ENTRE NO(U)S AUTRES
RACISÉ.E.S À L'UNIVERSITÉ : PERSPECTIVES ÉTUDIANTES Dés/illusion(s) de l'acceptation
NDLR : Cette contribution d’étudiant·e·s racisé·e·s en études de genre et de sexualité croise les expériences de Dagem, Tam et Anticorpsmembranaire.
J
’ai durant mes études, fréquenté des milieux universitaires dits « élitistes » et d’autres qui se revendiquent comme héritiers de l’« esprit 68 ». Paradoxalement, j’ai ressenti plus de violences dans ces espaces critiques. Dans les milieux élitistes, tu sais à quoi t’attendre. « Tu fais avec », comme tu l’as toujours fait. Mais dans les milieux universitaires dits « gaucho », il y a l’illusion d’être dans un espace safe, là où en réalité la violence est simplement niée, même si nous la repérons chez les autres. Leur ancrage prétendument critique n’est que de la poudre aux yeux car en réalité, le système reste le même. Il est juste soigneusement maquillé. Bien poudré. En définitive, beaucoup de théorie mais très peu de pratique.
PAR DAGEM
Nos expériences niées J’ai suivi plusieurs cycles d’études, notamment sur le genre. Cette expérience fut formatrice tant sur le fond que sur la forme. Et sur la forme, j’entends par là l’expérimentation de l’hypocrisie du milieu universitaire. J’ai très rapidement réalisé que nous étions leur « caution racisée ». Nous sommes « les bon·ne·s racisé·e·s » qu’il fait bon de montrer pour pouvoir continuer de prétendre être une faculté « de gauche ». Je ne suis pas raciste, regardez mon voisin est arabe ! Visibles certes, mais pas audibles. Je me souviens notamment d’un cours en particulier. La professeure faisait défiler une série de publicités et d’extraits de films sexistes. Lorsque nous, étudiant·e·s racisé·e·s, soulignions également le caractère raciste de certains passages, nos interventions étaient reçues par un désintérêt absolu de la part de la professeure. Notre présence était niée et nos retours malvenus. Nous n’étions pas entendu·e·s. Ces « interruptions » dérangeaient le bon déroulé du cours, car évidemment, parler de racisme demeure un sujet malaisant dans la sphère universitaire. Puisse-telle être une université prétendument de gauche.
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AssiégéEs • septembre 2020
Devenir sujet·te·s Une suspicion de subjectivisme plane toujours autour des étudiant·e·s racisé·e·s. L’université ne nous accorde jamais la neutralité. Dans son esprit, nous portons en nous l’histoire du pays de nos ancêtres. Elle est marquée sur nos fronts. Nos écrits ne peuvent être dictés que par des « émotions », une « certaine sensibilité ». La capacité d’adopter une distance critique et de produire des réflexions scientifiques nous est refusée. Nous sommes réduit·e·s à un outil marketing car s’afficher avec des racisé·e·s est devenu mainstream. Allié·e is the new cool. Lorsque nous nous mettons en mouvement pour sortir de cette réification et devenir sujet·te·s, nous sentons les visages se crisper. Nos recherches et sujets de réflexion sont remis en question. Sous entendu : il faut savoir rester à sa place. Ces violences ne sont pas sans conséquences. Elles produisent des croyances limitantes contre lesquelles nous devons continuellement lutter. Elles écorchent l’estime de soi et nous amènent, inconsciemment ou consciemment, à des comportements d’auto-sabotage. Il nous faut nous rappeler que l’ennemi n’est pas en nous. Nous questionnons constamment notre propre légitimité et crédibilité. Et elleux, le font-iels ? Préserver l’entre-soi Celleux qui avaient auparavant le monopole de la parole publique ont vu leurs privilèges menacés par une flopée d’étudiant·e·s et de chercheuses et chercheurs concerné·e·s par le racisme, qui se sont octroyé·e·s le droit de travailler sur leurs propres récits. Les mêmes qui pendant des décennies se sont gavé·e·s en s’accaparant nos histoires ont dû réagir. Et par réagir, j’entends par là offrir « l’illusion ». L’illusion que
En définitive, les étudiant·e·s, chercheuses et chercheurs racisé·e·s sont cantonné·e·s à la vitrine du magasin. L’accès aux rayons leur est refusé.