| HOMMAGE
Hommage à Flory Jagoda
1. Ankica Petrovic et Mischa Livingstone The Key From Spain : The Songs and Stories of Flory Jagoda (2002).
La Nona mos desho la buena vida. Flory Jagoda s’est éteinte le 29 janvier 2021 à l’âge de 97 ans dans la ville américaine d’Alexandria (Virginie). Née Flora Papo le 21 décembre 1923 à Sarajevo, elle était l’une des plus célèbres interprètes et compositrices de chants judéo-espagnols. Flory Jagoda était issue d’une famille sépharade de Bosnie. Après sa naissance, sa mère Roza Altarac quitta son mari et retourna vivre auprès des siens dans la petite ville de Vlasenica. Elle se remaria plus tard avec Michael Kabilio et ils s’établirent à Zagreb où son mari possédait un atelier de fabrication de cravates. Après l’invasion par les nazis du royaume de Yougoslavie en avril 1941, son beau-père plaça Flory sous une fausse identité à bord d’un train en partance pour Split. La ville de Split était alors en zone d’occupation italienne à l’abri des déportations. Durant tout le trajet, Flory chanta et joua de l’accordéon avec les passagers ce qui, expliqua-telle bien après, lui évita d’être contrôlée. Ses parents la rejoignirent à Split quelques jours plus tard. Les Juifs furent ensuite transférés par les Italiens sur des îles de la côte dalmate. Flory et ses parents vécurent jusqu’à l’automne 1943 sur l’île de Korčula. À la capitulation italienne, les Juifs internés purent fuir sur des bateaux de pêcheurs jusqu’à Bari qui venait d’être libérée par les Alliés. En Italie, elle fit la connaissance d’un soldat américain, Harry Jagoda. Après leur mariage, ils s’établirent à Youngstown en Ohio puis en Virginie. Ils eurent ensemble quatre enfants. Tous les membres de sa famille restés à Vlasenica ont été exterminés durant la Seconde Guerre mondiale. Tout en s’investissant dans la pratique et l’enseignement de la musique, Flory Jagoda
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s’abstint longtemps de chanter les chants sépharades de son enfance. Sa mère ne supportait pas d’entendre ce qui lui rappelait le sort tragique de sa communauté. Ce n’est qu’au décès de ses parents dans les années 1970 qu’elle s’investit pleinement dans la transmission du répertoire judéo-espagnol, élevant un monument musical à la mémoire de sa grand-mère, la nona, dont le chant avait bercé son enfance. Elle se consacra d’abord à l’interprétation du répertoire dans les albums Kantikas di mi Nona (1989) et Memories of Sarajevo (1989). Devenue à son tour grand-mère, elle décida d’écrire ses propres compositions pour ses petits-enfants. C’est ainsi que naquit l’album La Nona kanta (1992). Son dernier album Arvoliko (2005) évoque l’arbre signalant l’emplacement de la fosse où furent jetés les corps de 42 membres de sa famille. L’une des compositions de Flory Jagoda, Ocho Kandelikas devint non seulement un classique du chant sépharade, mais un succès international repris par de multiples interprètes bien au-delà du monde juif. La version arrangée par Pink Martini en 2010 pour l’album Joy to the World contribua largement à sa popularité. Flory Jagoda a reçu de nombreux prix pour son œuvre. Un film documentaire réalisé par Ankica Petrovic lui a été consacré 1. Plus important sans doute à ses yeux, son œuvre de transmission a essaimé permettant à de jeunes interprètes d’investir ce répertoire polymorphe. De nombreux artistes ont témoigné de sa générosité et de sa disponibilité. Nous reproduisons ci-après l’hommage de Jon Lohman qui de 2001 à 2020 dirigea le programme de formation aux musiques traditionnelles de Virginie et qui à ce titre fut un proche de Flory Jagoda.