ACTIVMAG Eté 2021

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/ MINH TRAN /

Si dans son atelier annécien, Minh Tran peint d’énormes cœurs débordants, des femmes aux bouches carmin intense des couleurs explosives qui réchauffent les âmes, c’est pour mieux rhabiller son monde. Mais comment peuton concentrer autant d’énergie positive dans un corps si petit ? PROPOS RECUEILLIS PAR LARA KETTERER PHOTOS : LARA KETTERER

I

l a 60 ans et s’habille en 14, termine la plupart de ses phrases dans un éclat de rire, le regard toujours malicieux. Né en pleine guerre du Vietnam, Minh Tran est le 7e d’une fratrie de 11 enfants animant la famille bourgeoise d’un architecte. Il en sera arraché à 18 ans par le régime communiste galvanisé d’un pouvoir fraîchement acquis par les armes. Envoyé en camp de travail, il ne doit sa survie qu’à quelques paquets de cigarettes, un bon tempérament et un projet d’évasion… “Ce n’était pas une prison, mais un camp de travail forcé. Les conditions étaient dures, le travail très physique et mes aptitudes physiques, euh… plutôt limitées (rires). Je suis tombé malade là-bas, et en 1979, je n’ai vu qu’une issue, m’enfuir. Un ami, qui venait livrer le camp en nourriture, m’a caché dans son camion, et c’est ainsi que j’ai pu m’évader, rejoindre la ville pour prendre le premier train pour Saïgon. De là, j’ai retrouvé l’un de mes frères et on a fui le pays comme boat people pour les Philippines. On a été conduits dans un camp de réfugiés”. Activmag : Tu passes d’un camp de travail à un camp de réfugiés, tu y as gagné au change ? Minh Tran : A peine. Au camp de réfugiés, c’est la loi du plus fort pour

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de rien

survivre. Et comme je n’avais pas vraiment la carrure pour intimider, mais que je parlais quelques mots d’anglais et de français, j’ai bossé pour la Croix de Malte, une sorte de Croix Rouge, pour accueillir les nouveaux réfugiés au camp. Du coup, on me respectait… J’y suis resté un peu plus d’un an avant que je sois envoyé à Montréal.

la seule option, quitte à patienter plus longtemps au camp pour obtenir cette destination.

Pourquoi Montréal ? J’avais le choix entre les Etats-Unis et le Canada. Mais je n’aime pas les Américains… La guerre du Vietnam a laissé des traces. Alors le Canada était

Du Vietnam, de tes parents, tu as gardé quelles valeurs ? Les communistes m’ont inculqué celle du partage. Dans nos écoles privées, on était plutôt refermés sur nous. On

Tu as retrouvé tes parents depuis ? Non, je ne les ai jamais plus revus. Il m’était impossible de retourner au pays de leur vivant. J’étais un déserteur, un sans patrie.


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