Blue Line #03

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{ JURIDIQUE DROIT EUROPÉEN }

LA RECONNAISSANCE MUTUELLE,

UNE INSTITUTION BOULEVERSÉE PAR ARNAUD DEVOS

L’Union européenne, un projet né sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, traverse une période sensible par la résurgence d’idées contraires aux valeurs communes aux États membres, dont l’état de droit. Partant, ce fait implique un questionnement quant aux principes de l’Union, dont celui de la reconnaissance mutuelle.

Reconnaissance mutuelle

L’Union européenne, sur la base de la confiance réciproque – présomption selon laquelle chaque ordre juridique national est capable de dispenser une protection similaire et effective de l’ensemble des droits fondamentaux – entre les États membres, a développé le principe de la reconnaissance mutuelle, élément substantiel dans le cadre de la coopération judiciaire visant à créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». Celui-ci consacre l’idée qu’une décision judiciaire rendue dans un État membre est exécutée sans aucune formalité dans un autre État membre comme si ladite décision était celle du second État. Grâce audit principe, la circulation des décisions judicaires est plus simple et rapide. Il y a une forme d’automaticité. Cependant, au regard des dernières évolutions de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et d’une position continue – mais renforcée – de la Cour européenne des droits de l’homme, il y a lieu de tenir compte de l’exception basée sur les droits fondamentaux. Aujourd’hui, à la suite du développement de législations opposées à la séparation des pouvoirs en Pologne – État membre de l’Union –, ladite exception est primordiale.

Article 7 TUE

La Cour de justice de l’Union européenne a déjà eu l’occasion de préciser qu’elle ne visait pas à remplacer la procédure prévue à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne et que seule une condamnation prononcée sur la base de cet article pourrait mettre un terme au principe de reconnaissance mutuelle. Pour rappel, l’article prévoit une sanction politique – d’ores et déjà activée contre la Pologne – qui est très rarement

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BLUE LINE | Mars 2020

exécutée à son terme au regard des exigences de quorum prévues dans ladite disposition. En effet, pour « constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne – celui-ci précise les valeurs communes aux États membres, dont l’État de droit – », il faut impérativement réunir l’unanimité au sein du Conseil européen. Une condition difficilement remplie car à côté de la Pologne, d’autres pays de l’Union ont adopté des législations polémiques – on pense naturellement à la Hongrie. De plus, les sanctions politiques éventuelles ne peuvent être prises qu’après avoir procédé à ladite constatation. Ce pour quoi, afin de ne pas fragiliser le principe de la reconnaissance mutuelle par la circulation de décisions entachées d’une méconnaissance des droits fondamentaux, et plus particulièrement du droit à un procès équitable, la jurisprudence nous précise comment appliquer ce principe dans des cas précis afin de pouvoir éventuellement opposer l’exception fondée sur les droits susvisés.

Le point de vue de la Cour de justice de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu l’arrêt Aranyosi et Caldararu du 5 avril 2016 au travers duquel, elle consacre l’idée d’un éventuel refus d’exécution du mandat d’arrêt européen pour cause de méconnaissance des droits de l’homme. Autrement dit, elle encadre le principe de reconnaissance mutuelle en se distançant de sa position restrictive adoptée dans des arrêts antérieurs – les arrêts Radu et Melloni. Dès lors, par l’arrêt de 2016, elle a développé une exception fondée sur les droits fondamentaux. Cependant, ladite exception est délimitée.


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