ici, apprendre beaucoup de choses sur les plantes, les animaux, l'école, le comportement des enfants, passer de beaux moments, voir comment la nature change à chaque saison, faire des randonnées en montagne et, bien sûr, améliorer mon français !
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 23
Agathe Danon Volontaire au SCI
© Agathe Danon
Togo Akpé kaka1
RÉCITS CROISÉS ENTRE LE TOGO ET LA BELGIQUE
Un projet de volontariat au Togo, ça ne se fait pas seul·e ! Il y a toujours une personne prête à accompagner un·e yovho (blanc·he) au marché, en excursion ou tout simplement au bout de la rue pour prendre l’apéro. Donc une co-rédaction pour partager cette expérience de volontariat, ça coulait de source ! Et puis, ça donne l’occasion à chacun·e de donner son avis sur une même expérience.
TÉMOIGNAGE
merci beaucoup
1. Togo
© Emilie Lavender
Le projet « Initiation à l’informatique et cinédébat » a démarré le lundi 22 août à 8h30 et tous les enfants du quartier de Zomayi à Kpalimé étaient au rendez-vous ! Donc, en bon·nes Togolais·es qui se respectent, la moitié des volontaires nationaux·ales ont débarqué à 18h30 ! De l’autre côté, les volontaires internationaux·ales, bien ponctuel·les, se sont retrouvé·es totalement désorienté·es par cette plongée directe dans le projet ! Oui, certains clichés ont la vie dure… Heureusement, parmi les volontaires togolais·es, plusieurs n’en étaient pas à leur première expérience interculturelle, et ils et elles ont su mettre les autres à l’aise : une musique de fond, des discussions, des blagues, quelques bières, un bon plat (pas trop pimenté) et c’était parti !
Nous étions un groupe de 9 volontaires, 7 nationaux·ales et 2 internationaux·ales, et au niveau du genre c’était tout aussi déséquilibré : 7 hommes et 2 femmes ! L’ambiance était-elle alors exclusivement à la togolaise et masculine ? Non, absolument pas ! On a tout fait ensemble pendant 3 semaines : répartition par équipe pour les corvées (vaisselle, cuisine, ménage, etc.), animation des enfants, préparation des cours, sorties, amusement… D’ailleurs, en matière de réjouissances, certaines soirées entre volontaires resteront gravées dans les annales d’Astovot2 ! L’une des plus mémorables fut la soirée « Delta rencontre Karo3 ». Au-delà du fait que nous avons acquis une meilleure compréhension du rapport à l’autre, de l’importance des valeurs, du sens du compromis pour atteindre un objectif commun, il nous a aussi été difficile de ne pas éclater de rire ! Les grimaces des un·es pour partager un mécontentement et l’incapacité de communiquer par la parole des autres ont rendu l’activité très comique. Les soirées jeux dans un bar ou au centre de l’association nous ont aussi donné mal aux joues. Ne défiez pas un·e togolais·e à un jeu de devinettes, iels observent tellement bien qu’iels sont imbattables !
Parmi les moments mémorables du projet, on ne peut pas passer à côté de la relation tissée avec les enfants. Nous avions une quarantaine d’élèves âgé·es de 11 à 19 ans, tous les matins motivé·es à ce que Word, Excel, Paint et tous les autres programmes n’aient plus de secret pour elles et eux. Nous avons également tenté de les sensibiliser aux dangers liés au virtuel et aux outils numériques. Et nous avons réalisé, avec leur complicité, un court métrage dont ils et elles étaient les acteurs et actrices. C’était exaltant de les voir apprendre à jouer un rôle, passer un casting, répéter leurs scènes, et « ACTION » !
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 25
2 Association Togolaise des Volontaires au Travail, notre organisme d’accueil
3 Outil pédagogique du SCI qui met les participant·es en situation pour les aider à prendre conscience des différentes dimensions de la rencontre interculturelle.
© Emilie Lavender
Dikkeneks aux pensées humbles
Il faut l’avouer, ce n’était pas une expérience sans difficultés ! Le rapport à l’argent est différent entre le Togo et la Belgique. Et, pour une occidentale, ce n’est pas toujours évident de trouver l’équilibre entre ne pas toujours tout payer à tout le monde et profiter de ces expériences uniques. En plus, quand les prix ne sont pas fixes, il faut négocier ! On se demande si on paye le juste prix, on peut se permettre de payer un certain montant et ça ne nous semble pas nécessaire de négocier, etc. Ensuite, on discute entre nous et on se rend compte que, pour les mêmes activités, on n’a pas toujours payé tous et toutes le même tarif… Bref, accepter la fluctuation des prix et que ça n’a rien de personnel, ça permet de passer un meilleur séjour.
Du côté togolais, les échanges interculturels ne sont pas toujours faciles non plus. On fait face à des clichés occidentaux sur les Africain·es. Certains sont pénibles (comme la surprise que des débats intellectuels soient possibles), d’autres sont plus cocasses (il y a des quiproquos quand on essaye d’éviter des problèmes aux volontaires internationaux·ales et qu’on oublie de leur expliquer ce qu’il se passe). Ensuite, les codes sociaux ne sont pas toujours les mêmes, et ça peut être assez surprenant de voir, par exemple, la facilité qu’ont les personnes occidentales à fumer en public. Bien que les volontaires occidentaux·ales soient formé·es avant de commencer un projet, certains propos peuvent choquer. Par exemple, quand après avoir passé quelques semaines sur un projet avec des enfants, certain·es s’enorgueillissent de les avoir sorti·es de la précarité…
Eyizandé, à tantôt !
La clé d’un projet interculturel réussi, c’est d’arriver à faire des compromis. On ne peut pas rester dans son fonctionnement rigide quand on travaille avec des gens qui viennent d’horizons différents. Il faut s’adapter et faire en fonction du contexte. Au centre d’Astovot, les espaces sont partagés entre plusieurs projets avec des objectifs, des publics, des besoins et des temporalités différentes. L’adaptation, ça passe aussi par les horaires. Par exemple, au Togo toute la maisonnée est réveillée à 6h du matin : la mama est en train de ranger sa vaisselle, le coq a déjà chanté 3 fois et les enfants jouent dans la cour. La grasse matinée, ça se négocie, même quand on rentre après une soirée festive.
Devoir se lever à l’heure des poules n’a pas été la seule surprise de cet échange interculturel. Du côté togolais comme belge, on a été fasciné·es par la manière des un·es et des autres de faire la fête. Voir pour la première fois un groupe de togolais·es prendre des djembés, une bouteille en verre vide, créer de la musique, danser et chanter des comptines d’enfance avec un enjaillement puissant, c’est impressionnant ! De l’autre côté, voir une belge enchaîner les bières, danser jusqu’au bout de la nuit, entraîner tout un groupe à la suivre et être opérationnelle le lendemain matin pour donner un cours d’informatique, c’est étonnant ! Mais pas aussi surprenant que de voir la capacité d’adaptation des internationaux·ales à préparer des plats européens avec les ustensiles rudimentaires d’un camp-chantier et des ingrédients togolais.
TÉMOIGNAGE 26 LE SCILOPHONE N°98
Dans le fond, on a eu beaucoup de chance avec notre groupe de volontaires. On a pu apprendre des cultures des un·es et des autres, avoir des discussions communes sur les relations sentimentales, sexuelles mais aussi sur des sujets plus durs comme la violence dans l’éducation des enfants. Les Togolais·es adorent parler de leur vision de l’amour, l’engagement et la valorisation de l’autre étant des éléments forts du couple. Cette vision est rafraîchissante quand on a l’habitude d’entendre parler de l’importance de l’indépendance et de la liberté individuelle…
Mais avec tout ça, au niveau personnel, qu’estce que cet échange culturel nous a apporté ?
L’avantage, c’est que nous n’étions pas à nos premiers contacts avec une autre culture, ni en manque de curiosité d’en savoir encore plus. Le travail de déconstruction des clichés avait déjà bien maturé dans nos esprits et nous n’avons pas été surpris·es qu’une fois de plus, toutes les qualités et les défauts de la palette des êtres humains se retrouvaient chez l’un·e comme chez l’autre. Avec le recul, cet échange culturel a surtout fait émergé une grande amitié, avec du soutien mutuel, des échanges continus, de la complicité et des liens forts, car ils sont nés dans des valeurs communes et dans un respect l’un·e de l’autre.
Au Togo, j’y reviendrai…
Ce genre d’expérience permet de relativiser sur ce qui est pris pour acquis par les personnes occidentales. Le choc culturel a d’ailleurs plutôt eu lieu au retour en Belgique. Revenir à un fonctionnement occidental basé sur l’efficience et la rentabilité, c’est rude après un mois en Afrique de l’Ouest. Au Togo, on prend les choses comme elles viennent : parfois il y a des moments de vide, et puis d’un coup tout se met en place rapidement. On s’adapte, on ne se victimise pas et on continue à avancer avec force. Parmi les violences du retour, on ne peut pas non plus passer à côté du choc entre un système individualiste et un système communautaire. Attention, cela n’implique pas systématiquement le cliché d’un fonctionnement africain comme empreint de « plus de générosité et de gentillesse ». Mais là-bas, quand on est à la recherche de contacts humains plus impliqués, au moins on est servi. La contrepartie étant qu’il peut parfois être difficile de trouver un peu de solitude et d’indépendance.
Vivre ce genre d’expérience donne l’occasion de réaliser que le monde va bien au-delà de notre imagination et que ce qu’on pense être une vérité absolue n’est en quelque sorte que notre vérité à nous. Entre les apprentissages et les personnes qui arrivent sur notre chemin, ces interactions culturelles nous permettent parfois de tracer un trajet de vie. Ces projets, ces échanges, restent des moments suspendus. On rencontre des personnes qui nous font sortir le meilleur de nous-mêmes, et puis on se dit au revoir et, tout à coup, chacun·e est de nouveau sur un continent différent.
Pour la Belgique : Émilie Lavender
Volontaire au SCI
Pour le Togo : Francis Bongo
Volontaire chez Astovot
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 27
© Emilie Lavender
J’aime croire que parmi toute les aventures de volontariat qui ont pu exister et existeront un jour, la mienne fut l’une des plus belles. En tout cas elle est unique et j’espère que vous apprécierez la lire autant que je l’ai vécue.
TÉMOIGNAGE 28 LE SCILOPHONE N°98
« Nulle part » se trouve en thaïlande
© Guillaume Collard
« Les voyages forment la jeunesse ». Quelle phrase ! Si horrible, au départ. On me l’avait tellement répétée durant les semaines qui précédaient mon voyage que je ne pouvais plus l’entendre. Vous voyez, ce genre de citations qui semblent avoir été inventées expressément pour meubler dans certaines situations où l’on n’a rien à dire ? Ce genre de phrase apprises par cœur, que l’on nous ressert à la moindre occasion, mais qui, au final, sonne chaque fois un peu plus faux et un peu plus dénué de sens, un peu comme « toutes les bonnes choses ont une fin » ou « une de perdue, 10 de retrouvées ». Eh bien c’est précisément dans cette catégorie que je rangeais « les voyages forment la jeunesse ». Et pourtant, après 3 mois passés sur une île et dans la forêt thaïlandaise, j’ai été forcé de constater que Montaigne avait raison.
Une sorte de Robinson Crusoé qui a échoué là
Après un début d’année un peu chaotique, j’ai finalement réussi à convaincre mes parents que c’était en Thaïlande que j’allais trouver ce que je cherchais, une autre façon de vivre. Et voilà qu’après quelques semaines, je me retrouve dans un avion direction Phuket avec pour seul contact local Alex, le co-fondateur de Dalaa, l’association au sein de laquelle j’allais passer les 3 prochains mois. Alex est français, il vit en Thaïlande depuis plus de 20 ans, dans une hutte au milieu de nulle part. C’est une sorte de Robinson Crusoé (comme l’a surnommé ma maman à cause de sa longue barbe et de son apparence joliment négligée) qui est arrivé là-bas afin de « comprendre et remplir la mission pour laquelle je suis sur terre », comme il le dit si bien lui-même.
Cette mission, justement, c’est celle de rassembler. Rassembler les langues et les cultures, rassembler les visions du monde et les religions, rassembler les hommes et les femmes autour d’une tâche commune et ensuite (et c’est le plus important) autour d’un bon repas. Assis par terre, évidemment. A l’image de Dalaa, dont le slogan est « living, learning, working together », pour lui ce n’est pas le travail réalisé qui compte, mais le moment partagé à le faire, ensemble.
J’ai compris avec lui toute l’importance du volontariat, et ce que ça voulait réellement dire. J’aime beaucoup sa façon de penser : c’est sans doute la personne la plus éloignée de notre société que j’aie pu rencontrer. Tout d’abord, il faut savoir qu’Alex est une personne très spirituelle : il médite au moins une fois par jour et a un rapport particulier à la nature. Pour lui, c’est littéralement une énorme source d’énergie. Au début de mon séjour, une des premières choses qu’il m’a dites, lors d’une des longues soirées que nous avons passées ensemble, c’est qu’il faut apprendre à tout déconstruire. Selon lui, tout ce qui nous entoure est énergie. Une sorte de transcendance qui compose toute chose et qui peut se transférer d’un corps à un autre. Evidemment, cette vision n’est pas unique, mais c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un qui pensait de cette façon.
Au début, c’était assez difficile à croire, et je dois avouer que je n’ai pas tout de suite pris au sérieux ce qu’il tentait de m’expliquer. Mais lors de nos séances de méditations, il m’a appris à ressentir et à faire circuler cette énergie en moi. On a même fait des séances de Reiki1, pratique aujourd’hui de plus en plus populaire en Belgique. Le truc, avec Alex, c’est qu’il me paraissait tout savoir. La méditation lui permettait de s’analyser intérieurement et de relativiser par rapport à tout ce qu’il vivait. « S’élever et prendre beaucoup de distance », disait-il. Il trouvait une solution à tout, en évitant toujours de se prendre la tête. Je dois dire que ça m’a bien changé de mon quotidien. Ce qui m’a permis d’aborder tout ce que j’appelais des « problèmes » d’une meilleure façon. À l’instar d’un jeu vidéo, j’ai eu l’impression d’avoir eu accès à un « cheat code » de la vie pendant plusieurs semaines. Finalement, je crois que pour ma part c’est plutôt « Alex qui forme la jeunesse ».
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 29
1 Méthode de soins d’origine japonaise, fondée sur le rééquilibre des énergies d’une personne par l’imposition des mains.
« Farang »
La Thaïlande est un pays magnifique, comme ses habitant.es, d’ailleurs. Elle se situe entre traditions et modernité. Il y a, d’un côté, l’ancienne génération, très attachée aux traditions ancestrales, et de l’autre la nouvelle, qui s’ouvre beaucoup plus au monde mais qui est fortement influencée par le soft power Occidental. La plupart des jeunes que j’ai rencontré·es rêvent des Etats-Unis ou de l’Europe et sont obsédé·es par le fait d’avoir la peau plus blanche, là-bas synonyme de beauté et de richesse. Comme certain·es blanc·hes veulent s’embellir par à un détour au soleil ou un séjour au solarium, certain·es thaïlandais·es s’enduisent de crème blanche(issante) sur le visage ou se couvrent le corps avec des pulls et des jeans, et ce même sous 40 degrés.
J’ai été vraiment frappé par cette fascination omniprésente pour l’Occident, qui nous mettaient, moi et les autres volontaires à la peau blanche, au centre de l’attention chaque fois que nous arrivions dans un nouvel endroit. J’ai d’ailleurs très vite arrêté de faire attention à tous les « farang » (terme thaï caractéristique de mon voyage, qui signifie « occidentaux·ales » et englobe toutes les personnes à la peau blanche) qui fusaient de tous côtés lorsque nous étions dans l’espace public. Bien qu’il soit compréhensible que certain·es locaux·ales n’aient pas souvent vu d’étranger·ères, puisque l’extrême-sud de la Thaïlande est assez peu touristique, je n’étais pas toujours très à l’aise avec ça : ce sentiment de n’être adulé pour rien d’autre que pour la couleur de sa peau pouvait s’avérer fort dérangeant. Une sorte de racisme inversé, finalement.
Quand on sait ce que des personnes blanches ont pu commettre, et commettent encore, dans certains pays aujourd’hui décolonisés, j’ai parfois du mal à adhérer à tout cet engouement. Bien que le pays soit l’un des rares à n’avoir jamais été colonisé (et c’est une fierté nationale !), c’est dans ce genre de moment que toute la tristesse du colonialisme blanc ressortait le plus pour moi. Ce genre de moments qui me rattachaient à un passé indissociable de mon présent, dans lequel je vis plus que confortablement, grâce à une exploitation à laquelle je n’ai jamais participé mais dont je profite quotidiennement, et qui se reflète dans tout ce qui m’entoure.
TÉMOIGNAGE 30 LE SCILOPHONE N°98
© Guillaume Collard
Ma Tak me manque…
Malgré une précarité financière, la plupart des gens que j’ai rencontrés étaient d’une richesse infinie. Ils étaient riches de bonheur, de simplicité, d’amour et de bienveillance. Après avoir passé 1 mois et demi dans ma hutte forestière, je suis allé 3 semaines sur une île (toujours au milieu de nulle part, mais cette fois un peu plus à l’ouest), où j’ai fait la rencontre de Ma Tak et de sa famille (« Ma » veut dire Maman en Thaï). Ma Tak est exactement comme je viens de le dire, d’une richesse infinie. Une personne comme on en rencontre peu dans sa vie.
C’est la coordinatrice d’un des projets de Dalaa et elle accueille, dans sa propre maison, des volontaires étranger·ères 365 jours par an, et ce depuis près de 10 ans. Elle sacrifie sa vie privée, dans le seul but de faire tourner l’économie de l’île grâce aux volontaires qui consomment localement, ce qui contribue, même très peu, à l’amélioration de la vie des habitant·es. Une sacrée claque, pour quelqu’un comme moi qui a bien besoin de son espace personnel. Bien qu’elle ne parle que 10 mots d’anglais à tout casser, son sourire et ses gestes suffisaient pour se faire comprendre.
Elle dégage quelque chose de tellement bienveillant que même à 10.000 km de ma maison, chez Ma Tak je me sentais chez moi. D’ailleurs, ce qui était censé n’être qu’une petite visite de projet pendant une semaine s’est littéralement transformé en un squat de près d’un mois, tellement l’ambiance et le lieu étaient incroyables. Pour moi qui cherchais du dépaysement, c’est vraiment ici, à Koh Sukkorn, que j’ai été le plus servi (c’est sûr que comparé à Bangkok, qui est aussi moderne que New York, le lieu semble faire partie d’un autre monde).
C’est une île d’à peine quelques centaines d’habitant·es, vivant presque en auto-suffisance grâce à la pêche et l’agriculture. Ces gens qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, n’ont eu accès à l’électricité que 5 ans plus tôt, semblent vivre sans se soucier du temps. Jamais pressés, ils vivent au rythme du soleil et des moments calmes de la mer.
C’est étrange comment des gens possédant peu semblent bien plus heureux que d’autres possédant tout. C’est étrange comme on s’entête à continuer à s’enfoncer dans cette spirale de la consommation excessive, qui finalement ne semble satisfaire pleinement personne. Au final, la solution ne serait-elle pas de se perdre dans la forêt ou sur une île isolée et d’y vivre pour le restant de ses jours ? Pour ma part, mon choix est fait ! D’ailleurs, si cet article vous a donné envie de rencontrer le « barbu allumé » ou la « petite maman souriante » (et plein d’autres gens tout aussi géniaux dont je n’ai pas eu l’occasion de parler, dédicace à P.A. et Joe), n’hésitez pas une seconde et foncez (et dites leur bonjour de ma part, évidemment) ! Ils vous le rendront en souvenirs inoubliables.
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 31
Guillaume Collard Volontaire au SCI
© Guillaume Collard
Au revoir Bruxelles, Bon dia Barcelona !
MON CES EN CATALOGNE
Bonjour à tous et à toutes, je suis JoachimEmmanuel, un des deux nouveaux CES (volontaires du Corps Européen de Solidarité) au sein de la branche du SCI Catalogne. Je suis arrivé ici en septembre, curieux de découvrir la vie d’un volontaire CES à Barcelone.
Som-hi !
TÉMOIGNAGE 32 LE SCILOPHONE N°98
© Joachim-Emmanuel Baudhuin
L’idée a germé petit à petit… Après 5 ans de travail comme assistant social, je voulais pouvoir prendre une pause et tenter l’expérience de vivre à l’étranger pour une longue période. En trainant sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé par hasard l’offre CES du SCI Catalogne. Parler anglais : check ! Parler espagnol : check ! Avoir un intérêt pour la justice globale et la migration : check ! J’ai donc complété ma candidature, traduit mon CV et j’ai reçu une proposition pour un entretien en ligne le 12 mai. Début du stress. Mettre sur pause un job de coordinateur et d’assistant social ce n’est pas si simple, sous-louer son appartement non plus. Au final, le 6 juin, la réponse est arrivée. J’étais pris ! Le grand départ étant pour le 29 septembre, stress-mètre à 1000, je suis monté dans l’avion avec mon vélo et ma valise, et en avant !
Bon dia !
Arriver en terrain connu est déjà plus rassurant, mais l’expérience de vivre à l’étranger fait toujours peur. Je suis arrivé à l’appartement du SCI Catalogne où j’ai rencontré ma colocataire et « collègue CES », Maria, originaire de Pologne. L’appartement est en plein centre de Barcelone dans une rue très animée et proche de tout. C’est comme vivre rue Antoine Dansaert à Bruxelles ! A peine le temps de prendre mes marques avec mon nouvel appartement que j’avais déjà une réunion de travail/rencontre le lendemain.
L’appartement est à seulement 20 min de marche des bureaux du SCI Catalogne, dans le quartier du Raval. Je me souviens encore de ma première sensation en marchant vers mon nouveau travail : « Je l’ai fait ! » 2. Recommencer à zéro dans un nouveau boulot, après deux ans de travail assez intense en actions et responsabilités, n’a pas été le plus facile pour moi… Ni pour ma nouvelle équipe. J’imaginais mon CES comme une bonne façon d’apprendre dans un autre environnement de travail, mais pas pour découvrir le monde du travail en tant que tel. J’ai donc rapidement voulu avoir des missions et des choses à faire. J’ai dû apprendre à m’adapter et à travailler avec plus de calme et de temps sur des projets à longterme, mais surtout à travailler en CATALAN.
Car oui, si l’idée te vient d’aller faire un CES à Barcelone pour apprendre l’espagnol d’Espagne (le castillan), tu fais fausse route ! À Barcelone, on n’est pas en Espagne, on est en Catalogne. Au niveau culturel, c’est très intéressant. En Belgique, on a souvent une vision très négative des nations indépendantistes alors qu’en Catalogne, cela fait partie de la vie de tous les jours. La culture catalane ne se résume pas à sa simple crème, même si la cuisine en est une bonne partie.
J’ai donc dû trouver un cours de catalan pour pouvoir communiquer avec mes collègues dans leur langue et pas simplement en castillan. Par chance, avec le français, le castillan et de bonnes notions d’italien, le catalan se comprend et s’apprend assez rapidement. En deux mois de cours, je suis déjà passé au niveau basique 3, l’équivalent d’un A2 européen. Si les langues t’intéressent, tu vas être passionné·e par le catalan, un parfait mélange de français, de castillan et d’italien, avec même des notes de wallon de temps à autres.
: « Rooted » de Restless Leg Syndrome.
TÉMOIGNAGE PRINTEMPS 2023 33
2 Pour avoir le son en tête, voilà la chanson que j’écoutais précisément en marchant vers le boulot
© Joachim-Emmanuel Baudhuin
Une ville citoyenne bouillonnante
Le premier mois m’a permis de découvrir la vraie Barcelone : pas celle des discothèques et des cartes postales, mais une ville avec des citoyens « de gauche » et une gestion politique « de droite ». Une ville avec un tissu social très fort et avec un réseau d’associations assez semblable à Bruxelles, une ville où le droit au logement est un vrai challenge, une ville très internationale, une ville qui souffre du tourisme de masse et qui est un berceau d’activisme et de politiques alternatives. Comme à Bruxelles, il y a souvent une manifestation au coin de la rue : pour le droit au logement, contre la spéculation, pour la régularisation des sanspapiers, contre la domination espagnole, pour l’indépendance, etc. Une ville très vivante !
Mon CES m’a permis de rencontrer des gens du monde entier, plus rapidement que toute ma vie réunie, que ce soit durant les projets de volontariat que l’on organise, lors des formations, des réunions de partenaires internationaux ou des « Youth exchanges ». J’ai pu découvrir énormément de nouvelles cultures et de nouveaux savoirs, en étant seulement parti à deux heures d’avion de Bruxelles. Les deux derniers mois m’ont permis d’avoir plus de travail : j’ai suivi des formations sur le droit des étrangers en Espagne pour compléter mes connaissances, j’ai donné un atelier sur les droits des personnes LGBTAIQ+ et la migration, j’ai assisté une collègue pour toute la gestion pratique d’une réunion internationale, j’ai donné des ateliers à des étudiant·es Erasmus et dans une université à propos de « l’Europe Forteresse » et du racisme, j’ai été préparateur et rapporteur d’un cycle de formations en Catalan sur le droit à la manifestation… Bref, j’ai à présent toujours quelque chose à faire et mon expérience CES est aussi pour moi un moment pour me centrer sur les sujets qui me portent et que je veux défendre, à savoir les droits sociaux et migratoires.
Ces trois premiers mois ont été riches en expériences de travail mais aussi personnelles. J’ai pu continuer à Jouer au Quadbal en faisant un transfert depuis mon équipe de Bruxelles, les « Brussels Qwaffles », vers les « Barcelone Eagles » ; je me suis fait des ami·es et, surtout, j’ai pu participer à la coupe de Catalogne. Bref, en trois mois, j’ai eu le temps de faire pas mal de choses et de préparer ceux d’après. J’ai donc déjà hâte de la suite !
Les recommandations de Joachim-Emmanuel
• Pour mieux comprendre les problèmes de logement à Barcelone : https://www.youtube. com/watch?v=68jCLHiZCJc&ab_ channel=ARTE
• Enteterres : Groupe locale du SCI Catalogne dont je fais partie, sur le droit à la migration en méditérannéehttps://entreterres.org/
• « Berta Soy yo » et « Samichay » : deux films que j’ai découvert pendant le festival indifest (Festival de films indigènes à Barcelone)
• Un site assez dingue sur la construction de murs comme frontières dans le monde : https://www.centredelas.org/ mapamundoamurallado/
TÉMOIGNAGE 34 LE SCILOPHONE N°98
Joachim-Emmanuel Baudhuin Volontaire au SCI
Les femmes aussi sont du voyage. L’émancipation par le départ
Lucie Azema, Flammarion, 2021
Cet essai est un magnifique encouragement pour prendre la route, à destination de celles à qui on a toujours dit que c’était dangereux pour les femmes. Si vous avez grandi en lisant un peu trop d’histoires sur des hommes voyageurs, ici vous rencontrerez des femmes badass, voyageuses, exploratrices et découvreuses, qui ont refusé l’assignation à la maison : Isabelle Eberhardt, Alexandra DavidNeel, Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbarch, Nellie Bly, Anita Conti pour ne citer qu’elles.
De plus, l’autrice nous propose un regard décolonial sur le voyage – le récit de voyage est souvent blanc et masculin, et les grands explorateurs étaient ceux qui ouvraient les voies de la colonisation. Cet ouvrage est notre guide à tous et toutes pour une autre façon de voyager et conter son voyage.
Sabina
La SCIlothèque
Guerilla green
Ophélie Damblé et Cooki Kalkair, Steinkis Editions, 2019
Connaissez-vous le principe de la guérilla jardinière ? C’est une forme de désobéissance civile tournée vers la végétalisation au sens large, pouvant prendre différentes formes. Ses armes : de la terre, des graines et des plantes ! Dans la BD « Guerilla green », Ophélie Damblé et Cookie Kalkair nous aident à décrypter plein de facettes de cette forme de lutte pour la biodiversité. On y découvrira pourquoi il n’y a pas de plantes comestibles dans les parcs publics, quels sont les côtés sombres des pelouses, où végétaliser en ville, ce que sont les bombes à graines et comment la verdure peut soigner notre corps et notre esprit. « Let’s plant some shit », on vous invite à la lecture et à l’action, le printemps est à nos portes !
Sabina
Des paillettes sur le compost. Ecoféminismes au quotidien
Myriam Bahaffou, le passager clandestin, 2022
Au SCI, on a déjà abordé l’écoféminisme sous certaines facettes dans le cadre des collectifs. Mais jamais comme le fait la géniale Myriam Bahaffou, passant au peigne fin plusieurs situations qu’on pourrait croire anodines, car quotidiennes, sous le prisme écoféministe, décolonial, antispéciste et queer. Chez elle, tout est politique, la spiritualité aussi, l’intime plus que tout. On ressort de sa lecture avec un million de nouvelles questions, plusieurs remises en cause de nos propres comportements, et surtout une envie de creuser encore plus ce que veut dire, concrètement, être écoféministe dans une société capitaliste au XXIe siècle. Ça tombe bien, chaque chapitre se clôt sur une liste de ressources, livres, podcasts à mettre « dans nos bagages » pour continuer à explorer ce vaste sujet.
Joëlle
PRINTEMPS 2023 35 SCILOTHÈQUE
Participeà nos prochainsévénements
Formation Développement et Interculturalité
Du 28 au 30 avril à Latinne
Un week-end pour se préparer au départ ou s’outiller par rapport à la rencontre interculturelle. Un week-end aussi pour s'interroger sur le concept de développement. Progrès, création de richesses, quête perpétuelle d'un mieux... autant de leitmotivs du modèle capitaliste. Mais avec quelles conséquences pour les économies, les populations et leurs traditions ? Et comment, dans un tel contexte, entrevoir l'échange interculturel et dépasser les incompréhensions ?
Cette formation est également organisée les week-ends du 30 juin au 2 juillet et du 24 au 26 novembre.
Deviens coordinateur·trice de projet
La saison des projets de volontariat 2023 est ouverte ! Nous recherchons des personnes prêtes à coordonner un groupe de volontaires internationaux·ales sur un projet en Belgique cet été. Pour te préparer, une formation à la coordination est prévue le weekend du 13 et 14 mai 2023 à Bruxelles (possibilité d’hébergement). Tu y découvriras des techniques d’animation et de gestion de groupe multiculturel, le tout dans un cadre convivial.
WWW.SCIBELGIUM.BE SCI-Projets internationaux @scibelgium
Plus d’infos chez Clémentine : clementine@scibelgium.be
Plus d’infos chez Sergio : sergio@scibelgium.be