Racines #03

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Automne/Hiver 2021–22 Le magazine réservé aux membres de Ventealapropriete.com

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édito

Petites gorgées

Grands formats

4 Millésime 2021. Des raisons de se réjouir

18 Le nec plus ultra de Rully. Le Domaine Dureuil-Janthial

8 Insolit(r)es. Bouteilles de tous les records

26 Rendez-vous champenois avec Perrier-Jouët

9 Œnophilie. Culture et vin

30 Whisky 100% français. Bellevoye

10 VIP+. Rencontre avec François Berléand

36 Pépite. Le Domaine du Petit Bondieu

12 Data. Les exportations de champagne

Dégustation

14 News. Cuvées et services exclusifs de Ventealapropriete

40 Un verre avec… Stéphanie Le Quellec 44 Mets-Vins. Le grand jeu 50 Champagne. 10 conseils de dégustation 51 Ailleurs. La distillerie Kurayoshi 52 Escapade en Alsace 56 Accords. Le citron en 3 versions 57 Carte sur table. Sélection de restaurants

Photo : Dorian Prost

58 Dernière gorgée. Carafer ou décanter ?

L’ANNÉE 2021 FUT ÉPROUVANTE pour le vignoble hexagonal où gel, grêle et mildiou se sont succédé, le tout sur fond de (re)confinement. Magie des jours heureux ou difficultés des moments sombres… Le vin précieux s’élabore toujours selon le triptyque terroir-vigneron-millésime. En 2021, selon les lieux, il aura fallu compter tantôtsur la main du vigneron, tantôt sur une résistance accrue des terroirs. Or le terrain ne ment pas et ce que nous constatons, c’est que la vie gagne toujours. Malgré les caprices météorologiques, les catastrophes ne sont pas forcément celles que décrivent les cassandres. La récolte sera certes faible à peu près partout et, par endroits, la qualité sera difficile à obtenir, mais les réussites sont nombreuses. Nous, Ventealapropriete, tenons à mettre en avant les vignerons qui auront redoublé d’efforts pour proposer des vins de haute tenue, parfois au détriment de la rentabilité. Notre regard bienveillant se porte aussi bien sur le « génie producteur » des vignerons que sur les aspirations du consommateur… Deux continents qui ne se connaissent pas et dont nous sommes la liaison. Dans ce contexte, nous avons décidé de vous faire partager la vie et l’avis de nombreux vignerons afin de définir les contours de ce futur millésime. Nous cherchons à dresser par touches successives une fresque où hommes et femmes jouent le premier rôle, avec des traits communs : pragmatisme, volonté, intransigeance et sincérité. À quelques semaines des fêtes de fin d’année, nous souhaitons accompagner aussi la joyeuse perspective de grandes réunions familiales et amicales, avec des recettes à partager, des accords en formats XL bâtis avec une sélection de magnums. Ce désir de renouer pleinement avec l’esprit festif s’associe à merveille avec un vin lumineux et éclatant, le champagne, dont nous explorons différentes facettes au fil des pages. Y a-t-il d’ailleurs meilleur choix, pour clôturer 2021, que de se laisser voguer, grâce à quelques bulles de joie, de poésie et de rêve, vers l’année prochaine ? Alaric de Portal Directeur de Ventealapropriete

Le magazine Racines est réservé aux membres de Ventealapropriete.com, 200, boulevard de la Résistance, 71000 Mâcon. Directeur de la publication : Alaric de Portal. Conception et réalisation : Les Digitalistes, 9, rue Emilio-Castelar, 75012 Paris, lesdigitalistes.com. Coordination éditoriale : Julien Despinasse. Conseillère de la rédaction : Véronique Raisin. Direction artistique : James Eric Jones. Rédaction : Léo Bourdin, Boris Coridian, Anne-Charlotte De Langhe, Joël Lacroix, Stéphane Méjanès, Matthieu Perotin, Véronique Raisin, Olivier Reneau. Photos : Mickaël A. Bandassak, Anaïs Barelli, Romain Guittet, Édouard Jacquinet, Caspar Miskin, Dorian Prost, Stéphane Remael. Illustrations : Julie Guillem. Photo de couverture : Mickaël A.Bandassak. Secrétaire de rédaction : Muriel Foenkinos. Impression : Imprimerie Léonce Deprez. Nous écrire : mag@ventealapropriete.com. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. Racines

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Section—Rubrique

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01.Pierre-Jean Villa et sa parcelle Les Rivoires (en haut) 02. Sandrine Garbay

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—Actualité

De grands espoirs malgré une petite récolte

Photos : Gérard Uféras ; DR

Faibles volumes, mais beaucoup de raisons de se réjouir. 2021 sera bien ce que l’on appelle un « millésime de vignerons ». Les équipes de Ventealapropriete ont d’ores et déjà sécurisé leurs positions chez les meilleurs d’entre eux. POINT DE VICTOIRE sans combat. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce millésime 2021 aura fait battre le cœur de tous ceux qui l’ont porté. Vignerons, acheteurs, amateurs l’auront attendu fiévreusement, guettant le ciel et ses oracles. Les équipes de Ventealapropriete étaient plus que jamais présentes sur le terrain pour suivre son évolution, soutenir ses vignerons partenaires et prendre position (cf. encadré page suivante). Au final, quelle délivrance ! Car une fois les premiers jus écoulés et les nectars à l’abri des caves, le résultat est là : une récolte certes petite, mais qualitative, qui a su réserver d’heureuses surprises dans toutes les régions. Les choses n’avaient pas si bien commencé, rappelez-vous. À l’automne 2020, les feuilles jaunissent, la France se reconfine. Le printemps qui suit n’est pas plus réjouissant et c’est du côté du ciel que tous les regards se tournent. Gel, grêle, pluie… Toutes les régions sont touchées, avec de grandes disparités selon les territoires. Les mauvaises conditions météorologiques auront ainsi privé les viticulteurs français d’un tiers de leur récolte. Selon les dernières estimations du ministère de l’Agriculture, en octobre dernier, la production viticole s’établirait à près de 34 millions d’hectolitres, soit un niveau inférieur de 27 % au millésime 2020 et de 22 % à la moyenne des cinq dernières années ; 2021 est la récolte la plus faible depuis l’aprèsguerre, inférieure même à celles de 1991 et 2017, concernées elles aussi par un gel sévère au printemps.

Une fois les vendanges venues, il a fallu ramasser le peu qui restait selon les secteurs et trier, encore et toujours. Jean-Charles Fournet, du Château Le Devay, n’a fait que cela : « Black-rot, mildiou… On a tout eu. On a retrié 20 % de la récolte sur nos vins de négoce. Mais aujourd’hui, on est contents du résultat ! »

Corps-à-corps avec les éléments Ce qui a pu être sauvé donne en effet de solides raisons d’espérer. Pierre-Jean Villa, vigneron à Condrieu et en Côte-Rôtie, est confiant, même si cette année compliquée, avec peu de raisins, sera difficile à gérer. « Heureusement, tous mes saint-joseph sont là, l’appellation a été plutôt épargnée. Sur les secteurs qui n’ont pas été touchés par le mildiou, les volumes sont au rendez-vous. D’une façon générale, ce sont surtout les secteurs frais, en bas de coteaux, qui ont été les plus été atteints. » Sandrine Garbay, maître de chai du Château d’Yquem, est elle aussi très confiante. « Nous avons eu du gel sur 20 % du vignoble et de la grêle, mais le plus dur a été de gérer la très forte pression du mildiou et du black-rot. Cependant on a des acidités hors norme, c’est très bon pour les blancs et le botrytis se développe bien. C’est prometteur. » Elle pointe tout de même l’évolution du climat. « Depuis 1896, date des premiers relevés météo sur la propriété, Yquem a connu des années humides ; parmi les 10 printemps les plus pluvieux de cette longue période, il y a ces quatre dernières années ! C’est une série très compliquée pour Bordeaux. » Stéphane Sérol, vigneron au domaine du même nom, en Côte Roannaise, qui cultive 35 hectares en biodynamie, fait le

même constat. « Début avril, ça a gelé comme jamais alors que notre secteur n’est pas touché habituellement. Les vignes situées à plus de 500 mètres d’altitude ont perdu beaucoup de raisins. Il a fallu énormément travailler, redoubler d’efforts, lutter contre le mildiou. Ce fut une grosse bataille. » Point positif : tous constatent la reprise du commerce et la bonne dynamique économique. « Nous sommes sous l’étendard de la Loire volcanique, avec des vins sur le fruit, frais et aériens, qui plaisent énormément. En termes commercial, on est plutôt bien lotis », se console t-il.

Reprise du commerce et résilience C’est aussi le cas d’Alphonse Mellot, vigneron à Sancerre avec 77 hectares cultivés en biodynamie. « C’est de la folie ! La reprise est réelle depuis le début de l’année, mais bientôt, je n’aurai plus de vin à vendre, il va falloir gérer la pénurie, c’est un peu frustrant. » Si les volumes s’annoncent restreints, la qualité sera bel et bien au rendez-vous : « On a de beaux équilibres classiques, de la tension et de la fraîcheur, c’est tout ce que j’aime ! » se réjouit Alphonse Mellot. Même analyse pour Albéric Bichot, directeur de l’importante maison bourguignonne Albert Bichot. « Il n’y aura pas beaucoup de vin, on va devoir rationner, mais je suis confiant sur la qualité, notamment celle des blancs ; les rouges seront de bonne chair, tendres et tendus, avec un beau fruit. » Seule crainte, la pression sur les prix, surtout pour des appellations comme Chablis, où la récolte frôle le zéro pointé, avec des rendements de l’ordre de Racines

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VÉRONIQUE RAISIN /

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Ventealapropriete, soutien et vigie du vignoble AVEC CE MILLÉSIME hors norme, les enjeux commerciaux sont très forts. Ventealapropriete, comme chaque année, s’est tenu aux côtés de ses vignerons partenaires pour les soutenir, d’abord, évaluer la qualité, ensuite, et au final, vous réserver les meilleures allocations. C’est là tout le travail de nos équipes : vous proposer les meilleures pépites et légendes du vignoble, aux meilleurs prix, quels que soient les aléas climatiques ou les difficultés. Cela peut sembler périlleux, voire impossible, mais c’est une expertise de longue haleine, acquise au travers des contacts noués avec chaque propriétaire et amorcée depuis plus de 15 ans, qui nous permet de réaliser cet exploit.

« Ventealapropriete est en vigie permanente », explique Alaric de Portal, son Directeur. « Nous sommes aux côtés des vignerons tout au long de l’année. Une grande partie de nos ventes sont organisées dès la naissance du millésime. Sur une année difficile comme celle que nous venons de traverser, notre premier réflexe a consisté à sécuriser les volumes réservés sur les millésimes précédents, notamment sur nos cuvées co-signées (réalisées en exclusivité avec un vigneron). Pour bon nombre de producteurs, la question de la rentabilité est oubliée : il faudra sauver les meubles. En tant que sélectionneur et acheteur, nous mettons un point d'honneur, plus que de coutume, à soutenir et à

En haut : Stéphane et Carine Sérol. Ci-contre : Albéric Bichot (en haut); Alphonse Mellot

mettre en avant les productions valeureuses. » Benjamin Bounoure, acheteur, a anticipé ce millésime comme tous les autres. « Nous avons passé ces derniers mois sur les routes, à la rencontre de nos vignerons, pour comprendre leurs contraintes volumétriques et constater par nous-mêmes les dégâts sur les vignes. C’est d’ailleurs un geste qui a été largement apprécié et salué, et nos relations en ressortent plus soudées que jamais ! ». Forts des liens noués et très satisfaits des premiers jus goûtés à l’automne, nous pouvons d’ores et déjà vous assurer qu’il y aura bien du 2021 à la vente… et que vous le savourerez d’autant plus !

Photos : Pierre Mérat ; Stéphane Remael ; Evelyne Devaux ; DR

10 hl/ha. Le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) annonce le plus petit millésime que la région ait jamais faite, avec globalement entre 30 % et 50 % de pertes, mais 70 % à 80% pour les blancs de la Côte de Beaune et 50 % dans le Chablisien et le Mâconnais. « Ce sera une récolte éclair, poursuit Albéric Bichot. La fenêtre de tir est très étroite, mais nous gardons espoir, d’autant que nos vignes en bio – 70 hectares sur les 105 de la propriété – sont celles qui ont le mieux résisté. » Lionel Osmin salue de son côté l’engagement de ses équipes et l’issue heureuse de la récolte. Ce négociant ultra dynamique du Sud-Ouest, à la tête de plus de 250 hectares, a tenu la barre dans la tempête. « Il a fallu rester soudés, se projeter. Les conditions climatiques ont représenté un vrai défi, mais tout cela est maintenant derrière nous ; cela prouve bien, une fois encore, que c’est face à l’adversité, à des situations inédites, que l’on trouve des solutions et que l’on parvient à être meilleur. »


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Insolit(r)es—

Flacons fous

Voici un florilège de bouteilles uniques dans leur genre, déraisonnables parfois. D’aucuns diraient qu’elles poussent le bouchon… LES FÊTES étant souvent synonymes d’excès, elles sont l’occasion parfaite de mettre en lumière ces cinq débordements. Stratosphérique !

En 1985, le spationaute Patrick Baudry partait dans l’espace avec une demi-bouteille de Château Lynch-Bages. Trente-cinq ans plus tard, ce ne sont pas moins de 12 bouteilles de Petrus 2000 qui ont été envoyées vers la Station spatiale internationale pour un séjour de 14 mois en orbite. La célèbre maison de vente aux enchères Christie’s annonçait, en mai dernier, la mise en vente d’un lot comprenant, dans un luxueux coffret, l’une de ces bouteilles revenues de l’espace, une autre du même millésime, mais « terrienne » cette fois, et un tire-bouchon sculpté à partir – accrochez-vous bien – d’une météorite ! Estimé à près de 830 000 euros, il s’agira d’un record mondial si le lot s’envole à ce prix. L’Arbois est d’or

Une bouteille de vin jaune du Jura datant de 1774, année où Louis XVI accède au trône de France, a été adjugée 103 700 euros lors d’une vente aux enchères à Lons-le-Saunier, en 2018. Deux autres flacons du même millésime avaient déjà dépassé les 70 000 euros. Les trois bouteilles de vin, qui pourraient être 8—

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les plus vieilles en circulation, contiennent du vin jaune produit il y a plus de deux siècles par le vigneron arboisien Anatoile Vercel (1725-1786). Les flacons avaient été conservés par ses descendants dans une cave d’Arbois, capitale des vins du Jura. Un doublé signé Romanée-Conti

Octobre 2018, New York : deux bouteilles du mythique cru bourguignon battent le record jusqu’ici détenu par un Château Lafite Rothschild de 1869, adjugé un peu plus de 200 000 euros. La première, millésime 1945, part à 482 000 euros lors de cette vente organisée par la maison Sotheby’s. Quelques minutes plus tard, une autre bouteille, du même millésime est adjugée 428 000 euros, établissant le deuxième prix le plus élevé aux enchères pour du vin. Les lots provenaient tous de la collection personnelle de Robert Drouhin, qui dirigea, de 1957 à 2003, la maison Joseph Drouhin, l’une des plus importantes de Bourgogne et distributrice exclusive du domaine de la Romanée-Conti pour la France et la Belgique, de 1928 à 1964. « The (whi)sky is the limit »

Même le capitaine Haddock s’en étranglerait : un whisky Macallan Fine and Rare 60 ans 1926 est devenu la bouteille de spiritueux

la plus chère jamais vendue aux enchères. Soit 1,5 million d’euros investis pour l’une des 40 bouteilles que la distillerie du Speyside, en Écosse, a confirmé avoir produites à partir du fût numéro 263. Le sacre de Leroy

Qui figure sur le podium mondial des bouteilles de vins français les plus chères en 2020 ? Numéro un : le Domaine Leroy Musigny Grand Cru, Côte de Nuits – 24 312 euros pièce*. Sur la deuxième marche, toujours Leroy, Domaine d’Auvenay Chevalier Montrachet Grand Cru à 22 445 euros*. Une conséquence des choix de rendement réduits mais exigeants de la propriétaire, Lalou Bize-Leroy. En troisième place, le Domaine de la Romanée-Conti Grand Cru – 19 186 euros*. Pour dénicher certaines des quilles les plus cotées au niveau mondial, c’est outre-Rhin qu’il faut se rendre, au Domaine Egon Müller, pour une bouteille de Scharzhofberger riesling Trockenbeerenauslese. Une fois que l’on a réussi à prononcer correctement son nom, pour le goûter, c’est en moyenne de 13 536 euros* qu’il faudra s’acquitter. Prost ! JO Ë L LA C RO I X /

* Prix moyens constatés par Wines-searcher.com

Illustration Julie Guillem


Œnophilie—

Pleins phares sur l’Ouest ENTRE TERRE, mer, rivière et montagne, le Pays basque profite d’un territoire nourricier riche et vivace : quand à l’aube les pêcheurs de Saint-Jeande-Luz embarquent pour aller taquiner la sardine ou le merlu, des mains agiles traient les brebis du côté du col d’Ipharlatze tandis que les vignerons d’Irouléguy se préparent aux vendanges. Cet ouvrage rend hommage à une appellation confetti (240 hectares) mais dynamique, qui signe des vins épatants dans les trois couleurs. L’œuvre de vignerons acharnés qui, au prix d’un labeur titanesque, ont dompté ces reliefs en pente. On y

découvre aussi une production plus confidentielle de cidres, à partir de variétés de pommes autochtones, au domaine Bordatto. Au gré de ses pages et de ses 100 recettes, ce livre propose une immersion au plus près de ceux et celles qui perpétuent les meilleures traditions gastronomiques locales. « Basque – Une virée gastronomique entre mer et montagne – 100 recettes autour des produits du terroir », de Pascal Arcé, éd. de La Martinière, 2021.

Week-end pétillant à l’horizon LA VILLE D’ÉPERNAY et son avenue de Champagne s’illumineront pour une nouvelle édition attendue de l’événement « Habits de Lumière ». Au programme : trois jours de festivités autour de l’art de vivre à la champenoise, rythmés par des soirées, des spectacles de rue, des bars à champagne proposés par les différentes grandes maisons, des ateliers d’accords mets et vins et une mythique parade de véhicules de collection. « Habits de Lumière », les 10, 11 et 12 décembre. Tél. : 03 26 53 33 00 (habitsdelumiere.epernay.fr).

Photos : Cécile Burban ; Louis Laurent Grandadam ; DR

Le cheval qui murmurait à l’oreille des vinophiles EN 8 ÉPISODES de 11 minutes, au plus proche du rythme des vignes et au fil des saisons, « Un Autre Cheval » révèle ce qui se cache derrière l’étiquette du mythique Premier grand cru classé A depuis 1956, Château Cheval Blanc. Ce podcast aborde à travers les voix de tout un collectif et notamment de Carole André (maître de chai), Pierre-Olivier Clouet (directeur technique), Nicolas Corporandy (chef de culture), les questions relatives à la création de grands Textes Joël Lacroix

vins aujourd’hui : choix viti-vinicoles, évolutions des modes de culture, agro-écologie. De l’effervescence des vendanges à la dormance hivernale des barriques, en passant par la taille et le travail de la terre, chaque épisode plonge l’auditeur dans le quotidien des équipes, ces artisans du vin qui font tous les jours, à partir de petits gestes, un grand cru. « Un Autre Cheval », podcast disponible sur les plateformes Acast, Apple, Spotify, Deezer. Racines

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Petites gorgées—Rencontre

«  Je n’ai que

la mémoire du bon » Actuellement sur scène aux Bouffes Parisiens, François Berléand voue une passion aux meilleurs bordeaux et a collaboré à la création d’une cuvée languedocienne solidaire. Votre grand-père a été le premier à éveiller votre goût pour le vin. Comment s’y est-il pris ? En me faisant déguster, très jeune,

de grands pomerols. Lui-même y avait été initié par sa belle-fille, une Bordelaise qui s’y connaissait et avait ses entrées dans les meilleurs châteaux. De tous les conseils qu’il m’a dispensés, je garde avant tout celui de « savoir goûter ». Chaque fois que je me sers un verre de vin, je commence par le respirer. Puis j’en garde une petite gorgée en bouche, longtemps. Une fois qu’il a bien tapissé mon palais, je l’avale. Et j’avoue qu’avec les bordeaux, il y a toujours un petit quelque chose qui me dit que je vais aimer. En quoi votre cave vous ressemble-t-elle ?

Elle est rigolote… J’ai commencé à la constituer en 1979. Moyennant 2 000 francs [environ 300 euros, ndlr] – ce qui n’était pas rien ! –, j’avais exclusivement acheté des millésimes 75 ou 76. Plus tard, au début des années 90, j’ai pu m’offrir de grands bordeaux en primeurs – Château Angélus, Château La Lagune… – dont il me reste plusieurs bouteilles. À l’époque, on trouvait encore du Petrus à 250 francs [environ 38 euros, ndlr] ! Par la suite, j’ai découvert les vins de Bourgogne, le mâcon. Quels qu’ils soient, j’aime l’idée de pouvoir les garder en cave plusieurs années. Ne serait-ce que pour ce petit suspense qui consiste à savoir, lorsque vous le débouchez, comment il a évolué… et s’il est bouchonné ou non ! Votre passion pour les bordeaux éclipset-elle votre amour pour les languedocs ?

Les premiers sont des vins d’assemblage qui peuvent me plaire instantanément ; les seconds correspondent à mon penchant très prononcé pour la syrah et les vins très chargés en alcool, jusqu’à 15 ou 16 degrés. Il a suffi d’un dîner chez les frères Pourcel, à Montpellier, arrosé d’un Château PuechHaut, pour m’ouvrir aux vins du Sud. Depuis, 10—

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BIO EN BREF 1952 1979

Naissance à Paris. Première apparition au cinéma dans Martin et Léa, d’Alain Cavalier. 2000 César du meilleur acteur dans un second rôle pour Ma Petite Entreprise, de Pierre Jolivet. 2011- Succès dans le rôle-titre 2012 de Quadrille, mise en scène par Bernard Murat. 2021 Joue au théâtre dans 88 Fois l’infini, d’Isabelle Le Nouvel, aux côtés de Niels Arestrup.

je les apprécie de plus en plus. Le Clos des Truffiers, La Grange des Pères, le Roc d’Anglade, Le Roc des Anges, le Domaine de l’Hortus ou le blanc minéral et iodé de La Falaise font partie de mes cuvées préférées. J’ai eu la chance de pouvoir goûter beaucoup de vins, mais je n’ai que la mémoire du bon. Une histoire particulière vous lie au domaine du Clos des Fées. Racontez-lanous. Il y a environ un an, son propriétaire,

Hervé Bizeul, m’a parlé d’une association de soutien aux agriculteurs en grande détresse. Pour leur venir en aide, nous avons décidé de créer ensemble une cuvée spéciale, 100 % syrah, qui a vu le jour en septembre. Tous les bénéfices de cette toute petite production (1 600 bouteilles) seront reversés à l’association. Au moment des tournages, vous arrive-t-il de faire « l’école vigneronne » ?

Lorsque je me trouve dans le Bordelais, j’en profite toujours pour visiter au moins un domaine. Cette région se découvre à travers ses châteaux et y dénicher un bon

vin n’est pas très compliqué. Et puis, il y a le hasard… Comme ce jour où, à Bordeaux, je suis ressorti d’une boutique mi-cave, mi-librairie avec une bouteille à 8 euros offerte par le patron. « Vous goûterez ça avec vos amis ce soir ! ». On l’a ouverte. Il s’agissait d’un Château Marjosse 2007 fait par Pierre Lurton. Le lendemain, j’y retournais pour en acheter 10 caisses ! En plus de délier les langues, pensez-vous que le vin scelle des amitiés ?

Le problème, avec le vin, c’est que beaucoup de gens n’y connaissent rien ! Je ne parle pas de culture encyclopédique, mais de cette faculté à différencier le bon du mauvais. Pendant des années, j’ai organisé des dîners avec des amis réalisateurs et comédiens, tous gastronomes. Habitant au cinquième sans ascenseur, je remontais toujours de la cave avec ce qu’il fallait d’excellents vins, à la hauteur des mets. Un soir, je me suis étonné qu’aucun ne m’ait jamais complimenté sur le choix des flacons. J’ai donc fait une expérience en transvasant mes meilleurs millésimes dans des bouteilles de piquette… et inversement. Personne ne s’en est rendu compte ! Pire : tous ont préféré ce mauvais vin aux grands crus classés ! Il n’y a qu’avec François-Xavier Demaison, notamment, que je peux apprécier la chose, car c’est un fin connaisseur. En tête à tête avec vous-même, quelle bouteille ouvrez-vous ? Tant qu’à faire, une

Romanée-Conti ! La Tâche, sans hésiter. Que vous apporte la possibilité d’acheter du vin en ligne ? J’ai déniché quelques

pépites en Languedoc et Côtes-du-Rhône grâce au site Ventealapropriete. Longtemps, pour les bordeaux ou les bourgognes, je me suis fourni directement chez les vignerons. Aujourd’hui, j’apprécie de pouvoir passer commande en ligne, de me faire livrer et de tout entreposer dans ma cave. À quelle bouteille décerneriez-vous le César du meilleur vin ? À La Porte du

ciel (Château La Négly). Dégusté pour la première fois à l’aveugle, un soir, vers 18h30. Cinq heures plus tard, après un dîner au restaurant et deux autres vins, je l’avais encore en bouche. Un choc gustatif incroyable qui me fait dire aujourd’hui que l’on peut se prendre des claques avec des très grands vins comme avec des petits ! ANNE-CHARLOTTE DE LANGHE /

Photo Jean-François Robert/Modd’s



Petites gorgées—

La France sabre le champagne Cette AOP ne représente que 0,5 % de la surface du vignoble mondial, mais c’est la première au monde en valeur, avec plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Par Léo Bourdin

3 fois plus de valeur que son volume Le champagne représente à peine 9 % du volume total des exportations de la branche vins et spiritueux. Mais il pèse, avec 3 milliards d’euros, plus du tiers de la valeur totale générée par cette branche, qui occupe la place de deuxième excédent commercial de la France, juste derrière l’aéronautique.

En 2020, six litres de champagne par seconde ont été expédiés à travers le monde. Et chaque année, plus d’une bouteille sur deux (53,6 % de la production exactement) part à l’export.

C’est la part, en volume, que constituent les champagnes bruts non millésimés dans les expéditions mondiales. Suivent les rosés, avec 10 % — dont près d’un tiers aux États-Unis — et les cuvées spéciales ou de prestige, avec 5 %. Les autres 5 % se répartissent entre les champagnes faiblement ou fortement dosés et les millésimés.

2021

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77

Avec près de 22 millions de bouteilles chaque année, l’importation outre-Manche se hisse à la première place du podium en volume. De son vivant, Sir Winston Churchill aurait débouché, pour sa consommation protocolaire et personnelle, près de 42 000 bouteilles – chez Pol Roger, une cuvée lui rend d’ailleurs hommage. Viennent ensuite les États-Unis, avec 21 millions de bouteilles, le Japon (11 millions), puis l’Allemagne (10 millions).

+37 millions

de bouteilles ont été expédiées au cours du premier semestre 2021 par rapport à la même période en 2020. Avec le retour à une vie un peu plus normale, les importateurs multiplient en effet les commandes et anticipent les ruptures de stock… Et c’est toute la machine qui repart pour la filière champagne ! Après une année 2020 à la peine, à cause de la pandémie, les ventes 2021 pourraient bien faire sauter le bouchon.

Illustrations Julie Guillem / Infographies James Eric Jones

Sources : chiffres 2019 et 2020, CIVC, FEVS, Shanken's Impact Newsletter

6 l/sec

80 %

C’est la « cup of tea » des Anglais


Data—

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18 %

300 millions de bouteilles expédiées… 360 Maisons Elles représentent 72 % des volumes annuels expédiés, tout en ne cultivant que 10 % du vignoble. Chacune dispose généralement de son propre vignoble, complété par les achats de raisins nécessaires à sa production. Ces Maisons bien connues du public – Mumm, Perrier-Jouët, Ruinart – expédient chaque année près de 210 millions de bouteilles.

N1

LVMH, le mastodonte de Bernard Arnault, domine le marché avec ses six marques – Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Ruinart, Dom Pérignon, Krug et Mercier. Il expédie chaque année, en volume, plus de 50 millions de bouteilles dans le monde. Moët & Chandon (en incluant Dom Pérignon) et Veuve Clicquot représentent 85 % des expéditions de champagne du groupe et 18 % des expéditions françaises à l’international. Les marques qui expédient le plus de flacons sont ensuite Nicolas Feuillatte, Mumm et Laurent-Perrier.

« VENTEALAPROPRIETE est l’un des plus gros vendeurs de champagne en France et 85 % de nos ventes (en volume) sont des champagnes de vignerons. Chaque année, nous nous rendons au Syndicat général des vignerons pour une dégustation qui nous est réservée. Nous y avons repéré nombre de productions fantastiques réalisées par de petits vignerons tels que Maxime Toubart, Lacroix Triaulaire, Delphine Cazals, etc. Nous sommes très scrupuleux sur la sélection de nos champagnes, car lorsque l’on s’attache au goût de l’un d’eux, on y reste très fidèle, notamment parce que sa dégustation est souvent ritualisée et associée à un moment particulier. » Alaric de Portal, Directeur de Ventealapropriete

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MOËT & (2) CHANDON

16 200 vignerons Ces artisans expédient 18 % des volumes produits (environ 55 millions de bouteilles). Parmi eux, citons Stéphane Coquillette, Egly-Ouriet, Chapuy, Yann Alexandre, Pinot-Chevauchet ou Delphine Cazals, qui élaborent leur propre champagne depuis le vignoble familial. Certains d’entre eux vendent également leurs raisins à une ou plusieurs grandes maisons.

30 VEUVE CLICQUOT

NICOLAS FEUILLATTE

130 coopératives Elles représentent 10 % des volumes expédiés chaque année, à l’instar du Champagne de Saint-Gall. Ces groupements de viticulteurs élaborent leurs cuvées à partir de raisins issus du vignoble de leurs adhérents.

Bons baisers de Russie

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MUMM

LAURENTPERRIER

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1. Millions de bouteilles expediées en 2020 2. Incluant Dom Pérignon

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Le marché russe ne se situe qu’à la quinzième place des exportations, mais il est dynamique, avec une hausse de plus de 70 % des importations en cinq ans. En l’espace de quelques semaines, cette année, les producteurs de champagne ont décidé de suspendre leurs exportations vers la Russie. Une réaction qui fait suite à la décision de Moscou d’autoriser l’appellation « champagne » uniquement pour les vins pétillants russes. Un affront – et un manque à gagner – pour les producteurs français qui auraient dû, eux, indiquer la mention « Vin mousseux » sur leurs étiquettes. Fin octobre, la France a néanmoins obtenu de la Russie un moratoire jusqu’au 31 décembre sur la mise en œuvre de cette loi… À suivre. 3. Le champagne, c’est à nous !

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Exclusivité chez un 1er Grand Cru Classé Les Chênes de Macquin, Saint-Émilion, Château Pavie Macquin, rouge, 2017 (​29,99  €)

— Le comité de sélection de Ventealapropriete admire le travail remarquable réalisé par Nicolas et Cyrille Thienpont qui, avec Stéphane Derenoncourt, ont affiné la personnalité de Pavie Macquin. Vin immense associant toujours à un grand volume de bouche une intensité gustative et une sapidité inouïe, c’est l’expression la plus aboutie d’un Grand Cru moderne selon nous. Notre passion est remontée aux oreilles du vigneron qui, de fil en aiguille, a décidé de nous confier l’exclusivité de la distribution de l’autre production – tout aussi fine, élégante et précise – du domaine : Les Chênes de Macquin. Une histoire pas si fréquente en terre bordelaise et que nous pouvons accrocher, à côté des autres, au tableau de nos fiertés.

Un Nuits-Saint-Georges qui ne dit pas son nom Domaine du Clos Frantin, Albert Bichot, Bourgogne Côte d’Or rouge, 2018 (19,95 €)

— Ici, la configuration est extrêmement rare : deux hectares de vignes cultivés en bio dans un clos ceint de murs en plein cœur de Nuits-Saint-Georges. Cette enclave à l’abri des regards est le jardin d’une maison nuitonne qui se trouve dans le giron de la famille Bichot. Hors du cadastre de l’appellation Nuits-Saint-Georges, elle n’a pas droit d’en porter le nom… Tant mieux, car cette cuvée en a toutes les qualités et son tarif la rapproche d’un bourgogne générique : tout le monde y gagne ! C’est également une exclusivité de Ventealapropriete. 14—

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Una pequeña bomba ! Bodegas Cenicero Viticola, Rioja, Finca Cienvacas, rouge, 2020 (6,99 € )

— Parfaite en plein hiver, cette bouteille est une invitation à une halte au cœur de la Rioja Alta, sur les rives de l’Èbre. La Bodegas Cenicero y façonne un petit prodige de pureté et de fruit – un 100 % tempranillo – d’une grande fraîcheur. C’est un rouge tout en maîtrise, issu d’un terroir d’altitude, d’argiles et de graviers, qui vient ici en équilibre pour maîtriser toute la vigueur du soleil espagnol. Le comité de sélection de Ventealapropriete, complètement séduit par sa pureté, son fruit charnu et acidulé, lui attribue la note de 18/20. Un excellent rapport qualité-prix.


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La quintessence d’un grand style Clos du Moulin, Michel Bouzereau et Fils, Bourgogne Côte d’Or blanc, 2019 (29,95 €)

Photos : Maurizio Gjivovich ; Serge Chapuis ; DR

Auréolé de trois étoiles au guide vert de La Revue du vin de France, le domaine Bouzereau, à Meursault, a récemment rejoint le banc des plus prestigieux domaines bourguignons aux côtés d’Anne-Claude Leflaive, Coche-Dury ou encore Roulot. Exigeant jusqu’à l’extrême, cultivant un style tout à fait personnel dans le sillage de son père, Jean-Baptiste Bouzereau produit des vins purs, pleins, particulièrement séveux et dont l’empreinte minérale est une caratéristique identitaire. Il nous offre aujourd’hui la distribution d’une nouvelle vigne, Le Clos, un petit hectare parfaitement placé sous les Meursault Les Chevalières. Voici un vin déjà introuvable, élite absolue de sa catégorie.

01. Jean-Baptiste Bouzereau, du Domaine Michel Bouzereau et Fils.

Pièce d’orfèvre à Moulin-à-Vent Domaine Labruyère, Le Clos du Moulin-à-Vent, rouge, 2019 (29,95 €)

— Le Domaine Labruyère a été fondé au mitan du XIXe siècle, à partir de 10 hectares de vignes de grande qualité. Depuis, les générations successives ont acquis la célèbre parcelle Le Clos du Moulin-à-Vent, au pied de l’authentique monument historique Le Moulin à Vent (ci-contre), sur le hameau de RomanècheThorins. Aujourd’hui seul monopole de l’appellation, cette parcelle de moins d’un hectare est le joyau du domaine, lui-même considéré comme l’un des fers de lance de son appellation et de la région. Dans le verre, ce moulin-à-vent lorgne clairement vers la Bourgogne. Étoffé, intense, pur et concentré, il est capable de tenir la dragée haute à plus d’un ténor de la Côte-de-Nuits. Sa trame veloutée et sa carrure généreuse lui prédisent un avenir long et radieux. Véritable coup de cœur du comité de sélection, d’année en année, il est systématiquement noté entre 18 et 19/20. Presque un sans-faute. Racines

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L’irrésistible ascension du Domaine Bott Domaine Graeme et Julie Bott, Saint-Joseph blanc, 2018 (27 € ) En 2017, au marché d’Ampuis – qui permet de déguster les vins naissants de l’appellation Côte-Rôtie –, le comité de Ventealapropriete rencontrait deux jeunes pousses du vignoble, Julie et Graeme Bott. Coup de foudre. Il n’y a pas de hasard : ces perfectionnistes ont fait leurs armes chez les plus grands, dont Stéphane Ogier. Trouvant sa source dans une maisonnette, à Vérin, dont le jardin se trouve en AOP Condrieu, leur aventure s’est poursuivie en Saint-Joseph, Seyssuel et jusqu’en Côte-Rôtie aujourd’hui. Applaudis et suivis depuis leur éclosion par Ventealapropriete, leurs vins sont parfaitement sculptés, généreux et pulpeux.

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02. Valentin Montanet et son père, Jean.

À marquer d’une pierre rouge La Pèira, Languedoc, Les Obriers de La Pèira, rouge, 2015 (11,99 €)

— Il serait facile de dire que Rob Dougan a tout simplement transposé son talent de compositeur de musique de films (Matrix, c’est lui) à celui du vin. Cet Australien de 52 ans s’est installé en 2004 avec sa femme, Karine Ahton, montpelliéraine, à La Pèira, sur l’un des meilleurs endroits des Terrasses du Larzac, à équidistance de Clermont-l’Hérault et de Saint-Guilhem-le-Désert. Ils ont réussi un coup de force : hisser leurs bouteilles parmi les plus cotées de tout le Languedoc. « Les Obriers de La Pèira » signifie « les ouvriers de la pierre » en occitan, une référence aux tailleurs de pierre qui ont construit les merveilleuses structures de la région, les mazets comme les plus grands corps de ferme. Ce rouge, intense et profond, dévoile un fruit très abondant, persistant. Le corps puissant, charnu, offre beaucoup de caractère, un élevage bien intégré et surtout, une belle fraîcheur, avec une finale minérale fumée. Voilà une grande bouteille, à déguster sur une dizaine d’années, parfaite pour accompagner une viande rouge juteuse.

Photos : Domaine Graeme et Julie Bott ; DR


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Une pure merveille Champagne Michel Gonet, Les 3 Terroirs, Extra Brut, Blanc de Blancs, 2014 (24,95 € )

— À la première place du podium de nos dégustations, en 2017, les champagnes Gonet ont su aussi rapidement séduire les membres de Ventealapropriete, puisqu’ils comptent parmi les références plébiscitées. Celui-ci est issu des terroirs de Vindey, Montgueux et du Mesnil-surOger, vieilli sept années sur lattes avant d’être commercialisé – à l’instar de la Maison Krug – et le résultat est exceptionnel. D’une généreuse effervescence, il est marqué par une très belle aromatique de chardonnay bien mûr, avec beaucoup de richesse, une tonalité florale et d’amande. Cette étiquette est discrète, voire confidentielle, mais ce champagne aux multiples facettes offre un raffinement en bouche digne des plus grandes maisons.

À votre service On s’applique ! L’application mobile de Ventealapropriete, VALAP, fait peau neuve sur Android et iOS. Au-delà de ses qualités esthétiques, avec un look entièrement revu, nous l’avons souhaitée davantage adaptée aux usages. Retrouvez ainsi de nouvelles fonctionnalités telles que la prise en charge des codes promo, la livraison à l’étranger (Italie, Espagne et Belgique), la visualisation de vos commandes stockées, la gestion des préférences de communication (newsletters et paramètres des notifications), le parrainage. Où que vous soyez, ne manquez aucune actualité et commandez sereinement vos vins préférés.

Plaisir partagé En tant que membre, nul doute que vous partagez notre passion pour le vin et appréciez régulièrement Illustration Julie Guillem

nos sélections. Entre amis ou en famille, lorsque vous parlez d’une bonne bouteille acquise sur Ventealapropriete, saisissez l’occasion de parrainer vos hôtes. Au premier achat de chacun de vos nouveaux filleuls, nous vous offrons un bon d’achat de 10 euros (25 euros pour les membres vip/vip+) utilisable à partir de 100 euros d’achat de produits sur tout le site.

Sans frais de port Notre service de stockage vous permet, sans frais supplémentaires, de regrouper vos commandes dans nos entrepôts thermo-régulés. Vous bénéficiez ainsi de la gratuité des frais de port si le montant total de l’ensemble des commandes regroupées dépasse 300 euros TTC. La durée maximale de stockage est de 30 jours à compter de la première commande pour laquelle vous avez sélectionné ce service – ceci définit la date d’expiration du stockage.

Entre vos mains Racines est un lien privilégié à travers lequel nous souhaitons partager avec vous notre passion du vin et du terroir. Ce lien particulier, à la fois, authentique et moderne, ouvert sur le monde du vin et intimiste, doit évoluer pour toujours mieux répondre à notre soif commune de partage et de découverte. Nous vous avons sollicités pour recueillir votre avis et vous avez été plus de 3 000 à nous répondre, merci ! En grande majorité, vous avez exprimé votre envie de voir traiter plus de sujets. Ce numéro comporte donc huit pages supplémentaires pour vous satisfaire toujours plus.

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—Visionnaire

Chef de file de la côte chalonnaise, Vincent Dureuil cisèle des vins charnels qui conjuguent précision et plaisir absolu. Un styliste au cœur pur, ancré dans ses racines paysannes et fier de son héritage.

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la perle de

Texte Véronique Raisin—Photos Dorian Prost

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VINCENT DUREUIL n’est certes pas le châtelain de Rully, mais il en est tout du moins l’un de ses plus beaux princes. Taillant ses cuvées comme des diamants, il porte haut – et avec gourmandise – les couleurs de cette appellation de la côte chalonnaise. Un petit Poucet qui a grandi à l’ombre de la Côte d’Or, mais qui n’a rien à lui envier, que ce soit en termes de talent ou de qualité et encore moins en matière de vertu. Vigneron sensible et intransigeant, nourri des valeurs familiales, Vincent Dureuil se définit en paysan. « Je suis un ouvrier de la vigne, comme les personnes de mon équipe. On ne peut pas faire de grands vins si l’on ne va pas à la vigne. » Chez lui, rien de feint, pas de coterie ni de simagrées. La vigne lui vient de son grand-père, qui en avait planté quelques hectares après la Grande Guerre, sur ces « montagnes » reculées du sud de Beaune, à quelque 200 mètres d’altitude. D’origine modeste, il dut comme bien d’autres partir de zéro, après la destruction du vignoble par le phylloxera – 600 hectares consacrés alors aux vins mousseux, le temps d’une période prolifique. Les Dureuil habitent le village de Rully depuis toujours, ils en sont la plus ancienne famille. À côté de leur exploitation, un peu de vignes s’ajoutent aux cultures, dans une logique paysanne de polyculture, très courante à cette époque. La génération de Raymond, le père de Vincent, connaît la vente en direct, facilitée par une forte demande locale. Ce sont alors des vins de table à destination des mineurs et des habitants du canton et alentour… Surtout pas d’export ! Au début des années 1990, après une formation en viti-œnologie à Beaune, Vincent suit les traces de son père et le rejoint au domaine. En 1994, il s’installe séparément avec 3,61 hectares et s’attire vite la reconnaissance du Guide Parker. « J’ai commencé avec cette

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petite partie qu’il m’a laissée. Quand il a pris sa retraite, en 2002, j’ai repris l’ensemble du domaine. » Avec une vision un peu différente, celle d’un jeune homme ambitieux porté par les voyages, les rencontres et les beaux vins.

Un pointilliste patient et attentif « Mon père faisait deux vins, un rully blanc et un rully rouge, ainsi qu’un puligny-montrachet. On ne cherchait pas les premiers crus à cette époque, les coteaux étaient durs à cultiver, on était contents d’être dans la plaine. Aujourd’hui, j’ai un peu plus de 20 hectares, dont 16 sur Rully, en villages et premiers crus. Je vends aussi mon vin partout dans le monde, et sur les belles tables. Notamment celle de l’Albert 1er, à Chamonix [Christian Martray, membre du comité de sélection de Ventealapropriete, en a été le chef sommelier pendant près de 10 ans, ndlr]. C’était un rêve de gamin ! ». Son vœu exaucé, Vincent se trouve d’autres aspirations. Agrandissant le domaine par petites touches, au fil des années, sans acharnement ni précipitation, il connaît le temps long, la patience, l’attente. La vertu des choses bien faites aussi, forgées dans l’airain et le travail. « Je fais comme mon grand-père faisait ; je suis un paysan pragmatique, j’agis avec bon sens. » Ne lui parlez surtout pas de biodynamie, mais de bio, oui. Depuis une quinzaine d’années, le domaine est conduit en agriculture biologique et a de nouveau amorcé une certification, obtenue entre 2009 et 2016 puis arrêtée en raison de mauvaises conditions météorologiques. « On travaille avec conviction. D’avril à septembre, on ne reçoit aucune visite pour se consacrer entièrement à la vigne et ne pas expédier les vins pendant les mois les plus chauds. Physiquement, c’est dur, mais je ne me plains pas, je suis passionné par mon métier. » Amoureux de la haute montagne et du ski de randonnée également, Racines

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« On fait un travail bourguignon, en bons ouvriers. Il faut connaître sa vigne pour donner son âme au vin. » — VINCENT DUREUIL

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Vincent aime s’échapper – quand il le peut, c’est-à-dire rarement – pour goûter à la nature dans les vallées de Savoie qu’il aime tant. Ses plus fidèles compagnons de piste sont aussi ses vendangeurs et cet équilibre, fait de partage et de choses simples, lui convient. Ses vins sont comme lui, d’ailleurs : ils ne trichent pas. Taillés au cordeau, ils rendent chaque nuance de leur terroir, avec ce souci constant du détail, qui est la marque des grands vignerons. Comme le doute et la remise en question permanente. Vincent a le succès modeste, mais il sait s’effacer derrière le lieu, ne jamais jouer des coudes avec lui. « On fait un travail bourguignon, en bons ouvriers. Il faut connaître sa vigne pour donner son âme au vin. » Lui la connaît par cœur, ne se contentant par de l’arpenter juste avant la récolte pour goûter les raisins. Chaque jour, il est au milieu de ses rangs, plantés serrés à 10 000 pieds à l’hectare, blotti dans ses rets qui forment son terrain de jeu. Il en sait toutes les nuances, reconnaît à la couleur changeante des feuilles leur vigueur ou leurs maladies, conduit chacune comme le berger son troupeau. Vincent Dureuil est le berger de Rully, veilleur patient de ces carreaux verdoyants qui s’étagent en coteaux, encerclant le château du petit bourg paisible.

La traduction d’un sol, d’un lieu, d’une vibration Devant ces paysages idylliques ressemblant à un tableau de Watteau, qu’il emprunte chaque jour, Vincent ne se lasse pas. Il a à cœur de les préserver, de les choyer pour peut-être un jour, qui sait, les transmettre à son tour. Mais il préfère ne pas trop y penser et se concentrer sur le présent. « C’est un poids de léguer. Que laisse-t-on, 24—

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Premiers de cordée

Avec un quart de premiers crus sur Rully, Vincent Dureuil expose chaque nuance de son terroir dans des cuvées délicates et de belle chair. En blanc, ce sont les 1ers Crus Les Margotés, Les Meix

Cadot, Grésigny et Vauvry. En rouge, Chapitre et La Fosse. Il compte aussi quelques dizaines d’ares de Puligny-Montrachet 1er Cru Champ Gain et 40 ares de Nuits-Saint-Georges 1er Cru Clos des Argillières.

finalement ? C’est dur comme métier, il faut y penser aussi. On travaille tous les jours, on ne pense pas au futur. » Pourtant, lorsque l’on évoque les transactions du vignoble, les rachats, les changements de main, Vincent ne reste pas insensible. Comment se défaire de cet héritage ? De cette terre que lui ont transmise ses grands-parents ? Difficile à dire. La génération suivante – sa fille Margot a 21 ans et son fils Clément, 17 ans – ne semble pourtant pas l’entendre ainsi, déjà un pied dans la vigne, prête à y enfoncer le second. Pour le moment, Vincent se garde de trop anticiper, s’inquiète en bon père et fait avec ce que la nature lui donne – peu ces dernières années, car les récoltes ont été difficiles. Qu’à cela ne tienne, la région a le vent en poupe et la côte chalonnaise n’a plus à rougir de la comparaison avec les vins du « nord ». « On fait le même travail, on a les mêmes exigences. » La contrainte du temps aussi, celle de faire des vins de garde, qui peuvent largement vieillir 20 ans. « C’est difficile à faire. Aujourd’hui, je préfère les vins sur la réduction, car ils peuvent vieillir davantage, mais


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cela demande des élevages longs et précis, avec de bonnes lies et surtout, du temps ! » concède Vincent. En moyenne, les rouges passent un an et demi en fûts, les blancs un an, à cela s’ajoute la période de repos en bouteille nécessaire et incompressible avant les expéditions. Au-delà du temps, le maître-mot, c’est la simplicité. Pas de techniques d’apprenti sorcier ou de cuverie rutilante ici, mais l’expression d’un savoir-faire à partir d’un raisin sain et mûr, récolté à la main. Vincent Dureuil ne conçoit ses vins en cave qu’à partir de leur origine ; à chaque vin dégusté, il ponctue la conversation d’un « il faut voir le terroir, vous allez comprendre quand vous y serez ». Et l’on comprend en effet que ses vins sont la traduction d’un sol, d’un lieu, d’une vibration de l’espace. Ce pays où ils sont nés porte les traces des souvenirs et de l’enfance de Vincent, c’est la campagne où il a grandi et qui s’étire paisiblement. Le Premier Cru Grésigny, de vieilles vignes plantées en 1945 sur des marnes calcaires, résonne ainsi du silence de la terre. Ces terres claires rendent un jus filant, pointu, vertical, dont Vincent a fait une cuvée car elle rendait un son toujours différent des autres parcelles. Les vignes centenaires du Meix Cadot s’ancrent profondément dans le sol. Ce blanc est plus sphérique, plus large, imposant sa maturité et son crémeux, avec de fins amers filants. Même le bourgogne blanc porte la marque d’un noble terroir, issu de terres situées sur Puligny-Montrachet ! Tous les vins vibrent ainsi au diapason, sans hiérarchie qui ferait préférer l’un plus que l’autre. Tous logés à la même enseigne, celle d’un travail d’artisan, libre et entêté. Idem pour les rouges, d’une résonance pure, du rully village aux premiers 1. Le pédicelle est la partie herbacée qui relie la baie à la rafle.

crus, en passant par cet iconoclaste cuvée En Guesnes Wadana 2019, totalement égrappée, jusqu’aux pédicelles 1 ôtés un à un, puis passée 18 mois en fûts neufs. Une concentration tout en finesse, une densité de vin exceptionnelle où tout s’étire à merveille, dans une vision totale du terroir. « On fait un travail difficile, on est des artisans, on devrait récompenser le meilleur vigneron. Il faudrait une catégorie vigneron au concours des MOF 2 ! » lâche soudain Vincent Dureuil en guise de conclusion. L’idée est lancée… À bon entendeur ! DOMAINE DUR EUIL–JANTHIAL

Superficie en production / 20 ha dont 16 ha à Rully, 2 ha à PulignyMontrachet, 1 ha à Mercurey, 1 ha de Nuits-Saint-Georges Altitude / 220 mètres Cépages / chardonnay, aligoté et pinot noir Âge des vignes / de 5 à 100 ans

—Rully blanc 2019 Issu de quatre parcelles, ce blanc de percussion déploie un jus vif et tendu, aux fines notes citronnées et de fruits blancs. Une impeccable partition de fraîcheur et de style qui surclasse largement son rang de village.

2. Meilleur ouvrier de France.

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Texte Perotin— Photos Serge Chapuis 26— Matthieu Racines


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Une rencontre qui coule de source Au printemps dernier, à Épernay, le comité de dégustation de Ventealapropriete a rencontré les représentants de la Maison de Champagne Perrier-Jouët. Au menu de ce partage d’expériences, une fructueuse session de dégustation et à l’arrivée, une sélection ciselée à destination de nos membres. Texte Léo Bourdin—Photos Romain Guittet Racines

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Grand format—Rendez-vous

LE VIN EST avant tout une histoire d’aventures humaines faites de moments privilégiés, de partage et d’émotion. Il est de tradition, pour le comité de dégustation de Ventealapropriete, de se déplacer dans les domaines à la rencontre de celles et ceux qui produisent les cuvées qui feront, demain, la richesse des nouvelles ventes proposées aux membres. À chaque visite, il s’agit d’abord de s’imprégner de la démarche du producteur et de la philosophie des lieux ; c’est le temps de l’échange et de la transmission de savoirs. Vient ensuite la dégustation, un moment clé durant lequel les membres du comité mettent des mots sur leurs sens et font valoir leur expertise pour identifier et sélectionner les meilleures propositions. Ce matin d’avril, un vif soleil illumine la Maison Belle Époque, ancienne demeure de la famille des fondateurs de Perrier-Jouët. Olivier Poussier, Alaric de Portal, Christian Martray et Maël Vincent, membres du comité, franchissent le seuil de cette demeure mythique – rarement ouverte au public – qui abrite l’une des plus importantes collections privées d’Art nouveau français en Europe. Ce style décoratif et architectural, qui prend racine dans la nature pour la réinventer et la sublimer, la côtoie ici de la plus belle des manières. Subtile-

ment maîtrisés, dans une multitude de variétés de fleurs, d’arbres et de plantes, les éléments naturels font écho à une toile de Toulouse Lautrec, un meuble ou un vitrail de Louis Majorelle ou encore une lampe en verre d’Émile Gallé. On doit d’ailleurs à ce dernier le célèbre motif d’anémones, créé en 1902, qui décore les bouteilles des cuvées Belle Époque de la Maison. Cette nature vibrante, le comité de dégustation la retrouvera bientôt dans les vignes de la prestigieuse Côte des Blancs, principale source d’approvisionnement en raisins de Perrier-Jouët. Pour l’heure, cette nature, explique Séverine Frerson, huitième cheffe de cave de la Maison et première femme à occuper le poste, est la véritable identité des Champagnes Perrier-Jouët ; c’est elle qui nourrit la terre, gorge les fruits de soleil, et guide chaque année les assemblages. Sur une longue table au milieu d’un salon aux murs ornés de marqueteries, elle dispose lentement les différents échantillons, tourne le corps de la bouteille de Perrier-Jouët Blanc de Blancs pour dégager doucement le bouchon et offre une première coupe au nez et à l’œil du comité. Le silence se fait, c’est le début d’une longue session de dégustation qui aboutira à une sélection précise et attentive des cuvées proposées aux membres de Ventealapropriete.

—Champagne Perrier-Jouët Blanc de Blancs Agile et séducteur, tout en légèreté et en délicatesse, ce champagne se distingue par sa dimension fruitée, très harmonieuse, son caractère subtil et persistant. Un classique incontournable ! 28—

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« T   remper ses lèvres dans une coupe de PerrierJouët, c’est faire un voyage autour des fleurs. » Séverine Frerson

Cheffe de cave de la Maison Perrier-Jouët « En tant que cheffe de cave, j’ai toujours à cœur de transmettre ce qui fait la richesse de notre Maison : la mémoire des millésimes, le terroir, la musique qui se dégage des cépages à travers les assemblages. La philosophie de Perrier-Jouët se résume en trois mots. “Chardonnay”, d’abord, parce que c’est un cépage élégant qui donne des vins élancés et droits – c’est le pilier de la maison. “Floral”, ensuite, car tremper ses lèvres dans une coupe de PerrierJouët, c’est faire un voyage autour des fleurs. L’anémone du Japon, notre emblème, est présente sur nos bouteilles depuis 1962. “Naturel”, enfin, parce que la vigne nous donne des raisins qui sont le fruit de la nature – notre mission, c’est de réussir à s’adapter à elle, chaque année, pour mieux l’embellir. »


« De notre visite chez PerrierJouët, je garde une émotion : celle du Belle Époque rosé, millésime 2010. » Christian Martray

Maître sommelier et membre du comité de dégustation

« Un chardonnay pur à la fois crémeux et fin, qui invite à la curiosité. » Olivier Poussier

Meilleur Sommelier du monde (2000) et membre du comité de dégustation

« Ma mission, c’est de porter une attention particulière à chacune des cuvées que je suis amené à goûter. J’aime me dire que chaque vin est un individu différent et que l’on n’aborde pas tout le monde de la même façon. Il s’agit ensuite de trouver les mots justes pour permettre à nos membres – futurs dégustateurs – de détecter tous ces petits éléments qui contribuent à la bonne compréhension d’un vin. De notre visite chez Perrier-Jouët, je garde une émotion : celle du Belle Époque rosé, millésime 2010. Il y a, entre autres, dans ce champagne, une réduction des lies parfaitement réussie – preuve que les vendanges ont été effectuées à maturité optimale et que le travail de vinification est, ici, toujours très soigné. »

« Un univers à part dans les Maisons de Champagne et une vraie signature gustative. » Alaric de Portal

Directeur de Ventealapropriete et membre du comité de dégustation

« J’ai eu une affection toute particulière pour la Maison Perrier-Jouët. Je me rappelle avoir goûté des jus incroyables lors de mes premières années d’exercice en tant que sommelier à la Tour d’Argent, dans les années 1980. À l’époque, déjà, les cuvées Blason de France étaient des références. Il y a, pour commencer, quelque chose de très esthétique dans la forme des bouteilles : tout en rondeur, agréables à l’œil ; et puis, dans le verre ensuite, tout ce qu’un consommateur est en droit d’attendre d’un Blanc de Blancs. Dans la cuvée Blason Perrier-Jouët Blanc de Blancs, base 2017, j’ai eu plaisir à retrouver la dimension terroir de la Côte des Blancs et, surtout, un chardonnay pur à la fois crémeux et fin, qui invite à la curiosité. »

« En amont de notre visite, j’étais vraiment impatient d’en savoir plus sur la démarche de Perrier-Jouët. C’est une maison mythique dont on connaît peu de choses, finalement, puisqu’elle avait orienté 95 % de son volume vers l’export. J’avais de lointains souvenirs de dégustation, datant de mes débuts dans le monde du vin, à La Revue du Vin de France. Lorsqu’ils ont sollicité les équipes de Ventealapropriete pour que l’on vienne les rencontrer, j’ai sauté sur l’occasion. Je sors heureux et grandi de cette expérience, qui m’a permis de découvrir un univers à part dans les Maisons de champagne et une vraie signature gustative. »

Photos : Maison Perrier-Jouët

« Ces échanges nous permettent de nous rapprocher de l’essentiel : les émotions qui se trouvent à l’intérieur de la bouteille. » Maël Vincent Acheteur pour Ventealapropriete

« C’était important qu’une partie de l’équipe d’achat et de distribution de Ventealapropriete, dont je fais partie, puisse venir s’imprégner des lieux et découvrir la culture de la Maison Perrier-Jouët. Tous ces échanges nous donnent les clés pour avoir la meilleure connaissance possible des vins que l’on va pouvoir ensuite commenter et proposer à la vente. C’est l’occasion de créer une proximité et une relation de travail particulière. Au final, cela nous permet de nous rapprocher de l’essentiel : les émotions qui se trouvent à l’intérieur de la bouteille. » Racines

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—Audacieux

Pour ses triple malts 100 % français, la Maison de whisky Bellevoye, en pionnière, a fait le choix de miser sur un circuit aussi court qu’exigeant. Du champ d’orge au fût, du brassage à la finition aromatique, rigueur et passion sont les seuls éléments du succès à ne jamais s’évaporer. Texte Anne-Charlotte De Langhe—Photos Anaïs Barelli

l’excellence

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ON POURRAIT CROIRE que le luxe simplifie tout. Qu’il coule de source. En examinant de plus près l’étui renfermant une bouteille de whisky signée Bellevoye, on comprend vite qu’il n’en est rien. Son emballage nécessite tout d’abord un savant pliage manuel, fait de patience et de minutie. Deux qualités aussi indispensables aux coloristes de l’imprimeur pour décider de la profondeur du bleu, du vert ou du fuchsia qui – moyennant trois passages sous les rotatives – habillent les étiquettes du précieux alcool. Au doré de la typographie, la maison a fini par préférer le ton sur ton ; hissant haut sa ligne typiquement française, le flacon, lui, va jusqu’à s’inspirer des fiers immeubles du Baron Haussmann, comme pour mieux sublimer les effluves de ses triple malts Bleu-Blanc-Rouge, tantôt gourmands telle une brioche, tantôt offensifs – comme le Bellevoye Noir –, aux notes empyreumatiques évoquant la cendre, le pain grillé et le moka. Des détails comme autant d’interstices dans lesquels l’excellence voulue par Bellevoye, incarnation du whisky tricolore, n’a eu de cesse de venir s’infiltrer. Et ce, bien avant que le bouchon ne se soulève… Ainsi n’y a-t-il pas de hasard à ce qu’une étape de cette quête aiguë de perfection se déroule dans l’une des plus prestigieuses tonnelleries de la planète. À Merpins, près de Cognac (Charente), les établissements Seguin Moreau sont une référence dans l’univers du vin comme dans celui des spiritueux, qui se disputent ce savoir-faire séculaire. Sur le parc à merrains1, des centaines de palettes forment 32—

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un kaléidoscope de bois à la géométrie irréprochable. Chaque lot est le fruit d’une sélection d’arbres à laquelle, dès l’automne, la maison Bellevoye reste attentive. « Nos choix répondent à un cahier des charges extrêmement précis », relève Olivier Dumont, directeur des opérations chez Bellevoye et longtemps œnologue-conseil pour de prestigieux châteaux du bordelais. « À la différence de la filière classique des spiritueux, qui mise sur des variétés de chêne à croissance rapide, nous n’achetons que des arbres centenaires issus de forêts domaniales. Notre objectif : sélectionner les bois les plus aromatiques et les arbres aux tannins les plus soyeux. » Aussi ces chênes à croissance lente semblent-ils les mieux placés pour épouser la philosophie Bellevoye, laquelle tient en quelques mots : « Faire du bon, du beau et du bien ». Et en prenant son temps.

Les tonneliers font danser les barriques Fendus à même les grumes2, les merrains vont ainsi séjourner 45 jours en extérieur, arrosés toutes les deux heures. Vingt-quatre mois durant, ils sècheront ensuite à l’air libre, avant d’être mis à l’abri dans les ateliers. À l’entrée de la chaîne de fabrication, un tableau exhaustif récapitule, en outre, les 27 défauts rédhibitoires pour un merrain digne de ce nom ; aucun ennemi esthétique n’est autorisé à venir entamer la noblesse du grain, identifiable à sa finesse extrême (1 à 2 millimètres). Les barriques estampillées Bellevoye ne commencent donc à prendre forme qu’une fois passée l’épreuve – éminemment

1. Lattes obtenues par la fente d’un billot de bois et servant à la fabrication des barriques. 2. Bois brut (ici, de chêne), abattu, coupé, ébranché et


physique ! – de la mise en rose, lorsque les merrains, devenus douelles 3 par le jeu des cerclages, viennent dessiner le tonneau. Le parfum si particulier des whiskies Bellevoye paraît encore loin, bien que le feu des braseros se rapproche déjà. Là encore, la main de l’homme vient parfaire une légende en devenir. Sans relâche, pendant plus d’une heure et dans un roulis quasi incessant, les tonneliers font danser les barriques en surplomb des flammes jaillissant du sol. Ni trop, ni trop peu : il en va des arômes à naître. « Nous appliquons une cuisson douce et longue, adaptée au profil de chacune de nos finitions, explique Olivier Dumont. C’est un travail extrêmement précis : on doit pouvoir aussitôt identifier la teneur aromatique qui sera conférée par l’élevage final de nos whiskies, où le velouté et l’onctuosité éclipsent toute agressivité. » Une allure olfactive aussi fière que toastée, poussée à son paroxysme pour le Bellevoye Noir, le whisky le plus tourbé de la gamme. Pouvoir réunir dans une même région chacune des composantes du whisky dont ils ont rêvé a toujours fait partie intégrante du projet porté par Jean Moueix et Alexandre Sirech, les « pères » de Bellevoye (lire encadré ci-contre). En s’associant à la Distillerie Bercloux, sise dans le département voisin de Charente-Maritime, ils savaient une fois de plus que l’expertise serait au rendez-vous. À quelques cols de cygne et chapiteaux près, les alambics de ce fief familial n’ont rien à envier aux brewing stands (distilleries) écossais ; propriété à la fois agricole et viticole, elle permet en outre la culture d’orge en

Un duo « on the rocks » En 2013, lorsqu’Alexandre Sirech s’est mis en tête d’élaborer un whisky « made in France » dans une région où le cognac est roi, d’aucuns ont préféré se dire que « ça allait lui passer ». Huit ans plus tard, le voici cofondateur, avec Jean Moueix, de la société Les Bienheureux, dont la plus grande fierté est sans doute d’avoir réuni sous un seul et même étendard la quintessence des plus grands whiskies de l’Hexagone. D’une rencontre à Cuba entre deux téméraires est donc née la concrétisation d’un vœu qui ne sera resté pieux que très peu de temps. « Proposer un vrai whisky français capable de concurrencer l’Écosse ou le Japon tout en rayonnant à l’international » n’avait rien d’écrit. Bellevoye, pourtant, a su dérouler un à un ses chapitres. Ceux du jamais-vu et de l’indélébile « part des anges ».

conversion bio et un brassage de très haute qualité. Concomitants à de récents travaux d’envergure, les équipements techniques ne sont pas étrangers au consciencieux travail mené côté cuves : triple silo à grains, moulin à concasser dernière génération, filtre à plaques unique en France – digne de celui d’un magicien, qui permet sans perdre de temps de tirer un jus de malt à la clarté inouïe –, fermentation au garde-à-vous et eau forée dans les nappes à 80 mètres sous terre. Après refroidissement, le liquide fermente quatre jours dans des

pourvu de son écorce. 3. Pièces de bois issues des merrains évidés et assemblées pour former la paroi d’une barrique.

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cuves thermo-régulées – au lieu de deux habituellement –, juste avant de rejoindre le cuivre et la brique d’alambics historiques. L’un date de 1976, l’autre a été intégralement remonté à l’ancienne et tous deux fonctionnent sur la base de la chauffe à feu nu, capable d’extraire chaque nuance des saveurs attendues pour un whisky d’exception. « Grâce à la double passe, souligne Olivier Dumont, les vapeurs les plus pures sont sélectionnées et préservées. Elles reflètent alors parfaitement toute une identité, façonnée par l’élégance et la subtilité. »

Grains d’orge et bois de chêne modèles Mais les whiskies Bellevoye n’acquièrent leur ultime typicité qu’une fois leur single malt charentais assemblé à deux autres single malts issus de régions françaises et scrupuleusement sélectionnés. De fait, les heureux élus remettent leur titre en jeu tous les deux ans, lors d’une dégustation à l’aveugle de toute la production nationale. Avec, dans la ligne de mire de Bellevoye, l’envie inaltérable d’être le reflet de ce que la jeune et bouillonnante industrie du whisky français fait de mieux. L’équation frôle la perfection : trois whiskies, trois distilleries, pour une complexité aromatique inimitable née d’un assemblage supervisé à la loupe par Olivier Dumont. En attendant de pouvoir disposer, l’an prochain, de leur propre structure d’élevage, les artisans de ce nectar abritent leurs barriques à l’ombre de chais historiques et bien cachés. Dans le petit village charentais de Saint-Sauvant, l’un d’eux regarde ainsi sagement vieillir ces stars de la « Spirit Valley » qui, chacune, bénéficie d’une finition méticuleusement dosée. Après un premier élevage en barrique de chêne neuve, chaque whisky de la gamme – Bellevoye Bleu et Noir mis à part – séjourne en effet dans 34—

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un autre contenant. Six mois dans une barrique de sauternes aux lies préservées pour le Bellevoye Blanc à la rondeur de raisin sec ; autant – voire plus – dans des barriques de Grands Crus du Bordelais pour le Bellevoye Rouge ; moitié moins dans des fûts de vieux calvados pour le Bellevoye Vert ; et un mois seulement dans ce qui contint plus tôt de l’eau-de-vie de prune d’Alsace pour le Bellevoye Prune. Autant de triple malts à la personnalité bien affirmée, sur lesquels – un peu partout dans le monde – ont déjà plu les médailles d’or. Servi à l’Élysée, référencé dans les restaurants et bars des palaces, Bellevoye réfléchit d’ores et déjà à ses futures déclinaisons. Prochainement, sur fond de grains d’orge modèles et de bois de chêne sans défauts, Olivier Dumont souhaiterait aller « au bout du concept ». Et élaborer, pour chaque petit coin de France, des « whiskies de terroir » parfaitement identitaires. B E L L E VOY E R O U G E

Catégorie / whisky, triple malt soit un assemblage de trois whiskies single malt. Finition / en barriques de Grands Crus Classés de Saint-Émilion dans le chai Bellevoye, à Saint-Sauvant. Nez / riche palette aromatique aux notes fruitées et fraîches. Le malt se mêle aux arômes de prunes d’Ente, de crème brûlée et aux premières noix d’automne. Bouche / texture crémeuse et moelleuse, évoquant la générosité des dattes Medjool. La présence de notes mentholées préserve l’équilibre. Les tannins sont enrobés dans un écrin de douceur. Le parfum d’épices fines et de cassonade accompagne la savoureuse finale.


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Grands formats—Bonne étoile

—Pépite

Révélation en terre tourangelle

Vocation précoce, grande humilité, respect intransigeant de l’environnement... Ces dispositions, qui s’exercent sur un patrimoine de vignes hautement qualitatif, font de Thomas Pichet l’une des valeurs montantes de la Loire. De caractère, charmeurs et purs, ses vins du Domaine du Petit Bondieu ont tout pour plaire. Texte Matthieu Perotin— Photos Stéphane Remael 36—

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B

«

OURGUEIL EST DANS MON CŒUR, c’est la meilleure des adresses. » Nul ne sait si l’acteur Jean Carmet (1920-1994) a connu le Domaine du Petit Bondieu. Mais si vous y faites une halte, il y a fort à parier que la déclaration d’amour du plus célèbre enfant du pays trouve en vous une résonance intime. C’est bien simple : en compagnie de Thomas Pichet, le cliché qui veut que la Loire symbolise la douceur de vivre donne l’impression de s’incarner. Généreux de son temps, attentif, pédagogue sans être professoral, le vigneron se révèle un hôte délicieux. Passés les prémices relatifs à l’histoire du domaine – culture de la vigne attestée dès la fin du XVIIIe siècle, reprise de l’exploitation par son père en 1976, rachat par ses soins en 2011 –, il s’efface devant la célébration du terroir. « Bourgueil couvre un plateau de sable et de graviers très filtrants, mais aussi un coteau argileux avec du calcaire plus ou moins proche en sous-sol, explique l’affable quadragénaire. Dans le premier cas, on obtient des vins pleins de fraîcheur et de fruit qui offrent un plaisir immédiat ; plus en hauteur, le supplément de matière et de tannins donne davantage de profondeur, à condition d’affiner les jus par un élevage long. » Avec un peu moins de 25 hectares répartis sur différentes parcelles, le Domaine du Petit Bondieu a élaboré une gamme de cinq cuvées destinée à restituer toutes les nuances de l’appellation. Depuis Céleste (qui représente environ la moitié de la production) jusqu’aux Couplets (cuvée issue de vignes plantées il y a 90 ans en moyenne), la concentration et le soyeux progressent à chaque étage.

Plaidoyer pour un sol vivant Aux yeux de leur géniteur, les vins du domaine partagent néanmoins quelques traits communs : « La richesse, la rondeur, une belle plénitude venant en contrepoint d’une certaine tension. » Des caractéristiques loin des stéréotypes communément associés aux rouges de Loire… Mais là n’est pas le souci de Thomas Pichet, pour qui seuls des cabernets francs menés à un haut niveau de maturité sont susceptibles d’atteindre l’équilibre recherché. Raison pour laquelle le vigneron ne ménage pas ses efforts à la vigne. Effeuillage au printemps, second passage avec tri sur pied, retrait systématique des grappes affectées d’un retard de croissance : tout est fait pour favoriser l’ensoleillement et le mûrissement des grains dans la dernière ligne droite. L’entretien des sols est également au cœur des préoccupations. « Dans les années 1990, nous avons été traumatisés par une succession d’années catastrophiques où les raisins pourrissaient en grand nombre. Nous avons réagi en semant du gazon entre les plants, avec l’idée que cela permettrait de mieux absorber l’eau de pluie. » Le résultat, d’abord spectaculaire, finit par questionner l’équipe du domaine, qui constate que les sarments sont de moins en moins nombreux à repousser après la taille. Pour en avoir le cœur net, des fosses sont creusées jusqu’à deux mètres de profondeur. Il en ressort que l’enherbement, du fait de sa densité, a littéralement stérilisé le sol, privant la vigne d’éléments nutritifs essentiels. En arrière, toute ! Depuis quelques années, des herbes et céréales diverses (trèfle, seigle, avoine…) ont remplacé le gazon. « Elles servent d’abri à une faune auxiliaire qui se nourrit des parasites. Elles contribuent aussi à réduire les rendements, d’où des vins sans doute plus concentrés qu’auparavant. »

n’hésite pas à se remettre en question. « Mon père, avant moi, a eu la volonté de limiter les intrants chimiques. Nous avons renoncé aux phytosanitaires de synthèse au début des années 2000 et nous sommes en agriculture biologique certifiée depuis plus de 10 ans. Se pose donc la question de la prévention et du traitement du mildiou, dont les attaques sont répétées. » Dûment testées, les microalgues marines – parfois présentées comme un remède miracle – n’ont pas convaincu Thomas Pichet. Au contraire des infusions de plantes, dont il a pu apprécier le rôle de stimulateur des défenses naturelles. Les huiles essentielles, l’argile et le cuivre viennent aujourd’hui compléter la pharmacopée « maison ». À la cave, le domaine ne grave pas davantage ses pratiques dans le marbre. Les anciennes barriques, bien qu’achetées d’occasion, marquaient les vins d’une empreinte boisée jugée un peu trop insistante. En 2015, elles ont cédé la place à des cuves plus vastes (400 à 500 litres). Un an auparavant, le vigneron avait commencé à travailler sans soufre. Confronté à la présence de brettanomyces (des levures responsables d’odeurs désagréables) dans les cuvées issues de vieilles vignes, il ne s’est pas entêté. « Sur les vins à risque, nous nous autorisons à utiliser une faible quantité de soufre au moment de la mise en bouteille si c’est le prix à payer pour éviter les altérations. »

« Se frotter à l’expérience des autres » L’avenir du domaine ? C’est, dès aujourd’hui, l’aménagement d’un nouveau chai qui conduira à tripler la surface dévolue à la vinification, à l’élevage et au stockage, tout en rationalisant les étapes successives de la production. C’est aussi l’installation des anciens millésimes dans une cave naturelle située sous le coteau, où la faible amplitude thermique est propice au vieillissement. C’est encore la poursuite de l’aventure débutée en 2016 de l’autre côté de la Loire. « J’ai eu l’occasion de racheter des parcelles qui appartenaient aux parents de ma femme sur l’appellation Chinon. La majorité des 2,5 hectares a été replantée en chenin. » En résultent de jolis blancs d’élevage, à la fois charnus et minéraux. Ascendants et cousins (certains lui ont revendu des vignes), belle-famille, jusqu’à ses deux fils qui, à 13 et 16 ans, se destinent déjà à devenir vignerons… Il faut croire qu’il n’existe, dans la vie de Thomas Pichet, rien d’extérieur à la passion du vin. Il s’en amuse : « Je suis tombé dedans quand j’étais tout petit et je ne me suis jamais demandé si j’allais faire autre chose. » Ses lieux de vacances ? Irouléguy, Madiran, Gigondas, Châteauneuf-du-Pape, les abords du lac Léman. Son périple en voyage de noces ? Condrieu, Côte-Rôtie, Cornas, Saint-Joseph. Avec, à chaque fois, le bonheur de rencontrer ses pairs. « Se frotter à l’expérience et au ressenti des autres, c’est toujours bon à prendre. » Pragmatisme et ouverture d’esprit, la sainte dualité du Domaine du Petit Bondieu. DOMAINE DU PETIT BONDIEU

Appellations / Bourgueil, Chinon Production / 120 000 bouteilles par an Cépages / cabernet franc (rouge), chenin (blanc) Âge moyen des vignes / 45 ans ; Altitude / 45 à 90 mètres Vendange / manuelle et mécanique

À l’écoute de ses intuitions Inscrit à un BTS de viticulture, Thomas Pichet ne l’a jamais passé. À 18 ans, et après quelques stages chez d’autres vignerons, le domaine familial l’attendait. À l’entendre raconter ses expérimentations, tâtonnements et réajustements, on se dit que l’absence d’apprentissage académique n’a pas été sans vertus. Tout sauf retranché derrière les dogmes officiels, l’homme est à l’écoute de ses intuitions et

—Domaine du Petit Bondieu, Bourgueil, Céleste Rouge 2020. Un cabernet franc tout en fraîcheur, issu des terroirs de graviers et élevé uniquement en cuves pour préserver son fruit croquant. Un vin souple et harmonieux, aux notes de fruits rouges : une première marche déjà haute. Racines

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Dégustation—Interview

UN VERRE AVEC…

Stéphanie Le Quellec Dans son restaurant La Scène, à Paris, elle met en lumière une gastronomie de haute volée, où le vin occupe une place de cœur. La cheffe aime l’émotion qui naît de la dégustation d’une bouteille. Qu’est ce qu’on boit aujourd’hui ? Un Château Rayas

2006. Les vins d’Emmanuel Reynaud sont mes préférés. J’aime sa patte, son travail, et Rayas en est la quintessence. Et puis c’est une bouteille qu’on m’a offerte juste avant ma deuxième étoile au Princede-Galles. C’est avec elle que je suis venue au monde des vins de manière plus pointue et plus passionnée. J’ai eu une véritable émotion au moment de la déguster. Je ne l’ai pas ouverte tout de suite. J’aime l’appellation Châteauneuf-du-pape, mais je n’en n’avais jamais goûté un comme celui-là, car il ne rentre pas dans les codes de l’appellation. J’ai apprécié le côté surprenant de la patte d’un vigneron sur un terroir d’exception, qui en fait quelque chose de très personnel, l’aspect particulièrement atypique de cette parcelle, en plein milieu de Châteauneufdu-Pape, qui donne des vins très expressifs et d’une finesse rare. C’est l’expression du grenache comme tu ne la connais pas. Il y a quelque chose de poétique dans ce vin. J’aime sa magie. Racontez-nous l’émotion de cette ouverture et de sa dégustation. Nous étions avec

David, mon mari, dans notre maison de campagne. On venait de l’aménager, c’était notre premier hiver là-bas, les premiers feux de cheminée. À l’époque, je n’avais pas la cave que j’ai aujourd’hui, donc cette bouteille exceptionnelle, elle célébrait un moment heureux, une sorte de 40—

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Mais s’il faut choisir un seul verre ou une seule bouteille, il ou elle sera forcément rouge. Vos parents vous ont initiée aux plaisirs des grandes tablées et à la nourriture comme bonheur du vivre ensemble. Quelle place occupait le vin dans ces moments-là ?

plénitude. Notre dernier fils qui venait de naître… Un alignement des planètes, mais dans un moment très simple. Quelle est votre définition d’un grand vin : est-ce la bouteille ou le moment qui va avec ?

C’est la conjonction des deux. Comme pour la table, ils sont intimement liés. Tu peux être dans un pique-nique avec des gens que tu aimes et prendre une claque avec un vin. Ou être dans un grand restaurant où il ne se passe pas grand-chose… Ce qui compte, c’est l’émotion qu’il te procure. Ce n’est pas qu’une étiquette ou un prix stratosphérique. Des grands vins, il y en a à 10 euros. Dans lesquels tu sens le cœur du vigneron. Quelle est votre couleur préférée ? J’adore les vins

rouges. Les vins de Champagne également, tout comme le blanc.

Nous avions la culture de la table, du produit et de la cuisine, mais pas forcément celle du vin. Dans ma famille, c’était assez classique : un riesling avec des fruits de mer, du bordeaux sur la viande et un champagne en dessert. Ma culture du vin est venue plus tard, quand j’ai démarré au George-V, où j’avais les oreilles et les yeux qui traînaient. Je voyais passer un fond de Romanée-Conti ou de Petrus qui me permettait de m’approcher de ces grandes bouteilles. Puis, dans le sud de la France où j’ai travaillé, à Terre Blanche [à Tourrettes, dans le Var, ndlr], je partageais beaucoup avec le sommelier. Mais l’accélération a eu lieu il y a 10 ans, au Prince-de-Galles, avec mon premier chef sommelier Philippe Marques, qui avait des partis pris atypiques et assez forts. Il m’a fait découvrir Château Rayas et c’est lui et son associé qui m’ont offert cette bouteille. Là, je me suis mise à m’y intéresser, à aimer et à comprendre. Et au cours des cinq dernières années, ma curiosité s’est encore développée. À quoi ressemble votre cave à Paris, mais aussi dans votre

maison de campagne, en Haute-Normandie ?

Il y a d’abord les bouteilles achetées à la naissance de mes deux premiers fils, qui ont 16 et 18 ans. Une époque où je n’y connaissais pas grand-chose et où je n’avais pas un budget incroyable… Mais où la symbolique – ouvrir une bouteille pour leurs 18 ou leurs 20 ans – avait déjà une place. Donc j’ai quelques bouteilles de 2004 et 2005… un plus joli millésime. Il ne faut pas le dire à votre fils aîné… Mais il le sait !

[Rires, ndlr]. Et hormis ces bouteilles symboliques ? Nous nous

sommes mis à acheter les vins que l’on aime – la moitié de rouge, un tiers de champagne et le reste de blanc. D’abord le Rhône, puis, plus récemment, la Bourgogne. Le palais évolue et j’ai envie d’aller vers plus de finesse, d’élégance. Ce qui m’impressionne en Bourgogne aujourd’hui, c’est ce qu’on peut faire à partir d’un seul cépage, le pinot. Il y a une palette de terroirs et de vignerons qui t’emmènent dans des univers parfois diamétralement opposés. Souvent intimement liés à la personnalité du vigneron. Ça me fascine. Et le Sud, où vous avez passé huit ans ? On a quelques

jolis Château de Pibarnon sur des vieux millésimes. Et depuis 2010, on en achète tous les ans. Parmi les bandols qu’on aime bien également, comme le Photos Édouard Jacquinet


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Domaine de Terrebrune ou le Domaine Tempier. On rentre dans l’hiver, on va avoir les premiers gibiers, c’est magnifique avec un vin un peu charpenté. Pas de rosé ? Je n’en bois jamais. Ce n’est pas du snobisme, je n’aime pas ça. Alors que je suis une bonne vivante et que j’aime avoir un verre à la main, je passe mon tour s’il n’y a que du rosé. Vous aimez offrir de belles bouteilles à vos amis. Quelle était la dernière en date ? Et qui en était l’heureux bénéficiaire ? J’ai offert à ma

sœur un champagne Charles Heidsieck de 1987, son année de naissance. On ne l’a pas encore ouverte. Ça me fait plaisir de l’amener à la culture du vin avec cette bouteille. Comment voyez-vous, dans le cadre de votre formation professionnelle, l’écart qui sépare parfois le monde de la cuisine et celui de la sommellerie ? Ces deux mondes

peuvent ne jamais se croiser. Certains chefs ne s’y intéressent pas, ne goûtent pas. Pourtant, c’est intimement lié. Boire bon, quand tu manges bien et manger bien quand tu bois bon, ça décuple les plaisirs. Dans votre restaurant La Scène, où situez-vous la place du vin dans un repas ?

Ça commence par avoir, à la tête de la sommellerie, quelqu’un qui a la même vision que moi de mon travail, et réciproquement. Matthias Meynard est là depuis un peu plus d’un an, c’est une vraie belle rencontre, nous travaillons main dans la main. Nous avons démarré modestement il y a deux ans, à l’ouverture, avec les bouteilles de ma cave personnelle. J’avais quelques hermitages de chez Chave que j’avais chinés pour moi. Et j’ai tout vendu, malheureusement ! Le vin, c’est un investissement dans un restaurant. J’ai décidé de lui allouer un budget, avec une dynamique de construction. C’est très important de pouvoir

proposer une représentation fidèle de ce qu’est la France, que toutes les régions soient représentées. Nous avons de très belles choses qui viennent de Savoie, par exemple, qui n’est pas forcément un territoire viticole prestigieux, mais où il se passe des choses incroyables. Matthias m’a fait découvrir des vignerons comme Thomas Blard [Domaine Blard & Fils, ndlr], qui fait un boulot incroyable sur les pinots noirs. C’est important de mettre en lumière des petits domaines et de jeunes vignerons, comme les têtes d’affiche du vignoble. Nous commençons

tisser des liens avec les clients. Certains commandent d’abord le vin et vous demandent ensuite le menu qui s’accorde le mieux ? Oui,

ça arrive. En juillet, un client avait quelque chose à fêter. Il a commencé par dire : « D’abord, on va boire une Romanée-Conti. Qu’est-ce qu’on mange avec ? ». Comment construisez-vous le menu en accord mets et vins ? Les clients sont nom-

breux à le choisir, c’est donc important d’être pertinent, d’avoir aussi bien des belles appellations que des décou-

J’ai beaucoup d’humilité par rapport au vin, j’essaie de me cultiver, de goûter, de comprendre. avec une première bouteille autour de 50 euros. Combien de références proposez-vous à la carte ?

Quand Matthias est arrivé, nous avions 3 500 bouteilles environ, pour à peu près 300 références. Aujourd’hui, nous comptons environ 8 000 bouteilles, pour 750 références. Je veux que ça continue. Nous avons beaucoup rendu visite aux vignerons. Ils ont envie d’en savoir plus sur nous avant de nous vendre leur vin. Et c’est passionnant de comprendre leur travail et leur univers. Quand je vois une bouteille de vosne-romanée du Domaine du Comte Liger-Belair sur la table, ça me fait plaisir de discuter avec ceux qui la dégustent, de leur raconter l’histoire que nous avons découverte sur place. C’est une porte d’entrée vers la table, pour

vertes et des impromptus. On peut glisser par exemple un saké – je suis une fan – ou un gin… J’écoute aussi la salle et Matthias, qui peuvent me communiquer des détails qui feront la différence. Comment jugez-vous vos connaissances œnologiques ?

J’ai beaucoup d’humilité par rapport au vin, j’essaie de me cultiver, de goûter, de comprendre. On s’amuse beaucoup, dans l’équipe, à déguster à l’aveugle. Je me plante très souvent. Mais j’apprends. Je n’ai pas de prétention, mais je suis passionnée. J’ai un respect infini pour les vignerons bien sûr, mais pour les sommeliers aussi. Ça demande une telle connaissance, une telle mémoire. Ça fait appel à tous les sens. Je dis souvent que je n’en serais pas capable.

Vous avez participé à l’élaboration de trois millésimes du second vin du Château Dauzac, à Margaux (2013, 2014 et 2015) aux côtés de l’équipe du château. Qu’avez-vous découvert à cette occasion ?

Ça a été un déclic. C’était passionnant de rencontrer les équipes de Dauzac. Nous nous sommes retrouvés au mois de février autour d’une table, avec une vingtaine de parcelles à goûter et quatre vins de presse, dans un silence religieux, à se dire : « Bon, qu’est ce qu’on fait ? ». C’était intimidant, car j’étais complètement novice. Mais c’est de la cuisine liquide. On goûte, on avance, on fait des essais. L’exercice dure trois heures et demie et c’est un pur bonheur. Une forme de révélation. Rêvez-vous de créer votre vin, qui serait à l’image de votre cuisine ? De quelle région serait originaire ce cru Le Quellec ? Un de mes

rêves serait d’acheter un carré de vignes… Sans avoir la prétention de le vinifier, mais en m’adossant à un vigneron que j’aime pour qu’on le fasse ensemble. Gustativement, on serait sur la moitié sud, probablement, avec des vins solaires, mais en gardant de la finesse, de l’élégance. Peut-être des vins un peu égrappés, mais qui ne soient pas trop tanniques. Où il y aurait un plaisir immédiat. Un vin simple, lisible, pas trop intellectualisé. Peut-être un vin en dehors de toute appellation, un vin de pays. Un vin de copains. Et vous le serviriez avec quoi ?

Je couperais quelques ceps de vignes, que je jetterais sur des braises pour y faire cuire une jolie pièce de bœuf un peu maturée et bien persillée pour accompagner ce vin rouge. Les classiques, ça a du bon finalement… B O R I S C O R I D I A N / —Restaurant La Scène (Stéphanie Le Quellec), 32, avenue Matignon, 75008 Paris. Tél. : 01 42 65 05 61 (la-scene.paris). Racines

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Dégustation—Mets-Vins Section—Rubrique

Teaser—Teaser

Aux grands mets les grands formats

Pour un repas de fête qui rassemble famille ou amis, privilégiez des recettes généreuses, simples et faciles à partager. Et pour les vins, seule une belle sélection de magnums peut être à la hauteur de cette convivialité.

Pour 6 personnes Préparation / 25 min Cuisson / 1h40 1 pintade chaponnée de 2 kg préparée par votre boucher 1 l de bouillon de volaille 1 branche de céleri, 1 carotte 1 blanc de poireau, 1 oignon 4 clous de girofle

3 cm de gingembre 2 gousses d’ail, 1 bouquet garni 6 shitakés séchés, 10 feuilles de sauge 500 g d’un mélange de champignons de saison (cèpes, girolles, chanterelles…) 500 g de pommes de terre grenaille 30 g de beurre Fleur de sel, poivre du moulin

P I N TA D E C H A P O N N É E P O C H É E AU B O U I L LO N D E C H A M P I G N O N S [1 ] Épluchez la carotte et le céleri et découpez-les en tronçons. Retirez les racines

du poireau et un peu de son vert, découpez-le en tronçons. Épluchez l’oignon, découpez-le en quatre et piquez-le avec les clous de girofle. Épluchez le gingembre et les gousses d’ail. [2] Dans une cocotte, faites chauffer le bouillon avec 1 l d’eau, les légumes, le gingembre, l’ail, le bouquet garni, les shitakés séchés et faites


Section—Rubrique

bouillir 20 min. Ajoutez la pintade, baissez le feu et laissez frémir pendant 25 min. [3] Préchauffez le four à 180 ºC (th. 6). Placez la pintade dans un plat allant au four, versez un fond de bouillon, les pommes de terre grenaille, la sauge, salez, poivrez et enfournez pour 40 min en l’arrosant souvent et en retournant les grenailles. [4] Pendant ce temps, faites dorer les champignons soigneusement nettoyés et séchés dans une poêle avec un peu de beurre et à feu vif. Mainte-

Photos Mickaël A. Bandassak Stylisme Audrey Cosson

nez-les au chaud jusqu’à la fin de la cuisson de la pintade. Testez la cuisson de celle-ci en piquant un de ses flancs avec un couteau : le jus qui s’écoule ne doit pas contenir de sang. [5] Retirez du four, découpez la pintade en morceaux et servez-la avec son jus de cuisson récupéré dans le fond du plat et les légumes. [N.B.] Surtout, ne jetez pas le reste du délicieux bouillon de cuisson de la pintade, conservez-le pour une autre utilisation. Vous pouvez également le congeler.

+ Château des Jacques, Moulin-à-Vent Rouge 2015. Un grand gamay fruité et charnu, tout en dentelle, qui épouse la chair de la volaille et en respecte la texture. Les saveurs de champignons s’enrichissent sur cet accord ton sur ton.


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P O I R E AU X B R A I S É S E T V I N A I G R E T T E T R U F F É E Pour 6 personnes Préparation / 15 min Cuisson / 25 min – Repos / 1 nuit 1 truffe noire 8 c. à soupe d’huile d’olive 6 poireaux fins

30 g de beurre doux Le jus d’1/2 citron 1 c. à soupe de sucre en poudre 20 cl de bouillon de légumes Fleur de sel, poivre du moulin

[1] La veille, découpez en fines lamelles la moitié de la truffe et mélangez-la à l’huile d’olive dans un bocal. Refermez-le

et laissez reposer à température ambiante. [2] Le jour même, retirez les racines et les feuilles abîmées des poireaux ainsi qu’une partie de leur vert, puis découpez-les en deux parties égales. [3] Plongez-les dans une grande casserole d’eau bouillante salée et faites cuire 10 min environ, les poireaux doivent commencer à être tendres. Égouttez-les et plongez-les aussitôt dans de l’eau très froide. [4] Placez-les dans une sauteuse avec le beurre, le sucre, le jus de citron, la moitié de la truffe découpée en lamelles et du bouillon à hauteur. Salez, poivrez et faites cuire à feu doux en remuant de temps en temps et presque à couvert, jusqu’à ce que le liquide de cuisson soit sirupeux et que les poireaux soient bien fondants. [5] Récupérez le jus de cuisson et mélangez-le à l’huile d’olive. Servez les poireaux avec la vinaigrette et les lamelles de truffe. + Pascal Jolivet, Sancerre Chêne Marchand Blanc 2018. Ce sancerre bien né associe une trame pure à une grande amplitude de corps. Les amers nobles qui le caractérisent répondront point par point au végétal du poireau et à la force racinaire de la truffe. Un délice ! 46—


Section—Rubrique

SAU M O N C O N F I T AU M I E L E T G R A I N E S D E F E N O U I L Pour 6 personnes Préparation / 10 min Cuisson / 35 à 50 min Repos / 2h 1,2 kg de saumon entier ( avec sa peau )

2 oranges bio, 1 citron bio 3 c. à s. de miel Gingembre, aneth 1 c. à s. de graines de fenouil 2 gousses d’ail Fleur de sel, poivre du moulin

Dans un bol, mélangez l’ail haché, le zeste du citron et d’une orange, les graines de fenouil, le jus des oranges, le miel, le gingembre, salez et poivrez. Placez le saumon dans un plat creux et faites-le mariner avec cette préparation et sous film alimentaire pendant 2 h au réfrigérateur en le retournant une fois. [2] Préchauffez le four à 70 ºC (th. 2-3). Versez la marinade dans une casserole et faites-la réduire à feu vif jusqu’à ce qu’elle devienne un peu sirupeuse. [3] Tapissez une lèchefrite de papier cuisson, déposez le saumon côté peau et badigeonnez-le de marinade avant d’enfourner pour 30 à 45 min, en arrosant régulièrement le saumon avec sa marinade. [4] Au bout de 30 min, prélevez la température à cœur à l’aide d’une sonde. Elle doit être à 45 ºC pour une cuisson nacrée, 54 ºC pour une cuisson à point. Ajustez selon votre souhait et servez sans attendre. [1]

+ Michel Chapoutier, Hermitage Chante-Alouette Blanc 2017. Miel, citron confit et amande caractérisent cet hermitage de très grande facture. Il sublimera les saveurs du saumon en effectuant un point de contact avec sa chair tendre, dans un bel accord de persistance. —47


Teaser—Teaser

SA I N T-J AC Q U E S G R AT I N É E S AU B E U R R E D ’ O R A N G E E T E S T R AG O N Pour 6 personnes Préparation / 15 min Cuisson / 7 à 8 min 12 coquilles Saint-Jacques ouvertes Le zeste finement râpé d’1 orange bio

120 g de beurre doux à température ambiante 1 gousse d’ail 5 tiges d’estragon 35 g de poudre d’amandes Fleur de sel, poivre du moulin Gros sel pour servir

[1] Préchauffez le four en position gril. Épluchez, dégermez et hachez finement l’ail. Effeuillez et ciselez finement l’estragon. [2] Dans un bol, mélangez le beurre avec l’ail, les zestes d’orange, l’estragon et la poudre d’amandes. [3] Recouvrez les coquilles Saint-Jacques avec ce beurre et passez sous le gril du four en position forte pendant 7 à 8 min pour qu’elles soient dorées mais encore bien nacrées et fondantes.

+ Yann Alexandre, Champagne Premier Cru Extra-Brut 2012. Une bulle ultra fine, aux saveurs délicates d’agrumes et de craie ; sa trame acidulée fait parfaitement écho au plat, répondant à la texture moelleuse du coquillage et rehaussant les notes grasses du beurre mêlé d’amandes. 48—


Section—Rubrique

TA RT E SA B L É E AU PA M P L E M O U S S E Pour 6 personnes Préparation / 45 min Cuisson / 20-25 min Pâte sablée : 80 g de sucre glace

25 g de poudre d’amandes 230 g de farine 120 g de beurre, 1 œuf 1 c. à c. d’extrait naturel de vanille liquide

[1] Dans un saladier, mélangez le sucre glace, la poudre d’amandes et la farine. Ajoutez le beurre découpé en cubes et mélangez du bout des doigts jusqu’à obtenir une texture sableuse. Ajoutez l’œuf et l’extrait de vanille, mélangez pour obtenir une pâte homogène, formez une boule et étalez-la entre deux feuilles de papier cuisson. Déposez 1 h au réfrigérateur. [2] Beurrez et farinez le moule à tarte, foncez-le avec la pâte, piquez le fond avec une fourchette puis placez 30 min au frais.[3] Préchauffez votre four à 170 °C (th. 5-6) et enfournez le fond de tarte pendant 10 à 15 min – la pâte doit être cuite et dorée. Sortez du four et laissez refroidir. [4] Préparez le crémeux pamplemousse : dans une casserole,

1 pincée de sel, 1 jaune d’œuf Crémeux pamplemousse : 110 g de sucre glace, 4 œufs 2 c. à café de Maïzena 17 cl de jus de pamplemousse

360 g de mascarpone Le zeste et les suprêmes de 2 pamplemousses roses bio Quelques amandes entières décortiquées

fouettez le sucre, les œufs et la Maïzena. Ajoutez le jus et le zeste de pamplemousse. À feu doux, mélangez jusqu’à épaississement. Retirez du feu, ajoutez le mascarpone et fouettez pour homogénéiser. Réservez et laissez refroidir. [5] Répartissez le crémeux pamplemousse sur le fond de tarte refroidi et réservez au réfrigérateur. Prélevez les suprêmes des pamplemousses puis déposez-les sur le crémeux bien froid juste avant de servir. Parsemez les amandes grossièrement hachées. [N.B.] Si vous souhaitez préparer cette tarte à l’avance, faites cuire la pâte et préparez le crémeux, mais n’assemblez qu’au moment de servir, au risque de détremper la pâte. RECETTES : AUDREY COSSON /

+ Boeri Alfonso, Moscato d’Asti Laura Blanc 2019. Léger et ultra-fruité, ce Moscato d’Asti ultra-réjouissant aux notes d’agrumes épouse parfaitement l’amertume du pamplemousse, sucrant même délicieusement la recette. Le contraste idéal ! —49


Dégustation—Bulles 5—Coupe ou flûte ?

Ni l’une ni l’autre ! La flûte, étroite, concentre le CO2, qui devient agressif pour les muqueuses. Quant à la coupe, plus évasée, elle laisse s’échapper les bulles trop rapidement et dilue les arômes, qui se volatilisent dans l’atmosphère. De plus, le gaz s’échappe et d’un million de bulles dans un verre de champagne, on tombe à 300 000 environ avec une coupe évasée ! L’idéal reste le verre à vin. 6—Passer à l’horizontale

Ne pas hésiter à prendre en main le service. En effet, incliner le verre (comme pour une bière) permet de préserver une plus grande quantité de CO2 dissous et donc plus de bulles, par rapport à un service à la verticale. 7—Blanc ou noir : la minute culture

À quelques jours de Noël et de la Saint-Sylvestre, le Comité partage ses bons conseils pour profiter au mieux des incontournables bulles des fêtes.

8—C’est du propre !

Un verre impeccable est synonyme de peu de bulles. Pour remédier à cela, il ne faut pas que sa paroi soit parfaitement lisse. Les imperfections et petites poussières qui peuvent en tapisser les parois permettent à la bulle de se former. Évitez donc de les essuyer avec zèle et de les ranger tête en bas dans le placard.

1—Frais, mais pas glacé

3—Carafe & précautions

Le champagne se sert autour de 9-10 °C car en-deçà, ses arômes ont du mal à se développer. Comme les grands vins blancs, les champagnes plus âgés ou millésimés requièrent une température un peu plus élevée – de l’ordre de 12 °C. Attention en débouchant la bouteille, à température ambiante, la pression est plus importante. A contrario, plus le champagne est frais, plus le CO2 est dissous, et moins forte est la pression.

9—Clair-obscur

Il peut arriver que l’on carafe un vin de Champagne pour en révéler les arômes et gommer une partie de la vivacité de ses bulles. Mais cette pratique, réservée à quelques cuvées souvent dégorgées récemment, nécessite quelques précautions : pour éviter que la majorité des bulles ne disparaisse, il faut verser le vin délicatement, en suivant la paroi intérieure d’une carafe très rafraîchie au préalable.

Toutes les bouteilles de champagne dont le verre est transparent sont très fragiles et il faut les préserver du célèbre « goût de lumière » qui modifie les saveurs et l’équilibre du champagne. Préservez celles qui sont présentées dans un emballage individuel et conservez-les dans le noir total, sinon le vin perdra sa brillance et prendra un goût de chou ou de laine mouillée !

2—Une bouteille ou plus, si festivités

4—Sabrer pour célébrer

Offrir du champagne est toujours une bonne idée. Et dans un contexte festif et familial, les grands formats sont mieux adaptés. Voilà pourquoi les fêtes sont l’occasion ultime d’apporter un magnum (l’équivalent de deux bouteilles) ou un jéroboam (quatre bouteilles). Ne voyez pas trop grand pour autant : au-delà du jéroboam, le vin a rarement vieilli dans ce contenant et il est souvent transvasé à la commande, hormis chez quelques rares maisons (Drappier, Roederer, Jacquesson).

Ouvrir une bouteille avec un sabre, ce n’est pas du folklore, mais une tradition : les soldats fêtaient ainsi leur retour du combat. Même si le champagne est un vin extrêmement délicat, ce rituel mérite d’être préservé. Sans forcément devoir recourir à une arme… La base d’un verre à vin, l’arrière de la lame d’un couteau voire le manche d’une louche en métal peuvent faire l’affaire ! Toutefois, on en conviendra, cela reste une pratique à effectuer en plein air.

Champagne et dessert ne font généralement pas bon ménage, à moins de privilégier un demi-sec ou un doux (dosés autour de 30 à 45 g/l de sucre) et de prévoir un mets léger ; un sabayon de fruits rouges avec un champagne rosé, par exemple. En tout cas, évitez absolument l’association champagne et chocolat ! Et notez que plus le champagne est dosé en sucre, plus il est visqueux et plus les bulles remontent lentement à la surface du verre, créant ainsi moins de mousse.

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Racines

10—Se faire mousser en fin de repas

VÉRONIQUE RAISIN /

Photos : Romain Guittet ; DR

Champagne !

Profitez du service pour impressionner vos convives. Apprenez-leur qu’un blanc de blancs est un champagne blanc issu de raisins blancs, généralement du cépage chardonnay ; ses caractéristiques sont la finesse, la délicatesse, la rondeur et une belle acidité. Si vos invités préfèrent un vin plus puissant, orientez-les vers un blanc de noirs, composé de pinot noir, un cépage charnu et plus puissant et/ou de meunier, plus fruité.


—Ailleurs

Raffinement nippon Derrière leurs magnifiques étiquettes, ces whiskies abritent la quintessence de la délicatesse et du savoir-faire japonais.

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En haut, la distillerie Kurayoshi, dans la préfecture de Tottori.

CES SINGLE MALTS portent l’empreinte singulière de leur pays d’origine, notamment tout le relief que confèrent les essences d’arbres locales, le sakura et le mizunara. Leur bois est utilisé pour les fûts de vieillissement de deux de ces perles de la distillerie Kurayoshi. Seul et unique single malt vieilli en fûts de sakura – le célèbre cerisier japonais dont la floraison printanière est perçue là-bas comme une métaphore de la vie – The Matsui Sakura Cask (1) arbore une robe d’une belle teinte jaune clair, dévoile un goût frais et inédit, aux notes fruitées de pêche-abricot et de fleurs blanches. Mizunara désigne une variété de chênes rares : ils ne poussent que dans les forêts d’Hokkaido et dans la région de Tohoku, au nord de l’archipel, et mettent deux, voire trois siècles pour arriver à maturité. Les barriques réalisées à partir de leur bois précieux coûtent ainsi 20 fois plus cher qu’une barrique de chêne américain. Sa texture, très poreuse, favorise un échange soutenu entre le bois et le whisky pour un rendu en bouche mielleux, gras, à la finale longue et intense. La noblesse de The Matsui Mizunara Cask (2) reflète la dimension luxueuse des barriques où il repose. Jim Murray, auteur de Whisky Bible, ne s’y est pas trompé : il le distinguait l’année dernière comme le meilleur single malt japonais en soulignant « une fragilité dans cet arôme, presque inégalée dans le monde du whisky : le malt est vif et délicat, la douceur ne se limite qu’à un soupçon de massepain. » Le single malt tourbé The Matsui The Peated (3) offre quant à lui une interprétation à mille lieues des Écossais. Ici, la fraîcheur – reflétée par la célèbre vague de Hokusai sur le flacon – est végétale et des notes mentholées, de réglisse, dominent dans une belle complexité aromatique. L’ensemble des productions de Kurayoshi associe aux spécificités de chacune des références deux constantes : les eaux pures du mont Daisen, dans cette province de Tottori, une région de onsen (les bains thermaux japonais) et le talent de Matsui Shuzo, producteur historique de saké, qui dirige la distillerie depuis une vingtaine d’années. Il perpétue ici, avec une production très limitée de 10 à 15 000 bouteilles par an, un siècle de tradition. J O Ë L L A C R O I X / Racines

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Dégustation—Escapade

L’Alsace réinventée

Cette région aux multiples cultures a toujours lié son histoire à celle d’un art de vivre empreint d’hospitalité. Riche d’un terroir qui produit des vins d’une grande complexité, l’Alsace sait faire rimer « tradition » et « évolution ».

Une approche vertueuse Avant de prendre la route, il faut faire une première halte chez Thierry Schwartz, à Obernai, pour saisir ce paradoxe. Si le cadre est celui d’une maison historique, avec poutres apparentes et feu de cheminée, l’assiette guide les convives à travers une Alsace attentive aux enjeux écologiques qui ne s’embarrasse pas de fioritures : « Œuf dans l’œuf de monsieur Humbert », « Agneau d’herbes de Bassemberg », « Morilles des pins d’ici »… Autant d’intitulés qui désignent des produits sourcés aux alentours et travaillés sans artifices. « Dans cet esprit de soutien aux producteurs locaux, je revisite 52—

Racines

Ci-dessus : la salle de restaurant du Chambard, à Kaysersberg. À droite : l’hôtel 48° Nord et ses hytte (chalets).

Photos : Anne-Emmanuelle Thion ; David Emmanuel-Cohen

LES PREMIÈRES TRACES de la viticulture en Alsace remontent au Ier siècle avant J.-C. et les premiers écrits sur le sujet sont apparus au Moyen- Âge. Ce savoir-faire va gagner ses lettres de noblesse dès la Renaissance en ralliant des amateurs à travers toute l’Europe, dont certains n’hésiteront pas à faire le déplacement. Les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui l’œnotourisme étaient alors posées, avec des auberges dans chaque village du vignoble où se régaler de plats gourmands – flammekueche, baeckeoffe, spätzle… – tout en dégustant le fruit de la production viticole. En 1953, le vignoble alsacien va devenir le premier en France à se doter d’une route des vins. Le parcours s’étend sur 150 kilomètres, sillonnant les contreforts des Vosges et traversant 67 villages producteurs ainsi que 48 des 51 grands crus. Autant dire un voyage initiatique à travers un terroir très marqué par les blancs (riesling, pinots blanc et gris, sylvaner, gewurztraminer…), mais où les rouges (pinot noir) sont loin d’être en reste. Le périple est rythmé d’adresses – hôtels, restaurants, auberges, winstubs – qui participent de cette découverte. Et contrairement à l’imagerie de carte postale (souvent erronée) que l’on s’en fait, nombreux sont les établissements à avoir su capter l’air du temps pour entraîner la gastronomie alsacienne au cœur des enjeux de la modernité.


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01. La passerelle Marc-Seguin | 02. La tour de la Vierge

Racines

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Dégustation—Escapade

le paysagiste franco-danois Emil Leroy Jönsson a développé ici un nouveau modèle d’hospitalité avec l’aide de l’architecte norvégien Reiulf Ramstad. « Les 14 hytte – chalets, en danois – ont été construites avec le bois des châtaigniers qui se trouvaient sur la parcelle. Et tout, à l’intérieur, mise sur l’expérience d’un art de vivre au plus près de la nature » souligne l’instigateur du projet. La cuisine du chef Frédéric Meztger s’inspire quant à elle des récoltes (de saison) du potager quand elle ne s’appuie pas sur des fermentations permettant de prolonger la fraîcheur d’un légume. Prochaine étape : la construction d’une cave de dégustation rassemblant tous les vignerons versés dans la biodynamie dans un rayon de… 48 kilomètres.

chaque hiver la recette du pâté de foie gras d’oie Maréchal de Contades (1778) avec des oies élevées en Alsace par les deux derniers producteurs en activité, les fermes Schmitt et Mang » explique le cuisinier étoilé, convaincu qu’il faut rendre vivante cette tradition culinaire, afin de ne pas la perdre. Le relief s’est accentué et le tracé routier sillonne un bandeau de vignes relativement étroit – trois kilomètres tout au plus – qui traverse des villages emblématiques comme Epfig, où l’on trouve le Domaine Ostertag, emmené par Arthur Ostertag, Barr, Mittelbergheim ou encore Dambach-la-Ville, où les frères Frey poursuivent eux aussi l’œuvre de leurs parents, au Domaine Charles Frey. « Ici, nous sommes désormais une vingtaine de vignerons de moins de 30 ans à avoir repris les affaires familiales en les faisant bien évidemment évoluer », précise Thibault Frey. Sur les 15 000 hectares du vignoble, un tiers est cultivé en agriculture biologique ou en conversion, avec notamment une hausse impressionnante, en 2020, de 33 %. Avec 585 viticulteurs certifiés bio ou en voie de l’être, l’Alsace peut se targuer d’être sur le podium de cette agriculture vertueuse. Il faut s’écarter légèrement de la route des vins pour découvrir un projet parmi les plus engagés actuellement en Alsace. L’hôtel 48° Nord s’est ancré à Breitenbach, au creux du val de Villé, en plein cœur d’une nature cette fois plus montagnarde. Séduit par l’approche écoresponsable de la commune, 54—

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Après une nuit régénératrice, retour sur la route des vins afin de profiter d’une halte à Steige, à la distillerie Jos Nusbaumer, réputée pour ses eaux-de-vie de fruits, avant d’arriver à Bergheim, où se trouve le Domaine Marcel Deiss. Il s’agit de l’un des plus réputés d’Alsace, pourtant, il va à contre-courant de la norme en vigueur. Dans les années 1980, Jean-Michel Deiss va remettre au goût du jour une méthode ancestrale : la « complantation », qui consiste à préserver le mélange des cépages d’une même parcelle. Le terroir, par ses caractéristiques minérales, n’en devient que plus identitaire de l’expression d’un vin qui trouve là sa vraie personnalité. Être moderne et respectueux de la tradition, Olivier Nasti, chef du Chambard, à Kaysersberg depuis une vingtaine d’années, semble en avoir fait son credo. Il n’hésite pas à s’emparer de recettes ancrées dans le territoire pour en faire des plats d’une grande épure, gustative comme visuelle. L’anguille du Rhin au vert, d’ordinaire en sauce épaisse, se mue ici en composition graphique, le gibier se déguste cru-cuit dans un bouillon clair au raifort, l’omble-chevalier se cuit en cire d’abeille et même le kouglof devient pain au levain. « Franc-comtois d’origine, j’ai totalement épousé le terroir alsacien, mais j’essaie de le magnifier en poussant la réflexion autant sur les textures, les cuissons que le dressage », explique le chef doublement étoilé. Pour rejoindre Colmar, pourquoi ne pas faire un léger détour par Niedermorschwihr, le point d’attache du Domaine Albert Boxler, dont l’élégance des vins rivaDe haut en bas : le chef étoilé Thierry Schwartz (Le Restaurant, à Obernai), un de ses plats signatures, et la brasserie de La Maison des Têtes, à Colmar.

Photos : Ilya Kagan ; Lez Broz ; DR

L’anguille du Rhin revisitée


lise avec la précision de Jean Boxler. On fera aussi un arrêt chez la star des confiturières, Christine Ferber, puis à Wintzenheim, chez les sœurs Meyer, qui œuvrent à la destinée du Domaine Josmeyer, certes reconnu pour ses vins, mais surtout identifiable par ses étiquettes signées par des artistes.

Le terroir sans les clichés Une fois à Colmar, La Maison des Têtes est une étape incontournable. Marilyn et Jean Girardin, remarqués à La Casserole, à Strasbourg, ont placé la barre très haut en transformant, il y a sept ans, cette belle endormie à la façade sculptée en un établissement cinq étoiles doté d’un restaurant gastronomique et d’une brasserie. Le midi, c’est précisément à cette table que l’activité est de mise depuis… 1901. « Nous avons conservé les boiseries d’époque mais allégé certains éléments de décor et installé des luminaires contemporains pour inscrire l’adresse dans un esprit plus actuel, tout comme la carte revisite en mode bistronomique les fondements de la cuisine alsacienne », explique Marilyn Girardin. L’occasion de savourer des produits qui caractérisent le terroir sans tomber dans les clichés : truite saumonée fumée, escargots de la Weiss, quenelle de brochet sauce au riesling, carré En haut : le village de Kaysersberg. À droite : une chambre de La Maison des Têtes, à Colmar. Ci-dessous : au Chambard, le chef Olivier Nasti vise l’épure.

Pratique SÉJOURNER / SE RESTAURER Hôtel 48° Nord

de cochon fermier. Du côté des 21 chambres, le design joue avec les volumes de cette ancienne bourse du vin pour souligner les traits d’un Relais & Châteaux dans l’air du temps. La route pourrait se poursuivre vers le sud et Mulhouse, mais ce sera l’objet d’un prochain voyage. De retour vers Strasbourg, cette fois en longeant le Rhin à travers le Ried, on s’autorisera une ultime étape à la chaudronnerie Rudinger Gillain, à Rhinau. Cet artisan est le dernier, en Alsace, à fabriquer des alambics servant à la distillation des eaux-de-vie de fruits dont le petit monde de la mixologie ne tardera sans doute pas à découvrir le potentiel. Une preuve supplémentaire que cette région n’a pas fini de revisiter ses traditions. O L I V I E R R E N E A U /

1048, route du Mont Sainte-Odile, 67220 Breitenbach Tél. : 03 67 50 00 05 – hotel48nord.com Menus à 36 €, 48 € et 60 € Hytte pour 2 personnes à partir de 190 € La Maison des Têtes

19, rue des Têtes, 68000 Colmar Tél. : 03 89 24 43 43 maisondestetes.com Brasserie : menus déjeuner à 21 € et 25 € ; carte 25-45 € ; restaurant : menus à 155 € Chambre double à partir de 300 € Le Restaurant/Thierry Schwartz

35, rue de Sélestat, 67210 Obernai Tél. : 03 88 49 90 41 thierry-schwartz.fr Menus à 59 € (déjeuner), 118 € et 155 € La Table d’Olivier Nasti Le Chambard

9-13, rue du Général-de-Gaulle, 68240 Kaysersberg Tél. : 03 89 47 10 17, lechambard.fr Menus à 165 € et 240 € ; carte : 150 € Chambre double à partir de 280 € LES À-CÔTÉS Distillerie Jos Nusbaumer

23, Grand-Rue, 67220 Steige Tél. : 03 88 57 16 53 jos-nusbaumer.com La Ferme Schmitt

23 rue du Ried, 67870 Bischoffsheim Tél. : 03 88 50 26 67 lafermeschmitt.com La Ferme Mang

37, rue Principale, 67170 Bilwisheim Tél. : 03 88 51 26 89 – ferme-mang.fr Maison Ferber

18, rue des Trois-Épis, 68230 Niedermorschwihr. Tél. : 03 89 27 05 69 christineferber.com Chaudronnerie Rudinger

11, rue des Bécasses, 67860 Rhinau Tél. : 03 88 58 76 10 chaudronnerie-rudinger.com

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Dégustation—Accords

Un zeste de fraîcheur

Par sa vivacité, le citron a le don de bousculer un plat et sa subtile amertume exige des vins au diapason. La preuve par trois associations. Sur des saveurs confites, un blanc !

« Citron » et « iodé » riment avec « rosé »

Réveiller un dessert en douceur

Plat marocain traditionnel, le tajine est une viande mijotée, confite et moelleuse. Préparé avec du poulet, agrémenté de quartiers de citron confit, il peut être accompagné d’un blanc riche et ample. Un châteauneuf-dupape à dominante de roussanne – si possible avec un peu d’âge – sera parfait, tout comme un riesling d’Alsace ou un chenin de Loire – Vouvray ou Montlouis. Autre excellent candidat à l’exercice, un blanc à base de grenache gris, issu des beaux terroirs du Roussillon. Dans tous les cas, la minéralité du vin et son ampleur viendront enrober les saveurs confites du plat pour un accord d’équilibriste entre sapidités et textures. Essayer Domaine de La Rectorie Parcé Frères, Collioure L’Argile Blanc 2020. Avec 90 % de grenache gris, ses parfums singuliers font écho à la minéralité des schistes de Collioure. Parmi les plus grands vins blancs de Méditerranée.

Spécialité de la ville de Martigues, la poutargue s’accommode particulièrement bien à des linguines, citron râpé et huile d’olive. Puissante et complexe, cette préparation à base d’œufs de mulet salée et séchée apporte au plat une belle note iodée. Associée au citron, elle appelle un rosé charnu de type Bandol ou Tavel. Plus vineux qu’un rosé de Provence, ils répondront très bien aux accents acidulés du plat et à sa saveur iodée. C’est encore mieux si on les choisit avec quelques années de garde, car la structure légèrement tannique du vin domptera la poutargue. Pour titiller l’accord sur l’agrume, on cherchera de la tonicité avec un joli rosé de Provence. Essayer Domaine de la Croix, Côtes-deProvence éloge Rosé 2020. Sur la presqu’île de Saint-Tropez, ce rosé met en valeur le rarissime cépage tibouren mêlé au grenache, au cinsault et à la syrah.

Qui n’a pas un faible pour la tarte au citron, qui plus est meringuée ? Cet incontournable de la pâtisserie française associe vivacité du citron et douceur de la meringue, sans oublier la texture croquante de la pâte sablée. Pour répondre à cette suavité complexe, il faut un blanc moelleux, pour un accord de contraste et d’équilibre. Optez sans hésiter pour le Sud-Ouest, fabuleux pourvoyeur de variétés originales : un jurançon, par exemple, à base de gros et de petit mansengs, ou bien un pacherenc-du-vic-bilh, légèrement plus vif. Plus au sud, un muscat du Cap Corse, naturellement doux, gérera lui aussi parfaitement l’amertume de l’agrume et accompagnera sa persistance. Essayer Domaine Yves Leccia, Muscat du Cap Corse Blanc 2017. Une référence incontournable aux arômes purs, sans la moindre lourdeur ni sensation d’alcool.

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Photo Caspar Miskin


Boire bon, manger bien Le comité de sélection de Ventealapropriete choisit d’abord ses tables préférées à travers leur carte des vins. Ce trio a tout bon. Fuissé, Bourgogne—

Photos : Jose Manuel Bielsa ; Matthieu Cellard ; Manon Riff-Sbrugnera

L’O des vignes

San Sebastián, Espagne—

Rekondo

Le choix de Christian Martray. Table gastronomique et bar à vins : Sébastien Chambru (ci-contre) a ouvert les deux, dans un cadre idyllique, en plein pays du chardonnay. Un faible tout de même pour l’ambiance façon bistrot de campagne du bar, où l’on déguste sur le pouce un excellent foie gras maison ou le divin pâté en croûte du chef. Dans cet espace de pure convivialité, les vins sur tableau noir alternent cuvées de François Villard, Château Thivin ou Bernard Defaix. Pour plus de choix encore, la très belle carte des vins du restaurant est à disposition. Cette étape incontournable compte aussi cinq chambres d’hôtes. Essayer Pouilly-Fuissé Clos sur la Roche de Saumaize-Michelin 2016 ; Mercurey 1er Cru Les Veleys 2016 de François Raquillet ; Gevrey-Chambertin 2010 du Domaine de la Vougeraie. Infos pratiques Rue du Bourg, 71960 Fuissé. Menus à 55 €, 80 € et 100 € ; menu du déjeuner à 34 €. Bar à vins : plat et dessert à 18 € (lodesvignes.fr).

Le choix d’Alaric de Portal. On y court d’abord pour sa carte des vins, l’une des plus folles de la région, mais pas seulement. Au pied du mont Igueldo, en surplomb de la baie de Donostia, Rekondo (ci-dessus) est une adresse baroque poussée par le rêve d’une famille. Produits locaux de la plus haute qualité, fournisseurs triés sur le volet, sans intermédiaires, cuisine épurée, tout porte ici vers la saveur la plus juste. En escorte, la carte des vins est fournie (plus de 4 000 références) et époustouflante. Le turbot entier fraye avec des grands blancs d’Ossian ou de López de Heredia, quand le bœuf de Galice trouve sa place auprès d’un Vega Sicilia Unico de toute beauté ! Une expérience unique. Essayer Vega Sicilia Unico ; López de Heredia Blanc ; Bodega Ossian Blanc. Infos pratiques Paseo de Igueldo, 57, 20008 Donostia, San Sebastián, Espagne. Carte à partir de 65 € (rekondo.com).

Paris, Île-de-France—

Oui Mon Général ! Le choix d’Olivier Poussier. À l’écart des grands axes, ce bistrot niché dans un coude du chic 7e arrondissement dénote par sa carte des vins bien fournie et sa cuisine joliment troussée où se mêlent œuf mayonnaise, terrine du moment et tataki de veau, poulpe grillé et crémeux de maïs, cœur d’entrecôte, côte de cochon et épaule d’agneau. En excellents compagnons, citons le blanc du Château des Tours, des Rayas, Terrebrune, Dauvissat, Pinard et autre Clos Rougeard. L’atmosphère n’est pas d’ordre militaire, bien au contraire. Elle est chaleureuse et conviviale, comme l’ont souhaitée ses deux concepteurs, Nicolas Bessière et Stéphane Reynaud. Essayer Château des Tours Blanc 2007 ; Gevrey-Chambertin du Domaine Armand Rousseau ; Saint-Joseph de Bernard Gripa. Infos pratiques 14, rue du Général-Bertrand, 75007 Paris. Carte de 35 € à 55 € (oui-mon-general.fr). Racines

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Dégustation—Dernière gorgée

Décanter ou carafer ? L’usage de ces deux gestes qui subliment la dégustation mérite quelques éclaircissements afin de ne pas rester en eaux troubles. LE CHOIX D’UN VIN, AU RESTAURANT, ne se résume pas à une hésitation cornélienne (choisir, c’est renoncer). En effet, ce n’est pas qu’un breuvage dégusté plus ou moins lentement, dans un verre, entre deux bouchées. Le vin est un art de vivre et le restaurant est son théâtre. La bouteille que l’on vous apporte fermée, que l’on débouche devant vous et dont on vous fait valider le contenu, c’est le premier acte du service. Le vin, ce nectar itinérant

Mais si l’on choisit de transvaser le vin dans un autre contenant que son flacon d’origine, la dégustation change de dimension. Or au commencement était la carafe, bien avant que les Anglais inventent la bouteille, dans le premier tiers du XVIIe siècle. « Certains vases à bec verseur et anses ont manifestement servi à contenir et servir du vin, comme on le voit sur des fresques d’Herculanum », rappelle Jean-Robert Pitte, membre de l’Institut de France, président de l’Académie du vin de France, dans son indispensable ouvrage La Bouteille de vin (Tallandier, 2013). On rappellera ici qu’avant de finir dans un verre, entre la cuve – en inox ou en béton – le tonneau, la barrique, le fût, le baril, le foudre, le muid 58—

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ou le demi-muid, mais aussi l’amphore en terre cuite, le vin n’a jamais eu une seule et unique maison. À l’instar du génie de la lampe d’Aladin, nos nectars préférés passent leur existence cloîtrés, certains le vivant si mal qu’ils sécrètent des humeurs âcres sous forme de dépôt. Pour leurs vieux portos, les Anglais, encore eux, ont ainsi inventé le décantage. Et la carafe est revenue du fond des âges, tout en transparence, comme un sablier, une métaphore du temps – celui qu’il faut pour faire du vin, le conserver et le boire. Son utilisation donne lieu à un cérémonial qui ne doit pas, au prétexte d’impressionner le chaland, vous laisser… en carafe. Libéré, délivré…

Décanter consiste donc à transvaser très lentement le vin dans une carafe étroite que l’on rebouche aussitôt. Pour repérer et maintenir la matière solide dans la bouteille, les puristes utilisent la flamme d’une bougie placée sous le goulot, s’assurant une visibilité parfaite au moment fatidique. Le cérémonial revêt un petit côté tableau de Georges de La Tour qui ne gâche rien. Carafer, c’est autre chose. L’action de verser le contenu de la bouteille pourra être plus brutale, créant

une déflagration, n’ayons pas peur des mots, en tout cas la promesse d’un nouveau nez. Le récipient final sera volontiers plus joufflu (l’une des étymologies du mot carafe est l’arabe garaffa, qui désigne une bouteille ventrue), laissant le vin respirer, et l’on ne bouchera surtout pas la carafe afin de garantir au liquide, libéré délivré, un apport supplémentaire d’oxygène. Aucun dogme, de la prudence

On pourrait déduire de ces explications qu’il est nécessaire de décanter les seniors et bon de carafer les juniors, et plutôt le rouge que le blanc. C’est évidemment plus compliqué que cela, l’œnologie ayant ses châteaux, mais aussi ses chapelles. On ne se hasardera pas ici à trancher (un coup sur le carafon est vite arrivé), mais de recommander la plus grande prudence : on a vu de vieilles âmes vineuses trop longtemps contenues s’échapper telle la part des anges ou de jeunes grappes vigoureuses s’écraser à jamais au fond de la bonbonne. La bouteille pour conserver, le verre pour s’épanouir, ça reste bien souvent la combinaison gagnante. Une chose est sûre, quand le vin est carafé, il faut le boire ! STÉ P HA N E M É JA NÈS / Illustration Julie Guillem


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