Le Lettré de la Croix-Rousse (extrait)

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Pourtant, la tradition rappelle que les Lyonnais ont un penchant naturel pour les bains de rivière, et qu’ils savent nager avant même de savoir marcher. Durant longtemps cela n’a pas été le cas des croix-roussiens ! Dès le xviiie siècle en effet, des barques – les « bêches lyonnaises » – étaient disposées en cercle quelque part sur la Saône ou le Rhône ; les plus motivés et les plus sportifs se baignaient au milieu. Il y eut ensuite les bains municipaux de la Tête d’Or puis les « chalets de bain » pour assurer des bains « par aspersion ». Du reste, l’un d’eux sera installé à la Croix-Rousse et connaîtra un certain succès. On s’y nettoie, on s’y délasse, on s’y revigore. Apparaît ainsi une sorte de confrontation entre « l’eau sauvage » des fleuves et « l’eau aimable » des chalets et bains-douches. L’eau sauvage, parfois violente, provoque des dégâts et des accidents. Elle met à l’épreuve le courage des hommes qui l’affrontent par leur la volonté et leur ruse, sources de toutes les inventions technologiques. L’eau aimable présente une image plus ambivalente où l’hygiène côtoie la pudeur et même la séduction. Le xixe siècle a privilégié les premières, notre modernité plus narcissique épouse la dernière. Sur le site des Flesselles ou dans notre salle de bain, un manteau de faïence blanche nous enveloppe pour participer à ce complot hygiéniste. Sous le jet franc et chaud de la douche, notre peau savonnée ne tarde pas à lâcher les derniers miasmes encore accrochés à notre peau. Un filet d’eau les embarque discrètement vers le sol et sa vidange cyclopéenne. En 2014, les bains-douches de Flesselles ne comptent que 8 900 passages, soit une trentaine de personnes par jour. Leur fermeture est décidée deux ans plus tard. En quelques décennies, le confort moderne des logements individuels a rendu obsolète ce qui avait été considéré comme une avancée sociale et symbolique de première importance entre 1890 et 1935. Aujourd’hui et comme un nouveau signe des temps, seules les automobiles connaissent encore le partage du bain sous les rouleaux et les karchers des stations-service du quartier. Notre peau de métal doit reluire autant que notre peau de chair afin de montrer qui l’on est.

LA BELLE ALLEMANDE Il est des lieux qui marient poétiquement la grande histoire avec des légendes, éveillant notre curiosité. La Belle Allemande appartient à cette famille de demeures qui attirent les grands hommes comme les contes. Ce domaine de

Belle Allemande (la)

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