40 TÊTE-À-TÊTE(S) ENTRETIEN
«ÊTRE UNE CHANTEUSE CONNUE NE ME PROTÈGE PAS CONTRE LE SEXISME»
ANGÈLE
Après le méga succès de Brol, Angèle livre Nonante-cinq, son deuxième album au titre très belge lui aussi. Une merveilleuse occasion d’échanger avec elle sur notre époque, ses chansons et les combats féministes encore à mener.
Par Joëlle Lehrer
En 1995, l’année de sa naissance, Céline Dion cartonnait avec Pour que tu m’aimes encore, Coolio avec Gangsta Paradise et U2 sortait Miss Sarajevo. Autant de titres qui, comme Angèle le remarque, sont devenus intemporels. La magie serait-elle de créer la chanson défiant le temps ? « Au moment où l’on crée, on ne peut pas savoir si la chanson sera intemporelle. Elle le devient par la suite. La création d’une chanson est toujours marquée dans le temps », assure-t-elle, de cette chambre d’hôtel parisien où elle a élu domicile pour quelques jours. Car, bien sûr, Angèle reste Bruxelloise. Nonante-cinq est un album de cette époque-ci. Il reflète parfaitement les moments que l’on a vécus, avec la pandémie et le confinement…
Il est complètement à l’image de tout ce qu’on a vécu et de toutes les questions que l’on peut se poser. Évidemment, il passe par le regard de quelqu’un qui a 25 ans. Bientôt 26. Mais je pense que ces questions, on peut se les poser à tout âge. Et peut-être me les poserai-je encore dans quelques années… On trouve beaucoup de mélancolie dans ces nouveaux morceaux. Où la puisez-vous ?
Ce qui m’inspire, c’est ma vie, ce qui paraît un peu simple. Je ne cherche pas à écrire des chansons. Je ne me suis pas dit : « Je dois faire un deuxième album, qu’est-ce que je vais écrire ? » Lorsqu’il m’arrive des choses, positives ou négatives, j’ai toujours besoin de l’exprimer. Enfant, je tenais un journal intime. Et puis, j’ai appris le piano. J’ai compris, alors, que je pouvais faire les deux en même temps, écrire et composer. C’est
ce que je fais encore aujourd’hui. La mélancolie, qui apparaît sur cet album, est très présente dans ma vie. Cependant, l’humour et l’autodérision, propres à vous ainsi qu’à votre famille, participaient à votre image dès le début, il y a quatre ans, de votre carrière.
En fait, je crois que cela va de pair avec la tristesse et la mélancolie. Lorsqu’on a de l’humour, c’est que l’on fuit quelque chose. L’humour est une arme géniale mais cela reste un moyen de se défendre du monde extérieur qui peut être violent, dur, triste. Et c’est la même chose pour la musique. Quand on choisit le métier de chanteuse, autrice-compositrice ou d’être sur le devant de la scène comme humoriste, cela ne veut pas forcément dire qu’on n’est que là-dedans. C’est mon métier, une façon de m’évader. C’est merveilleux parce que cela me plaît. J’aime produire des images positives et joyeuses mais cela ne signifie pas pour autant que dans la réalité, je le suis tout le temps à 100%. Je suis, en effet, plus attirée par ce qui est positif et joyeux mais j’ai un tas de démons en moi. Et ces démons nourrissent ma vie aussi. Des démons auxquels vous consacrez une chanson en duo avec Damso.
Damso est un artiste qui me suit depuis le début. Soit en 2017, avant même que La Loi de Murphy ne sorte. Il m’avait contactée suite à ma reprise de Bruxelles, ma belle, de Dick Annegarn que j’avais postée sur YouTube. De fil en aiguille, je me suis retrouvée à assurer ses premières parties. Mais à un moment où je n’étais pas prête. Et j’ai été obligée d’être préparée parce que les premières parties de
concerts, c’est difficile et ingrat. Je devais, tout à coup, me prouver plein de choses et notamment que j’étais capable de faire le job même si ma musique est très différente de celle de Damso. Puis, nous sommes devenus amis et il m’a appelée pour chanter avec lui sur Silence. Et quand je me trouvais aux studios ICP, pour enregistrer cet album-ci, il m’apparaissait évident qu’il devait chanter ce morceau avec moi. N’est-ce pas une association étrange entre lui qui n’est pas très aimé des féministes et vous qui assumez votre féminisme ?
Ce n’est pas vraiment une généralité de dire que Damso n’est pas très aimé des féministes. Et ce qui me paraît intéressant depuis toujours, c’est que nous sommes issus de milieux familiaux et artistiques très différents. Je me posais déjà des questions sur le féminisme en 2017 et je trouvais qu’il n’y avait pas de positionnement plus fort que d’assurer ses premières parties afin justement d’apporter un message féministe dans un lieu qui, a priori, ne l’était pas. J’ai découvert, dans son équipe, à quel point ils étaient encourageants et protecteurs. J’ai trouvé que Damso avait tout d’un gentleman. Dans Balance ton quoi, je dis que les rappeurs parlent mal des femmes. Cela ne l’a pas empêché de rester ami avec moi. On ne peut pas blâmer un style musical. Je pense que le sexisme est omniprésent dans la société. Êtes-vous confrontée au sexisme dans votre métier ?
Je réalise constamment que je suis confrontée à une forme de sexisme. Tant que le patriarcat sera aussi présent dans la société,