patrie perdue pays d’asile
l’ofpra 70 ans de protection des réfugiés
Préface d’Emmanuel Macron, président de la République Avant-propos de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer
Introduction de Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra
Sous la direction de Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra,
Aline Angoustures, cheffe de la mission histoire et exploitation des archives, Ofpra, Sophie Pegliasco, directrice de cabinet, Ofpra
Avec les contributions de Masomah Ali Zada, Magali Andry, Aline Angoustures, Johan Ankri, Pascal Baudouin, Leïla Benshila-Kesen, Corentin Blanchet, Françoise Blum, Adeline Braux, Coralie Capdeboscq, Emmanuelle Charrière, Adélaïde Choisnet, Mourad Derbak, Aurélia Devos, Patrice Djololian, Johanna Domine, Geneviève Dreyfus-Armand, Claire Feynie, Marie Gonzalez Perez, Catherine Gousseff, Charlotte Großmann, Annick Kayitezi-Jozan, Dzovinar Kévonian, Wlodek Kofman, Pascale Laborier, Philippe Leclerc, Vanessa Litmanowicz, Fabrice Mignot, Françoise Navailh, Rithy Panh, Aram Papazian, Denis Peschanski, Lætitia S., Louisa Saoudi, Frédéric Tiberghien, Emeric Van Laethem, Amélie Vermogen, Pedro Vianna, François-Xavier Vieillard
ofpra / éditions louBatières
L’Ofpra, histoire d’une administration originale en charge d’une mission essentielle
Créé par une loi du 25 juillet 1952 en tant qu’« établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière et administrative », l’Ofpra est depuis lors en charge (avec la Commission des recours des réfu giés, actuelle Cour nationale du droit d’asile) de la protection des réfugiés et apatrides, une mission essentielle à laquelle la France est très attachée, comme en témoigne la valeur constitutionnelle qu’elle reconnaît au droit d’asile, et dont elle a été l’un des acteurs majeurs dans le monde.
Depuis soixante-dix ans, l’histoire de cet établissement public est celle d’une administration profondément originale et d’une adaptation permanente aux crises et aux évolutions du monde.
« EN 1952, ON A DÉMÉNAGÉ… »
C’est par cette phrase qu’Alice Prudhomme, née Suzanne Adjémian 3, évoque sa nomination à l’Ofpra après quelques années de travail à l’Office des réfugiés arméniens. Ce rac courci a le mérite de souligner l’importance des héritages qui influencent durablement l’organisation et les caractéristiques de l’Ofpra.
En effet, en application de la loi et de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 4 , l’établissement doit tout d’abord poursuivre la protection des réfugiés et apatrides reconnus avant 1952. Au moment de sa mise en place, l’Ofpra a donc déjà 350 000 réfugiés sous sa pro tection : d’une part, les réfugiés-apatrides russes et arméniens reconnus par les arrangements de la Société des Nations (SDN) dans les années 1920 sur l’impulsion de Fridtjof Nansen qui,
3.Alice Prudhomme, née en 1927 à Bagneux, est fille de réfugiés arméniens de Turquie ayant fui leur pays après le génocide, par bateau affrété par la France. Après avoir débarqué et vécu quelque temps à Marseille, ils se sont installés à Bagneux. Elle a travaillé à l’Ofpra de 1952 à 1987. Entretien filmé Ofpra-BDIC-La contemporaine-Archives départementales du Val-de-Marne, 2 avril 2009, 1 AV 334. 4.Dans son article 1A1, la convention définit comme réfugiés ceux qui ont été reconnus comme tels au titre des arrangements et conventions signés entre 1926 et 1939 ou de la Constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR, 1946-1951).
Aline A ngoustures Pascal BaudouinFridtjof Nansen, explorateur et délégué norvégien à Genève pour une réunion de la Société des Nations, le 5 septembre 1924.
Enveloppes de correspondance adressées au 7, rue Copernic, dans le 16e arrondissement de Paris, siège de la délégation française de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR) puis de l’Ofpra, de son ouverture le 22 septembre 1952 à son transfert en février 1959 dans l’ancien hôtel Majestic, 23, rue La Pérouse, dans le même arrondissement.
le premier, a occupé le poste de Haut Commissaire aux réfugiés de la SDN de 1920 à 1930 et qui donnera son nom au statut, puis par la convention du 28 octobre 1933 relative au statut des réfugiés ; d’autre part, les réfugiés allemands, autrichiens et espagnols d’avant la Seconde Guerre mondiale qui ont été, pour les premiers, reconnus réfugiés après la ratification par la France de la convention de 1938 et, pour les Espagnols,intégrés dans la convention de 1933 sur décision du ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, en avril 1945 ; enfin, des personnes déplacées pendant la Seconde Guerre mondiale reconnues réfugiées soit pour avoir été victimes des régimes fascistes et nazis, soit pour craindre des persécutions de la part des régimes communistes imposés dans les pays d’Europe orientale, abandonnés à l’influence soviétique à la fin de la guerre ; ainsi que divers petits groupes de réfugiés ou apatrides.
Dans la protection de ces réfugiés déjà reconnus, l’Ofpra prend la suite de structures nationales, intergouvernementales et internationales – services du ministère des Affaires étrangères, délégations ou consulats transformés en offices de réfugiés sous la tutelle du Quai d’Orsay, ou encore délégations françaises de la SDN et du Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR) puis de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Du lendemain de la Grande Guerre à la sortie de la Seconde Guerre mondiale 5, ces institutions ont protégé des réfugiés au titre de différents textes internationaux et, dans le cas des services du ministère des Affaires étrangères, ont mis en œuvre un asile spécifique à la France dont le caractère constitutionnel a été consacré en 1946. L’établissement ouvre d’ailleurs ses portes le 22 septembre 1952 dans les anciens locaux de la délégation française de l’OIR, 7 rue Copernic, dans le 16 e arrondissement de Paris. Mais cet héritage institutionnel a une influence bien plus fondamentale sur l’organisation de l’Office, et ce, pendant plusieurs décennies, notamment la spécialisation par nationalité 6 , accompagnée de l’implication des réfugiés dans la protection de leurs compatriotes. L’établissement est donc structuré en sections nationales composées de réfugiés ou d’anciens réfugiés parlant la langue et connaissant la situation des pays d’origine des demandeurs. Ces acteurs sont souvent d’anciens diplomates qui ont déjà travaillé dans les instances ayant précédé l’Ofpra, notamment les offices nationaux de l’époque Nansen. La quasi-totalité des 74 personnes qui travaillent à l’Ofpra en 1952 sont donc étrangères et réfugiées ; c’est le seul organisme public, avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à comporter du personnel non français. Ces effectifs sont complétés par des Français
5. Le régime de Vichy et l’occupation de la France sont une période de suspension de l’application des accords Nansen et de l’activité des offices de réfugiés.
6. Le critère de la nationalité a été central pendant la période 1945-1952 pour les réfugiés des pays de l’Est, car de cette nationalité dépendait souvent la possibilité d’échapper à la demande de l’URSS de rapatriement de tous ses ressortissants.
ayant eu l’expérience de la protection des réfugiés au ministère des Affaires étrangères ou à l’OIR, ou exerçant les fonctions de direction. Le directeur est un diplomate, le secrétaire général est aussi un agent du Quai d’Orsay ; Suzanne Bidault, épouse du ministre des Affaires étrangères, occupera ce poste quelques années.
Du fait du grand nombre de réfugiés déjà reconnus, la mission centrale et première de l’Ofpra est à l’époque, avant l’examen des demandes d’asile, celle de la protection administrative de ces réfugiés. Cette protection est très originale en Europe, car l’Office hérite des fonctions consulaires ou quasi consulaires des institutions dont il prend la suite. Il établit ainsi non seulement un document attestant du statut et de l’identité du réfugié, mais aussi de nombreux certificats sur sa situation de famille, son état civil, ou encore les lois de son pays d’origine qui s’appliquent aux actes de sa vie civile. C’est ce qui a permis de considérer l’Ofpra comme un « consulat des réfugiés 7 ». Cette priorité explique également le nom donné aux agents du nouvel établissement : les « officiers de protection », une appellation héritée de l’OIR, organisme dans lequel les agents en charge des réfugiés et des personnes déplacées étaient assimilés à des militaires des armées alliées et se répartissaient en officiers de protection et officiers d’éligibilité.
L’autre mission de l’Office, l’instruction des nouvelles demandes d’asile présentées après 1952, constitue, elle aussi, un héritage. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale sont marqués par une série de textes et de mesures destinés à éviter une nouvelle guerre et à réparer, autant que faire se peut, les dommages humains et matériels du conflit. La convention de Genève ne fait pas exception. Elle est conçue pour être temporaire, tout comme le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). La définition des nouveaux réfugiés contenue dans l’article 1A2, inspirée des travaux de l’OIR à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est tournée vers le passé : ainsi, les craintes susceptibles de justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié ne peuvent résulter que d’événements survenus avant la signature de la convention 8. Cette limite temporelle traduit le caractère avant tout réparateur d’une convention destinée à protéger des victimes du choc des totalitarismes de la première moitié du xxe siècle
7. Voir en ce sens l’exposé des motifs du projet de loi déposé au Parlement en novembre 1950 : « Il importe de créer un organe qui aurait en quelque sorte les attributions d’un grand consulat général de France. »
8. L’article 1A2 de la convention stipule que le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne « qui, par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner […] ».
Première page du formulaire de demande d’asile de l’Ofpra des années 1950, inspiré du formulaire de demande d’assistance de l’OIR. Ce document de 4 pages permettait au demandeur d’exposer son parcours et les motifs de sa demande. Il compte aujourd’hui 12 pages. Lorsque le demandeur était reconnu réfugié il se voyait délivrer un certi cat de réfugié portant sa photographie qui lui permettait d’obtenir un titre de séjour et un titre de voyage remplaçant le passeport.
Ces certi cats ont été supprimés en 2004, remplacés par une mention sur la carte de résident.
Suzanne Adjémian, alias Alice Prudhomme, avec Irène Malinine, née de Miller, dans les bureaux de l’Ofpra rue La Pérouse (ancien hôtel Majestic) en 1963.
et des personnes menacées du fait de l’abandon de l’Europe de l’Est à l’influence soviétique. De plus, la France, en ratifiant la convention, l’a explicitement limitée aux réfugiés provenant d’Europe, comme le permet tait le texte. Ainsi, pendant les années 1950-1960, les demandes présentées à l’Ofpra sont principalement celles des Espagnols, des Polonais et autres personnes déplacées dans l’immédiat après-guerre, puis des ressortissants de pays de l’Est victimes de la répression à partir de la prise de pouvoir par les communistes dans ce qu’on appelait les démocraties populaires, que ce soit dans les années antérieures à la signature de la convention ou en 1956 en Hongrie, en 1968 en Pologne et en Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague. En effet, quoique postérieures à la signature de la convention, ces répressions sont considérées comme provoquées par des événements antérieurs. Aux côtés de ces groupes majeurs, l’Ofpra protège aussi de petits groupes de réfugiés dits du Haut Commissaire, qui répondent à la définition donnée par la convention de Genève mais sans les limites temporelles ou géographiques de celle-ci : c’est à ce titre que seront protégés, par exemple, des réfugiés grecs fuyant le régime des colonels en 1967. Enfin, la loi de 1952 confie à l’Ofpra la protection des apatrides, et ce, huit ans avant la ratification par la France, en 1960, de la convention de New York relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954
Malgré les éléments de continuité rappelés précédemment, la mission d’instruction des demandes d’asile n’en comporte pas moins une nouveauté fondamentale vis-à-vis de la période précédant la création de l’Ofpra : l’éligi bilité individuelle. Ceci signifie qu’il ne suffit pas d’appartenir à un groupe pour être reconnu réfugié, mais qu’il faut faire état de craintes personnelles de persécution. Sur ce point, l’Ofpra hérite cependant d’une expertise, celle de l’OIR qui avait adopté ce principe et avait adapté en conséquence ses
procédures et ses méthodes. Le formulaire normé de quatre pages mis en place par l’Office à ses débuts s’inspire ainsi de celui de l’OIR. Le principe de l’entretien ou des demandes de précisions par correspondance pour que le demandeur établisse ses craintes, soit par des preuves documentaires, soit par un récit cohérent avec les sources d’information dont dispose l’or ganisation, est également un héritage de l’OIR, matérialisé par un manuel d’éligibilité complété par les orientations nouvelles du jurisconsulte de l’Ofpra, Henry Monneray 9, sur l’interprétation de la convention et de la loi du 25 juillet 1952.
Pendant vingt ans, l’Ofpra conduit ses deux missions dans le cadre de sections nationales, complétées par une section dite du Haut Commissaire et une section des apatrides qui effectuent tout le travail concernant les réfugiés : l’accueil, l’éligibilité et la protection. Dans ces sections, on parle et on correspond dans la langue des réfugiés et demandeurs d’asile. Les officiers de protection sont secondés par des secrétaires spécialistes. Tous ces agents sont des contractuels.
« L’OFPRA EST UN PHARE QUI VOIT LA TEMPÊTE AVANT QU’ELLE N’ATTEIGNE LES CÔTES »
Par cette phrase, Gilles Rosset 10, qui a exercé à l’Ofpra entre 1955 et 1991, voulait mettre en relief la difficulté du travail de l’Office dans le courant des années 1970, difficulté qui conduira à une crise de près de vingt ans dans l’établissement.
Plusieurs facteurs se cumulent en effet à cette époque pour provoquer une augmentation et une transformation des demandes présentées à l’Ofpra.
Les décolonisations ont permis la création de nouveaux États souverains qui militent pour la levée des restrictions géographiques et temporelles de la convention de Genève : c’est chose faite avec l’adoption, en 1967, du protocole dit de New York ou de Bellagio, auquel la France adhère en 1971. On peut alors parler d’une mondialisation et d’une synchronisation du système de l’asile avec l’actualité. Dans le même temps, au tournant des années 1970, le monde entre dans une phase de renversement des migrations avec le développement des migrations régionales et internationales des personnes originaires des pays en voie de développement. Mais, dans les pays d’ac cueil, cette période est aussi celle de la crise pétrolière, déclenchée en 1973, qui conduit à l’adoption dans toute l’Europe de mesures de restriction de l’immigration. Ainsi, en France, le 3 juillet 1974, le Conseil des ministres annonce une suspension officielle de l’immigration de travail ; au départ
9. Né Heinrich Meierhof à Erfurt (Thuringe) dans une famille juive, il a participé à la Résistance avant de rejoindre la France libre à Alger. Il a ensuite travaillé pour la délégation française de la Commission des crimes de guerre des Nations unies puis pour le Service de recherche des crimes de guerre ennemis, rattaché au parquet général de France près le Tribunal international de Nuremberg, avant de travailler pour l’Ofpra.
10. Gilles Rosset (1927-2014), frère du philosophe Clément Rosset, romancier, a été chef de la section espagnole à partir de 1954, chef de la division Afrique de 1979 à 1982 et secrétaire général jusqu’en 1991.
Michel Fedorovski, réfugié russe et chef des archives de l’Ofpra, dans les magasins du siège de Neuilly-sur-Seine.
TABLE DES MATIÈRES
d’une administration
mission essentielle
Carte des pays de provenance des réfugiés
apatrides protégés par l’Ofpra depuis
i
L’HÉRITAGE DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES : LES RÉFUGIÉS APATRIDES
La protection des premiers réfugiés apatrides russes 34
Les réfugiés russes dans le cinéma de l’entre-deux-guerres en France
Le bateau des philosophes
Du génocide à la Grande Diaspora : la protection en France des exilés apatrides arméniens
Charles Aznavour, chanteur compositeur français et fils de réfugiés arméniens 59
La Mer noire, témoignage littéraire sur les réfugiés géorgiens 60
En provenance de Smyrne…
62
Exilés d’hier, officiers de protection d’aujourd’hui 65 partie ii LES RÉFUGIÉS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, UNE RÉPARATION ?
En première ligne : les réfugiés dans la Résistance
Le photographe Krikor Djololian et le studio Arax de Paris 78
Les personnes déplacées de l’après-guerre, premiers protégés de l’Ofpra
la sortie de la guerre : Willy Maywald, le “New Look” et l’élégance de la Parisienne
79
d’hier,
archives
LES NOUVEAUX RÉFUGIÉS ET APATRIDES : CRISES EN EUROPE DE L’EST (ANNÉES 1950-1960)
protection des apatrides
image de l’arrivée des réfugiés hongrois
l’apatride qui inventa les “Parisiennes”
timbre de l’Année mondiale du réfugié en 1960
Rudolf Noureev, la course vers la liberté
Témoignage de Rithy Panh 136
Premiers réfugiés de Guinée
114
des réfugiés protégés en France en 1963 … 116
Ara Jean Papazian dit Jean Pape (1920-2002) l’un des plus talentueux dessinateurs de Zorro
Pliouchtch, des droits de l’Homme à l’Ukraine, un dissident de tous les combats
LES RÉFUGIÉS DU MONDE, CRISES ET ENGAGEMENTS (DES ANNÉES 1970 AUX ANNÉES 1990)
Ricardo Ehrlich : une vie dédiée à la recherche scientifique et à la défense d’idéaux politiques
Raoul Ruiz, le cinéma et l’exil chilien
L’Ofpra et la réinstallation en France de réfugiés d’Asie du Sud-Est
137
Documentation-Réfugiés : une expérience en matière d’information sur les pays d’origine 141
La protection des Sri Lankais par l’Ofpra 144
Les réfugiés des guerres en ex-Yougoslavie, un tournant 149
Identifier, réunir, évacuer, première mission d’évacuation de réfugiés kosovars en 1999
150
Le rôle de l’Ofpra dans les procès pour crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre 152
Témoignage – « À l’Ofpra reposent ma mère et mon petit frère que l’on a privés de sépulture » 154
v
NOUVELLES CONFLICTUALITÉS, NOUVEAUX ENJEUX (DES ANNÉES 2000 À NOS JOURS)
L’accueil des femmes yézidies en 2014 158
La Syrie, de l’accueil à l’exil, témoignage d’un acteur de terrain ……………………… 160 Quand le genre et les violences dans la sphère intime deviennent des motifs de protection .... 168
La protection des réfugiés afghans 173 Témoignage – Masomah Ali Zada, réfugiée afghane et cycliste de haut niveau 178
La protection des réfugiés soudanais par l’Ofpra .. 180
Les clauses d’exclusion et de menace grave, gardiennes de l’intégrité des valeurs et des principes du droit d’asile 186
L’expertise de l’instruction 192 Un réfugié dans les étoiles, Wlodek Kofman 194
La vie de Ferenc Szegedi, enquête généalogique 196 L’Ofpra, consulat des réfugiés 199 Carte des réfugiés protégés en France en 2021 ...... 200
Du droit à l’histoire de l’asile, le regard d’un témoin engagé ……………………… 201 Présentation des auteurs 205 Crédit photo 206
PAYS DE PROVENANCE DES RÉFUGIÉS ET
Océan Paci que personnes protégées depuis 1952 par pays d’origine :
Océan Paci que
Océan Atlantique
de personnes protégées depuis 1952 par pays d’origine
spéci ques
Délimitations
pays
Tchécoslovaquie des
Cette carte établie sur la base des données statistiques disponibles à l’Ofpra est une représentation
non exhaustive des personnes protégées par l’établissement depuis l’origine,
compris celles dont il a repris la protection lors de sa création. Les données anciennes
comptabilisation des mineurs accompagnants n’étant
de
million de personnes représentées ici est sous-évalué.
APATRIDES PROTÉGÉS PAR L’OFPRA DEPUIS
Il a été nécessaire de réduire le nombre de seuils de couleur à 10 a n qu’elles restent bien différenciables. Pour le ux historique de la Yougoslavie, pays aujourd’hui disparu, on a choisi de démarquer l’ancien territoire d’origine des réfugiés par des hachures ; les anciennes frontières sont représentées en pointillés. Les apatrides ont été inclus dans les chiffres relatifs à leur pays de résidence habituelle.
La protection des premiers réfugiés apatrides russes
Catherine GousseffL’Europe sort de la Grande Guerre quand les territoires de l’ancien Empire russe se trouvent embrasés dans les conflits sanglants de la guerre civile, déclenchée à la suite de la révolution bolchevique d’octobre 1917. Peu nombreux sont alors les Russes qui quittent le pays, mais, fin 1920, lorsque les armées blanches amorcent leur retraite vers le Bosphore, ce sont environ un million de fugitifs (deux millions selon les estimations de l’époque) qui se trouvent massés dans les pourtours occidentaux de l’Empire défunt.
À l’aube de la nouvelle décennie, les Russes ne sont pas les seuls réfugiés à solliciter accueil et assistance. Ils se mêlent, pour une part, aux Arméniens rescapés du génocide, et d’autres voix se font entendre en provenance, notamment, de minorités auxquelles les nouveaux États-nation d’Europe centrale dénient le statut de citoyen. Mais l’apparition relativement soudaine d’un nombre impressionnant de réfugiés fuyant la victoire du bolchevisme, dont la nouvelle Europe redoute plus que tout la contamination, détermine la mobilisation de la nouvelle Société des Nations (SDN) en leur faveur. Afin de sensibiliser les États et harmoniser l’action intergouvernementale, la SDN crée en son sein, dès 1921, le premier Haut Commissariat aux réfugiés russes. La direction en est confiée à Fridtjof Nansen, célèbre
Laissez-passer en français et russe délivré par la mission diplomatique russe à Constantinople en 1923 pour Victor Podernia, âgé de 25 ans, qui avait quitté la Russie en 1920 avec l’armée Wrangel.
Passeport russe d’Ada Poliakoff, artiste lyrique. On remarque les armoiries des Romanoff : l’aigle bicéphale avec trois couronnes, l’orbe et le sceptre.
explorateur polaire norvégien et diplomate, qui s’est imposé à la SDN en supervisant l’organisation des rapatriements de prisonniers de guerre.
La première urgence à laquelle est confronté le tout nouveau Haut Commissariat aux réfugiés russes est de contribuer à l’évacuation des milliers de réfugiés précairement regroupés autour de Constantinople par les états-majors alliés (français et britannique) qui, sous la pression des Turcs, sont eux-mêmes sur le point de quitter les lieux. L’impérieuse nécessité de cette évacuation met au jour le problème des « sans-papiers » : dans l’Europe des États-nation, le contrôle des entrées aux frontières impose la possession d’un passeport pour la délivrance de visas, dont la généralisation devient la norme. Or, beaucoup de réfugiés n’ont aucun papier d’identité et les anciens passeports impériaux sont jugés invalides dans bien des administrations nationales. C’est dans ce contexte d’urgence qu’est conçu le premier certificat d’identité de réfugié qui désigne le détenteur comme « personne d’origine russe n’ayant pas acquis d’autre nationalité ». L’efficacité dont fait preuve le Haut Commissariat, à travers la création de ce document, résulte de la synergie qu’il a impulsée dans l’action intergouvernementale et de l’engagement fort de certains États, à commencer par la France et la Tchécoslovaquie.
Vers le milieu des années 1920, la France devient le premier pays européen d’accueil des exilés, comptant au pic de leur présence près de 100 000 Russes (recensement de 1931). Paris s’affirme comme la capitale de la nouvelle diaspora en concentrant les élites, très diverses, de l’émigration anti-bolchevique, où dominent moins les anciens hauts fonctionnaires de l’État tsariste que les libéraux issus du gouvernement provisoire de février 1917 et nombre d’intellectuels qui, par leur activité, jouaient un rôle décisif dans l’animation de la vie communautaire. Celle-ci bénéficie d’une abondante presse russophone, d’institutions scolaires, de formations ad hoc, s’organise en une myriade d’associations culturelles, professionnelles, éducatives, qui recomposent un univers social varié et créent des ponts entre les différents mondes de l’émigration. Des figures légendaires de l’exil, comme le prince Youssoupoff, l’assassin de Raspoutine, qui représentent aux yeux des Français le renversement social radical de la Révolution russe, sont loin d’être majoritaires. Les chauffeurs de taxi russes, qui sont déjà près de 2 000 en 1926, sont surtout des vétérans de la guerre civile et non des nobles déchus comme les décrivent certains de leurs hôtes éphémères, le temps d’une course. Ces chauffeurs incarnent l’indépendance conquise face aux milliers de compatriotes embauchés dans les usines Renault et Citroën. La région parisienne concentre les deux tiers des réfugiés, mais les Russes sont présents dans pratiquement tous les
Ci-dessus : Copie de pages intérieures de la carte d’identité d’étranger d’un chimiste russe, employé à la Société houillère de Sarre et Moselle.
En haut de page : Un exemple d’un certificat d’identité, dit « passeport Nansen », délivré à Belgrade en 1924.
On remarque qu’il est bilingue : langue du pays émetteur/ français ainsi que prévu dans les arrangements Nansen.
Quelques en-têtes de lettres montrant la diversité du monde associatif russe en France.
Zerbason est une agence théâtrale et de concerts liée aux Ballets russes.
départements, où ils se regroupent surtout dans l’industrie, formant de nombreuses petites colonies autour d’une paroisse, d’une maison de la culture, aux quatre coins du pays. Jusqu’en 1924, l’ancienne ambassade russe reste en place, assurant le service consulaire et facilitant ainsi la situation administrative des réfugiés. Après la reconnaissance de jure de l’URSS par la France, est créé l’Office central des réfugiés russes (OCRR) qui, sous cette appellation, réaffecte le personnel diplomatique avec, à sa tête, l’ancien ambassadeur, Vassili Maklakov, envoyé à Paris par le gouvernement provisoire de février 1917. L’office entend pérenniser son rôle de médiation dans le face-à-face entre les réfugiés et l’État français, en certifiant différents documents et s’affirmant, malgré son simple statut d’association, comme porte-parole des Russes en France.
Le couple Youssoupoff, Félix Felixovitch et Irina Alexandrovna de Russie, ouvre notamment une école russe des arts décoratifs à Paris en 1926.
Tampon de l’Union générale des chauffeurs russes, et copie de carte d’identité d’étranger d’un réfugié chauffeur de taxi.
Certificat d’emploi de Boris Kremer, ancien combattant des Armées blanches, aux usines Citroën, quai de Javel à Paris.
La normalisation des relations avec l’URSS sur la scène européenne confirme l’exil durable de tous ceux qui ont fui le « pays des Soviets », lequel les a déchus de leur citoyenneté depuis 1921. Le Haut Commissariat prend acte de cette évolution internationale et de ses conséquences sur la situation des « sans-patrie », pour lesquels s’impose la nécessité de garantir une protection que l’État d’origine leur dénie. La création d’un certificat d’identité avait constitué un premier pas dans cette réflexion et le bénéfice de ce document est étendu en 1924 aux Arméniens. À partir du milieu de la décennie, Fridtjof Nansen engage de nouvelles concertations inter-étatiques pour envisager l’élaboration du statut juridique des apatrides.
Si les États s’accordent sur le principe, c’est à une commission consultative qu’est confiée la mission de préparer, sous forme de propositions, les termes de ce statut. Or, cette commission est constituée de juristes russes et arméniens exilés, directement concernés par les enjeux d’une telle mission qui les place en partenaires de l’action internationale et acteurs
En-têtes du « Club russe de Toulouse » et de la chorale de l’Église évangélique Russe à Paris.
de l’histoire de l’asile. En cela s’exprime l’état d’esprit d’une époque où les réfugiés, par la voix de leurs représentants, se trouvent étroitement associés au dispositif de leur prise en charge. L’entrée de l’apatridie dans le droit international, sanctionnée par la convention de Genève de 1933 sur les réfugiés apatrides, est largement redevable aux travaux de cette commission et aux échanges qu’elle a engagés avec les services juridiques de la SDN. Outre la formulation des droits qu’une protection internationale doit garantir à l’apatride, elle s’est attelée à définir les modalités concrètes d’organisation et d’attribution d’une telle protection, posant ainsi les bases de l’asile institutionnel. Le certificat d’identité de réfugié de 1922 fait l’objet de nouvelles dispositions qui l’apparentent, quoique de façon toujours incomplète, à l’autorité d’un passeport. Les offices de réfugiés bénéficient quant à eux d’une reconnaissance accrue, notamment à travers leur rôle institutionnalisé dans la certification des documents.
Certificat tenant lieu d’acte de naissance établi par l’Office des réfugiés russes. Noter l’en-tête du consulat russe barrée et remplacée par le nom de l’office. Note manuscrite portant le tampon de l’Office central des réfugiés russes.
La convention de 1933 marque l’aboutissement d’une décennie de concertations pour donner au réfugié une existence juridique. Cette avancée, certes fondamentale dans le droit international, doit cependant être tempérée. Le statut de réfugié n’est envisagé que par défaut de protection étatique, sans reconnaître explicitement une persécution politique, et les nationalités des bénéficiaires retenues dans le texte, qui sont les Russes, les Arméniens, les Assyriens, les Assyro-Chaldéens et les Turcs, excluent d’autres cas potentiels ou réels. Or, dès 1933, de nombreux Juifs fuient l’Allemagne de Hitler et se présentent comme de nouveaux réfugiés. Après les immenses bouleversements de la Seconde Guerre mondiale, les Russes font figure de réfugiés d’un autre temps. Leur office est intégré à la nouvelle administration de l’Ofpra où Vassili Maklakov est nommé pour superviser ceux, de moins en moins nombreux, que l’on désigne désormais comme « les Nansen ».
Certificat de réfugié de Jacques Rubinstein, ancien avocat, impliqué dans l’élaboration du droit des réfugiés au sein de la Société des Nations, conseiller juridique de l’Office russe et de la délégation de l’OIR en France.
Basile (Vassili) Maklakoff (1869-1957). Avocat, membre du Parti constitutionnel démocratique, député de Moscou à la Douma (1907-1917), désigné en 1917 comme ambassadeur en France par le gouvernement provisoire. Réfugié russe, directeur de l’Office central des réfugiés russes, il sera officier de protection de la section russe de l’Ofpra de 1952 jusqu’à son décès.
Ci-dessus : La famille d’Alexis Ilitch Korovkevitch (debout à gauche), ancien trésorier du régiment d’infanterie Alexeiev, évacué de Kerch en Crimée vers la péninsule de Gallipoli en Turquie.
À droite : Photographie de famille trouvée par sa descendante dans les papiers du réfugié Boris Kremer.
En première ligne : les réfugiés dans la Résistance
Denis Peschanski1952 : la date de la création de l’Ofpra laisserait à penser que la référence aux étrangers dans la Résistance serait hors sujet. Pourtant elle s’impose à plus d’un titre. On imagine bien que la création de l’institution, quelques années après la victoire des Alliés, est profondément ancrée dans cette histoire proche. On ajoutera aussi qu’on ne peut évoquer cette nouvelle institution sans évoquer sa préhistoire, marquée par la Première Guerre mondiale et la mise en place des passeports Nansen.
Quelle fut la part des réfugiés dans la Résistance ? Disons d’emblée que l’engagement des réfugiés fut massif, rapporté à la place qu’ils occupaient alors en France. Quand ils étaient encore là pour témoigner, la réponse coulait de source : comment pouvaient-ils choisir une autre voie que celle de la Résistance ? Ils avaient dû fuir des régimes qui les persécutaient et les réprimaient. Qu’ils partagent en outre le sort de réfugiés les conduisait logiquement – diraient-ils – à empêcher la réalisation des objectifs de l’Oc cupant, pour reprendre la définition d’un acte résistant que je propose. Pour autant, chacun venait avec une identité plurielle. On se bat pour la Recon quista ou la défaite du nazisme ? Pour la libération de la Pologne ou celle de la France ? Pour la seule défaite de l’Occupant ou pour l’instauration d’un régime en rupture avec celui d’avant la guerre ? Pour la France des droits de l’homme ou pour l’Union soviétique, pays du socialisme réel ? L’intérêt d’aborder le rôle des étrangers, des réfugiés dans la Résistance, c’est qu’on mesure combien le « ou » a pu se muer en « et » dans le combat même.
ENTRE ACCUEIL ET REJET
Pour les réfugiés les difficultés commencent bien avant la défaite. On sait que la question des réfugiés en France s’est posée au sortir de la Première Guerre mondiale dans le contexte de la révolution russe et du génocide arménien 35. Avec le passeport Nansen, le spectre s’élargit et, surtout, va s’élargir plus encore à l’approche de la Seconde Guerre mondiale en pre nant aussi en compte des réfugiés qui ne sont pas bénéficiaires du statut. Toujours est-il qu’au recensement de 1936, trois populations représentaient la très grande majorité des étrangers en France, les Italiens (700 000, et
35. Voir dans le présent ouvrage les articles de Catherine Gousseff (p. 34 à 39) et Dzovinar Kévonian (p. 50 à 58).
sans doute 1 million en comptant les clandestins), les Polonais (430 000) et les Espagnols (250 000). La plupart relevaient de l’immigration écono mique consécutive à la saignée de 1914-1918 qui imposa un appel massif à la main-d’œuvre étrangère. Mais il y eut aussi des réfugiés qui fuirent le régime fasciste italien et le régime autoritaire polonais, avant que l’accession au pouvoir de Hitler en 1933, puis l’occupation de la Sarre et l’annexion de l’Autriche, ne poussent des milliers d’Allemands et d’Autrichiens, ainsi que des Tchécoslovaques, à se réfugier en France. Le phénomène changea encore d’ampleur avec la défaite de la République espagnole, provoquant l’exode de quelque 500 000 Espagnols et volontaires des Brigades internationales en février 1939. Compte tenu des très nombreux rapatriements qui suivirent et des réémigrations, on peut estimer à environ 120 000 le nombre d’Espagnols de cette vague de réfugiés encore présents en France en mai 1940.
La situation se compliqua singulièrement à la fin des années 1930, avant même la défaite de mai-juin 1940. Il ne s’agit en rien d’assimiler la Troisième république finissante au régime de Vichy, mais des habitudes furent prises aussi bien dans l’administration que dans la société. Avec le regretté Pierre Laborie, le grand his torien de l’opinion française dans la période, on a pu mieux ana lyser les mécanismes alors à l’œuvre. On parlera donc d’une crise d’identité nationale et sociale. S’imposa ainsi un repli sur soi, un rejet de l’autre, une perte des repères hérités de la Révolution française, un socle de valeurs partagées qui s’effritait alors même qu’on devait commémorer le 150e anniversaire de la prise de la Bastille ! L’anticommunisme, le pacifisme, la xénophobie et l’antisémitisme travaillaient la société au point de structurer les nouvelles repré sentations collectives. Entretenant ce phénomène et en étant le fruit, le gouvernement du Front populaire changeait largement de politique et de leader au printemps 1938, Édouard Daladier devenant président du Conseil avant de s’allier rapidement avec la droite de Paul Reynaud. Or, les premières mesures prises par le gouvernement visèrent à limiter grandement les libertés des étrangers en général et des réfugiés en particulier. Au point qu’une loi promulguée le 12 novembre 1938 permit l’internement des « indésirables étrangers », non pour le délit ou le crime qu’ils auraient commis, mais pour le danger potentiel qu’ils représenteraient pour l’État et la société. Le premier camp, ouvert en janvier 1939 à Rieucros en Lozère, visa ces indésirables, essentiellement des Allemands. Mais, bien sûr, c’est avec la Retirada des Espagnols et brigadistes que l’internement administratif connut un développement massif.
Dans tous les cas, qu’ils fussent internés ou pas, on peut imaginer l’état d’esprit de réfugiés qui espéraient tant en leur autre patrie, la France de la Révolution française, celle des droits de l’homme.
La déclaration de guerre en septembre 1939 ne changea pas vraiment la donne. Ainsi, parce que ressortissants de puissances ennemies, quelque 20 000 Allemands et Autrichiens se retrouvèrent bientôt internés au nom d’une guerre qu’on menait… contre celui qui les avait condamnés à la fuite parce qu’ils étaient juifs ou opposants politiques ou les deux. Cette
Républicains espagnols au camp d’Argelès en 1939. Au centre Antonio Gil Rodellar avec ses cousins Ramon (à gauche) et José (à droite) Rodellar Castelltort.
situation ubuesque ne peut s’expliquer que par le refus d’une partie du gouvernement et de l’état-major de considérer la singularité idéologique de la guerre. La mesure d’internement administratif ne concerna à l’automne que les hommes, mais, en mai 1940, elle fut réactivée et élargie aux femmes.
Dans ce contexte, les structures dans lesquelles se retrouvaient les réfugiés étaient affaiblies. Nombre d’organisations avaient été interdites, ainsi que toute la presse communiste suite au double pacte germano-soviétique. On pense par exemple à l’Union populaire franco-arménienne que dirigeait alors Missak Manouchian. Le comité, lié au Parti communiste français (PCF), fut dissous et Manouchian lui-même fut arrêté le 2 septembre 1939, donc bien avant l’interdiction du parti. Il sortit de prison en octobre pour être affecté dans une unité stationnée en Bretagne. Il s’était engagé volontaire, comme nombre de réfugiés. Mais, comme nombre d’entre eux, il se trouvait confronté aux fortes réticences du commandement militaire.
Les archives de l’Ofpra conservent le cas de Wladyslaw Zymuntowicz qui fut mobilisé dans l’armée polonaise puis dans le 1er régiment d’infanterie polonaise en France. Le cas de Jacob Smalec est singulier car, caporal de l’armée polonaise en France, engagé volontaire, il y fit tout son service, n’étant démobilisé qu’en 1945. On pense aussi à Josef Fisera qui, lui, s’engagea volontaire dans la division tchécoslovaque de l’armée française. On le retrouvera, comme d’autres déjà cités, dans la Résistance.
LES AUTORITÉS
La défaite de mai-juin 1940 déboucha sur un découpage en zones aux statuts très différents et principalement, jusqu’en novembre 1942, en deux zones principales, la zone d’occupation allemande relevant du commandement militaire de Paris et la zone non occupée dirigée depuis Vichy. Ajoutons cependant que le Nord et le Pas-de-Calais étaient rattachés au commandement militaire de Bruxelles et que l’Alsace et la Moselle étaient rattachées au Reich. Autant de zones différentes où, cependant, il n’était pas bon d’être un étranger réfugié.
Les réfugiés étaient en effet particulièrement exposés aux politiques de répression et de persécution développées par l’État français et par les forces d’occupation allemandes.
Mélinée Assadourian, épouse de Missak Manouchian, a survécu à la guerre et fait partie des Arméniens de France retournés en Arménie soviétique après la Seconde guerre mondiale. Elle revient en France dans les années 1970, déçue par les pressions soviétiques, et invoque dans son récit ses services rendus comme résistante pendant la guerre. L’Ofpra lui accordera le statut de réfugié en 1977, date de la photographie issue de sa carte de réfugiée.
La logique d’exclusion est au cœur du régime de Vichy et l’étranger est l’une des figures de « l’anti-France » pour reprendre les propres termes de Pétain en août 1940. Le principe en est simple : pour ces nouveaux gouvernants, la défaite trouve sa source non dans des erreurs militaires, et pour cause, mais dans un délitement qui mine la société française de l’intérieur et ce depuis la Révolution française,
un délitement qui est le fruit d’un complot desdites forces de l’anti-France.
Il ne sert donc à rien de lutter contre l’Occupant puisque l’origine de la défaite n’est pas à chercher dans l’Allemagne nazie. Il faut régénérer la société française de l’intérieur, en rassemblant les éléments dits « purs » autour des valeurs traditionnelles – travail, famille, patrie, piété, ordre – et du culte du chef dans une structure résolument pyramidale, et exclure les éléments dits « impurs » jugés responsables de la défaite, le juif, le communiste, l’étranger et le franc-maçon. Telles sont les bases de la Révolution nationale ; telles sont les bases de la politique d’exclusion qui va donc, dès la prise de pouvoir, viser ces cibles. Le choix de la collaboration sera l’autre pilier du nouveau régime.
Revenons à la logique d’exclusion et singulièrement aux étrangers. Ceux-ci sont visés d’emblée, dès le 17 juillet 1940, par une loi chassant les étrangers de la fonction publique, et le 22 juillet, par l’institution d’une commission de dénaturalisation mise en place pour revenir sur les naturalisations opérées dans la suite de la loi très libérale de 1927. C’est essentiel, car cela recréait en quelque sorte des réfugiés, fragilisait les naturalisés et en faisait des cibles. On sait aussi – car les deux vont souvent de pair – que la loi du 4 octobre 1940 permettait l’internement administratif des Juifs étrangers pour la seule raison qu’ils étaient à la fois juifs et étrangers. Les camps d’internement étaient clairement un instrument majeur au service de la logique d’exclusion, définitoire du régime de Vichy.
S’ajoute une loi qu’on connaît moins, celle qui met en place des groupements de travailleurs étrangers (GTE), le 27 juin 1940. On peut se dire que cela prend la suite des Compagnies de travailleurs étrangers, les CTE, mais celles-ci, créés au printemps 1939, avaient alors pour fonction de faire contribuer les réfugiés à la défense nationale. Les GTE, quant à eux, avaient aussi une autre fonction : ils pouvaient être imposés aux « étrangers en surnombre dans l’économie nationale ». La double tutelle ministérielle signe aussi la volonté de contrôle puisqu’ils relevaient aussi du ministère de l’Intérieur.
On croise aussi les objectifs stratégiques de l’Occupant. Dans cette première phase, et cela dura jusqu’au bout, il avait deux obsessions : assurer la sécurité des troupes d’occupation et exploiter au mieux les richesses du pays le plus riche des pays occupés. La sécurité des troupes ? Cela convergeait souvent avec les objectifs de Vichy dont on sait que l’État français faisait de la collaboration des polices un impératif, quitte à réaliser les objectifs de l’Occupant. Ce fut le cas par exemple dans la traque des guérilleros espagnols. Mais, pour reprendre cet exemple, les objectifs pouvaient être contradictoires. Ainsi, manquant de main-d’œuvre pour les fameux chantiers de l’organisation Todt, sur l’Atlantique, les Allemands négocièrent, dès
Photographie issue du certificat de réfugié de Joseph Fisera, reconnu réfugié par l’OIR après avoir donné sa démission du consulat de Tchécoslovaquie à Paris, dont il était fonctionnaire, pour marquer son opposition au coup d’État de 1948.
1941 et 1942, la remise de dizaines de milliers d’Espagnols qui formaient pour l’essentiel les GTE. Tel fut le cas de Ramon Garrido Vidal 36 , dont l’itinéraire illustrera nos propos à plusieurs titres. Républicain espagnol convaincu, il fut mobilisé en septembre 1936 et stationné au Maroc tenu par les franquistes. Il déserta pour rejoindre l’armée républicaine et fut de nombre de combats. En février 1939, il passa la frontière et fut interné à Argelès puis au Barcarès, puis fut intégré en janvier 1940 dans une CTE. Après la défaite française, il fut rapidement réinterné au camp d’Argelès avant d’être transféré dans un GTE en janvier 1941 et, en juillet, il fut livré aux Allemands avec nombre de ses camarades du 211e GTE pour être dirigés vers la base de sous-marins de Brest (organisation Todt). C’est à la demande de la direction du Parti communiste espagnol (PCE) qu’il s’évada en janvier 1942 et entra dans la Résistance, où il joua un rôle crucial en Bretagne.
La suite de son itinéraire illustre le corollaire de ces actions : la répression. La police française fut particulièrement active, en zone non occupée mais aussi en zone occupée avant novembre 1942. C’est bien au Service de police anticommuniste (SPAC) que Garrido échappa en Bretagne à l’été 1942. En revanche, il fut arrêté à l’issue de plusieurs fila tures organisées à Paris par la 3e section des Ren seignements généraux (RG) entre l’été 1942 et le printemps 1943. Un indicateur joua un rôle crucial dans ces chutes successives qui décimèrent la direc tion du PCE. Il fut arrêté lors d’un rendez-vous avec un responsable national. Il ne pouvait savoir que tomber sur la 3e section des RG, travaillée par la Résistance, pouvait lui épargner le pire. De fait, tous les Espagnols arrêtés à Paris à cette occasion furent jugés devant la section spéciale près le tribunal de Paris. Condamné à deux ans de prison pour « activités communistes », il fut transféré à Eysses. Là, il participa à une révolte en 1944, mais elle échoua et Garrido fut déporté le 18 juin 1944 vers Dachau et ses Kommandos. Il revint de déportation.
Cet exemple illustre d’abord son engagement, mais aussi le rôle de la police française dans la répression de la Résistance même si, bien entendu, on n’oubliera pas le rôle des Allemands. Simplement, connaissant le terrain, la police française était la plus efficace. À Paris, un rôle essentiel fut tenu par les brigades spéciales des RG. C’est à elles qu’on doit les trois filatures, les arrestations et les interrogatoires des militants de la Main-d’œuvre immi grée (MOI) et, finalement, des FTP-MOI de la région parisienne. Son chef militaire, l’Arménien Missak Manouchian, est le plus connu. Il en fut le responsable militaire entre fin juillet et novembre 1943. La troisième filature aboutit à l’arrestation de la plupart des membres du groupe et lui-même fut arrêté en compagnie de son supérieur, Georges Epstein, qui dirigeait les Francs-tireurs et Partisans français (FTPF) de la région parisienne. S’ensuivit la neutralisation, des mois durant, de la lutte armée en région pari
36. Les républicains espagnols ont été reconnus réfugiés à partir de 1945 en raison de leurs craintes à l’égard du régime franquiste.
sienne. Si la police française, bien meilleure connaisseuse du terrain, se montra particulièrement efficace, c’est bien devant un tribunal allemand que les combattants FTP-MOI furent jugés et condamnés à mort, tandis que l’Affiche rouge était placardée dans tout Paris. Et ce sont des militaires allemands qui exécutèrent les 22 hommes au Mont Valérien, la femme, Olga Bancic, étant envoyée en Allemagne pour être guillotinée.
LES ACTIONS
On connaît moins le rôle joué par la résistance polonaise non communiste en France. Elle nous concerne tout spécialement, car on retrouve des dirigeants du principal mouvement, l’Organisation polonaise de lutte pour l’indépendance (en polonais : Polska Organizacja Walki o Niepodległoś ć, POWN), comme réfugiés enregistrés à l’Ofpra après la guerre, dont ses deux dirigeants Aleksander Kawalkowski et Antoni Zdrojewski. On l’a vu, les Polonais présents en France étaient mobilisés dans des unités spécifiques. Il y eut ceux qui purent isolément rejoindre Londres via l’Espagne et ceux qui organisèrent la résistance polonaise non communiste, en général anti-communiste, sur le territoire métropolitain. C’est à l’initiative d’Aleksander Kawalkowski 37, ancien consul général de Pologne à Lille, que fut créé le POWN dès 1941. Quant à Antoni Zdrojewski, c’était un militaire envoyé de Londres par le gouvernement polonais en exil. Le sigle est important car cela donne en français : « Organisation polonaise de lutte pour l’indépendance » … de la Pologne. Un tract de 1942 explicita même : « Tout pour la Pologne ! Rien que pour la Pologne ! ». Il fallut attendre le printemps 1944 pour que ce mouvement, très implanté parmi les mineurs polonais du Nord et du Pasde-Calais, intègre les Forces françaises de l’intérieur (FFI), tout en gardant, au demeurant, son autonomie. On ajoutera le réseau de renseignements F2, issu de la même mouvance, qui eut un rôle majeur, en particulier au moment du débarquement allié en Normandie. Le renseignement était un enjeu majeur pour tous les Alliés. On sait les liens de plusieurs réseaux avec l’Intelligence Service. On sait aussi le rôle de l’Orchestre rouge de Trepper et de quelques autres réseaux soviétiques comme celui dirigé par le français Robert Beck, mais où se trouvaient nombre d’étrangers.
Arrêtons-nous sur une personnalité qui mériterait plus d’un roman et dont on trouve la trace dans les archives de l’Ofpra : Jacques Bergier est né à Odessa. Cet adepte du paranormal fut aussi connu après-guerre pour avoir écrit avec Louis Pauwels Le Matin des magiciens. Mais, pendant la guerre, il joua en particulier un rôle essentiel au sein du réseau Marco Polo. Avec
37. Comme nombre de Polonais, Aleksander Kawalkovski a été protégé par l’Ofpra pour ses craintes à l’égard du régime politique imposé par l’URSS à son pays.
Le général Antoni Zdrojewski, officier de carrière jusqu’en 1939 dans son pays, organise à partir de 1941 la résistance polonaise armée en France. Après la guerre, la Pologne étant passée sous le joug soviétique, il demande le statut de réfugié, qu’il conservera jusqu’à sa mort en 1989.Lors de son action sur le territoire français, le général Zdrojewski sera connu sous les pseudonymes de « Daniel » ou « Nestor », avec ici les différentes photos d’identité utilisées.
celui-ci, il put fournir les renseignements qui débouchèrent sur le bombar dement massif, en décembre 1943, de la base secrète de Peenemünde où étaient expérimentés les fameux V2 38 . C’est encore grâce à ce réseau que les Britanniques connurent la disposition des bases de V1 39 dans la Somme. Bergier s’occupait des quelques postes émetteurs de Marco Polo à Lyon quand il fut arrêté par la Gestapo le 23 novembre 1943. Torturé, déporté, il sortit de Gusen en mai 1945.
On oublie trop souvent, pour se polariser sur les actions armées, plus spectaculaires, le travail de propagande qui fut essentiel dans la Résistance en général, mais aussi chez les étrangers et réfugiés. Les journaux clandestins dans toutes les langues furent légion. On fera un sort particulier à deux groupes et deux actions. Dans le cas de la presse juive, la question de l’in formation avait évidemment une importance particulière, car elle était un élément de la survie. On lui doit, ainsi, les premiers relais des informations entendues sur Radio Moscou qui, dès le 24 août 1941, deux mois après le déclenchement de l’opération Barbarossa, dénonçait « l’extermination du peuple juif ». « […] Pour les peuples opprimés, l’hitlérisme est synonyme d’esclavage, de persécution et de guerre ; pour nous, Juifs, il signifie exter mination complète ». La section juive de la MOI se mobilisa. Comme elle se mobilisa encore, avant les 16 et 17 juillet 1942, pour prévenir un maximum de Juifs parisiens qu’une grande rafle s’annonçait. Et c’est dans le journal J’accuse, initié par la section juive, qu’on évoqua pour la première fois, en mars 1943, des opérations massives de gazage dans les camps d’extermination. Toujours dans la mouvance communiste, citons l’action menée par la MOI au sein même des troupes allemandes et italiennes.
On s’attachera encore au rôle important des Espagnols dans la France libre. Ils furent quelque 10 000 à pouvoir quitter l’Espagne après les tout derniers combats pour rejoindre l’Afrique du Nord, où ils furent, pour la plupart, internés. Mais le débarquement anglo-américain en novembre 1942 permit bientôt de les intégrer dans la 2e DB de Leclerc. Sur les 16 000 hommes, on comptait quelque 2 000 Espagnols.
Quant aux Polonais, on n’en compta pas moins de 17 000 dans la Polish Air Force en Grande Bretagne. Beaucoup venaient de France, soit au moment de la retraite en 1940, soit en passant par l’Espagne.
Terminons par une résistance qui, longtemps, resta à l’arrière-plan de la mémoire collective, la résistance de sauvetage qui visa à sauver les Juifs de France de la déportation systématique voulue par les Allemands à partir du printemps et de l’été 1942. Nous évoquions les deux objectifs stratégiques constants de l’Occupant en France : sécuritaire et économique. S’ajouta alors la mise en œuvre de la Solution finale. Et l’on sait que l’État français accepta de cogérer cette déportation, comme en témoignent l’organisation de la rafle du Vel’ d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, puis, entre août et novembre – donc
38. Les fusées V2 sont les premières fusées opérationnelles ou missiles balistiques à être mises au point par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale.
39. Le V1 est une bombe volante et le premier missile de croisière de l’histoire de l’aéro nautique. Il est utilisé par l’Allemagne nazie contre le Royaume-Uni, puis également contre la Belgique.
avant l’entrée du premier allemand en zone sud –, la livraison de 10 000 Juifs étrangers de zone non occupée. Parmi les nombreux résistants qui partici pèrent au sauvetage de la majorité des Juifs de France, les étrangers furent nombreux. Dans les dossiers de l’Ofpra, on trouve ainsi la figure héroïque de Joseph Fisera qui s’était déjà engagé dans la division tchèque de l’armée française en 1939. Après la défaite, la mission diplomatique tchécoslovaque lui confia la responsabilité d’accueillir les réfugiés à Marseille. Il est surtout connu pour avoir organisé la sortie des camps d’internement et l’accueil d’enfants en les plaçant dans des familles d’accueil, ainsi que d’adultes en leur établissant de faux papiers. Il avait fondé un home pour enfants à Vence dans les Alpes-Maritimes et, avant le départ des troupes italiennes et donc l’arrivée des Allemands, il replia le home à Saint-Aignant dans la Creuse. En 1988 lui fut décerné le titre de Juste parmi les nations.
Nous avons voulu émailler notre récit de personnages et des actions qu’ils purent mener dans la Résistance. Nous avons le sentiment d’avoir été à la fois trop rapide et trop partiel, mais ces figures et ces engagements illustrent la place cruciale tenue par les réfugiés et, au-delà, les étrangers dans la Résistance française. On ne peut dire la part des réfugiés qui choisirent de suivre ce chemin. Ils furent à l’évidence en proportion bien plus nombreux que la population française, même si cela resta toujours une minorité. Que retiendrons-nous du sens de leur engagement ? On a vu que la situation fut souvent complexe. La lutte contre les nazis coulait de source, mais quels
Vence. Maison d’accueil chrétienne pour enfants réfugiés durant la seconde guerre (MACE), créée et dirigée par Joseph Fisera. En faisant venir dans cette maison des enfants détenus internés, il sauve 82 enfants juifs de la déportation. Devançant l’arrivée des Allemands, en septembre 1943, il sauvera la vie des enfants et des éducateurs en les évacuant vers la Creuse. L’image est l’une des pages d’un album réalisé lors de l’inauguration de l’école.
José Ester Borras, réfugié espagnol, entre dans la Résistance dans le réseau Ponzan-Pat O’Leary. Arrêté, survivant de Mauthausen, il fonde et préside la Fédération espagnole des déportés et internés politiques (FEDIP). Il travaille à l’Ofpra entre 1955 et 1974.
Le commandant Pat O’Leary (alias du belge Albert Guérisse) était chef du réseau qui porte son nom, connu pour être le plus grand réseau d’évasion actif en France. Il témoigne ici de l’engagement dans la Résistance de José Ester Borras.
objectifs poursuivaient-ils ? Où se tournaient les regards ? Vers l’Espagne ou vers la Pologne comme on a pu le constater ? Pour partie sans doute, mais ce qu’on retiendra de ces années d’engagement, de combat, c’est une forme de convergence identitaire. La diversité était bien là, mais seul l’anachronisme interdit de voir qu’alors ces identités multiples se combinèrent.
On n’oubliera pas non plus que, dans nombre de cas, ces étrangers contribuèrent grandement à la libération du territoire français, mais ont été, pour la plupart, pourchassés, traqués, filés, arrêtés par une administration française travaillant au service de l’occupant allemand. Ce chiasme restera comme une tache indélébile sur le régime de Vichy.
L’Ofpra est donc bien inséparable de cette expérience singulière de la résistance des réfugiés en France. Mais ceux qui ont fait l’institution, dans la suite des actions d’entre les deux guerres ont aussi joué un rôle crucial pendant la guerre. La protection des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale est, en elle-même, une restauration des principes républicains et l’affirmation de l’obligation de protéger les réfugiés. On pense à Marcel Paon, délégué du Haut Commissariat de la Société des Nations (SDN) pour les réfugiés en 1940, puis à la tête du Bureau chargé des intérêts des apatrides (BCIA) qui prend sa suite en 1942. Citons aussi l’action de Léon Julliot de La Morandière, membre du conseil d’État, à qui l’on doit les deux ordonnances sur l’entrée et le séjour des étrangers, d’une part, et sur la nationalité, d’autre part 40 . Au-delà de ce principe, lorsque l’Ofpra est mis en place, on retrouve dans ses effectifs des acteurs de la résistance des réfugiés. On peut citer Henry Monneray, de son vrai nom Heinrich Meierhof, premier jurisconsulte de l’Ofpra, aidant d’abord au passage clandestin d’aviateurs alliés en Espagne, avant de rejoindre lui-même, via l’Espagne, la France libre et le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), après avoir été interné près de deux ans en Espagne. Avant d’occuper son poste il travaillera auprès de René Cassin pour le ser-
40. On renverra à l’article séminal de Patrick Weil, avant plusieurs ouvrages, « Racisme et discrimination dans la politique française de l’immigration : 19381945 / 1974-1995 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 47, 1995, p. 77-102 ; à Alexis Spire, Étrangers à la carte : l’administration de l’immigration en France, 1945-1975, Paris, Grasset, 2005 et à l’ouvrage de référence de Dzovinar Kévonian Réfugiés et diplomatie humanitaire ; les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publication de la Sorbonne, 2004, ainsi qu’à son article « Diplomates et juristes face à la question de la protection des réfugiés en France. Du Bureau chargé des intérêts des apatrides de Vichy à la mise en place de l’Ofpra (1942-1955) », in Réfugiés et apatrides Administrer l’asile en France (1920-1960), Kévonian Dzovinar, Angoustures Aline, Mouradian Claire (Dir), PUR, 2017.
vice de recherche des crimes de guerre ennemis. Enfin, il faut mentionner les officiers de protection polonais ayant participé à la résistance au sein du POWN, comme Jean Maleczynski, Bohdan Samborski et Wieslaw Dabrowski, ou les officiers de protection espagnols, parmi lesquels José Ester
Ci-contre : Certificat de réfugié de l’officier de protection de la section polonaise Bohdan Samborski.
Ci-dessous : Traduction conforme par l’OIR de la carte de décoration de guerre de Bohdan Samborski, combattant dans la POWN, officier d’éligibilité de l’OIR puis officier de protection de la section polonaise de l’Ofpra.
Borras, membre du groupe d’évasion de Francisco Ponzon Vidal, puis du Comité international clandestin du camp de Mauthausen. Imbrication il y eut bien, et l’action de l’Ofpra est bien marquée en sa naissance même par cette geste héroïque.
José caBrero arnal, un inconnu célèBre
José Cabrero Arnal est un illustrateur et dessinateur espagnol qui a fait une première carrière espagnole dans la presse jeunesse où il a créé, notam ment, le personnage de Top el perro (Top le chien). Il traverse la frontière en 1939, lors de la Retirada. Interné dans les camps du Roussillon, il intègre ensuite une Compagnie de travailleurs étrangers. Il est fait prisonnier et envoyé au camp de Mauthausen (Autriche). Libéré en 1945, ayant survécu aux privations et mauvais traitements, il est embauché à L’Humanité et à Vaillant, organe du Parti communiste destiné à la jeunesse, où il crée le personnage de Pif le chien. Celui-ci, ressemble étonnamment à Top, mais en moins juvénile, moins maigre. Près de vingt ans ont passé…
Le 21 novembre 1945, il s’adresse à l’Office central des réfugiés espagnols (OCRE-OIR) pour demander à bénéficier du statut de réfugié Nansen qui venait d’être étendu aux républicains espagnols. Le 21 février 1957, il adresse à l’Ofpra, qui a pris la suite de l’OCRE et de l’OIR dans la protection des Espagnols, une « demande de renouvellement » de son titre de réfugié.
Certificat de réfugié des années 1960-1963 de José Cabrero Arnal.
Il dépose en même temps une demande pour béné ficier des indemnités prévues par la loi allemande pour les victimes du régime national socialiste. Il évoque alors sa déportation en Allemagne. L’Ofpra lui délivre un certificat destiné aux autorités consulaires de la de la République fédérale d’Allemagne (RFA) en France, attestant qu’il est un réfugié statutaire. Il lui délivre aussi un certificat pour le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre.
Bien que peu médiatisé, José Cabrero Arnal occupe une place impor tante dans la bande dessinée française, non seulement grâce à ses nombreux personnages qui ont éveillé et amusé des générations d’enfants (Hercule, Placid, Muzo, Roudoudou…), mais également pour le rôle qu’il a joué dans la révélation de nouveaux dessinateurs pour Vaillant et Pif. Le plus célèbre d’entre eux est sans nul doute Gotlib (voir page 85), fils de réfugiés hongrois, dont le personnage de Gai Luron n’est pas sans rappeler Pif avec qui il a un air de famille.
28 mars 1948. Première apparition de Pif dans L’Humanité.
Dessin sans date paru en Catalogne (Espagne) : « Hitler et Staline, deux idéologies opposées avec un dénominateur commun : des milliers de victimes innocentes. »
Buvard offert par le magazine Vaillant dans les années 1960 présentant plusieurs des personnages créés par José Cabrero Arnal.
la protection des apatrides
Magali A ndry
La notion de nationalité, au sens de lien juridique qui rattache une personne physique à un État et qui consacre l’appartenance de cette personne à la population de cet État, s’est peu à peu forgée au cours des siècles. Ce lien se traduit notamment par une protection diplomatique et par la jouissance de droits dont est privée, de fait, toute personne qui ne peut revendiquer aucune nationalité – situation qui est celle de l’apatride.
Or, chaque État est libre de déterminer, par la loi, qui sont ses nationaux. Certains appliquent le jus soli, droit du sol, d’autres le jus sanguinis, droit du sang, ou, le plus souvent, une combinaison des deux. Certains excluent de l’accès à leur nationalité des catégories entières de leur population.
Attestation du consulat de Grèce relative à sa nationalité (1961) et certificat d’apatride de Mathilde Bodenheimer (1961).
Les lois de citoyenneté telles qu’édictées au xixe siècle, bien plus restrictives que la plupart des lois actuellement en vigueur, étaient nombreuses, sur l’ensemble des continents, à prévoir la perte automatique de la nationalité pour une femme qui épousait un étranger. Dans un monde où les mouvements de populations étaient encore restreints et les unions binationales rares, il s’agissait avant tout de protéger l’État de possibles collusions avec un ennemi potentiel. Pour les femmes allemandes, cette situation durera jusqu’en 1949.
Dans une même logique, de nombreux nationaux autrichiens, espagnols, grecs ou encore turcs entrés au service d’une armée ennemie se voyaient déchus de leur nationalité. De telles dispositions sont d’ailleurs toujours en vigueur dans de nombreux pays.
Dans les années 1920 à 1930, on constate de premières évolutions dans de nombreuses législations, les femmes ne perdant désormais leur nationalité d’origine qu’à la condition expresse de se voir automatiquement attribuer celle de leur mari.
Ces restrictions juridiques ne sont pourtant pas la cause du dévelop pement croissant de l’apatridie dans la première moitié du xxe siècle. Le génocide arménien, le premier conflit mondial et la révolution russe d’oc tobre 1917 ont, en quelques années, provoqué les déplacements forcés de nombreuses populations, dont beaucoup se sont retrouvées privées de leur nationalité et de la protection de leur État. Ce fut notamment le cas de nombreux immigrés russes qui ont vu leur nationalité révoquée par décret en 1921.
C’est pour répondre aux besoins nouveaux créés par cette situation que le diplomate norvégien Fridtjof Nansen a créé, le 5 juillet 1922, un certificat d’identité et de voyage qui a pris son nom et est resté célèbre dans l’histoire des réfugiés, le passeport Nansen. Dans la pratique, les porteurs de ce document sont tout autant réfugiés qu’apatrides, déchus de leur nationalité d’origine, victimes de mouvements de population favorables au dévelop pement de l’apatridie. Apatride et réfugié se superposent et ne font alors souvent qu’un. Ce premier « passeport » protégera jusqu’en 1945 environ un demi-million de personnes. Parmi eux, des réfugiés et apatrides russes, des ex-Arméniens ou Assyro-Chaldéens. En 1924, trente-huit États, dont la France, avaient adopté ce document.
La confusion qui entoure le terme « apatride », à la définition mouvante, est alors grande, mais n’a pas pour autant totalement disparu aujourd’hui.
Il faudra attendre la convention de New York relative au statut des apatrides, signée le 28 septembre 1954, entrée en vigueur le 6 juin 1960 puis ratifiée par la France, pour que soit fixée la définition de l’apatride :
Duplicata du certificat d’apatride de Jean Pauchard, 1954. Remarquer que la mention « ancien Légionnaire » est portée sur le certificat de réfugié à côté de la nationalité d’origine, ce qui indique la relative fréquence de cette situation.
Extrait du formulaire de demande d’asile de Jean Pauchard, 1954.
Extrait de la décision de l’Ofpra, 17 janvier 1954.
Copie manuscrite certifiée conforme d’un certificat d’apatride établi par l’Ofpra en 1958 pour Jean Abboche.
« Une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant en application de sa législation. » À la différence de la convention de Genève dont elle s’inspire largement, l’application de la convention de New York ne requiert pas, pour son bénéficiaire, l’existence de craintes en cas de retour dans le pays d’origine. Elle ne consacre par ailleurs aucun principe de non refoulement. Toutefois, la protection octroyée en vertu de cette convention reste limitée, de trop nombreux États ne l’ayant pas ratifiée. Le 28 septembre 1954, seize pays européens et sud-américains sont signataires de son acte final. En 2014, année du lancement de l’ambitieuse campagne « #IBelong » du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), visant à mettre fin à l’apatridie dans les dix ans, on comptait quatre-vingt-trois États parties à cette convention.
Pour prévenir les cas d’apatridie, d’autres dispositifs juridiques seront ensuite créés, comme la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, ou encore, pour le continent européen, la convention européenne sur la nationalité de 1997.
L’Ofpra n’a cependant pas attendu la ratification de la convention de New York de 1954 pour protéger des personnes en tant qu’apatrides. Les premiers cas enregistrés sont pour l’essentiel des ex-Polonais, et dans une moindre mesure des ex-Allemands, ex-Hongrois, ex-Autrichiens, ex-Grecs ou encore ex-Italiens. Nombreux sont alors ceux qui ont été privés de leur nationalité d’origine en raison de leur appartenance à une minorité discriminée, du fait de leurs liens supposés ou avérés avec l’ennemi, ou encore, si l’on
prend les exemples grec, libanais ou polonais, en raison de leur absence durable du territoire national. Se pose aussi la question des anciens ressortissants des États baltes n’ayant pas usé de leur droit d’option à la nationalité soviétique dans les délais impartis, alors qu’ils se trouvaient hors du territoire soviétique. Ceux-ci sont à l’époque considérés par les autorités françaises comme réfugiés et apatrides.
Si, à l’Office, les personnes originaires d’Europe occidentale et centrale sont majoritaires parmi celles reconnues comme apatrides jusqu’à la fin des années 1980, des situations diverses se présentent dès les années 1950 et 1960 : Biharis ; Indiens de la Réunion ; « citoyens du Royaume Uni des colonies » ne satisfaisant aux conditions d’accès à la nationalité française, puis, après les indépendances, personnes originaires des ex-colonies n’ayant pas opté à temps ou n’ayant pu bénéficier de déclaration recognitive ; populations israélites originaires d’Égypte ou encore d’Irak ne pouvant pas réintégrer les nationalités auxquelles elles avaient renoncé à l’après-guerre ou encore se voyant retirer leur nationalité au moment du conflit de Suez en 1956 ; anciens porteurs de passeports palestiniens ayant quitté la Palestine avant le 15 mai 1948 et la fin du mandat britannique ; ex-Harkis ; Turcs ayant servi dans l’armée française, ou encore ex-Turcs et Israélites non immatriculés arrivés avant la Première Guerre mondiale, non protégés par leurs consulats pendant la Seconde Guerre mondiale… Les problématiques sont nombreuses et variées et il est impossible d’en dresser un panorama exhaustif.
L’Office a ainsi été témoin de parcours de vie exceptionnels. Ce fut par exemple le cas de Roland Abdullah, placé sous protection
Certificat de réfugié apatride de Sarah Feinberg, 1962.
Ci-dessus : Traduction d’un extrait du Journal Officiel du Royaume de Grèce du 7 novembre 1950, relatif à l’ordonnance royale prononçant la déchéance de nationalité de Georges Pourgalis.
En haut, à gauche : Extrait d’un courrier adressé à l’Ofpra par Georges Pourgalis.
Extrait de courrier du consulat algérien à Paris refusant la nationalité à un ex-harki.
Laissez passer de la République arabe syrienne pour un apatride d’origine arménienne.
Photographie d’identité de Roland Abdullah.
Page 3 du formulaire de demande d’asile de Roland Abdullah.
le 4 juillet 1960 et enregistré comme apatride ex-palestinien, né le 16 août 1906 en Yougoslavie d’un père d’origine arménienne sujet de l’Empire ottoman. Survivant du génocide des Arméniens, déporté avec les siens à Deir-ez-Zor, puis déplacé à Alep et enfin à Damas, il s’installera finalement à Jérusalem après que son père, travaillant pour la régie du tabac, aura été muté sur place. Il accédera d’office au statut de citoyen palestinien puis rejoindra la France en 1932. La création de l’État d’Israël le privera de sa nationalité sans qu’il puisse accéder aux nationalités britannique ou jordanienne.
Parmi les protégés au titre de l’apatridie, on trouve aussi des enfants placés. C’est le cas, par exemple, de Siegfried Staniewski, né le 18 novembre 1919 en Allemagne de parents réfugiés vraisemblablement d’origine polonaise, entré en France en 1924 et pris en charge par l’assistance publique. Considéré comme « apatride technique » et non éligible par l’OIR en 1947, il sera protégé par le ministère des Affaires étrangères en 1949 en tant qu’apatride d’origine polonaise
puis finalement enregistré par l’Office sous la dénomination surprenante d’« apatride d’origine indéterminée ». Aujourd’hui encore, l’Office est amené à examiner les situations particulières de jeunes placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance dont l’origine est souvent difficile à déterminer.
Pendant longtemps, lors de l’instruction de ces dossiers par les agents de l’Ofpra, seule une preuve de perte ou de retrait de la nationalité d’origine était requise, sans que soient examinées les possibilités de réintégration ou d’accès à une autre nationalité. C’est en 1956 que l’Office enregistrera le plus grand nombre annuel de protégés au titre de l’apatridie, plus d’un millier. Par la suite, ils ne dépasseront jamais les quelques centaines par an, et seront même régulièrement moins de cent dans les années 1970. Ce chiffre augmentera de nouveau dans les années 1990, cette évolution étant consécutive à la chute de l’Union soviétique et à l’éclatement de la Yougoslavie, s’accompagnant de successions d’États.
Au milieu des années 1990, l’Ofpra assure la protection d’environ 2 000 apatrides statutaires, contre un peu plus de 1 700 en début d’année 2022. Si leurs origines restent variées, les ex-Yougoslaves, ex-Soviétiques, Pales tiniens ou encore personnes d’origine sahraouie sont actuellement les plus représentés.
L’apatride reste dans l’esprit du plus grand nombre une personne née en territoire étranger, plus probablement dans des contrées lointaines. Il est toujours largement confondu avec le déplacé, le réfugié, l’exilé.
Il est pourtant tout à fait possible de naître apatride dans son propre pays ou dans le pays où ses parents ont trouvé refuge, sans avoir au demeu rant été soi-même amené à se déplacer. Les cas ne sont pas rares. Et si, en France, l’article 19-1 du Code civil permet à un enfant né sur son territoire de parents apatrides ou à l’enfant « né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu’il se voie transmettre la nationalité de l’un ou l’autre de ses parents » d’obtenir la nationalité française, de tels équivalents n’existent évidemment pas dans toutes les législations, outre que leur application peut parfois se heurter à certains obstacles.
Ci-dessus : Photographie d’identité de Siegfried Staniewski.
Ci-dessus, à gauche : Extrait du formulaire de demande d’assistance à l’OIR de Siegfried Staniewski avec l’analyse de l’officier d’éligibilité le considérant comme « non éligible » et « apatride technique ».
Ci-contre : Demande de statut d’apatride d’une femme ne pouvant avoir la nationalité de son père marocain.
Ci-dessous : Lettre du consulat général du Maroc adressée à l’Ofpra et certifiant que la nationalité marocaine ne peut être transmise à un enfant né hors mariage d’un Marocain et d’une étrangère, 1969 (cette impossibilité a été levée au Maroc en 2007).
Plusieurs centaines de milliers d’apatrides seraient originaires du territoire européen, ce qui se reflète d’ailleurs dans les statistiques récentes de l’Office. Parmi eux, des membres de la communauté rom, mais aussi des porteurs d’« alien’s passport » installés dans les pays baltes, pour la plupart russophones, qui bénéficient certes de la protection officielle d’un État, mais qui se trouvent dans leur grande majorité dans l’impossibilité d’accéder à la nationalité de leur pays de résidence.
Au niveau mondial, il n’existe aucune statistique officielle permettant de dénombrer les personnes dépourvues de nationalité tant il est difficile de rendre visible l’invisible. Le HCR estime qu’ils seraient environ dix millions, dont plus de la moitié ne seraient pas identifiés, mais aussi qu’un enfant apatride naîtrait toutes les dix minutes sur la planète.
Tous n’ont évidemment pas accès à une procédure de détermination propre. En 2019, au niveau mondial, seuls dix-neuf pays, dont la France et quelques rares pays européens comme l’Italie et l’Espagne, disposaient d’une procédure claire et officielle de détermination du statut d’apatride.
En 2020, la Côte d’Ivoire est devenue le premier pays africain à s’être doté d’une telle procédure, symbole d’autant plus fort que le pays est aussi l’un de ceux qui comptent le plus grand nombre de personnes dépourvues de nationalité.
À l’évocation de la question de l’apatridie, toujours largement méconnue et qui ne fait irruption dans le débat public que de façon sporadique à propos de problématiques comme la déchéance de nationalité, ce sont toujours les mêmes interrogations qui reviennent. Comment peut-on, au xxie siècle, naître apatride, comment peut-on le devenir ? La question est complexe tant les mécanismes à l’origine de l’apatridie restent nombreux et protéiformes. Outre les questions de successions d’États, il existe toujours des conflits de lois sur la nationalité entre différents pays, des difficultés d’enregistrement des naissances, des questions de perte ou de déchéance, un manque de garanties juridiques dans certaines législations qui peuvent aussi être incorrectement appliquées… Mais aussi, toujours, des discriminations fondées notamment sur l’appartenance ethnique et le genre. En 2020, dans vingt-cinq pays était encore maintenue une législation ne permettant pas à la femme de transmettre sa nationalité à ses enfants au même titre que l’homme. Au Liban, par exemple, de nombreux enfants naissent apatrides, faute pour leur mère de pouvoir leur transmettre sa nationalité, y compris quand leur père est apatride ou de nationalité indéterminée, membre de la communauté palestinienne, Maktoum al-qaid et qaid al-dars dont la naissance n’a pas été enregistrée…
L’apatridie d’aujourd’hui n’est plus l’apatridie d’hier. La situation des ex-Allemands, ex-Polonais ou encore ex-Roumains est en effet résolue. Mais d’autres, qui ont fait irruption au sortir du second conflit mondial, ou même avant, restent préoccupantes, comme celle des Indiens karanes de Madagascar, de certaines populations nomades, ou encore des emblématiques Palestiniens. Des problématiques nouvelles ont également émergé, comme celle des Sahraouis, celle largement médiatisée des Rohingyas, ou encore, plus récemment, celle des ex-Dominicains d’origine haïtienne.
Un siècle exactement après la création du passeport Nansen, l’apatridie reste incontestablement un problème d’actualité et un enjeu politique et sociétal majeur.
Déclaration d’une apatride Nansen d’origine russe qui revendique son apatridie comme une nationalité.
Irène Anissimoff, 1948.
Kiraz, l’apatride qui inventa les “Parisiennes“
Aline A ngoustures
Extrait de la demande de protection et photographie de Kiraz destinée à son certificat d’apatride.
Edmond Kirazian, dit Kiraz, est né au Caire le 25 août 1923 dans une famille francophile d’origine arménienne. Il est prénommé Edmond en hommage à Edmond Rostand. Dès 17 ans, et déjà sous le nom de Kiraz, il devient dessinateur politique pour des journaux égyptiens. Il vient une première fois à Paris en octobre 1946 avec un passeport égyptien, puis s’y installe en 1948.
En juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser décide la nationalisation du canal de Suez, qui débouchera sur la crise de l’automne 1956 et l’expulsion des ressortissants français et britanniques, ainsi que des Juifs. Dès le mois d’août 1956, Kiraz adresse à l’Ofpra une demande de statut d’apatride motivée par le refus du consulat égyptien de renouveler son passeport, mais aussi par son propre refus de rentrer en Égypte du fait de « la xénophobie » – ce sont ses termes – qui frappe également les chrétiens.
C’est au moment où il devient apatride que Kiraz invente la « Parisienne ». Dessinateur de presse depuis plusieurs an nées, il était tombé amoureux de la capitale dont il croquait les détails du décor : réverbères, colonnes Morris, terrasses des cafés. Il admire, observe et dessine les Parisiennes, qu’il com pare à des « libellules ». Il les représente comme de gracieuses créatures longilignes, avec des yeux immenses, nonchalantes et passionnées par la mode. Ces « Parisiennes » entrent dans la légende au début des années 1960 dans les pages du maga zine Jours de France (1959-1987). On les retrouvera ensuite dans Gala, Paris Match et d’autres encore. Elles feront aussi les beaux jours de la publicité dans les années 1990, pour les campagnes de marques comme Renault, Perrier, Canderel, Monoprix…, et plus tard, pour le lancement de Paris Plages par la mairie de Paris.
Kiraz est décédé à Paris le 11 août 2020. Beaucoup de ses dessins ont été publiés en recueils, essentiellement aux éditions Denoël.
Dessins de Kiraz publiés dans Jours de France du 4 juillet 1972.
Le timbre de l’année mondiale du réfugié en 1960
En 1960, 15 millions de réfugiés sont encore dans des camps ou sans solution de réinstallation dans un pays d’accueil et la convention de 1951 relative au statut des réfugiés n’est en vigueur que dans un peu plus de vingt pays.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Union Postale Universelle (UPU), soixante-dix gouvernements émettent, le 7 avril 1960, des timbres sur le thème des réfugiés, symbolisé par un arbre déraciné. Parmi les États participants figuraient onze pays d’Afrique, vingt pays des Amériques, dix-neuf pays d’Asie et vingt pays d’Europe ; au nombre des pays restés en retrait, figuraient en particulier les pays du bloc soviétique d’alors. La date de l’émission simultanée est marquée par des messages de chefs d’État, des expositions et des articles dans la presse de tous les pays. L’opération permet de recueillir des fonds pour les réfugiés, gérés, en France, par le Comité français pour l’Année mondiale du réfugié créé à cette occasion.
Enveloppe « 1er jour » d’émission du timbre de l’année du réfugié reproduisant l’arbre déraciné. DR.
Carte postale philatélique « 1960, année mondiale du réfugié », Gravure d’Albert Decaris, Édouard Berck, éditeur d’art, 6 place de la Madeleine, Paris 8e
La France a émis ce timbre avec des gravures d’Albert Decaris (19011988), l’une représentant l’arbre déraciné et l’autre une femme fuyant la guerre et la destruction. Alors président de l’Académie des beaux-arts, il est considéré comme l’un des grands dessinateurs et graveurs de timbres-poste, avec environ 600 timbres réalisés. Le timbre est ici reproduit sur la carte postale philatélique à partir d’une gravure du même artiste.
Ricardo Ehrlich : une vie dédiée à la recherche scientifique et à la défense d’idéaux politiques
Ricardo Mario Ehrlich Szalmian, né à Montevideo (Uruguay), est arrivé à Paris depuis Buenos Aires le 27 octobre 1974. Il a alors 26 ans. Il indique être biophysicien, marié depuis 1970 à une universitaire et de confession israélite. Ses parents sont nés en Pologne (Lemberg) et sont arrivés enfants à Montevideo vers 1925.
Il a voyagé à bord d’un avion d’Air France avec un titre de voyage pour réfugié délivré sur la demande du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Sa demande d’asile déposée le 16 novembre est motivée par « le danger de mort ou la prison à long terme ». Il est en effet recherché par les polices uruguayenne et argentine. Dès le 9 décembre, l’Ofpra rend une décision favorable. Ricardo est, comme tant d’autres Uruguayens, pris dans la nasse de la répression militaire qui sévit dans son pays.
Lorsqu’il commence ses études de médecine à l’université de la Répu blique à Montevideo en 1966, la dictature n’est pas installée, mais une crise économique sévit et les mouvements de grève se succèdent. Inspirés par les marches pour la défense des coupeurs de canne à sucre et par le Mouvement de libération nationale-Tupamaros (MLN-T), Ricardo et ses amis proposent des actions de solidarité dans les bidonvilles. Le gouvernement en place réprime violemment les mouvements sociaux et estudiantins : « On glissait doucement du travail social à la militance politique mais j’ai continué à faire de la recherche jusqu’au dernier moment 56 . » Il rejoint le MLN-T.
Le président Juan Maria Bordaberry Arocena, élu en mars 1972, inten sifie la répression contre les Tupamaros et la torture en prison devient systématique. Alors qu’il lui reste quelques examens à valider pour son diplôme, en septembre 1972, Ricardo est arrêté et emprisonné. Sa femme, militante dans le même groupe, est recherchée par la police et se réfugie en 1971 au Chili, alors gouverné par Allende. Ricardo est libéré en octobre 1973, peu après le coup d’État militaire en Uruguay, car son jugement est antérieur aux lois martiales. En danger, il s’enfuit rapidement en Argentine, où sa femme le rejoint après le coup d’État au Chili. À Buenos Aires, il reprend ses études et gagne sa vie comme technicien dans un laboratoire pharmaceutique.
Les citations sont extraites d’entretiens menés avec Ricardo Ehrlich à Montevideo en 2019 et 2022.
Une campagne d’enlèvements et d’assassinats de dissidents politiques de gauche est conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, avec le soutien tacite des États-Unis : c’est la funeste « Opération Condor ». Ricardo échappe de peu à ces escadrons de la mort. Il passe à la clandestinité. Le sachant en danger, le HCR, par l’intermédiaire d’Oldrich Haselman, prend contact avec lui pour l’aider à rejoindre l’Europe. Ricardo s’adresse à plusieurs ambassades et c’est le poste français qui lui offre le meilleur accueil : « Ils m’ont dit : “Si vous avez un contrat de travail, on vous donne un visa”. Demander un contrat de travail en France, c’était comme si on me demandait un contrat de travail en Chine, ou d’aller sur la Lune. » Son colocataire brésilien le met en contact avec des proches d’un moine dominicain à Strasbourg, dans une paroisse fréquentée par des étudiants en pharmacie, qui alertent leur professeur. Dix jours plus tard, Ricardo reçoit un contrat de travail de trois mois à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg, signé par son directeur, Jean-Pierre Ebel – un résistant et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale – : « Il savait ce que c’était ce genre de situation, et c’est pour ça qu’il m’a envoyé le contrat de travail. » Dès son arrivée, il rejoint son lieu de travail, sans même savoir où il se situe : « Strasbourg, pour moi, c’était le nom d’une bière en Argentine. » Ses collègues l’aident pour ses démarches administratives et lui procurent la documentation scientifique. Il s’inscrit en DEA à l’université, alors même qu’il n’a sur lui aucun papier justifiant ses diplômes : « Ils m’ont cru sur parole, c’était extraordinaire. » Pendant cinq ans, les contrats de recherche se succèdent. Il soutient une thèse d’État en sciences en 1979 à l’université Louis Pasteur et obtient un poste permanent de chercheur au CNRS. Il déménage à Paris pour rejoindre l’Institut Jacques Monod où il contribue à la création du laboratoire Structure et dynamique du génome (1980).
En 1985, la démocratie est rétablie en Uruguay. Il récupère alors son passeport et obtient la nationalité française. Le CNRS lui accorde une disponibilité afin de consolider les partenariats scientifiques de l’Uruguay avec la France et l’Union européenne. En 1996, il démissionne du CNRS et rentre définitivement en Uruguay. Ricardo occupe alors divers postes de responsabilités universitaires à Montevideo et est élu doyen de la nouvelle faculté de sciences. Avec d’autres collègues exilés revenus au pays, il œuvre à la collaboration scientifique franco-uruguayenne ; notamment, avec Mario Wschebor, Guillermo Dighiero et Luis Barbeito, il lance le projet de création d’un Institut Pasteur à Montevideo, qui voit le jour en 2004 grâce à l’effacement de la dette uruguayenne envers la France par compensation avec une ancienne dette française. Ricardo préside son conseil d’administration.
Certificat de réfugié de Ricardo Erlich pour les années 1974-1977.
Témoignage
Mon père avait deux ans quand l’Ofpra a été créé. Il en avait trente-deux quand je suis née. J’étais sa deuxième enfant, mais à l’époque, dans les années 1970, c’était un âge avancé pour se marier et avoir des enfants. Mon père a attendu de finir ses études de médecine pour épouser la jeune fille rencontrée lors d’un match de volley-ball quand elle était encore au lycée. Il voulait être en capacité de prendre soin de sa famille. En 1988, alors qu’il n’a pas encore quarante ans, il perd la vie dans un incendie causé par le suicide d’une femme dépressive. Deux ans plus tard, j’ai alors onze ans, la guerre éclate dans notre pays, le Rwanda. Les Tutsis, exilés du Rwanda par des massacres successifs à leur encontre depuis l’indépen dance, réclament le droit de revenir dans leur pays par les armes. Les combats se déroulent dans la partie nord du pays. Ma famille et moi vivons dans le Sud. Notre ville reste relativement épargnée, et bien qu’elle connaisse des séries d’attentats, elle résiste tant bien que mal à la vague de haine anti-Tutsi qui enfle dans le pays. Cette relative accalmie prend brutalement fin à la mort du président Habyarimana le 6 avril 1994, dans un attentat contre son avion.
Dès le 7 avril au matin, commence l’extermination systématique de tous les Tutsis et Hutus modérés à l’intérieur du pays. Un million de personnes tuées en cent jours, dont notre mère et notre petit frère.
À la fin des cent jours, parmi quelques centaines d’enfants survivants récupérés et regroupés dans un orphelinat de fortune mis sur pied par une ONG appe lée Terre des hommes, puis évacués vers le Burundi, se trouvent ma sœur aînée, laissée pour morte dans une fosse commune, et moi.
À Bujumbura, ma sœur et moi lançons des SOS à tout va. Ma sœur est grièvement blessée, elle a besoin
de soins médicaux. Avec l’aide d’amis de notre mère, nous parvenons à obtenir un passeport puis un visa touriste pour la France où nous atterrissons le 9 août 1994 au matin.
À peine arrivées, l’amie de ma mère qui nous accueille chez elle nous explique qu’il faut agir vite, faire les démarches pour « gusaba ubuhungiro », « demander l’asile », et ceci pour devenir réfugiées.
À l’Office de protection des réfugiés et apa trides, nous a-t-on prévenues, il faut bien s’exprimer, bien raconter et surtout bien insister sur notre sou hait d’être protégées par la France. Là-bas, au cours de l’entretien qui se passe avec l’intermédiaire d’un interprète, il est donc question de convaincre.
À tour de rôle, ma sœur et moi racontons. Ma sœur, Aline, a dix-sept ans. Elle est défigurée. Elle pleure plus qu’elle ne parle. Je suis assise à sa gauche. Une partie de son oreille manque. Pendant le génocide, à la radio, les journalistes donnaient des « astuces », comme on traduirait aujourd’hui, pour bien faire le travail. « Nivo ni ugutwi », « Viser l’oreille ». Pour ma sœur ça a été l’oreille gauche, le cou, le haut du crâne… elle porte des dizaines de coups de machette sur le corps. Même quand elle s’arrête de pleurer, elle continue d’essuyer son œil droit qui pleure sans discontinuer en raison de la pommette brisée.
Elle raconte comment, aux bords de la fosse com mune, elle a attendu que notre frère s’éteigne avant de se glisser sous les buissons. Elle dit, et l’interprète répète, et la personne qui nous interviewe répète à son tour. Et moi, à chaque fois, je vois leurs visages. Celui de ma sœur, quand elle était encore joyeuse et que ses yeux riaient au lieu de pleurer. Le visage aux traits fins de notre petit frère, il avait de grands
« À l’Ofpra reposent ma mère et mon petit frère que l’on a privés de sépulture » Annick Kayitesi-Jozan
yeux, la peau douce, et une voix timide. Je vois les tueurs les fracasser avec des coups de gourdins et de machettes. J’ai l’impression que ma tête va imploser, je voudrais leur crier d’arrêter. Mais il faut bien se comporter.
Mon père n’est pas mort seul dans l’incendie. Il était avec ma petite sœur âgée de juste six ans et un mois. Leur « mort inopinée », comme avait marqué ma mère sur la carte d’annonce de leur décès, je n’ar rivais pas à y croire. Dans notre quartier, dans notre ville, avant le génocide, les gens mourraient chaque semaine des accidents de la vie. Mais jamais, deux dans une même famille. Alors pourquoi chez nous, il avait fallu qu’ils meurent à deux ? À leur enterrement, devant les deux tombes, une petite et une grande, je suivais des yeux les pelles en cadence jetant de la terre sur leurs cercueils, quand j’ai tout à coup été prise d’une attaque de panique. Je voulais alors crier « ils vont s’étouffer », mais au lieu de quoi je me suis évanouie. Je n’ai pas voulu remettre les pieds dans le cimetière jusqu’à trois ans plus tard. J’étais alors rentrée au collège l’année d’avant, et il se trouve que mon collège se situait à quelques centaines de mètres du cimetière. Au cours de cette année de 5e, un jour ordinaire à l’heure du déjeuner, deux camarades internes de ma classe sont parties au marché acheter de la crème hydratante pour le corps. Au marché, une grenade a explosé, tuant sur le coup une de mes deux camarades et laissant l’autre « grièvement brûlée ». Notre camarade de classe était hospitalisée dans un dispensaire à mi-chemin entre le collège et le cimetière. Le week-end, les élèves externes dont je faisais partie se relayaient pour lui apporter à manger. Son corps était enveloppé dans une gaze purulente. L’odeur de la plaie, l’odeur de l’infection, l’odeur de la mort qui rôde. Par endroits, on voyait les plaies. Elle parlait difficilement. Je n’avais pas compris ce que « brûlée » pouvait signifier. Là j’avais compris. Après cette visite et jusqu’au début du génocide qui n’allait pas tarder à venir, je suis allée au cimetière tous les samedis matin, pour nettoyer les tombes de mon père et de ma sœur, planter et arroser les fleurs et m’asseoir là au soleil à leur côté, jusqu’à ce qu’une migraine me terrasse et me force à rentrer.
Je suis sortie de l’Ofpra avec la même migraine que celles que j’attrapais à chaque fois que je me trouvais devant la tombe de mon père et de ma petite sœur. Quelques mois après, nous avons obtenu le statut de réfugié, c’était au mois de janvier 1995. En
décembre 1996, j’ai demandé et obtenu la nationalité française. Aussi je suis restée réfugiée deux ans.
C’était il y a vingt-huit ans. Toutes ces années et jusqu’à ce jour, régulièrement, je raconte que je suis arrivée en France comme réfugiée et de manière systématique et sincère les gens me disent : « Tu as eu de la chance. » Je souris. Être réfugiée n’est pas une chance. Ce n’est pas un choix. Ce n’est pas une voie dans laquelle on s’engage de manière volon taire. D’ailleurs si cela était le cas, n’aurait-on pas une amicale des réfugiés ? Être réfugié, c’est pour certains, dont je pense faire partie, l’occasion même de déposer ses morts dans un dossier administratif.
Pour ma part, à l’Ofpra reposent ma mère et mon petit frère, dont on n’a jamais retrouvé les corps, que l’on a privés de rituels funéraires, de sépulture.
À l’Ofpra reposent les larmes de ma sœur, défigu rée à l’âge de seize ans.
À l’Ofpra reposent les chagrins et les rêves de mon père, qui n’a pu protéger sa famille.
Cimetière de Kabutare, avril 2014
l’accueil des femmes yézidies en 2014
Mourad DerbakL’accueil en France de 100 femmes yézidies et de leurs enfants survi vants, victimes des exactions de Daech lors de la conquête du Sinjar en août 2014, a été décidé par le président de la République à la demande de Nadia Murad, co-prix Nobel de la paix. Cette opération a conduit l’Ofpra à quatre reprises à Erbil, en Irak, entre décembre 2018 et octobre 2019, afin d’auditionner des familles volontaires.
Ce fut certainement, parmi les nombreuses missions auxquelles ont participé les officiers de protection, l’expérience la plus éprouvante du fait des violences dont ces femmes et ces enfants avaient été l’objet : pourchassés, dépouillés, affamés, enlevés, menacés, séparés, vendus, offerts ou mariées de force à des combattants de l’État islamique, même très jeunes, parfois plusieurs fois ; l’exode dans le meilleur des cas, la détention pour d’autres ; des récits d’accouchements sur les routes de montagne, d’enfants perdus, d’enfants que l’on ne peut plus sauver, l’épuisement, la nourriture ou l’eau qu’on désespère de trouver, le bruit d’exécutions sommaires, la disparition des hommes et des garçons pubères, le silence, la peur, mais la solidarité aussi ; des jours, des mois, des années de souffrance parfois, des grossesses non désirées, avant la fuite ou le rachat. La sauvagerie et l’inhumanité portées à leur paroxysme, l’absence de sens.
Et puis des retrouvailles difficiles, la difficulté de raconter, les souvenirs enfouis, la litanie des disparus dont on espérait la présence, le deuil ; l’ostracisme parfois, des reproches, des incompréhensions, mais aussi le soutien, le soutien des frères le plus souvent, ceux qui ne pourront pourtant pas les accompagner dans leur nouvelle vie et devront continuer, dans les camps, à survivre tant bien que mal. Une nouvelle vie, loin de l’ancienne, le veuvage, la crainte de la solitude et du célibat à vie. Le déchirement mais aussi l’espoir, l’espoir des plus jeunes et l’envie.
Parmi les nombreux souvenirs qui auront marqué les agents ayant par ticipé à ces missions, il y a certainement le premier départ d’Erbil, le 20 décembre 2018, une semaine après les premières auditions. Nous n’avons pas l’habitude de revenir sur place chercher les réfugiés après nos missions, mais le cadre de celle-ci, organisée par le ministère des Affaires étrangères en étroite collaboration avec l’Élysée, ses conditions particulières et le néces saire suivi mis en place nous ont poussés à prendre cette décision. Avec le directeur du centre de crise du Quai d’Orsay, le directeur général de l’Ofpra, les médecins du Quai et des médecins militaires, le personnel médical de la
réserve sanitaire, les personnels de l’armée de l’Air en charge du transport, des agents de sécurité, les collègues du consulat général de France et deux interprètes venus de Paris, nous garderons longtemps le souvenir des familles réunies dans leur hôtel le matin du départ, tout juste de retour, pour celles qui l’avaient souhaité, d’un pèlerinage à Lalesh – lieu saint des Yézidis –, des enfants coiffés au gel et endimanchés, des petits garçons en costume. Tous apprêtés, préparés mais pas nécessairement prêts ; des mères apeurées par l’avion et le plus souvent tiraillées par des sentiments contraires, l’es poir, l’inquiétude, la joie, la tristesse, et surtout des interrogations, maintes fois répétées, auxquelles nous nous efforcions de répondre patiemment, en essayant de rassurer. Une nouvelle vie, loin de leur pays, du Sinjar, de leur communauté et des leurs, pour certains toujours introuvables, laissés derrière elles sans sépultures.
C’est à l’arrivée à Roissy-Charles-de-Gaulle, peu après l’accueil rassurant de Nadia Murad, accompagnée du ministre de l’Intérieur, que nous mesu rerons en un instant, après un vol mémorable, la faculté d’adaptation des plus jeunes. L’une des jeunes filles, qui avait réussi à se connecter seule au wifi de l’aéroport, filmait la cérémonie d’accueil. À l’autre bout du portable, il y avait sa sœur qui, après maintes hésitations, avait finalement décidé de ne pas partir et avait choisi de rester à Erbil, près de son fiancé.
Dessin d’un enfant évacué avec sa mère. Le texte peut être traduit de deux façons : « Mon Dieu, ramène vivants mon père et mes frères comme avant » ou « Mon Dieu, ramène à la vie mon père et mes frères comme avant ».
INTRODUCTION HISTORIQUE
Inclus dans l’empire ottoman depuis le xvie siècle, la Syrie et le Liban émergent en tant qu’États au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ils sont cependant administrés par la France au titre d’un mandat confié par la Société des Nations entre 1920 et 1941. Ces pays étant situés sur les routes de la déportation des Arméniens par les Turcs, en 1915-1916, lors du génocide qui a coûté la vie à plus d’1,5 million d’entre eux, la France a proposé une solution d’établissement en Syrie et au Liban aux 100 000 rescapés qui se trouvaient sur place.
Le statut Nansen a par ailleurs été étendu par la conférence de 1928 à des réfugiés assyriens, assyro-chaldéens et turcs, à la suite d’une demande fran çaise destinée à légaliser la présence dans le nord-est de la Syrie de réfugiés fuyant la répression de la dictature kémaliste en Turquie. Entre juin et juillet 1941, la Grande Syrie, alors contrôlée par le gouvernement de Vichy et ayant servi de base à des activités allemandes lors de la guerre anglo-irakienne, est envahie par les troupes alliées.
La Syrie devient indépendante en 1946.
Les premières demandes d’asile syriennes auprès de l’Ofpra apparaissent dès le milieu des années 1950. Préalablement reconnus réfugiés par le Haut Commissariat, ces Syriens invoquent des persécutions politiques liées à la nature du régime. La demande devient plus importante au milieu des années 1980. C’est la période où Hafez El Assad, le père de l’actuel chef de l’État syrien, gouverne d’une main de fer et beaucoup de demandes évoquent la persécution politique du parti Baas. Certaines demandes émanent de Kurdes de Syrie ou de descendants d’Arméniens invoquant des discriminations du fait de leur origine ou de leur religion. Depuis 2011, c’est la guerre civile qui nourrit la demande d’asile syrienne.
La Syrie, de l’accueil à l’exil : témoignage d’un acteur de terrain
Le début du xxie siècle est profondément marqué par la guerre civile en Syrie, véritable drame humain qui a provoqué la mort de plus de 300 000 civils et le déplacement forcé de plus de la moitié de sa population tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire. Depuis mars 2011, le nombre de personnes déplacées n’a cessé de croître et atteint désormais 6,9 millions de personnes à l’intérieur d’un pays morcelé et 6,9 millions de réfugiés dont 5,7 millions dans les pays voisins de la Syrie que sont l’Irak (260 000), la Jordanie (673 000), le Liban (840 900) la Turquie (3 763 000) et un peu plus loin l’Égypte (140 000). À la fin de l’année 2021, les réfugiés syriens représentaient 27 % de la population réfugiée mondiale.
Pourtant, avant de devenir le pays ayant créé le plus de réfugiés dans le monde, la Syrie accueillait dans les années 2000 un nombre important de réfugiés, de manière temporaire, lorsque nombre de Libanais ont fui les troubles que vivait leur pays en 2006, ou de manière durable, avec une forte population de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), soit environ 438 000 aujourd’hui (85 000 en 1948), ainsi que plus de 800 000 réfugiés irakiens bénéficiant d’un titre de résidence temporaire octroyé par le gouvernement syrien. Répartis dans les diverses villes du pays, de Damas à Alep, de Homs à Hassake, ils recevaient le soutien de programmes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Il fallait y ajouter des centaines de Somaliens, Afghans, Soudanais ou Yéménites qui vivaient dans la capitale syrienne.
Au service du HCR, dont la création précède celle de l’Ofpra de deux années et dont le mandat principal est la protection internationale des réfu giés et la recherche de solutions durables, j’ai été confronté pour la première fois à des dossiers syriens en 2006, alors que j’étais en charge du service de l’apatridie au sein de la division de la protection internationale au siège du HCR à Genève. En effet, tout comme l’Ofpra au niveau national, le HCR a reçu de l’Assemblée générale des Nations unies le mandat de concourir, au niveau international, à la protection des apatrides, notamment sur la base de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides, et d’œuvrer à la réduction, voire à l’élimination, des situations d’apatridie dans le monde. À ce titre, le HCR a engagé des discussions avec la Représentation perma nente de la République arabe syrienne auprès des Nations unies à Genève et j’ai pu me rendre pour la première fois à Damas, Hassake et Qamishli en 2007 afin de préparer des recommandations du HCR à soumettre au
Philippe L eclercQuand le genre et les violences dans la sphère intime deviennent des motifs de protection
Coralie C apdeboscqRudolf Brzada, réfugié tchèque en France après la Seconde Guerre mondiale, avait été déporté à Buchenwald pour motif d’homosexualité. À son décès en 2011, il était d’ailleurs le dernier survivant connu pour la catégorie des « triangles roses ». Mais en 1950, lorsqu’il demande le statut de réfugié à l’OIR, c’est son pays d’origine qu’il met en avant, et le statut lui est accordé en tant qu’ancien déporté craignant avec raison le retour dans un pays passé sous le joug soviétique.
Réfugié politique ? Oui, mais pas seulement. La figure emblématique du militant contraint à l’exil, héritée des régimes totalitaires de la Seconde Guerre mondiale et incarnée depuis par les opposants à de nombreux régimes oppressifs, comme ceux des dictatures latino-américaines des années 1970, est ancrée dans la mémoire collective au point que les deux termes demeurent souvent indissociés. Pourtant, 70 ans après la création de l’Ofpra, le droit d’asile et la pratique de l’Office ont beaucoup évolué et répondent, en 2022, à des besoins de protection internationale très diversifiés. Les fondamentalismes religieux, les luttes interethniques, les conflits armés, les violences fondées sur le genre et celles qui renvoient à l’intime et à la sphère privée ont contribué à redessiner le profil du demandeur d’asile 73. En inscrivant à l’article 1A2 de la convention de Genève de 1951 qu’est réfugiée « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et ne pouvant ou, du fait de cette crainte, ne voulant se réclamer de la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, ses rédacteurs envisageaient-ils la situation d’un homosexuel originaire d’un pays où les personnes LGBT+ sont passibles de la peine capitale ? Celle d’une fillette africaine que sa famille entend faire exciser ? Celles de femmes fuyant un mariage forcé, ou refusant, plus largement, de se conformer aux normes qui leur sont imposées par la société de leur pays, ou exposées, si elles le regagnent, à la résurgence de violences conjugales sans pouvoir bénéficier d’une protection adéquate ?
73. Sauvé (Jean-Marc), vice-président du Conseil d’État, « 1952-2012 – Le juge français de l’asile, 60e anniversaire de la Cour nationale du droit d’asile », 29 octobre 2012.
Des cinq motifs prévus à l’article 1A2 de la convention de Genève, l’appartenance à un certain groupe social est le moins précisément défini. Comme les quatre autres motifs, il renvoyait à des persécutions par les États, singulièrement à celles des régimes communistes envers une classe sociale, telle que les koulaks. Il a été utilisé en France, pendant les premières décennies, pour les réfugiés du Sud-Est asiatique persécutés à raison de leur origine sociale ou de leur métier. Il faut attendre 2011 pour que le droit européen de l’asile 74, transposé dans le droit français en 2015 75, le défi nisse comme « un groupe dont les membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé de la personne qu’elle y renonce, et qui, cumulativement, est perçu comme différent par la société environnante du pays concerné ». Complexe, ce motif a longtemps été peu utilisé, et les minorités sexuelles et les femmes exposées à des violences sexospécifiques ont davantage tardé à s’auto-identifier auprès de l’Ofpra. Ces questions ne sont pourtant pas ignorées dans les décennies précédentes.
Un sondage révèle que, en 1963, les femmes représentaient 35 % des réfugiés statutaires, avec de fortes différences selon les nationalités. Le critère du sexe, introduit en 1989 dans les statistiques, montre que, en 1990, 22 % des demandeurs d’asile étaient des femmes, et 31 % en 1993. Ce ratio est aujourd’hui d’environ 35 %. Ainsi, en 2021, les femmes et les mineures, accompagnées de leurs représentants légaux ou non, ont représenté 34,4 %
74. Article 10, §1, d), 1er paragraphe de la directive européenne dite Qualification 2011/95/ UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).
75. Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.
Extrait du compte rendu d’entretien en 1986 avec un réfugié cambodgien, qui évoque les persécutions des Khmers Rouges envers toutes les personnes éduquées, y compris des lycéens.
Du droit à l’histoire de l’asile, le regard d’un témoin engagé
Ma plongée dans le droit d’asile et des réfugiés remonte à ma nomination comme rapporteur à la Commission des recours des réfugiés (CRR) à la demande de Jacques Chardeau, nouveau président ayant eu à affronter, en 1979, une multiplication par quatre du nombre des recours. Il s’agissait de l’une des fonctions complémentaires exercées hors du Conseil d’État que, pour un jeune auditeur, il n’était pas d’usage de refuser, car elles contribuent au bon fonctionnement de la justice administrative. À raison d’une séance de jugement par trimestre (30 dossiers), j’ai découvert un continent nouveau : le droit international, l’existence de régimes totalitaires, les vicissitudes des minorités, les parcours complexes de l’exil, l’aléa des procédures… et le difficile métier de rapporteur dans un contentieux où le fait et le droit sont inextricablement mélangés et où il faut analyser ce qui se passe dans un grand nombre de pays.
Déplorant que rien n’ait été écrit sur sa jurispru dence depuis l’ouvrage de son premier président publié en 1961 (André Heilbroner, Jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés) et que ses décisions soient parfois contradictoires sinon imprévisibles, j’ai entrepris – après être passé par le Centre de documentation du Conseil d’État en 1981 et 1982 – mon premier travail d’archives en relisant toutes les décisions et avis rendus entre 1953 et 1984, puis 1987 (La protection des réfugiés en France, Economica, 1984, 1re éd., 1988, 2e éd.) afin de rendre accessible cette jurisprudence aux avocats et aux juges et de la commenter dans l’intérêt des demandeurs d’asile et de ceux qui les accompagnent au sein des associations.
Est resté de cette période, outre l’intérêt pour un droit aux enjeux pra tiques considérables pour un grand nombre d’étrangers ayant fui leur pays d’origine, la conviction que le respect du droit d’asile constitue un des principaux baromètres de la bonne santé de la démocratie française. Et l’intuition qu’il valait la peine de se battre pour le sauvegarder dans les tourmentes qui s’annonçaient.
Après la publication de cet ouvrage, j’ai été sollicité par Gérold de Wan gen, l’un des fondateurs de l’association France terre d’asile, pour rejoindre son conseil d’administration. France terre d’asile était née en 1971 pour
Frédéric TiberghienFrédéric Tiberghien intervenant lors de la deuxième journée d’études du Comité d’histoire de l’Ofpra sur l’administration de l’asile, le 12 décembre 2014, au Musée national de l’histoire de l’immigration.
l’Office français de protection juillet 1952 – et d’un projet celui des seuls spécialistes une en France.
Ce livre est né d’une occasion – les 70 ans de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, créé par la loi du 25 juillet 1952 – et d’un projet – celui d’ouvrir à un public plus large que celui des seuls spécialistes une fenêtre sur l’histoire contemporaine de l’asile en France.
Ce livre est né d’une occasion – les 70 ans de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, créé par la loi du 25 juillet 1952 – et d’un projet – celui d’ouvrir à un public plus large que celui des seuls spécialistes une fenêtre sur l’histoire contemporaine de l’asile en France.
Ce livre est né d’une occasion – les 70 ans de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, créé par la loi du 25 juillet 1952 – et d’un projet – celui d’ouvrir à un public plus large que celui des seuls spécialistes une fenêtre sur l’histoire contemporaine de l’asile en France.
d’Europe de l’Est dans le contexte actuelle, c’est l’arc des sept parcourir – et même davantage, indépendamment de celle des reprend l’héritage lors de sa création.
De la protection des réfugiés et apatrides d’Europe de l’Est dans le contexte de la guerre froide aux enjeux de la période actuelle, c’est l’arc des sept décennies écoulées que le lecteur est invité à parcourir – et même davantage, car l’histoire de l’Ofpra ne se comprend pas indépendamment de celle des organismes qui l’ont précédé et dont il reprend l’héritage lors de sa création.
De la protection des réfugiés et apatrides d’Europe de l’Est dans le contexte de la guerre froide aux enjeux de la période actuelle, c’est l’arc des sept décennies écoulées que le lecteur est invité à parcourir – et même davantage, car l’histoire de l’Ofpra ne se comprend pas indépendamment de celle des organismes qui l’ont précédé et dont il reprend l’héritage lors de sa création.
De la protection des réfugiés et apatrides d’Europe de l’Est dans le contexte de la guerre froide aux enjeux de la période actuelle, c’est l’arc des sept décennies écoulées que le lecteur est invité à parcourir – et même davantage, car l’histoire de l’Ofpra ne se comprend pas indépendamment de celle des organismes qui l’ont précédé et dont il reprend l’héritage lors de sa création.
travail de valorisation des archives témoigne notamment sa riche d’historiens et de praticiens de eux-mêmes et à leurs descendants. derniers, car il importe de se nombres des déplacements forcés millions de personnes actuellement Commissariat des Nations unies individuels, marqués par le tragique vie nouvelle.
L’ouvrage, qui a bénéficié de l’important travail de valorisation des archives de l’Ofpra au cours de la période récente, dont témoigne notamment sa riche iconographie, rassemble des contributions d’historiens et de praticiens de l’asile, mais donne aussi la parole aux réfugiés eux-mêmes et à leurs descendants.
L’ouvrage, qui a bénéficié de l’important travail de valorisation des archives de l’Ofpra au cours de la période récente, dont témoigne notamment sa riche iconographie, rassemble des contributions d’historiens et de praticiens de l’asile, mais donne aussi la parole aux réfugiés eux-mêmes et à leurs descendants.
L’OFPRA , 70 ANS DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS
Il fait la part belle aux parcours de vie de ces derniers, car il importe de se souvenir toujours que, derrière les grands nombres des déplacements forcés de l’époque contemporaine – plus de 100 millions de personnes actuellement déracinées de par le monde, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés –, il y a autant de destins individuels, marqués par le tragique de l’exil, mais aussi porteurs de l’espoir d’une vie nouvelle.
Il fait la part belle aux parcours de vie de ces derniers, car il importe de se souvenir toujours que, derrière les grands nombres des déplacements forcés de l’époque contemporaine – plus de 100 millions de personnes actuellement déracinées de par le monde, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés –, il y a autant de destins individuels, marqués par le tragique de l’exil, mais aussi porteurs de l’espoir d’une vie nouvelle.
L’ouvrage, qui a bénéficié de l’important travail de valorisation des archives de l’Ofpra au cours de la période récente, dont témoigne notamment sa riche iconographie, rassemble des contributions d’historiens et de praticiens de l’asile, mais donne aussi la parole aux réfugiés eux-mêmes et à leurs descendants. Il fait la part belle aux parcours de vie de ces derniers, car il importe de se souvenir toujours que, derrière les grands nombres des déplacements forcés de l’époque contemporaine – plus de 100 millions de personnes actuellement déracinées de par le monde, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés –, il y a autant de destins individuels, marqués par le tragique de l’exil, mais aussi porteurs de l’espoir d’une vie nouvelle.
général de l’Ofpra exploitation des archives, Ofpra
Sous la direction de Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra Aline Angoustures, cheffe de la mission histoire et exploitation des archives, Ofpra Sophie Pegliasco, directrice de cabinet, Ofpra
Sous la direction de Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra Aline Angoustures, cheffe de la mission histoire et exploitation des archives, Ofpra Sophie Pegliasco, directrice de cabinet, Ofpra
Sous la direction de Julien Boucher, directeur général de l’Ofpra Aline Angoustures, cheffe de la mission histoire et exploitation des archives, Ofpra Sophie Pegliasco, directrice de cabinet, Ofpra
Photographie de couverture : © Milomir Kovacevic.
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patrie pays patrie perdue, pays d’asile