À LA UNE : UTOPIES
D R A G E R E R T O N R E IS N O L O C DÉ E T N O S IM A G IN A IR E S FEDRA GUTIÉRREZ S E S N A D S E L R SU Une réflexion sur le discours et les pratiques du mouvement
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La lutte pour la décolonisation est toujours une lutte pour l’abolition du point de vue du colonisateur et, par conséquent, constitue une lutte pour la fin du monde – la fin d’un monde. La fin du monde tel que nous le connaissons. Tel qu’il nous fut enseigné – un mode dévasté par la destruction créatrice du capitalisme, organisé par la suprématie blanche, normalisé par la cisgenrité comme idéal régulateur, reproduit par l’hétéronormativité, gouverné par l’idéal machiste bâillonnant les femmes et le féminin et actualisé par la colonialité du pouvoir, monde de raison dominatrice, de répartition inégale de la violence, du génocide systématique des peuples racialisés, pauvres, indigènes, trans, et tant d’autres. Jota Mombaça1
ous, qui militons pour la décolonialité aussi bien dans nos actions que dans nos réflexions, nous savons qu’il n’y a pas de négociation possible avec ce monde tel qu’il nous a été imposé. Nous ne laisserons aucun répit à ce monde colonial, où certaines vies semblent valoir plus que d’autres. Ce monde, essentiellement hiérarchique, nous le détruirons comme le souligne notre auteure, « son apocalypse, semble être à ce stade l’unique exigence politique raisonnable2 ». Nous ne voulons plus d’États, nous ne voulons plus d’institutions qui nous surveillent pour nous empêcher de sortir de la norme blanche et hétéromachiste, nous ne voulons plus des tentatives qui visent à nous détruire ainsi que nos épistémologies ancestrales. Nous savons en revanche que le monde que nous désirons n’existe pas encore. Il est de notre responsabilité de l’imaginer : Quel(s) monde(s) voulons-nous construire ? Comment décoloniser notre inconscient et notre imaginaire des récits occidentaux
Au sein du nouveau monde que nous imaginons, nos corps, leurs vécus, leurs sueurs, leurs cris, leurs gémissements, leurs idolâtries, leurs désirs et leurs gestes seront compris en tant qu’ils sont capables de produire la pensée et l’action politique. pour éviter de projeter les ruines de ce monde décadent sur celui à venir ? J’aimerais partager dans ce texte certaines réflexions et interrogations sur la façon dont on pourrait aborder la question de(s) danse(s) et des corps dans ce nouveau monde, en puisant dans mon expérience d’artiviste et de chercheuse en danse. Comment décoloniser les espaces de formation, production et diffusion de la danse, et les discours sur son histoire ? Il faut d’abord garder à l’esprit que la perspective décoloniale ne cherche pas à constituer une réponse unique et définitive à faire émerger. Elle ne cherche pas à construire un nouveau monde pour le substituer à un autre, elle est ouverte aux multiples mondes et peut les faire coexister, pour reprendre une idée du mouvement autonome zapatiste. La décolonialité s’oppose à toute prétention d’universalité, sur laquelle se fonde la violence totalitaire de l’eurocentrisme épistémologique. En m’inscrivant dans cette perspective, ma réflexion cherche plutôt à faire émerger des questions plutôt qu’à proposer des réponses définitives. Cette réflexion s’inscrit dans un processus de construction collective d’une alternative à
1 « ¡Rumbo a una redistribución de la violencia desobediente de género y anticolonial ! », in Devuélvannos el oro. Cosmovisiones perversas y acciones anticoloniales, Madrid, FRAGMA, 2018, p. 188. Jota Mombaça est une artiste de performance et écrivaine brésilienne non-binaire. 2 Ibid.
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AssiégéEs • septembre 2020