À LA UNE : UTOPIES
UTOPIES DE LA MARGE : OÙ VONT NOS ESPOIRS ? LAURENCE ME YER Cet article présente quelques propositions artistiques utopiques crées par des personnes ou des collectifs issus de groupes minoritaires ou minorisés.
L
es dystopies blanches sont souvent des reproductions de réalités subies par les marges, le plus souvent nos corps noirs. Je pense à The Handmaid’s Tale qui n’est qu’une réplique de ce que les femmes noires esclaves subissaient. Cette longue histoire continuée aujourd’hui encore, faite de fascination morbide portée à nos cons et ventres. Le roman de Margaret Atwood réussissant cependant l’exploit de ne mettre en scène que des femmes blanches. Fahrenheit 451 : qui donc n’avait pas le droit de lire ? Le prémice de la série The Leftovers, qui est celui de disparitions inexpliquées venant fracasser l’organisation sociale préexistante, n’évoque-til pas l’arrachement que raconte Léonora Miano dans La saison de l’ombre ? Les dystopies blanches sont le miroir de ce que la blanchité a produit et continue de produire pour se forger et persister à exister. Car quelque part est connu le prix de cette innocence, et ce savoir – même confus – ne peut que hanter. J’écris du/en confinement. Les marges sont les personnes qui meurent. En Seine-Saint-Denis, il y a la faim, les images de queue, les visages des soignant·e·s, du personnel de sécurité, des caissières, mort·e·s
Illustration : Zohra Khaldoun
du Covid-19. Il y a aussi la surmortalité et les violences de la police : deux fois plus de contrôles que dans le reste de la France, trois fois plus de contraventions, des coups et des morts. Les maisons d’arrêt sont toujours en surpopulation, les travailleurs et travailleuses du sexe sont exclu·e·s des fonds de soutien du gouvernement. Les personnes désignées comme irrégulières cumulent, notamment la perte du revenu issu de l’économie informelle, avec le risque supplémentaire d’être enfermées en centre de rétention administrative, refoulées vers l’Italie, parfois expulsées par charter. Les tribunes d’hommes blancs hétéros pullulent, nous parlant de ce que sera le jour d’après, avec la conviction que sans eux et leur imagination verrouillée, rien ne sera possible Et justement parce que beaucoup d’entre nous meurent et qu’ils parlent et dissertent sur nos corps, le désespoir n’est pas une option. « Parce que les sociétés s’instituent d’abord par l’imaginaire1 » comme l’écrit Felwine Sarr. Fania Noël disait, lors d’une discussion publique début mars : « Ça ne peut pas être la fin du monde, on a déjà vécu la fin du monde mille fois, pour nous c’est maintenant que ça commence2 » ou quelque chose comme ça. Ma mère dit des choses similaires : « On a
1 Felwine Sarr, Afrotopia , éditions Philippe Rey, 2016, p. 10. 2 À l’occasion de la rencontre Nwar Atlantique sur laquelle revient Dawud Bumaye dans son article, p XX.
12
AssiégéEs • septembre 2020