LM magazine 173 - Février 2022

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N°173 / FÉVRIER 2022 / GRATUIT

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Authors CPB

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ART & CULTURE

Hauts-de-France / Belgique



SOMMAIRE

© Rokas Aleliūnas

Le Cercle imaginaire, serie Péripherique © Mohamed Bourouissa

NEWS - 06 SOCIÉTÉ

Thierry Lodé - 08 Sexus animalus Gretna Green - 14 Mariage express

PORTFOLIO - 20

Rokas Aleliūnas Sens figuré

RENCONTRE Reda Kateb & Thomas Kruithof - 56 Maire courage Thomas Quillardet - 90 TF1 déchaînée

MUSIQUE - 28

LM magazine 173 - février 2022

Sofiane Pamart, Yard Act, L’Impératrice, Dry Cleaning, UB40, Dandy Warhols, Nada Surf, Gojira, Ciné-concert Mary Poppins, Jawhar, Juliette Armanet, Léonie Pernet, Damon Albarn, Aldous Harding, Stromae, Jane Birkin, Lael Neale

CHRONIQUES - 48 Disques : Eels, Modern Nature, Los Bitchos, Cate Le Bon, Animal Collective Livres : Après la rafle, Les Trente inglorieuses, Les Derniers jours des fauves, Actrices-Sorcières, Partout le feu, Lone Wolf and Cub, Zelda, le jardin et le monde, Demon Slayer : Tome 20 Écrans : Les Promesses, Une Jeune fille qui va bien, Les Jeunes amants, Nous, Enquête sur un scandale d’état, La Vraie famille

EXPOSITION - 66

Teen Spirit, Jusque-là, Le Mystère Mithra, Format à l’italienne XII, Michel Vanden Eeckhoudt, Leconte fait son cinéma, Agenda...

THÉÂTRE & DANSE - 86 Cabaret de curiosités, Une Télévision française, Édouard Louis, Tempest Project, The Fairy Queen, Paul Mirabel, Hamlet, À l’intérieur, Agenda... LE MOT DE LA FIN - 106 Bashir Sultani Un bon coup de crayon


MAGAZINE LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 LA MADELEINE - F tél : +33 (0)3 62 64 80 09

www.lm-magazine.com

Direction de la publication Rédaction en chef Nicolas Pattou nicolas.pattou@lastrolab.com Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com Zoé Van Reckem info@lm-magazine.com Publicité pub@lm-magazine.com

Direction artistique Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com

Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com

Couverture Rokas Aleliūnas casualpolarbear.com www.behance.net/rokasaleliunas c @casual_polar_bear

Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Tanghe Printing (Comines) Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)

Ont collaboré à ce n° : Thibaut Allemand, Rémi Boiteux, Mathieu Dauchy, Marine Durand, Simon Drouin & Cécile Gariépy, Grégory Marouzé, Raphaël Nieuwjaer et plus si affinités.

Ont collaboré à ce n° : Sonia Abassi, Rokas Aleliūnas, Thibaut Allemand, Elisabeth Blanchet, Rémi Boiteux, Marine Durand, Hugo Guyon, Grégory Marouzé, Raphaël Nieuwjaer et plus si affinités.

L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM magazine est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

PAPIER ISSU DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT



En Espagne, près de deux millions de personnes âgées vivent dans la solitude. Si pour certaines il s'agit d'un choix, d'autres subissent cet isolement. C'est le cas de Mercedes, 89 ans, dont l'artiste Rubén Orozco Loza s'est inspiré pour concevoir cette statue. Tête basse, mains croisées et regard dans le vide... Intitulée La dernière personne à mourir seule, cette œuvre hyperréaliste lui a demandé trois mois de travail et a été posée sur un banc public, dans le centre-ville de Bilbao, pour mieux attirer l'attention des passants. Elle illustre une campagne soutenue par la fondation BBK alertant la population sur un fléau loin d'être cantonné, hélas, au pays de Cervantès. www.bbk.eus

© Rubén Orozco Loza / BBK Foundation / DR

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ENJEUX DE SOCIÉTÉ © Géraldine Lepoivre, Observatoire des inégalités

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« Personne ne joue avec les mêmes cartes… » chantait déjà IAM en 1997. Edité par l'Observatoire des inégalités, ce Monopoly des inégalités sensibilise toujours les plus jeunes aux discriminations liées au sexe, à l'âge, la couleur de peau... Concrètement, un joueur issu de l'immigration ne lancera qu'un seul dé, progressant moins vite qu'un homme blanc. Les femmes, elles, toucheront 20 % de moins que leurs concurrents masculins en passant par la case départ… Cette fois, vous aurez de bonnes raisons de contester la règle du jeu. www.inegalites.fr 6


Par les glandes de Merlin, le Vooruit de Gand accueille un grand bal Harry Potter ! Cet événement reproduit le décor et l'ambiance de la fête égayant Poudlard dans Harry Potter et la coupe de feu – les vrais savent. Au programme ? Concerts, mais aussi rodéo de balai magique, bar à potions et ses cocktails ensorcelants ou bière-pong quidditch, le tout sapés comme un Gryffondor ou un Serpentard. La cerise sur le gâteau ? Une reconstitution grandeur nature du Chemin de traverse. Dumbledore soit loué…

© Warner Bros

Gand, 25.02, Vooruit, 20h > 5h, 20€, yuleball.be

LA FUREUR DE FRIRE

© Julien Damien

UN SOIR À POUDLARD

Des Lillois osent s'attaquer au fleuron du patrimoine gastronomique belge : la croquette de crevettes. Baptisé Team Croquette, le restaurant sis à deux pas du Palais des beaux-arts doit ouvrir début février. Derrière les fourneaux, Émilien et Guillaume proposent la recette traditionnelle et des versions plus originales (bleu d'Auvergne et noix, fromage du Mont des Cats, poulet au curry) mais aussi vegan, voire sucrées, fourrées à la pomme ou au spéculoos... Sacrilège ! Team Croquette - Lille, 28 rue Jeanne Maillotte

Engagée, mais « non partisane », cette exposition itinérante dissèque les ressorts du capitalisme et son effet sur la santé, l’éducation, la culture, le travail ou la consommation. Divisé en quatre sections (origines, espoirs, limites et alternatives) ce parcours de 2 000 m2 a été imaginé par une bande d'amis (donc bénévoles). L'objectif est avant tout de décoder un système économique sans cesse remis en cause, histoire de donner des armes au débat. Charleroi, jusqu'au 27.02, Bois du Cazier, lun > ven : 9h-17h • sam & dim : 10h-18h, 8,50€ (sans réservation) / 3,50€ (avec réservation), museeducapitalisme.org

© Raisa Vandamme

Musée du capitalisme

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BÊTES DE SEXE

© Dominique Le Jacques

Entretien avec Thierry Lodé Ils font l’amour comme des bêtes, mais pas n’importe comment. Qu’on se le dise, les animaux ne sont pas guidés par un désir incontrôlé de répandre leurs gènes sur Terre pour sauver leur espèce. Non, simplement ils prennent leur pied, et cela depuis leurs premiers ébats dans l’océan primitif. Auteur d’une étonnante Histoire naturelle du plaisir amoureux, entre 8


© Ajith Kumar, Unsplash

autres essais iconoclastes, Thierry Lodé balaie quelques idées reçues sur la vie très intime de la faune – et donc, quelque part, la nôtre. De l’art de se masturber chez les dauphins à l’extase du poulpe, en passant par les étreintes saphiques des gorilles, ce professeur d’écologie évolutive nous démontre que sexualité ne rime pas forcément avec reproduction, et comment le plaisir aiguillonne l’évolution et la Propos recueillis par Julien Damien biodiversité. Let's talk about sex !

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Longtemps, on a pensé que le plaisir sexuel était l’apanage des seuls humains. Serait-ce donc faux ? Oui, d’ailleurs beaucoup de chercheurs nous assurent, encore aujourd’hui, que les espèces animales ne ressentent rien et qu’on peut les traiter comme de vulgaires machines à produire des protéines. Or, l'orgasme a été mis en évidence chez des tas d'espèces, du rat au lion, en passant par la mouche ! Pourquoi a-t-on si longtemps nié le plaisir chez les animaux ? C'est sans doute une question morale. Le comportement animal a généralement été observé sous le prisme des normes établies par les grandes religions. Dans certains pays, on s’interroge encore sur le droit au plaisir pour les femmes, alors les animaux…

« L'orgasme a été mis en évidence chez des tas d'espèces. » Et puis, durant longtemps on s’est penché sur la sensibilité animale à l'envers : on a d'abord cherché à comprendre ce qui pouvait leur faire du mal, découvrant qu’ils souffraient aussi, ce qui gêne toujours un peu les humains lorsqu'ils se préparent un steak. Enfin, ça ne

sert pas à grand-chose de savoir qu'un animal jouit, ce n'est pas de la recherche appliquée. Quand et comment est apparu le plaisir dans le monde animal ? Dès la constitution des premiers centres nerveux, chez des espèces très archaïques. L'orgasme n'est pas autre chose qu'une affaire de glandes. Les animaux ont d’abord appris à libérer leurs gamètes à travers ce début d'excitation. Ressentaient-ils déjà un grand plaisir ? C'est difficile à dire. Ensuite, on a assisté à une évolution des modes de reproduction, et ça a changé pas mal de choses… En quoi ? Au fil du temps, les espèces animales ont réduit leur capacité à se reproduire. Passant de millions d’œufs chez le poisson à un seul rejeton tous les trois ou quatre ans chez l’éléphant, par exemple. C’est l’apparition de la viviparité, donc la fécondation interne. L’énigme de l’orgasme découle sans doute de cette réduction drastique de la progéniture. Les espèces ont compensé la diminution de leur lignage en multipliant les relations sexuelles. Les animaux se reproduisent donc moins mais s’accouplent plus, car ils ressentent de plus en plus de plaisir à le faire. ••• 10


Dans la famille des demoiselles (cousines des libellules), le mâle utilise son pénis pour ôter la semence d'un amant précédent. Non mais...

© Hubert Neufeld, Unsplash © David Groves, Unsplash

Ils sont mignons... mais sacrément pervers. Les manchots d'Adélie peuvent s'adonner à la pédophilie, voire à la nécrophilie.

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© Ranae Smith, Unsplash

Chez les dauphins, comme de nombreuses espèces animales, les comportements homosexuels sont très fréquents, entre les mâles comme les femelles.

Le plaisir motiverait donc cette évolution ? Tout à fait. Le surgissement de la viviparité s’accompagne de l’apparition d'organes reproducteurs. C’est la guerre des sexes ! Chacun poursuit des objectifs différents.

« La chauve-souris est fan de fellation ou de cunnilingus. » Le mâle aura intérêt à copuler avec le maximum de femelles alors que celles-ci n'auront pas plus de petits en multipliant les partenaires. Ce conflit a des effets biologiques, vérifiables concrètement. Les femelles vont réclamer aux mâles une cour exagérée, voire les inciter

à la monogamie afin qu’ils restent auprès d’elles pour s’occuper du nid. Tout cela aurait même des effets sur la physionomie des organes sexuels… Oui, la taille du pénis dépend de l’intensité du conflit entre les mâles et les femelles. Les canards argentins, recordmen de la discipline, sont par exemple pourvus d’un organe spiralé de 30 cm, plus grand que leur propre corps, car ils sont très coercitifs dans la relation. En réponse les femelles ont développé un vagin en forme de labyrinthe qu’elles peuvent boucher à certains endroits pour ne pas être fécondées si elles refusent un partenaire. Les humains sont eux dans une forme de conflit assez 12


moyen, un homme d’un mètre 80 étant doté en moyenne d’un sexe de 13 à 14 cm... Chose étonnante, vous dissociez la reproduction de la sexualité. Pourquoi ? À bien y regarder, le sexe complique terriblement la reproduction. Déjà, il faut trouver un partenaire, le choisir selon son âge, sa disponibilité sexuelle... Débute alors la séduction, activité s'il en est très incertaine. Lorsque l'acte se produit enfin, on ne transmet que la moitié de nos gènes, sans parler de la fécondation, qui n’a pas lieu à chaque fois, il faut recommencer... Donc si l’objectif de la sexualité, c'est la reproduction, l’évolution s’est complètement plantée. Regardez le fonctionnement des bactéries, elles se coupent en deux et c’est terminé ! Les animaux peuvent aussi pratiquer la chose sans but reproducteur... Oui, dans la savane africaine on trouve par exemple un petit oiseau, l'alecto à bec rouge, pourvu d'un pseudo-phallus inutile à la reproduction, et servant uniquement au plaisir de la femelle. Beaucoup d'autres espèces fonctionnent de la sorte. À vous lire, tous les goûts sont dans la nature, d'ailleurs ? Oui. Les sexualités animales sont plurielles. On sait que la chauve-

souris est par exemple fan de fellation ou de cunnilingus… En fait le problème est inverse : on ne connaît pas d'espèces qui ne pratiquent pas quelque chose. Les dauphins se masturbent en utilisant des éponges de mer, les hérons se frottent sur des touffes d’herbe, s’en servant comme de sextoys ! Ils ne pensent qu’à ça, et pas seulement pour répandre leurs gènes...

« Les léopards peuvent s’accoupler 150 fois en une journée. » Quelles seraient les rois et les reines de l’orgasme chez les animaux ? Les serpents sont capables de s’unir durant 24 h. Les léopards peuvent s’accoupler jusqu’à 150 fois en une journée, tout comme les bonobos. Toutefois, cette sexualité exacerbée n’est pas toujours recommandable. Certains sont aussi de véritables dépravés, comme les éléphants de mer ou même les petits manchots d’Adélie, s’adonnant à la pédophilie et la nécrophilie… À lire / Histoire naturelle du plaisir amoureux, Thierry Lodé (Odile Jacob), 336 p., 22,90 €, odilejacob.fr Tous les sexes sont dans la nature, Thierry Lodé (humenSciences), 256 p., 18 € www.humensciences.com À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com 13


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reportage

GRETNA GREEN Les Noces rebelles

Tandis que le nombre de mariages hétérosexuels décroit en Europe (Royaume-Uni compris), la petite ville écossaise de Gretna Green célèbre en moyenne 4 000 unions par an – sauf en 2020 où leur nombre a chuté de moitié à cause de vous-savez-quoi. Connue depuis le milieu du xviiie siècle comme la cité où l'on venait se dire "oui" à la va-vite sans consentement parental, cette bourgade de moins de 3 000 âmes a toujours la cote auprès de couples en quête de romantisme, ou cherchant à fuir quelque chose... Balade nuptiale dans les rues tranquilles du Las Vegas sans strass de l'Écosse. ••• Texte et photo : Elisabeth Blanchet 14


Jolene et Andrew, plus que jamais main dans la main.

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© Visit Scotland

C'est le grand jour pour Jolene et Andrew. Ces Irlandais ont décidé de s’unir dans une petite commune du sud-ouest de l'Écosse, à un kilomètre de la frontière avec l'Angleterre. « On a choisi cet endroit pour son charme et son histoire », dévoile la jeune femme en claquant des dents, les épaules nues dans sa longue robe blanche.

« Des jeunes qui voulaient s'unir envers et contre tout. » En cet hiver, il ne fait que huit petits degrés et le vent renforce la pluie écossaise... Qu'à cela ne tienne, le couple se plie au rite du baiser sous l'arche ultra-kitsch représen-

tant deux mains jointes. Bienvenue à Gretna Green, 2 700 habitants, la ville où l'on peut se marier en moins de 20 minutes, et ce depuis près de trois siècles ! Sous l’enclume L'affaire commence en 1754 lorsque l'Angleterre durcit de manière drastique sa loi sur le mariage, en réaction aux pasteurs célébrant des unions frauduleuses pour de l'argent. D'après le nouveau texte, un futur époux qui n'a pas 21 ans nécessitera un consentement parental. Or, cette règle ne concernait pas l'Écosse. De l'autre côté de la frontière, on autorisait toujours les mariages, à partir de 14 ans pour les garçons et 16


12 ans pour les filles, avec ou sans l'accord de la famille (aujourd'hui l'âge minimum requis est de 16 ans). Nombre de petits malins ont alors rejoint la bourgade écossaise la plus proche, Gretna Green, pour convoler en "justes noces". « À l'époque, n'importe qui sachant écrire pouvait célébrer un mariage, explique Ian, officier d'état civil local.

« Juste un petit moment avec ceux qu'on aime vraiment. » Et ici, seuls les forgerons savaient manier la plume ». Ils devinrent donc des marieurs professionnels. Chaque accord était alors scellé

sur une enclume : les jeunes gens signaient leur certificat dessus et le forgeron clôturait la cérémonie en la frappant d'un bon coup de marteau. Les échoppes servaient de salles d'accueil. Quant aux amoureux, il s’agissait surtout de "runaways" (des fuyards), « des jeunes qui voulaient s'unir envers et contre tout, surtout la volonté de leurs parents », poursuit Ian. La tradition traversera même la Manche puisque Gretna Green est à l'honneur dans Les Grandes vacances, une célèbre comédie de 1967 signée Jean Girault. Le film met en scène un Louis de Funès furax, à la poursuite de son fils Philippe parti en catimini en Écosse avec sa fiancée anglaise... ••• 17


Contrairement aux apparences, cette salle ne désemplit pas. On célèbre ici plus de 4 000 mariages par an !

Souvenirs, souvenirs…

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Aujourd'hui, les mœurs et les motivations ont évolué. « On a déjà trois enfants en bas âge. On s’épouse sur le tard et on ne voulait pas de grande cérémonie avec toute la famille. Juste un petit moment avec ceux qu'on aime vraiment », confie Jolene. Covid-compatible Nos Irlandais ne sont pas les seuls à choisir cette destination pour ce type de raison. Pour nombre de couples, au-delà de l'aspect romantique, il ne s'agit plus d'échapper au consentement parental mais à d'autres contraintes : sociales ou culturelles. La pandémie ajoute un argument supplémentaire : la chose s’effectue rapidement, sans s'embarrasser d'invités. Un "vite fait bien fait" masqué avec un nombre de participants réduit. Express union Autre bon point en faveur de Gretna Green : une procédure simple et peu coûteuse. Comptez 125 £ (environ 150 euros) pour la cérémonie, pratiquée dans l'une des deux salles du bureau des mariages de la ville (ouvert 7 jours sur 7) par un officier de l'état civil. Le certificat* peut être signé sur une enclume, à l'ancienne, mais aussi sur une table. Alors que le nombre d’épousailles continue de diminuer au RoyaumeUni, les chiffres progressent ici : de 2 500 en 2020 à près de 4 100 en 2021 ! « Nous célébrons de plus

en plus d’unions homosexuelles, toujours autant d’hétéros, et on vient du monde entier ». L’essentiel est de ne pas craindre la rudesse du climat. Dans les rues de Gretna Green, la pluie continue à tomber mais cela ne décourage pas les amoureux. Jolene et Andrew font la bamboche à huis clos au Gretna Hall, en petit comité. Aux antipodes des frasques et des néons de Las Vegas, la petite commune continue de séduire les couples, pour l’heure en mode "Covid safe"… jusqu'au moment du baiser où l'on envoie valser les masques ! *Le mariage est reconnu selon la loi écossaise. Pour le valider dans un autre pays, des démarches administratives s'imposent auprès de votre consulat. À lire / La version longue sur lm-magazine.com 19



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ROKAS ALELIŪNAS Sens figuré Mais à quoi peuvent-ils bien penser, ces personnages tout en dégradés colorés ? Même Rokas Aleliūnas, le graphiste lituanien qui les façonne depuis son écran, n’est pas certain de le savoir. « C’est vrai qu’au fil du temps, mes visages sont devenus de plus en plus mélancoliques », reconnaît celui qui sévit sur la toile sous le sympathique pseudo Casual Polar Bear, parce qu’il est blond et qu’il « aime la nature ». Certains reconnaîtront dans cette série de posters l’influence du courant Bauhaus. Lui citera plutôt Matisse, Picasso ou Le Caravage. En réalité, cet artiste étonnant, « Réaliser un dessin grand fan de mythologie grecque et n’hé- qui permettrait au sitant pas à citer Nietzsche en interview, public d'éprouver ne risque pas de s’enfermer dans un style toutes les émotions. » tant il en a expérimenté. Pour cause, depuis un an, il s’est fixé un défi : réaliser une illustration quasiment chaque jour ! Amateur de mathématiques, comme son père (un ingénieur), ce stakhanoviste s’est cherché un peu avant d’atterrir à la Vilnius Academy of Arts, département graphisme industriel. Vacciné par une brève expérience en entreprise, limitée aux packagings et à l'image des marques, il a choisi de reprendre sa liberté. En indépendant, il conjugue mieux « la dimension créative et commerciale, un peu comme les deux hémisphères du cerveau. » Depuis Vilnius où il jongle entre ses projets personnels et les commandes de clients, ce jeune homme aux cheveux clairs affiche son grand-œuvre : « un dessin, un seul, qui permettrait au public d'éprouver toutes les émotions ». Même Nietzsche n’aurait pas osé ! Marine Durand À lire / L’interview de Rokas Aleliūnas sur lm-magazine.com À visiter / casualpolarbear.com, www.behance.net/rokasaleliunas c @casual_polar_bear

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© Romain Garcin


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SOFIANE PAMART Rap gamme

Rap et musique classique ? En dépit de nombreux rendez-vous, ces genres semblent encore éloignés – pour un tas de raisons esthétiques et sociales. Et puis surgit Sofiane Pamart, dont la personnalité détone dans le milieu guindé de la Grande musique. Retour sur le parcours d’un prodige. Moins timide que sans complexe, le hip-hop a pioché dans les disques des autres, samplant Beethoven (Mobb Deep, Snitched On), Wagner (Outkast, Ms Jackson) Bach (Busdriver, Imaginary Places) ou Chopin (NTM, That's My People). Sans parler d'IAM enregistrant un live symphonique avec l'orchestre de Radio France. Pourtant, les deux mondes continuaient à se regarder en chiens de faïence. Dès lors, l'arrivée d'un Sofiane Pamart intrigue. L'attitude et le prénom dénotent dans un circuit assez fermé… Souvent présenté comme un transfuge de classe, petit-fils de mineur immigré élevé à la force de ses partitions, on rappellera qu'il est également fils d'enseignants – donc non, nous ne sommes pas chez Annie Ernaux ni Édouard Louis. Liaisons et sentiments Étudiant au Conservatoire de Lille mais féru de hip-hop, le pianiste s'inscrit dans l'ethos rap : ambition clairement affichée, volonté d'être le meilleur. De grands noms sont séduits par son approche du piano. Ainsi l'a-t-on vu aux côtés de SCH, Hugo TSR, Kery James, Médine, JoeyStarr, Grand Corps Malade, Arno ou Scylla (avec qui il a réalisé deux albums). En solitaire, le Lillois a signé deux disques qui lorgnent aussi bien vers le classique (l'axe Chopin-Debussy-Ravel) que le jazz (le titre Chicago, au hasard). La virtuosité jamais ostentatoire, mais la sensibilité en bandoulière, Sofiane Pamart pourrait bien être plus qu'une parenthèse enchantée, le trait d'union entre deux mondes. Thibaut Allemand Lille, 17.02, Théâtre Sébastopol, 20h, complet !, www.theatre-sebastopol.fr 29


© DR

YARD ACT La fureur de rire

Anvers, 03.02 (reporté 13.06), Trix, 19h30, 16 > 12,50€, trixonline.be Lille, 02.02 (reporté 14.06), L’Aéronef, 20h, 10 > 5€ (gratuit abonnés), aeronef.fr

*Presque par accident, je suis devenu riche. Et depuis que je suis devenu riche, je vis constamment dans la peur de tout perdre.

Yard Act vient de signer le grand disque post-punk de ce début d'année. Un parlé-chanté malin, agressif et rigolard. Songez à The Fall évidemment, à Art Brut si vous avez du goût et, plus près de nous, à Sleaford Mods – mais en plus compréhensible de ce côté-ci de la Manche. Venus de Leeds, ces quatre Nordistes se sont réunis en 2019 et, quelques mois plus tard, signaient un 45 tours rapidement épuisé – et ce, en plein confinement. Plus tard, l'EP Dark Days (2021) affola l'Angleterre et lui fournit quelques raisons de s’ébaudir : un discours à rebours de la réaction raciste et haineuse qui s'est abattue sur à peu près toute l'Europe, un humour incisif mais pas cynique. Oui, nos lurons, dont un jeune papa, trouvent encore des raisons de se réjouir. Ils injectent une drôlerie acerbe dans leurs chansons nerveuses : Almost by accident, have become rich. And since I have become rich, i've been constantly living in fear of losing everything*… ce genre. On se rassure de ne pas considérer les balourds pleurnichards d'Idles comme la relève du rock anglais. Entre Squid, Yard Act et les très attendues Wet Leg, il y a quelque chose de béni au royaume d’Elizabeth. Thibaut Allemand

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2012. Charles de Boisseguin, pigiste musical, passe de l’autre côté et crée L’Impératrice – à l’époque, simple projet instrumental. Rejoint par la chanteuse Flore Benguigui, le désormais sextette, figure de proue du label microqlima, aligne des chansons vaporeuses et faussement innocentes. Succédant à l’envoûtant Matahari (2018), Tako Tsubo (toujours ce tropisme nippon) poursuit dans la même veine, et s’empare de sujets actuels : féminisme, réseaux sociaux, troubles psychiques… Un poil opportuniste ? Peutêtre. En attendant, cette variété mâtinée de disco, cousine de celle des Parcels, recueille notre suffrage – à défaut de prendre le trône. T.A.

© Theo Gosselin

L'IMPÉRATRICE

Bruxelles, 17.02 (reporté 19.05), La Madeleine, 20h, 32€, www.la-madeleine.be Lille, 04.02 (reporté 30.06), L’Aéronef, 20h, 26 > 19€, www.aeronef.fr

© Helena Watmuff

DRY CLEANING « La chair est triste hélas ! Et j'ai lu tous les livres. Allons porter notre morosité sur les scènes du quartier ». C'est, en substance, ce qu'a dû se dire Florence Shaw, dont le timbre monocorde plane sur les compositions sèches et tranchantes de Dry Cleaning – soit "nettoyage à sec". Ou comment s'emparer du quotidien pour mieux lui tordre le cou. Les quatre de South London déploient un post-punk amorphe relevé de spoken word. Une mélancolie électrique. T.A. Tourcoing, 05.02 (reporté 13.04), Grand Mix, complet ! Botanique, 01.02 (reporté 17.04), Botanique, 19h30, complet ! 32



QUOI DE NEUF ? Nous nous sommes tant aimés… et nous ne vieillirons pas ensemble. Mais, qui sait ? Il est de ces artistes dont on s’amourache au premier essai avant de s’en détourner. On les retrouve plus tard, certes différents, mais avec parfois ce je-ne-sais-quoi qui nous fait replonger. La preuve par quatre. Thibaut Allemand

Anvers, 11.02 (reporté 04.06), De Roma, 20h, complet !

© Travis Shinn

Ah, ceux-là ! Ou comment commencer chômeur, en nommant son groupe d'après un formulaire du Pôle emploi local… avant de s'écharper devant les tribunaux. Ils étaient huit, les voici cinq. Du UB40 originel, restent quelques membres ayant peu voix au chapitre (basse, batterie, saxophone) les autres ayant quitté la troupe voici une demi-décennie. Sans oublier Terence Wilson, l’un des cofondateurs, mort en novembre dernier. D'autres chanteurs perpétuent donc ce reggae totalement inoffensif. Avec une ribambelle de classiques et de reprises au compteur, tels Red Red Wine, Food for Thought, If It Happens Again ou I Got You Babe.

© DR

UB40

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THE DANDY WARHOLS À l'issue de la sortie de Dig ! (2004), la doxa était claire : à l'opposé des idéalistes de The Brian Jonestown Massacre, The Dandy Warhols sont des traîtres, prêts à vendre père et mère pour connaître le quart d'heure de gloire. Quinze ans plus tard, nous vîmes que le "loser" de l'affaire (Anton Newcombe) s'en tirait plutôt pas mal, quand la bande de Courtney Taylor-Taylor (ce blaze !) rame un peu. Ce qui, ironiquement, la rend sympathique. Les premiers albums vieillissent bien, et leur reprise de Ohio (Neil Young) avec la ligne de basse de Blue Monday, vaut le détour. Promis.

Ou l'histoire d'un gigantesque malentendu. Pour les lycéens de la fin des 90's, Nada Surf, c'était Popular. Un tube malin se moquant de l'american way of life, de ses cheerleaders et quaterbacks, un spoken word fiévreux sur fond de pop tendue… et ce n'était que ça. Les malheureux ! Ils sont passés à côté d'une poignée de disques merveilleux, emplis d'une powerpop parfaite et entonnée par des New-Yorkais qui s'expriment aussi dans un français impeccable – leur baby-sitter se nommait René Char. Certes, le bassiste a toujours d'affreuses dreadlocks, mais fermez les yeux, et écoutez. Lille, 13.06, L’Aéronef, 20h, 28 > 20€, aeronef.fr

Bruxelles, 16.02, La Madeleine Report en cours : info greenhousetalent.com

© DR

© Pander Brothers

NADA SURF

GOJIRA « Je joue du death-metal dans les Landes, Metallica téléphone et je lui réponds qu'il faut planter des arbres ». Kamoulox ? Ben non, Gojira. Depuis vingt ans, ce quatuor braille des textes sur l'écologie et l'imminence du "grand effondrement". Reprenant peu ou prou le flambeau de Sepultura (metal extrême et altermondialisme), la bande croule sous les récompenses, tourne dans le monde entier (avec Metallica, donc) mais, par ici, est encore vu comme une curiosité. Nul n'est prophète en son pays. Paris, 26.02, Accor Arena, 19h30, 79.5 > 46,5 à 68,5€ Bruxelles, 28.02, Forest National, 20h, 34€, forest-national.be 35


Supercali… vous connaissez la suite. Cette gouvernante descendue du ciel, le facétieux ramoneur… L'ONL donne vie à sa BO oscarisée en 1965 et signée des frères Sherman, à qui l'on doit également celles de Merlin l'enchanteur (1963) et du Livre de la Jungle (1967). Ces compositions cuivrées, enjouées (et réarrangées, concomitamment à la sortie du film, par Duke Ellington himself) imprègnent la conscience collective – n'avez-vous jamais siffloté Pavement Artist et son fameux refrain "Chim chiminey" ? En 2022, ces morceaux volontiers rétro brillent par leur insouciance – un paradis perdu. T.A.

© The Walt Disney Company France

CINÉ-CONCERT MARY POPPINS

Lille, 17 & 18.02, Nouveau Siècle, jeu : 20h • ven : 19h, 45 > 10€, onlille.com

© Silvano Magnone

JAWHAR Né dans le sud de Tunis, passé par Lille pour ses études et désormais installé en Belgique, Jawhar se fit remarquer en 2013 avec Qibla Wa Qobla, folk nickdrakien trilingue (arabe, anglais, français). Neuf ans après, le charme opère toujours, notamment chez Françoiz Breut (le titre La fissure). Sa voix chaude et ses accents, à la fois doux et gutturaux, magnifient des titres ni rock, ni folk, mais sacrément habités. T.A. Arlon, 22.02, L'Entrepôt, 19h30, 12/10€, entrepotarlon.be Huy, 12.03, Atelier Rock, 20h, 18/15€, atelierrock.be Louvain-La Neuve, 27.03, Ferme du Biéreau, 15h30 17 > 10€, laferme.be Bruxelles, 30.04, Botanique, 20h, 19,50 > 12,50€, botanique.be 36



© Studio l'étiquette // © Jean-François Robert

Sacrées Françaises

LÉONIE PERNET

JULIETTE ARMANET

VS

La première est devenue une icône de la chanson française en deux albums. Révélée avec l'impressionnant Crave en 2018, la seconde reste plus discrète, mais pas moins talentueuse. Entre mélancolie dansante, electropop et poésie intimiste, Juliette Armanet et Léonie Pernet ont chacune des arguments à défendre. J.D. La voix - Haut perché et cristallin, le timbre de Juliette Armanet lui a valu des comparaisons avec Véronique Sanson, alliant dans un même élan force et fragilité. / Léonie Pernet module souvent sa voix, plus grave mais moins puissante, pour mieux la marier avec des nappes synthétiques. Monte le son - Si Petite amie s'articulait autour de la formule piano-voix, Juliette Armanet a ouvert son jeu pour son deuxième essai, l'habillant de sonorités disco. / Le spectre musical de Léonie Pernet est plus large, mêlant percussions africaines, synthés, boîte à rythmes ou violons au fil de morceaux affutés, entre pop et techno.

Le feu et l'eau - Le dernier album de Juliette Armanet s'intitule Brûler le feu, dispensant son lot de tubes incendiaires – comme Le Dernier jour du disco. / À écouter Le Cirque de consolation, le deuxième disque de Léonie Pernet, c'est au contraire l'eau qui semble l'élément principal (Il pleut des hommes). Obsédées textuelles - Juliette Armanet n'est pas avare de métaphores savoureuses, nourrissant des textes ciselés, dans les pas de William Sheller. / Léonie Pernet manie aussi bien la langue de Shakespeare que celle de Molière (citant à l'occasion le comte de Lautréamont) et, disons-le, a notre préférence.

Juliette Armanet Lille, 26.02, L'Aéronef, 20h, complet !, aeronef.fr Sin-le-Noble, 19.03, Théâtre Henri Martel, 20h30, complet ! // Bruxelles, 11.04, Cirque Royal, 20h, 39,50/ 34,50€, cirque-royal-bruxelles.be // Lille, 18.11, Zénith, 20h, 43 > 36€, www.zenithdelille.com Léonie Pernet Lille, 18.02, L'Aéronef, 20h, 26 > 19 €, aeronef.fr (+ Malik Djoudi) 38



pêle-mêle

DAMON ALBARN L'échappée belle Bruxelles, 28.02 & 01.03 Bozar, 20h30, complet !, bozar.be

© Steve Gullick

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Non, 2022 ne démarre pas si mal. Pour preuve la sortie du deuxième album solo de Damon Albarn qu’il défend (si tout va bien) sur la scène de Bozar, entouré de 20 musiciens. Entre deux projets, la tête pensante de Blur, Gorillaz, mais aussi de The Good, the Bad and the Queen ou d’Africa Express a trouvé le temps de composer The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, en Islande, son île d'adoption, où il a une maison donnant sur la mer et les montagnes. Empruntant le titre à un vers du poète John Clare, le stakhanoviste londonien y livre une magistrale réflexion sur la nature et la solitude. Voilà une bonne occasion de se pencher sur le parcours du surdoué de la Britpop.

THIS IS ENGLAND

de Blur (1993) devait initialement Modern Life Is Rubbish, le deuxième album à ce qu’Albarn nomme alors la on s’intituler England vs America, en réacti la déferlante grunge venue de t devan patrie sa de » n isatio « Coca-colon Parklife (incluant le tube Girls te, suivan e Seatle (Nirvana & Co). Sorti l’anné matiques de la Britpop. emblé es disqu des l’un ainsi reste Boys) and

AU NOM DU PÈRE

Keith Albarn, le père de Damon, serait-il responsable de la séparati on des Beatles ? En tout cas, c’est bien lui qui monta la première expositio n de Yoko Ono, à la galerie Indica de Londres, en 1966. Et c’est justement là que John Lennon a rencontré sa future femme, que d’aucuns accusent de l’avoir éloigné du groupe…

LA BATAILLE D’ANGLETERRE

mourir », déclara un jour Noel « J'espère que Damon va attraper le sida et résume la rivalité qui opposa ux Gallagher. Cette punchline d’un goût doute eoisie contre le prolétabourg la soit , Oasis à Blur r dernie à la fin du siècle se sont rabibochés, lads deux nos s, Depui riat, Londres contre Manchester… Humanz de Gorillaz. l’album sur titre un ble ensem réter interp à jusqu’

GARE AU GORILLE

« Un trou du cul, un branleur ». C’es t ainsi que Jamie Hewlett considéra it Damon Albarn lors de leur première rencontre . Ce qui ne les a pas empêchés de devenir colocataires, de fonder Gorillaz… et de continuer à se taper dessus. Comme en 2001, lors des MTV Video Music Awards, à New-York où, pintés à la vodka, ils se sont finis à coups de poing sur les trottoirs de Manhattan. Qui aime bien...

DIST INGUÉ

reine Élisabeth II au rang d'offiSinon, en 2016, Damon Albarn fut élevé par la es rendus à la musique. servic cier de l'ordre de l'Empire britannique pour du baccalauréat. lors re matiè cette foiré avait qui type Pas mal pour un 41


© Clare Shilland

ALDOUS HARDING Folk à lier

Figure majeure de la pop folk kiwi, Aldous Harding, excentrique aux chansons fantastiques, se situe à rebours des nymphettes à guitare en bois. Au contraire, elle confère à chacune de ses prestations un cachet unique, plein de mystère, qui ne laisse personne indifférent. En 2014, on la découvrait coiffée d’une casquette Liquor Centre, sur la pochette de son premier LP éponyme. On ne le savait pas encore, mais cette curiosité nous accompagnerait longtemps. Huit ans plus tard, Aldous Harding a fait beaucoup de chemin, tout en restant fidèle à quelques principes. Comme toute Néo-Zélandaise qui se respecte, elle est évidemment hébergée par Flying Nun, vénérable maison qui est à Dunedin ce que Factory fut à Manchester, ou Sub Pop à Seattle : un havre de paix et un espace de liberté pour artistes inspirés (The Bats, The Chills, Tall Dwarfs, The Jean-Paul Sartre Experience…). Harding laisse ainsi libre cours à ses envies (parfois contradictoires) de folk gothique et de pop enlevée. Sur scène, on reste à chaque fois sidéré par le décalage entre la douceur des chansons et leur interprétation. Car Aldous oscille volontiers entre intimisme et burlesque, multipliant les attitudes foldingues et les regards fixes… au point d’en devenir parfois vraiment flippante. Mais pas de quoi effrayer ses collaborateurs comme John Parish, toujours aux manettes, ni H. Hawkline, qui assure également la première partie de ce concert bruxellois. Thibaut Allemand Bruxelles, 03.03, Cirque Royal, 20h, 25€, cirque-royal-bruxelles.be

Aldous Harding Designer (4AD / Virgin)

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Décidément, Stromae ne fera jamais rien comme les autres. C’est au 20 h de TF1 qu’il a surpris tout le monde en dévoilant un nouveau morceau, L’Enfer, au beau milieu de son interview. Coup de génie pour lui ou honte pour la rédaction de la chaîne, chacun campe sur ses positions. En octobre dernier, on avait retrouvé le maestro levant son verre en l’honneur des travailleurs invisibles avec Santé !. Un titre à double sens pour celui qui avait craqué à la suite d'une tournée de plus de 200 concerts. Un burn out et sept ans d’absence plus tard, c’est sur scène que le Belge met tout le monde d'accord en dévoilant son nouvel album, Multitude. Zoé Van Reckem

© Michael Ferire

STROMAE

Bruxelles, 22.02, Palais 12, 20h30, complet !, www.palais12.com

© Nathaniel Goldberg

JANE BIRKIN Certes, elle fut la muse de Gainsbourg. Mais Jane Birkin, c’est tout de même 14 albums. Le dernier, Oh ! Pardon tu dormais, est mis en musique par Étienne Daho et Jean-Louis Piérot (compositeur pour Bashung ou Thiéfaine). À l’origine un film, puis une pièce, ce disque prolonge une certaine idée de la pop, telle qu’élaborée par Serge : orchestrale, intimiste, ici sublimée d'une voix susurrée, mâtinée de cet accent anglais mythique – comme elle. J.D.. La Louvière, 27.02, Le Théâtre, 20h, 50 > 38€, cestcentral.be Bruxelles, 13.04, Cirque Royal, 20h, 54,50 > 35€ Anvers, 18.05, De Roma, 20h, 49/47€ Lille, 19.05, Nouveau Siècle, 20h, 55 > 44€ 44



© Guy Blakeslee

LAEL NEALE État de grâce

Ce fut l’un des plus doux chocs de l’année musicale 2021. Certes, Lael Neale n’en était pas à son premier album (elle a sorti en 2015 un I’ll be your Man avec lequel elle a pris ses distances), mais c’est avec Acquainted With Night que nous avons mesuré le talent de l’Américaine : délicat, fragile et raffiné. Après un passage au Pitchfork Festival parisien, 2022 sera l’occasion (en croisant un peu nos doigts engourdis) d'apprécier dans notre région ses chansons enregistrées de façon intimiste et lo-fi avec la complicité de l’excellent Guy Blakeslee (Entrance). Il nous tarde en effet de (re)découvrir cet album miraculeux rehaussé par le son hors du temps, enfantin parfois, de l’omnichord (une autoharpe électronique aux vibrations synthétiques et rétro). On songera autant au charme vénéneux des morceaux susurrés de Lana Del Rey qu’au génie minimaliste des pop songs ascétiques de Young Marble Giants. Il a suffi d’une seule écoute de For No One for Now ou Every Star Shivers in the Dark pour succomber instantanément à ces comptines indie. La haute tenue de cette écriture annonce bien des frissons… Rémi Boiteux À écouter /

Lael Neale Acquainted With Night (Sub Pop)

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disques

Eels Extreme Witchcraft (E Works / PIAS) Il y a un peu plus d’un an, Earth to Dora témoignait de la forme olympique de Mark Oliver Everett, pourtant en plein confinement et au milieu des flammes californiennes. Avec Extreme Witchcraft, le doute n’est pas permis : E a bouffé du lion. Après l’orfèvrerie pop mélodique, place aux guitares toutes cordes dehors et aux réverbérations débridées. Pour la première fois depuis le Souljacker de 2001, dont ce nouvel album est cousin, John Parish est aux manettes de l’engin, et sa touche électrique dope les compos d’Everett. Du rock hirsute d'Amateur Hour au folk carillonnant de Learning While I Lose, le disque passe les genres à la moulinette, avec entre autres surprises un funk synthétique (Grandfather Clock Strikes Twelve) absolument irrésistible, et les ruptures de ton de What it Isn’t. Le mordant songwriter conserve son sens "beatlesien" du titre (Strawberries and Popcorn) et signe un 14 e album à la fois sauvage et racé. Eels reste intemporel. Devant tant de fougue, qui devinerait qu’Extreme Witchcraft est le fruit d’une carrière longue de plus de 25 ans ? Un album d’une généreuse liberté. Rémi Boiteux

Modern Nature Island Of Noise (Bella Union / PIAS)

Unissant, entre autres, Jack Cooper (Ultimate Painting, Mazes), Will Young (Beak>) et le batteur Aaron Neveu (Woods), Modern Nature avait marqué les esprits en 2019 avec un premier LP prometteur et, surtout, une petite merveille motorik nommée Footsteps. On trouvait bien d’autres couleurs sur cet album alliant jazz et psychédélisme, krautrock et pop. On en déniche autant sur son successeur, le bien-nommé Island of Noise. À l’écart des modes, loin du tumulte, les Britanniques imaginent une musique inclassable et résolument en marge. On le sait, on déballe ici les grands noms, mais franchement on est contraint par le talent : Modern Nature évoque souvent la précieuse approche de Talk Talk – cet art consommé de la discrétion, de l’espace, voire du silence. Impérial. Thibaut Allemand 48



Los Bitchos Let the Festivities Begin (City Slang)

Héritières de la surf music des années 1960 et de la cumbia psychédélique sud-américaine, les Londoniennes de Los Bitchos sont toujours dans les bons coups. Après avoir assuré les premières parties européennes de Mac DeMarco, Ty Segall et sorti un single avec les Néerlandais d'Altin Gün, ces quatre filles dans le vent sortent enfin leur premier album. Soit un cocktail instrumental explosif où se mélangent sonorités latino, psychédélisme oriental et rock californien. Outre les tubes déjà bien connus (The Link is About to Die, La Pista…), les aficionados pourront y découvrir des pépites comme Tripping Party et ses rythmiques transcendantales ou les guitares frénétiques rythmant Lindsay Goes to Mykonos. De quoi titiller nos désirs contrariés de bamboche. Hugo Guyon

Cate Le Bon Pompeii

(Mexican Summer / Modulor)

Révélée, après quelques albums indispensables mais trop confidentiels, par Mug Museum (2013), Cate Le Bon devint valeur sûre d’un rock indé défricheur. Chose rare pour être soulignée : elle fut invitée, non pas à pousser la chansonnette, mais à produire quelques albums d’artistes masculins. Ainsi, les morceaux de Deerhunter, Josiah Steinbrick ou Tim Presley passèrent entre ses mains expertes – elles fonda également Drinks avec ce dernier. Aussi réussi que les précédents, ce sixième essai séduit davantage à chaque écoute. On songe au Bowie de la fin des seventies et à la Kate Bush qui suivit : des pop songs accrocheuses et têtes chercheuses, des constructions faussement alambiquées et des mélodies parfaites. Un vrai bonheur. Thibaut Allemand

Animal Collective Time Skiffs (Domino) Formation prolifique du début du millénaire, Animal Collective avait levé le pied au milieu des années 2010. Le retour des Américains en studio pour un 11e album suscite donc l’intérêt. Dès la première écoute, les repères sont là : empilement de boucles vocales, mélodies hypnotiques (Passer-By) et utilisation parcimonieuse de l’autotune (We Go Back). Le résultat est une ode contemplative dont on retiendra deux morceaux : Strung with Everything, chanson tribale qui s’étire, joue avec les temps morts tout en progressant crescendo. Citons aussi Walker, élégie joyeuse en hommage au regretté Scott Walker, compositeur pop avantgardiste décédé en 2019. Une chanson simple dont la spontanéité renvoie à l’âge d’or d’Animal Collective. Hugo Guyon 50



livres Joseph Weismann, Laurent Bidot et Arnaud Delalande Après la rafle (Les Arènes) Nous est conté le parcours de Joseph Weismann qui fut, à 11 ans, prisonnier lors de la rafle du Vel’d’Hiv, en juillet 1942. Sa famille n’en revint pas. Lui réussit à s’échapper du camp de Beaune-la-Rolande en compagnie d’un ami dont il perdit la trace – avant de le retrouver, des années plus tard. Cette histoire fut narrée dans le film La Rafle (2010), de Rose Bosch. Désormais nonagénaire, le rescapé, entouré du dessinateur Laurent Bidot et du scénariste Arnaud Delalande (Le Cas Alan Turing, 2015) racontent l’après. Une odyssée forcément épique où l’on croise, entre autres, de rares gendarmes désobéissants et des fermiers ignorants qui les aident sans se défaire de leurs préjugés racistes. Cet album, c’est une histoire de France, avec ses héros et ses vilains. Le tout dans une ligne claire, dont la pureté ne distrait pas le spectateur. S’en tenant aux faits, de manière quasi neutre, presque à distance, le trait en est d’autant plus émouvant. À l’heure où l’élection présidentielle est polluée par un histrion pas du tout historien qui clame que le Maréchal Pétain aurait sauvé des Juifs français (foutaises !) cette BD est d’autant plus nécessaire. 128 p., 21€. Thibaut Allemand

Jacques Rancière Les Trente inglorieuses. Scènes politiques (La Fabrique) Reprenant en partie et prolongeant un précédent recueil d'articles et entretiens (Moments politiques, 2009), Les Trente inglorieuses saisit l'accomplissement, de 1991 à aujourd’hui, du « réalisme consensuel ». Libérant l'humanité de l'Histoire et de la politique, le néolibéralisme triomphant devait imposer sa gestion raisonnable des affaires. Mais la pacification aura été intimement liée à une « économie passionnelle de la peur, de l'exclusion et de la haine », dont l'actuelle campagne présidentielle marque une nouvelle étape. Organisé en trois parties (le racisme d'en haut, la non-démocratie en Amérique, les présents incertains), l'ouvrage s'avère d'une acuité inestimable. Contre l'engourdissement qui guette, le philosophe rappelle que « les réalistes sont toujours en retard d'un réel ». 228 p., 15€. Raphaël Nieuwjaer 52


Jérôme Leroy Les Derniers jours des fauves

THOMAS STÉLANDRE

ACTRICES– SORCIÈRES

(La Manufacture de livres)

En France, de nos jours. À quelques mois de l’élection présidentielle, Nathalie Séchard jette l’éponge et décide de ne pas briguer de second mandat. Mal aimée et mal élue face aux extrémistes du Bloc patriotique, elle laisse un pays épuisé par la pandémie et en proie aux émeutes. Son ministre de l’Intérieur, ancien militaire, se verrait bien à l’Élysée, quitte à user des pires stratagèmes… Auteur du remarqué Le Bloc puis du scénario du film Chez nous de Lucas Belvaux, Jérôme Leroy continue de tracer un sillon à part dans le thriller français : politique, légèrement dystopique. Si l’on regrette un certain manichéisme (les naïfs de gauche contre les vilains de droite), on reste séduit par ses phrases nerveuses façon Manchette et un sens certain du suspense. 432 p., 20,90€. Julien Damien

Thomas Stélandre ActricesSorcières (Capricci)

Silvia Federici, Mona Chollet, Pomme, Hermione... Des chercheuses, chanteuses ou références de la pop culture s'emparent volontiers du terme "sorcière" pour en retourner le stigmate. Jadis sceau de l’infamie, celui-ci désigne désormais les rebelles, les combatives, les subversives. Et sert, parfois, de produit d’appel. Dans cet ouvrage, l’auteur dresse une douzaine de portraits d’actrices plus ou moins marginales, engagées, féministes qu’il admire : Asia Argento, Béatrice Dalle, Jennifer Jason Leigh ou encore Eartha Kitt. Et… c’est à peu près tout, finalement. On reste sur notre faim : individuellement, chaque portrait est passionnant, mais on peine à trouver le véritable fil conducteur de l’affaire. 168 p., 17€. Thibaut Allemand 1

Hélène Laurain Partout le feu (Verdier) La couverture dit "premier roman" mais on peine à le croire tant Hélène Laurain impose avec assurance une voix singulière. Pour se laisser happer par cette incandescente chronique de l’urgence écologique, il faudra néanmoins dépasser une forme inhabituelle dans ce récit sans lignes pleines ni ponctuation. C’est Laetitia qui parle, 31 ans, ex-élève en école de commerce, traînant son angoisse de l’époque et le deuil de sa mère dans une petite ville de la Meuse. L’État a décidé d’y enfouir ses déchets radioactifs, dans l’indifférence générale. Alors Laetitia et sa bande fomentent des actions de désobéissance civile, en attendant l’incendie final. Avec un humour très contemporain, la romancière fait monter la pression au fil des pages. Qui déclenchera l'étincelle ? On brûle de le savoir. 160 p., 16€. Marine Durand 53


LONE WOLF AND CUB

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Apparu dans les années 1960 au Japon, le gekiga désigne un manga à l’intrigue dramatique, un genre sombre plutôt destiné aux adultes. Depuis, ces petits bijoux de violence pure sont devenus culte et leur influence reste inégalée. Parmi les titres ayant inspiré moult artistes, ressort le magnifique Lone Wolf and Cub.

Victime d’une machination politique, Ogami Ittō, un ancien samouraï tombé en disgrâce, devient rōnin (soit un loup solitaire) pour venger son honneur et le massacre de sa famille. Seul survivant, son jeune fils Daigoro l’observe dans sa quête sanglante depuis son berceau. Cette épopée violente dans le Japon de l’ère Edo est portée par l’intensité du verbe de Kazuo Koike et l’élégance du trait de Goseki Kojima. À la fois poétique et cruel jusqu'au dénouement tragique, Lone Wolf and Cub est depuis sa première parution en 1970 considéré comme un chefd'œuvre. Il fut d'ailleurs rapidement adapté sur grand écran. Une série de films sacralisant l’assassin Ogami Ittō a ainsi conquis les États-Unis et un public avide de bastons épiques, marquant plusieurs générations. Pour preuve, des clins d’œil lui sont adressés dans la culture pop – à l’instar de Quentin Tarantino avec Kill Bill. D’autres s'en inspirent aussi comme John Favreau pour sa série The Mandalorian. Tandis qu’Hollywood réfléchit à une nouvelle adaptation, les éditions Panini amorcent un retour aux sources en rééditant le manga d’origine. Ogami Ittō entre un peu plus dans la légende, et pas forcément à pas de loup. Sonia Abassi blof

© 2001 by Kazuo Koike & Goseki Kojima

Lone Wolf and Cub (édition prestige) de Kazuo Koike et Goseki Kojima (Panini Manga) 688 p., 32€, www.panini.fr > Tome 1 : disponible. Tome 2 : sortie le 01.03

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© 2016 by Koyoharu Gotouge SHUEISHA Inc.

Victor Moisan et Alex Chauvel Zelda, le jardin et le monde

Koyoharu Gotouge Demon Slayer : Kimetsu No Yaiba. Tome 20

(Façonnage éditions)

(Panini Manga)

Link, héros du cycle Zelda qui offre régulièrement au jeu vidéo ses plus beaux moments de quête, n’est pas un aventurier mais un aventureux. Selon Jankélévitch, les premiers sont des professionnels là où les seconds s’élancent avec une soif enfantine d’inconnu. Comme avec l’ébouriffant Speed Racer de Julien Abadie, les éditions Façonnage allient brillamment pop-culture et philosophie. C’est en filant la thématique ancestrale du jardin que Victor Moisan explore la saga (et son pivot Ocarina of Time) pour révéler l’art de donner un sens aux paysages. Se déploient alors de fécondes analogies, rythmées par les illustrations limpides d’Alex Chauvel. Qu’on soit joueur où non, on dénichera dans ce jardin de papier de nombreux trésors cachés, pour penser et pour rêver. 235 p., 20€. Rémi Boiteux

Japon, xxe siècle. L’archipel affronte des attaques de monstres sanguinaires. Pour les combattre, une organisation secrète appelée les pourfendeurs. Le jeune Kamado Tanjiro redouble d’efforts pour gagner leurs rangs après que sa petite sœur a été transformée en démon et le reste de sa famille décimée… Avec plus de 150 millions d’exemplaires écoulés à travers le monde, Demon Slayer : Kimetsu No Yaiba est un événement littéraire de cette rentrée. La mangaka Koyoharu Gotouge bat tous les records de vente. Sur papier comme à l’écran. Le film Demon Slayer : le train de l’infini s’est hissé dès sa sortie en tête du box-office dans plusieurs pays. Pas étonnant pour une œuvre mariant combats épiques, émotion et humour mordant. Le tout exalté par un sens du suspense à couper au katana. 192 p., 7,29€. Sonia Abassi 55


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interview Propos recueillis par Zoé Van Reckem Photo © Jérôme Prébois, Wild Bunch Distribution

REDA KATEB & THOMAS KRUITHOF Au nom du maire

Avec Les Promesses Thomas Kruithof signe un thriller perçant les arcanes de la politique nationale et locale. Incarnée par Isabelle Huppert, Clémence est maire d’une grande ville de banlieue parisienne. Accompagnée par Yazid (Reda Kateb), son directeur de cabinet, elle tente par tous les moyens d’obtenir une subvention pour rénover la cité délabrée des Bernardins, minée par les "marchands de sommeils". Tout se complique lorsqu’on lui offre un poste de ministre… L'intérêt public l'emportera-t-il sur l'ambition personnelle ? Les promesses seront-elles tenues ? Rencontre avec l’acteur césarisé Reda Kateb et Thomas Kruithof, réalisateur inspiré. Comment avez-vous écrit le scénario ? Thomas Kruithof : Nous souhaitions réaliser un film sur la politique locale, saisir l'énergie qui s'en dégage. Il s'agissait aussi de rappeler la place du maire sur l'échiquier politique, le rapport permanent qu’il entretient avec les citoyens, car il est en première ligne. Avec Jean Baptiste Delafon, mon co-auteur, on met ici en exergue la question du logement, un sujet

complexe mais fondamental dans notre société. Sur le plan cinématographique, j’ai été inspiré par cette notion de combat, d'engagement et de courage. Pourquoi avoir choisi Isabelle Huppert et Reda Kateb ? Thomas Kruithof : Avant même de composer les personnages, nous avions imaginé ce duo. Isabelle possède une autorité naturelle, le propre des grandes dames. ••• 57


De son côté, Reda est aussi très charismatique, on lui devine un riche vécu.

« Important de rappeler la place du maire sur l'échiquier politique. » On remarque ici l’importance accordée aux dialogues... Thomas Kruithof : Oui, car la politique c’est l’art de la parole, pour mieux convaincre. Alors, on a peaufiné les discours et les arguments. En même temps, je ne voulais pas que le film se transforme en concours d’éloquence. Ce qui m’intéressait, c’était la variété de décors, jouer avec ces grands contrastes, passer de l’Élysée à une cage d’escalier délabrée. Reda, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce scénario ? Reda Kateb : J’avais beaucoup aimé le premier film de Thomas, La Mécanique de l’ombre. J’avais donc une idée de la forme qu’il donnerait à ce thriller politique. Et puis, je n’avais jamais endossé ce type de rôle, dans une ambiance où les mots constituent les armes du personnage. Enfin, la présence d’Isabelle Huppert m’a aussi motivé, c’est une actrice que j’estime énormément. Comment présenteriez-vous votre personnage, Yazid ? Reda Kateb : Il est directeur de cabinet de la maire et issu du quartier

populaire dont il est question dans le film. Il souhaite sortir de là, il en a marre de manger des kebabs et préférerait des courgettes bio à Paris. Il est brillant, travaille beaucoup. Mais avant de quitter sa ville il veut aller au bout de sa mission. Certes pour servir sa propre ambition mais aussi ces gens défavorisés auxquels il est viscéralement attaché. Ça pourrait être un futur grand homme politique.

« Passer de l’Élysée à une cage d’escalier délabrée. » Tout comme Yazid, vous avez grandi en banlieue parisienne. Incarner ce rôle représente-t-il une forme d’engagement ? Reda Kateb : Sans doute, mais je ne me proclame pas artiste engagé. On aborde souvent les quartiers par le prisme de la délinquance, de la police et quantités d'autres problèmes… Ici, il n’y a pas un seul flic à l’horizon. Je n’ai pas habité dans des cités très dégradées, mais si j’étais un habitant du Chêne Pointu (le lieu du tournage, ndlr), je ne me sentirais pas trahi par un film comme celui-ci.

Les Promesses De Thomas Kruithof, avec Isabelle Huppert, Reda Kateb, Soufiane Guerrab, Jean Paul Bordes… En salle 58



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© Jérôme Prébois, Ad Vitam, Curiosa


UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN Vivre, malgré tout

Présenté lors la Semaine de la critique à Cannes et à l’Arras Film Festival, Une jeune fille qui va bien est le premier long-métrage de Sandrine Kiberlain. L’actrice signe le portrait d’une jeune fille juive, dans une France en proie au nazisme. Une œuvre puissante, portée par la performance de Rebecca Marder, grande révélation du film. On peut être sceptique devant le passage d’actrices ou d’acteurs derrière la caméra. Certains de leurs films ne dépassent guère le simple objet narcissique. Tel n'est pas le cas de Sandrine Kiberlain qui ne s’offre ici aucun rôle. L'occasion de se concentrer sur l'écriture et la mise en scène d'une œuvre dénuée de la moindre coquetterie. Son sujet, en l’occurrence l’adolescence d’une jeune fille juive durant la Seconde Guerre mondiale, n’aurait supporté aucune faute de goût. L'histoire ? Irène vit l’élan de ses 19 ans à Paris, durant l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion pour le théâtre… Ennemi invisible On est d’emblée frappé par la maîtrise de l’apprentie cinéaste. Sa réalisation affirme des choix forts. L’occupant nazi n’est jamais montré. En le plaçant hors du champ de la caméra, Kiberlain ne le rend que plus inquiétant. Ainsi, l’atrocité plane comme une ombre sur tout le récit. Grâce à ce procédé, la cinéaste soutient aussi que rien, ni personne, ne peut empêcher la jeunesse de rêver, de s’accomplir et de vivre ! Enfin, jusqu’au moment où la tragédie de l’Histoire traverse le cadre... Parmi une distribution de premier ordre, la jeune Rebecca Marder, pensionnaire de la ComédieFrançaise, est éblouissante, et la réussite d’Une jeune fille qui va bien lui doit beaucoup. Grégory Marouzé De Sandrine Kiberlain, avec Rebecca Marder, Anthony Bajon, André Marcon… En salle 61


© Ex Nihilo Kare

LES JEUNES AMANTS Passion ardente

Dans Les Jeunes amants, Fanny Ardant incarne une septuagénaire qui renoue avec l’amour auprès d’un homme sensiblement moins âgé. Drôle et tendre, ce film piquant les conventions est, lui aussi, une belle déclaration d’amour à l’ex-muse de François Truffaut et icône du cinéma français. Carine Tardieu affectionne les comédies douces-amères portées par de grandes actrices. On se souvient de La Tête de maman (avec Karin Viard), Du vent dans mes mollets (avec Agnès Jaoui) ou encore d’Ôtez-moi d’un doute (avec Cécile de France). Chacun de ces films constitue un magnifique portrait de femme, refusant les clichés. La cinéaste creuse ce sillon avec Les Jeunes amants. L’histoire ? Shauna, 70 ans, a renoncé à toute vie sentimentale jusqu'à sa rencontre avec Pierre, un homme de 45 ans... Faisant fi du regard des autres, elle entame une histoire d’amour passionnée avec lui. Car le fringant quadragénaire ne voit pas en Shauna "une dame d’un certain âge", mais une femme séduisante, qu’il est aussi prêt à aimer. Reste que Pierre est marié et père de famille... Qui, à part Fanny Ardant, pouvait incarner Shauna ? On a beau chercher, on n’imagine personne d’autre dans la peau de cette femme libre. Cela tombe bien, Carine Tardieu a écrit le rôle tout spécialement pour elle. Certes, Ardant fait du Ardant, mais elle nous bouleverse. À ses côtés, Melvil Poupaud, en amoureux transi, est d’un charme irrésistible. Avec Les Jeunes amants Carine Tardieu signe une love story à rebours des conventions et des modes. Grégory Marouzé De Carine Tardieu, avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence Loiret Caille… Sortie le 02.02 62



© Sarah Blum

NOUS Dénominateur commun

Quel rapport entre un mécanicien d'origine malienne vivant dans sa camionnette et des royalistes priant à la Basilique de Saint-Denis ? Des chasseurs à courre et une infirmière à domicile ? En suivant la ligne du RER B, Alice Diop construit un portrait kaléidoscopique de la France. Dans la vallée de Chevreuse, un couple et son petit-fils se laissent envelopper par le crépuscule. Immobiles, ils guettent l'orée d'un bois. Un cerf apparaît brièvement, avant de faire retentir dans la nuit son brame. Nous commence et s'achève là, tout au bout du RER. On imagine sans peine que ce monde de la chasse est le plus étranger à la cinéaste, née à Aulnay-sousBois. Mais c'est bien toute la beauté de ce documentaire que de mesurer les écarts, de rapprocher sans confondre. Si chaque figure ou situation mériterait un film à soi, c'est évidemment leur conjonction qui importe à un moment où la division entre "nous" et "eux" – « cet autre qui n'est plus rien qu'un autre », pour citer le philosophe Jacques Rancière – l'emporte dans les débats politiques. Alice Diop prête au contraire la même attention délicate à tous. Logiquement, il y a aussi du "je" en "nous". Diop revient sur son histoire familiale, intégrant notamment quelques images fragiles et émouvantes de son père. S'attachant à montrer la vie des « groupes excommuniés de l'ordre symbolique », comme le dit l'écrivain Pierre Bergounioux lors d'une belle rencontre, Nous construit aussi une chose extrêmement précieuse : une communauté de dissemblables. Raphaël Nieuwjaer Documentaire d'Alice Diop. Sortie le 16.02 64


Après Une vie violente (2017), inspiré de la vie d’un militant nationaliste corse, Thierry de Peretti porte à l’écran la scandaleuse histoire rapportée par Hubert Avoine et Emmanuel Fansten dans leur livre L’infiltré. Octobre 2015, les douanes françaises saisissent sept tonnes de cannabis. Le jour même, un ancien infiltré des stups, Hubert Avoine, contacte un journaliste à Libération (Emmanuel Fansten). Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par un haut gradé de la police française. Commence une enquête qui mènera jusqu'aux recoins les plus sombres de la République... De ce scandale d’état, de Peretti tire un film puissamment romanesque où chaque interprète (Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon) se met au service d’une mise en scène haletante. Grégory Marouzé

© Les Films Velvet

De Thierry de Peretti, avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon, Julie Moulier, Valeria Bruni Tedeschi... Sortie le 09.02

© Cédric Sartore

ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT

LA VRAIE FAMILLE Fabien Gorgeart avait étonné avec Diane a les épaules (2017), comédie où une jeune femme portait l’enfant de ses deux meilleurs amis. Après l’homoparentalité, le réalisateur continue de s’intéresser à la famille. Ici, il change néanmoins de registre, passant de la comédie au drame. Anna vit avec son mari, ses deux petits garçons et Simon, un enfant placé chez eux depuis l’âge de 18 mois. Mais un jour, le père biologique de Simon souhaite ardemment récupérer son fils… La Vraie famille, film aux accents autobiographiques (lorsqu'il était petit, les parents du réalisateur ont accueilli un enfant placé), bouleverse en soulevant des questions à la fois intimes et sociétales. Lyes Salem et Félix Moati sont épatants, tandis que Mélanie Thierry confirme le talent qu’on lui connaît. Grégory Marouzé De Fabien Gorgeart, avec Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati… Sortie le 16.02 65


Teen spirit, 2021 © Vincen Beeckman


sition

expo

The Curious Case of Matthew Manning Poltergeist © Hernan Bas © Collection Peter Kilchmann, Zurich. Photo Sebastian Schaub

TEEN SPIRIT Le périple jeune

« L’adolescence est la seule période où l'on puisse parler de vie au plein sens du terme », selon Michel Houellebecq. Sans doute, mais quelle adolescence ? À Charleroi, le BPS22 réunit près d’une centaine d’œuvres contemporaines signées d’illustres noms (de Nan Goldin à Teresa Margolles) pour mieux ausculter cet âge empli de mystères et de contradictions. Derrière ce titre empruntant à un hymne universel (et nihiliste) de Nirvana sur le mal-être de la jeunesse, se cache une exposition dénuée de clichés mais pas d’émotion. ••• 67


Révoltée, indécise, fragile… Oui, l’adolescence est un peu tout cela, mais ne se résume pas à un portrait de James Dean ! « Je souhaitais éviter ces préjugés, confie Nancy Casielles, la commissaire. Cet âge n’a pas qu’un seul visage, il est multiple, varie selon les pays, le contexte social... ». Le parcours s’ouvre ainsi sur le travail de Vincen Beeckman. Depuis 2019, ce photographe s’est immiscé dans la vie de garçons et de filles de Charleroi. Il a capturé leur quotidien au skatepark, à la maison des jeunes ou au sein d’une école d’enseignement professionnel. Ses images prises sur le vif montrent par exemple des gamins en bleu de travail, les mains dans le cambouis, pas encore en âge d’avoir le permis mais réparant des voitures. À bien des égards, le Belge se situe dans les pas de Larry Clark, l’un des premiers à s’être intéressé à la jeunesse défavorisée, américaine en l’occurrence. Au BPS22, on découvre d'ailleurs l’iconique cliché Billy Mann, portrait "crashé" d’un ado au volant de sa bagnole – symbole s’il est en de liberté. Entre-deux Si, pour les Occidentaux des classes moyennes, cette période

reste synonyme d’insouciance, d’autres n’ont simplement pas d'adolescence. En témoigne le film Missing Stories de Laura Henno. À la lisière de l’art et du documentaire, elle a filmé des migrants mineurs et isolés. Ils sont réunis dans un lieu indéterminé et sans repères, entre désert et mer, au carrefour de leur existence…

« Montrer les différents visages de l'adolescence. » Riche de près de 90 œuvres, l’exposition révèle ainsi une diversité d’histoires mais aussi d’approches formelles. Entre les poupées mutantes de Maen Florin, symbolisant cette transition, ou les jeans sous vide laissant apparaître un smartphone dans la poche (nouvelle excroissance de la jeunesse connectée) signés Émilie Brout et Maxime Marion, on découvre les toiles d’Hernan Bas. L’Américain dépeint des ados oisifs dans leur chambre ou flânant au sein de paysages luxuriants, parfois inquiétants. Ils semblent alors suspendus entre fantasmagorie et réalité… laquelle finira tôt au tard pas les rattraper – hélas ! Julien Damien Charleroi, 12.02 > 22.05, BPS22, mar > dim : 10h-18h, 6 > 3€ (gratuit -12 ans), bps22.be À lire / La version longue sur lm-magazine.com

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© lastrolab

Sans titre, 2017 © Estelle Czernichowski

Junkyard I, 2021 © Félix Luque Sánchez Et Nicolas Torres Correia

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Enrique Ramírez, Un hombre que camina © Enrique Ramírez, ADAGP Paris 2022. Courtesy de l'artiste et Michel Rein, Paris Brussels

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JUSQUE-LÀ

La grande traversée Entre François Pinault et le Fresnoy, c’est une longue histoire. Celle-ci débute à Lens, où l’homme d’affaires et grand amateur d’art inaugurait en 2015 une résidence de création, à quelques pas du Louvre. L’institution tourquennoise y fut très vite impliquée. Cette affinité se traduit aujourd’hui par une exposition réunissant 17 œuvres du Chilien Enrique Ramirez, passé par ladite résidence et le Fresnoy, autour desquelles gravitent 28 autres pièces issues de la fameuse Collection Pinault et signées de dix artistes. Visite guidée. Le petit bateau est suspendu au plafond, voile orange tendue vers le sol. Synonyme de voyage ou de liberté, l’embarcation ainsi retournée symbolise également le naufrage, renvoyant à toutes ces traversées de la Méditerranée ou de la Manche qui ont fini en tragédie pour des milliers d’exilés. Intitulée Mirror, l’œuvre est signée Enrique Ramirez et comporte, comme souvent, de multiples niveaux de lecture. Grandi au Chili sous la dictature de Pinochet, fils d’un fabricant de voile, cet artiste nourrit depuis toujours un rapport viscéral à l’océan, à l’eau, qui donne la vie comme la mort. « Il a une approche à la fois poétique et politique de l’art, mêlant la douleur à la beauté », observe Pascale Pronnier,

commissaire de cette exposition baptisée Jusque-là, qui interroge la notion universelle de traversée. Par exemple celle, dantesque, effectuée par le Brésilien Paulo Nazareth, qui a rejoint New-York depuis sa terre natale… à pied et sans passeport. Cette longue marche fut ponctuée de rencontres dont il témoigne à travers une série de photographies et d’objets récoltés durant son périple. Vers l’au-delà Pensée comme « une expérience sensitive et immersive », cette déambulation au sein d’un parcours « sans aucun mur » prend aussi des détours écologiques, à l’image d’Alerce. Au centre de la grande nef du Fresnoy, cette vidéo toujours signée Ramirez remonte ••• 71


en travelling vertical le long du plus vieil arbre d’Amérique du Sud. Pour cause, il a 3 600 ans ! Pas sûr que nous parvenions jusque-là… Un jour ou l’autre, il nous faudra entreprendre cette dernière grande traversée vers l’au-delà. C’est l’une des questions, spirituelle cette fois, que soulève le Chilien dans Un hombre que camina ("un homme qui marche"). Ce film suit un personnage masqué parcourant le lac asséché du désert de sel du Salar d’Uyuni, en Bolivie. Traînant ses vêtements derrière lui, il semble en équilibre sur la ligne d’horizon,

entre la terre et le ciel, le monde des vivants et celui des défunts, dans une puissante allégorie de la condition humaine. Julien Damien Tourcoing, 04.02 > 30.04, Le Fresnoy mer > dim : 14h-19h, 4/3€ (gratuit -18 ans) lefresnoy.net

Paulo Nazareth, Untitled, from noticias de America © Paulo Nazareth, Pinault Collection

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© MRM MITHRA

LE MYSTÈRE MITHRA Secrets d’histoire

Durant le xixe siècle, l’académicien Ernest Renan affirma sans rire que « si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste ». Oui, parfois l’Histoire ne tient pas à grand-chose… Mais qui était Mithra ? D’où vient-il et en quoi son culte consistait-il ? À Morlanwelz, le Musée royal de Mariemont éclaircit pour la première fois le mystère nimbant ce Dieu célébré à travers tout l’Empire romain. Qui dit culte dit bonne histoire. Celle de Mithra est particulièrement étoffée. En fait, tout débute par un accident. Phaéton emprunte le char solaire de son père (le dieu Soleil) mais en perd le contrôle et provoque la désolation sur Terre. Fichtre ! Jupiter convoque alors une assemblée : il faut créer un nouveau héros. Ainsi naquit Mithra, en l’occurrence d’une roche. Dans la 74


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Vue d'exposition, MRM MITHRA - Picasso-Mithra, 1992 © Ernest Pignon-Ernest, Courtesy Galerie Lelong et Co

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MRM MITHRA - Statuette à l’effigie d’un corbeau © Römerkastell Saalburg, photo Cl. Rothenberger

foulée, celui-ci tue un taureau dont le sang régénère notre monde. Jaloux de ses exploits, le Soleil le provoque en duel mais perd. Mithra, bonne pâte, l’invite à banqueter et scelle leur réconciliation d’une poignée de main – c’est d’ailleurs la signification de son nom : le contrat, l’alliance. « Dès lors, il devient un maître de l’univers », explique Nicolas Amoroso, commissaire de cette exposition. Autel particulier Ce récit est résumé à travers des scènes ornant un relief pivotant, dès l’entrée du musée, montrant un héros aux boucles blondes et coiffé d’un bonnet phrygien – « qui ressemble un peu à un chapeau de Schtroumpf ». L’objet était disposé sur une sorte d’autel dans tous les mithraeums de l’Empire romain. Cent-trente de ces sanctuaires ont été découverts à ce jour, de l’Écosse à la Bosnie. À Mariemont, le visiteur en découvre une reconstitution grandeur nature, ••• 75


entre autres pièces d’exception : ensembles statuaires ou reliefs tauroctoniques antédiluviens… Des milliers d’adeptes ont ainsi perpétué la légende, du 1er au 4e siècle après JC, dans « un temple semi-enterré, évoquant la grotte où fut tué le taureau ». Tous en scène ? Le succès du mithraïsme tient sans doute à son ouverture, car tout le monde pouvait en être membre – sauf les femmes… « Il y avait là des militaires, des gouverneurs mais aussi des esclaves, tous traités sur un même pied d’égalité ». Leurs valeurs ? « La solidarité, la fraternité. Les cérémonies étaient chaleureuses. Ils sacrifiaient une volaille ou un porcin puis ripaillaient, précise Nicolas Amoroso. On imagine aussi qu’ils rejouaient les scènes du mythe, peut-être avec des masques, à la façon d’une pièce de théâtre… Tout cela reste mystérieux car il y a peu de textes ». Une certitude : le mithraïsme prit fin au quatrième siècle de notre ère. L'empereur Théodose proclame le christianisme religion officielle de l'empire et interdit les autres cultes. Mithra disparaît, avant d’être redécouvert lors de la Renaissance – mais garde encore son lot de secrets… Texte Julien Damien - Photo © MRM Morlanwelz, jusqu'au 17.04, Musée royal de Mariemont mar> dim : 10h-17h, 8 > 3€ (gratuit -18 ans), musee-mariemont.be

MRM MITHRA - Mithréum des thermes de Mithra, Ostie © Alamy Banque d’Images, Equatore

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Vue d'exposition, Vir Andres Hera © Julien Damien

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FORMAT À L’ITALIENNE XII Cas d’espace

Le saviez-vous ? Depuis 1837, Lille bénéficie d’une résidence de création au cœur de Rome. Mis à disposition par le peintre lillois Jean-Baptiste Wicar, cet atelier reçoit chaque année des artistes émergents, qui ont trois mois pour concevoir une œuvre originale. Le résultat s’admire dans l’exposition collective Format à l’italienne, dont la 12e édition est présentée à l’Espace Le Carré. Peintres, installations, vidéos… Qu'importe le médium, ces quatre artistes ont eu toute latitude. Peu à peu, un fil conducteur s’est dégagé entre ces créations : la notion de territoire, d’espace. Utopique par exemple, à l’instar du travail de Sylvain Konyali. Ce grand baroudeur a saisi à travers des peintures à l’huile les habitats collectifs de la Garbatella. Ce quartier de Rome, érigé dans les années 1920, a depuis été réhabilité en cité-jardin unique au monde. Manon Thirriot nous convie elle à un voyage plus intime, rapportant les souvenirs marquants de son séjour transalpin en mariant gravure au laser et marqueterie. Soit une technique moderne alliée à un art séculaire consistant à assembler diverses qualités de bois et de matières précieuses. Queer véritable Tout aussi protéiforme, le travail du Mexicain Vir Andres Hera se déploie à travers de véritables toiles mouvantes. Diffusés via de grands écrans rectangulaires, ses vidéos montrent un visage déformé par des effets "glitch" (reproduisant des accidents informatiques), en l’occurrence celui d’une chanteuse lyrique déclamant un poème en français, anglais, italien ou latin. L’œuvre symbolise les relations queer perçues dans les interstices de la Bible. Plus globalement, l'artiste matérialise la fluidité des genres et de l’identité – mouvante s’il en est au fil du temps et de l’espace. En un mot ? Iconoclaste. Julien Damien Lille, jusqu’au 06.03, Espace le Carré, mer > sam : 14h-19h • dim : 10h-13h & 15h-18h, gratuit, elc.lille.fr

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LECONTE FAIT SON CINÉMA Durant plusieurs mois, le scénariste Joub et le dessinateur Nicoby ont suivi Patrice Leconte. Entre anecdotes, moments de doute ou projets de film (on découvre les coulisses de son adaptation de Maigret) ils ont tiré un portrait savoureux du réalisateur des Bronzés, lui aussi grand fan de BD (il travailla pour le magazine Pilote dans les années 1970). Sorti en septembre dernier, l’ouvrage est dévoilé dans un parcours mariant septième et neuvième art. J.D. Bruxelles, jusqu’au 28.03, CBBD mar > dim : 10h-18h, 12 > 5€ (gratuit -6ans) www.cbbd.be

Cofondateur de l’agence VU, Michel Vanden Eeckhoudt (1947 2015) fut connu pour ses photographies en noir et blanc d’animaux aux faux airs d'êtres humains, mais aussi pour les quidams saisis dans les interstices du quotidien. Le Bruxellois, grand amoureux de l’argentique, capturait des situations a priori banales (ici la promenade d'un chien, là une équilibriste en plein échauffement) pour en révéler toute leur étrangeté, humour ou mélancolie. Ses cadrages sont propices aux plus improbables télescopages, dont on se délecte à Charleroi à travers une sélection de quelque 250 clichés. J.D. Charleroi, 29.01 > 15.05, Musée de la Photographie, mar > dim : 10h-18h 12 > 4€ (gratuit -12 ans), museephoto.be

Ile Maurice, 1991 © Michel Vanden Eeckhoudt

© Daniel Fouss, Musee de la BD

MICHEL VANDEN EECKHOUDT

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Sol LeWitt

Wall Drawing #528G, 1987 © Private Collection, Belgium / Photo : Hugard & Vanoverschelde

Des lignes, des figures isométriques, des aplats de couleurs vives. Solomon "Sol" LeWitt (19282007) a construit durant la deuxième moitié du xxe siècle une œuvre identifiable au premier coup d’œil, oscillant entre graphisme, dessin mural et sculpture. Dès lors, comment éclairer d’un jour nouveau le travail d’un artiste mondialement célèbre ? Ce défi est ici brillamment relevé. Les incontournables (Wall Drawings) s’y mêlent à l’inédit (son rapport à la spiritualité) pour révéler les obsessions de ce pionnier du mouvement conceptuel. Bruxelles, jusqu’au 01.05, Musée Juif de Belgique, mar > ven : 10h-17h • sam > dim : 10h-18h, 12/7€ (grat. -12 ans), mjb-jmb.org

La Vie matérielle

Cosmos

Si La Vie matérielle tire son nom d’un recueil de Marguerite Duras, c’est en Émilie-Romagne qu’est née cette exposition offrant un nouveau regard sur l’art au féminin. Avec Majesté, Serena Fineschi rend par exemple hommage à la peinture de la Renaissance en compilant des papiers de Ferrero Rocher en guise de feuilles d'or. En face s’élance l’une des grandes pièces textiles de la Bruxelloise Arlette Vermeiren, en tissu d’emballage et papier de bonbon, dans une critique sensible de notre société du tout jetable.

Besoin de s’aérer l’esprit ? Alors direction Hornu. Le Centre d’innovation et de design rassemble des pièces signées d’une cinquantaine de créateurs internationaux, et toutes inspirées par le cosmos. Nébuleuses, exoplanètes ou supernovas surgissent via des objets du quotidien (telles ces lampes créant des éclipses de soleil ou ces tapis nous plongeant dans un trou noir !), offrant un vertigineux jeu d’échelles. L’exposition marie science art et poésie, et pose aussi des questions quant à l’avenir de l’humanité.

Bruxelles, jusqu'au 13.03, La Centrale mer > dim : 10h30-18h, 8 > 2,50€ (gratuit -18 ans), www.centrale.brussels

Hornu, jusqu'au 27.02, Centre d'innovation et de design, mar > dim : 10 h-18h, 10 > 2€ (gratuit -6 ans), www.cidgrand-hornu.be

Lines & Tracks Plus de 140 affiches issues des archives de la SNCB (entre autres) retracent l’histoire du réseau ferroviaire belge, démarrée avec la révolution industrielle. Signées Armand Massonet, Julian Key ou Fernand Toussaint ces créations témoignent de l’évolution d’un moyen de transport d’abord réservé à une élite, avant de connaître son essor avec le tourisme. Dans le même temps, le parcours dévoile une belle palette de styles et de techniques d'impression. Joli coup double. La Louvière, jusqu’au 27.02, Centre de la Gravure et de l'Image imprimée, mar > dim : 10h-18h 8 > 3€ (gratuit -12 ans), centredelagravure.be 82



Lumière d'Opale À la fin du xix siècle, nombre d’artistes sont contraints de quitter Paris par manque de moyens et gagnent les régions. Parmi ces points de chute il y a la Bretagne, qui formera la célèbre école de Pont-Aven, mais aussi la Côte d’Opale. Ce qu’on appellera "la colonie d’Étaples" regroupe des peintres français ou anglo-saxons. Tous trouvent l’inspiration au fil des longues plages du nord et de leurs dunes, dans la verdure de l’arrière-pays... Cette exposition rassemble quelque 70 œuvres de cette période trop méconnue, mais dorée. e

Le Touquet, jusqu’au 22.05, Musée du Touquet-Paris-Plage mer > lun : 14h-18h, 3,50/2€ (gratuit -18 ans), letouquet-musee.com

Trésors insolites

De la gaillette à la reconquête

Parmi les 15 000 objets conservés par le Centre historique minier de Lewarde se cachent quelques trésors. Ce parcours dévoile ainsi 80 appareils scientifiques en tout genre. Ces voltmètres, ampèremètres, ohmmètres ou tachygraphes furent en effet indispensables dans l’exploitation houillère. Ces pièces au design insolite, rarement sorties de leur carton, s’apparentent à de véritables bijoux technologiques et attestent d’une ingéniosité oubliée.

Le 20 décembre 1990, l’ultime gaillette était extraite de la fosse du 9-9 bis, marquant la fermeture du dernier puits de mine à Oignies. L’événement clôturait 270 ans d’extraction du charbon dans le bassin minier du Nord-Pas de Calais... mais ouvrait une nouvelle page. Ce site exceptionnel est ensuite devenu un lieu culturel, accueillant spectacles, concerts et expositions. Celle-ci revient justement sur ces 30 ans de transformation, rassemblant témoignages, vidéos, coupures de presse ou photographies.

Paul Klee, Abendliche Figur (Figure du soir), 1935 © d'art brut de Lille Métropole. Photo : Philip Bernard

Lewarde, jusqu’au 29.05, Centre historique minier, lun > sam : 13h-19h • dim : 10h-19h 6,70€ (gratuit -5 ans), chm-lewarde.com

Oignies, jusqu’au 24.04, 9-9 bis mer > dim : 14h-18h, gratuit, 9-9bis.com

Paul Klee, entre-mondes Né en Suisse en 1879, d’origine allemande, Paul Klee demeure un artiste majeur du xxe siècle, mais également une énigme. Figure de l’abstraction, sans jamais s’en revendiquer, adulé par les surréalistes, enseignant au Bauhaus, violoniste émérite à ses heures perdues… le peintre est aussi célèbre qu’insaisissable. À Villeneuve d’Ascq, le LaM lui consacre une première exposition sous forme d’enquête, auscultant sa recherche de l’origine de l’art… Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 27.02, LaM mar > dim : 10h-18h 10/7€ (gratuit -12 ans), musee-lam.fr 84



L'Hiver rude © Francis Rodor

Sélection / 22.02 : Po-Cheng Tsai - Timeless/Rage 22 & 23.02 : Hugo Mallon, Maurice Pons - Les Saisons, Mélodie Lasselin & Simon Capelle - Barbare (odyssées)... 23 & 24.02 : Stéphanie Affalo Jusqu’à présent, personne n’a ouvert mon crâne pour voir s’il y avait un cerveau dedans Pippo Delbono - Amore 24 & 25.02 : Emilie Charriot Vocation // 24 > 26.02 : Maëlle Dequiedt - I Wish I Was 25.02 : Gurshad Shaheman Silent Disco, Rébecca Chaillon Carte Noire nommée désir, Collectif l a c a v a l e - L’Âge de nos pères // 26.02 : Carte blanche à Art Zoyd Studios & Kasper T. Toeplitz, Philémon Vanorlé & Justine Pluvinage L’échappée, La Générale Posthume - L’Hiver rude... 86


théâtre & danse

CABARET DE CURIOSITÉS L’avenir en question

Petit rappel historique : ce temps fort du Phénix fut baptisé en hommage au Cabaret Voltaire, qui vit naître à Zurich le mouvement Dada, et à ces « endroits de collection avec un goût pour l’hétéroclite » que sont les cabinets de curiosités. Tout aussi polymorphe ce festival n'oublie cependant pas de soulever une question : qu’en est-il de nos futurs ? En 2012, le Cabaret de curiosités interrogeait l’accélération du temps présent (Now future). En 2019, il sondait l’influence de l’homme sur son environnement (No.s futur.s). Et en 2022 ? « Nous avons rajouté un point d’interrogation, glisse malicieusement Romaric Daurier, le directeur de la scène nationale. Car c’est toujours la question qui semble la plus importante : quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? ». Auteurs, poètes, danseurs ou performeurs, tous à leur manière s’emparent de la question dans une programmation traversée par trois grands thèmes. Cartes d’identité Comme Hugo Mallon, ils sont quelques-uns à pointer le dérèglement climatique. Le jeune metteur en scène s’attaque au livre culte de Maurice Pons Les Saisons (1965) – soit 40 mois de pluie automnale et 40 mois d’hiver glacial – et invente un « roman-performance très sensoriel ». Nos biens communs, et ce qui fait nos constructions identitaires, irriguent aussi la vingtaine de spectacles. Ainsi de Mélodie Lasselin, Simon Capelle et leur projet protéiforme Barbare (odyssées), deux ans d’exploration des 28 pays d’Europe pour déplacer les frontières entre nous et l’autre. Dernier fil rouge de cette édition, la transmission prendra son sens dans L’Âge de nos pères du collectif l a c a v a l e, pièce documentaire creusant les origines du patriarcat. Qu'on se le dise : nos futurs s’écriront le poing levé. Marine Durand Valenciennes, Maubeuge, Aulnoye-Aymeries & Douchy-les-Mines, 22 > 26.02, Le Phénix et divers lieux, 1 spectacle : 9/6€, www.lephenix.fr

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3 © Vincent Zobler

© Estelle Valente

La preuve par

AMORE

(Pippo Delbono)

L’un des plus grands metteurs en scène italien embrasse un sujet universel : notre quête inlassable d’amour. Réunissant de fidèles compagnons et des musiciens portugais, Pippo Delbono rend hommage aux morts partis dans la solitude durant la pandémie. De manière onirique, il leur tend la main, bercé par la nostalgie propre au fado. Maubeuge, 23 & 24.02, Le Manège, 20h

CARTE NOIRE NOMMÉE DÉSIR (Rébecca Chaillon)

Sur le plateau, la performeuse Rébecca Chaillon, Picarde d’origine martiniquaise, n’a retenu que des femmes noires. Ces huit interprètes mettent en question leur désir et se réapproprient leur corps, si souvent érotisé, "exotisé" sous l'emprise d'un passé colonial. Aux images puissantes succèdent des confidences qui bouleversent immanquablement l'auditoire. Valenciennes, 25.02, Le Phénix, 21h

© Jean-Louis Fernandez

I WISH I WAS (Maëlle Dequiedt) C’est l’histoire d’un groupe de rock amateur qui parcourt le Nord de la France pour donner un concert. Et qui s’interroge chemin faisant sur le bien fondé de sa propre troupe. Cette tension entre la communauté et l’individu (des répétitions jusqu’à la dérive délirante sur une aire d’autoroute) est entretenue par un texte d'une grande justesse. Douchy-les-Mines, 24 > 26.02, L’Imaginaire, jeu : 14h30 & 20h30 • ven : 14h30 • sam : 20h 88



interview Propos recueillis par Julien Damien Photos Portrait © Mélina Vernant / Une Télévision française © Pierre Grosbois

THOMAS QUILLARDET Travail à la chaîne

Oubliée de la mémoire collective, la privatisation de TF1 à la fin du siècle dernier marque pourtant un tournant dans l’histoire de l’information à la télévision française. Rachetée en 1987 par l’homme d’affaires Francis Bouygues, la première chaîne d’Europe s’engagea dès lors dans une course à l’audience et au sensationnalisme, bousculant notre vision du monde et notre rapport à l’actualité. Fondateur de la compagnie 8 avril, Thomas Quillardet dresse à travers Une Télévision française le récit de ce bouleversement cathodique. Quelque part entre le documentaire et la sitcom théâtrale, cette fresque mordante nous plonge dans les coulisses de la rédaction de la Une. 90


Pourquoi s’intéresser à la privatisation de TF1 ? Je voulais écrire une pièce sur les journalistes, car la salle de rédaction évoque un lieu théâtral, avec ses ego, révélant courage et faiblesse. Ce sujet me permettait aussi de dresser, en creux, un portrait de la France.

« C’est le début de la course à l’audience. »

Quel est le contexte historique de cet événement ? On est en 1987, en pleine cohabitation. La France a un président de gauche, François Mitterrand, mais un Premier ministre de droite, Jacques Chirac qui veut moderniser le pays. Il entreprend alors une série de privatisations d’entre-

Ce sera donc TF1… Il y a d’abord eu un petit moment de flottement, on ne savait pas si c’était Antenne 2 ou FR3 qui allaient être vendues. Les journalistes de la Une s'imaginaient à l'abri, travaillant pour la chaîne la plus puissante et patatras ! Ils apprennent la nouvelle le jour même de l’annonce. •••

prises publiques et notamment une chaîne de télévision. Il s’agit de renflouer les caisses de l’État et de concurrencer les nouvelles chaînes privées que sont La Cinq et Canal Plus.

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C’est un coup de massue, mais aussi la peur du licenciement, de l’interventionnisme à outrance dans les journaux. Car c’est un personnage inattendu qui déboule : Francis Bouygues, le patron de la première entreprise de BTP mondiale. Selon vous, quelles sont les conséquences de ce rachat ? D’abord, rappelons une chose assez cocasse, voire scandaleuse, quand on se replonge dans le cahier des charges défendu par Bouygues. Son projet était une sorte d'Arte privée, avant l'heure ! Il promet la diffusion de pièces de théâtre, des concerts, de l’opéra et le soutien de la création française pour mieux résister à l’invasion des séries américaines… Mais au lendemain de la signature du chèque, c’est le début de la course à l’audience pour séduire les annonceurs.

« Le journal télévisé devient plus lacrymal. » Comment cela se traduit-il dans le traitement de l’information ? En une petite dizaine d’années, le journal devient plus lacrymal, nourri de faits divers. Les sujets sur les sacs à pizza remplacent peu à peu la politique internationale. Le modèle Jean-Pierre Pernaut infuse doucement.

Vous dites qu’aujourd’hui ce journal structure encore une certaine façon de penser l’information en France. En quoi ? La chaîne a cartonné, elle est devenue la première d’Europe. Depuis, tous les médias audiovisuels ont suivi ce modèle. France 2, France 3, puis les chaînes d’info… Mais soyons honnêtes, si TF1 ouvrait son journal sur la guerre au Kazakhstan, ça aurait moins de succès qu’un sujet sur le prix de l’immobilier. L’un des personnages de la pièce résume la situation, en évoquant la "loi du mort kilométrique" : le spectateur est plus touché par un drame s’il a lieu à un kilomètre de chez lui que s’il y a 10 000 morts à l’autre bout de la planète. TF1 impose aussi une vision particulière de la France. Seraitelle en partie responsable de la droitisation de la politique française ? Oui même si, encore une fois, toutes les autres chaînes ont suivi ce modèle. D'ailleurs, nous sommes tous un peu responsables, car nous aimons avoir peur. Voyez toutes ces émissions sur la police aujourd’hui dans le PAF, ça nous rassure. Comment avez-vous travaillé pour écrire cette pièce ? J’ai rencontré une quarantaine de journalistes actuels, mais aussi de 92


l’époque, travaillant à TF1, France 2 ou Mediapart. J’ai effectué des recherches auprès de l’INA, disséqué beaucoup de 20h, de 13h... Concrètement, que raconte la pièce ? Une Télévision française, c’est l’histoire de la rédaction de TF1 de 1986 à 1994. Nous suivons dix journalistes en plein travail, confrontés à la privatisation de leur chaîne et au changement de management. On observe leurs doutes, les choix imposés, les coups de gueule, le poids du politique aussi.

Faites-vous référence à des faits historiques ? Oui, notamment la reconstitution du débat entre Mitterrand et Chirac, Tchernobyl, la chute du mur du Berlin… on revit ainsi une série d’événements par le prisme du JT, mais sans images. Ce qui s’est joué dans ces années 1980 et 90 pèse sur notre actualité. La pièce pose aussi la question de la privatisation, et donc du service public, prégnante aujourd’hui.

Une Télévision française Mouvaux, 22 & 23.02, L’Etoile, scène de Mouvaux, 20h, 19h, 21 > 6€, www.larose.fr À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

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ÉDOUARD LOUIS Vaincre le mépris

Deux compagnies belges adaptent sur scène l'œuvre "coup-depoing" de l'écrivain Édouard Louis, en l'occurrence En finir avec Eddy Bellegueule et Qui a tué mon père. Présentées entre Mons, Bruxelles et Charleroi, ces pièces dissèquent la violence politique et les logiques de domination – pas les thèmes les moins contemporains.

Qui a tué mon père © Pierre-Yves Jortay

Six mois avant la naissance des Gilets jaunes, Édouard Louis décryptaient dans Qui a tué mon père les mécanismes de la domination sociale broyant les classes les plus fragiles. Dans ce pamphlet, il démontre comment les gouvernements successifs ont « détruit » son père. « Tu as à peine plus de 50 ans, tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve une mort précoce », écrit-il dans ce monologue d'abord pensé pour le théâtre. Julien Rombaux s'en empare justement. La pièce se joue sur un plateau évoquant une maison abandonnée, « un endroit abîmé dans un bassin sidérurgique où tant d’hommes se sont bousillé la santé », explique le metteur en scène. La seconde pièce est portée par la compagnie Gazon-Nève et le collectif La Bécane, qui adaptent En finir avec Eddy Bellegueule. Dans ce récit qui l'a révélé en 2014, l'auteur raconte sa jeunesse, celle d'un ado harcelé car homosexuel. Élevé dans une famille pauvre de Picardie, il raconte les fins de mois difficiles, la violence, comment il faut devenir « un dur ». Sur scène, quatre interprètes incarnent le père tyrannique, le frère brutal, la mère désabusée. Un acteur-narrateur joue lui le rôle d'Eddy, restituant le texte d'Édouard... mots pour maux. J. Damien Focus Édouard Louis : Mons, 08 > 17.02, Théâtre le Manège, 2 spectacles : 18€, surmars.be Qui a tué mon père : Mons, 08 > 10.02, Théâtre le Manège, mar & mer : 20h • jeu : 10h, 15 > 9€ Charleroi, 02 > 04.02, Théâtre de l'Ancre, 20h30 (sauf mer : 19h), 15 > 10€, ancre.be En finir avec Eddy Bellegueule : Mons, 16 & 17.02, Théâtre le Manège, mer : 20h • jeu : 10h, 15 > 9€ Charleroi, 23 > 25.02, Centre de délassement, mer : 19h • jeu & ven : 20h30, 15 > 10€, ancre.be 94


| Photo © Neal Grundy | Licence 2 -134374

opéra

PURCELL

THE FAIRY QUEEN Direction musicale ALEXIS KOSSENKO Mise en scène J.P. DESROUSSEAUX

jeu 24.02.2022 – 20 h ven 25.02.2022 – 20 h dim 27.02.2022 – 15 h 30 TOURCOING Théâtre Municipal R. Devos Billetterie : +33 (0)3 20 70 66 66 atelierlyriquedetourcoing.fr Fondation


Prospero, magicien et duc de Milan, est chassé du pouvoir par son frère Antonio. Le voilà exilé sur une île mystérieuse, peuplée de créatures fantastiques ou il règne en maître (sur le monstre Caliban et Ariel, l'esprit de l'air). Douze ans plus tard, il tient sa revanche, faisant échouer grâce à la magie le bateau sur lequel a embarqué Antonio... Ultime pièce de Shakespeare, La Tempête se lit comme une fable, pas nécessairement sur la vengeance et le pouvoir, mais d'abord sur la liberté : celle de réussir à pardonner. L'immense Peter Brook en livre ici une nouvelle mise en scène épurée, pour mieux révéler cette tempête intérieure. J.D.

© Philippe Vialatte

TEMPEST PROJECT

Lens, 05.02, Scène du Louvre-Lens, 19h, 20 > 5€, www.louvrelens.fr

Rachel Redmon © Chris Wallace

THE FAIRY QUEEN Enchanteresse, cette Fairy Queen constitue le plus grand succès de Purcell. Inspiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare (« l'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'imagination… »), ce semi-opéra nous emmène dans une forêt peuplée d’elfes et de fées dont la reine, Titania, qui ne manque jamais de nous envoûter. La pièce mêle théâtre, chant, danse et musique, entre influence italienne et baroque – dont The Plaint représente l’un des sommets. J.D. Tourcoing, 24, 25 & 27.02, Théâtre municipal R. Devos, jeu & ven : 20h • dim : 15h30, 45 > 15€, atelierlyriquedetourcoing.fr 96



© Fifou

PAUL MIRABEL Drôle de zèbre

C’est la nouvelle sensation du stand-up français. Paul Mirabel s’est révélé auprès du grand public quelques semaines avant le début de la pandémie, soit pile au moment où toutes les salles étaient fermées… Il en fallait un peu plus pour l’empêcher de cartonner avec son premier spectacle, Zèbre, acclamé de toute part. Droit comme un piquet, micro vissé à la main et avec une autodérision sans égale, le grand échelas retrace des tranches de vie plus ou moins glorieuses et des absurdités de notre quotidien. Fan inconditionnel de rap, le natif de Montpellier a écrit son one-man show comme un album, avec une intro, un interlude et une surprenante outro. En quatre ans seulement, le chroniqueur de France Inter, pilier de La Bande originale de Nagui, s'est hissé au devant des plus belles scènes de l’humour tricolore. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière sa musculature de « yaourt nature » ou son allure dégingandée et faussement gauche, le jeune homme de 25 ans est un véritable stakhanoviste. Il a d'abord écumé une flopée de comedy clubs parisiens, assurant parfois jusqu'à six représentations par jour ! Les chiffres étourdissants de son premier passage au prestigieux Festival de Montreux en 2019 lui donnent raison. Son sketch Je me suis fait racketter atteint les 19 millions de vues, devenant de loin la vidéo la plus vue du gala. Qu’on se le dise, ce drôle de zèbre pourrait bien devenir le nouveau roi de la jungle. Zoé Van Reckem Amiens, 12.02, Mégacité, 21h, complet ! // Béthune, 16.03, Théâtre municipal, 20h30, complet ! Lille, 17.03, Théâtre Sébastopol, 20h, complet ! // Bruxelles, 27.09, Cirque Royal, 20h, complet ! 98



© Véronique Vercheval

HAMLET « Être ou ne pas être ». Telle est la question que se pose depuis plus de 400 ans Hamlet. Le prince du Danemark, étudiant en Allemagne, est rappelé d’urgence au royaume. Son père est mort brutalement. Le jeune homme découvrira que c’est son oncle, Claudius, qui l’a assassiné pour prendre le trône... Ses idéaux s’effondrent. Dès lors, que faire ? Agir ou subir ? Disparaître ou mourir ? Entre théâtre, danse et musique, Emmanuel Dekoninck livre une relecture menée tambour battant du chef-d’œuvre atemporel, au sein d’un décor manipulé à vue par les acteurs. Le chanteur Thomas Mustin (aka Mustii) incarne un Hamlet très rock, mais pas moins tourmenté. J.D. La Louvière, 24 & 25.02, Le Théâtre, 20h, 18/15€, cestcentral.be Mouscron, 07.03, Centre Marius Staquet, 20h30, 15/12€, centrecultureldemouscron.be

À L’INTÉRIEUR

© DR

À l’intérieur de nous sommeille un monstre. C’est cette part d’ombre qu’Aude Denis révèle dans cette « dissection théâtrale ». Que cache cette maison située à l’orée d’une forêt, où une femme fatiguée a été invitée à entrer ? Dans une mise en scène hybride, entre gestes chorégraphiques, récits, images ou interviewes se succèdent diverses formes du mal, issues de nos cauchemars, de l’Histoire, des contes de fées ou bien réelles… Frissons garantis. J.D. Dunkerque, 22 > 24.02, Le Bateau Feu mar : 20h • mer & jeu : 19h, 9€, lebateaufeu.com Armentières, 26.02, Le Vivat, 20h, 18 > 2 €, levivat.net 100



© Julien Weber

Focus (Vérino) Ce n’est pas le plus célèbre des humoristes, mais pas le moins talentueux. En témoigne Focus, troisième one-man-show sous forme de mise au point sur sa vie de père de trois enfants, la quarantaine plus ou moins bien vécue (avec les poils dans les oreilles façon « maître Yoda ») et sur l’état du monde. « Écolo ceinture blanche », le stand-upper nous livre en prime quelques conseils pour sauver la planète : « Je suis plutôt dans la filière économie de l’eau : je fais pipi dans la douche ». Ça coule de source ! Lille, 01.02, Théâtre Sébastopol, 20h30, complet ! La Louvière, 19.02, Le Théâtre, 20h, 35 > 15€, cestcentral.be Roubaix, 07.04, Colisée, 20h30, 39 > 10€, coliseeroubaix.com

L’étudiante et monsieur Henri

Phèdre

(Ivan Calbérac / Alexis Goslain et Sandra Raco)

(Racine / Brigitte Jaques-Wajeman Cie Pandora)

À 78 ans, monsieur Henri vit seul dans son appartement parisien, au grand dam de son fils Paul, inquiet pour lui. Le vieux grigou accepte alors de louer une pièce à une étudiante, Constance. Loin de tomber sous le charme de la jeune femme, l’irascible septuagénaire va se servir d’elle pour semer le chaos et se débarrasser de sa bellefille : il lui offre six mois de loyer si elle accepte de séduire son grand dadais de fils… Signée Ivan Calbérac, cette comédie décapante rassemble toute la famille, pour le meilleur et pour le rire.

Phèdre, seconde femme de Thésée, roi d'Athènes, éprouve des sentiments interdits pour Hippolyte, le fils de son époux qui, lui, jette son dévolu sur Aricie, l’héritière d’une famille ennemie… Dans cette fameuse pièce aux 1654 alexandrins, Racine décrit le surgissement de l’amour et les ravages causés par le désir. Signée Brigitte Jaques-Wajeman, la mise en scène se déploie dans un décor rappelant un tableau de Rothko, tandis que Raphaèle Bouchard incarne une héroïne lentement consumée par la passion.

Bruxelles, 02 > 27.02, Théâtre royal des Galeries, 20h15 (matinée : 15h), 26 > 10 €, trg.be

Calais, 04.02, Grand Théâtre, 20h30, 16>5€ spectacle-gtgp.calais.fr

Lamenta (Koen Augustijnen & Rosalba Torres Guerrero / Siamese Cie) Connaissiez-vous le "miroloï " ? C’est un rite mortuaire séculaire pratiqué en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, non loin de l’Albanie. Fascinés par ces formes traditionnelles de danse et de musique, Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero s’en emparent pour les mêler au jazz et au rock, dressant un pont entre passé et présent. Sur scène, neuf interprètes donnent littéralement corps à la lamentation, partagent leurs douleurs, dans une allégorie de la résilience. Charleroi, 19.02, Les Écuries, 20h, 15 > 5 €, charleroi-danse.be 102



© ABACA

Simone Veil : les combats d’une effrontée (Cristiana Reali & Antoine Mory) Camille est invitée à prendre la parole sur Simone Veil à la radio. Au fil de l’émission, des souvenirs personnels et des enregistrements de la femme politique s’entrelacent, au point qu’une conversation voit le jour, comme un dialogue entre les générations… L’ancienne ministre de la Santé iconique est ici incarnée par Cristiana Reali, qui s’appuie sur son autobiographie, Une Vie, pour retracer les combats politiques et familiaux d’une personnalité, sinon engagée, effrontée. Douai, 21.02, Théâtre municipal, 20h30, 41 > 20€, ville-douai.fr

Iliade & Odyssée (Pauline Bayle / Cie À Tire-d’Aile) Actrice, autrice, Pauline Bayle est aussi une dramaturge audacieuse. Elle adapte ici les deux poèmes millénaires d’Homère. Dans Iliade, elle retourne les archétypes de genre exaltés par le texte, offrant à des comédiennes les rôles d’Achille et d’Hector. Dans Odyssée, sa mise en scène sobre et puissante dépeint un Ulysse de retour à Ithaque, mais en proie aux doutes après 20 ans d’errance… Une épopée venue du fond des âges, mais remise au goût du jour avec grâce. Béthune, 22 > 26.02, Le Palace (La Comédie), 20 > 6 €, www.comediedebethune.org Iliade : mar & mer : 20h • sam : 16h Odyssée : jeu : 20h • ven : 18h30 • sam : 18h Uccle, 31.03 & 01.04, centre culturel, 20h, 25>13 €

L’Homme d’habitude (Les Blérots de R.A.V.E.L. Compagnie Vilcanota)

Sept musiciens et chanteurs (les Blérots de R.A.V.E.L.) rencontrent quatre danseurs de la compagnie Vilcanota. Résultat ? Un grand moment de lâcher-prise… mais réglé au millimètre. Orchestré par Bruno Pradet , ce concert chorégraphié (et résolument rock) réunit ainsi un batteur déjanté à la poursuite de ses cymbales ou des spéléologues lancés dans une logorrhée surréaliste. Un drôle de ballet acoquinant musique et danse, sur fond de ronds de fumée et de ballets de lucioles ! Béthune, 25.02, Théâtre municipal, 20h30 22 > 11 €, theatre-bethune.fr

Shazam (Philippe Decouflé / Compagnie DCA) Créé en 1998, ce spectacle avait marqué l’histoire de la compagnie DCA et révélé au monde l’imagination débridée de Philippe Decouflé, entre danse, cirque, théâtre ou même cinéma – en l’occurrence celui de Méliès. Plus de 20 ans après, la magie est intacte. Hommage au septième art, aux trucages visuels et réflexion sur le pouvoir de l’image, Shazam (soit "abracadabra" en anglais) alterne pyramides humaines époustouflantes, jeux de miroirs et illusions d’optique. Show devant ! Roubaix, 25 & 26.02, Colisée, ven : 20h30 • sam : 20h, 49 > 15€, coliseeroubaix.com 104



© Bashir Sultani

le mot d

e la fin

Bashir Sultani

@bashirsultani

On se sait pas si Bashir Sultani a un bon coup de crayon, mais une chose est sûre : il sait les empiler. Jouant avec la petite gomme fixée à leur extrémité et les perspectives, cet artiste d'origine afghane, désormais installé à Toronto, donne vie à une ribambelle de logos, personnages ou saynètes. En témoigne ce bonhomme dont la course est parfaitement rendue par cet astucieux alignement. Pas sûr qu'il obtienne le même effet en superposant des tablettes graphiques… 106




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