Blue Line #03

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{ DÉRISION }

/ DÉRISION / PAR CORALIE BOTERDAEL

ORTHOGRAPHE, SYNTAXE ET DIVISION Ou comment le test de langue française divise

Dans la sphère frustrée et frustrante de l’enseignement, un sujet fait rage : les acteurs de la réforme de la formation initiale des enseignants veulent imposer une épreuve de maitrise de la langue française. Et si j’applaudis des deux mains l’initiative, je me demande tout de même comment on n’y a pas pensé avant… Comment n’a-t-on pas perçu plus tôt la nécessité pour un professeur de s’exprimer en français correct ? Que je sache, depuis toujours on a eu besoin du discours pour donner cours. Et un jeune professeur de mathématique, biberonné au langage instantané des réseaux et lacunaire des textos, qui note au tableau : « Ex : Ben, si il y’a un instit ki hachette quatres livres 2 grammaire et douze dicos a 22,50€ et ki dépence 345 euro. :-( Qu’elle ait le prix d’une grammaire ? » ; c’est un problème, non ? Il était donc temps de mettre le sujet sur le tapis ! Mais parce qu’il est écrit dans la constitution belge qu’il faut rendre tout problématique et prompt au dysfonctionnement, depuis que l’idée est sortie au grand jour, des poings se lèvent, on monte aux barricades... Et quelque chose qui était logique devient soudain polémique ! Assurément, les établissements d’enseignement supérieur tout d’abord et la FEF, syndicat étudiant en Belgique francophone, ensuite se chamaillent sur les modalités d’une telle épreuve. Celle-ci devrait-elle se faire en début ou milieu de parcours ? se révéler à caractère indicatif ou contraignant ? être ou ne pas être obligatoirement réussie ? Les arguments légitimes et légitimement contraires fusent telles des balles de calibre zéro pointé. Et j’ai, moi aussi, quelques projectiles à lancer… Aux premiers, je répondrais que ce serait trop de la bombe de prévoir un examen foncièrement compliqué. Le véritable souci étant bien entendu plus d’être faible à l’entrée des études que de ne pas être compétent à la sortie. Empêchons donc les jeunes supra-motivés mais n’ayant pas encore le bon niveau de français d’accéder à la formation pour les enseignants. Ayant eux aussi rencontré des soucis d’apprentissage, ils ne seront clairement pas les plus à même d’aider les élèves en difficulté. De surcroit, ne mettons surtout pas l’accent sur une formation réelle, poussée et suivie, ni sur une remédiation en cas d’échec. Car nous savons bien que l’effort et la persévérance ne sont en rien des facteurs de réussite. Aux seconds, je dirais que ce serait trop de la balle de ne pas obliger les potentiels professeurs à finalement maitriser le français pour ne pas les décourager. Simplifions le cursus pour rendre les études plus attractives et éviter la pénurie. On

enverrait ainsi dans les écoles des enseignants ayant le même niveau de français que leurs élèves et on serait alors en pleine congruence. Allons ! au diable la langue comme vecteur de communication ! Mettons sur le marché de l’emploi des profs de math ne sachant s’exprimer qu’en code binaire, des profs de gym, en patois sportif et des profs de dessins, en émoticônes. Non… plus sérieusement, je suis à la fois contre un examen sorti de nulle part et contre l’absence d’une réelle assurance que le futur enseignant s’exprime sans faute. Pourquoi ne pas imaginer un cours de français en première année avec un examen dispensatoire à la fin de celle-ci, suivi d’un cours supplémentaire en deuxième – une sorte de dispositif de remédiation obligatoire – pour ceux qui ne l’auraient pas réussi ? Et ce, pour les professeurs du secondaire supérieur comme inférieur, ainsi que pour les instituteurs. Ce serait en effet tristement drôle qu’un élève enregistre les erreurs faites par un enseignant et, pensant que c’est juste, tente par après d’en corriger un autre qui écrit correctement. Voyons surtout l’épreuve comme un prétexte, la vérification d’une maitrise, l’ultime sprint sur les Champs Élysées. Rendons ses lettres de noblesse à l’apprentissage et osons prendre le temps de former nos verts professeurs. Car, indépendamment de l’importance de leurs qualités humaines, ils se doivent de maitriser la ou les matières qu’ils enseignent mais aussi d’avoir un bon niveau de français. Un prof qui ne maitrise pas la langue, c’est comme un infographiste qui ne perçoit pas les couleurs ou un pilote de Formule 1 qui confond sa gauche et sa droite. Je ne donne pas cher du résultat… Ceci dit, ce qui m’inquiète le plus… au-delà de la peur d’un filtre social ou d’une aggravation de la pénurie… plus loin que l’importance de dispenser une formation bien ficelée… c’est le désintérêt qu’éprouvent les jeunes pour leur langue. Ceuxlà même ne voient plus l’utilité de parler et écrire en français convenable. Où est passé la fierté et le plaisir de jongler avec les subtilités de cette langue particulièrement riche ? Où est passé l’envie et la capacité de rendre des travaux bien écrits, ou du moins, de poster des publications sans faute ? Aujourd’hui, l’orthographe est à la jeunesse, ce que le beaujolais est à l’œnologie, tout à fait imbuvable ! Or, comme un bon plat s’accompagne généralement d’un bon vin, un bon cours s’accompagne de bons mots. Il faut encourager les jeunes à être attentifs aux règles de la linguistique et à se servir en autonomie des outils mis à leur disposition. Il faut leur apprendre à allier orthographe, grammaire et syntaxe tels les ingrédients d’une recette. De la conjugaison de ces composantes dépendent la structure des idées, la construction des opinions. La maitrise de la langue est garante de notre pensée. Et si on a pu rendre la cuisine tendance avec « Top Chef », pourquoi ne pas rendre le français sexy avec de Top Profs ! 

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